Je vois que tous les députés sont présents. Je déclare donc la séance ouverte.
Tout d'abord, j'aimerais offrir aux témoins toutes mes excuses. Nous commençons la réunion avec neuf minutes de retard en raison de la tenue d'un vote à la Chambre.
Je vous souhaite la bienvenue à la quatorzième réunion du Comité permanent de l'industrie et de la technologie de la Chambre des communes.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mardi 1er mars 2022, le Comité se réunit pour étudier la question de l'informatique quantique.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre adopté à la Chambre le jeudi 25 novembre 2021. Les députés peuvent participer par l'application Zoom ou en personne. Ceux et celles qui sont parmi nous en personne connaissent les règles sanitaires en vigueur. Je leur demande donc de se comporter en conséquence.
Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui M. Raymond Laflamme, professeur de physique, Chaire de recherche du Canada sur l'information quantique à l'Université de Waterloo.
Nous recevons aussi M. Alireza Yazdi, président-directeur général de l'entreprise Anyon Systems, M. Philippe St-Jean, président-directeur général de l'entreprise Nord Quantique, ainsi que M. Rafal Janik, chef des produits chez Xanadu Quantum Technologies.
Je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui.
Monsieur Laflamme, vous avez la parole pour à peu près six minutes.
Je remercie les membres du Comité de s'intéresser au domaine de l'information quantique et des technologies connexes. Je les remercie également de m'avoir invité à dire quelques mots sur le sujet. Ce comité est vraiment important pour le gouvernement du Canada si ce dernier veut tirer profit de son succès initial dans le domaine.
Vendredi, mes collègues Alexandre Blais, Norbert Lütkenhaus et Barry Sanders vous ont présenté une introduction à l'information quantique. Je ne répéterai donc pas ce qu'ils ont dit, car ils ont fait un excellent travail. Cependant, j'aimerais insister sur deux éléments qui ont été mentionnés vendredi et qui sont selon moi vraiment importants pour comprendre et situer l'information et les technologies quantiques au Canada.
Premièrement, la discipline de l'information quantique est vaste. Elle concerne la façon dont se comporte l'univers dans lequel nous vivons à une échelle microscopique, la cryptographie quantique dans le contexte de la sécurité nationale ainsi que le développement de technologies pour l'extraction de richesses naturelles ou pour la résolution de problèmes liés au domaine de la santé, par exemple. L'expertise acquise en matière d'information quantique pourrait donc présenter un avantage économique en ce XXIe siècle.
Deuxièmement, les initiatives liées à l'information quantique au Canada et ailleurs dans le monde se déroulent vraiment à la vitesse d'un marathon, non pas à celle d'un sprint. Même si la discipline est encore jeune, la course est déjà commencée.
[Traduction]
L'informatique et la technologie quantiques offrent une occasion incroyable au Canada. Nous avons réussi à faire briller le Canada sur la scène internationale au cours des 20 dernières années, mais nous ne pouvons pas nous asseoir sur nos lauriers. Feu Tom Brzustowski, l'ancien président du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, ou CRSNG, que j'ai rencontré au début des années 2000 et qui est devenu un de mes mentors, avait coutume de citer un technologue américain qui se plaisait à répéter que le Canada ne manquait jamais une occasion de manquer une occasion.
J'espère que nous lui donnerons tort dans le domaine de l'informatique quantique, mais ce n'est qu'en déployant un effort d'équipe que nous y parviendrons. Bien entendu, cela inclut les acteurs du domaine, qu'il s'agisse du gouvernement, de l'industrie ou du milieu universitaire, mais aussi toutes les personnes ici présentes aujourd'hui.
[Français]
Je vais maintenant vous parler un peu de moi. Je suis né à Québec. J'ai obtenu un baccalauréat à l'Université Laval, un doctorat à l'Université de Cambridge sous la direction de M. Stephen Hawking ainsi qu'une bourse de recherche postdoctorale Killam à l'Université de la Colombie‑Britannique. Je suis retourné à Cambridge pour deux ans avant de passer dix ans au Los Alamos National Laboratory, aux États‑Unis.
En 2001, j'ai été recruté par MM. David Johnston et Mike Lazaridis pour bâtir l'Institute for Quantum Computing à Waterloo, avec l'appui des programmes de Chaires de recherche du Canada et de la Fondation canadienne pour l'innovation, ou FCI, et faire ainsi connaître le Canada dans ce domaine.
[Traduction]
J'ai dirigé l'institut jusqu'en 2017, soit pendant 15 ans, avec pour objectif d'en faire un institut multidisciplinaire pour repousser les limites de la science et mettre au point des technologies à l'avenant.
L'institut voulait devenir un chef de file mondial dans la recherche en informatique quantique, en commençant à former une main-d'œuvre qui comprend les technologies quantiques et peut les faire progresser, et transmettant l'information sur la science et l'ingénierie à un large auditoire. L'institut, l'IQC dans sa forme abrégée, constitue un des piliers de l'écosystème de la vallée quantique qui s'établit depuis 20 ans.
Parmi les autres organisations partenaires figurent l'Institut Perimeter, la Quantum-Nano Fabrication Facility, le programme de technologies quantiques conformationnelles du premier Fonds d'excellence en recherche du Canada, le Laboratoire d'idées, qui conçoit les prototypes de technologies quantiques émergentes, et enfin, Quantum Valley Investments, qui a contribué à commercialiser le fonds et les jeunes pousses issues de la recherche.
Je pense que l'édification d'écosystèmes est importante pour soutenir le passage des idées quantiques aux technologies quantiques avec un effet sociétal. Ce parcours comporte de nombreux maillons, et la moindre rupture peut nuire à l'atteinte de l'objectif. Comme vous l'avez entendu vendredi, le concept d'écosystèmes quantiques a également été adopté par Sherbrooke et Calgary, et des indices portent à croire que Vancouver établira bientôt le sien. Je considère que la stratégie nationale jouera un rôle important en favorisant l'émergence et le développement de ces écosystèmes.
J'ai également été directeur du Programme Informatique quantique de l'Institut canadien des recherches avancées, ou ICRA, pendant 15 ans, avec pour objectif d'étudier les aspects fondamentaux de l'informatique quantique. Ce programme a permis de réunir deux douzaines des meilleurs chercheurs en informatique quantique du Canada et du monde entier. Toujours en cours, ce programme connaît la réussite sous la houlette d'Aephraim Steinberg.
En 2006, le milieu des sciences quantiques a également formé un réseau appelé plateforme d'innovation en nanotechnologie du CRSNG. L'industrie, le gouvernement et des chercheurs du milieu universitaire ont participé au programme Quantum Works, qui peut être considéré comme le grand-parent de la stratégie nationale actuelle.
Je voudrais clore mon propos en précisant ce sur quoi la Stratégie quantique nationale devrait se concentrer. Il faut d'abord atténuer les risques relatifs aux technologies quantiques ou contribuer à les atténuer; se montrer stratégique et faire des choix, puisque les occasions abondent, mais les ressources sont, comme d'habitude, limitées; et décloisonner l'environnement pour établir un véritable écosystème quantique, comme nous l'avons entendu vendredi. Il faut trouver d'autres manières de faciliter l'interaction entre l'industrie, le gouvernement et le milieu universitaire.
Ces interactions sont déjà nombreuses. En fait, mes collègues du milieu des sciences quantiques ici présents en ont. 1QBit collabore avec Sherbrooke et Waterloo, Anyon Systems utilise les laboratoires de Waterloo et Xanadu a engagé de nombreux diplômés de Waterloo au sein de son conseil scientifique. Or, bon nombre de ces interactions sont ponctuelles, et il faut les solidifier pour accroître les chances du Canada de marquer de nombreux points dans le domaine quantique.
Il faut également construire des infrastructures et les garder à jour pour mettre au point des technologies quantiques, comme l'installation de fabrication dont il a été question à Waterloo, mais aussi celles à Sherbrooke et à Vancouver. Il faut être informé et combler les lacunes des programmes de financement actuels. Il doit y avoir de nombreuses interactions entre la stratégie nationale et le milieu des sciences quantiques.
Enfin, il faut développer le talent, notamment celui des dirigeants pour qu'ils connaissent le domaine, et ce, tant dans le milieu des sciences quantiques proprement dit qu'au gouvernement.
J'ai été étonné, à mon retour des États-Unis, de voir que les gestionnaires de programmes semblaient avoir une attitude beaucoup plus détachée que celle que j'avais observée aux États-Unis ou au Royaume-Uni.
Je voudrais terminer en disant que l'informatique et la technologie quantiques offrent une occasion incroyable au Canada, une occasion qu'il faut exploiter.
Je vous remercie.
:
Je vous remercie, monsieur le président et distingués membres du Comité.
[Français]
Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le Comité.
Je m'appelle Alireza Yazdi. Je suis le fondateur et le président-directeur général d'Anyon Systems. Je suis un immigrant de première génération, un scientifique et un entrepreneur.
[Traduction]
Je suis titulaire d'un doctorat en génie de l'Université McGill; je suis donc ingénieur de formation et non physicien, avec tout le respect que je dois aux autres physiciens ici présents. Je possède plus de 15 ans d'expérience en calcul de haute performance, et mon occupation des 7 dernières années a consisté presque exclusivement à concevoir un ordinateur quantique.
En dehors de mon travail et de mes activités techniques, j'étudie également l'histoire et la géopolitique. Compte tenu de mon emploi, je m'intéresse particulièrement aux tendances relatives aux technologies perturbatrices qui ont des ramifications géopolitiques.
Avant de vous présenter officiellement Anyon Systems et vous expliquer ce que nous faisons, je prendrai quelques instants pour vous fournir des informations de base et du contexte en vue de la discussion à venir.
Dans l'industrie des technologies, un dicton veut que « les données soient le nouvel or ». Des entreprises comme Google et Facebook se font concurrence pour exploiter cet or, dépensant des ressources substantielles pour recueillir, indexer et entreposer des données, mais c'est une fois traitées et analysées que ces données deviennent réellement précieuses. Comme vous le savez, le volume de données croît de manière exponentielle à l'échelle mondiale, les besoins en puissance de calcul augmentant à l'avenant. Je n'emploie pas l'expression « puissance de calcul » à la légère et je ne l'utilise pas dans un simple contexte technique. Quand je parle de « puissance de calcul », je fais référence à la capacité de traiter des données, de mettre au point de nouvelles technologies, de prendre de meilleures décisions et de devancer la concurrence. Il s'agit d'une puissance de nature stratégique.
En raison du volume de données et de la valeur stratégique de la puissance de calcul dont j'ai parlé, il existe un besoin criant en nouvelles technologies, et particulièrement en nouveaux genres d'équipement qui peuvent améliorer notre capacité de traiter des données, d'explorer la nature, d'inventer de nouvelles technologies et d'assurer la sécurité de notre pays. L'informatique quantique figure parmi les technologies candidates qui promettent une puissance de calcul considérable, mais seulement pour une certaine catégorie de problèmes. Sachez que les ordinateurs quantiques ne peuvent pas nécessairement résoudre tous les problèmes ou accélérer toutes les applications.
Permettez-moi d'être plus clair. Un ordinateur quantique ne fonctionne pas en autonomie. Il a un effet d'accélération matérielle. Son travail consiste à accélérer la réalisation de calculs pour une catégorie de problèmes qui semblent très précieux.
Maintenant que je vous ai mis en contexte, permettez-moi de vous parler de notre entreprise. Anyon Systems a été fondée en 2014, alors même que Google et IBM entreprenaient leurs efforts en informatique quantique. En fait, même si elle n'a que huit ans, elle est l'une des plus anciennes entreprises d'informatique quantique du monde. Nous avons pour mission de mettre au point et de commercialiser des ordinateurs quantiques universels à base logique.
Au cours des huit dernières années, Anyon a développé toute une gamme verticale d'ordinateurs quantiques supraconducteurs. En fait, à ce que je sache, notre entreprise est la seule au monde à fabriquer en ses murs toutes les composantes principales d'un ordinateur quantique supraconducteur, notamment le processeur quantique supraconducteur lui-même, les systèmes cryogéniques, qui atteignent des températures à peine quelques millikelvins au‑dessus du zéro absolu, des contrôles électroniques et l'éventail de logiciels nécessaire pour utiliser la machine.
Comme nous avons développé une expertise très pointue, nous pouvons être en grande partie indépendants des fournisseurs étrangers et permettre au Canada de disposer de capacités autochtones et nationales. Nos systèmes d'informatique quantique sont presque entièrement fabriqués et assemblés à Montréal et à Waterloo. Forts de précieux partenariats avec des acteurs clés du gouvernement et du milieu universitaire, nous nous efforçons de contribuer à l'établissement d'écosystèmes en permettant aux chercheurs canadiens d'avoir accès à du matériel.
En 2020, nous avons obtenu un contrat dans le cadre du programme d'innovation Construire au Canada afin de fournir un ordinateur quantique qui serait mis à l'essai par Recherche et développement pour la défense Canada, ou RDDR. Malgré les difficultés que posait la pandémie de COVID‑19, j'ai le plaisir de vous informer que cette machine a été produite et est entrée en fonction en 2021. Nous sommes fiers d'annoncer qu'il s'agit du premier ordinateur quantique fondé sur des portes logiques du Canada. Ses principaux paramètres de rendement surpassent ceux des acteurs les plus proéminents de l'industrie, n'étant dépassés que par ceux de Google dans bien des cas.
L'automne dernier, j'ai également eu le plaisir de présenter une série d'exposés aux talentueux chercheurs de RDDR et d'autres organismes gouvernementaux. Cette série d'exposés avait pour objectif d'aider les chercheurs du gouvernement à adopter l'informatique quantique et à entreprendre d'excellentes recherches dans le domaine.
Dernièrement, nous avons reçu une deuxième commande pour livrer une machine à la fine pointe de la technologie à l'un des plus grands centres de calcul de haute performance du Canada. Cette machine permettra aux chercheurs canadiens du milieu universitaire et de l'industrie d'avoir un accès accéléré à une technologie très recherchée qui leur permettra de concevoir de nouveaux algorithmes et de réaliser des recherches de pointe.
Même si nous concevons actuellement des machines de taille petite à moyenne destinées aux adopteurs pionniers, Anyon veut en arriver à fournir ce qu'on appelle un ordinateur quantique à l'échelle commerciale, c'est‑à‑dire un ordinateur quantique dont la capacité de calcul est supérieure au coût.
Notre équipe a élaboré une feuille de route technologique détaillée à cette fin, et nous inventons de nouvelles technologies pour atteindre nos objectifs.
Je m'en voudrais si, avant de conclure mon exposé, je ne remerciais pas le Conseil national de recherches du Canada du généreux soutien qu'il nous a gracieusement accordé au cours des dernières années, particulièrement au titre du Programme d'aide à la recherche industrielle; l'Institut de l'informatique quantique de l'Université de Waterloo, notamment la direction et le personnel de l'installation de nanofabrication; et le ministère de l'Économie et de l'Innovation du Québec.
Je vous remercie une fois de plus de votre invitation. Je suis impatient de discuter avec vous.
Je remercie les membres du Comité de m'avoir donné l'occasion de discuter avec eux aujourd'hui.
Je m'appelle Philippe St‑Jean et je suis président-directeur général et cofondateur de Nord Quantique, une entreprise qui conçoit et fabrique un ordinateur quantique tolérant aux erreurs. Nous sommes issus du centre d'excellence en quantique de l'Université de Sherbrooke, soit l'Institut quantique. Celui-ci est dirigé par le professeur Alexandre Blais, qui a comparu devant ce comité la semaine dernière.
Plusieurs des témoins qui ont présenté leur point de vue devant ce comité ont déjà bien expliqué quel était l'intérêt pour le Canada de promouvoir le développement de son expertise en informatique quantique. Je vais donc concentrer mes efforts sur les aspects qui touchent plus particulièrement le développement de ces ordinateurs au sein des entreprises canadiennes déjà engagées dans cette voie.
On l'a déjà dit, le Canada peut être fier de la qualité de la recherche universitaire en informatique quantique qui se fait dans nos centres d'excellence. Le défi, maintenant, c'est d'assurer que cette expertise se traduira aussi en un succès industriel et commercial, et d'établir ainsi ce qui devrait être la feuille de route du gouvernement fédéral en ce sens.
Nos besoins se déclinent en deux points.
Il faut évidemment avoir accès aux fonds nécessaires pour développer cette technologie, d'autant plus que nous sommes en concurrence avec des programmes ambitieux mis en avant par d'autres gouvernements ailleurs dans le monde.
Ce qui est plus important encore, c'est que notre succès futur dépendra du soutien des écosystèmes entourant les centres d'excellence en technologie quantique dont nous émergeons. L'accès en location à des infrastructures et à des laboratoires de pointe, à l'équipement spécialisé qui s'y trouve, aux experts qui y travaillent et à leurs connaissances, ainsi qu'aux jeunes talents qui s'y développent et qui grossissent nos rangs est la clé du succès. Pour nous, c'est cela, l'approche canadienne. Cette collaboration nous a permis jusqu'ici de demeurer concurrentiels malgré les sommes considérables investies par le secteur privé chez nos concurrents internationaux.
L'apport crucial de ces centres d'excellence a d'ailleurs été brillamment décrit et souligné par le professeur Laflamme lors d'une conférence récente organisée par NanoCanada, Quantum Days. J'invite d'ailleurs les membres du Comité à aller voir ou revoir cette présentation.
Regardons les choses en face en ce qui a trait au secteur quantique commercial canadien. Nous avons tous devant nous un chemin difficile. Toutes les entreprises qui conçoivent des ordinateurs quantiques doivent affronter une traversée du désert pendant laquelle elles doivent développer cette technologie sans pouvoir soutenir cet effort avec des revenus à court terme suffisants. Il est donc critique que le gouvernement agisse et nous aide, soit directement comme premier utilisateur des ordinateurs prototypes que nous développons, ou comme intermédiaire en en facilitant l'accès à la communauté de premiers utilisateurs et de scientifiques au Canada.
Il est aussi important que cette aide soit efficace et agile. Les contraintes liées aux programmes existants peuvent malheureusement créer parfois des délais trop longs.
Le risque, par exemple, c'est que, pendant le temps écoulé entre le dépôt d'un bon projet, son évaluation, son approbation et l'accès aux fonds, le projet lui-même peut avoir perdu de sa pertinence, car les choses avancent très vite dans ce secteur.
L'échelle à laquelle ces projets sont financés doit être comparable à celle dont bénéficient nos concurrents internationaux dans leurs pays respectifs.
Finalement, il faut aussi aider à changer la mentalité des investisseurs privés canadiens pour qu'ils comprennent qu'ils ont tout à gagner à verser une portion de leurs investissements dans des technologies révolutionnaires à plus long terme. C'est comme cela qu'il faut réfléchir.
J'aimerais conclure sur une note d'optimisme. La semaine dernière, le professeur Alexandre Blais soulignait devant ce comité l'importance de gérer les attentes, en soulignant que nous ne pouvions pas tout faire au Canada et qu'il fallait donc concentrer nos efforts intelligemment. Pour nous, cela signifie qu'il est important de soutenir nos centres d'excellence, mais surtout de favoriser le développement d'écosystèmes autour de ces centres qui, en retour, constituent un terreau fertile pour les entreprises canadiennes en émergence dans le secteur quantique.
Je tiens à souligner une chose importante. Cette gestion des attentes ne signifie pas que le Canada est limité à un rôle de second plan ou à un rôle auxiliaire dans le développement des premiers ordinateurs quantiques commerciaux tolérants aux erreurs. Le Canada est véritablement engagé dans cette course et il se trouve en très bonne position. La situation actuelle et l'état d'avancement nous permettent de dire avec assurance que les premiers ordinateurs quantiques commercialement viables naîtront dans deux pays, soit le Canada et les États‑Unis. Pour que ce scénario se réalise, il faut agir maintenant en soutenant cette transition de la recherche scientifique vers le développement industriel et commercial de cette technologie.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Je voudrais remercier le Comité de m'avoir invité à témoigner et de m'offrir l'occasion de traiter d'un sujet très important, c'est‑à‑dire la manière dont nous pouvons conserver dans l'avenir la position de tête stratégique que nous occupons au Canada dans le domaine des technologies quantiques.
Moi et mes collègues, dont un bon nombre ont déjà comparu devant le Comité, avons déjà fait remarquer que nous bénéficions depuis près de 25 ans d'un soutien et d'un financement réellement extraordinaires dans le domaine des sciences et de l'informatique quantiques, et maintenant, même dans celui de la commercialisation des technologies quantiques. L'objectif final consiste de fait à concevoir un ordinateur quantique à grande échelle. Quelques noms ont été attribués à cet ordinateur quantique viable du point de vue économique, mais il s'agit en fait d'un ordinateur quantique ayant des millions de qubits physiques, une technologie qui peut résoudre les problèmes les plus complexes du monde. C'est l'objectif d'un grand nombre de personnes que vous avez peut-être déjà entendues.
C'est sur cette voie qu'avance Xanadu, avec pour mission de concevoir des ordinateurs quantiques universels tolérants aux défaillances. Notre entreprise, en activité depuis maintenant six ans, est sise au cœur de Toronto et compte plus de 120 employés qui œuvrent à l'accomplissement de cette mission. La majorité d'entre nous travaillent à la conception de matériel photonique fondamental pour construire cet ordinateur quantique, mais aussi à la gamme de logiciels, qui est très importante pour assurer l'adoption pleine et entière de cette technologie lorsqu'elle sera viable.
À ce jour, nous avons mis en fonction sept ordinateurs quantiques uniques dans 15 générations d'unités de traitement quantique différentes. Nous avons effectué 15 cycles de fabrication avec des partenaires des quatre coins du monde, le tout réalisé directement dans notre installation de Toronto, qui est l'installation de nanophotonique la plus avancée du monde.
Tous les six mois environ, nous doublons le nombre de qubits, augmentant de manière exponentielle la puissance de calcul d'un ordinateur quantique. Il importe cependant de souligner que ces ordinateurs quantiques sont encore loin d'offrir une véritable valeur économique. Nous considérons que la plateforme photonique bénéficie d'une occasion unique d'offrir cette valeur par rapport à d'autres approches, mais cela reste à voir et nous ne pensons pas qu'une seule technologie remportera la mise.
Si la photonique offre une occasion unique pour les technologies quantiques, c'est parce qu'elle est déjà bien comprise dans les domaines des télécommunications et de la communication de données. Les puces que nous concevons sont faciles à fabriquer à l'échelle. Or, c'est une des composantes nécessaires à la fabrication d'un ordinateur quantique tolérant aux défaillances à grande échelle.
Cette technologie fonctionne aussi à température ambiante. Quatre-vingt-dix pour cent de nos systèmes actuels fonctionnent à 20°C; il est donc possible de reproduire et de concevoir bien plus rapidement et pour beaucoup moins cher. Cette caractéristique n'est pas propre à nous, mais avec mes collègues de Nord Quantique, je constate que les différentes architectures offrent des occasions uniques de résoudre certains des plus gros problèmes en corrigeant des erreurs et en faisant en sorte que les ordinateurs quantiques soient tolérants aux défaillances.
Avec tout cela mis ensemble, je ferai peut-être remarquer au Comité qu'on peut adopter de nombreuses approches pour concevoir un ordinateur quantique, chacune venant avec ses avantages et ses inconvénients. Sachez en outre que nous disposons d'une des meilleures plateformes logicielles chez PennyLane. Il s'agit d'un outil d'informatique quantique de source ouverte d'usage général qui arrive coude à coude avec les systèmes d'IBM, de Qiskit et de Google, avec l'interface simple pour informatique reconfigurable.
Nous procédons de manière légèrement différente, optant pour une approche de source ouverte entièrement communautaire. Nous avons non seulement des partenaires commerciaux qui conçoivent cet outil avec nous, mais également des partenaires dans des universités du Canada et du monde entier. Depuis cette année, cela fait également partie des travaux de cours fondamentaux dans quelques universités. Nous collaborons avec le Quantum Algorithms Institute, en Colombie-Britannique, pour qu'il puisse offrir plus de formation et de ressources à la main-d'œuvre pendant que nous continuons de concevoir notre ordinateur.
Il y a une dernière chose que je voudrais dire au sujet de notre approche de base en matière d'ordinateur quantique. Puisqu'elle fait fond sur la photonique, elle offre aussi des occasions uniques au chapitre de la détection et de la communication quantiques. Nous disposons aujourd'hui d'un réseau de bancs d'essai déployé pour la communication quantique et la distribution quantique de clés ici même, dans notre laboratoire de Toronto. Nous mettons aussi au point des solutions de détection quantique pour le Conseil national de recherche dans le cadre du projet Solutions innovatrices Canada.
Sur ce, je voudrais remercier de nouveau le Comité. Je répondrai avec plaisir aux questions que vous pourriez avoir.
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Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Bonjour, chers collègues.
Je remercie tous les témoins de leur participation à cette discussion. Il est très impressionnant de voir autant de talents témoigner devant le Comité. C'est un privilège pour nous, comme parlementaires, et c'est un cadeau pour tous les Canadiens.
J'ai quelques questions à aborder, soit les choix, les laboratoires et le financement. Je parlerai tout de suite des choix à faire.
Docteur Laflamme, d'abord, je tiens à vous saluer comme citoyen originaire de Québec. C'est toujours agréable de recevoir des collègues qui viennent du même coin de pays. Vous avez mentionné tout à l'heure que le Canada devait faire des choix et qu'il était impossible de tout faire.
Selon vous, quels secteurs devons-nous privilégier dans l'immédiat?
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Les entreprises émergentes qui se consacrent à l'informatique quantique et qui essaient de concevoir et de fabriquer un ordinateur quantique ont besoin de moyens financiers, mais également du soutien d'un écosystème. Il faut comprendre que ce n'est pas simple, fabriquer un ordinateur quantique. La tâche est très difficile pour ces entreprises.
Cela contraste avec ce que l'on voit dans d'autres secteurs, comme l'intelligence artificielle, ou avec le modèle de logiciel en tant que service, ou SaaS. On peut imaginer plusieurs entreprises émergentes dans ces domaines commencer leurs activités dans un garage. Or, la même chose n'est pas du tout envisageable en informatique quantique.
Il faut avoir accès à ces expertises. Il ne fait aucun doute que nous bénéficions de notre positionnement stratégique dans l'écosystème de Sherbrooke. Nous avons besoin de l'expertise de l'Institut quantique de l'Université de Sherbrooke.
Nous envisageons trois pôles. À l'heure actuelle, nous menons des activités à l'Institut quantique de l'Université de Sherbrooke. La fabrication de nos processeurs se fait à l'Institut interdisciplinaire d'innovation technologique, qui fait du prototypage en microélectronique. Cet institut, qui n'est pas très loin d'ici, est rattaché à l'Université de Sherbrooke. Nous pensons aussi utiliser éventuellement les installations qui se trouvent au Centre de collaboration MiQro Innovation, ou C2MI, à Bromont, qui fournit des outils de prototypage, mais de nature industrielle. Cela nous permettrait d'avoir des outils de qualité industrielle.
Ces accès sont essentiels pour nous. C'est de cette façon que nous fonctionnons actuellement et cela nous permet d'avancer. Il est évident que nous ne pourrions pas financer ces infrastructures nous-mêmes. Nous sommes heureux de pouvoir louer cet équipement et de contribuer à cette communauté par notre expertise. Si nous n'avions pas tout cet écosystème qui nous soutient, je ne vois pas comment nous pourrions y arriver.
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Merci. C'est une question excellente et importante.
Je vais vous donner la réponse sur la façon dont j'ai recruté des gens pour l'Institut de l'informatique quantique. Vous devez avoir une vision de ce que vous voulez faire, pour que les gens que vous essayez d'attirer sachent qu'ils ne vont pas travailler à un endroit où ils sont livrés à eux-mêmes, à faire leur partie du travail en vase clos. Ils doivent savoir qu'ils seront soutenus par des collègues, des étudiants et des boursiers postdoctoraux qui pourront les aider à atteindre les objectifs qu'ils souhaitent réaliser.
Vous avez également besoin de ressources pour y parvenir, alors si vous engagez un théoricien, c'est relativement facile sans trop de ressources, mais comme vous l'avez entendu dans les propos de M. Yazdi au sujet de la construction d'une installation de fabrication, ce n'est pas bon marché. Heureusement, le Canada a joué un rôle de premier plan et a contribué à la mise en place d'installations de fabrication destinées à la recherche. M. Yazdi aurait peut-être pu parler de la différence entre une installation de fabrication destinée à la recherche et une installation de fabrication destinée à la production.
Pour les installations à des fins de recherche, on n'a pas besoin d'avoir un rendement extrêmement élevé. On veut simplement avoir de temps à autre des dispositifs qui offrent les bonnes propriétés. En revanche, si on veut commercialiser et vendre ces produits, le rendement doit être très élevé, et c'est une autre paire de manches. Aujourd'hui, pour 50 à 100 millions de dollars, on peut avoir une installation de recherche. Si on veut avoir une installation de fabrication pour la commercialisation, on parle de centaines de millions, voire des milliards de dollars — à tout le moins, si l'on regarde les installations de fabrication de type Intel, dont le coût dépend de l'objectif.
Si on veut attirer des gens, il faut disposer des ressources nécessaires. Une vision, une communauté et des ressources sont donc les trois éléments les plus importants à avoir. J'en ajouterai un autre, qui consiste à sortir des sentiers battus. Ce que j'entends par là, c'est qu'aujourd'hui, dans le monde dans lequel nous vivons, généralement, lorsqu'on embauche une personne, elle a un partenaire qui est aussi intelligent qu'elle, alors on doit l'aider à trouver un emploi et à faire diverses choses ou à établir sa famille quelque part. C'est là où les membres du Comité, comme vous, peuvent aider. Autrement dit, si on attire quelqu'un de l'extérieur du pays, il a besoin d'un visa, de soutien et d'une certaine certitude qu'il pourra réussir dans ce qu'il fait.
Dans le passé, j'ai parlé à mon député local et je lui ai demandé de m'aider à recruter des gens pour venir au Canada. Je peux vous dire qu'il y a 20 ans, le domaine était beaucoup plus facile et beaucoup moins compétitif. Ce n'était que le début, mais aujourd'hui, le secteur est incroyablement compétitif. Je regarde mes trois collègues ici, et ils savent ce que je veux dire lorsque vous essayez d'attirer une personne de talent pour venir rejoindre votre équipe. On ne réussit pas à tous les coups, et c'est normal lorsque la concurrence est forte, mais si on le fait et qu'on le fait en équipe, je pense qu'on peut réussir.
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C'est encore une fois une excellente question à laquelle il est difficile de répondre.
En ce qui concerne la première partie — la raison pour laquelle nous devons avoir une collaboration internationale —, c'est que nous avons des gens très intelligents au Canada, mais nous ne représentons qu'une petite proportion de la population du reste du monde, et il y a des gens très intelligents dans le monde entier. Nous pouvons tirer parti de leurs connaissances. En ajoutant la collaboration, généralement dans le secteur de la recherche, c'est très utile.
Quand on commence la commercialisation, les choses deviennent un peu plus complexes, parce qu'on peut alors avoir à la fois des questions de sécurité nationale et de protection de la propriété intellectuelle. Nous savons que dans le monde entier, différents pays ne ménagent pas leurs efforts pour chercher à savoir ce que nous faisons ici au Canada, et nous devons donc nous assurer d'être vigilants.
C'est une autre chose que j'ai apprise en travaillant au Canada. En fait, lorsque je travaillais dans un laboratoire national aux États-Unis, les préoccupations en matière de sécurité étaient certainement très importantes. Lorsque je suis arrivé ici au Canada en 2000, il y en avait très peu, même si j'aimerais remercier les gens du SCRS et du CSTC de leur aide afin de s'assurer que ce que nous faisons au Canada est adéquatement protégé.
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Absolument, je fais écho à ce qui a déjà été dit.
En ce qui concerne les talents, nous avons connu une situation un peu différente. Nous avons eu la chance incroyable de pouvoir faire venir plus de 60 % de notre main-d'oeuvre grâce à des programmes comme le Volet des talents mondiaux. En fait, entre la qualité de vie au Canada et la politique d'immigration relativement ouverte, nous avons été en mesure de rivaliser avec un grand nombre de nos pairs aux États-Unis pour les talents.
Pour ce qui est du financement, je veux ajouter une observation à propos de l'ampleur du financement dont il est question. Jusqu'à présent, nous avons été incroyablement chanceux et nous avons pu amasser plus de 175 millions de dollars canadiens dans le but de construire un ordinateur quantique universel tolérant aux pannes. C'est probablement environ 20 % de ce qui est nécessaire pour créer cette machine véritablement transformatrice. Une question stratégique et de sécurité très importante se pose alors. Une question a été posée plus tôt sur la façon dont nous gardons cette propriété intellectuelle au Canada. L'une des plus grandes menaces est probablement qu'une fois que les entreprises deviennent suffisamment grandes et prospères, elles ont besoin de capitaux externes, de fonds externes, pour les aider à franchir la ligne d'arrivée.
Je ne suis pas sûr de la solution, mais il est certain qu'un problème que nous devons résoudre est de déterminer comment nous pouvons passer les premières étapes, le recrutement de talents universitaires, à la véritable commercialisation, afin de pouvoir récolter les fruits de tous les investissements qui ont déjà été faits dans les technologies quantiques.
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Je vous remercie beaucoup pour cette excellente question.
Je vais répondre d'abord à la deuxième partie de votre question, qui concerne la chaîne d'approvisionnement, car c'est ce qui me tient éveillé la nuit, littéralement. À l'heure actuelle, nos [inaudible] puces sont en rupture de stock depuis 52 semaines. La situation est donc très sérieuse.
En ce moment, les États-Unis se penchent de très près sur la chaîne d'approvisionnement de l'informatique quantique. C'est l'une des raisons pour lesquelles Anyon, en 2016, a décidé de produire à l'interne toutes les composantes d'un ordinateur quantique à supraconducteurs. À titre d'exemple, il existe seulement deux entreprises qui fabriquent des systèmes cryogéniques de qualité commerciale. L'une se trouve en Finlande et l'autre au Royaume-Uni. Elles pourraient facilement être achetées par des compétiteurs, ce qui nuirait grandement à l'avenir de notre industrie.
Ce que le gouvernement devrait faire, à mon avis, c'est la même chose que nos partenaires aux États-Unis. Premièrement, il doit choisir dans quelles technologies il souhaite investir en priorité, tenter de mettre la main sur ces technologies et les amener au Canada. La pandémie nous a enseigné qu'il faut, d'un point de vue stratégique, avoir au Canada des masques et de l'équipement de protection individuelle, car nous n'avons pas été en mesure d'en obtenir, même auprès de nos amis, lorsque nous en avions besoin.
Le gouvernement devrait examiner très attentivement la chaîne d'approvisionnement.
Je recommande fortement que nous considérions la fabrication de puces comme étant le talon d'Achille, à la fois les puces classiques, les semi-conducteurs complémentaires à l'oxyde de métal, ou SCOM, et les puces pour le secteur quantique, qui pourraient devenir notre marché de niche dans le marché mondial. À l'heure actuelle, le Canada est tout aussi concurrentiel que tout autre pays pour ce qui est de la fabrication de supraconducteurs ou d'autres types de dispositifs pour le secteur quantique. Je recommande donc au gouvernement de se pencher de très près sur cette question et d'en faire une priorité.
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Vous soulevez un bon point.
On a parlé plus tôt du nouveau fonds d'investissement offert par la Banque de développement du Canada et qui vise à soutenir les entreprises qu'elle appelle « entreprises de technologies profondes ». Nous en avons bénéficié en tant que jeune entreprise dans ce domaine. C'est très intéressant, mais il y a effectivement un manque à cet égard au Canada.
C'était très important pour nous de nous associer à ce partenaire. Ce sont des gens qui réfléchissent à des solutions à long terme. Typiquement, un fonds d'investissement en technologie a un horizon d'environ 10 ou 12 ans. Dans le cas des technologies quantiques, il faut réfléchir à des solutions à plus long terme. C'est ce que nous voudrions voir émerger au Canada et, surtout, à toutes les échelles quant au financement.
Pour les entreprises en prédémarrage ou en démarrage, trouver du financement à petite échelle n'est pas facile, mais c'est possible. Les étapes subséquentes créent des défis plus importants. L'entreprise Xanadu y est arrivée, et nous sommes d'ailleurs très fiers d'elle. C'est un très bel exemple de ce qui peut être fait au Canada. Cette entreprise a évidemment eu de l'aide de la part d'investisseurs étrangers. C'est aussi le cas pour nous, puisque nous pouvons compter sur un investisseur européen depuis le premier jour.
Il faut offrir une forme d'accompagnement à toutes les étapes. Il faut réfléchir à des solutions dès maintenant, parce que ces entreprises sont actuellement en croissance.
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Tout à fait. Cela fait 20 ans que je suis de retour au Canada, et si je regarde les étudiants étrangers au Canada, je dirais que c'est très impressionnant. Il est intéressant de constater — et c'est seulement sans doute une information parmi tant d'autres — que très peu d'étudiants des États-Unis faisaient une demande au programme de doctorat en informatique quantique à l'Université de Waterloo en 2002‑2003. Maintenant, nous enregistrons un nombre beaucoup plus élevé, à savoir entre 10 et 20 % certaines années.
Nous avons certes réalisé de grands progrès, et je crois que c'est attribuable à la vigueur du secteur de l'informatique quantique et à la réputation que nous avons su bâtir.
Pour ce qui est de retenir ces étudiants, je crois que mes collègues de l'industrie pourraient vouloir en dire un peu plus à ce sujet. À l'université, ils font une maîtrise, un doctorat et parfois un postdoctorat, et ensuite, ils doivent aller ailleurs. Nous ne les gardons pas par la suite, et c'est bon pour eux d'aller [difficultés techniques] endroit à l'autre.
Dans le milieu des jeunes pousses, en tout cas à Waterloo, j'ai connu bien des étudiants qui craignaient devoir retourner dans leur pays. Je ne me souviens plus pendant combien d'années il faut avoir été au Canada en tant qu'étudiant avant de pouvoir obtenir le statut de résident permanent, mais j'ai vu bien des étudiants essayer de l'obtenir. Le processus est souvent lourd et difficile, alors il y aurait peut-être des façons de le rendre plus fluide, afin que des collègues au sein de l'industrie puissent embaucher plus facilement ces étudiants et ainsi bénéficier d'un plus grand bassin de talents pour développer les technologies quantiques.
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Bien entendu, étant donné la mission du ministère de la Défense nationale, je pense que l'informatique quantique perturberait ses activités. Le professeur Laflamme a parlé des difficultés que pourrait poser un ordinateur quantique sur le plan du chiffrage, et je suis d'accord avec lui.
Il faudra attendre quelques années, encore au moins une dizaine d'années, avant que nous ayons un ordinateur capable de contourner le chiffrement. Cela ne veut pas dire pour autant qu'un ordinateur quantique ne sera pas utile avant longtemps. Nous pourrions détenir des ordinateurs moins puissants pour effectuer d'autres tâches qui pourraient se révéler pertinentes pour le ministère de la Défense nationale, mais il faudra attendre encore probablement un certain temps en ce qui a trait au déchiffrement.
Cela étant dit, la question est de savoir quels algorithmes de chiffrement post-quantiques nous allons adopter, car certains des renseignements communiqués actuellement dans l'ensemble du réseau du gouvernement ont probablement une durée de vie de plus de 10 à 20 ans. Nous devons essentiellement protéger ces renseignements à l'heure actuelle, car un ennemi pourrait s'en emparer et les conserver jusqu'à ce qu'il puisse avoir recours à un ordinateur quantique pour les déchiffrer.
Par conséquent, moins nous tardons à adopter la technologie nous permettant d'améliorer notre infrastructure de chiffrement, mieux nous pourrons assurer la sécurité de notre pays. Bien entendu, nous pourrions utiliser le matériel pour tester certains des algorithmes.
Voilà ce qui pourrait être utile pour la mission du ministère de la Défense nationale.
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L'une des principales difficultés en ce moment, c'est qu'il existe plus d'une approche à l'informatique quantique. Il y a trois grandes approches, à savoir celles de la photonique, des ions piégés et de la supraconductivité. Deux d'entre elles sont représentées ici aujourd'hui. En réalité, il y a probablement cinq autres approches qui commencent à être étudiées dans des laboratoires un peu partout dans le monde en ce moment.
Je dirais qu'il faudrait, au lieu de se concentrer maintenant sur le nombre de qubits… Toutes les entreprises d'ici et d'ailleurs dans le monde vous parleront d'une fourchette allant de 10 à 150 à 200 qubits, mais nous parlons en réalité d'un ordinateur de millions de qubits. Passer de 10 à 1 000 et à 1 million de qubits pose tout un problème sur le plan technologique.
Lorsque l'une de ces entreprises nous montrera les premiers signes d'une véritable tolérance aux failles, et que M. Laflamme sera en mesure d'affirmer qu'on a démontré la correction d'erreurs quantiques et une tolérance aux failles, c'est vraiment à ce moment‑là que nous pourrons nous réjouir à l'idée qu'une entreprise est en mesure de remplir cette très grande promesse.
L'autre élément est la modularité. Lorsque nous parlons de ces systèmes aujourd'hui, nous parlons de puces totalisant des dizaines ou des centaines de qubits. Lorsqu'on parle d'un ordinateur d'un million de qubits, il s'agit là d'un centre de données. Pour vous donner une idée de grandeur, nous prévoyons que le nombre de puces nécessaires pour un ordinateur d'un million de qubits équivaudra probablement au nombre total de puces fabriquées annuellement à l'heure actuelle pour l'industrie des télécommunications, du moins dans le domaine de la photonique. Nous parlons en réalité d'un très grand centre de données de 25 000 pieds carrés. Il ne s'agit pas de petits ordinateurs, et ce qui importe le plus, ce sont l'extensibilité, la modularité et la capacité de démontrer la correction d'erreurs.
Une dernière chose…
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Actuellement, la valeur totale du marché ajustable de l'informatique quantique est estimée à 65 milliards de dollars, pour un ordinateur quantique insensible aux défaillances et livré au client. Cette estimation me paraît pessimiste, par rapport à certaines autres, antérieures.
L'arrivée de l'informatique quantique insensible aux défaillances, je ne saurais trop insister là‑dessus, constituera une rupture dans tous les secteurs industriels. Toutes nos connaissances changeront. Le rattrapage des applications prendra un certain temps, mais cette informatique sera aussi révolutionnaire que l'informatique numérique, à ses débuts, dans les années 1950. Le marché est incontestablement rendu là.
Aujourd'hui, nous avons des ordinateurs quantiques fonctionnels. Six différents sont en ligne depuis 2019, et les utilisateurs se recrutent dans de gros laboratoires nationaux du Canada et des États-Unis et dans des sociétés. Ils sont tous, en quelque sorte, à l'étape antérieure à l'insensibilité aux défaillances et à la valeur économique.
La recherche-développement n'exigera pas des milliards de dollars. Nous croyons que nous sommes assez bien financés pour nous avancer assez profondément dans la construction de ce module insensible aux défaillances, pour pouvoir faire la démonstration de la science et de la technologie nécessaires à la construction d'un ordinateur quantique insensible aux défaillances et le mettre à l'abri du risque.
C'est le passage à la construction de la machine qui construira la machine et de la recherche-développement à la vraie fabrication qui exige de très gros investissements. Il faut se présenter dans les plus grosses usines du monde — de TSMC, de GlobalFoundries, d'Intel —, mettre la main sur leurs chaînes de production les plus évoluées qui fabriquent ces puces à l'échelle, puis les intégrer. C'est une très rude tâche.
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Nous espérons que la Stratégie quantique nationale sera mise en œuvre bientôt.
Monsieur Laflamme, la recherche-développement se fait normalement dans les universités, comme l'Université de Waterloo, l'Université de Sherbrooke et l'Université Laval, à Québec.
Les fonds provenant du gouvernement ne devraient-ils pas être versés aux universités? C'est là que s'effectuent la recherche et la formation. Le gouvernement pourrait ensuite, en collaboration avec le Conseil national de recherches du Canada, ou CNRC, commercialiser ou permettre la commercialisation du produit, après avoir écouté les solutions proposées par les Centres collégiaux de transfert de technologie au Québec, ou CCTT.
Nous parlons aujourd'hui de trois entrepreneurs privés qui veulent aussi obtenir du financement fédéral. Si nous avions un montant à distribuer, quel pourcentage devrait-il être versé aux universités pour la recherche, et quel pourcentage devrait-il être versé aux entreprises privées?
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Merci beaucoup, monsieur le président. Je tiens à remercier les témoins de s'être déplacés.
J'ai retenu, pour mémoire, une observation de M. Laflamme: que le Canada n'avait jamais raté l'occasion de rater une occasion.
Mes collègues ont tous posé d'excellentes questions, aujourd'hui, comme à la réunion précédente. J'ai l'impression que ce témoignage ne m'éclaire pas plus. Il est rempli de contradictions. Je suppose que, comme c'est le cas de toutes les technologies nouvelles, c'est une bonne chose. Cela aidera notre comité à produire une étude ou des recommandations qui seront plus exhaustives. Je plains seulement les analystes pour les difficultés qu'ils éprouveront à fignoler un rapport.
Puisqu'il est question de contradictions, on me dit que la technologie n'est pas prête, pourtant elle l'est. À ma question de vendredi sur la puce microprocesseur — il nous faut une capacité de fabrication —, on a répondu que le matériel de traitement, en informatique quantique, pouvait être très différent, ce qui rend vraiment difficiles les prévisions. Voilà la contradiction.
J'en énumérerai tout un tas, et vous pourrez m'expliquer plus tard.
Je garde en tête la question des chaînes d'approvisionnement, y compris les minéraux critiques qui fourniront les matières premières indispensables à la production de masse. Il y a ensuite le secteur manufacturier. À quelle étape doit‑il se préparer à l'arrivée de cette technologie de rupture? Puis il y a le volet de la recherche, sur lequel a porté le témoignage. La contradiction était que, malgré le recul de la mondialisation, il fallait également que les chercheurs canadiens collaborent avec d'autres savants, partout dans le reste du monde.
Il me semble que ces trois principales étapes sont pleines de contradictions.
Alors, je vous le demande, monsieur Laflamme, avez-vous des commentaires à ce sujet, puis, dans l'ordre, ce sera à MM. Janik, Yazdi et St‑Jean de faire de même.
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Voilà une excellente question, et vous avez absolument raison. Des forces contradictoires ou des directions opposées interviennent. Pour blaguer un peu, je pourrais dire que, quand on pénètre dans le monde quantique, les choses semblent très différentes de ce à quoi on s'attend, et vous pouvez peut-être en avoir un avant-goût ici.
Revenons aux interactions, internationales ou non. [Difficultés techniques] la recherche pure, la recherche fondamentale sur ce phénomène. Pouvons-nous dompter ce phénomène à des fins utilitaires? Si on veut prouver le principe de sa fonctionnalité, on publie ses résultats dans des publications scientifiques. C'est ainsi que les universitaires obtiennent des récompenses ou la gloire; ils publient un article qui constitue une percée et qui opère un changement.
Cet élément de la recherche doit avoir une dimension internationale. Cela exige la collaboration avec le reste du monde. Le savant obtient quelque chose du reste du monde et vice versa. En ce sens, on n'y discerne encore aucune espèce de direction. C'est vraiment bon.
Dès qu'on a une idée sur le mode de fabrication d'un dispositif ayant une utilité pratique, il faut opérer une transition. Cela survient parfois à l'université, où un chercheur pourra la juger brevetable. Les chercheurs universitaires doivent s'apercevoir très rapidement du caractère purement fondamental de certaines découvertes pour lesquels la récompense est la gloire.
Supposons que leurs travaux leur valent un prix Nobel. Ils s'aperçoivent soudain que cela débouche sur une application pratique. Ils doivent garder le silence, s'entourer d'une équipe et, à un moment donné, en prévenir tous les membres qu'une discrétion absolue s'impose pour certaines choses.
Avec mes étudiants, par exemple, je ne discute pas de certains sujets à l'extérieur des réunions de mon groupe, et les étudiants savent qu'ils sont tabous tant qu'ils ne nous auront pas livré certains résultats. C'est une transition.
Dans l'industrie, une certaine propriété intellectuelle protège ce qu'on veut avoir. Et même là, dans une compagnie... M. Yazdi a encore mentionné la chaîne de certaines pièces indispensables. On ne construit pas tout à partir de zéro. Il a fait allusion aux circuits prédiffusés programmables par l'utilisateur. Soudainement, on compte sur les circuits commerciaux du monde entier pour obtenir certaines pièces. Impossible donc de s'isoler complètement. En fait, c'est déconseillé, parce que, soudainement, il existe de meilleures pièces que celles qu'on connaissait, et on l'apprend grâce à des confrères de l'autre bout du monde. Et soudain encore, quelqu'un fabrique une petite puce quelque part, en Autriche, en France, aux États-Unis ou à Taïwan, qui aide à accomplir le bond et à mieux maîtriser ce qui se trouve dans le laboratoire.