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CHPC Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent du patrimoine canadien


NUMÉRO 141 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 25 novembre 2024

[Enregistrement électronique]

(1550)

[Traduction]

    Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 18 septembre 2024, le Comité reprend son étude sur la protection de la liberté d'expression.
    Tous les témoins ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion. J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins.
    À titre personnel, nous accueillons M. Karim Bardeesy, directeur exécutif du Dais, à l'Université métropolitaine de Toronto; M. Arnaud Bernadet, professeur agrégé à l'Université McGill; le père Raymond J. de Souza; M. Charles Le Blanc, professeur titulaire au Département de philosophie de l'Université d'Ottawa. Du Conseil national des musulmans canadiens, nous accueillons Mme Nusaiba Al‑Azem, directrice des affaires juridiques. De Queer Momentum, nous accueillons Mme Fae Johnstone, directrice générale.
    Certains témoins se joignent à nous par vidéoconférence. Nous avons deux témoins dans la salle: le père de Souza et M. Le Blanc.
    Voici, brièvement, comment nous fonctionnons. Chaque personne dispose de cinq minutes. Si un groupe comprend plus d'une personne, cela reste cinq minutes pour le groupe. Je vous aviserai lorsqu'il vous restera 30 secondes, en disant littéralement « 30 secondes », puis vous devrez conclure. Si vous n'avez pas terminé votre propos, vous pourrez intégrer cela dans vos réponses aux questions des membres du Comité.
    J'aimerais commencer par M. Karim Bardeesy, directeur exécutif du Dais, pour cinq minutes, s'il vous plaît.
    Je remercie le Comité d'avoir entrepris cette importante étude.
    Je m'appelle Karim Bardeesy. Je suis le directeur exécutif du Dais, un groupe de réflexion sur les politiques et le leadership de l'Université métropolitaine de Toronto qui examine les principaux moteurs numériques de la prospérité partagée et de la citoyenneté pour le Canada. Dans le cadre de cette discussion et durant le temps qui m'est imparti, je m'appuierai quelque peu sur les recherches en matière de politique et d'opinion effectuées dans cet espace depuis 2019 par le Dais et son prédécesseur, le Leadership Lab de l'Université Ryerson, devenue l'Université métropolitaine de Toronto.
    Je crois comprendre qu'il y a un intérêt particulier pour certaines questions relatives à la liberté d'expression liées à des lois canadiennes actuelles dont le Parlement est actuellement saisi. Je vais en parler brièvement, en particulier la Loi sur les préjudices en ligne, dont le Parlement est saisi.
    Nous savons que l'expression sur les plateformes en ligne est limitée par divers facteurs: la Charte, cette éventuelle mesure législative, possiblement, les activités des gens sur les plateformes, et les choix et les algorithmes des plateformes elles-mêmes.
    Je reviens tout juste de Washington, où s'est tenu le Sommet sur l'avenir d'Internet, qui a été organisé par un certain nombre d'acteurs intéressés par cet espace. La technologie en évolution, qui permet aux plateformes existantes — en particulier les plateformes de médias sociaux existantes — de recourir davantage aux algorithmes et de choisir le contenu qui est présenté aux utilisateurs, est de plus en plus puissante. Cependant, je pense qu'il est primordial que le Comité se souvienne que la Charte demeure l'ultime rempart de la liberté d'expression et que la Loi sur les préjudices en ligne, même si elle vise explicitement divers ensembles de préjudices importants, respecte tout de même la Charte.
    Vous savez probablement que la Loi sur les préjudices en ligne fait référence à sept catégories de préjudices, et comprend une exclusion pour les plateformes de messagerie privée. Nous sommes d'avis que les solutions proposées dans ce projet de loi sont généralement les bonnes: la présentation d'un plan de sécurité numérique et des dispositions permettant de supprimer du contenu pour les préjudices les plus flagrants.
    Le Dais et les acteurs de la société civile qui suivent la question de très près estiment que la liberté d'expression peut très bien coexister avec ce projet de loi, et qu'il est important que le Canada cherche à régir l'espace en ligne de manière appropriée et ciblée, tout en respectant nos droits et libertés fondamentaux. Je tiens à souligner que la prise de mesures à cet égard jouit d'un appui fort et croissant dans l'opinion publique canadienne. Un sondage mené dans le cadre de nos recherches révèle que l'appui à une intervention législative pour lutter contre les hypertrucages atteint maintenant 68 %. Il s'agit d'un sondage que nous menons presque chaque année depuis 2019.
    Les Canadiens qui sont préoccupés par ce qui se passe en ligne reconnaissent que... Quarante-six pour cent des Canadiens considèrent que ceux qui produisent du contenu en ligne sont les principaux responsables de ce contenu, et 49 % des Canadiens estiment que la responsabilité de régler le problème incombe aux plateformes elles-mêmes. De nombreux Canadiens croient que ceux qui produisent le contenu en ligne sont responsables du problème, et de nombreux Canadiens croient que ce sont les plateformes qui ont la responsabilité de le régler. Cela ne se fera pas tout seul. Cela repose sur le compromis, sur l'acceptabilité sociale qui lie ces plateformes et leurs utilisateurs et les pays où elles ont des activités, mais une mesure législative ciblée pourrait également avoir un rôle à cet égard. Au Dais, nos recherches nous portent à croire que la Loi sur les préjudices en ligne contribue adéquatement, de manière ciblée, à lutter contre les préjudices les plus odieux et à mettre en place un écosystème en ligne plus sain et plus sûr pour tous.
    J'ai fait ma présentation en anglais, mais je serai heureux de répondre aux questions en anglais ou en français.
(1555)
    Merci beaucoup.
    Vous n'avez pas épuisé les cinq minutes. C'est formidable. Merci.
    Nous passons maintenant à M. Arnaud Bernadet, professeur agrégé à l'Université McGill.
    Allez‑y, monsieur Bernadet.

[Français]

    Membres du Comité, je vous remercie de votre invitation.
     Mon nom est Arnaud Bernadet et je suis professeur au département de littérature française de l'Université McGill. Je suis également membre de l'Observatoire sur la liberté d'expression. Ces dernières années, mes travaux, mes livres et mes articles ont porté sur la liberté d'expression et la liberté académique, l'état de la conversation démocratique aux prises avec les guerres culturelles, et la culture du bannissement.
    Mon propos va être centré sur les libertés expressives dans le champ universitaire. D'une part, c'est en raison de la particularité de ce dernier, puisqu'il met en jeu deux types de libertés publiques, à savoir la liberté académique et la liberté d'expression, qui sont distinctes, certes, mais qui présentent aussi certaines zones d'intersection. D'autre part, c'est parce que l'université a été, au cours des 10 dernières années, un terrain d'expérimentation de ce qui se passe dans le restant de la société, c'est-à-dire un renouvellement, voire une radicalisation des guerres culturelles, des déboulonnages de statues en passant par les médias sociaux jusqu'au drame de l'Université de Waterloo, dont un cours sur les théories du genre a donné lieu, en juin 2023, à une agression à l'arme blanche.
    Je comprends l'importance pour les membres du Parlement de considérer d'éventuelles balises législatives pour protéger la liberté d'expression. Au vu de mes travaux, il m'apparaît plutôt que ce qui se trouve fragilisé, c'est une culture de la contradiction sur laquelle est fondée la dynamique du débat, au profit d'une culture de la division. Souvent diabolisées, les pratiques d'annulation sont peut-être moins la cause que le symptôme. Il importe en effet de rappeler ce que l'action de bannir représente, en particulier pour les groupes minoritaires qui, par définition, ne disposent guère de moyens d'inverser ou de rééquilibrer les rapports de force au sein de la société, souvent de manière symbolique.
    Or, ce qu'on constate, c'est que, de plus en plus, les scènes d'annulation sont fondées sur un triangle entre la cible qui subit la dénonciation, le demandeur qui fait pression en demandant des comptes aux dominants, et une troisième force qui vient s'interposer entre les deux et qui va véritablement opérer l'acte d'annulation.
    Dans le cas des universités, les principaux responsables sont les administrateurs eux-mêmes, qui, pour des raisons de calculs liés à la réputation ou à la clientèle, vont céder sous la pression, sans appuyer le corps professoral. Je pourrais donner maints exemples. On peut penser aux conférences de Frances Widdowson qui ont été annulées ou perturbées à l'Université de Lethbridge ou à celle donnée par le juriste gai Robert Wintemute à l'Université McGill.
    Les établissements relaient de plus en plus certaines confusions dommageables autour de la liberté d'expression pour répondre à la demande de leurs publics. C'est ce qu'a révélé la controverse sur le mot commençant par la lettre n à l'Université d'Ottawa, en 2020. Dans ce cas précis, on a omis de distinguer entre un mot en usage et un mot en mention: réfléchir à l'histoire d'un mot ou citer un titre de livre qui contient un terme raciste, comme nous l'ont appris la logique formelle et la linguistique, ce n'est pas utiliser ce mot au sens propre.
    D'autre part s'est installé un amalgame plus grave encore entre les discours de haine, qui constituent une limite ferme à la liberté d'expression, et les discours blessants ou offensants. S'il y avait une intervention de nature légale à faire, ce serait peut-être pour réaffirmer cette ligne de partage entre les deux types de discours.
    En résumé, à l'université comme dans l'espace public, ce qu'on appelle la culture du bannissement prend des formes diverses, qui ne se traduisent pas nécessairement par la censure, laquelle suppose l'exercice du pouvoir. En revanche, elle fait apparaître, à côté de la censure d'État, qui existe toujours, des formes de censure horizontales, réticulaires, des mécanismes de microcoercition, voire des micropouvoirs qui reposent sur des autorités non étatiques, par exemple les administrateurs d'universités, les directions d'entreprises et les groupes modérateurs d'un média social. C'est de ce côté-là que régresse peut-être le plus la culture de la contradiction.
    Il serait évidemment naïf de penser qu'il n'y a pas de lien entre la censure verticale et la censure horizontale. Pour ce qui est du mot commençant par la lettre n, par exemple, le continuum est clair entre les pressions qui ont été exercées par le CRTC sur Radio-Canada et celles qu'a exercées l'administration de l'Université d'Ottawa sur une seule membre de son corps enseignant, exactement au nom des mêmes confusions et des mêmes arguments.
    Je vous remercie. Je suis prêt à écouter et à entendre vos questions.
(1600)

[Traduction]

    Merci, monsieur Bernadet.
    Je donne la parole au père de Souza, pour cinq minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Je vous suis reconnaissant de l'invitation à prendre la parole devant le Comité permanent du patrimoine canadien et de pouvoir exprimer mon estime pour le Parlement et ceux qui y siègent pour le bien commun.
    La liberté d'expression occupe une place importante dans la Constitution canadienne et les libertés fondamentales garanties par la Charte. Elle figure deuxième dans la liste, avec la liberté de pensée, de croyance et d'opinion et la liberté de la presse. Seule la liberté de conscience et de religion occupe une place plus importante dans la Charte.
    La garantie offerte par la Charte empêche les gouvernements de restreindre l'expression. Les gouvernements ont habituellement recours à une loi pour le faire, et les citoyens peuvent alors demander réparation devant les tribunaux.
    Je tiens à mettre en lumière d'autres moyens employés par les gouvernements pour limiter la liberté d'expression. Il s'agit de moyens qui rendent plus difficile, voire impossible, pour les citoyens de demander réparation devant les tribunaux. Cela représente une nouvelle menace à la liberté d'expression. En voici trois.
    Le premier est l'utilisation du pouvoir de dépenser du gouvernement. Le gouvernement peut offrir un avantage, assorti de conditions qui limitent les libertés fondamentales. C'est ce qui s'est produit avec le programme Emplois d'été Canada, par exemple, lorsque le gouvernement fédéral avait exigé, initialement, que les candidats confirment qu'ils étaient d'accord avec la position du gouvernement sur l'avortement. Par exemple, une entreprise d'aménagement paysager qui, autrement, n'aurait pas pris position sur des questions de politique publique, aurait été obligée de se dire d'accord avec la position du gouvernement au sujet du droit à l'avortement au Canada. Devant l'opposition généralisée, le gouvernement a révisé l'attestation requise, reconnaissant ainsi implicitement que l'exigence initiale portait atteinte aux libertés fondamentales prévues aux alinéas 2a) et 2b) de la Charte.
    Un deuxième danger est lié aux organismes de réglementation auxquels l'État a accordé de vastes pouvoirs. Par exemple, les organismes d'agrément et de délivrance de permis peuvent utiliser le contrôle qu'ils ont par rapport au gagne-pain des gens pour restreindre la liberté d'expression. L'affaire Jordan Peterson a attiré l'attention sur cet enjeu, mais cela existait bien avant. Les professionnels de la santé, en particulier, sont confrontés à des restrictions à leur liberté d'expression et à d'autres libertés fondamentales, pour des raisons de conformité idéologique et non de compétence professionnelle. En particulier, cela a posé problème dans le domaine de la santé relativement à la question de l'euthanasie.
    La troisième façon dont l'État pourrait restreindre la liberté d'expression, c'est par l'établissement et le financement d'organismes qui cherchent à restreindre la liberté d'expression. Par exemple, Kimberly Murray, l'interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens, a demandé que le gouvernement impose des sanctions allant jusqu'à des sanctions pénales pour les cas de négationnisme au sujet de ces lieux de sépulture. Cela inclurait même le fait de poser des questions scientifiques.
    Puisqu'il avait financé l'interlocutrice, l'honorable David Lametti, le procureur général de l'époque — c'était en juin 2023 —, a fait savoir qu'il était ouvert à l'utilisation du droit pénal en ce sens. Il s'agit d'un gouvernement qui appuie directement des gens désireux de restreindre les libertés fondamentales et qui, en fait, ont été nommés et financés par le gouvernement lui-même. M. Lametti a été congédié du Cabinet peu de temps après, certes, mais je ne pense pas que les deux choses étaient liées.
    Voilà trois moyens non législatifs qui permettraient au gouvernement de restreindre la liberté d'expression, ce qui laisserait aux citoyens moins de recours auprès des tribunaux. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
    Merci.
(1605)
    Merci beaucoup, père de Souza.
    La parole est à M. Le Blanc, du département de philosophie de l'Université d'Ottawa.
    Vous avez cinq minutes, monsieur.

[Français]

    Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de l'invitation à comparaître devant vous aujourd'hui.
    J'avoue trouver assez étonnant que, dans un pays comme le Canada, doté d'une excellente Constitution, d'une charte des droits et libertés et d'une tradition de jurisprudence qui fait autorité, nous devions nous pencher, aujourd'hui et depuis quelques années, sur la question de la liberté d'expression. Elle devrait aller de soi, si bien qu'il m'apparaît que la première question que nous devrions nous poser est: pourquoi devons-nous aujourd'hui nous pencher sur un tel sujet? Qu'est-ce qui a changé dans ce pays qui fait que la liberté d'expression pose problème? Voilà la première question qui m'apparaît importante au point de vue philosophique.
    Je vais souligner deux choses, puisque le temps qui m'est attribué est assez court.
    La première, c'est la confusion qui existe entre la liberté d'expression et la liberté de conscience. Cette question pourrait sembler un peu triviale si elle ne s'était pas posée jusque dans les sphères les plus élevées de l'État, comme chez le premier ministre et la ministre des Affaires étrangères. Cette dernière a dit, après la malheureuse affaire de l'école Bedford au Québec, qu'on avait affaire à une question de liberté d'expression. Au contraire, il s'agissait de liberté de conscience, mais jamais de liberté d'expression. Jamais les enseignants musulmans qui ont en quelque sorte pris le contrôle d'une école au Québec ne l'ont fait au nom de la liberté d'expression. Au contraire, ils l'ont fait à partir de leur idée un peu particulière de ce qu'est la liberté de conscience.
    Nous avons tous une liberté de conscience, qui est le fondement de la liberté d'expression. Notre liberté de conscience, c'est tout ce qui nous apparaît important. Ce sont nos convictions, nos opinions, nos croyances diverses, et c'est très bien comme cela. Le problème arrive lorsqu'on doit exprimer et rendre dans le domaine public ce qui est du domaine privé: des croyances. C'est là que des difficultés vont apparaître.
    Notons que la liberté de conscience n'est pas infinie, non plus; dans son expression extérieure, elle connaît des limites. En effet, nul d'entre nous ici présents ne pourrait dire qu'il ne paiera pas ses impôts au printemps, parce que cela heurte sa liberté de conscience.
    Il m'apparaissait donc qu'il existe une confusion, qu'on retrouve souvent, entre la liberté de croire ce que l'on veut et celle de dire n'importe quoi. C'est la confusion entre la liberté d'expression et la liberté de conscience. À mon avis, c'est une chose sur laquelle on doit revenir.
    Le deuxième élément porte sur la liberté universitaire. Selon moi, cette liberté a été abordée devant ce comité par une de mes collègues de l'Université de Regina de manière à créer un peu de confusion. Je ne veux pas critiquer une autre témoin ayant comparu avant moi, mais il faut quand même faire preuve d'un peu de rigueur.
    La liberté universitaire des professeurs — j'ai pris quelques petites notes — relève d'une neutralité de l'administration relativement aux domaines de recherche des professeurs. Elle implique une indépendance du professeur dans le choix de ses sujets de recherche, ainsi qu'une expression sans entraves de ses idées. De plus, elle ne dépend pas des collègues. Si les collègues de mon département estiment que ma recherche en philosophie ou en littérature n'est pas valide, ce n'est pas à eux d'en juger. C'est moi qui, en faisant des recherches qui n'auront peut-être pas de sens, serai au bout du compte mis de côté par la communauté scientifique. Cela n'équivaut donc pas du tout à soumettre un article afin que les pairs en évaluent la qualité.
    J'aimerais faire valoir un dernier petit point et je m'arrêterai ensuite. Aujourd'hui, nous avons vu dans le journal La Presse un article où on parlait de la liberté universitaire des professeurs de cégep. Encore là, il y a une confusion. À mon avis, les professeurs de cégep n'ont pas une liberté universitaire, mais une autonomie pédagogique. Ils doivent suivre un programme édicté par l'État, le Québec dans le cas qui nous occupe. Cependant, compte tenu de l'autonomie pédagogique qu'ils possèdent et à partir de leurs compétences et de leur personnalité, les professeurs peuvent rendre ce programme plus intéressant.
(1610)
    Voilà en gros ce qu'il y avait à dire. Je pense que je serai content de répondre à vos questions. Je vous remercie, mesdames et messieurs.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Nous entendrons maintenant Mme Nusaiba Al‑Azem, directrice des affaires juridiques au Conseil national des musulmans canadiens. Vous avez cinq minutes. Allez‑y, s'il vous plaît.
    Bonjour. Je tiens à remercier le Comité permanent du patrimoine canadien de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui et de tout le travail important qu'il accomplit.
    Je m'appelle Nusaiba Al‑Azem. Je suis directrice des affaires juridiques au Conseil national des musulmans canadiens. Je suis ravie d'être ici aujourd'hui dans le cadre de cette importante étude du Comité sur la protection de la liberté d'expression. La question que pose le Comité en examinant les moyens dont dispose le gouvernement pour protéger la liberté d'expression est profonde, car elle constitue notre principale préoccupation pour ce qui est, selon nous, la menace la plus fondamentale à la liberté d'expression au Canada aujourd'hui.
    Notre position est assez simple. L'enjeu le plus pressant lié à la liberté d'expression au Canada est le recours éhonté à la disposition de dérogation — c'est‑à‑dire l'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés — par divers gouvernements d'un bout à l'autre du Canada, pour déroger de nos droits garantis par la Charte, y compris la liberté d'expression.
    À notre avis, le recours abusif à l'article 33 n'est rien de moins qu'une crise constitutionnelle. Nous avons tous appris, dans les cours d'éducation civique au primaire — et que j'ai moi-même entendu à la faculté de droit —, que le recours inapproprié à la disposition de dérogation pour s'attaquer à des libertés fondamentales comme l'article 2 de la Charte, sonnerait le glas du gouvernement en cause. Je me souviens que mon professeur avait parlé de « suicide politique ». Malheureusement, nos leçons d'éducation civique à l'école primaire étaient erronées. Ce professeur avait tort.
    Le Conseil national des musulmans canadiens a sonné l'alarme à ce sujet à un moment que nous considérons comme le début de cette crise, il y a quelques années, à savoir lorsque nous avons contesté la loi 21 devant les tribunaux. Nous attendons actuellement une réponse à notre requête en autorisation à la Cour suprême du Canada. Pour nous, bien entendu, le projet de loi 21 représente toujours un enchâssement de la suppression des droits des minorités, du droit à la libre expression et à la liberté de religion qui s'appuie sur la disposition de dérogation et vise à empêcher les musulmans, les juifs et les sikhs d'exprimer librement leur foi par le port du turban, du hidjab ou de la kippa, et d'être, par exemple, un enseignant dans une école publique. De nombreux tribunaux au Québec ont convenu que l'interdiction est discriminatoire, mais elle est maintenue grâce à la disposition de dérogation.
    Malgré le recours réussi du Conseil national des musulmans canadiens et de l'Association canadienne des libertés civiles devant les tribunaux pour bloquer le projet de loi 62, qui était un projet de loi précurseur, à certains égards, et qui interdisait aux femmes portant le niqab de monter à bord d'un autobus ou d'obtenir une carte de bibliothèque au Québec, les gouvernements de l'Ontario, de la Saskatchewan et du Québec, jusqu'à maintenant, ont joué la carte constitutionnelle de la disposition de dérogation comme une carte de type « Sortez de prison sans frais » pour échapper au contrôle judiciaire. De nombreuses autres provinces ont aussi menacé d'y recourir.
    Notre recommandation au Comité est la suivante: que le Comité entreprenne une étude portant particulièrement sur le recours approprié à la disposition de dérogation. Que ce soit clair: une telle banalisation de ces pouvoirs quasi urgents menace l'avenir même de notre fédération.
    Notre deuxième préoccupation, que nous considérons comme une menace fondamentale et actuelle à la liberté d'expression au Canada, est liée à la nécessité de protéger la liberté d'expression dans cette austère enceinte. Nous appuyons les mesures législatives qui ont été présentées pour mieux protéger la liberté d'expression, comme le projet de loi d'initiative parlementaire des conservateurs, le projet de loi C-257, qui offrirait une protection contre la discrimination fondée sur la croyance politique.
    Nous avons vu trop souvent des attaques contre la liberté d'expression de gens qui défendent des causes controversées, comme l'est en quelque sorte devenu le soutien aux droits de la personne des Palestiniens au cours de la dernière année. Nous avons vu de nombreux cas, par exemple, de gens qui ont perdu leur emploi simplement pour avoir exprimé publiquement des préoccupations concernant l'invasion militaire israélienne à Gaza. Nous avons été témoins d'un effort concerté de suppression des voix et des témoignages des Palestiniens, et nous pensons que c'est inacceptable. Nous recommandons au gouvernement d'explorer des moyens de veiller à ce que toute critique à l'égard de tout gouvernement étranger — Israël, Chine, Arabie saoudite, Pakistan, Russie ou Inde — soit toujours protégée.
    Je répondrai avec plaisir aux questions des membres du Comité. Merci.
(1615)
    Merci beaucoup.
    Pour terminer — mais pas vraiment —, je donne la parole à Mme Fae Johnstone, directrice générale de Queer Momentum.
    Vous avez cinq minutes, madame Johnstone.
    Bonjour, mesdames et messieurs les membres du Comité. Je suis Fae Johnstone. Je suis la directrice générale de Queer Momentum, une organisation nationale de défense des personnes LGBTQI+. J'ai consacré ma carrière à la promotion de la liberté, des droits et de l'égalité générale des personnes bispirituelles, queers et transgenres au Canada. Je suis reconnaissante d'avoir l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui dans le cadre de cette étude sur la protection de la liberté d'expression.
    Premièrement, j'inviterais les membres du Comité à réfléchir à la longue et fière histoire des personnes queers et transgenres qui défendent la liberté, y compris la liberté d'expression. Notre héritage en tant que pays comprend la criminalisation des personnes LGBTQI+, le déni de nos droits de la personne et de nos droits civils, l'inaction de notre gouvernement pendant la crise du SIDA, les efforts dirigés par le gouvernement pour nous retirer de la fonction publique, les descentes de police dans nos établissements, les douanes canadiennes ciblant nos entreprises, la censure de notre littérature et bien d'autres. Nous sommes une communauté qui a été soumise à un horrible héritage de discrimination, de déshumanisation, de violence et d'inégalité qui se poursuit encore aujourd'hui. Les personnes les plus marginalisées de notre communauté sont souvent celles dont les voix sont les plus réduites au silence.
    Dans le cadre de mon travail, je me tiens sur les épaules de géants: les gays, les lesbiennes, les personnes queers et transgenres, ainsi que nos alliés, qui ont lutté pour les droits de la personne de ma communauté et les ont obtenus. Grâce à ces défenseurs, j'ai grandi dans un Canada plus accueillant et plus inclusif. Le Canada dans lequel j'ai grandi me remplissait d'espoir. Je croyais que nous étions à l'aube de quelque chose d'incroyable, d'un Canada où nous pouvions nous débarrasser de notre hostilité séculaire à l'égard de la diversité sexuelle et de genre et où nous étions prêts à embrasser un avenir plus diversifié, plus inclusif et plus équitable, non seulement pour les personnes queers et transgenres, mais aussi pour tous les Canadiens.
    Au cours des cinq dernières années, j'ai malheureusement perdu cet espoir. J'ai assisté à la résurgence de l'homophobie et de la transphobie dans tout le pays dans le cadre d'une réaction négative plus générale contre les personnes queers et transgenres. Je crains maintenant la trajectoire dans laquelle nous nous dirigeons. Je crains que nous nous dirigions vers un avenir où les droits et libertés de ma communauté, y compris la liberté d'expression, et notre égalité générale seront retirés dans une ère politique définie par la peur, la colère et la désinformation.
    Chaque année depuis trois ans, Statistique Canada signale une augmentation de la violence motivée par la haine à l'encontre des personnes queers et transgenres. Le SCRS a prévenu que le « mouvement contre l'égalité des genres », une expression qui décrit une série de groupes contre les personnes LGBTQI+, constitue une menace de violence extrême au Canada. Dans tout le pays, des artistes travestis, des militants pour les droits des personnes LGBTQI+, des organisateurs de festivals de la fierté et des parents d'enfants queers et transgenres ont été la cible d'attaques haineuses, de menaces de mort et d'autres formes de harcèlement, tant en ligne que dans la vie réelle. Les propos qui diabolisent, déshumanisent et enlèvent toute dignité à ma communauté crée une culture de la peur parmi les personnes queers et transgenres.
    En tant que militante pour les droits des personnes transgenres, j'ai personnellement dû payer le prix pour défendre ma communauté. L'an dernier, j'ai fait l'objet d'une campagne internationale de haine et d'annulation pour avoir participé, en tant que femme transgenre, à une initiative publicitaire de Hershey's Canada dans le cadre de la Journée internationale de la femme. Ma participation à cette campagne a suscité des réactions négatives dans le monde entier. Des figures de proue de l'extrême droite et des groupes anti-LGBTQI+, dont des personnes comme Tucker Carlson, Matt Walsh, Ben Shapiro et d'autres, m'ont prise pour cible. Ils ont publié mon morinom, diffusé des photos de moi avant la transition, créé et publié des caricatures dégoûtantes et m'ont envoyé du vitriol. Le niveau de haine et le risque pour ma sécurité que cette réaction a déclenchés étaient tels que j'ai été accompagnée par des agents de sécurité pendant six jours d'affilée.
    Je ne peux pas exprimer avec des mots les répercussions psychologiques d'être la cible de la puissance combinée des groupes haineux et des leaders d'extrême droite dans tout le pays et dans le monde entier. Si je suis effectivement une militante, je ne suis au final qu'une jeune femme, transgenre de surcroît, qui s'exprime pour défendre ce qu'elle croit être juste. Ce qui m'est arrivé est malheureusement un exemple extrême, mais c'est un exemple parmi tant d'autres qui touchent des membres de ma communauté dans tout le Canada.
    Après le fiasco de la campagne de Hershey's, j'ai été invitée à prendre la parole lors d'un gala sur les droits des femmes à Regina. Rebel News s'est inscrit en faux contre mon inclusion. Ce soi-disant média a créé une pétition en ligne pour me faire renvoyer, qui était alimentée par un site Web appelé, littéralement, www.firefae.ca. Il a également publié mon morinom pour tenter encore une fois de me faire honte.
    Comme si ce n'était pas suffisant, quelques jours avant le gala, une journaliste de Rebel News m'a trouvée dans un parc devant mon hôtel. Elle a pris la décision irresponsable et dangereuse de publier une vidéo en révélant l'endroit où je séjournais — après des semaines de propagande haineuse et de harcèlement à mon égard — et a mis ma sécurité en danger réel et immédiat.
    La montée de la haine à l'encontre des personnes LGBTQI+ est moralement répugnante et constitue une menace directe pour la liberté d'expression. Qu'advient‑il lorsque vous, en tant que personnes queers ou parents d'un enfant transgenre ou alliés, risquez d'être victimes de divulgation malveillante, d'être personnellement ciblés et de faire l'objet de haine et de harcèlement si vous défendez les droits de la personne, l'égalité et la liberté? Qu'advient‑il lorsque les Canadiens sont incapables d'exprimer leurs opinions politiques ou de prendre la parole sur des questions politiques sans subir des répercussions importantes et potentiellement dangereuses pour leur sécurité?
    Ce qui m'effraie le plus au Canada à l'heure actuelle, c'est de voir que la haine passe d'un phénomène social à un courant politique dominant.
(1620)
    Au cours de la dernière année, nous avons vu trois gouvernements au Canada utiliser des slogans et des propos trompeurs pour semer la division, normaliser la haine et apporter leur soutien à des groupes anti-LGBTQ2+. Il n'y a pas d'exemple plus flagrant que celui du premier ministre Scott Moe en Saskatchewan, qui a suspendu les droits protégés par la Charte des enfants de la province, pour présenter une loi qui prive les enfants transgenres de leur liberté.
    Ce discours de division n'est pas un cas isolé. Il a permis de couvrir ces éléments d'une mesure législative draconienne au niveau provincial. Au‑delà des répercussions précises des politiques, cela a créé une culture de la peur. À bien des égards, cela ressemble aux lois qui préconisent d'éviter de parler d'homosexualité que nous voyons aux États-Unis, où les enseignants dans les salles de classe, les administrateurs d'école et les élèves eux-mêmes ont peur de mentionner ou d'aborder le genre et la sexualité.
    Que se passe‑t‑il dans un pays où, plutôt que de rassembler les gens, nous normalisons la division et la différence, où même le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, attise les flammes de la conspiration avec son allusion à l'idéologie du genre?
    Je n'ai pas toutes les réponses. Je ne suis pas une avocate, mais je suis une Canadienne déterminée à défendre la liberté, l'égalité et les droits, parce qu'ils sont tous interdépendants. Je crois en un Canada où ma communauté est vraiment libre, vraiment égale et vraiment en sécurité. Cela n'est pas possible lorsque les élus flirtent avec la haine. Les personnes 2ELGBTQI+ sont des êtres humains et non pas des accessoires politiques que l'on peut calomnier et cibler pour gagner du pouvoir. Je nous exhorte tous à rejeter la haine et à faire front commun en vue d'offrir un avenir meilleur à tous les Canadiens.
    Je vous remercie.
    Merci, madame Johnstone.
    Nous allons maintenant passer à la période des questions. Six minutes seront accordées aux intervenants au premier tour.
    Nous commencerons avec Kevin Waugh, pour les conservateurs.
    Monsieur Waugh, vous disposez de six minutes.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    Merci aux six témoins qui comparaissent au Comité cet après-midi.
    Père de Souza, je vais commencer avec vous.
    Votre principale préoccupation en ce moment est de remettre en cause la liberté d'expression au Canada. Je ne vais pas vous parler du projet de loi C‑11, du projet de loi C‑18 ou même du projet de loi sur les préjudices en ligne. Je veux seulement connaître votre opinion sur ce sujet, vos préoccupations concernant la liberté d'expression. Vous avez abordé trois questions. J'y reviendrai dans un instant, mais, de façon générale, qu'est‑ce qui vous préoccupe?
    J'ai choisi trois exemples. Dans le passé, pour défendre la liberté d'expression, il y avait une loi gouvernementale, et ensuite, si vous pensiez que la loi restreignait vos droits, vous pouviez faire appel aux tribunaux pour obtenir réparation. Les exemples que j'ai donnés rendent la tâche plus difficile, car il ne s'agit pas d'une mesure législative. C'est un pouvoir de dépenser. Le dernier exemple concernait la création d'un lobby pour restreindre la liberté d'expression.
    D'autres témoins ont également abordé des sujets qui ne relèvent pas d'une mesure législative gouvernementale, comme des organisations professionnelles, des universités, etc.
    C'est la raison pour laquelle j'ai choisi de les souligner. La plupart des menaces à la liberté d'expression semblent se trouver là de nos jours. C'est pourquoi j'ai mis l'accent sur ces éléments.
    Je pense que celui que vous avez signalé en premier était intéressant. Il s'agissait du programme Emplois d'été Canada. Ce gouvernement a demandé à des organisations confessionnelles de signer une attestation. Dans ma circonscription de Saskatoon—Grasswood, je soutiens vraiment un certain nombre d'organismes à but non lucratif, et bon nombre d'entre eux n'ont pas signé l'attestation. C'est tout à leur honneur. Je leur lève mon chapeau, car ils ont respecté leur obligation morale. Ils avaient une obligation morale sur cette question. Oui, ils auraient pu prendre l'argent. Oui, ils auraient pu donner une chance aux étudiants canadiens, mais beaucoup d'entre eux ne l'ont pas fait.
    J'étais très fier d'eux, pour être honnête. Je travaille avec eux depuis de nombreuses années. Comme je l'ai dit, je m'occupe d'abord des organismes sans but lucratif. Ils en arrachent en ce moment, et ils ont éprouvé des moments difficiles dans le passé. Quand ils ont dit, « Non, merci », cela en dit long sur les organismes, pour ainsi dire.
    Vous pourriez peut-être vous prononcer là‑dessus, car c'est le premier exemple que vous avez mentionné.
(1625)
    C'est vrai. L'exemple que j'ai utilisé n'était pas celui d'un groupe confessionnel. Il s'agissait simplement d'une entreprise d'aménagement paysager. Tout le monde était tenu de faire cette attestation dans le premier cas.
    Il est question, pour certains, de liberté de conscience et de religion, comme cela a peut-être été le cas pour certains groupes confessionnels, mais l'exigence de ce programme était qu'il fallait exprimer une opinion. Il se trouve qu'il s'agissait d'une opinion sur un sujet précis qui souscrivait à la politique du gouvernement, mais le fait même de devoir exprimer une opinion pour être admissible porte atteinte à la liberté, à la pensée, à l'opinion et à la croyance. C'était le problème.
    Vous avez raison. Certains groupes ont dû faire un choix difficile. Pour ceux qui ont fait un choix fondé sur des principes, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il a fallu du courage pour le faire, mais ils ne devraient pas se trouver dans cette position.
    Le problème, c'est qu'il était très difficile d'obtenir réparation. Si cela avait été une loi, on aurait fait appel aux tribunaux et peut-être obtenu une injonction immédiatement. C'est possible. Il faudrait voir si c'est possible. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'une attestation et que cela fait partie de l'appareil du processus de demande, il est très difficile d'obtenir réparation. Il y a eu quelques initiatives judiciaires, puis plus tard une révision.
    Si le gouvernement avait adopté une loi prévoyant qu'il fallait cette attestation, vous auriez pu vous présenter devant le tribunal le lendemain pour obtenir réparation et peut-être, avec l'approbation du juge, obtenir une sorte d'injonction. Toutefois, il s'agit d'une exigence plus nébuleuse, si bien qu'il est plus difficile d'obtenir réparation.
    Il y a trois grands hôpitaux dans la ville de Saskatoon.
    L'un est religieux, l'hôpital catholique, soit l'hôpital St. Paul. Il ne croit pas en l'aide médicale à mourir. Il ne se livrera pas à cette pratique. L'hôpital a été dirigé par des religieuses dans le passé et il est confessionnel. C'est un hôpital catholique. Je dirais qu'il fait partie intégrante de notre ville.
    Je reconnais le mérite de l'établissement pour ce qui est de l'aide médicale à mourir. Il s'est immédiatement prononcé sur le sujet. Il n'approuve pas la pratique. Il y a eu des réactions négatives dans notre ville à l'égard de la position de l'hôpital.
    Qu'en pensez-vous?
    Je pense que cela relèverait de la première liberté énoncée dans la Charte, à savoir la liberté de conscience et de religion. La liberté d'expression figure dans la deuxième partie de la liberté fondamentale, et je suis donc d'accord pour dire que les responsables de l'établissement ne devraient pas être contraints d'agir à l'encontre de leur conscience dans ce cas‑ci.
    Ce qui me préoccupe, c'est plutôt dans les associations professionnelles où les propos d'un médecin, d'une infirmière, d'un pharmacien ou de toute autre personne font l'objet d'une surveillance. Ce n'est pas à cause de la compétence professionnelle de ce médecin, mais à cause du point de vue, dans ce cas‑ci, que l'association pourrait adopter. Ce pouvoir est conféré aux associations par le gouvernement, si bien que le gagne-pain de ce professionnel est entre leurs mains.
    En fait, d'une certaine manière, une entité professionnelle a plus de pouvoir sur lui que le gouvernement provincial, qui dispose d'instruments plus rudimentaires. Limiter le gagne-pain d'une personne est un pouvoir assez puissant que l'on confère à des organismes professionnels de réglementation.
    De plus, lorsqu'on veut obtenir réparation, c'est plus difficile, car les tribunaux leur accordent plus d'égards — parce qu'ils sont censés élaborer une réglementation professionnelle — qu'ils n'en accorderaient au gouvernement s'il faisait la même chose.
    Je vous remercie.
    Nous allons maintenant céder la parole aux libéraux, à Taleeb Noormohamed.
    Vous disposez de six minutes, je vous prie.
(1630)
    Je m'attendais à ce que l'un de mes collègues prenne la parole. Je croyais que M. Coteau interviendrait en premier.
    Oui, je prendrai la parole en premier, monsieur Noormohamed.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    On nous a remis une liste et nous la suivons. Si vous changez d'idée, pouvez-vous me le faire savoir avant le début de la réunion ou avant de le faire?
    Qui prendra la parole?
    Monsieur Fry, cette liste a été distribuée par votre personnel...
    Je sais, et nous l'avons sur papier ici. La greffière l'a citée.
    Je vais intervenir, madame la présidente.
    Nous ne contesterons pas. Si vous prenez la parole maintenant, ce n'est pas M. Noormohamed. C'est vous, monsieur Coteau.
    Je tiens à remercier tous les témoins d'être ici aujourd'hui.
    Nous avons de nombreuses opinions différentes, et ce qui est formidable de notre pays, c'est que nous avons la capacité d'exprimer nos opinions différentes et d'apporter différentes perspectives. Je pense que c'est ce qui fait de ce pays un grand pays.
    Si l'on consulte les listes des différentes libertés et les comparaisons dans le monde, le Canada semble toujours se hisser en tête de liste, je dirais, entre 3 et 4 % des pays. J'ai toujours considéré le Canada comme un endroit où l'on peut s'exprimer sans s'inquiéter des répercussions. Toutefois, je suis d'accord avec le professeur Le Blanc qu'il y a eu un changement dans notre pays au cours de la dernière décennie, peut-être depuis les 15 dernières années.
    Qu'est‑ce qui a changé dans ce pays, et pourquoi sommes-nous ici aujourd'hui pour discuter de la capacité de nous exprimer? Qu'est‑ce qui a changé?
    Je vais commencer avec M. Bernadet.

[Français]

     Merci.
    Qu'est-ce qui a changé? C'est une question très vaste et complexe. Je dirais qu'il y a des phénomènes que nous connaissons bien et qu'on décrit parfois sous l'idée de polarisation ou parfois de radicalisation, ce qui est encore autre chose. Il est clair qu'il y a une tendance croissante vers la polarisation qui, sans doute, tient premièrement à une importation du paradigme du modèle démocratique étatsunien et à son influence. La société étatsunienne est très polarisée actuellement. On l'a vu encore récemment au cours des élections. Je pense qu'il y a cet effet d'influence forte et le fait que les États‑Unis constituent — il faut bien le reconnaître — une sorte de laboratoire des démocraties libérales dans le restant du monde. Le fait d'exporter plus ou moins leur modèle fait partie de leur pouvoir de convaincre. Je pense qu'il y a un effet de cette sorte.
    Cela étant, il faut aussi relativiser ces phénomènes. On parle beaucoup des guerres culturelles, qui font l'objet de nombreuses discussions. Les médias sont les premiers à relayer cette machine de tension ou d'antagonisme, avec cette idée qu'il y aurait des identités qui seraient irréductibles les unes aux autres, et qui s'opposeraient. Ces médias ont tendance à se nourrir, parfois même en allant jusqu'à accuser les médias sociaux de cette réalité, alors qu'eux-mêmes la cultivent ou l'entretiennent. Je pense qu'il y a cet effet-là.
    Le troisième élément, c'est qu'il y a effectivement des courants idéologiques qui se déploient. On le voit dans les pratiques de la culture du bannissement qui est présente et qu'on voit apparaître à l'université. Il ne faut pas oublier que la culture du bannissement a des formes très hétérogènes, mais que sa base repose sur une lutte des valeurs. De ce point de vue, c'est un héritage des guerres culturelles. Pour des groupes minoritaires ou des groupes qui veulent militer pour telle ou telle cause, cette lutte de valeurs ne veut pas dire une prise de pouvoir, mais se veut au moins un moyen de faire valoir ces valeurs sur un plan symbolique. Dans certains cas, on sait que cela peut se rendre jusqu'à des mesures de bâillonnement.
    Comme je le disais, le problème est souvent que les gens qui annulent quelque chose ne sont pas forcément les militants. Dans le cas de certains spectacles culturels, par exemple Kanata et SLĀV, qui ont été présentés à Montréal, ce ne sont pas les militants qui ont pris l'action d'annuler. Les militants ont exercé leur droit d'expression en contestant le fait que des personnages noirs et autochtones n'étaient pas joués par des Noirs et des Autochtones. Qu'on soit d'accord ou non, c'est une autre affaire, mais ce sont en fait les organisateurs du spectacle qui ont fini par l'annuler. Les choses sont donc assez complexes de ce point de vue.
    Je ne sais pas si je réponds à votre question, mais ce sont des pistes.
(1635)

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Monsieur Bardeesy, voulez-vous répondre à cette question? Qu'est‑ce qui a provoqué ce changement pour que nous ayons cette conversation aujourd'hui?
    Je veux revenir sur l'observation du professeur Bernadet.
    C'est vraiment le pouvoir de ces plateformes de médias sociaux de cibler et de relever les questions qui trouvent écho auprès des identités des gens ou de leur choix d'identités et de leur fournir un contenu qui interpelle leur groupe d'appartenance, leur groupe d'identité, ou de leur fournir des renseignements et du contenu qui ciblent un groupe d'identité différent. Je pense qu'il est important de comprendre que l'écosystème d'information, la façon dont nous consommons de l'information, a changé considérablement.
    De nos jours, la plupart des Canadiens sont plus susceptibles de citer un média social qu'un média qui n'est pas sur les réseaux sociaux comme étant leur principale source d'information. C'est un phénomène que nous n'observions pas il y a 5 ou 10 ans. Ces médias sociaux sont personnalisés et offrent du contenu qui traite souvent de l'identité ou du choix d'identité d'une personne, et des identités du groupe d'appartenance et d'un groupe différent. Cela réduit l'espace partagé dont nous disposons pour les conversations, les renseignements et les débats politiques raisonnables.
    Madame Al‑Azem, merci d'avoir attiré l'attention sur ce groupe en ce qui concerne le projet de loi 21. En fait, je...
    Je suis désolée. Il vous reste trois secondes, monsieur Coteau.
    Merci de votre présence.
    Je vais revenir au Bloc québécois et à Martin Champoux.
    Vous disposez de six minutes, monsieur Champoux.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Monsieur Le Blanc, tout à l'heure, mon collègue Michael Coteau a posé la question que je voulais vous poser, à vous et au professeur Bernadet: qu'est-ce qui a changé et qu'est-ce qui fait que nous sommes ici aujourd'hui en train de discuter de cette question?
    C'est nous tous comme Canadiens, comme citoyens d'un pays démocratique pluriel, qui reculons, qui avons peur, qui démontrons peu de courage. Je prendrai simplement l'exemple de l'Université d'Ottawa et de mon recteur comme exemple absolu de manque de courage. Je pense que c'est ça, la grande raison. C'est que nous reculons et que nous sommes prêts à faire des concessions sur des mots, d'abord. Dès le moment où on fait des concessions sur les mots, ensuite, on va faire des concessions sur les choses, sur les concepts, parce que les mots ne signifient pas rien. Les mots sont porteurs de sens. Un mot tout seul, c'est une définition. Il va prendre son sens dans une phrase.
    Quand on danse autour du mot commençant par la lettre n, il n'y a personne dans la salle actuellement qui ne sait pas à quel mot la lettre nréfère. À mon avis, ce n'est rien d'autre qu'une hypocrisie. Je suis absolument d'accord pour dire que le mot prononcé a une connotation raciste. Je suis d'accord pour être attentif au fait de ne pas blesser les autres. Cependant, pour reprendre ce que disait Albert Camus, lorsqu'on nomme mal quelque chose, on ajoute au malheur du monde. On commence par battre en retraite sur des questions comme les mots. Ça commence par des choses très simples comme un mot qu'on ne dira pas. Ensuite, c'est un concept qu'on ne va pas affronter. Après, c'est un cours que l'on ne va pas donner. C'est ce qui se passe par la suite. Ensuite, c'est un professeur qui dit qu'il pense prendre un congé sabbatique cette session parce qu'il a besoin de se reposer et qu'il ne veut plus être constamment dans la confrontation.
    Donc, ce qui a changé, c'est nous. Il suffit, à un certain moment, de mettre notre poing sur la table et de ne pas reculer. J'ai donné un cours de philosophie qui s'intitule « Les grandes questions philosophiques ». Ces grandes questions philosophiques…
     Monsieur Le Blanc, donnez-moi un instant, s'il vous plaît.
    Madame la présidente, il est très difficile de me concentrer. J'ai de la difficulté à écouter les réponses du témoin parce que j'entends des conversations dans la salle. Serait-il possible, s'il vous plaît, de demander aux gens de respecter le témoin qui parle?

[Traduction]

    Chers collègues, si vous devez parler de quelque chose, pouvez-vous aller dans un coin éloigné de la salle, s'il vous plaît? Il n'est pas juste de déranger les témoins.
    Je vous remercie.
(1640)

[Français]

     Je suis désolé, monsieur Le Blanc.
    Je vous en prie. Je suis désolé que ça vous ait dérangé. En tant que professeur d'université, vous comprendrez que je suis habitué à ces choses.
    Vous devez effectivement y être plus habitué.
    Je disais que j'ai un cours de philosophie qui s'intitulait « Les grandes questions philosophiques ». Je change de question philosophique chaque année.
    J'ai abordé la question de l'existence de Dieu et j'ai donné à lire des auteurs comme d'Holbach et Lucrèce, des auteurs qui sont athées, pour arriver à la conclusion que Dieu n'existe pas. J'ai enseigné ça. J'avais des étudiants qui étaient issus de la diversité — pour employer un terme à la mode — et le cours s'est très bien passé. Il n'y a pas eu de problème, parce que les étudiants sont quand même assez intelligents pour savoir faire la distinction entre des concepts qui sont enseignés et une idéologie que l'on essaie de passer. J'ai refusé de reculer. J'aurais très bien pu utiliser mon cours sur les grandes questions philosophiques pour parler de questions qui ne touchaient à rien, et me tenir peinard.
    Messieurs Le Blanc et Bernadet, vous avez évoqué un certain reproche à l'endroit des administrateurs des établissements.
    Monsieur Bernadet, vous avez souligné tantôt la faute des administrateurs. Nous venons d'entendre M. Le Blanc parler de la peur, de la crainte qui habite probablement les professeurs à force de se faire censurer d'une certaine façon. En effet, peut-être qu'on devient plus craintif dans le choix des sujets qu'on veut aborder avec les étudiants. Il y a aussi, effectivement, l'administration des universités et des établissements d'enseignement qui a un rôle important à jouer là-dedans, et M. Le Blanc a souligné le cas de Mme Lieutenant‑Duval et le manque de vigueur dans sa défense de la part du recteur, M. Frémont. Est-ce quelque chose que vous observez en général, vous aussi, de votre côté?
    Oui, c'est la tendance générale dans les universités et les administrations. Certaines s'en défendent, mais s'adonnent très largement à cette pratique.
    Je vais vous donner un simple exemple, celui de Frances Widdowson, qui était censée donner une conférence sur la culture de l'éveil, je crois, à l'Université de Lethbridge et qui a dû faire face à 700 étudiants. Au départ, le recteur, Michael Mahon, avait bien rappelé qu'il pouvait y avoir dans des conférences des idées dérangeantes sur lesquelles on pouvait être en total désaccord. Il faisait bien la distinction, celle que j'ai évoquée tout à l'heure, entre un discours qui est propagateur de haine ou qui peut générer des préjudices — c'est ce qui est dans le Code criminel — et un discours offensant ou blessant qu'on n'a pas forcément envie d'entendre. Cela, je peux le comprendre sans problème. Cependant, deux jours après, au moment où les manifestations prenaient de l'ampleur, ainsi que les contestations de la part de certains collègues, M. Mahon a fini par céder. Parfois, on peut annuler une conférence pour des raisons de sécurité, mais, dans ce cas-là, ce n'était pas du tout le cas.
    C'est la tendance qu'on observe. Le problème, c'est que l'université est un lieu où on ne peut pas assurer la sécurité sur le plan des idées. On a l'obligation d'y assurer la sécurité physique des individus, c'est vrai, mais c'est un lieu où les idées s'affrontent. Cela rejoint ce que disait M. Le Blanc. Il y a des idées qui sont déplaisantes, mais il est impossible d'assurer la sécurité sur le plan des émotions ou des idées.
     La grande tendance, qui est liée à la logique gestionnaire, néolibérale et clientéliste des administrateurs, est d'accéder aux demandes d'un groupe qui n'est pas forcément majoritaire et qui peut être en marge du public étudiant. Cela sape le fondement…

[Traduction]

    Monsieur Bernadet, le temps imparti est écoulé.
    Je donne la parole à Mme Lindsay Mathyssen, du Parti néo-démocrate, pour six minutes.
    Je vous souhaite la bienvenue, madame Mathyssen.
    Merci, madame la présidente.
    Je remercie le Comité de m'accorder du temps.
    D'entrée de jeu, je tiens à dire que dans notre discussion sur la liberté d'expression et sur sa protection, je pense que nous devons faire très attention aux limites juridiques de cette forme de liberté et veiller à ce qu'elle ne dégénère pas en discours haineux.
    Madame Johnstone, vous avez parlé très précisément et très clairement de ce qui se passe, de ce que vous avez vu, des risques que vous courez en raison de votre identité et des menaces liées à la montée de l'extrémisme et à la multiplication des discours haineux. Madame Al‑Azem, vous avez été une porte-parole remarquable au sein de notre communauté après l'attaque terroriste perpétrée contre la famille de London. Je sais que le danger et la violence dont vous été témoins toutes les deux ont aussi eu de lourdes conséquences.
    Vous avez parlé toutes les deux des politiques codées que les politiciens emploient au détriment des personnes vulnérables et des membres des groupes minoritaires. Vous avez aussi mentionné le danger que représente le recours à la disposition de dérogation par les politiciens. J'aimerais vous entendre toutes les deux sur les conséquences et les risques d'employer soit l'islamophobie, soit les attaques contre les personnes trans et les membres de la communauté LGBTQ2+ à des fins politiques. Quels sont les effets pour ces deux groupes?
    Madame Johnstone, je vous invite à répondre en premier, suivie de Mme Al‑Azem.
(1645)
    Cette question est liée à la précédente. Nous vivons une ère de polarisation: les membres de la population canadienne ont de la difficulté à payer leurs factures, à joindre les deux bouts et à soutenir leurs familles. Quand la vie est difficile, il devient plus facile de canaliser la colère et de s'en servir pour réaliser des gains de pouvoir.
     Au Canada aujourd'hui, des termes comme « droits des parents » et « idéologie du genre » sont employés pour faire diversion au lieu d'offrir des milieux scolaires sains et de veiller au bien-être des enfants et des familles. On tente de limiter les droits de certaines personnes et de créer de faux équivalents. L'objectif n'est pas d'opposer les parents aux enfants; c'est de créer un milieu scolaire où chaque enfant est libre d'être soi-même, où chaque enfant se fait traiter avec dignité et où chaque enfant grandit dans une communauté saine.
    En tenant des discours qui sèment la discorde, les politiciens montrent à la population que l'intimidation est un comportement acceptable. Ils encouragent les gens à repousser les limites. La montée de la haine à l'égard des membres de la communauté 2ELGBTQI+ partout au Canada en est la preuve.
    Le recours préventif à la disposition de dérogation me préoccupe particulièrement. En Saskatchewan, cette disposition a été utilisée avant qu'un tribunal puisse examiner les politiques du premier ministre Moe. Autrement dit, le recours à cette disposition prime maintenant sur l'un des rares mécanismes de contrôle des gouvernements. Il devient donc impossible d'avoir des discussions nuancées nécessitant l'apport de spécialistes de l'intérêt supérieur des enfants et des familles. On frappe à l'aveuglette, on donne des coups de masse et l'on se sert de slogans pour forcer l'adoption de mesures législatives et de politiques qui restreignent la liberté des enfants trans et de leurs familles.
    Je pense quotidiennement à l'enfant qui n'a pas la chance d'être en sécurité chez soi et qui ne peut plus être soi-même à l'école à cause d'un gouvernement qui prétend se soucier du bien-être des familles, alors qu'en réalité, il soutient un lobby anti-2ELGBTQI qui cherche à m'enlever mes droits et à forcer ma communauté à se cacher à nouveau dans le placard.
    Merci.
    Puisque la question porte sur les effets, je vais y répondre en deux temps: je vais d'abord parler des effets du projet de loi 21; j'aborderai ensuite la disposition de dérogation.
    Pour replacer la question dans son contexte, je vous rappelle qu'une loi empêche les personnes musulmanes, juives et sikhes portant des symboles religieux d'enseigner au Québec. C'est la loi. Les effets de cette loi ont été expliqués au tribunal ainsi que dans une étude réalisée après notre comparution au tribunal. Selon un rapport, au Québec, une musulmane sur cinq a subi de la violence ou des menaces physiques au travail. De plus, 54 % des musulmanes québécoises ont entendu leurs collègues de travail faire des remarques racistes ou préjudiciables sur leur identité religieuse, comparativement à 9 % pour la population générale.
    De nombreux témoins ont parlé au tribunal des préjudices qu'ils subissaient. Des candidates à l'enseignement, pour la plupart musulmanes, ont perdu leur emploi et leur vocation, et les plans d'un aspirant procureur de la Couronne ont été contrecarrés. Je connais personnellement des gens qui ont été touchés par le projet de loi. Des personnes ont exprimé des inquiétudes concernant leur sécurité financière et des craintes pour l'avenir de leurs enfants. Beaucoup de musulmanes ont parlé de l'augmentation des incidents de harcèlement verbal et physique à leur endroit dans les espaces publics. Une femme appelée à la barre, envahie par les émotions, a décrit en pleurant ce que c'est que d'être exclue d'une société qu'elle considérait auparavant comme un modèle d'acceptation. Voilà les effets du projet de loi 21.
    En ce qui concerne les effets de la disposition de dérogation, aujourd'hui, on voit clairement à quel point les autres provinces sont prêtes à y avoir recours ou à menacer d'y avoir recours pour forcer l'adoption de mesures législatives populistes. Cette façon d'exercer ce pouvoir menace les fondements de nos droits; elle réduit nos droits fondamentaux et inaliénables à de simples permissions pouvant être accordées ou refusées sur un coup de tête. Voilà les effets de cette disposition.
    Je vais m'arrêter là.
(1650)
    Beaucoup de travail a été fait sur le racisme à l'égard des Palestiniens et sur la relation avec les discours haineux et la contestation des normes.
    Madame Al‑Azem, vous avez abordé ce sujet dans votre déclaration; vous avez parlé des gens qui ont été congédiés pour cette raison.
    Pouvez-vous nous donner d'autres exemples? Quels risques ont résulté de cette situation au cours de la dernière année? Pouvez-vous nous parler aussi de la répression des Palestiniens?
    Certainement. Je vous remercie pour la question.
    De nombreux témoins, dont le Dr Yipeng Ge, ont présenté au Comité des exemples de première main de ce que nous appelons la répression des Palestiniens.
    Dans le rôle que j'occupe au CNMC, j'entends les témoignages de Canadiens musulmans et d'autres Canadiens partout au pays. J'ai vu des exemples de répression des Palestiniens, tels que des interventions policières disproportionnées durant des manifestations, y compris l'emploi de force physique contre des femmes enceintes qui ne faisaient qu'exercer leur droit de participer de manière pacifique à une manifestation. J'ai aussi vu des exemples de censure de contenu palestinien en ligne, comme l'invisibilisation de contenu ou d'autres formes de répression en ligne. J'ai même vu des gens perdre leur emploi, comme vous l'avez dit, et leurs moyens de subsistance soit parce qu'ils sont Palestiniens, soit parce qu'ils se sont prononcés en faveur de la Palestine.
    Des gens ont perdu leur emploi simplement parce qu'ils avaient cité les Écritures ou parce qu'ils s'étaient exprimés en arabe. Je vous parle de vraies situations qui se sont produites au Canada. C'est ce qui se passe sur le terrain. Des avocats ont soutenu publiquement que des étudiants ne devraient pas être engagés. Des étudiants ont été forcés à signer des lettres d'attestation pour se distancier de mouvements étudiants.
    Plus tôt cette année, la Cour supérieure de justice a déclaré que les craintes liées à l'émergence d'une nouvelle forme de maccarthysme ne sont pas sans fondements. Cette réalité a de sérieuses répercussions sur le principe de la liberté d'expression et sur les gens qui jouissent de cette liberté.
    Tout cela est lié à une plus grande...
    Merci. Pouvons-nous nous arrêter là, s'il vous plaît?
    Oui.
    Merci, madame Mathyssen.
    Pour la deuxième série de questions, les interventions sont de cinq minutes.
    Nous allons commencer par M. Kurek, du Parti conservateur.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Père de Souza, je vous remercie pour votre témoignage. Je sais que vous avez beaucoup écrit sur une vaste gamme d'enjeux.
    J'aimerais savoir comment on peut veiller, selon vous, à ce que la population canadienne puisse continuer à avoir de solides dialogues, débats et discussions sur la place publique. Comment peut‑on faire en sorte d'accepter parfois simplement de ne pas être d'accord? À mon avis, c'est là un des éléments fondamentaux d'une société démocratique libre.
    Qu'en pensez-vous?
    Dans certaines parties de notre culture commune, ce n'est pas inhabituel, comme dans les journaux et sur les ondes. D'autres témoins en ont parlé. En ligne, presque tout le monde peut dire n'importe quoi. Il y a très peu de restrictions, quoique des préoccupations aient été soulevées à ce sujet dans des mesures législatives.
    Dans certains secteurs de notre culture commune et de notre vie commune, cette liberté s'amenuise. Deux professeurs ont parlé de l'environnement sur les campus. Il y a les organismes professionnels dont j'ai parlé. Il y a aussi d'autres endroits où la liberté d'expression est menacée, voire restreinte.
    Tout dépend de la partie de la culture dont il est question. Pour ma part, je suis chroniqueur d'un journal et je n'ai aucun problème. Je peux écrire tout ce que je veux, sans devoir surmonter d'obstacles. Toutefois, ailleurs au pays et pour d'autres professionnels — comme des enseignants, des professeurs à l'université, des professionnels de la santé et d'autres —, il y a des problèmes.
    Par ailleurs, certains sentent de la pression ou de l'hésitation. Selon l'enjeu, il peut s'agir plutôt d'une question culturelle, sans rapport avec la loi.
    Y a‑t‑il des préoccupations? À mon avis, oui, mais elles ne sont pas généralisées. Nous n'avons pas à craindre que la liberté de la presse disparaisse au Canada, mais dans des secteurs importants de notre vie commune, notamment dans des milieux professionnels, la liberté est restreinte.
(1655)
    Je vous remercie pour votre réponse.
    En votre qualité de membre du clergé, vous vous trouvez dans cette situation. Une grande partie de votre vie publique et des opinions que vous exprimez reposent sur votre foi.
    Vous avez mentionné la hiérarchie dans la Charte: la liberté de conscience et de religion précède la liberté d'expression.
    Pouvez-vous nous en dire plus sur l'importance de veiller à ce que, lorsqu'il est question des libertés au Canada, on n'oublie pas de tenir compte de la liberté de conscience et de religion et de son incidence sur la liberté d'expression, non seulement pour les législateurs comme nous, mais aussi pour tous les Canadiens qui participent à la discussion?
    La Charte comprend une liste. On aurait pu l'écrire autrement, mais c'est la formulation qui a été choisie: la liberté de conscience et de religion vient en premier. Comme M. Le Blanc l'a dit, les idées sont souvent inspirées de la conscience et de la religion, et elles sont ensuite exprimées sous la forme de pensées, de croyances, etc. Or si l'on ne protège pas le for intérieur, c'est très difficile de protéger l'expression extérieure. Ce n'est donc pas par hasard que la liberté de conscience et de religion est nommée en premier. Elle n'est pas facultative. Il y a une hiérarchie. Ce sont toutes des libertés fondamentales, mais elles ont été inscrites dans cet ordre pour une raison.
    En ce qui concerne notre vie publique et commune, les personnes croyantes ne devraient pas avoir l'impression que parce que leurs opinions sur un enjeu public donné reposent sur leur foi, elles sont secondaires ou moins valables que les opinions fondées sur une idéologie laïque. Normalement, ce n'est pas un problème sur le plan juridique. Toutefois, il arrive souvent, même dans les débats publics, que les arguments fondés sur la conscience et la religion soient considérés comme ayant moins de valeur que les arguments profanes.
    Merci.
    J'ai une brève question. Je pense qu'il me reste environ 30 secondes.
    Lorsqu'il est question de foi, des pasteurs, des prêtres et d'autres dirigeants religieux me disent qu'ils craignent que certains membres de la société croient que les gens sont libres de dire tout ce qu'ils veulent à l'intérieur de leur lieu de culte, mais qu'ils ne devraient pas exprimer leurs opinions à l'extérieur de cette enceinte.
    Est‑ce le sens de la Charte?
    Non, ce n'est pas le sens de la Charte. Ce serait comme dire que vous pouvez croire ce que vous voulez quand vous êtes dans une salle de classe, chez le barbier, dans un bar, dans une taverne ou chez vous, mais que vous ne pouvez pas exprimer vos opinions en public. Personne ne dit cela. Il ne devrait pas y avoir une catégorie spéciale qui interdit d'exprimer ce que l'on pense au temple, à l'église ou à la mosquée. Ce n'est pas le sens de la liberté de conscience ou de religion ni de la liberté d'expression.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Je ne sais pas qui prendra maintenant la parole pour le Parti libéral.
    Je pense que c'est M. Noormohamed, mais corrigez-moi si j'ai tort.
    Vous avez raison, madame la présidente. Merci.
    J'ai été frappé par plusieurs commentaires faits aujourd'hui sur l'importance de la liberté d'expression, particulièrement en ce qui concerne les questions de foi.
    Madame Al‑Azem, vous n'avez pas parlé de l'effet négatif que l'interdiction du niqab proposée par les conservateurs il n'y a pas longtemps a eu sur la liberté d'expression des musulmanes. J'aimerais vous entendre là‑dessus.
    Pouvez-vous nous donner votre avis sur la pertinence d'une telle interdiction et sur son incidence sur la liberté d'expression à l'échelle nationale?
    Certainement. Je vous remercie pour la question.
    Elle nous ramène à ce qu'on vient d'entendre sur la liberté de conscience, qui vient en premier. Il y a d'abord les pensées intérieures, qui se manifestent au moyen de la liberté d'expression. C'est ce qu'a constaté un tribunal québécois au sujet du projet de loi 21: il viole non seulement la liberté de religion, mais aussi la liberté d'expression.
    Le CNMC a de fortes convictions par rapport à toute mesure législative qui empêche les musulmanes ou d'autres personnes d'exprimer leur identité religieuse lorsqu'elles participent à la vie publique. Nous nous opposons aux mesures de la sorte, particulièrement au sein d'une démocratie bien fondée, où toute personne a le droit de participer pleinement à tous les aspects de la vie publique.
    À ce sujet, je souligne que le CNMC a appuyé avec succès la contestation de la mesure législative en question. C'était en 2015. Si une telle mesure était présentée à nouveau, nous la contesterions certainement, car à nos yeux, il s'agit d'une violation fondamentale. Nous avons eu de nombreuses discussions avec le gouvernement conservateur qui l'a présentée à l'époque.
    Nous avons également eu des discussions avec des députés conservateurs qui ont changé d'avis depuis, d'après ce que je comprends. Cela nous rassure. Nous continuerons volontiers de travailler avec les députés de tous les partis pour veiller à ce que tout le monde puisse être soi-même dans toutes les sphères de la vie publique.
(1700)
    Merci.
    Père de Souza, croyez-vous aussi qu'il serait malavisé de prendre une mesure comme interdire le niqab?
    Vous voulez parler de la loi 21, au Québec. Cette loi ne renferme pas, à mon avis, de restrictions légitimes des libertés religieuses. Elle ne vise pas principalement, comme un témoin l'a mentionné, les musulmans, les juifs et les sikhs. Elle s'applique en fait à tout le monde. Les chrétiens portent des symboles moins apparents, mais la loi s'applique à tous. Par exemple, au cours des dernières années, le service de police de Montréal a interdit à ses membres sans doute catholiques de porter la croix de saint Michel ou quelque chose du genre.
     Je suis d'avis qu'il faut trouver des accommodements pour le port des signes religieux. Il faudrait peut-être imposer des limites dans certaines circonstances, mais ce serait difficile à déterminer. Je ne prône certainement pas une interdiction générale. En ce qui concerne les contraintes visant le port de vêtements religieux, je suis contre.
     Je vais revenir à Mme Al‑Azem une seconde.
     Une idée de plus en plus répandue depuis que la guerre entre Gaza et Israël fait rage est la primauté de la liberté d'expression, peu importe la prise de position par rapport au conflit. Il y a aussi la nécessité de mieux définir ce que sont des propos raisonnables et des réactions raisonnables à la tragédie et à l'horreur qui se déroulent sous nos yeux.
     Que pensez-vous des restrictions imposées à la liberté d'expression?
    Je suis désolée. Pourriez-vous reformuler la question? Parlez-vous de la liberté d'expression lors des manifestations?
     Que ce soit dans le milieu de travail, dans les manifestations pacifiques — pour éviter les amalgames que certains font, je souligne que je rejette toute forme de violence —, dans les prises de position, dans les conversations... En passant, la conjecture touche également les membres de la communauté juive, qui ont peur de dire qui ils sont, et assurément les membres de la communauté musulmane et d'autres qui ont défendu publiquement la cause palestinienne.
     Comment naviguer dans tout cela vu le climat explosif? Comment gérer les points de vue adverses?
    Cela nous amène au cœur de la question soulevée au cours de la réunion d'aujourd'hui et au cours de certaines réunions précédentes. Il faut maîtriser l'art de gérer les désaccords et d'échanger avec autrui. Il existe un cadre juridique qui établit les limites au‑delà desquelles la société considère qu'un discours est criminel, qu'il incite à la haine ou qu'il doit être réglementé.
    La plupart des gens comprennent que des discours peuvent être, par exemple, blessants, mais pas nécessairement haineux. Certains discours peuvent colporter un message odieux tout en étant licites. C'est quelque chose...
    Madame Al‑Azem, je vous demanderais de conclure s'il vous plaît.
    D'accord.
    Je voulais dire qu'il nous fallait un leadership responsable.
     Merci.
    Merci.
    Qui est le prochain intervenant? Ma liste change constamment.
    Monsieur Champoux, vous avez la parole.

[Français]

     Vous avez la parole pour deux minutes et demie.
(1705)
    Merci, madame la présidente.
    Monsieur Le Blanc, je vous ai vu réagir tantôt quand on a parlé de la loi 21. Il y a beaucoup de mésinformation et de propagande qui est véhiculée concernant la Loi sur la laïcité de l'État, au Québec. Cela m'amène à m'interroger puisque vous avez parlé vous-même de liberté de conscience. Tantôt, le père de Souza a aussi parlé du fait que cette mesure législative s'applique uniformément à toutes les religions. Il y en a qui ont des signes ostentatoires plus apparents que d'autres, et leurs adeptes se sentent davantage concernés.
    Pourriez-vous me dire si, justement, la liberté de conscience peut ou doit avoir préséance sur les valeurs d'une société, des lois votées démocratiquement? J'aimerais avoir votre point de vue là-dessus parce que toutes les niaiseries possibles ont été dites, au fil des derniers mois et des dernières années au sujet de cette loi.
     Je crois qu'on doit se réjouir de l'ample usage qui est fait dans ce comité de la liberté d'expression. Je vais vous dire deux choses, rapidement.
    Je reviens d'abord sur la disposition de dérogation. J'aimerais tout de suite vous dire qu'il n'y a pas de disposition de dérogation en Arabie saoudite, en Iran ou en Chine. Savez-vous pourquoi? C'est parce que ce sont des dictatures. Nous avons au Canada une disposition de dérogation parce que nous sommes dans une démocratie. On ne va donc pas commencer à dire que la disposition de dérogation est mauvaise en soi. On peut discuter de son usage, mais, en soi, elle n'est pas mauvaise.
    En réponse à votre question sur la loi 21 du Québec, la Loi sur la laïcité de l'État, personnellement, ayant eu une formation chrétienne, étant fils des Jésuites, j'estime que la conscience est fondamentale. C'est un endroit inviolable. Cependant, nous vivons en société et il faut savoir où l'on se trouve. Je reviens d'un mois d'enseignement en Pologne, où je me suis en quelque sorte plié aux usages et aux tabous culturels qu'on trouve là-bas. Dans une société, lorsqu'il y a un vaste consensus démocratique, la chose que l'on doit faire, c'est de se plier à ce consensus démocratique si l'on est un démocrate. Si l'on n'est pas démocrate, c'est une autre histoire. Toutefois, si on l'est, on doit se plier au consensus démocratique, et ce n'est pas tout dans une démocratie qui fait notre affaire. C'est cependant ça, le jeu de la démocratie.
    Pour ce qui est de la loi 21, je pense que c'est une concession à faire. Ce n'est pas vrai que des personnes sont congédiées parce qu'elles ont porté le hijab. Celles qui avaient déjà un hijab dans les écoles avaient une clause de droits acquis, et pouvaient continuer à le porter. De plus, ce n'est limité qu'à des catégories très spécifiques d'employés qui représentent l'État. Pour le reste des employés, il n'y a pas de problème.
    Me reste-t-il deux minutes, madame la présidente?

[Traduction]

     Vous avez dépassé votre temps, monsieur Champoux. Merci beaucoup.
    Je cède la parole à Mme Mathyssen.
    Merci, madame la présidente.
    Madame Johnstone, je n'ai pas beaucoup de temps, mais j'aimerais vous poser deux questions.
    Pensez-vous que les lois canadiennes sur les discours haineux sont adéquates? Il y a environ sept ans, des motifs de protection au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne ont été ajoutés aux lois sur l'identité et l'expression de genre. Ces dispositions établissent que l'identité et l'expression de genre ne sont plus des motifs légaux de discrimination. Pensez-vous que l'imposition de limites à la capacité de diffuser des discours haineux a amélioré le respect des droits des membres de votre communauté?
    L'adoption du projet de loi C‑16 a été un événement formidable qui a été extrêmement bien accueilli par les membres de la communauté queer et trans au pays. Nous avons constaté des améliorations concernant l'acceptation, l'inclusion et l'équité depuis sa mise en œuvre.
    Quant aux discours haineux, je ne suis pas avocate et je ne prétends pas posséder l'expertise pour déterminer ce qui constitue ou non un discours haineux. Je souligne par contre que des discours dangereux circulent dans les sphères sociales et politiques et que ces discours se normalisent de plus en plus. Ces messages sont plus faciles à gérer lorsqu'ils sont proférés par un politicien, une personnalité publique ou une figure de proue de l'extrême droite. Il est plus difficile de les contrôler lorsqu'ils instaurent une culture qui normalise la haine et qui met en place un environnement toxique pour certains membres de certaines communautés.
    Pour contrer ce phénomène, les politiciens et les chefs de partis politiques doivent exercer un leadership moral en choisissant d'unir les Canadiens et de protéger les droits fondamentaux et en reconnaissant que le problème ne touche pas seulement une communauté. Je témoigne aujourd'hui pour soutenir les droits des personnes trans et queer, mais je suis aussi profondément convaincue que ceux qui respectent et humanisent leurs voisins — notamment si ces derniers ont une vie et une famille différentes des leurs — font du Canada un meilleur endroit où vivre. Voilà l'enjeu fondamental.
    Les lois sur les discours haineux pourraient, certes, être renforcées, mais ce dont nous avons besoin en ce moment, c'est du leadership moral des élus au Parlement.
(1710)
    Les commentaires de deux témoins sur la loi 21 n'étaient pas tout à fait clairs.
    Madame Al‑Azem, lorsque vous avez parlé de la mise à pied de femmes qui portent le hidjab, vous contredisiez des commentaires formulés par un autre témoin. J'aimerais dissiper un peu la confusion. Pourriez-vous préciser vos propos?
    Merci beaucoup de me laisser clarifier les choses. Des commentaires ont été formulés selon lesquels les femmes qui portent le hidjab bénéficient de droits acquis, et que par conséquent, ce n'était pas un problème. Ce sont des affirmations trompeuses à mon avis.
    En fait, les femmes qui portent le hidjab profitent d'un droit acquis lié à leur poste seulement si elles ont été embauchées avant l'entrée en vigueur de la loi. Autrement dit, celles qui n'avaient pas déjà un poste ne peuvent plus intégrer le marché du travail et celles qui en occupaient un ne peuvent plus recevoir de promotion depuis l'adoption de la loi. Impossible pour elles désormais d'accepter des promotions ou des mutations latérales. Elles ne peuvent plus décider tout d'un coup d'accepter un poste qui correspond davantage à leurs compétences. La loi interdit toutes ces réorientations. Le seul droit qu'ont ces femmes est de conserver le poste qu'elles occupaient lorsque la loi a été adoptée.
    Les commentaires donnaient un éclairage un peu faux en dépeignant les choses comme une occasion à saisir. Concrètement, sur le terrain, la loi a une incidence sur les aspirations professionnelles et l'exercice des compétences des femmes musulmanes et d'autres minorités. Voilà pourquoi de nombreux membres de minorités ont commencé à quitter le Québec pour au moins assurer la sécurité économique de leur famille et de leurs enfants.
    Merci de m'avoir donné l'occasion d'apporter des précisions sur les droits acquis.
     Merci.
    Nous amorçons la prochaine série de questions avec M. Damien Kurek, des conservateurs.
    Monsieur Kurek, vous avez cinq minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je me réjouis de cette occasion que nous avons de tenir une discussion d'une aussi vaste portée. Nous avons aujourd'hui un bon indice de l'état de la liberté d'expression au Canada, puisque nous voyons autour de la table des personnes aux points de vue divergents tenir une discussion civilisée sur des enjeux fondamentaux.
    Madame la présidente, je vais présenter une motion. Tout d'abord, je fais suite à la discussion que nous avons eue à la réunion du Comité cet avant-midi sur la situation de CBC et le fait que l'organisation ait versé au cours du dernier exercice plus de 18 millions de dollars en primes aux membres de la haute direction, aux gestionnaires et à d'autres employés. Je n'en revenais pas de l'attitude des témoins cet avant-midi, qui n'ont exprimé aucun regret et proposé aucune autre avenue qui tiendrait compte des problèmes soulevés.
    Sur ce, j'espère que nous pourrons régler rapidement la question et nous entendre sur une déclaration claire concernant Mme Tait et les primes de rendement qu'elle pourrait obtenir en sus de l'indemnité de départ qui lui sera vraisemblablement versée. Je présente la motion dont j'ai donné avis le lundi 18 novembre. En voici le contenu:
Que le Comité rapporte à la Chambre qu'il demande au Bureau du Conseil privé du gouvernement libéral de ne pas approuver de primes, de rémunération au rendement ou d'indemnités de départ pour la présidente et directrice générale sortante de CBC/Radio‑Canada, Catherine Tait.
     Merci, madame la présidente.
    Monsieur Kurek, vous pouvez expliquer votre motion.
    Merci beaucoup.
    La motion a tout simplement pour objet de souligner que Mme Tait exclut encore aujourd'hui l'idée de renoncer à sa prime de rendement. Celle qui décrit comme une réussite son mandat au diffuseur national refuse d'assumer la responsabilité des nombreuses déficiences de l'organisation. Le Comité a l'occasion de déclarer aux Canadiens que cette utilisation éhontée des fonds publics est carrément inacceptable.
    En somme, la motion exprime l'évidence même: les échecs ne devraient pas être récompensés par des primes. Par conséquent, la motion ne fait que transmettre de manière explicite cette opinion à la Chambre.
    Merci.
(1715)
    Merci.
    Quelqu'un veut‑il intervenir sur la motion?
    Allez‑y, madame Gainey.
    Je me demandais si nous pouvions suspendre la séance un moment pour en discuter.
    Je vais suspendre la séance une minute pour vous permettre d'en discuter.
(1715)

(1715)
     Nous reprenons nos travaux.
    Y a‑t‑il des commentaires sur la motion?
    La parole est à vous, monsieur Noormohamed.
    Merci, madame la présidente.
    Peu importe votre opinion sur ce que Mme Tait a accompli ou non, je voudrais faire remarquer une ou deux choses. La fin du mandat de Mme Tait concorde avec les échéanciers des nominations. Elle n'aura pas d'indemnité de départ. Il faut inscrire ces faits au compte rendu.
     Nous avons entendu des témoins et nous avons discuté abondamment de l'importance de l'indépendance de CBC et de son conseil d'administration. Nous instaurerions un dangereux précédent en décrétant tout d'un coup que le Comité pourrait dicter les conditions de la rémunération et donner des directives au Bureau du Conseil privé sur le salaire des dirigeants d'une société d'État. Que nous aimions ou non le rendement de Mme Tait ou de CBC, peu importe le score que nous leur accordons, notre rôle de parlementaire n'est pas du tout de gérer le fonctionnement des sociétés d'État et leurs politiques de rémunération. Quelle que soit notre opinion, cet aspect ne relève pas de nous.
    Je suis d'accord avec l'objet de la motion de M. Kurek, mais je vais assurément voter contre en raison du très dangereux précédent qu'elle vise à instaurer en permettant aux comités parlementaires de déterminer et de dicter les politiques de rémunération des sociétés d'État.
    Merci, monsieur Noormohamed.
    Quelqu'un d'autre souhaite‑t‑il débattre de la motion?
     Monsieur Coteau, la parole est à vous.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
     Je suis d'accord avec mon collègue. Au Comité, nous voulons tous que la PDG renonce à sa prime de rendement. Nous avons reçu Mme Tait pendant cinq réunions. J'ai exprimé mes préoccupations à propos du manque de considération envers les Canadiens que sous-tend la mise en place d'une structure qui récompense le rendement pendant qu'une partie de la population a du mal à joindre les deux bouts. Notre position est sans équivoque, mais de proposer que le Comité intervienne à l'égard des primes de rendement à CBC me semble malavisé en raison de la voie dans laquelle nous nous engagerions à long terme, qui inciterait le politique à s'immiscer dans les domaines qui relèvent hors de tout doute du rôle de la fonction publique et du ministre responsable.
    Je vais voter contre la motion, mais je veux faire inscrire au compte rendu que CBC devrait selon moi revoir entièrement sa politique de rémunération sur les primes de rendement.
(1720)
    Merci.
    Puisque je ne vois aucune main levée, je vais demander le vote.
    (La motion est rejetée par 6 voix contre 5.)
     Nous allons mettre fin à la réunion à 17 h 35 parce que nous avons commencé en retard.
    La parole est à vous, monsieur Champoux.

[Français]

     Madame la présidente, comme nous avons passé facilement 10 ou 15 minutes à discuter de la motion de M. Kurek à huis clos avant de commencer la réunion avec les témoins, je voudrais que nous nous assurions de disposer de deux heures complètes avec ceux-ci. Avons-nous les ressources nécessaires pour prolonger la réunion, et est-ce que tout le monde est d'accord?

[Traduction]

    Il faut vérifier si nous avons les ressources.

[Français]

    Oui, tout à fait.

[Traduction]

    J'allais proposer une dernière série de questions de deux minutes, ce qui nous amènerait à 17 h 35, mais nous allons vérifier.
     Madame la présidente, je ne veux pas prolonger la réunion.
    Merci de vos observations, monsieur Coteau.
    Je vais demander si nous avons le temps, mais advenant une réponse négative, j'aimerais passer à une série de questions de deux minutes.
    Nous amorcerions la période de questions avec... Qui commencerait? Les conservateurs...
    Comme M. Kurek vient de s'exprimer, je cède la parole à M. Noormohamed.
     Madame la présidente, je veux bien prendre le flambeau. M. Kurek vient d'avoir une plage complète de cinq minutes.
    Je vais vous donner vos cinq minutes. Nous passerons ensuite à la série de questions de deux minutes et demie.
    Merci, madame la présidente.
    Je vais d'abord revenir à vous, madame Johnstone, parce que vous pouvez apporter des perspectives intéressantes que nous n'avons pas encore entendues dans la conversation.
    Une des choses qui me troublent est la tendance soutenue au Parti conservateur de voter contre les droits des Canadiens de la communauté 2ELGBTQI+. Prenons les votes contre les thérapies de conversion ou ce candidat aux élections partielles de la circonscription Cloverdale—Langley City qui parle de « guérir les homosexuels. » Ils véhiculent également des clichés comme cette idée énoncée pendant la convention du parti en 2023 selon laquelle les personnes trans souffriraient de troubles mentaux. Ces locuteurs se prévalent de leur droit à la liberté d'expression, mais leurs propos ont une incidence profondément délétère sur la communauté LGBT.
    Pourriez-vous nous parler de ce que vous avez observé dans le cadre de votre travail concernant les politiciens qui se présentent comme candidats à des élections et qui tiennent des discours comme celui‑là? Quel message cela envoie‑t‑il?
(1725)
    Absolument.
    J'ai été déçue de voir la trajectoire suivie par le Parti conservateur du Canada au cours des dernières années.
    Je me souviens du temps où Michelle Rempel Garner, je crois, et la cheffe adjointe, Melissa Lantsman, proposaient toutes les deux de faire entrer le Parti conservateur dans le XXIe siècle et de balayer cet héritage d'homophobie et de transphobie, et je suis nostalgique de cette époque.
    Je me souviens d'avoir vu cette évolution lorsque l'opposition à l'égalité d'accès au mariage a été retirée du manuel stratégique du Parti conservateur. C'est avec effroi que nous avons pu voir, lors de leur dernier congrès, deux politiques anti-trans être adoptées avec un soutien massif, et ce, sans qu'aucun député conservateur ne s'y oppose. En outre, nous n'avons vu aucun conservateur dénoncer la décision de la première ministre Smith de refuser l'accès aux soins de santé aux enfants trans et à leur famille, alors que son gouvernement se place littéralement entre les parents et les soins de santé dont leurs enfants ont besoin.
    L'impact, comme vous le savez, c'est que les gens vivent dans la peur, victimes d'un renforcement de la stigmatisation et de la honte. De nombreuses générations de personnes queers et transgenres ont grandi dans des écoles et des collectivités qui nous ont appris à nous haïr nous-mêmes. Ce n'est qu'au cours de la dernière décennie que nous avons pu constater un changement à cet égard, mais la période de ressac que nous vivons maintenant a pour effet de recréer ce climat de stigmatisation et d'hostilité. Je ne peux m'empêcher de penser à cette maman albertaine qui pourrait devoir quitter sa province pour que son enfant ait accès à des soins de santé. Je ne peux m'empêcher non plus de penser à ce jeune de la Saskatchewan qui veut simplement être lui-même ou elle-même et qui entend un autre élève dans la cour d'école reprendre à son compte le discours de son premier ministre pour le prendre à partie et l'intimider.
    J'espère que le Parti conservateur finira par arriver en 2024 et qu'il cessera de s'en prendre à ma communauté, qui veut simplement être elle-même, contribuer à la société et faire du Canada un pays où la liberté inclut tout le monde.
    Vous parlez de liberté, et j'aimerais savoir ce que vous pensez d'une chose que je n'ai jamais vraiment comprise. Pourquoi les conservateurs s'en font‑ils autant avec les pronoms?
    J'aimerais bien le savoir moi aussi.
    Souvent, on cherche à simplifier à outrance. Honnêtement, je ne comprends pas très bien pourquoi. Au bout du compte, c'est une question fondamentale de dignité et de respect. J'aime plaisanter en parlant de ma partenaire trans. Je me suis emmêlée avec ses pronoms, mais nous nous sommes quand même mariées. La Terre n'a pas arrêté de tourner. Les gens font des erreurs, mais ce qui se passe en ce moment, c'est qu'ils essaient de faire ressortir ces questions comme autant de pommes de discorde. Ils tentent de s'en servir pour propager la peur et créer l'illusion que nous avons des idées derrière la tête.
    Mon objectif est le même que celui que les personnes homosexuelles et transgenres mettent de l'avant depuis des générations: nous voulons une société où l'on cessera de faire preuve de discrimination à notre égard et au sein de laquelle nous ne serons plus désavantagés sur le plan socioéconomique.
    Il n'y a rien de radical dans ce programme. Il s'agit simplement de concrétiser ce rêve d'un Canada capable de bien intégrer un nouveau groupe de Canadiens.
    Je dirais qu'il ne s'agit pas de savoir si c'est nouveau ou ancien. Je pense que si nous sommes tous égaux et que nous avons tous le droit d'être qui nous sommes, certaines personnes ont le droit de demeurer ignorantes. Certaines personnes ont le droit de faire ce qu'elles veulent.
    Je suppose qu'en fin de compte, la question — et je sais qu'il y a des gens très bien au sein de ce comité, tous partis confondus, et j'aime bien travailler avec eux — est plutôt simple. Que leur diriez-vous pour qu'ils puissent faire le message à la direction de leur parti et aux membres de leur parti qui adoptent de plus en plus des positions qui sont certainement anti-trans?
    Comme vous le savez trop bien, c'est une communauté qui est une cible facile pour l'intimidation. C'est un groupe restreint. Vous avez toujours fait partie d'une communauté qui ne jouissait pas des mêmes protections et libertés que les autres Canadiens. Que leur diriez-vous? Que leur diriez-vous au nom des enfants, des adultes, des membres de la communauté transgenre qui veulent simplement qu'on les laisse tranquilles?
    Je leur dirais de parler avec nous, plutôt que d'essayer de couvrir notre voix. Je leur dirais qu'il faut écouter la voix des personnes trans pour bien comprendre ce qui est en jeu.
    Il y a beaucoup de conservateurs qui sont réticents à l'égard de cette orientation que prend leur parti, et je pense qu'ils sont nombreux à ne pas comprendre ce qui se passe vraiment.
    Il y a un puissant lobby anti-LGBT qui est lié à un tout aussi puissant lobby anti-choix. On essaie d'utiliser les personnes trans comme boucs émissaires pour perturber l'accès aux soins de santé génésique, pour légitimer un gouvernement qui se place, encore une fois, entre les jeunes, les familles ou les Canadiens ordinaires et ces soins de santé que les socioconservateurs désapprouvent carrément.
    Ils utilisent les personnes trans et la rhétorique anti-trans pour normaliser la dérogation aux droits des Canadiens protégés par la Charte. On cible ainsi effectivement les personnes queers et transgenres, mais aussi les travailleurs, les Canadiens racisés et les personnes de diverses confessions.
    J'espère que les gens comprennent bien ce qui est en jeu ici. Il s'agit bel et bien en l'espèce d'équité et de respect des droits pour ma communauté, mais si l'on permet qu'une communauté soit ainsi bafouée dans un environnement pollué par les discours haineux, ce sont les droits de tout le monde qui en souffrent.
(1730)
    J'aimerais profiter de la minute qu'il me reste pour revenir à Mme Al‑Azem.
    Vous venez d'entendre...
    Monsieur Noormohamed, il ne vous reste malheureusement plus de temps. Vous en êtes déjà à cinq minutes. Je suis désolée.
    Je donne la parole à M. Champoux pour une période de deux minutes et demie.

[Français]

     Professeur Bernadet, on a parlé tantôt de la crainte des dirigeants et des professeurs d'université, qui ne se sentent pas appuyés adéquatement lorsque des étudiants trop sensibles sentent qu'ils ont le droit de protester contre les choses qui heurtent leurs valeurs.
    Tout à l'heure, vous avez dit quelque chose qui m'a beaucoup interpellé à propos de créations artistiques — SLĀV et Kanata, notamment — qui ont fait l'objet de pressions populaires ayant mené à l'annulation des représentations. Vous avez dit que ce n'étaient pas les militants, mais bien les organisateurs qui avaient tout annulé. Vous n'avez pas tort, c'est effectivement eux qui ont pris la décision de ne pas présenter les spectacles en question.
    N'assiste-t-on pas au même phénomène lorsque des artistes se censurent pour éviter de faire face, justement, à cette pression populaire grandissante de gens qui protestent contre tout et rien en fonction de leurs convictions personnelles et de leur hypersensibilité? N'éprouve-t-on pas, dans le milieu artistique, le même problème que celui que vous vivez, particulièrement, dans le milieu universitaire?
    Je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps, mais je trouve l'enjeu extrêmement important. Pouvez-vous nous fournir plus de détails sur ce sujet?
    C'est une question difficile, car on ne parle pas des mêmes milieux, évidemment.
    Ce à quoi on assiste dans le domaine artistique, c'est peut-être une forme de moralisation ou de politisation de l'art. Cependant, cela n'est pas nouveau. Ce sont des mouvements tout à fait normaux. C'est un type d'esthétique possible.
    S'il existe un lieu où se retrouve la liberté d'expression, c'est bien celui de la création. Je pense que c'est là où elle se retrouve dans sa forme maximale.
    À l'inverse, on constate aussi des difficultés de l'autre côté, c'est-à-dire des craintes par rapport à des formes d'expression littéraire ou artistique qui peuvent être transphobes ou pédophiles, par exemple. Certaines questions se posent donc dans ce domaine. On n'a plus le même regard qu'on avait sur les textes il y a 20 ou 30 ans. De ce point de vue, on observe une mutation, et cela me paraît normal.
    Cela étant dit, la question relève encore une fois des échanges, par exemple, sur des textes d'inspiration pédophile. Il faut alors se demander si on est du côté de la haine, de celui de l'incitation à ce genre de choses, ce qui pourrait légitimer des poursuites ou des contestations.

[Traduction]

    Il vous reste huit secondes.

[Français]

    Je pense qu'on peut difficilement mettre les choses sur le même plan, y compris la question de ce qu'on appelle les lecteurs sensibles.
     Merci beaucoup, professeur Bernadet.

[Traduction]

    Madame Mathyssen, vous avez deux minutes et demie.
    Merci, madame la présidente.
    Madame Johnstone, vous en avez parlé et beaucoup d'autres en ont traité de différentes manières. Il s'agit du leadership exercé par certains politiciens, et de cet exercice de funambule sur la fine ligne qui sépare le discours haineux et la liberté d'expression, avec l'utilisation de certains termes, la façon dont cela est adopté et le recours, par certains groupes haineux d'extrême droite, à des messages sous-jacents... Ce n'est pas nécessairement manifeste, mais c'est ce qui est véhiculé, et les personnes concernées savent exactement de quoi il est question.
    Pouvez-vous nous parler des répercussions de tout cela et de ce que vous avez été à même de constater dans ce contexte? C'est chose courante dans les médias sociaux. Nous voyons nous-mêmes comment nous pouvons être ainsi ciblés dans notre rôle de politiciens, mais comment devrions-nous, compte tenu du mandat qui nous est confié, lutter contre cela également?
    Souvent, on emploie un langage simple parce qu'il trouve un écho auprès du public et que c'est plus facile ainsi. On peut notamment utiliser un terme comme « droits parentaux ». Cela crée un environnement où il est considéré par le fait même que nous nous opposons donc aux droits parentaux, ce qui est loin d'être le cas.
    Cela enlève toute nuance à la conversation,en nous plaçant dans une situation nettement tranchée qui nous oblige à choisir entre nous et eux. C'est ce qui est vraiment dangereux. Je pense que c'est ce qui contribue à cet environnement de polarisation, où la dignité des gens et les droits de la personne deviennent des enjeux politiques, alors qu'ils ne devraient être qu'une base de référence.
    Je pense que nous voyons des politiciens conservateurs, en particulier la première ministre Smith en Alberta, mais aussi M. Poilievre à l'échelon fédéral, utiliser ce langage parce qu'ils savent que le sens véritable de tout cela va échapper à bien des gens. Comme ils se sentent interpellés, ils vont dire: « Oui, bien sûr. Qui ne soutiendrait pas les droits des parents? » Cependant, le lobby anti-LGBTQ les entend tenir ce discours et se dit: « Oh, ce gars‑là est dans notre camp. Il va nous appuyer. » Ils vont alors frapper aux portes en s'attendant à ce que M. Poilievre donne suite à leurs requêtes et à leurs priorités.
    C'est là un plan d'action qui fait reculer mes droits et ma liberté en créant un Canada où les parents d'enfants LGBTQ doivent s'inquiéter de laisser leurs enfants monter dans l'autobus et se demander s'ils pourront se faire soigner et grandir en toute sécurité pour devenir des adultes en santé et épanouis.
(1735)
    En fin de compte, pourquoi veut‑on ainsi faire diversion?
    Cela nous éloigne des questions sur lesquelles la plupart des gens veulent que nos gouvernements agissent. Mes priorités au Canada pour le gouvernement fédéral sont en fait le logement, l'abordabilité et les soins de santé. Lorsque les politiciens ont du mal à répondre à ces questions et qu'ils n'ont pas de solutions aux grands problèmes auxquels les Canadiens sont confrontés, ils se tournent vers des politiques de division et des enjeux controversés parce qu'ils ne veulent pas répondre aux questions quant aux véritables solutions à mettre en oeuvre dans les dossiers prioritaires que les Canadiens voudraient que leur gouvernement puisse régler.
    Merci beaucoup, madame Johnstone.
    Nous passons maintenant à Mme Goodridge pour une période de deux minutes et demie.
    Merci à tous nos témoins d'être avec nous aujourd'hui.
    Comme j'ai très peu de temps, je vais aller droit au but.
    Père de Souza, croyez-vous que le gouvernement devrait censurer certains propos?
    De façon générale, non. Il y a évidemment certaines considérations liées à la sécurité nationale, et nous avons une jurisprudence assez complexe au Canada en ce qui concerne le discours haineux. D'autres témoins ont fait certaines distinctions, mais je pense qu'en général, on devrait éviter la censure. C'est d'ailleurs la raison d'être de l'alinéa 2b) de la Charte.

[Français]

     Monsieur Le Blanc, pensez-vous que le gouvernement devrait être en faveur ou en charge de la censure?
    Je pense que « censure » n'est pas le mot que vous voulez employer.
    Je suis de l'avis du père de Souza, mais j'ajouterais que, de toute façon, il y a des règles qui déterminent les discours haineux, ceux qui attaquent la dignité de la personne et ceux qui attaquent le concept d'égalité. Personnellement, je pense qu'on a déjà des outils pour ces choses-là. Dans une démocratie qui fonctionne, il faut favoriser les échanges et les débats les plus ouverts possible, pas seulement à l'université, mais partout.
    Croyez-vous que le gouvernement libéral va trop loin?
    Il faudrait peut-être poser la question au gouvernement libéral.

[Traduction]

    Père de Souza, pensez-vous que le gouvernement libéral est allé trop loin en censurant le discours ici au Canada?
    Le premier des trois exemples que j'ai donnés est un cas où, à mon avis, on a commis une erreur en restreignant la liberté d'expression.
    Le troisième exemple que j'ai mentionné est celui de la recommandation d'une instance mise sur pied par le gouvernement. Cette recommandation semble avoir été approuvée, mais on n'y a pas donné suite. Si c'était le cas, ce serait selon moi inapproprié.
    Je me réjouis vraiment de pouvoir ainsi bénéficier d'une diversité de perspectives. Nous avons entendu des gens ayant des points de vue différents, et pourtant, cela ne nous a pas empêchés d'échanger en toute civilité pendant la majeure partie de cette réunion. Il y a eu des commentaires un peu moins acceptables, mais je pense que cela montre simplement que nous n'avons pas besoin que le gouvernement fixe les règles à suivre et les limites à respecter quant à ce que les gens peuvent et ne peuvent pas dire. Cette tâche peut être confiée à différents mécanismes.
    Merci beaucoup.
    Je vais donner la parole à Mme Dhillon, du Parti libéral.
    Vous avez deux minutes et demie.
    Merci, madame la présidente.
    Je vais partager mon temps de parole avec M. Louis.
    Ma question s'adresse à M. Bardeesy.
    Vous nous avez indiqué que les Canadiens sont de plus en plus nombreux à réclamer que nous mettions en oeuvre la réglementation applicable aux préjudices en ligne en précisant que c'est aux diverses plateformes qu'il incombe de veiller à ce que personne ne soit lésé.
    Pouvez-vous nous parler très brièvement de ce projet de loi — parce que je veux laisser du temps à mon collègue pour sa question — et nous dire un mot de l'ingérence étrangère?
    Je sais que c'est un très vaste sujet, mais je vous demanderais une réponse aussi concise que possible.
(1740)
    Le projet de loi C‑63 prévoit le dépôt d'un plan de sécurité numérique par les grandes plateformes. Nous pensons que c'est une mesure appropriée qui les aidera à communiquer, dans une forme compréhensible pour tous, leur plan pour contrer une partie des préjudices en ligne.
    L'ingérence étrangère est un vaste problème qui menace certes la liberté d'expression au Canada. S'il y a de l'ingérence étrangère dans les élections et que les gens ont peur de se faire entendre au Canada, la situation est vraiment problématique.
    Merci.
    À vous la parole, monsieur Louis.
    Je vais poursuivre avec M. Bardeesy.
    Vous avez mentionné que vous revenez tout juste d'une conférence aux États-Unis. Quelles sont les responsabilités des entreprises de médias sociaux? Quelles mesures précises ces entreprises devraient-elles prendre pour prévenir les discours haineux sans porter atteinte à la liberté d'expression? Vous avez indiqué que les gens s'informent de plus en plus sur les médias sociaux. Nous contrôlons ce que nous écrivons sur les médias sociaux, mais nous ne contrôlons pas ce que nous y lisons.
    Oui. Pour ce faire, il faut notamment pouvoir compter sur de solides équipes de confiance et sécurité pour que l'apport humain puisse compléter celui des technologies utilisées pour aider à détecter le contenu inapproprié ou, dans le cas du Canada, le contenu qui irait à l'encontre de la loi proposée sur les préjudices en ligne.
    Les plateformes peuvent prendre de nombreuses mesures pour se montrer plus transparentes quant à la façon dont leurs algorithmes fonctionnent et pour aider les gens à façonner eux-mêmes ces algorithmes, plutôt que de simplement se faire dire: « Voici comment votre fil va fonctionner. »
    Certaines plateformes mettent actuellement à l'essai des mesures et des approches qui mettent davantage la capacité de gérer ce que l'on peut voir entre les mains de l'utilisateur, plutôt que de la confier à un algorithme ou à l'entreprise elle-même, et nous y voyons certes un progrès.
    Merci beaucoup. Nous en sommes rendus à la fin de notre réunion.
    Je remercie les témoins d'avoir été des nôtres aujourd'hui pour nous donner des réponses très intéressantes et articulées à nos questions, parce que rien n'est noir ou blanc, comme l'a dit Mme Johnstone. Tout cela est fort complexe.
    Merci beaucoup. Je vous remercie de votre patience pendant que nous votions.
    La séance est levée.
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