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La séance est ouverte. Bienvenue à la 135
e réunion du Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes.
Je pense que nous connaissons tous le protocole ici. Toutes les questions doivent être adressées à la présidence, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 18 septembre 2024, le Comité entreprend son étude sur la protection de la liberté d'expression.
Nous allons accueillir nos témoins dans un instant. Nous avons une heure avec les témoins aujourd'hui jusqu'à 17 h 30, mais si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais parler d'hier, car il y a eu une nouvelle de dernière heure.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, je ferai le point lors de la deuxième heure de cette réunion qui sera consacrée aux travaux du Comité concernant ce qui s'est passé à la Chambre des communes hier. Elle concerne l'ordre de la Chambre adopté hier indiquant au Comité de revenir au huitième rapport que le président du Comité a déposé à la Chambre. Le Comité a reçu l'ordre de reprendre son étude sur les primes et les compressions de personnel qui ont été effectuées à Radio-Canada et de faire comparaître devant le comité du patrimoine la PDG actuelle, Catherine Tait, et la nouvelle PDG, Marie-Philippe Bouchard, ainsi que la et des experts.
Comme vous le savez tous, la viendra mercredi prochain, alors nous en parlerons au cours de la deuxième heure.
Et vous? C'est bon. Cela convient à tout le monde.
Les conservateurs et les libéraux sont-ils d'accord pour aller jusqu'à environ 17 h 40, ce qui ferait une heure?
Merci. Nous nous pencherons sur cette question lundi. Je pensais juste prendre de l'avance sur tout le monde, mais je vois que c'est lundi que nous allons en parler.
Bienvenue, chers invités.
À titre personnel, nous avons Yipeng Ge, médecin de famille. Merci d'être venu ici aujourd'hui pour parler de la liberté d'expression.
De la Canadian Constitution Foundation, nous avons Christine Van Geyn, directrice des litiges. Nous avons également avec nous, de la Chaire de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d'expression, Mathilde Barraband, cotitulaire, et Pierre Rainville, cotitulaire.
Nous allons vous donner la parole dans un instant, mais la procédure ici est de cinq minutes pour chacun des trois groupes.
Madame Barraband et monsieur Rainville, vous pouvez partager vos cinq minutes si vous le souhaitez parce que vous êtes une seule organisation, et ensuite nous poursuivrons.
Monsieur Ge, je vous donne la parole pour cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire, s'il vous plaît.
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Je vous remercie. Bonjour.
Je m'appelle Yipeng Ge. Je suis médecin de famille et j'exerce actuellement dans le domaine des soins primaires et de la santé des réfugiés à Ottawa.
J'ai fait mes études de médecine à l'Université d'Ottawa et j'ai reçu le prix Anne C. Amberg, un prix décerné lors de la cérémonie de remise des diplômes pour la meilleure association de réalisations académiques et de sensibilité aux questions de santé communautaire.
J'ai obtenu une maîtrise en santé publique et en santé et comportement social avec un certificat en leadership en santé publique de l'Université Harvard. En tant qu'universitaire et praticien de la lutte contre le racisme et de l'équité en matière de santé, j'ai siégé au comité consultatif sur la lutte contre le racisme des Instituts de recherche en santé du Canada et j'ai participé à l'élaboration d'une formation sur la lutte contre le racisme pour le département de médecine familiale de l'Université d'Ottawa.
Pendant mon séjour à l'Université Harvard, où j'ai visité la Palestine pour la première fois, j'ai approfondi mes connaissances sur le colonialisme et j'ai été témoin de l'apartheid et de l'occupation en tant que déterminants de la santé des Palestiniens, car c'est le domaine que j'ai étudié ici, sur l'île de la Tortue, en rapport avec la santé des populations autochtones au Canada.
J'ai été médecin résident en santé publique et en médecine préventive à la faculté de médecine de l'Université d'Ottawa. J'ai siégé au conseil de la faculté, le plus haut comité de direction de la faculté, et j'ai fait partie du conseil d'administration de l'Association médicale canadienne l'année dernière.
J'ai appris intimement l'année dernière que les frontières de la liberté d'expression au Canada ont été sévèrement limitées en ce qui concerne les discours en faveur de la santé et des droits de la personne pour les Palestiniens et la Palestine. Mon expérience du racisme institutionnel anti-palestinien et des limites imposées à notre liberté d'expression correspond à l'histoire de nombreuses personnes qui ont choisi de parler des violations des droits de la personne en Palestine.
Le racisme anti-palestinien est une forme de racisme et de discrimination voisine de l'islamophobie et du racisme anti-arabe, mais il s'en distingue également. Il s'agit d'une forme de racisme qui cherche à réduire au silence, à exclure, à effacer, à stéréotyper et à déshumaniser les Palestiniens et leurs alliés. Il en résulte souvent des sanctions sévères et des mesures disciplinaires qui affectent profondément la vie des Palestiniens et de leurs alliés, une pratique déconseillée par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme. Il s'agit d'une question de liberté d'expression.
L'année dernière, à la même époque, un médecin de famille et membre de la faculté a partagé mes messages sur les médias sociaux et les a publiquement qualifiés d'antisémites et d'incendiaires, puis les a envoyés à l'université et à l'Association médicale canadienne. Il ne s'agissait pas d'un patient, ni d'un collègue direct ou d'un superviseur. Les messages que j'ai publiés sur les médias sociaux provenaient de mes comptes personnels et je n'essayais en aucun cas de parler au nom de mon lieu de travail ou de mon affiliation. Ces messages ont été critiqués comme étant incendiaires, racistes et antisémites simplement parce qu'ils préconisaient que les Palestiniens aient les mêmes droits de la personne que tous les autres, conformément au droit international.
J'ai rencontré les dirigeants de l'Association médicale canadienne, et mes messages sur les médias sociaux ont été critiqués. On a fait pression sur moi pour que je présente des excuses publiques et des excuses personnelles à certaines personnes occupant des postes élevés et ayant de l'influence au sein de l'association. Peu après, j'ai reçu un appel téléphonique de l'université m'informant de ma suspension immédiate et indéfinie, invoquant un manquement au professionnalisme de niveau 3 pour mes publications sur les médias sociaux. Un manquement au professionnalisme de niveau 3 signifie des cas répétés de comportement et de conduite d'une personne malgré une intervention, ou une préoccupation pour les soins cliniques de la personne ou la qualité des soins des services.
Aucune conversation préalable n'a eu lieu et aucune préoccupation n'a été soulevée auparavant concernant mes publications dans les médias sociaux ou mon professionnalisme. La sécurité des patients a été évoquée comme une préoccupation. Cependant, dans le cadre de mes fonctions de résident en santé publique, j'effectuais une rotation à l'Agence de santé publique du Canada sans qu'aucune personne ne travaille sous mes ordres et que je sois chargé de superviser, et sans contact direct avec les patients. Le sous-comité du professionnalisme de l'université, qui a examiné mon cas, a recommandé ma réintégration immédiate sans aucune mesure disciplinaire. Il a suggéré que l'université présente des excuses, ce qu'elle n'a jamais fait. Je me sens profondément lésé par l'université, qui m'a causé une détresse émotionnelle et psychologique et a modifié de façon permanente mon parcours professionnel dans le domaine de la santé publique.
Alors que je siégeais au conseil de la faculté l'année dernière, j'ai été témoin de nombreux cas où les publications des étudiants en médecine sur les médias sociaux ont été discutées comme des problèmes de professionnalisme, et il était clair qu'un processus équitable n'était pas suivi. Au cours de ces réunions, il a été dit qu'il n'y avait pas de règlements ou de processus clairs, et que leur conseiller juridique créait les processus au fur et à mesure. Lors de ces réunions, des déclarations ancrées dans le racisme anti-palestinien et la haine anti-musulmane et anti-arabe ont été partagées, sans qu'aucune responsabilité n'ait été établie.
L'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario m'a informé de multiples plaintes contre moi de nature similaire liées à des publications sur les médias sociaux et non à mes compétences cliniques et à ma conduite dans le cadre clinique. Cela me fait perdre du temps et des ressources, ainsi qu'à mon conseiller juridique et, en fin de compte, à l'Ordre lui-même, pour gérer des cas légitimes liés à la compétence et à la conduite professionnelles.
Mon objectif aujourd'hui est de demander au comité permanent de m'aider à demander des comptes aux institutions qui outrepassent leur droit à la liberté d'expression et à reconnaître la normalisation effroyable du racisme anti-palestinien dans les établissements d'enseignement et les lieux de travail, tels que l'Université d'Ottawa et l'Association médicale canadienne. Il s'agit d'une question non partisane. Des solutions sont déjà proposées, notamment le projet de loi d'initiative parlementaire des conservateurs , une loi visant à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne, protégeant contre la discrimination fondée sur les croyances politiques.
La semaine dernière, la première ministre de l'Alberta et le ministre de la Justice ont déclaré que leur gouvernement examinerait les organismes de réglementation professionnelle tels que le Collège des médecins et chirurgiens, qui jouent un rôle important dans la réglementation de la compétence et de la conduite professionnelles, et qu'il présenterait l'année prochaine un projet de loi visant à limiter la façon dont ils peuvent contrôler les propos de leurs propres membres.
Merci.
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Je vous remercie de m'avoir invitée aujourd'hui.
Je suis directrice des litiges à la Canadian Constitution Foundation, ou CCF, un organisme de bienfaisance à vocation juridique qui lutte pour les libertés fondamentales au Canada.
Je suis fascinée par la question posée par le Comité aujourd'hui, à savoir quels moyens le gouvernement devrait avoir à sa disposition pour assurer l'exercice de la liberté d'expression. À dire vrai, le gouvernement n'a pas besoin de moyens supplémentaires; il doit moins intervenir. Le droit à la liberté d'expression est déjà garanti à l'alinéa 2b) de la Charte. Avant la Charte, ce droit était protégé par la Loi constitutionnelle de 1867, qui est semblable en principe à celle du Royaume-Uni, dont la constitution non écrite protège le droit de débat public.
Ce n'est pas notre gouvernement qui nous accorde ces droits à la liberté d'expression. Nous les possédons en notre qualité d'êtres humains. Tout au long de l'histoire de l'humanité, c'est le gouvernement qui a représenté la plus grande menace à notre droit à la liberté d'expression, qu'on pense à l'exécution de Socrate pour sa philosophie publique, à la brutale Chambre étoilée du roi Henri VII, où étaient punis ceux qui imprimaient sans licence, ou à la tentative de censure du journaliste de New York Peter Zenger pour sa critique du gouvernement colonial américain. Depuis que les gouvernements existent, ils essaient de censurer les discours qu'ils n'aiment pas.
Je ne sais par où commencer pour répondre à cette question. Dois‑je parler de la menace à la liberté de la presse, de l'incarcération des gens pour de simples mots, du problème de recours aux tribunaux des droits de la personne pour réglementer l'art et l'humour ou, comme le Dr Ge l'a mentionné, des organismes de réglementation professionnels qui restreignent le droit à la liberté d'expression de nombreux Canadiens exerçant des professions réglementées? Ce sont tous des problèmes réels et actuels, et le gouvernement est la source du problème.
Prenons l'affaire de la presse albertaine, qui mettait en cause une loi obligeant les journaux à publier les réfutations du gouvernement aux critiques. Cette affaire remonte à 1937. Les craintes concernant les fausses nouvelles ou la mésinformation ne sont donc pas nouvelles. Même si la Cour suprême a invalidé cette loi albertaine, le musellement de la presse perdure aujourd'hui. Par exemple, la CCF a contesté une modification à la Loi électorale du Canada qui a fini par être invalidée en 2019. Cette disposition interdisait les fausses déclarations sur les candidats politiques pendant une période électorale. Elle s'appliquait même à des déclarations et des erreurs innocentes, imposant des amendes pouvant aller jusqu'à 50 000 $ et des peines cinq ans d'emprisonnement. Nous avons réussi à la faire invalider.
Bien qu'il ne s'agisse pas de censure au sens classique du terme, des millions de Canadiens ont perdu l'accès aux nouvelles en raison de la Loi sur les nouvelles en ligne du gouvernement, adoptée au nom de la sauvegarde de l'industrie de l'information. Cette loi est un échec spectaculaire, Meta refusant de s'y conformer, puis bloquant les nouvelles sur ses plateformes. Le gouvernement a déposé la Loi sur la diffusion continue en ligne, qui confie au CRTC la responsabilité de réglementer le contenu d'entreprises comme YouTube, Netflix et Spotify, y compris le contenu généré par les utilisateurs. La liberté de la presse est essentielle. C'est un frein essentiel aux élans autoritaires du gouvernement. Or, les interventions du gouvernement actuel continuent de l'affaiblir.
En matière de droit criminel, la censure par la criminalisation des mots n'a rien de nouveau, même si nous sommes bien conscients des problèmes qui y sont associés. Pensons au témoin de Jéhovah québécois, Aimé Boucher, qui, dans les années 1940, a été reconnu coupable de libelle séditieux pour avoir accusé le gouvernement du Québec d'être trop proche de l'Église catholique. Ce point de vue, condamné à l'époque, est peut-être courant aujourd'hui. Pensez‑y: il y a 60 ans, il était inacceptable d'exprimer l'idée que les gais puissent avoir des droits égaux. Grâce à la liberté d'expression des personnes qui ont plaidé publiquement pour le changement, la communauté LGBTQ jouit maintenant de droits égaux au Canada. La liberté d'expression est importante pour les minorités, qu'elles aient un point de vue minoritaire ou des caractéristiques immuables.
C'est la liberté d'expression qui définit les contours de nos autres droits. Ce n'est pas une valeur de droite ou de gauche. Il s'agit d'un droit non partisan pour tous les Canadiens, mais le gouvernement continue de l'affaiblir. La liberté d'expression a notamment pour objectif de permettre le débat même sur les sujets les plus controversés, parce qu'un débat vigoureux constitue la meilleure façon de régler nos désaccords, y compris ceux portant sur les personnes qui devraient diriger le gouvernement. Il ne peut pas y avoir de débat libre sur des questions litigieuses si les gens qui forment actuellement le gouvernement sont autorisés à interdire les points de vue contraires. Le droit d'exprimer ses mots et ses idées est au cœur de ce que nous sommes en tant que personnes.
Le gouvernement n'a pas besoin de moyens supplémentaires. Il doit cesser d'essayer de faire taire les gens.
Je vous remercie.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier les membres du Comité de leur invitation.
Vous nous invitez à vous parler d'un droit fondamental très particulier. La liberté d'expression est bien plus qu'un droit fondamental. C'est la pierre d'assise de la vaste majorité des droits fondamentaux. Il n'y a pas de liberté de religion, par exemple, sans liberté de parole.
Il est de mise de procéder à un constat avant de formuler des pistes de protection de la liberté d'expression.
Le premier constat est que l'on oublie trop facilement que des propos qui fâchent ou qui dérangent relèvent précisément de la liberté d'expression. La Cour suprême du Canada le rappelle inlassablement. Le second constat est que la liberté d'expression est parfois malmenée, y compris par les instances régulatrices fédérales, ainsi que le Parlement lui-même.
Je vais vous en donner des illustrations, en commençant par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC.
En 2020, le titre d'un livre qui peut être jugé offensant par certains est mentionné sur les ondes de la Société Radio‑Canada. Ce livre n'a cependant rien de raciste. Il fait partie des ouvrages qui ont marqué le Québec dans les années 1970. Or le CRTC blâme la Société Radio‑Canada, et va jusqu'à exiger même des excuses publiques écrites de la part de la société d'État. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec, ou FPJQ, s'alarme de cette décision, ainsi qu'un nombre très important de journalistes de la Société Radio‑Canada. La Cour d'appel fédérale intervient. Elle reproche au CRTC de n'avoir fait aucun cas de la liberté d'expression et d'avoir mésestimé les risques d'autocensure créés par sa propre décision.
Le Parlement canadien n'est pas exempt de tout reproche non plus. Prenez le tout nouveau crime de négation de l'Holocauste adopté en 2022.
Il a été adopté à la hâte, enfoui dans un projet de loi budgétaire de 450 pages. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles s'est désolé de cette façon de faire, tout comme l'Association du Barreau canadien, ou soit l'ABC. Le procédé retenu n'offrait pas aux parlementaires le cadre d'analyse qui se doit lorsqu'une loi porte atteinte à la liberté d'expression. Mon propos est simple. Il faut instaurer des garde-fous institutionnels, parlementaires, pour que des projets de loi qui entravent la liberté d'expression ne soient pas adoptés à la va-vite.
Je peux donner un autre exemple, celui de l'actuel projet de loi , qui concerne les préjudices en ligne. Je serai explicite. Ce projet de loi est valable et légitime, à plusieurs égards, mais il s'y trouve des dispositions qui malmènent la liberté de création artistique et qui contreviennent aux enseignements de la Cour suprême du Canada. Je pourrai en parler davantage si vous le désirez. Étonnamment, ce même projet de loi interdit le fait de conseiller certaines activités sexuelles parfaitement licites. L'atteinte à la liberté d'expression me semble flagrante.
Envisager l'adoption d'une loi fédérale qui proclamerait l'importance de la liberté d'expression artistique, ainsi que journalistique, comme l'ont fait d'autres États, pourrait être une solution. Cette loi rappellerait également que le simple fait d'offenser autrui n'est pas un motif valable de bâillonnement du discours.
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Notre chaire de recherche s'attelle à dresser un état des lieux de la liberté d'expression en faisant une comparaison la France et le Québec. Nous ciblons, notamment, trois libertés: la liberté de religion, la liberté académique et la liberté de création. C'est de la liberté de création que je vais vous parler.
Il existe 22 pays dans le monde qui ont inscrit la liberté d'expression artistique dans leur constitution. Bien d'autres pays, c'est le cas de la France, depuis 2016, disposent d'une loi pour protéger cette expression en particulier. Le Canada, pour sa part, n'a pas encore jugé utile cette protection spécifique.
Si la France et d'autres pays ont choisi de se munir d'une protection accrue pour la liberté de création, c'est parce que l'art est une expression qui, souvent, conteste les normes du beau, mais aussi du bien, et à cet égard dérange. Cependant, pour cette raison même, il peut favoriser le processus démocratique, la recherche de la vérité et contribuer à l'épanouissement personnel, ce qui constitue les grands principes canadiens de la protection de la liberté d'expression.
Si la Cour suprême a reconnu que l'expression artistique est au cœur des valeurs relatives de la liberté d'expression, si les parlements canadiens votent parfois des motions de soutien à des artistes malmenés, force est pourtant d'admettre que cette reconnaissance et ce soutien sont plus timides ici que dans d'autres pays, et notamment dans les instances européennes.
Pourtant, cette protection a rarement été aussi nécessaire. De fait, depuis quelque temps, au Canada, comme en Europe et aux États‑Unis, on peut observer que plusieurs groupes politiques se servent de controverses sur l'art pour faire avancer leur cause. L'art est ainsi au centre à la fois d'une guerre culturelle conservatrice et de luttes progressistes. La première attaque notamment les productions culturelles qui envisagent la diversité sexuelle et ethnique. Les secondes mènent des coups d'éclat autour d'œuvres célèbres pour attirer l'attention sur l'urgence climatique, par exemple, ou encore dénoncent le racisme et le sexisme dans l'art.
Comme me le confirment les études de terrain que je mène dans le milieu culturel québécois, le travail des institutions de culture s'est considérablement compliqué depuis quelques années, et l'autocensure est en train de s'y incruster. Une protection constitutionnelle ou législative supplémentaire contribuerait peut-être à régler le problème. Cependant, le Canada doit surtout développer une culture de la liberté d'expression artistique. Pour cela, des mesures plus modestes qu'un chantier législatif pourraient d'ores et déjà être posées, ce dont j'aimerais discuter.
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Merci, monsieur le président.
Il s'agit certainement d'un sujet très important, et je remercie les témoins de comparaître.
J'ai quelques questions à poser à Mme Van Geyn, qui, à mon avis, a fait une excellente déclaration préliminaire.
Madame Van Geyn, j'aimerais vous parler en particulier du programme de censure de , mis en œuvre par le Parti libéral avec l'aide, certainement, du NPD. Lorsque nous parlons du programme de censure, nous parlons principalement de deux mesures législatives: les projets de loi et .
Je suis sûr que vous les connaissez, mais juste pour mettre les choses au clair, le projet de loi permet au et à la bureaucratie fédérale d'avoir plus de contrôle sur le contenu auquel les Canadiens peuvent accéder sur les plateformes de diffusion en continu en ligne. Quant au projet de loi , il fait en sorte que et la bureaucratie fédérale aient plus de contrôle sur les nouvelles que les Canadiens peuvent voir, limitant ainsi l'accès aux nouvelles sur des plateformes comme Facebook et Instagram.
J'aimerais commencer par vous demander, madame Van Geyn, si vous partagez les préoccupations de nombreux Canadiens, qui s'inquiètent du programme de censure de et des projets de loi et .
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J'ajouterais à cette liste le projet de loi , qui pourrait avoir le plus important effet de censure que j'aie vu depuis très longtemps. Le projet de loi C‑63, Loi sur les préjudices en ligne, augmenterait les peines d'emprisonnement à perpétuité pour les discours criminalisés et les crimes motivés par la haine. Nous craignons notamment qu'on n'utilise ces peines plus sévères pour porter des accusations excessives contre les accusés criminels et exercer une pression en faveur d'un accord de plaidoyer pour des infractions moins graves lorsque la Couronne pourrait invoquer un élément haineux. Même en l'absence d'un tel élément, l'accusation peut être portée, ayant pour effet de pousser l'accusé à plaider coupable.
Nous nous préoccupons également du fait que le projet de loi puisse permettre à quelqu'un qui craint un futur discours haineux de demander à un juge d'imposer des conditions à la personne qui pourrait le prononcer. Pourraient donc être imposées des mesures comme un moniteur de cheville ou même une peine d'emprisonnement, et ce, pour des discours futurs qui n'ont pas encore été faits. C'est incroyablement effrayant.
Le projet de loi instaurerait également un mécanisme civil permettant aux gens de porter plainte à la Commission des droits de la personne au sujet de la liberté d'expression. Il s'agit d'un rétablissement de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui a été abrogé, à juste titre, parce qu'on s'en est servi pour traîner des journalistes et des membres du clergé devant la commission. Si le dépôt d'une plainte ne coûte rien, la facture est salée pour la personne visée par la plainte. Nous avons vu des humoristes traînés devant des tribunaux des droits de la personne, dans un contexte québécois, cependant.
En accordant ce pouvoir aux commissions, on étouffera l'expression. Je n'ai pas eu le temps, en cinq minutes, de parler du projet de loi . Je crois comprendre que le Comité tiendra des audiences distinctes à ce sujet, mais je tenais à exprimer officiellement notre grave préoccupation à ce sujet.
En ce qui concerne la et la , même si ce n'est peut-être pas de la censure dans sa forme la plus classique, je partage les préoccupations de millions de Canadiens qui ont perdu l'accès aux nouvelles en raison de la Loi sur les nouvelles en ligne. Je partage également les préoccupations de nombreux universitaires et créateurs de contenu canadien quant à la réglementation du contenu généré par les utilisateurs sur les plateformes de médias sociaux comme YouTube. Je suis moi-même créatrice sur YouTube, alimentant une des plus grandes... ou probablement la plus grande chaîne YouTube sur le droit constitutionnel canadien, peut-être...
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L'adoption de lois en faveur de la liberté d'expression artistique est une recommandation de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, ou UNESCO. Cela comporte plusieurs volets. On y trouve la protection de l'expression en tant que telle, donc la production et la diffusion de l'art, mais il y a aussi une attention apportée au statut des artistes et aux conditions dans lesquelles ils pratiquent.
Je crois que vous avez déjà produit un rapport sur ces questions dans ce comité.
Au Québec, il y a une révision en profondeur de la loi sur le statut de l'artiste.
Pour l'instant, il reste à faire un travail autour de la question de l'expression artistique et, certainement, à mener une réflexion sur la spécificité de cette expression, sur la prise de risques qu'elle comporte. Il faut essayer aussi de brosser un tableau, puisque les agressions d'artistes sont en augmentation depuis 2018, pour toutes sortes de raisons.
Je pense donc que nous pourrions nous inspirer, par exemple, de pays qui ont adopté une loi pour protéger l'expression artistique, comme l'a fait la France récemment. C'est un exemple parmi d'autres.
C'est un point qui revient souvent dans les études sur le terrain que je fais auprès des acteurs et des actrices du milieu de la culture. Je fais une comparaison en France et au Québec. Cela permet d'avoir un portrait beaucoup plus large que sritctement, ce qui se passe dans notre pays. Évidemment, les liens avec le reste du Canada aussi sont tout à fait précieux et importants.
Les participantes et les participants de mes études me disent qu'ils subissent de plus en plus de pression de leur public, mais aussi de leurs mécènes, donc de ceux qui les financent. Par ailleurs, il y a des exigences politiques qui viennent parfois compliquer leur rapport à leur public.
J'ai mentionné deux exemples complètement différents. J'ai parlé de la guerre culturelle conservatrice. J'ai parlé aussi des luttes progressistes. Les personnes que j'interroge n'ont pas forcément le même positionnement les uns avec les autres. Ils me parlent plus clairement d'autocensure. Je pense, par exemple, aux pressions qui sont faites dans les bibliothèques pour faire annuler des invitations de drag queens qui viennent faire des lectures dans les bibliothèques, des demandes de retrait de textes qui parlent des questions de genre ou des questions de racisme. Dans ces cas, les bibliothécaires demandent une protection pour pouvoir continuer de mener les activités qui leur paraissent importantes. Je me contenterai de ces exemples.
Par ailleurs, cette fois-ci, il y a une volonté d'autorégulation relativement à d'autres questions pour lesquelles les personnes des milieux de la culture sont généralement beaucoup plus favorables. Je prends l'exemple de la décolonisation de l'art, de la lutte contre la discrimination dans le milieu de l'art. Dans ces cas, elles vont plutôt chercher à se réguler elles-mêmes et à acquérir des outils pour pouvoir réagir, disons, à ces différents problèmes.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être parmi nous aujourd'hui. Je sais que le délai de réponse aux invitations était très court, et nous leur sommes reconnaissants de s'être libérés pour être ici aujourd'hui.
Monsieur Rainville et madame Barraband, on dirait que vous avez lu mes notes avant de prononcer votre allocution. Vous avez répondu à peu près à toutes mes questions en cinq minutes. Je vous avoue que j'en avais beaucoup, mais vous avez été concis. Vous avez touché à plusieurs des secteurs d'intérêt que je voulais aborder avec vous, mais vous avez aussi ouvert la porte à plusieurs autres questions.
En matière de liberté artistique et de liberté d'expression pour les créateurs et les artistes, il semble qu'on traverse une espèce de crise depuis quelques années. Parlons, par exemple, de SLĀV et de Kanata, œuvres qui ont été mises au pilori par des groupes de pression ayant invoqué, notamment, l'appropriation culturelle. C'est un autre enjeu.
Comment fait-on pour encadrer la liberté artistique, la liberté de création, sans entraver la liberté d'expression de ceux qui, justement, sont atteints ou offensés par le contenu?
Comment fait-on, dans ce contexte, pour redonner confiance aux artistes afin qu'ils puissent créer librement? C'est un enjeu.
Vous avez dit plus tôt, dans votre allocution, que certains artistes ont commencé à se censurer parce qu'ils n'ont pas envie de faire face à ce genre d'opprobre.
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Je trouve les cas de SLĀV et de Kanata très intéressants.
Le spectacle SLĀV était plein de bonnes intentions et se voulait antiraciste. Pourtant, il a été chahuté par des groupes antiracistes, qui ont notamment reproché l'absence de personnes noires dans la distribution du spectacle pour chanter des chants d'esclaves afrodescendants. Cela supposait donc qu'il était problématique de faire chanter ces chants par des personnes blanches et que toute la distribution pouvait donc paraître problématique à cet égard.
Ce qui est intéressant, c'est que ce cas a fait beaucoup réagir dans le milieu québécois. On a parlé de censure. Je pense quand même qu'il est important de rappeler que les manifestants exerçaient leur liberté d'expression.
J'estime important de ne pas confondre la censure ou le contrôle de l'État et l'exercice de la liberté d'expression, qui parfois peut paraître déplaisant à d'autres. En l'occurrence, ces publics rétifs ont évidemment rendu les représentations désagréables, mais il n'y a eu aucune entrave à l'expression artistique. Le problème, c'est que les mécènes ont décidé d'annuler les représentations.
À mon avis, il faut s'interroger sur les responsabilités réelles des différents acteurs et conscientiser les gens, y compris les mécènes, à l'importance de la liberté d'expression et au fait qu'ils ont une très grande responsabilité dans cette liberté. C'est pour cela que je disais tout à l'heure qu'il me paraissait primordial de développer une culture de la liberté d'expression en général, et artistique en particulier.
Monsieur Rainville, avez-vous quelque chose à ajouter?
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Il me semble primordial de rappeler un enseignement formulé dans des termes catégoriques par les juges majoritaires dans la cause
Ward c Québec rendu par la Cour suprême du Canada. La Cour suprême déclare à la majorité que le « droit de ne pas être offensé [...] n'a pas sa place dans une société démocratique ».
Je pense qu'il s'agit là d'un rappel extrêmement salutaire à une époque où, effectivement, on cherche souvent à imposer son point de vue.
Bien sûr, il existe des luttes de pression, y compris dans le milieu artistique. J'ai eu envie de dire « hélas », mais je pense que je vais biffer le mot, parce que c'est également normal.
Par ailleurs, on oublie parfois que la liberté d'expression, c'est à la fois la liberté de s'exprimer et celle de recevoir.
Lorsqu'une œuvre est chahutée et que les organisateurs finissent par faire marche arrière, le public est également privé de l'œuvre. Par conséquent, l'affaire Kanata et l'affaire SLĀV sont névralgiques; elles sont symboliques d'une maladresse. À mon avis, les conséquences — c'est une opinion qui n'engage pas ma cotitulaire et dont nous n'avons pas parlé de manière très précise — ont probablement été excessives. Je le répète, la liberté d'expression englobe le fait de pouvoir recevoir de l'information.
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À l'heure actuelle, le climat n'est pas forcément favorable à l'émergence de consensus.
C'est un exercice périlleux parce que, même lorsqu'on est mu par une bonne volonté, même si on veut promouvoir la liberté d'expression artistique, le seul fait de vouloir intervenir sur le plan législatif peut être très mal perçu. Toutefois, le Québec a réussi à le faire pour ce qui est de la liberté académique. Il a essuyé certaines critiques au motif que sa loi ne respectait pas fidèlement l'ampleur de cette liberté.
Je n'ai pas à porter de jugement sur le sujet. L'exercice est par hypothèse périlleux, mais il permettrait probablement de mieux asseoir l'importance de l'indépendance journalistique d'une part, et la spécificité de la création artistique, d'autre part.
Je vais commencer par vous, docteur Ge. Il est clair que votre histoire démontre la limite de la liberté d'expression dans la société, surtout quand il est question de la Palestine. Vous avez qualifié les horreurs infligées aux Palestiniens à Gaza pendant l'attaque d'Israël d'« apartheid envers le peuple palestinien » et de « colonialisme d'occupants ». Un collègue vous a ensuite publiquement critiqué et l'école vous a suspendu en invoquant un manquement aux normes professionnelles.
La plainte ne venait pas de vos patients ou d'une personne avec laquelle vous travailliez directement. Votre suspension a entraîné la cessation des projets auxquels vous travailliez, y compris ceux entrepris au nom de l'Agence de la santé publique du Canada. Cela a eu une incidence négative directe sur les Canadiens.
Vous n'êtes toutefois pas le seul à être pénalisé. Les personnes qui comptaient sur vous en qualité de résident en médecine le sont également. En raison des conséquences de votre suspension, le programme de résidence a perdu son directeur de programme et l'agrément est potentiellement menacé. C'est le pire résultat possible.
Pouvez-vous décrire comment votre suspension a eu une incidence négative sur le travail essentiel effectué dans le domaine des soins de santé, particulièrement en santé publique, pour les Canadiens?
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Je vous remercie de la question.
Avant d'être suspendu, je travaillais dans le domaine de la santé publique et j'évaluais également les déterminants structurels de la santé, y compris les répercussions du colonialisme ici, de l'île de la Tortue à la Palestine. Lorsque je pense au rôle que la médecine a joué en tant qu'institution, par le passé et de nos jours, dans des choses comme la justification de l'esclavage, la stérilisation forcée des femmes autochtones et l'expérimentation de régimes alimentaires sur les enfants autochtones, ce sont les réalités auxquelles nous sommes confrontés lorsque nous cherchons à établir un lien de confiance avec nos patients les plus vulnérables et les plus opprimés sur le plan structurel. Quand on tente de faire progresser la lutte contre le racisme et l'équité en matière de santé dans la structure coloniale oppressive de la médecine au Canada, il devient vraiment difficile d'y parvenir quand on fait l'objet d'enquêtes et de mesures disciplinaires en tant que travailleurs de la santé et médecins travaillant dans ce domaine.
De plus, la suspension qui m'a été imposée a également eu des effets paralysants sur mes collègues et d'autres apprenants et enseignants, non seulement au sein de l'établissement, mais aussi à l'échelle du pays. Je connais une chirurgienne plastique qui a travaillé avec Médecins Sans Frontières, ou MSF, à Gaza en décembre dernier, et qui est revenue travailler à Ottawa. Elle voulait parler de ce qu'elle a vu à Gaza, mais voyant ma suspension et ses répercussions sur moi et sur d'autres — le musellement, l'effet paralysant du racisme anti-palestinien —, elle a fini par ne pas faire de grande présentation avec d'autres collègues.
C'est la réalité de la liberté d'expression pour les médecins qui veulent simplement réclamer la fin du génocide appuyé par le Canada. Nous devons pouvoir critiquer les actions de notre pays et d'autres États dans le cadre de leur violence coloniale génocidaire qui se poursuit encore aujourd'hui.
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Fort heureusement, nous disposons quand même de lignes de démarcation, qui ont été tracées par la Cour suprême. Par exemple, le projet de loi C‑63, que j'ai passablement fouillé, est, à bien des égards, fidèle aux enseignements de la Cour suprême depuis 15 ans.
La définition des propos haineux n'est pas plus vaste que ce qu'autorise la Cour suprême quant à la protection de la liberté d'expression. Il est vrai qu'elle remet au goût du jour l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui a été abrogé en 2013. Cependant, la Cour suprême avait déjà jugé cette disposition valide. C'est beaucoup plus un autre pan du projet de loi qui me tracasse et qui est passé sous le radar, si vous me permettez l'expression, parce que l'objectif est très noble. C'est la définition que donne le projet de loi de la victimisation sexuelle des enfants. Je vais vous donner deux exemples.
D'abord, ce projet de loi ne retient pas les moyens de défense prévus au Code criminel. Certes, il ne s'agit pas de droit criminel, mais il y a un moyen de défense qui porte sur la création artistique et qui vaut pour toutes les formes d'expression. Alors que, dans le projet de loi , ce moyen de défense est retenu pour les représentations visuelles, les photographies et les images, très bizarrement, il n'est pas retenu pour les écrits. Il y a donc une protection de la liberté de création ou de la liberté artistique en dents de scie qui nécessite que la personne publie une photo. À ce moment-là, subitement, la protection artistique est proclamée. S'il s'agit d'un pur écrit, elle ne l'est plus.
Je ne veux pas tomber dans des exemples trop pointus, mais le prochain me semble quand même révélateur. Le projet de loi a pour effet d'interdire un écrit qui préconise certaines relations sexuelles qui sont licites. Par exemple, le projet de loi rendrait illégal le fait de préconiser, sur le Net, une relation sexuelle entre un adolescent de 17 ans et demi et un majeur de 20 ans. Cela me paraît très étonnant, pour ne pas dire détonant. Encore une fois, je ne souhaite pas que le projet de loi soit jeté aux orties, ce n'est pas mon propos, mais on n'a pas repéré certaines atteintes ou certains accrocs quand même considérables à la liberté d'expression.
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Je vais me faire le plus laconique possible.
La Cour suprême a rendu un arrêt, l'arrêt Zundel, qui, en 1992, a invalidé le crime de diffusion de fausses nouvelles. Plusieurs pensent donc que le législateur ne peut plus intervenir en raison de cet arrêt. Je pense que c'est faire fausse route.
Je vous donnerai un exemple. La France s'est dotée d'une loi très mesurée. Elle a innové en la matière. Il s'agit d'une loi électorale qui interdit la diffusion massive de fausses nouvelles. Elle ne concerne pas des exagérations ou de simples opinions, mais elle porte sur des fausses nouvelles objectivement vérifiables, comme lorsqu'il s'agit d'un envoi chapeauté par un État étranger et qui est de nature à infléchir le résultat d'une élection. C'est donc possible. Le Conseil constitutionnel français a validé le tout en apportant des balises interprétatives.
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Ma question s'adresse au Dr Ge.
Dans les années 1970, des dispositions ont été ajoutées au Code criminel pour interdire la promotion du génocide et l'incitation à la haine contre des groupes identifiables. Les conservateurs de Harper ont multiplié les efforts pour supprimer un certain nombre de ces protections, mais la Cour suprême a clairement statué que la diffusion de propagande haineuse ne contribue pas et « peut [plutôt]... fausser ou restreindre l'échange sain et libre d'idées en raison de sa tendance à réduire au silence les membres du groupe visé ».
Lorsque le décrit l'intensification de la campagne de bombardements d'Israël comme un « cadeau » au monde, ou lorsque le libéral lui envoie des armes susceptibles d'être utilisées pour commettre ce que la Cour internationale de justice considère comme un génocide plausible, ne s'agit‑il pas d'une escalade de la violence? Ne s'agit‑il pas d'actes haineux?
Si nous voulons parler du rôle du gouvernement par rapport à la liberté d'expression et à la nécessité de la protéger, tout en prenant fermement position contre la haine, ne pouvons-nous pas parler de cette incitation délibérée à la haine de la part de deux des personnalités politiques les plus puissantes du Canada à l'heure actuelle?
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Je ne le ferais certainement pas.
La question que je vous pose, cependant, est la suivante. Si nous établissons des limites très larges quant à ce que les gens peuvent dire ou non, cela ne crée‑t‑il pas un risque pour la sécurité des autres?
Par exemple, si quelqu'un affirmait que tous les musulmans sont des terroristes et qu'il faut s'en inquiéter, que tous les juifs soutiennent le génocide et qu'il faut s'en inquiéter, que tous les Chinois sont complices du PCC, si qui que ce soit faisait ce genre d'affirmation absurde susceptible de compromettre la sécurité des gens, pensez-vous que nous devrions limiter cela ou pensez-vous que c'est acceptable?
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Merci beaucoup. Nous en sommes à plus de quatre minutes.
Merci, monsieur Noormohamed.
Merci à nos témoins.
Madame Van Geyn, merci. Merci également au Dr Ge et à Mme Barraband.
Merci d'être venu aujourd'hui, monsieur Rainville.
Je tiens à remercier chacun d'entre vous.
Le Comité est‑il d'accord pour lever la séance?
Des députés: D'accord.
Le président: Merci.