Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 18 septembre 2024, le Comité reprend son étude sur la protection de la liberté d'expression.
Tous les témoins ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion. J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins.
À titre personnel, nous accueillons M. Karim Bardeesy, directeur exécutif du Dais, à l'Université métropolitaine de Toronto; M. Arnaud Bernadet, professeur agrégé à l'Université McGill; le père Raymond J. de Souza; M. Charles Le Blanc, professeur titulaire au Département de philosophie de l'Université d'Ottawa. Du Conseil national des musulmans canadiens, nous accueillons Mme Nusaiba Al‑Azem, directrice des affaires juridiques. De Queer Momentum, nous accueillons Mme Fae Johnstone, directrice générale.
Certains témoins se joignent à nous par vidéoconférence. Nous avons deux témoins dans la salle: le père de Souza et M. Le Blanc.
Voici, brièvement, comment nous fonctionnons. Chaque personne dispose de cinq minutes. Si un groupe comprend plus d'une personne, cela reste cinq minutes pour le groupe. Je vous aviserai lorsqu'il vous restera 30 secondes, en disant littéralement « 30 secondes », puis vous devrez conclure. Si vous n'avez pas terminé votre propos, vous pourrez intégrer cela dans vos réponses aux questions des membres du Comité.
J'aimerais commencer par M. Karim Bardeesy, directeur exécutif du Dais, pour cinq minutes, s'il vous plaît.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie le Comité d'avoir entrepris cette importante étude.
Je m'appelle Karim Bardeesy. Je suis le directeur exécutif du Dais, un groupe de réflexion sur les politiques et le leadership de l'Université métropolitaine de Toronto qui examine les principaux moteurs numériques de la prospérité partagée et de la citoyenneté pour le Canada. Dans le cadre de cette discussion et durant le temps qui m'est imparti, je m'appuierai quelque peu sur les recherches en matière de politique et d'opinion effectuées dans cet espace depuis 2019 par le Dais et son prédécesseur, le Leadership Lab de l'Université Ryerson, devenue l'Université métropolitaine de Toronto.
Je crois comprendre qu'il y a un intérêt particulier pour certaines questions relatives à la liberté d'expression liées à des lois canadiennes actuelles dont le Parlement est actuellement saisi. Je vais en parler brièvement, en particulier la , dont le Parlement est saisi.
Nous savons que l'expression sur les plateformes en ligne est limitée par divers facteurs: la Charte, cette éventuelle mesure législative, possiblement, les activités des gens sur les plateformes, et les choix et les algorithmes des plateformes elles-mêmes.
Je reviens tout juste de Washington, où s'est tenu le Sommet sur l'avenir d'Internet, qui a été organisé par un certain nombre d'acteurs intéressés par cet espace. La technologie en évolution, qui permet aux plateformes existantes — en particulier les plateformes de médias sociaux existantes — de recourir davantage aux algorithmes et de choisir le contenu qui est présenté aux utilisateurs, est de plus en plus puissante. Cependant, je pense qu'il est primordial que le Comité se souvienne que la Charte demeure l'ultime rempart de la liberté d'expression et que la , même si elle vise explicitement divers ensembles de préjudices importants, respecte tout de même la Charte.
Vous savez probablement que la fait référence à sept catégories de préjudices, et comprend une exclusion pour les plateformes de messagerie privée. Nous sommes d'avis que les solutions proposées dans ce projet de loi sont généralement les bonnes: la présentation d'un plan de sécurité numérique et des dispositions permettant de supprimer du contenu pour les préjudices les plus flagrants.
Le Dais et les acteurs de la société civile qui suivent la question de très près estiment que la liberté d'expression peut très bien coexister avec ce projet de loi, et qu'il est important que le Canada cherche à régir l'espace en ligne de manière appropriée et ciblée, tout en respectant nos droits et libertés fondamentaux. Je tiens à souligner que la prise de mesures à cet égard jouit d'un appui fort et croissant dans l'opinion publique canadienne. Un sondage mené dans le cadre de nos recherches révèle que l'appui à une intervention législative pour lutter contre les hypertrucages atteint maintenant 68 %. Il s'agit d'un sondage que nous menons presque chaque année depuis 2019.
Les Canadiens qui sont préoccupés par ce qui se passe en ligne reconnaissent que... Quarante-six pour cent des Canadiens considèrent que ceux qui produisent du contenu en ligne sont les principaux responsables de ce contenu, et 49 % des Canadiens estiment que la responsabilité de régler le problème incombe aux plateformes elles-mêmes. De nombreux Canadiens croient que ceux qui produisent le contenu en ligne sont responsables du problème, et de nombreux Canadiens croient que ce sont les plateformes qui ont la responsabilité de le régler. Cela ne se fera pas tout seul. Cela repose sur le compromis, sur l'acceptabilité sociale qui lie ces plateformes et leurs utilisateurs et les pays où elles ont des activités, mais une mesure législative ciblée pourrait également avoir un rôle à cet égard. Au Dais, nos recherches nous portent à croire que la contribue adéquatement, de manière ciblée, à lutter contre les préjudices les plus odieux et à mettre en place un écosystème en ligne plus sain et plus sûr pour tous.
J'ai fait ma présentation en anglais, mais je serai heureux de répondre aux questions en anglais ou en français.
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Merci, madame la présidente.
Membres du Comité, je vous remercie de votre invitation.
Mon nom est Arnaud Bernadet et je suis professeur au département de littérature française de l'Université McGill. Je suis également membre de l'Observatoire sur la liberté d'expression. Ces dernières années, mes travaux, mes livres et mes articles ont porté sur la liberté d'expression et la liberté académique, l'état de la conversation démocratique aux prises avec les guerres culturelles, et la culture du bannissement.
Mon propos va être centré sur les libertés expressives dans le champ universitaire. D'une part, c'est en raison de la particularité de ce dernier, puisqu'il met en jeu deux types de libertés publiques, à savoir la liberté académique et la liberté d'expression, qui sont distinctes, certes, mais qui présentent aussi certaines zones d'intersection. D'autre part, c'est parce que l'université a été, au cours des 10 dernières années, un terrain d'expérimentation de ce qui se passe dans le restant de la société, c'est-à-dire un renouvellement, voire une radicalisation des guerres culturelles, des déboulonnages de statues en passant par les médias sociaux jusqu'au drame de l'Université de Waterloo, dont un cours sur les théories du genre a donné lieu, en juin 2023, à une agression à l'arme blanche.
Je comprends l'importance pour les membres du Parlement de considérer d'éventuelles balises législatives pour protéger la liberté d'expression. Au vu de mes travaux, il m'apparaît plutôt que ce qui se trouve fragilisé, c'est une culture de la contradiction sur laquelle est fondée la dynamique du débat, au profit d'une culture de la division. Souvent diabolisées, les pratiques d'annulation sont peut-être moins la cause que le symptôme. Il importe en effet de rappeler ce que l'action de bannir représente, en particulier pour les groupes minoritaires qui, par définition, ne disposent guère de moyens d'inverser ou de rééquilibrer les rapports de force au sein de la société, souvent de manière symbolique.
Or, ce qu'on constate, c'est que, de plus en plus, les scènes d'annulation sont fondées sur un triangle entre la cible qui subit la dénonciation, le demandeur qui fait pression en demandant des comptes aux dominants, et une troisième force qui vient s'interposer entre les deux et qui va véritablement opérer l'acte d'annulation.
Dans le cas des universités, les principaux responsables sont les administrateurs eux-mêmes, qui, pour des raisons de calculs liés à la réputation ou à la clientèle, vont céder sous la pression, sans appuyer le corps professoral. Je pourrais donner maints exemples. On peut penser aux conférences de Frances Widdowson qui ont été annulées ou perturbées à l'Université de Lethbridge ou à celle donnée par le juriste gai Robert Wintemute à l'Université McGill.
Les établissements relaient de plus en plus certaines confusions dommageables autour de la liberté d'expression pour répondre à la demande de leurs publics. C'est ce qu'a révélé la controverse sur le mot commençant par la lettre n à l'Université d'Ottawa, en 2020. Dans ce cas précis, on a omis de distinguer entre un mot en usage et un mot en mention: réfléchir à l'histoire d'un mot ou citer un titre de livre qui contient un terme raciste, comme nous l'ont appris la logique formelle et la linguistique, ce n'est pas utiliser ce mot au sens propre.
D'autre part s'est installé un amalgame plus grave encore entre les discours de haine, qui constituent une limite ferme à la liberté d'expression, et les discours blessants ou offensants. S'il y avait une intervention de nature légale à faire, ce serait peut-être pour réaffirmer cette ligne de partage entre les deux types de discours.
En résumé, à l'université comme dans l'espace public, ce qu'on appelle la culture du bannissement prend des formes diverses, qui ne se traduisent pas nécessairement par la censure, laquelle suppose l'exercice du pouvoir. En revanche, elle fait apparaître, à côté de la censure d'État, qui existe toujours, des formes de censure horizontales, réticulaires, des mécanismes de microcoercition, voire des micropouvoirs qui reposent sur des autorités non étatiques, par exemple les administrateurs d'universités, les directions d'entreprises et les groupes modérateurs d'un média social. C'est de ce côté-là que régresse peut-être le plus la culture de la contradiction.
Il serait évidemment naïf de penser qu'il n'y a pas de lien entre la censure verticale et la censure horizontale. Pour ce qui est du mot commençant par la lettre n, par exemple, le continuum est clair entre les pressions qui ont été exercées par le CRTC sur Radio-Canada et celles qu'a exercées l'administration de l'Université d'Ottawa sur une seule membre de son corps enseignant, exactement au nom des mêmes confusions et des mêmes arguments.
Je vous remercie. Je suis prêt à écouter et à entendre vos questions.
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Merci, madame la présidente.
Je vous suis reconnaissant de l'invitation à prendre la parole devant le Comité permanent du patrimoine canadien et de pouvoir exprimer mon estime pour le Parlement et ceux qui y siègent pour le bien commun.
La liberté d'expression occupe une place importante dans la Constitution canadienne et les libertés fondamentales garanties par la Charte. Elle figure deuxième dans la liste, avec la liberté de pensée, de croyance et d'opinion et la liberté de la presse. Seule la liberté de conscience et de religion occupe une place plus importante dans la Charte.
La garantie offerte par la Charte empêche les gouvernements de restreindre l'expression. Les gouvernements ont habituellement recours à une loi pour le faire, et les citoyens peuvent alors demander réparation devant les tribunaux.
Je tiens à mettre en lumière d'autres moyens employés par les gouvernements pour limiter la liberté d'expression. Il s'agit de moyens qui rendent plus difficile, voire impossible, pour les citoyens de demander réparation devant les tribunaux. Cela représente une nouvelle menace à la liberté d'expression. En voici trois.
Le premier est l'utilisation du pouvoir de dépenser du gouvernement. Le gouvernement peut offrir un avantage, assorti de conditions qui limitent les libertés fondamentales. C'est ce qui s'est produit avec le programme Emplois d'été Canada, par exemple, lorsque le gouvernement fédéral avait exigé, initialement, que les candidats confirment qu'ils étaient d'accord avec la position du gouvernement sur l'avortement. Par exemple, une entreprise d'aménagement paysager qui, autrement, n'aurait pas pris position sur des questions de politique publique, aurait été obligée de se dire d'accord avec la position du gouvernement au sujet du droit à l'avortement au Canada. Devant l'opposition généralisée, le gouvernement a révisé l'attestation requise, reconnaissant ainsi implicitement que l'exigence initiale portait atteinte aux libertés fondamentales prévues aux alinéas 2a) et 2b) de la Charte.
Un deuxième danger est lié aux organismes de réglementation auxquels l'État a accordé de vastes pouvoirs. Par exemple, les organismes d'agrément et de délivrance de permis peuvent utiliser le contrôle qu'ils ont par rapport au gagne-pain des gens pour restreindre la liberté d'expression. L'affaire Jordan Peterson a attiré l'attention sur cet enjeu, mais cela existait bien avant. Les professionnels de la santé, en particulier, sont confrontés à des restrictions à leur liberté d'expression et à d'autres libertés fondamentales, pour des raisons de conformité idéologique et non de compétence professionnelle. En particulier, cela a posé problème dans le domaine de la santé relativement à la question de l'euthanasie.
La troisième façon dont l'État pourrait restreindre la liberté d'expression, c'est par l'établissement et le financement d'organismes qui cherchent à restreindre la liberté d'expression. Par exemple, Kimberly Murray, l'interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens, a demandé que le gouvernement impose des sanctions allant jusqu'à des sanctions pénales pour les cas de négationnisme au sujet de ces lieux de sépulture. Cela inclurait même le fait de poser des questions scientifiques.
Puisqu'il avait financé l'interlocutrice, l'honorable David Lametti, le procureur général de l'époque — c'était en juin 2023 —, a fait savoir qu'il était ouvert à l'utilisation du droit pénal en ce sens. Il s'agit d'un gouvernement qui appuie directement des gens désireux de restreindre les libertés fondamentales et qui, en fait, ont été nommés et financés par le gouvernement lui-même. M. Lametti a été congédié du Cabinet peu de temps après, certes, mais je ne pense pas que les deux choses étaient liées.
Voilà trois moyens non législatifs qui permettraient au gouvernement de restreindre la liberté d'expression, ce qui laisserait aux citoyens moins de recours auprès des tribunaux. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Merci.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de l'invitation à comparaître devant vous aujourd'hui.
J'avoue trouver assez étonnant que, dans un pays comme le Canada, doté d'une excellente Constitution, d'une charte des droits et libertés et d'une tradition de jurisprudence qui fait autorité, nous devions nous pencher, aujourd'hui et depuis quelques années, sur la question de la liberté d'expression. Elle devrait aller de soi, si bien qu'il m'apparaît que la première question que nous devrions nous poser est: pourquoi devons-nous aujourd'hui nous pencher sur un tel sujet? Qu'est-ce qui a changé dans ce pays qui fait que la liberté d'expression pose problème? Voilà la première question qui m'apparaît importante au point de vue philosophique.
Je vais souligner deux choses, puisque le temps qui m'est attribué est assez court.
La première, c'est la confusion qui existe entre la liberté d'expression et la liberté de conscience. Cette question pourrait sembler un peu triviale si elle ne s'était pas posée jusque dans les sphères les plus élevées de l'État, comme chez le premier ministre et la . Cette dernière a dit, après la malheureuse affaire de l'école Bedford au Québec, qu'on avait affaire à une question de liberté d'expression. Au contraire, il s'agissait de liberté de conscience, mais jamais de liberté d'expression. Jamais les enseignants musulmans qui ont en quelque sorte pris le contrôle d'une école au Québec ne l'ont fait au nom de la liberté d'expression. Au contraire, ils l'ont fait à partir de leur idée un peu particulière de ce qu'est la liberté de conscience.
Nous avons tous une liberté de conscience, qui est le fondement de la liberté d'expression. Notre liberté de conscience, c'est tout ce qui nous apparaît important. Ce sont nos convictions, nos opinions, nos croyances diverses, et c'est très bien comme cela. Le problème arrive lorsqu'on doit exprimer et rendre dans le domaine public ce qui est du domaine privé: des croyances. C'est là que des difficultés vont apparaître.
Notons que la liberté de conscience n'est pas infinie, non plus; dans son expression extérieure, elle connaît des limites. En effet, nul d'entre nous ici présents ne pourrait dire qu'il ne paiera pas ses impôts au printemps, parce que cela heurte sa liberté de conscience.
Il m'apparaissait donc qu'il existe une confusion, qu'on retrouve souvent, entre la liberté de croire ce que l'on veut et celle de dire n'importe quoi. C'est la confusion entre la liberté d'expression et la liberté de conscience. À mon avis, c'est une chose sur laquelle on doit revenir.
Le deuxième élément porte sur la liberté universitaire. Selon moi, cette liberté a été abordée devant ce comité par une de mes collègues de l'Université de Regina de manière à créer un peu de confusion. Je ne veux pas critiquer une autre témoin ayant comparu avant moi, mais il faut quand même faire preuve d'un peu de rigueur.
La liberté universitaire des professeurs — j'ai pris quelques petites notes — relève d'une neutralité de l'administration relativement aux domaines de recherche des professeurs. Elle implique une indépendance du professeur dans le choix de ses sujets de recherche, ainsi qu'une expression sans entraves de ses idées. De plus, elle ne dépend pas des collègues. Si les collègues de mon département estiment que ma recherche en philosophie ou en littérature n'est pas valide, ce n'est pas à eux d'en juger. C'est moi qui, en faisant des recherches qui n'auront peut-être pas de sens, serai au bout du compte mis de côté par la communauté scientifique. Cela n'équivaut donc pas du tout à soumettre un article afin que les pairs en évaluent la qualité.
J'aimerais faire valoir un dernier petit point et je m'arrêterai ensuite. Aujourd'hui, nous avons vu dans le journal La Presse un article où on parlait de la liberté universitaire des professeurs de cégep. Encore là, il y a une confusion. À mon avis, les professeurs de cégep n'ont pas une liberté universitaire, mais une autonomie pédagogique. Ils doivent suivre un programme édicté par l'État, le Québec dans le cas qui nous occupe. Cependant, compte tenu de l'autonomie pédagogique qu'ils possèdent et à partir de leurs compétences et de leur personnalité, les professeurs peuvent rendre ce programme plus intéressant.
Voilà en gros ce qu'il y avait à dire. Je pense que je serai content de répondre à vos questions. Je vous remercie, mesdames et messieurs.
Bonjour. Je tiens à remercier le Comité permanent du patrimoine canadien de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui et de tout le travail important qu'il accomplit.
Je m'appelle Nusaiba Al‑Azem. Je suis directrice des affaires juridiques au Conseil national des musulmans canadiens. Je suis ravie d'être ici aujourd'hui dans le cadre de cette importante étude du Comité sur la protection de la liberté d'expression. La question que pose le Comité en examinant les moyens dont dispose le gouvernement pour protéger la liberté d'expression est profonde, car elle constitue notre principale préoccupation pour ce qui est, selon nous, la menace la plus fondamentale à la liberté d'expression au Canada aujourd'hui.
Notre position est assez simple. L'enjeu le plus pressant lié à la liberté d'expression au Canada est le recours éhonté à la disposition de dérogation — c'est‑à‑dire l'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés — par divers gouvernements d'un bout à l'autre du Canada, pour déroger de nos droits garantis par la Charte, y compris la liberté d'expression.
À notre avis, le recours abusif à l'article 33 n'est rien de moins qu'une crise constitutionnelle. Nous avons tous appris, dans les cours d'éducation civique au primaire — et que j'ai moi-même entendu à la faculté de droit —, que le recours inapproprié à la disposition de dérogation pour s'attaquer à des libertés fondamentales comme l'article 2 de la Charte, sonnerait le glas du gouvernement en cause. Je me souviens que mon professeur avait parlé de « suicide politique ». Malheureusement, nos leçons d'éducation civique à l'école primaire étaient erronées. Ce professeur avait tort.
Le Conseil national des musulmans canadiens a sonné l'alarme à ce sujet à un moment que nous considérons comme le début de cette crise, il y a quelques années, à savoir lorsque nous avons contesté la loi 21 devant les tribunaux. Nous attendons actuellement une réponse à notre requête en autorisation à la Cour suprême du Canada. Pour nous, bien entendu, le projet de loi 21 représente toujours un enchâssement de la suppression des droits des minorités, du droit à la libre expression et à la liberté de religion qui s'appuie sur la disposition de dérogation et vise à empêcher les musulmans, les juifs et les sikhs d'exprimer librement leur foi par le port du turban, du hidjab ou de la kippa, et d'être, par exemple, un enseignant dans une école publique. De nombreux tribunaux au Québec ont convenu que l'interdiction est discriminatoire, mais elle est maintenue grâce à la disposition de dérogation.
Malgré le recours réussi du Conseil national des musulmans canadiens et de l'Association canadienne des libertés civiles devant les tribunaux pour bloquer le projet de loi 62, qui était un projet de loi précurseur, à certains égards, et qui interdisait aux femmes portant le niqab de monter à bord d'un autobus ou d'obtenir une carte de bibliothèque au Québec, les gouvernements de l'Ontario, de la Saskatchewan et du Québec, jusqu'à maintenant, ont joué la carte constitutionnelle de la disposition de dérogation comme une carte de type « Sortez de prison sans frais » pour échapper au contrôle judiciaire. De nombreuses autres provinces ont aussi menacé d'y recourir.
Notre recommandation au Comité est la suivante: que le Comité entreprenne une étude portant particulièrement sur le recours approprié à la disposition de dérogation. Que ce soit clair: une telle banalisation de ces pouvoirs quasi urgents menace l'avenir même de notre fédération.
Notre deuxième préoccupation, que nous considérons comme une menace fondamentale et actuelle à la liberté d'expression au Canada, est liée à la nécessité de protéger la liberté d'expression dans cette austère enceinte. Nous appuyons les mesures législatives qui ont été présentées pour mieux protéger la liberté d'expression, comme le projet de loi d'initiative parlementaire des conservateurs, le projet de loi , qui offrirait une protection contre la discrimination fondée sur la croyance politique.
Nous avons vu trop souvent des attaques contre la liberté d'expression de gens qui défendent des causes controversées, comme l'est en quelque sorte devenu le soutien aux droits de la personne des Palestiniens au cours de la dernière année. Nous avons vu de nombreux cas, par exemple, de gens qui ont perdu leur emploi simplement pour avoir exprimé publiquement des préoccupations concernant l'invasion militaire israélienne à Gaza. Nous avons été témoins d'un effort concerté de suppression des voix et des témoignages des Palestiniens, et nous pensons que c'est inacceptable. Nous recommandons au gouvernement d'explorer des moyens de veiller à ce que toute critique à l'égard de tout gouvernement étranger — Israël, Chine, Arabie saoudite, Pakistan, Russie ou Inde — soit toujours protégée.
Je répondrai avec plaisir aux questions des membres du Comité. Merci.
Bonjour, mesdames et messieurs les membres du Comité. Je suis Fae Johnstone. Je suis la directrice générale de Queer Momentum, une organisation nationale de défense des personnes LGBTQI+. J'ai consacré ma carrière à la promotion de la liberté, des droits et de l'égalité générale des personnes bispirituelles, queers et transgenres au Canada. Je suis reconnaissante d'avoir l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui dans le cadre de cette étude sur la protection de la liberté d'expression.
Premièrement, j'inviterais les membres du Comité à réfléchir à la longue et fière histoire des personnes queers et transgenres qui défendent la liberté, y compris la liberté d'expression. Notre héritage en tant que pays comprend la criminalisation des personnes LGBTQI+, le déni de nos droits de la personne et de nos droits civils, l'inaction de notre gouvernement pendant la crise du SIDA, les efforts dirigés par le gouvernement pour nous retirer de la fonction publique, les descentes de police dans nos établissements, les douanes canadiennes ciblant nos entreprises, la censure de notre littérature et bien d'autres. Nous sommes une communauté qui a été soumise à un horrible héritage de discrimination, de déshumanisation, de violence et d'inégalité qui se poursuit encore aujourd'hui. Les personnes les plus marginalisées de notre communauté sont souvent celles dont les voix sont les plus réduites au silence.
Dans le cadre de mon travail, je me tiens sur les épaules de géants: les gays, les lesbiennes, les personnes queers et transgenres, ainsi que nos alliés, qui ont lutté pour les droits de la personne de ma communauté et les ont obtenus. Grâce à ces défenseurs, j'ai grandi dans un Canada plus accueillant et plus inclusif. Le Canada dans lequel j'ai grandi me remplissait d'espoir. Je croyais que nous étions à l'aube de quelque chose d'incroyable, d'un Canada où nous pouvions nous débarrasser de notre hostilité séculaire à l'égard de la diversité sexuelle et de genre et où nous étions prêts à embrasser un avenir plus diversifié, plus inclusif et plus équitable, non seulement pour les personnes queers et transgenres, mais aussi pour tous les Canadiens.
Au cours des cinq dernières années, j'ai malheureusement perdu cet espoir. J'ai assisté à la résurgence de l'homophobie et de la transphobie dans tout le pays dans le cadre d'une réaction négative plus générale contre les personnes queers et transgenres. Je crains maintenant la trajectoire dans laquelle nous nous dirigeons. Je crains que nous nous dirigions vers un avenir où les droits et libertés de ma communauté, y compris la liberté d'expression, et notre égalité générale seront retirés dans une ère politique définie par la peur, la colère et la désinformation.
Chaque année depuis trois ans, Statistique Canada signale une augmentation de la violence motivée par la haine à l'encontre des personnes queers et transgenres. Le SCRS a prévenu que le « mouvement contre l'égalité des genres », une expression qui décrit une série de groupes contre les personnes LGBTQI+, constitue une menace de violence extrême au Canada. Dans tout le pays, des artistes travestis, des militants pour les droits des personnes LGBTQI+, des organisateurs de festivals de la fierté et des parents d'enfants queers et transgenres ont été la cible d'attaques haineuses, de menaces de mort et d'autres formes de harcèlement, tant en ligne que dans la vie réelle. Les propos qui diabolisent, déshumanisent et enlèvent toute dignité à ma communauté crée une culture de la peur parmi les personnes queers et transgenres.
En tant que militante pour les droits des personnes transgenres, j'ai personnellement dû payer le prix pour défendre ma communauté. L'an dernier, j'ai fait l'objet d'une campagne internationale de haine et d'annulation pour avoir participé, en tant que femme transgenre, à une initiative publicitaire de Hershey's Canada dans le cadre de la Journée internationale de la femme. Ma participation à cette campagne a suscité des réactions négatives dans le monde entier. Des figures de proue de l'extrême droite et des groupes anti-LGBTQI+, dont des personnes comme Tucker Carlson, Matt Walsh, Ben Shapiro et d'autres, m'ont prise pour cible. Ils ont publié mon morinom, diffusé des photos de moi avant la transition, créé et publié des caricatures dégoûtantes et m'ont envoyé du vitriol. Le niveau de haine et le risque pour ma sécurité que cette réaction a déclenchés étaient tels que j'ai été accompagnée par des agents de sécurité pendant six jours d'affilée.
Je ne peux pas exprimer avec des mots les répercussions psychologiques d'être la cible de la puissance combinée des groupes haineux et des leaders d'extrême droite dans tout le pays et dans le monde entier. Si je suis effectivement une militante, je ne suis au final qu'une jeune femme, transgenre de surcroît, qui s'exprime pour défendre ce qu'elle croit être juste. Ce qui m'est arrivé est malheureusement un exemple extrême, mais c'est un exemple parmi tant d'autres qui touchent des membres de ma communauté dans tout le Canada.
Après le fiasco de la campagne de Hershey's, j'ai été invitée à prendre la parole lors d'un gala sur les droits des femmes à Regina. Rebel News s'est inscrit en faux contre mon inclusion. Ce soi-disant média a créé une pétition en ligne pour me faire renvoyer, qui était alimentée par un site Web appelé, littéralement, www.firefae.ca. Il a également publié mon morinom pour tenter encore une fois de me faire honte.
Comme si ce n'était pas suffisant, quelques jours avant le gala, une journaliste de Rebel News m'a trouvée dans un parc devant mon hôtel. Elle a pris la décision irresponsable et dangereuse de publier une vidéo en révélant l'endroit où je séjournais — après des semaines de propagande haineuse et de harcèlement à mon égard — et a mis ma sécurité en danger réel et immédiat.
La montée de la haine à l'encontre des personnes LGBTQI+ est moralement répugnante et constitue une menace directe pour la liberté d'expression. Qu'advient‑il lorsque vous, en tant que personnes queers ou parents d'un enfant transgenre ou alliés, risquez d'être victimes de divulgation malveillante, d'être personnellement ciblés et de faire l'objet de haine et de harcèlement si vous défendez les droits de la personne, l'égalité et la liberté? Qu'advient‑il lorsque les Canadiens sont incapables d'exprimer leurs opinions politiques ou de prendre la parole sur des questions politiques sans subir des répercussions importantes et potentiellement dangereuses pour leur sécurité?
Ce qui m'effraie le plus au Canada à l'heure actuelle, c'est de voir que la haine passe d'un phénomène social à un courant politique dominant.
Au cours de la dernière année, nous avons vu trois gouvernements au Canada utiliser des slogans et des propos trompeurs pour semer la division, normaliser la haine et apporter leur soutien à des groupes anti-LGBTQ2+. Il n'y a pas d'exemple plus flagrant que celui du premier ministre Scott Moe en Saskatchewan, qui a suspendu les droits protégés par la Charte des enfants de la province, pour présenter une loi qui prive les enfants transgenres de leur liberté.
Ce discours de division n'est pas un cas isolé. Il a permis de couvrir ces éléments d'une mesure législative draconienne au niveau provincial. Au‑delà des répercussions précises des politiques, cela a créé une culture de la peur. À bien des égards, cela ressemble aux lois qui préconisent d'éviter de parler d'homosexualité que nous voyons aux États-Unis, où les enseignants dans les salles de classe, les administrateurs d'école et les élèves eux-mêmes ont peur de mentionner ou d'aborder le genre et la sexualité.
Que se passe‑t‑il dans un pays où, plutôt que de rassembler les gens, nous normalisons la division et la différence, où même le chef du Parti conservateur du Canada, , attise les flammes de la conspiration avec son allusion à l'idéologie du genre?
Je n'ai pas toutes les réponses. Je ne suis pas une avocate, mais je suis une Canadienne déterminée à défendre la liberté, l'égalité et les droits, parce qu'ils sont tous interdépendants. Je crois en un Canada où ma communauté est vraiment libre, vraiment égale et vraiment en sécurité. Cela n'est pas possible lorsque les élus flirtent avec la haine. Les personnes 2ELGBTQI+ sont des êtres humains et non pas des accessoires politiques que l'on peut calomnier et cibler pour gagner du pouvoir. Je nous exhorte tous à rejeter la haine et à faire front commun en vue d'offrir un avenir meilleur à tous les Canadiens.
Je vous remercie.
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C'est vrai. L'exemple que j'ai utilisé n'était pas celui d'un groupe confessionnel. Il s'agissait simplement d'une entreprise d'aménagement paysager. Tout le monde était tenu de faire cette attestation dans le premier cas.
Il est question, pour certains, de liberté de conscience et de religion, comme cela a peut-être été le cas pour certains groupes confessionnels, mais l'exigence de ce programme était qu'il fallait exprimer une opinion. Il se trouve qu'il s'agissait d'une opinion sur un sujet précis qui souscrivait à la politique du gouvernement, mais le fait même de devoir exprimer une opinion pour être admissible porte atteinte à la liberté, à la pensée, à l'opinion et à la croyance. C'était le problème.
Vous avez raison. Certains groupes ont dû faire un choix difficile. Pour ceux qui ont fait un choix fondé sur des principes, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il a fallu du courage pour le faire, mais ils ne devraient pas se trouver dans cette position.
Le problème, c'est qu'il était très difficile d'obtenir réparation. Si cela avait été une loi, on aurait fait appel aux tribunaux et peut-être obtenu une injonction immédiatement. C'est possible. Il faudrait voir si c'est possible. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'une attestation et que cela fait partie de l'appareil du processus de demande, il est très difficile d'obtenir réparation. Il y a eu quelques initiatives judiciaires, puis plus tard une révision.
Si le gouvernement avait adopté une loi prévoyant qu'il fallait cette attestation, vous auriez pu vous présenter devant le tribunal le lendemain pour obtenir réparation et peut-être, avec l'approbation du juge, obtenir une sorte d'injonction. Toutefois, il s'agit d'une exigence plus nébuleuse, si bien qu'il est plus difficile d'obtenir réparation.
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Je pense que cela relèverait de la première liberté énoncée dans la Charte, à savoir la liberté de conscience et de religion. La liberté d'expression figure dans la deuxième partie de la liberté fondamentale, et je suis donc d'accord pour dire que les responsables de l'établissement ne devraient pas être contraints d'agir à l'encontre de leur conscience dans ce cas‑ci.
Ce qui me préoccupe, c'est plutôt dans les associations professionnelles où les propos d'un médecin, d'une infirmière, d'un pharmacien ou de toute autre personne font l'objet d'une surveillance. Ce n'est pas à cause de la compétence professionnelle de ce médecin, mais à cause du point de vue, dans ce cas‑ci, que l'association pourrait adopter. Ce pouvoir est conféré aux associations par le gouvernement, si bien que le gagne-pain de ce professionnel est entre leurs mains.
En fait, d'une certaine manière, une entité professionnelle a plus de pouvoir sur lui que le gouvernement provincial, qui dispose d'instruments plus rudimentaires. Limiter le gagne-pain d'une personne est un pouvoir assez puissant que l'on confère à des organismes professionnels de réglementation.
De plus, lorsqu'on veut obtenir réparation, c'est plus difficile, car les tribunaux leur accordent plus d'égards — parce qu'ils sont censés élaborer une réglementation professionnelle — qu'ils n'en accorderaient au gouvernement s'il faisait la même chose.
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Je tiens à remercier tous les témoins d'être ici aujourd'hui.
Nous avons de nombreuses opinions différentes, et ce qui est formidable de notre pays, c'est que nous avons la capacité d'exprimer nos opinions différentes et d'apporter différentes perspectives. Je pense que c'est ce qui fait de ce pays un grand pays.
Si l'on consulte les listes des différentes libertés et les comparaisons dans le monde, le Canada semble toujours se hisser en tête de liste, je dirais, entre 3 et 4 % des pays. J'ai toujours considéré le Canada comme un endroit où l'on peut s'exprimer sans s'inquiéter des répercussions. Toutefois, je suis d'accord avec le professeur Le Blanc qu'il y a eu un changement dans notre pays au cours de la dernière décennie, peut-être depuis les 15 dernières années.
Qu'est‑ce qui a changé dans ce pays, et pourquoi sommes-nous ici aujourd'hui pour discuter de la capacité de nous exprimer? Qu'est‑ce qui a changé?
Je vais commencer avec M. Bernadet.
Qu'est-ce qui a changé? C'est une question très vaste et complexe. Je dirais qu'il y a des phénomènes que nous connaissons bien et qu'on décrit parfois sous l'idée de polarisation ou parfois de radicalisation, ce qui est encore autre chose. Il est clair qu'il y a une tendance croissante vers la polarisation qui, sans doute, tient premièrement à une importation du paradigme du modèle démocratique étatsunien et à son influence. La société étatsunienne est très polarisée actuellement. On l'a vu encore récemment au cours des élections. Je pense qu'il y a cet effet d'influence forte et le fait que les États‑Unis constituent — il faut bien le reconnaître — une sorte de laboratoire des démocraties libérales dans le restant du monde. Le fait d'exporter plus ou moins leur modèle fait partie de leur pouvoir de convaincre. Je pense qu'il y a un effet de cette sorte.
Cela étant, il faut aussi relativiser ces phénomènes. On parle beaucoup des guerres culturelles, qui font l'objet de nombreuses discussions. Les médias sont les premiers à relayer cette machine de tension ou d'antagonisme, avec cette idée qu'il y aurait des identités qui seraient irréductibles les unes aux autres, et qui s'opposeraient. Ces médias ont tendance à se nourrir, parfois même en allant jusqu'à accuser les médias sociaux de cette réalité, alors qu'eux-mêmes la cultivent ou l'entretiennent. Je pense qu'il y a cet effet-là.
Le troisième élément, c'est qu'il y a effectivement des courants idéologiques qui se déploient. On le voit dans les pratiques de la culture du bannissement qui est présente et qu'on voit apparaître à l'université. Il ne faut pas oublier que la culture du bannissement a des formes très hétérogènes, mais que sa base repose sur une lutte des valeurs. De ce point de vue, c'est un héritage des guerres culturelles. Pour des groupes minoritaires ou des groupes qui veulent militer pour telle ou telle cause, cette lutte de valeurs ne veut pas dire une prise de pouvoir, mais se veut au moins un moyen de faire valoir ces valeurs sur un plan symbolique. Dans certains cas, on sait que cela peut se rendre jusqu'à des mesures de bâillonnement.
Comme je le disais, le problème est souvent que les gens qui annulent quelque chose ne sont pas forcément les militants. Dans le cas de certains spectacles culturels, par exemple Kanata et SLĀV, qui ont été présentés à Montréal, ce ne sont pas les militants qui ont pris l'action d'annuler. Les militants ont exercé leur droit d'expression en contestant le fait que des personnages noirs et autochtones n'étaient pas joués par des Noirs et des Autochtones. Qu'on soit d'accord ou non, c'est une autre affaire, mais ce sont en fait les organisateurs du spectacle qui ont fini par l'annuler. Les choses sont donc assez complexes de ce point de vue.
Je ne sais pas si je réponds à votre question, mais ce sont des pistes.
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Oui, c'est la tendance générale dans les universités et les administrations. Certaines s'en défendent, mais s'adonnent très largement à cette pratique.
Je vais vous donner un simple exemple, celui de Frances Widdowson, qui était censée donner une conférence sur la culture de l'éveil, je crois, à l'Université de Lethbridge et qui a dû faire face à 700 étudiants. Au départ, le recteur, Michael Mahon, avait bien rappelé qu'il pouvait y avoir dans des conférences des idées dérangeantes sur lesquelles on pouvait être en total désaccord. Il faisait bien la distinction, celle que j'ai évoquée tout à l'heure, entre un discours qui est propagateur de haine ou qui peut générer des préjudices — c'est ce qui est dans le Code criminel — et un discours offensant ou blessant qu'on n'a pas forcément envie d'entendre. Cela, je peux le comprendre sans problème. Cependant, deux jours après, au moment où les manifestations prenaient de l'ampleur, ainsi que les contestations de la part de certains collègues, M. Mahon a fini par céder. Parfois, on peut annuler une conférence pour des raisons de sécurité, mais, dans ce cas-là, ce n'était pas du tout le cas.
C'est la tendance qu'on observe. Le problème, c'est que l'université est un lieu où on ne peut pas assurer la sécurité sur le plan des idées. On a l'obligation d'y assurer la sécurité physique des individus, c'est vrai, mais c'est un lieu où les idées s'affrontent. Cela rejoint ce que disait M. Le Blanc. Il y a des idées qui sont déplaisantes, mais il est impossible d'assurer la sécurité sur le plan des émotions ou des idées.
La grande tendance, qui est liée à la logique gestionnaire, néolibérale et clientéliste des administrateurs, est d'accéder aux demandes d'un groupe qui n'est pas forcément majoritaire et qui peut être en marge du public étudiant. Cela sape le fondement…
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Merci, madame la présidente.
Je remercie le Comité de m'accorder du temps.
D'entrée de jeu, je tiens à dire que dans notre discussion sur la liberté d'expression et sur sa protection, je pense que nous devons faire très attention aux limites juridiques de cette forme de liberté et veiller à ce qu'elle ne dégénère pas en discours haineux.
Madame Johnstone, vous avez parlé très précisément et très clairement de ce qui se passe, de ce que vous avez vu, des risques que vous courez en raison de votre identité et des menaces liées à la montée de l'extrémisme et à la multiplication des discours haineux. Madame Al‑Azem, vous avez été une porte-parole remarquable au sein de notre communauté après l'attaque terroriste perpétrée contre la famille de London. Je sais que le danger et la violence dont vous été témoins toutes les deux ont aussi eu de lourdes conséquences.
Vous avez parlé toutes les deux des politiques codées que les politiciens emploient au détriment des personnes vulnérables et des membres des groupes minoritaires. Vous avez aussi mentionné le danger que représente le recours à la disposition de dérogation par les politiciens. J'aimerais vous entendre toutes les deux sur les conséquences et les risques d'employer soit l'islamophobie, soit les attaques contre les personnes trans et les membres de la communauté LGBTQ2+ à des fins politiques. Quels sont les effets pour ces deux groupes?
Madame Johnstone, je vous invite à répondre en premier, suivie de Mme Al‑Azem.
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Cette question est liée à la précédente. Nous vivons une ère de polarisation: les membres de la population canadienne ont de la difficulté à payer leurs factures, à joindre les deux bouts et à soutenir leurs familles. Quand la vie est difficile, il devient plus facile de canaliser la colère et de s'en servir pour réaliser des gains de pouvoir.
Au Canada aujourd'hui, des termes comme « droits des parents » et « idéologie du genre » sont employés pour faire diversion au lieu d'offrir des milieux scolaires sains et de veiller au bien-être des enfants et des familles. On tente de limiter les droits de certaines personnes et de créer de faux équivalents. L'objectif n'est pas d'opposer les parents aux enfants; c'est de créer un milieu scolaire où chaque enfant est libre d'être soi-même, où chaque enfant se fait traiter avec dignité et où chaque enfant grandit dans une communauté saine.
En tenant des discours qui sèment la discorde, les politiciens montrent à la population que l'intimidation est un comportement acceptable. Ils encouragent les gens à repousser les limites. La montée de la haine à l'égard des membres de la communauté 2ELGBTQI+ partout au Canada en est la preuve.
Le recours préventif à la disposition de dérogation me préoccupe particulièrement. En Saskatchewan, cette disposition a été utilisée avant qu'un tribunal puisse examiner les politiques du premier ministre Moe. Autrement dit, le recours à cette disposition prime maintenant sur l'un des rares mécanismes de contrôle des gouvernements. Il devient donc impossible d'avoir des discussions nuancées nécessitant l'apport de spécialistes de l'intérêt supérieur des enfants et des familles. On frappe à l'aveuglette, on donne des coups de masse et l'on se sert de slogans pour forcer l'adoption de mesures législatives et de politiques qui restreignent la liberté des enfants trans et de leurs familles.
Je pense quotidiennement à l'enfant qui n'a pas la chance d'être en sécurité chez soi et qui ne peut plus être soi-même à l'école à cause d'un gouvernement qui prétend se soucier du bien-être des familles, alors qu'en réalité, il soutient un lobby anti-2ELGBTQI qui cherche à m'enlever mes droits et à forcer ma communauté à se cacher à nouveau dans le placard.
Merci.
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Puisque la question porte sur les effets, je vais y répondre en deux temps: je vais d'abord parler des effets du projet de loi 21; j'aborderai ensuite la disposition de dérogation.
Pour replacer la question dans son contexte, je vous rappelle qu'une loi empêche les personnes musulmanes, juives et sikhes portant des symboles religieux d'enseigner au Québec. C'est la loi. Les effets de cette loi ont été expliqués au tribunal ainsi que dans une étude réalisée après notre comparution au tribunal. Selon un rapport, au Québec, une musulmane sur cinq a subi de la violence ou des menaces physiques au travail. De plus, 54 % des musulmanes québécoises ont entendu leurs collègues de travail faire des remarques racistes ou préjudiciables sur leur identité religieuse, comparativement à 9 % pour la population générale.
De nombreux témoins ont parlé au tribunal des préjudices qu'ils subissaient. Des candidates à l'enseignement, pour la plupart musulmanes, ont perdu leur emploi et leur vocation, et les plans d'un aspirant procureur de la Couronne ont été contrecarrés. Je connais personnellement des gens qui ont été touchés par le projet de loi. Des personnes ont exprimé des inquiétudes concernant leur sécurité financière et des craintes pour l'avenir de leurs enfants. Beaucoup de musulmanes ont parlé de l'augmentation des incidents de harcèlement verbal et physique à leur endroit dans les espaces publics. Une femme appelée à la barre, envahie par les émotions, a décrit en pleurant ce que c'est que d'être exclue d'une société qu'elle considérait auparavant comme un modèle d'acceptation. Voilà les effets du projet de loi 21.
En ce qui concerne les effets de la disposition de dérogation, aujourd'hui, on voit clairement à quel point les autres provinces sont prêtes à y avoir recours ou à menacer d'y avoir recours pour forcer l'adoption de mesures législatives populistes. Cette façon d'exercer ce pouvoir menace les fondements de nos droits; elle réduit nos droits fondamentaux et inaliénables à de simples permissions pouvant être accordées ou refusées sur un coup de tête. Voilà les effets de cette disposition.
Je vais m'arrêter là.
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Certainement. Je vous remercie pour la question.
De nombreux témoins, dont le Dr Yipeng Ge, ont présenté au Comité des exemples de première main de ce que nous appelons la répression des Palestiniens.
Dans le rôle que j'occupe au CNMC, j'entends les témoignages de Canadiens musulmans et d'autres Canadiens partout au pays. J'ai vu des exemples de répression des Palestiniens, tels que des interventions policières disproportionnées durant des manifestations, y compris l'emploi de force physique contre des femmes enceintes qui ne faisaient qu'exercer leur droit de participer de manière pacifique à une manifestation. J'ai aussi vu des exemples de censure de contenu palestinien en ligne, comme l'invisibilisation de contenu ou d'autres formes de répression en ligne. J'ai même vu des gens perdre leur emploi, comme vous l'avez dit, et leurs moyens de subsistance soit parce qu'ils sont Palestiniens, soit parce qu'ils se sont prononcés en faveur de la Palestine.
Des gens ont perdu leur emploi simplement parce qu'ils avaient cité les Écritures ou parce qu'ils s'étaient exprimés en arabe. Je vous parle de vraies situations qui se sont produites au Canada. C'est ce qui se passe sur le terrain. Des avocats ont soutenu publiquement que des étudiants ne devraient pas être engagés. Des étudiants ont été forcés à signer des lettres d'attestation pour se distancier de mouvements étudiants.
Plus tôt cette année, la Cour supérieure de justice a déclaré que les craintes liées à l'émergence d'une nouvelle forme de maccarthysme ne sont pas sans fondements. Cette réalité a de sérieuses répercussions sur le principe de la liberté d'expression et sur les gens qui jouissent de cette liberté.
Tout cela est lié à une plus grande...
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Dans certaines parties de notre culture commune, ce n'est pas inhabituel, comme dans les journaux et sur les ondes. D'autres témoins en ont parlé. En ligne, presque tout le monde peut dire n'importe quoi. Il y a très peu de restrictions, quoique des préoccupations aient été soulevées à ce sujet dans des mesures législatives.
Dans certains secteurs de notre culture commune et de notre vie commune, cette liberté s'amenuise. Deux professeurs ont parlé de l'environnement sur les campus. Il y a les organismes professionnels dont j'ai parlé. Il y a aussi d'autres endroits où la liberté d'expression est menacée, voire restreinte.
Tout dépend de la partie de la culture dont il est question. Pour ma part, je suis chroniqueur d'un journal et je n'ai aucun problème. Je peux écrire tout ce que je veux, sans devoir surmonter d'obstacles. Toutefois, ailleurs au pays et pour d'autres professionnels — comme des enseignants, des professeurs à l'université, des professionnels de la santé et d'autres —, il y a des problèmes.
Par ailleurs, certains sentent de la pression ou de l'hésitation. Selon l'enjeu, il peut s'agir plutôt d'une question culturelle, sans rapport avec la loi.
Y a‑t‑il des préoccupations? À mon avis, oui, mais elles ne sont pas généralisées. Nous n'avons pas à craindre que la liberté de la presse disparaisse au Canada, mais dans des secteurs importants de notre vie commune, notamment dans des milieux professionnels, la liberté est restreinte.
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Certainement. Je vous remercie pour la question.
Elle nous ramène à ce qu'on vient d'entendre sur la liberté de conscience, qui vient en premier. Il y a d'abord les pensées intérieures, qui se manifestent au moyen de la liberté d'expression. C'est ce qu'a constaté un tribunal québécois au sujet du projet de loi 21: il viole non seulement la liberté de religion, mais aussi la liberté d'expression.
Le CNMC a de fortes convictions par rapport à toute mesure législative qui empêche les musulmanes ou d'autres personnes d'exprimer leur identité religieuse lorsqu'elles participent à la vie publique. Nous nous opposons aux mesures de la sorte, particulièrement au sein d'une démocratie bien fondée, où toute personne a le droit de participer pleinement à tous les aspects de la vie publique.
À ce sujet, je souligne que le CNMC a appuyé avec succès la contestation de la mesure législative en question. C'était en 2015. Si une telle mesure était présentée à nouveau, nous la contesterions certainement, car à nos yeux, il s'agit d'une violation fondamentale. Nous avons eu de nombreuses discussions avec le gouvernement conservateur qui l'a présentée à l'époque.
Nous avons également eu des discussions avec des députés conservateurs qui ont changé d'avis depuis, d'après ce que je comprends. Cela nous rassure. Nous continuerons volontiers de travailler avec les députés de tous les partis pour veiller à ce que tout le monde puisse être soi-même dans toutes les sphères de la vie publique.
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Je crois qu'on doit se réjouir de l'ample usage qui est fait dans ce comité de la liberté d'expression. Je vais vous dire deux choses, rapidement.
Je reviens d'abord sur la disposition de dérogation. J'aimerais tout de suite vous dire qu'il n'y a pas de disposition de dérogation en Arabie saoudite, en Iran ou en Chine. Savez-vous pourquoi? C'est parce que ce sont des dictatures. Nous avons au Canada une disposition de dérogation parce que nous sommes dans une démocratie. On ne va donc pas commencer à dire que la disposition de dérogation est mauvaise en soi. On peut discuter de son usage, mais, en soi, elle n'est pas mauvaise.
En réponse à votre question sur la loi 21 du Québec, la Loi sur la laïcité de l'État, personnellement, ayant eu une formation chrétienne, étant fils des Jésuites, j'estime que la conscience est fondamentale. C'est un endroit inviolable. Cependant, nous vivons en société et il faut savoir où l'on se trouve. Je reviens d'un mois d'enseignement en Pologne, où je me suis en quelque sorte plié aux usages et aux tabous culturels qu'on trouve là-bas. Dans une société, lorsqu'il y a un vaste consensus démocratique, la chose que l'on doit faire, c'est de se plier à ce consensus démocratique si l'on est un démocrate. Si l'on n'est pas démocrate, c'est une autre histoire. Toutefois, si on l'est, on doit se plier au consensus démocratique, et ce n'est pas tout dans une démocratie qui fait notre affaire. C'est cependant ça, le jeu de la démocratie.
Pour ce qui est de la loi 21, je pense que c'est une concession à faire. Ce n'est pas vrai que des personnes sont congédiées parce qu'elles ont porté le hijab. Celles qui avaient déjà un hijab dans les écoles avaient une clause de droits acquis, et pouvaient continuer à le porter. De plus, ce n'est limité qu'à des catégories très spécifiques d'employés qui représentent l'État. Pour le reste des employés, il n'y a pas de problème.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je me réjouis de cette occasion que nous avons de tenir une discussion d'une aussi vaste portée. Nous avons aujourd'hui un bon indice de l'état de la liberté d'expression au Canada, puisque nous voyons autour de la table des personnes aux points de vue divergents tenir une discussion civilisée sur des enjeux fondamentaux.
Madame la présidente, je vais présenter une motion. Tout d'abord, je fais suite à la discussion que nous avons eue à la réunion du Comité cet avant-midi sur la situation de CBC et le fait que l'organisation ait versé au cours du dernier exercice plus de 18 millions de dollars en primes aux membres de la haute direction, aux gestionnaires et à d'autres employés. Je n'en revenais pas de l'attitude des témoins cet avant-midi, qui n'ont exprimé aucun regret et proposé aucune autre avenue qui tiendrait compte des problèmes soulevés.
Sur ce, j'espère que nous pourrons régler rapidement la question et nous entendre sur une déclaration claire concernant Mme Tait et les primes de rendement qu'elle pourrait obtenir en sus de l'indemnité de départ qui lui sera vraisemblablement versée. Je présente la motion dont j'ai donné avis le lundi 18 novembre. En voici le contenu:
Que le Comité rapporte à la Chambre qu'il demande au Bureau du Conseil privé du gouvernement libéral de ne pas approuver de primes, de rémunération au rendement ou d'indemnités de départ pour la présidente et directrice générale sortante de CBC/Radio‑Canada, Catherine Tait.
Merci, madame la présidente.
J'ai été déçue de voir la trajectoire suivie par le Parti conservateur du Canada au cours des dernières années.
Je me souviens du temps où , je crois, et la cheffe adjointe, , proposaient toutes les deux de faire entrer le Parti conservateur dans le XXIe siècle et de balayer cet héritage d'homophobie et de transphobie, et je suis nostalgique de cette époque.
Je me souviens d'avoir vu cette évolution lorsque l'opposition à l'égalité d'accès au mariage a été retirée du manuel stratégique du Parti conservateur. C'est avec effroi que nous avons pu voir, lors de leur dernier congrès, deux politiques anti-trans être adoptées avec un soutien massif, et ce, sans qu'aucun député conservateur ne s'y oppose. En outre, nous n'avons vu aucun conservateur dénoncer la décision de la première ministre Smith de refuser l'accès aux soins de santé aux enfants trans et à leur famille, alors que son gouvernement se place littéralement entre les parents et les soins de santé dont leurs enfants ont besoin.
L'impact, comme vous le savez, c'est que les gens vivent dans la peur, victimes d'un renforcement de la stigmatisation et de la honte. De nombreuses générations de personnes queers et transgenres ont grandi dans des écoles et des collectivités qui nous ont appris à nous haïr nous-mêmes. Ce n'est qu'au cours de la dernière décennie que nous avons pu constater un changement à cet égard, mais la période de ressac que nous vivons maintenant a pour effet de recréer ce climat de stigmatisation et d'hostilité. Je ne peux m'empêcher de penser à cette maman albertaine qui pourrait devoir quitter sa province pour que son enfant ait accès à des soins de santé. Je ne peux m'empêcher non plus de penser à ce jeune de la Saskatchewan qui veut simplement être lui-même ou elle-même et qui entend un autre élève dans la cour d'école reprendre à son compte le discours de son premier ministre pour le prendre à partie et l'intimider.
J'espère que le Parti conservateur finira par arriver en 2024 et qu'il cessera de s'en prendre à ma communauté, qui veut simplement être elle-même, contribuer à la société et faire du Canada un pays où la liberté inclut tout le monde.
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Je leur dirais de parler avec nous, plutôt que d'essayer de couvrir notre voix. Je leur dirais qu'il faut écouter la voix des personnes trans pour bien comprendre ce qui est en jeu.
Il y a beaucoup de conservateurs qui sont réticents à l'égard de cette orientation que prend leur parti, et je pense qu'ils sont nombreux à ne pas comprendre ce qui se passe vraiment.
Il y a un puissant lobby anti-LGBT qui est lié à un tout aussi puissant lobby anti-choix. On essaie d'utiliser les personnes trans comme boucs émissaires pour perturber l'accès aux soins de santé génésique, pour légitimer un gouvernement qui se place, encore une fois, entre les jeunes, les familles ou les Canadiens ordinaires et ces soins de santé que les socioconservateurs désapprouvent carrément.
Ils utilisent les personnes trans et la rhétorique anti-trans pour normaliser la dérogation aux droits des Canadiens protégés par la Charte. On cible ainsi effectivement les personnes queers et transgenres, mais aussi les travailleurs, les Canadiens racisés et les personnes de diverses confessions.
J'espère que les gens comprennent bien ce qui est en jeu ici. Il s'agit bel et bien en l'espèce d'équité et de respect des droits pour ma communauté, mais si l'on permet qu'une communauté soit ainsi bafouée dans un environnement pollué par les discours haineux, ce sont les droits de tout le monde qui en souffrent.
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Professeur Bernadet, on a parlé tantôt de la crainte des dirigeants et des professeurs d'université, qui ne se sentent pas appuyés adéquatement lorsque des étudiants trop sensibles sentent qu'ils ont le droit de protester contre les choses qui heurtent leurs valeurs.
Tout à l'heure, vous avez dit quelque chose qui m'a beaucoup interpellé à propos de créations artistiques — SLĀV et Kanata, notamment — qui ont fait l'objet de pressions populaires ayant mené à l'annulation des représentations. Vous avez dit que ce n'étaient pas les militants, mais bien les organisateurs qui avaient tout annulé. Vous n'avez pas tort, c'est effectivement eux qui ont pris la décision de ne pas présenter les spectacles en question.
N'assiste-t-on pas au même phénomène lorsque des artistes se censurent pour éviter de faire face, justement, à cette pression populaire grandissante de gens qui protestent contre tout et rien en fonction de leurs convictions personnelles et de leur hypersensibilité? N'éprouve-t-on pas, dans le milieu artistique, le même problème que celui que vous vivez, particulièrement, dans le milieu universitaire?
Je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps, mais je trouve l'enjeu extrêmement important. Pouvez-vous nous fournir plus de détails sur ce sujet?
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C'est une question difficile, car on ne parle pas des mêmes milieux, évidemment.
Ce à quoi on assiste dans le domaine artistique, c'est peut-être une forme de moralisation ou de politisation de l'art. Cependant, cela n'est pas nouveau. Ce sont des mouvements tout à fait normaux. C'est un type d'esthétique possible.
S'il existe un lieu où se retrouve la liberté d'expression, c'est bien celui de la création. Je pense que c'est là où elle se retrouve dans sa forme maximale.
À l'inverse, on constate aussi des difficultés de l'autre côté, c'est-à-dire des craintes par rapport à des formes d'expression littéraire ou artistique qui peuvent être transphobes ou pédophiles, par exemple. Certaines questions se posent donc dans ce domaine. On n'a plus le même regard qu'on avait sur les textes il y a 20 ou 30 ans. De ce point de vue, on observe une mutation, et cela me paraît normal.
Cela étant dit, la question relève encore une fois des échanges, par exemple, sur des textes d'inspiration pédophile. Il faut alors se demander si on est du côté de la haine, de celui de l'incitation à ce genre de choses, ce qui pourrait légitimer des poursuites ou des contestations.
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Souvent, on emploie un langage simple parce qu'il trouve un écho auprès du public et que c'est plus facile ainsi. On peut notamment utiliser un terme comme « droits parentaux ». Cela crée un environnement où il est considéré par le fait même que nous nous opposons donc aux droits parentaux, ce qui est loin d'être le cas.
Cela enlève toute nuance à la conversation,en nous plaçant dans une situation nettement tranchée qui nous oblige à choisir entre nous et eux. C'est ce qui est vraiment dangereux. Je pense que c'est ce qui contribue à cet environnement de polarisation, où la dignité des gens et les droits de la personne deviennent des enjeux politiques, alors qu'ils ne devraient être qu'une base de référence.
Je pense que nous voyons des politiciens conservateurs, en particulier la première ministre Smith en Alberta, mais aussi à l'échelon fédéral, utiliser ce langage parce qu'ils savent que le sens véritable de tout cela va échapper à bien des gens. Comme ils se sentent interpellés, ils vont dire: « Oui, bien sûr. Qui ne soutiendrait pas les droits des parents? » Cependant, le lobby anti-LGBTQ les entend tenir ce discours et se dit: « Oh, ce gars‑là est dans notre camp. Il va nous appuyer. » Ils vont alors frapper aux portes en s'attendant à ce que M. Poilievre donne suite à leurs requêtes et à leurs priorités.
C'est là un plan d'action qui fait reculer mes droits et ma liberté en créant un Canada où les parents d'enfants LGBTQ doivent s'inquiéter de laisser leurs enfants monter dans l'autobus et se demander s'ils pourront se faire soigner et grandir en toute sécurité pour devenir des adultes en santé et épanouis.