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ENSU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 11 mars 1998

• 1537

[Traduction]

Le vice-président (M. Gar Knutson (Elgin—Middlesex—London, Lib.)): Je m'appelle Gar Knutson. Je suis vice-président du comité. Je remplace l'honorable Charles Caccia qui devrait normalement présider cette réunion.

Permettez-moi de commencer par souhaiter la bienvenue à nos témoins.

Avant de passer à l'écoute de votre exposé, je voudrais demander aux membres du comité si, une fois cette partie de la réunion terminée, nous pourrions siéger à huis clos pour discuter brièvement du rapport et échanger des idées de façon informelle afin que le recherchiste puisse peut-être commencer à réfléchir à certaines notions. Nous verrons combien de temps cela prendra. Ce n'est pas prévu à l'ordre du jour, mais j'aimerais que nous puissions le faire tout à l'heure.

Toutefois, cela dit, permettez-moi de commencer par souhaiter la bienvenue à Brian Craik et Alan Penn du Grand conseil des Cris du Québec. Messieurs, allez-y.

M. Brian Craik (directeur, relations fédérales, Grand conseil des Cris du Québec (Eeyou Istchee)): Monsieur le président, membres du comité, nous vous remercions d'avoir accepté que nous comparaissions ici aujourd'hui.

Nous représentons le Grand conseil des Cris du Québec. Je suis désolé que le grand chef Coon Come n'ait pas pu se joindre à nous aujourd'hui. Il est actuellement à l'hôpital à Chibougamau parce qu'il a eu un accident en chassant l'orignal dans son territoire.

Nous représentons ici le Grand conseil et l'ARC. Le Grand conseil est la branche politique de l'organisation crie, et l'ARC est l'Administration régionale crie, sa branche administrative. Les Cris possèdent des terres traditionnelles dans le territoire de la Baie James ainsi qu'à l'ouest, au nord et à l'est de ce territoire.

Notre mémoire a principalement pour objet de faire part de nos réactions à la Loi sur les pêches qui vient récemment d'être présentée à nouveau. Nous n'allons pas parler en détail du contenu des articles de cette loi. Nous préférerions aborder les questions concernant son application en nous appuyant sur notre expérience de ces quelques dernières années.

Ce sur quoi nous voulons le plus insister auprès du Comité est que l'importance de la Loi sur les pêches dépend à un degré exceptionnel de la mesure dans laquelle le gouvernement est prêt à mettre en place des politiques et à fournir des ressources permettant son application, aussi bien pour ce qui est de la pêche que de la protection de l'habitat.

En plus de la Loi sur les pêches, nous voulons également parler brièvement de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et des quelques graves problèmes que nous avons relativement à l'application des articles de cette convention concernant la protection de l'environnement.

• 1540

Les Cris du nord du Québec considèrent être dans une position privilégiée pour juger ce que la Loi sur les pêches peut signifier dans la pratique quand il est manifeste qu'il n'existe aucune volonté politique de l'utiliser aux fins qui étaient censées être les siennes. À cet égard, le passé pourrait donner de bonnes indications pour l'avenir. Voilà pourquoi nous pensons que le Comité permanent doit réfléchir à ce qui s'est passé dans la région géographique des Cris de la Baie James.

Je vais maintenant donner la parole à mon collègue, Alan Penn, qui est conseiller scientifique auprès du Grand conseil des Cris.

M. Alan Penn (conseiller scientifique, Grand conseil des Cris du Québec (Eeyou Istchee)): Merci.

Les articles de la Loi sur les pêches qui nous préoccupent le plus concernent le concept de délégation de la responsabilité et de la gestion des pêches et celui du partenariat, d'une part, et, d'autre part, les dispositions relatives à la lutte contre les contaminants pour assurer la protection de l'habitat.

Pour commencer, je dirai qu'il y a un rapport entre les deux, mais pas nécessairement celui que l'on suppose généralement. D'après notre expérience—et nous allons parler un peu des répercussions possibles d'une vaste exploitation des ressources en eau du Nord—, si on passe par une série d'étapes de développement qui, en fait, empêchent le développement des pêches, il existe ensuite fort peu de possibilités de conclure des partenariats pour la gestion de ressources qui n'existent plus, ont été fortement transformées ou sont beaucoup moins abondantes.

J'essaierai d'illustrer cela en vous présentant, au cours des prochaines minutes, l'exemple de La Grande. Vous avez le texte de notre argumentation dans le mémoire. Je vais essayer de développer et de préciser certains des points qui y sont énoncés.

L'application de la Loi sur les pêches, et plus particulièrement celle des dispositions relatives à la protection de l'habitat, a coïncidé approximativement avec la construction du complexe La Grande dans le nord du Québec, mais je pense que cela s'appliquerait également à l'exploitation des fleuves Churchill et Nelson dans le nord du Manitoba et au complexe des chutes Churchill au Labrador. En d'autres termes, la période au cours de laquelle le gouvernement fédéral a appliqué les modifications apportées à la Loi sur les pêches en 1971, 1972 et 1977 correspond approximativement à celle où d'importants programmes de production d'énergie hydroélectrique ont été mis en oeuvre dans les régions du Canada recouvertes par la forêt boréale.

Je pense qu'ils méritent de retenir l'attention du comité parce qu'ils montrent bien rétrospectivement pour quoi on s'est servi de la Loi sur les pêches et pour quoi on ne s'en est pas servi. Je voudrais dire un certain nombre de choses à ce sujet à propos du complexe La Grande, qui a transformé une vaste superficie d'habitat aquatique au cours des 25 dernières années.

Il s'agissait de créer, en quelque sorte, un nouveau bassin fluvial à partir de trois bassins préexistants couvrant une superficie un peu plus grande que celle des Maritimes, avec un réservoir s'étendant sur un total d'environ 20 000 kilomètres carrés. C'est donc une quantité de terre très importante dans le contexte du Canada: un bassin de drainage de 200 000 kilomètres carrés; une zone inondée de 20 000 kilomètres carrés, c'est-à-dire approximativement la quantité de terre utilisée pour la production agricole au Québec—ce sont d'importants changements de l'utilisation des terres si on envisage la question du point de vue des gens du sud du Québec.

On a détourné trois importants cours d'eau de même que plusieurs rivières secondaires, ces détournements portant sur un débit d'environ 2 000 mètres cubes par seconde. C'est le plus gros ensemble de détournements de cours d'eau au Canada si on ne tient pas compte du barrage de Beauharnois, qui change le cours de la voie maritime du Saint-Laurent sur environ deux kilomètres. Mais je pense que, selon la plupart des critères, on peut considérer cela comme le plus gros ensemble de détournements de cours d'eau au Canada.

• 1545

Un des principaux bassins fluviaux se déversant dans la Baie James a subi une réduction de plus de 90 p. 100 de son débit. C'est celui de la rivière Eastmain. La rivière La Grande elle-même, dont cet aménagement a doublé la taille du bassin, se retrouve avec une concentration de son écoulement pendant les mois d'hiver et a maintenant un débit, constitué d'une série quotidienne de déversements par à-coups, qui correspond d'assez près à son débit traditionnel le plus important avant son aménagement. Il y a donc eu des transformations hydrologiques très importantes dans cette région.

Comme vous l'avez probablement entendu dire, les grands réservoirs de ce complexe connaissent également une contamination par le mercure. Les concentrations de mercure ont été multipliées par quatre ou par six dans les stocks de poisson, selon l'espèce, dans les cinq à dix années qui ont suivi la construction des barrages. On s'attend à ce que cette augmentation ait approximativement la durée d'une génération humaine, soit environ vingt à trente ans.

C'est une région qui a connu, pour commencer, un gros problème de contamination environnementale par le mercure. Avant la mise en eau, les localités touchées par l'aménagement hydroélectrique avaient également fait l'objet d'une série d'études épidémiologiques d'une ampleur qui était, je pense, sans précédent, tout au moins pour une population autochtone du Nord du Canada, mais sans doute pas à l'échelle mondiale. Près de la moitié de la population crie adulte a fait l'objet d'une série d'évaluations neurologiques pour déterminer les retombées du mercure venant de leur économie de subsistance sur leur état de santé neurologique. C'était avant l'aménagement hydroélectrique et l'augmentation des niveaux de mercure qu'on a pu constater dans les réservoirs eux-mêmes.

Il y a donc une série de changements considérables touchant l'habitat du poisson à l'échelle régionale ainsi qu'un problème de contamination qui, je pense, est également sans précédent au Canada. Les concentrations de mercure dont nous parlons, qui se situaient entre 0,5 et 1 part par million chez les poissons non prédateurs et entre environ 3 et 5 p.p.m. chez les poissons prédateurs, se comparent aux niveaux observés dans la zone d'English River, Clay Lake et Wabigoon dans le nord-ouest de l'Ontario au cours des années 70, qui constitue le cas le plus grave officiellement constaté de contamination aiguë par le mercure industriel.

La situation dans la région illustre donc nombre des problèmes que la Loi sur les pêches était, à l'origine, nous semble-t-il, censée régler. Je demanderai pour la forme ce qu'ont fait Environnement Canada et Pêches et Océans? À certains moments, ils formaient un seul ministère, et à d'autres, deux ministères différents. Qu'a fait le gouvernement fédéral pendant la période de cet aménagement?

En premier lieu, je pense qu'il faut dire que l'aménagement hydroélectrique, même s'il a été réalisé après l'introduction du processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement au Canada, n'a fait l'objet d'aucune espèce d'examen environnemental informel dans le cadre de cette politique. Celle-ci a été appliquée seulement à la construction d'un pont menant à l'île située à l'embouchure de la rivière où a été réinstallé le village de Chisasibi. La construction d'un pont entre l'île et la terre ferme n'a pas été autorisée, ce qui a finalement forcé à réinstaller le village à cet endroit-là et a ouvert la voie à ce qu'on a ensuite appelé la deuxième phase de l'aménagement de la rivière La Grande, ce qui a modifié encore plus son régime d'écoulement.

• 1550

Il est donc assez paradoxal que, lorsque le processus fédéral d'évaluation a été appliqué, il l'a été aux Cris en tant que promoteurs de l'aménagement et non pas au promoteur de l'aménagement hydroélectrique. C'est une décision qui a finalement imposé le déplacement de tout un village.

Environnement Canada avait d'abord participé à une entente bilatérale pour financer la collecte de données de référence par le promoteur et a également participé à certaines des études des stocks de poissons côtiers. Cela s'est produit à l'époque de la négociation de ce qui est devenu la Convention de la Baie James et du Nord québécois, dont Brian va parler dans quelques minutes.

Environnement Canada, qui incluait à l'époque le service des pêches, participait à cette négociation en tant que membre de la délégation du gouvernement fédéral. La Convention de la Baie James et du Nord québécois est une entente multipartite à laquelle sont associés le gouvernement fédéral ainsi que ses ministères et organismes.

Il est certain que, quand les Cris ont entamé cette négociation, ils s'attendaient à ce que l'entente entraîne une restructuration durable de leurs rapports avec le gouvernement fédéral, y compris avec Environnement Canada et ce qui allait ensuite devenir le ministère des Pêches et Océans. En fait, on a constaté que l'existence de cette convention a plutôt servi de prétexte au gouvernement pour cesser de participer très activement à la gestion environnementale dans ce territoire. À partir de 1978, plusieurs décisions politiques ont été prises, sans discussion préalable avec les populations autochtones ou leurs représentants, en vertu desquelles le ministère s'est progressivement retiré de la gestion des ressources en eau dans le Nord-Ouest du Québec.

La station de biologie arctique, qui regroupait les meilleurs spécialistes scientifiques de la gestion des ressources halieutiques du Nord, a été fermée. Les différents autres programmes de recherche de Pêches et Océans concernant le Nord du Québec ont également été progressivement supprimés au début des années 80. Le gouvernement fédéral n'a pas participé à la suite de l'évaluation des différents éléments de l'aménagement de la rivière La Grande, en particulier les quatre projets constituant sa deuxième phase, malgré la décision de modifier le facteur de capacité des centrales et les changements très importants du régime d'écoulement à l'embouchure de cette rivière.

Le gouvernement fédéral s'est tenu essentiellement à l'écart de l'évaluation de l'impact environnemental de ces modifications apportées aux programmes d'aménagement. Il n'a pas participé à leur planification ou à leur mise en oeuvre, ni à l'interprétation ultérieure des données collectées au sujet des pêches, ces activités devenant dans la pratique la seule prérogative du promoteur lui-même.

Le fait qui est peut-être le plus important est qu'en ce qui concerne la contamination par le mercure dont je viens de parler, le gouvernement fédéral était d'avis qu'on ne pouvait pas s'appuyer sur la Loi sur les contaminants de l'environnement pour régler le problème de la contamination par le mercure due à l'aménagement hydroélectrique parce qu'en l'occurrence, le mercure était considéré comme un contaminant naturel, libéré à la suite des changements du fonctionnement de l'écosystème à l'intérieur des réservoirs, si vous voulez, et non pas comme la conséquence d'un déversement effectué à un endroit déterminé. Cela a constitué un prétexte facile dont le gouvernement fédéral s'est servi pour décider qu'il n'examinerait donc pas cette question.

Cette situation était évoquée au moment de l'élaboration de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, la LCPE. Après notre intervention auprès de M. Caccia, une disposition y a, en fait, été ajoutée, selon laquelle cette loi peut servir de cadre de référence pour étudier la contamination découlant de la perturbation du fonctionnement d'un écosystème, et le mercure en est probablement l'exemple le plus important au Canada.

Mais, je le répète, cette disposition n'a pas été appliquée au cours des cinq ou six ans d'existence de la LCPE. Il n'y a eu absolument aucune ouverture de ce côté.

Donc, essentiellement, ce qui nous paraît—et je pense que c'est subjectivement vrai—constituer le cas régional le plus important de contamination par le mercure au Canada continue d'échapper à l'application des lois canadiennes concernant les contaminants de l'environnement, qu'il s'agisse de l'ancienne Loi sur les contaminants de l'environnement, de la LCPE ou de la Loi sur les pêches elle-même, qui contient elle aussi des dispositions concernant les substances nocives.

• 1555

Nous constatons donc fondamentalement que le cadre législatif et réglementaire fédéral est inapplicable et que la Convention de la Baie James sert au gouvernement à se retirer graduellement de la sorte de cadre institutionnel qui permet de réunir les données écologiques de base et de préserver la capacité d'analyser, d'interpréter et d'évaluer les données concernant les changements de l'environnement dans la région.

Nous avons été fortement découragés par cette série d'événements qui se sont produits depuis la fin des années 70 jusqu'au début des années 90.

Voilà donc un aperçu très général de la situation en ce qui concerne la protection de l'habitat. Nous avons constaté des problèmes identiques pour ce qui est du développement et de la gestion des pêches.

À l'époque des négociations sur la Convention de la Baie James, le ministère de la Justice a insisté sur le fait que les poissons anadromes relevaient du gouvernement fédéral. Il a spécifiquement fait en sorte que le concept de droits exclusifs pour certaines espèces, qui faisaient partie de l'ensemble des droits de récolte de subsistance faisant alors l'objet de négociation, n'inclue pas ces stocks anadromes, étant donné que le gouvernement fédéral n'accepte pas ce principe. Or, quelques années plus tard, probablement dans les quatre ou cinq années qui ont suivi, vers le début des années 80, nous avons appris—et c'était là encore essentiellement une entente bilatérale entre le gouvernement fédéral et les provinces—que le gouvernement fédéral ne considérait plus qu'il avait des responsabilités relativement à la gestion des poissons anadromes au sud du 55e parallèle, c'est-à-dire la région couverte par l'aménagement hydroélectrique de la Baie James. Il n'y avait cependant pas eu d'entente bilatérale avec le Québec qui aurait permis au gouvernement de cette province d'assumer lui-même la responsabilité de ces ressources.

Cela a créé donc essentiellement un vide et, ensuite, quand le gouvernement fédéral s'est tourné vers les Inuits au sujet des EDER, les ententes de développement économique et régional des années 80, son attitude a également été que les poissons anadromes côtiers relevaient des provinces, qu'il n'était pas lui-même concerné et qu'il n'assumerait aucune responsabilité en ce qui concerne leur développement.

Les Cris se sont donc retrouvés confrontés avec un nouveau problème: les pêches ou les stocks de poissons des zones côtières et estuariennes—que les détournements de cours d'eau dont je parlais un peu plus tôt avaient, de toute façon, profondément transformés—étaient également exclus de l'application des programmes fédéraux portant sur la coopération avec les populations locales pour la gestion des pêches.

Dans le même ordre d'idée, Pêches et Océans affirmait également que les pêches dans les eaux intérieures relevaient des provinces, alors qu'il n'existait aucune tradition historique ou culturelle de pêche commerciale en eau douce au Québec. En raison, je suppose, de certaines susceptibilités politiques, le ministère a dit que le gouvernement fédéral n'était pas prêt à s'occuper de cela. Il pourrait s'intéresser au contrôle de la qualité, à la commercialisation et à des questions de ce genre, mais pas participer directement au développement des pêches en collaboration avec les populations autochtones de la région... cela étant une prérogative provinciale plutôt que fédérale.

Là encore, nous avons trouvé cela difficile à justifier sur la base de notre propre interprétation de la loi cadre régissant Pêches et Océans. Nous avons donc à cet égard le problème combiné ou parallèle que le gouvernement fédéral se tient à l'écart non seulement des questions touchant la gestion ou la protection de l'habitat, mais également de celles qui touchent la gestion et la conservation—dans les deux domaines.

• 1600

Je voudrais terminer mon intervention en disant simplement que nous constatons également que le gouvernement fédéral se tient à l'écart de la question plus générale de la contamination dans la région du Nord du Bouclier canadien. Comme vous le savez certainement, la question du transport du mercure en tant que contaminant sur de longues distances suscite de plus en plus d'intérêt. Un important savoir-faire mis au point pour l'étude du transport des oxydes de soufre et d'azote sur de longues distances a également été appliqué maintenant à l'étude du mercure.

Aux États-Unis, la Environmental Protection Agency a récemment publié un important rapport à ce sujet. Plusieurs groupes de recherche et chercheurs individuels ont pris une série d'initiatives concernant l'étude du phénomène du transport dans l'atmosphère concernant le cycle du mercure.

Le problème qui se pose est celui de la détermination de ce qui se passe dans les régions septentrionales du Canada, dans les populations autochtones qui pratiquent une économie de subsistance, et de la nature des liens entre le transport du mercure dans l'atmosphère et les voies biogéochimiques qui entraînent l'absorption de mercure par le poisson. Là encore, le gouvernement fédéral reste tout à fait à l'écart. Il n'y a tout simplement aucune présence du ministère, et pas simplement dans cette région. Il semble ne s'intéresser à cela que de façon très marginale dans l'ensemble du moyen nord du Canada.

On nous a dit, au début des années 90, qu'il y avait le Plan vert, et une certaine quantité d'argent, de ressources et de savoir-faire ont été utilisés pour étudier les contaminants et leur cheminement dans les régions arctiques du Canada. Mais là encore, le territoire de la Baie James a été exclu du territoire délimité pour cette recherche dans l'est du Canada. Les Cris n'ont donc pas pu bénéficier de l'accès au programme du Plan vert, en ce qui concerne l'étude des contaminants dans les régions septentrionales du Canada.

Pour en terminer avec cette question, je pense qu'il est également vrai que, pour je ne sais quelle raison, on n'a pas non plus prêté attention au territoire de la Baie James lorsqu'il y a eu toute sorte d'activités au sujet des précipitations acides à la fin des années 70 et au début des années 80, bien que les hautes terres de la partie méridionale de la région soient probablement aussi vulnérables que n'importe quelle autre région du Bouclier canadien au Québec.

Ce que j'essaie de dire est essentiellement que nous avons au Canada un cadre législatif et réglementaire intéressant et prometteur pour ce qui est des questions touchant aussi bien la protection de l'habitat que la conservation et la gestion des ressources. Ce que cela veut dire en pratique dépend entièrement de la mesure dans laquelle le ou les ministères concernés sont prêts à s'en servir pour définir leurs politiques et pour engager suffisamment de ressources techniques et humaines pour donner corps à ce cadre législatif. Ce que nous avons constaté est essentiellement que le gouvernement fédéral se tient à l'écart de tout cela.

Nous ne savons réellement pas si on peut s'attendre à des changements à l'avenir. Mais il nous paraît très important d'examiner de façon critique ce qui s'est passé jusqu'ici avant de se prononcer sur ce que cette loi pourrait avoir comme effet à l'avenir, parce qu'à première vue, du point de vue des Cris, elle ne donne pas grands résultats.

M. Brian Craik: Je mettrais un peu plus l'accent sur la Convention de la Baie James et du Nord québécois; les Autochtones du Canada ont maintenant tendance à se reporter continuellement aux traités et à les citer dans tous les forums fédéraux auxquels ils peuvent avoir accès. Vous savez peut-être que cette convention s'est ajoutée récemment à la longue liste des traités non respectés. Si vous examiner les dispositions de l'article 22 de la Convention de la Baie James et du nord québécois relatives à la protection de l'environnement, vous constaterez que certains principes y sont énoncés.

Je vais vous les présenter brièvement. Le premier principe établit un régime:

    [...] en vertu duquel des lois et règlements environnementaux et sociaux et des règlements sur l'utilisation des terres peuvent [...] être adoptés le cas échéant pour réduire les répercussions négatives de l'exploitation directe ou indirecte du territoire où vivent les peuples autochtones et de ses ressources fauniques;

• 1605

Le deuxième principe est le suivant:

    Une procédure d'évaluation et d'examen de l'impact environnemental et social (est) mise en place pour limiter le plus possible l'impact environnemental et social néfaste du développement sur les Autochtones et les ressources fauniques du territoire;

Il y a donc, d'une part, cette promesse législative et, d'autre part, il y a une promesse concernant des projets déterminés.

Le troisième principe est le suivant:

    La reconnaissance d'un statut spécial et de la participation des Cris, au-delà de ce qui est prévu dans les procédures concernant l'ensemble de la population, au moyen de mécanismes de consultation et de représentation... [Ce système est mis en place] pour protéger ou concrétiser les droits et les garanties dont jouissent les Autochtones et qui sont offerts par la présente Convention et en conformité avec elle.

Le dernier principe que je mentionnerai est le suivant:

    La protection des Cris, de leurs économies et des ressources fauniques dont ils dépendent [...]

Cette convention établissait une sorte de système fédéral et provincial, bipartite et à deux branches, les Cris étant associés aux activités des deux parties. Dans certains cas, il y avait des comités mixtes auxquels participaient les trois parties.

Le principal comité mixte chargé de l'application du régime et du contrôle de celle-ci est le Comité consultatif pour l'environnement de la Baie James. Il a une fonction législative dans le sens où il est, en fait, censé pouvoir, lorsque cela est justifié, recommander au gouvernement compétent de prendre les mesures appropriées, d'ordre législatif, réglementaire ou autres, concernant le régime de protection de l'environnement et de la société et d'en confier la mise en oeuvre aux autorités appropriées. En d'autres termes, le comité a pour rôle de faire en sorte que les lois qui s'appliquent à la protection de l'environnement et des Cris, dans le contexte du développement, soient appropriées au territoire. Les Cris doivent participer aux activités de ce comité, et c'est stipulé dans le texte.

Le deuxième comité qui est important pour le développement est le Comité d'évaluation de la Baie James, qui étudie les répercussions possibles d'un projet d'exploitation des ressources et établit les lignes directrices correspondantes. Les Cris, le Québec et le Canada font partie de ce comité.

Le troisième comité constitué du côté fédéral est le Comité d'examen fédéral, qui est un comité mixte cri-fédéral. Ce comité est censé intervenir lorsqu'un projet a des répercussions dans des domaines relevant de la compétence fédérale.

Alan a expliqué que la question du poisson anadrome était une des raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral devrait être associé très directement à la protection de l'environnement, et c'était une des questions qui, à cette époque, auraient relevé de la compétence de ce comité d'examen fédéral.

D'autre part, il y a également le Comité d'examen cri-provincial qui s'occupe des répercussions des projets dans les domaines relevant de la compétence de la province.

Il y a beaucoup de sortes de mesures qui pourraient être prises relativement aux répercussions sociales, dont celle qui est énoncée au paragraphe 28.10.4 de la Convention de la Baie James. Vous vous rappelez que l'article sur la protection de l'environnement est censé autoriser les parties à concrétiser les droits mentionnés dans la Convention. Le paragraphe 28.10.4 stipule que:

    Le Québec et le Canada prendront toutes les mesures raisonnables, notamment en adoptant des règlements, pour accorder la priorité aux personnes ou aux entrepreneurs d'origine locale disponibles et dûment qualifiés en ce qui concerne les contrats et les emplois créés dans le cadre du développement du territoire.

Si vous examinez ce qui s'est passé, c'est assez simple. Premièrement, le comité consultatif de la Baie James n'a jamais joué correctement son rôle. Jusqu'à présent, il se réunit de temps en temps. Le gouvernement fédéral limite sa participation à l'envoi de certains consultants qui sont rémunérés pour les journées qu'ils consacrent au comité et auxquels il n'accorde que très peu de temps en complément de cela.

Le comité lui-même n'a presque aucunes ressources. Son secrétaire s'occupe aussi d'autres choses. Il n'emploie aucun juriste, et ses membres ne peuvent donc recevoir aucun avis juridique indépendant. Il ne possède pas non plus de spécialistes en environnement. Il n'a personne. Il y a juste un secrétaire et c'est tout.

• 1610

Les membres du Québec ne sont pas rémunérés pour leur participation à ce comité. Ils le font à titre bénévole. Ils consacrent donc très peu de temps à ses activités.

Vu le mandat de ce comité, si c'était, par exemple, un comité mixte Canada-États-Unis, il occuperait une partie de ce bâtiment, avec plusieurs personnes qui y travailleraient. Mais comme il concerne les Cris du nord du Québec, il n'a rien. Il a constamment été étouffé par les compressions budgétaires dans les ministères fédéraux et au Québec.

Aucune loi et aucun règlement d'ordre social n'ont jamais été adoptés en application de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, aucun. Et le gouvernement du Québec ou celui du Canada n'ont jamais appliqué aucune réglementation, aucune loi et aucune politique concernant l'environnement en application de cette convention. Il n'y en a pas.

Le vice-président (Gar Knutson): Je ne voudrais pas vous couper la parole maintenant. Nous trouvons tous que vos commentaires sont fascinants et importants. Mais je ne crois pas que ce soit l'endroit approprié pour les présenter. Quoi qu'il en soit, si vous voulez ajouter quelque chose, faites-le rapidement, je vous en prie, parce que je pense que les gens attendent avec impatience de pouvoir vous poser des questions.

M. Brian Craik: Je pense que cela suffit. Nous pouvons répondre aux questions.

Le vice-président (Gar Knutson): Monsieur Gilmour.

M. Bill Gilmour (Nanaimo—Alberni, Réf.): Merci.

Merci de comparaître devant nous.

Vous pouvez peut-être préciser quelque chose à mon intention. Dans votre mémoire, vous dites qu'à la suite de la contestation du projet hydroélectrique, la Convention de la Baie James et du Nord québécois a été signée en 1975 et est entrée en vigueur «malgré l'opposition du gouvernement fédéral». Le gouvernement fédéral s'est-il opposé à sa signature? S'il vous plaît, précisez qui ont été ses signataires et quelle ambiance régnait à l'époque.

M. Alan Penn: Ce que je voulais dire dans cette partie du mémoire était qu'il s'agissait d'une entente multipartite associant toutes les parties aux poursuites engagées initialement par les Cris et les Inuits contre l'aménagement de la rivière La Grande. Il s'agissait du gouvernement fédéral, du gouvernement du Québec, d'Hydro-Québec, de la Société de développement de la Baie James et de la Société d'énergie de la Baie James, tous signataires de cette convention.

La convention était censée entrer en vigueur quand le Québec et le gouvernement fédéral auraient adopté des lois à cet effet dans un délai maximum de deux ans. En 1977, on avait vraiment l'impression que le gouvernement fédéral n'allait pas adopter de loi avant l'expiration de ces 24 mois et que la convention allait devenir caduque du simple fait que le gouvernement fédéral n'appliquait pas cette disposition. Le Québec a adopté une loi cadre, puis une série d'autres lois en 1978...

M. Bill Gilmour: Le gouvernement fédéral s'y opposait, mais il l'a signée?

M. Alan Penn: le gouvernement fédéral était très réticent. À l'époque, il semblait très réticent à adopter une loi pour qu'elle entre en vigueur.

M. Bill Gilmour: Mais il a fini par le faire.

M. Alan Penn: Il y avait énormément de lobbying à l'époque et, en fait, la loi habilitante a été adoptée. Mais, à l'époque, il n'était pas du tout évident que cela allait se faire.

M. Bill Gilmour: Nous sommes maintenant en mesure d'examiner ce qui s'est passé pour l'aménagement du cours inférieur du fleuve Churchill, et les règles ont beaucoup changé. Y aura-t-il un examen environnemental? Si c'est le cas, sera-t-il effectué par le Québec ou le Labrador ou le gouvernement fédéral ou plusieurs d'entre eux ensemble, et sur quoi portera-t-il? Comment pensez-vous que va se passer ce dont parlent actuellement les premiers ministres Tobin et Bouchard?

M. Alan Penn: Pour autant que je sache, je suppose que les mesures d'aménagement en question devraient automatiquement faire l'objet d'une évaluation en vertu des dispositions de la LCEE—la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale—pour ce qui est de Gull Island et de Muskrat, les deux endroits situés en aval de la centrale actuelle des chutes Churchill. En gros, il y aurait automatiquement une évaluation.

Ces projets sont prévus depuis assez longtemps. J'ai déjà vu un avant-projet d'évaluation de l'impact environnemental du projet de Gull Island. Plusieurs études environnementales ont déjà été réalisées.

• 1615

M. Bill Gilmour: À votre avis, si les sites anciens avaient fait l'objet d'un examen environnemental, auraient-ils été approuvés, surtout avec le problème du mercure?

M. Alan Penn: L'ampleur du problème de la contamination par le mercure n'a été constatée qu'à partir d'environ 1983. Le réservoir Smallwood du complexe des chutes Churchill a été mis en eau en 1973-1974, si je me souviens bien, on ne s'attendait donc pas aux difficultés concernant le mercure au moment de sa création. Bien entendu, les pertes importantes de terres et d'habitats se sont produites au moment de la création du réservoir Smallwood, qui est le plus grand d'Amérique du Nord. Quand il est plein, ce qui n'est pas le cas actuellement, il s'étend sur 6 000 kilomètres carrés environ. Il est réellement très grand.

Les projets d'aménagement du cours inférieur du Churchill sont relativement... Je ne dirais pas qu'ils sont insignifiants, mais il s'agit, de fait, de barrages construits dans des gorges en aval du réservoir actuel des chutes Churchill. C'est le seul réservoir qui permet de construire ces barrages et les rend intéressants parce que la régulation du débit est déjà assurée.

Je pense que la réponse à votre question est qu'il y aura une évaluation, mais que la grande restructuration du milieu aquatique, qui crée des conditions physiques permettant de produire de l'énergie à ces endroits-là, a eu lieu il y a 20 ans.

M. Bill Gilmour: À propos de la restructuration, je crois savoir que le cours de deux rivières sera inversé du fait de ces nouveaux projets, ce qui aura manifestement des répercussions sur les pêches. Je vous demande donc s'il y a des chances que cela soit approuvé s'il y a une évaluation environnementale. Comment cela peut-il être acceptable et que pensez-vous de répercussions d'une telle ampleur?

M. Brian Craik: Parmi ses commentaires, Alan a dit que le réseau fluvial du Churchill avait déjà subi une bonne partie des dégâts possibles, si bien ce qu'il y a maintenant en aval du barrage initial constitue déjà un écoulement non régulé et artificiel.

Le nouveau barrage contribuera un peu à la régulation du réseau, mais pas beaucoup, parce qu'il n'ajoutera guère de capacité d'entreposage. Si on regarde les autres rivières dont on détourne le cours vers ce réseau, elles sont là seulement pour fournir plus d'énergie et pour permettre de générer plus d'énergie à partir de ce qui est proposé.

À mon avis, on a déjà fait assez de dégâts dans le Nord. Il ne faudrait pas détourner plus de cours d'eau. Le Canada réduit progressivement ses ressources. Il sacrifie des rivières pour des projets d'aménagement qui présentent un intérêt marginal.

En outre, à mon avis, du point de vue économique, si Terre-Neuve demande ces 2 milliards de dollars, c'est parce que le projet ne pourrait pas être réalisé sans cet argent. Ce n'est pas une option économiquement viable. Il y a de biens meilleures options dans le Sud à l'heure actuelle. Le gaz naturel produit de l'énergie en Nouvelle Angleterre à un prix très faible. De même, du point de vue de l'environnement, il vaut beaucoup mieux utiliser un certain nombre de piles à combustible et prendre des mesures pour conserver l'énergie et pour améliorer le rendement énergétique.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Avez-vous une dernière question?

M. Bill Gilmour: Ma dernière question est pour mon information personnelle; à ma connaissance, la contamination par le mercure vient de la végétation: quand elle est inondée, les plantes absorbent le mercure, qui est ensuite dissout par l'eau. S'il en est bien ainsi, pourrait-on supprimer cet effet en enlevant la végétation avant la mise en eau? C'est juste pour mon information personnelle, mais vous pourriez peut-être préciser cela.

M. Alan Penn: Je répondrai d'abord à la première partie. Pour les projets à petite échelle, c'est certainement une possibilité. Quand Ontario Hydro a envisagé de construire une centrale hydroélectrique sur la rivière Jackfish à la fin des années 80, son intention était de régler le problème du mercure en enlevant la couche supérieure du sol et la végétation, essentiellement afin de retirer la matière organique qui accélérait le traitement du carbone organique.

• 1620

Pour préciser une chose, ce qui se passe après la création d'un réservoir dans le Nord est qu'il y a une très grande quantité de végétation et de sol organique qui est entreposée. Les arbres eux-mêmes, les troncs des arbres eux-mêmes, sont réfractaires et peuvent très vraisemblablement durer des centaines d'années, mais le feuillage, la couverture végétale et la couche supérieure du sol nourrissent les microbes. Dans un jeune réservoir, il y une forte accélération du cycle microbien de production de carbone organique, et c'est pour cela que les réservoirs sont, en fait, des sources de gaz à effet de serre après leur création—du méthane, peut-être de l'oxyde nitreux et, certainement, de grosses quantités de gaz carbonique. Mais la production de mercure-méthyle, c'est-à-dire le mercure organique, si vous voulez, est un sous-produit de cette activité microbienne.

L'ampleur du problème est donc proportionnelle à l'étendue de la zone inondée: plus elle est grande, plus les réservoirs sont grands, plus on a de chances que quelqu'un affirme que le nettoyage requis est si coûteux qu'il est impossible de construire ces complexes si on insiste sur les mesures de limitation du mercure à la source. C'est tout au moins ce qui s'est produit dans le cas du Nord du Québec.

Pour répondre à votre question antérieure, je voudrais également dire simplement que, pour tous les projets d'aménagement hydroélectrique, pas seulement au Québec, mais pour tous ceux qui ont été recommandés et réalisés dans la région du Bouclier canadien au cours des 25 à 30 dernières années, on a détourné des cours d'eau. La situation économique de ces projets a toujours été dictée par le détournement de cours d'eau. C'est vrai pour le complexe des chutes Churchill.

Il est toujours tentant pour une société comme Hydro-Québec de chercher d'autres parties du cours d'une rivière qu'on peut détourner vers un réseau fluvial existant pour augmenter la production d'énergie. Mais la restructuration fondamentale du réseau fluvial pour le complexe des chutes Churchill a eu lieu au début des années 70, il y a longtemps.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Monsieur Asselin.

[Français]

M. Gérard Asselin (Charlevoix, BQ): Bienvenue au comité. J'ai quelques questions d'éclaircissement à vous poser sur votre rapport.

Si je comprends bien, vous représentez le Grand conseil des Cris du Québec. Vous savez fort bien que l'expansion hydroélectrique ou les infrastructures hydroélectriques du Grand Nord, principalement de La Grande et de la Baie James, posent des problèmes environnementaux, et cela non seulement au Québec.

Je suis un peu surpris que vous ne nous parliez ni de Terre-Neuve ni du Labrador. Vous savez comme moi que les Cris font présentement des revendications relativement au tout prochain projet, non seulement au niveau du Québec, mais aussi de Terre-Neuve et du Labrador.

Est-ce que votre mandat porte exclusivement sur le Québec? Est-ce que dans un deuxième temps un autre organisme viendra nous parler du projet hydroélectrique, mais cette fois en nous présentant la perspective de Terre-Neuve et du Labrador?

Vous avez aussi parlé de la Loi sur les pêches et des problèmes environnementaux qui en ont découlé. Je me rappelle fort bien ce projet hydroélectrique de La Grande qui remonte aux années 1970-1976, au moment où régnait le gouvernement libéral de Robert Bourassa. On avait poursuivi ce projet en 1976, sous le règne du premier ministre du Québec René Lévesque.

Je me rappelle le grand processus de négociation entre le gouvernement du Québec et la communauté crie, à l'époque. Il y avait un choix à faire concernant la diminution de la qualité de vie et l'impact éventuel du projet sur l'environnement. La communauté crie a accepté plusieurs millions de dollars, mais au détriment de sa qualité de vie et de l'environnement.

Dans la négociation de ce dossier, les Cris, Hydro-Québec et le gouvernement du Québec étaient intervenus. Ça s'était fait sur le territoire du Québec, bien que l'étendue de la Baie James déborde sur le Labrador et Terre-Neuve.

• 1625

Je voudrais bien comprendre votre mandat. Je pense que le but de votre présentation est surtout de sensibiliser le Comité de l'environnement à l'absence d'intervention fédérale en matière d'environnement. Je pense que c'est principalement le but de votre venue.

Je voudrais aussi vous dire qu'il est impossible de faire des omelettes sans casser des oeufs. Si on veut manger une omelette, il faut casser des oeufs. De la même façon, il est impossible de construire une infrastructure comme celle de la Baie James sans savoir s'il va y avoir un barrage et une étendue d'eau en amont ou en aval.

Vous nous dites aussi que vous trouvez du mercure. Je voudrais vous demander si vous êtes certains que c'est causé exclusivement par les infrastructures d'Hydro-Québec. On devait sûrement trouver du mercure auparavant dans les eaux du territoire qui est revendiqué par les Cris, ou serait-ce seulement depuis l'arrivée d'Hydro-Québec?

Est-ce que votre mandat est exclusivement un mandat de sensibilisation auprès du gouvernement fédéral pour allumer un feu rouge? En allumant un feu jaune ou rouge, vous dites au gouvernement fédéral qu'il serait à peu près temps qu'il commence à s'occuper de cette affaire. C'est-à-dire qu'il faudrait travailler avec le gouvernement du Québec sur le problème de l'environnement afin de protéger les habitats, la ressource naturelle qu'est le saumon ou autre chose. Est-ce que c'est bien le but de votre mémoire et de votre intervention?

M. Brian Craik: Je pourrais vous répondre, mais je vais demander à mon collègue, M. Penn, d'y répondre en partie.

Comme nous ne représentons pas les Innus du Labrador et de la Côte-Nord, qui sont les gens impliqués dans le projet proposé sur la rivière Churchill, nous voulions seulement parler en tant qu'environnementalistes, comme des gens qui s'occupaient des impacts des barrages auparavant. Nous savons plus ou moins quelle est la situation sur la rivière Churchill.

J'aimerais vous dire aussi que les Cris sont allés en cour contre le projet de La Grande en l972 et qu'après six mois d'intervention, ils ont obtenu un arrêt du projet, une injonction contre le projet. Les travaux ont été arrêtés pendant environ une semaine, puis la Cour d'appel du Québec a renversé la décision et, finalement, les Cris ont fait appel à la Cour suprême. La Cour suprême a refusé d'entendre les arguments des Cris sur l'injonction, mais a invité les Cris à présenter leur cas à la cour sur la base de leurs droits.

Donc, ils auraient dû commencer par la Cour supérieure du Québec en basant leurs arguments sur leur droit au territoire. Il aurait fallu cinq ans et peut-être plus pour arriver à la Cour suprême, et pendant toute cette période-là, les travaux du projet se seraient poursuivis. Donc, ils prévoyaient que le projet serait complété avant qu'ils n'obtiennent des résultats à la cour. À l'époque, les droits des autochtones n'étaient pas aussi bien définis qu'ils le sont maintenant au Canada.

Cela a donc forcé les Cris à négocier avec Hydro-Québec, le Québec et le Canada, ainsi qu'avec les deux promoteurs, qui étaient la Société de développement de la Baie James et la Société d'énergie de la Baie James. Au bout de deux ans, le résultat de leurs négociations a été la Convention de la Baie James qui prévoyait qu'on leur paierait des dédommagements. Cependant, ce dédommagement payé aux Cris depuis des années aurait été épuisé en un an environ s'ils n'avaient rien reçu des gouvernements pour l'entretien d'organismes de leur territoire comme la commission scolaire, le conseil de santé, le gouvernement régional cri ou les fonds d'entretien pour les bandes.

• 1630

On se plaint maintenant du fait que dans la Convention de la Baie James, on avait accordé aux Cris le droit de développer un territoire qui leur était spécifiquement réservé. Mais qu'est-ce qu'on constate? On constate que ce sont des règlements issus de Québec concernant l'environnement qui sont appliqués au Nord et qu'il n'y a aucun règlement sur la façon dont la société crie devrait être affectée par le développement du territoire. À cause de cela, on dit que la convention n'a pas été mise en oeuvre de façon correcte.

C'est une des raisons pour lesquelles nous sommes ici. Nous aimerions changer cela. Nous aimerions suivre une autre piste et faire accepter d'autres développements sur le territoire. C'est une grande question pour les Cris. Pour les gens de Grande-Baleine, il n'en est pas question et ils sont contre le projet. La communauté crie accepte leur position.

S'il y avait un ou deux petits barrages proposés ici et là sur le territoire d'un des sites appropriés, on pourrait sûrement en discuter avec les Cris. Mais s'il s'agit d'un grand projet comme il en a été question auparavant, les Cris ne l'accepteront jamais.

Je donne la parole à Alan parce qu'il saura vous expliquer la situation du mercure mieux que moi.

[Traduction]

Le vice-président (M. Gar Knutson): Excusez-moi. Pouvez être bref? Chaque député est censé disposer de dix minutes, réponses comprises. Nous avons déjà dépassé cette limite, alors, s'il vous plaît, répondez brièvement.

[Français]

M. Alan Penn: De façon très succincte, je voudrais dire que la Cour d'appel a statué, fin 1973, sur le fait que les Cris devaient attendre la réalisation complète du complexe La Grande avant que l'on puisse juger des dommages conséquents. La construction de ce complexe a suivi son cours pendant tout le processus de négociation. Au moment de la mise en vigueur de la Convention de la Baie James, le réservoir de la centrale LG 2 était presque prêt pour le remplissage.

À propos du mercure, je voudrais tout simplement dire qu'on a constaté une augmentation d'environ cinq fois la teneur du mercure dans les différents stocks de poisson. C'est une augmentation incontestable.

Si vous posez la question aux représentants du Québec, vous obtiendrez la même réponse, à savoir qu'on n'a jamais vu de signal aussi clair d'une telle conséquence d'un projet d'aménagement. Il est incontestable que la multiplication par cinq de la teneur en mercure est attribuable à l'inondation de la région. Je pense avoir répondu à votre question.

M. Gérard Asselin: Je voudrais juste poser une petite question. Est-ce que le mercure pourrait être éliminé sur une certaine période de temps?

[Traduction]

Le vice-président (M. Gar Knutson): Nous en sommes à 13 minutes.

Je vais maintenant donner la parole à M. Laliberte.

M. Rick Laliberte (Rivière Churchill, NPD):

[Le député s'exprime en langue crie]

Au nom de tous les membres du comité, je souhaite saluer le Grand chef Matthew Coon Come et lui souhaiter un prompt rétablissement à la suite de son accident.

Mon collègue a soulevé deux questions. Vous manifestez votre préoccupation face au fait que le gouvernement fédéral néglige sa responsabilité en tant que membre tripartite de cette convention et qu'il néglige ses responsabilités environnementales dans une région immense, ce qui a de graves répercussions sur certains habitants de notre pays.

• 1635

Il me semblait que vous compariez deux disparités, mais vous n'avez pas prolongé la discussion à ce sujet. Il y a, d'une part, la question du sud du 55e parallèle et, de l'autre, celle de la convention des Inuvialuit. Pouvez-vous nous donner plus de détails au sujet de ces deux questions? Pour ce qui est du 55e parallèle, pourquoi la région située au nord est-elle placée sous la juridiction fédérale et celle qui est au sud, sous celle de la province?

M. Brian Craik: Je vais Alan répondre à la question au sujet du 55e parallèle.

M. Alan Penn: Le 55e parallèle constitue la limite septentrionale de la municipalité Eeyou de la Baie James. C'était, en fait, la limite fonctionnelle de la structure administrative établie par le gouvernement Bourassa au cours des années 70 pour le projet d'aménagement de la rivière La Grande. Tout ce qui est au sud du 55e parallèle relevait, en fait, des différentes sociétés d'État créées par le gouvernement du Québec pour cet aménagement. C'est un facteur important, essentiel. C'est un élément important dans la situation politique à partir de 1971.

Cela répond-il à votre question?

M. Rick Laliberte: Le 55e parallèle est-il désigné expressément par le gouvernement fédéral dans l'entente provinciale, ou est-ce simplement la fin du relevé...

M. Alan Penn: Pour ce qui est de la juridiction, je reviens à ce que je viens juste de dire. Le gouvernement fédéral et celui du Québec le considèrent tous deux comme une ligne de démarcation approximative entre le territoire des Inuits et celui des Cris, même si, en fait, c'est une ligne de démarcation très critiquable du point de vue des Cris.

Le principal est qu'en découpant le Nord du Québec au niveau du 55e parallèle, on évite essentiellement, à sa limite méridionale, de donner l'impression de porter atteinte à la juridiction du Québec pour ce qui a trait à l'aménagement de la rivière La Grande. Voilà l'importance pratique de ce 55e parallèle et de cette question de la juridiction fédérale.

Ce que j'essayais de dire au sujet de la convention des Inuvialuit dans les Territoires du Nord-Ouest est qu'il n'y avait aucune indication de cette nature à propos de l'importance de la participation de Pêches et Océans. Il y a un groupe dans la région centrale et arctique de Pêches et Océans à Winnipeg qui se consacre à plein temps aux questions concernant la mise en oeuvre de la convention des Inuvialuit. Il y a une structure conjointe de gestion des pêches qui fonctionne apparemment très bien. Et le financement de sa mise en oeuvre a été négocié pour créer un cadre pour cela.

J'essaie de dire très simplement que le contexte politique du développement dans la région de la mer de Beaufort et de la participation du gouvernement fédéral était fondamentalement différent de celui qui existait dans la région du nord du Québec, où la présence fédérale posait plus de problèmes.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Y a-t-il quelque chose d'autre?

Monsieur Jordan.

M. Joe Jordan (Leeds—Grenville, Lib.): Je tiens à remercier les témoins d'être venus ici. Je veux simplement poser quelques questions peut-être sémantiques, mais peut-être aussi beaucoup plus profondes que cela.

À la page 9 de votre rapport, vous parlez de tierces parties. Les Cris se sentent-ils si aliénés qu'ils se désignent eux-mêmes comme des tierces parties dans cette affaire? De qui parlez-vous là?

M. Alan Penn: Où est-ce?

M. Joe Jordan: C'est à la page 9: «Ces initiatives ne signifieront pas grand-chose, et peut-être même rien du tout, si elles ne s'accompagnent pas d'un financement pour les tierces parties.» C'est l'avant-dernier paragraphe de cette page. Je peux vous lire le paragraphe en entier si vous le voulez. C'est dans votre conclusion.

M. Alan Penn: Lisez-moi ce paragraphe.

M. Joe Jordan: En fait, je vais d'abord expliquer tout ce que j'ai à dire, puis nous pourrons peut-être préciser des choses.

J'ai été très sensible à ce que vous avez dit, et pas seulement au sujet de la législation actuelle. Je pense que ce dont vous vouliez également parler là est la volonté politique d'appliquer cette loi et de prendre des mesures en conséquence. Il y a parfois des exemples où les choses de ce genre se font mutuellement directement obstacle.

• 1640

Je suis personnellement convaincu qu'au lieu de consacrer beaucoup de temps et d'efforts pour essayer d'imposer des mesures par la voie législative, il vaut mieux donner à des tierces parties les moyens d'intervenir. Le projet de la Grande Baleine montre très clairement les effets très positifs que cela peut avoir.

Quand vous parlez de financement pour les tierces parties, est-ce aux Cris que vous faites référence? La situation est-elle si mauvaise? Ou voulez-vous parler de gens comme le Sierra Club, pour être sûr que les ressources soient disponibles?

M. Alan Penn: Je continue à chercher cette référence dans le texte ici, malheureusement.

M. Joe Jordan: Voulez-vous voir le mien?

M. Alan Penn: Oui. Fondamentalement, dans de nombreux cas, ce qui se passe pour l'application des dispositions relatives à l'environnement est que les promoteurs d'un projet viennent le présenter. Les Cris assument parfois une partie importante du coût de l'examen nécessaire, généralement à même leurs fonds d'indemnisation. Notre capacité à effectuer ces examens est donc limitée.

Si nous nous adressons au gouvernement pour lui demander conseil, le Québec nous offre parfois un petit quelque chose, mais le Canada, absolument rien. Zéro. La seule fois où nous avons essayé d'associer l'Institut des eaux douces à certains commentaires au sujet du projet de Grande Baleine, le sous-ministre a mis son veto. Les gens de cet institut n'ont rien pu nous dire.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Quand était-ce?

M. Alan Penn: C'était en 1993, je pense.

M. Joe Jordan: Pour moi, cette conclusion constitue une sorte d'affirmation du fait qu'il est bon d'attirer des gens qui s'intéressent à cette question, mais il faut aussi qu'ils puissent intervenir de façon constructive ou intellectuelle.

Donc, pour en revenir à la question: est-ce les Cris que vous désignez comme une tierce partie?

M. Alan Penn: En l'occurrence, oui.

M. Joe Jordan: Je suppose que ça en dit long sur la détérioration de la situation.

M. Alan Penn: Oui.

M. Joe Jordan: Merci.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Madame Kraft Sloan.

Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Je voulais simplement vous demander d'excuser mon retard. Il s'est passé quelque chose sur la colline qui concernait ma circonscription.

Je voulais également exprimer mes condoléances au Grand Chef Matthew Coon Come. Il s'est présenté devant notre comité à plusieurs reprises et est un témoin très compétent.

Je veux simplement vous remercier pour votre mémoire. Il est très intéressant. C'est tout ce que je voulais réellement dire.

M. Brian Craik: Merci.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Monsieur Asselin, je vous ai interrompu. Voulez-vous commencer la deuxième série de questions?

Monsieur Casson.

M. Rick Casson (Lethbridge, Réf.): Je voudrais poser une question à propos de l'usine de pâtes et papiers de Quévillon, qui a perdu 70 tonnes de mercure. Comment peut-on perdre 70 tonnes de mercure?

M. Alan Penn: À l'époque, les usines de pâte à papier produisaient du chlore sur place pour blanchir la pâte en utilisant de très grands bains de mercure inorganique. Beaucoup d'usines en laissaient échapper une grande quantité dans le sous-sol et dans les cours d'eau voisins et devaient le remplacer. Donc, le chiffre de 70 tonnes provient, en fait, des indications figurant dans les dossiers de la compagnie au sujet de la quantité qu'elle a dû remplacer.

M. Rick Casson: Vous dites que c'est la seule cellule au chlore-alcali au Canada qui n'a pas été nettoyée et remise en état.

M. Alan Penn: À notre connaissance, oui.

M. Rick Casson: Alors, est-ce qu'elle est encore là et continue de polluer? L'usine fonctionne-t-elle toujours?

M. Alan Penn: L'usine fonctionne. La cellule au chlore-alcali a été fermée en 1977. L'usine elle-même est encore là. Elle a été contrôlée par Domtar pendant plusieurs années. Pendant un certain temps, ce qui s'écoulait de l'usine était traité pour en retirer le mercure, mais cela a duré seulement un certain temps. Il y a aussi une grande décharge de saumure à quelques kilomètres. Ce sont en fait des agents régionaux de Pêches et Océans qui nous ont indiqué que ce site n'avait tout simplement pas été nettoyé et qu'un des obstacles était, là encore, une entente fédérale-provinciale sur la désignation du site. En l'absence d'une entente fédérale-provinciale, aucune mesure n'était prise. C'est Domtar qui tirait profit de la situation.

• 1645

M. Rick Casson: Le ministère sait-il que cette usine est là et qu'elle continue de polluer?

M. Alan Penn: Il le savait en 1989 et 1990, quand cela nous a été signalé. Mais, d'après ce que je sais, le problème n'a pas encore été réglé.

M. Rick Casson: On nous a dit que des mesures sont prises chaque fois qu'un cas est signalé. Je ne sais pas ce que cela veut dire.

M. Alan Penn: Là encore, le problème concerne les relations entre les autorités fédérales et provinciales et l'industrie et le fait de savoir qui doit prendre l'initiative d'autoriser un nettoyage. Le gouvernement fédéral est partie à cela, et pour autant que je sache, il joue un rôle passif et attend que le gouvernement provincial prenne l'initiative d'agir, même si la Loi sur les pêches l'habilite encore à le faire lui-même.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Nous pourrions demander au ministère de faire le point sur la question.

M. Rick Casson: Ce serait bien.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Qui est-ce qui...? Est-ce le greffier qui doit le faire?

Le greffier du comité: C'est inscrit au compte rendu.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Les gens du ministère ne lisent peut-être pas le compte rendu.

Le greffier: Monsieur le président, ils le lisent en long, en large et en travers.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Eh bien, je dirai aux gens du ministère, s'ils lisent ce compte rendu, que nous aimerions que leurs représentants fassent le point sur la question quand ils viendront ici finalement pour leur dernière visite au sujet de l'application de la loi.

M. Rick Casson: J'aimerais avoir une idée de vos principales sources de frustration. Vous êtes apparemment très frustré, parce que vous répétez constamment qu'il y a tous ces différents paliers de gouvernement et ces organismes différents et ces comités différents qui vont et viennent, mais que rien ne se passe.

Nous avons parlé de différentes façons de faire en sorte que les différents paliers de gouvernement coopèrent pour agir de façon responsable; il faut que quelqu'un prenne le taureau par les cornes, à défaut d'une expression plus appropriée. Qui devrait, selon vous, prendre l'affaire en main pour que certains de ces problèmes soient résolus et qu'on leur prête attention? Faut-il que ce soit le gouvernement fédéral?

M. Brian Craik: Je pense que ce pourrait être aussi bien l'un que l'autre. Mais je ne vois pas pourquoi l'un d'entre eux devrait attendre que l'autre agisse. Ils sont tous les deux compétents pour le faire.

Une des choses frustrantes est que la procédure d'examen fédérale prévue est maintenant suspendue par le ministère de l'Environnement fédéral. Il ne l'applique pas. Il n'examine aucun projet, aucun.

Il y a un pont qu'une société forestière veut construire sur la rivière Broadback au nord de Waswanipi. Nous demandons donc aux gens du fédéral de faire un examen. Ils disent qu'ils le font. Alors, qui le fait? Ils disent que c'est l'ACEE qui le fait en application de la LCEE et non pas de la Convention de la Baie James. Où cet examen est-il fait? Eh bien, ils disent avoir engagé des gens au Nouveau-Brunswick pour le faire, des gens que nous ne voyons jamais.

Que se passe-t-il? Ce régime est censé permettre aux Cris de participer à l'examen environnemental. Le ministère de l'Environnement actuel refuse de le faire et engage quelqu'un au Nouveau-Brunswick pour effectuer l'examen d'un pont dans le Nord du Québec. Ce qui se passe est ridicule.

M. Alan Penn: Puis-je ajouter quelque chose? C'est une impression personnelle, mais je pense que le bureau régional du Québec de Pêches et Océans Canada est extrêmement prudent vis-à-vis du Québec. Nous traitons régulièrement avec les autorités fédérales et provinciales, et il nous a parfois semblé que nos interlocuteurs provinciaux se demandent pourquoi le gouvernement fédéral fait preuve de tant de réticence. C'est certainement vrai dans le cas du développement des pêches en eau douce, domaine dans lequel le Canada reste celui qui possède l'expertise en la matière. En toute franchise, nous ne comprenons pas—nous-mêmes et certains de nos homologues provinciaux—l'extrême hésitation du ministère des Pêches et Océans à participer à quoi que ce soit qui touche la gestion des pêches. Il me semble qu'il pourrait faire preuve de beaucoup plus d'initiative.

• 1650

Dans le complexe de La Grande, auquel est consacrée une partie de notre mémoire, il y a beaucoup de données à ce sujet qui ont été rassemblées par la Société d'énergie de la Baie James et par Hydro-Québec, de sa propre initiative. Il y avait de nombreux motifs pour le gouvernement fédéral, comme pour nous, de participer au débat sur le sens de ces données et leur rapport avec les changements apportés au projet et la planification des autres activités d'aménagement.

Pour autant que nous puissions le constater, il n'existe aucune preuve tangible du moindre intérêt de la part du gouvernement fédéral. Nous aimerions évidemment mieux qu'il ne se contente pas de commenter les données de quelqu'un d'autre. Il pourrait au moins faire preuve d'un certain intérêt pour ce qui s'est déjà fait. Nous ne savons pas ce qui peut l'inciter à le faire, mais nous sommes réellement convaincus que la situation ne justifie pas, comme nous l'avons constaté au cours de ces dernières années, la mesure dans laquelle il refuse de participer ou son degré de susceptibilité.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Monsieur Gilmour.

M. Bill Gilmour: Très brièvement, c'est peut-être une impression que j'ai, mais en Colombie-Britannique, comme ils n'ont pas assez d'employés, les services provinciaux et fédéraux des pêches travaillent très bien ensemble. Ils n'interviennent pas tous les deux en même temps, mais ils travaillent main dans la main et font du bon travail.

Est-ce que les services provinciaux et fédéraux des pêches travaillent bien ensemble ou y a-t-il une certaine animosité due à des considérations politiques? Quel rapport y a-t-il entre les deux paliers de gouvernement pour ce qui est des pêches?

M. Alan Penn: Je pense que les gens à qui il faut poser cette question sont ceux qui s'occupent des pêches maritimes en Gaspésie. Là encore, ce n'est pas une région où j'ai travaillé, mais j'ai l'impression que dans ces endroits-là, dans la basse côte Nord et en Gaspésie, les bureaux fédéraux et provinciaux entretiennent probablement une relation de travail assez étroite.

Dans le cas dont je parlais à propos de la région de la Baie James, le gouvernement fédéral ou le Québec n'ont tout simplement jamais participé à la gestion des stocks de poisson des principaux bassins fluviaux le long de la côte de la Baie James. Il y a une pêche de subsistance dans cette zone et elle n'a fondamentalement jamais fait l'objet d'aucune intervention. Le gouvernement fédéral ou la province n'ont jamais manifesté un intérêt particulier pour cela.

Le problème est qu'il n'y a simplement aucune tradition de participation provinciale aux pêches intérieures en eau douce alors que je pense qu'en Colombie-Britannique, la province et le gouvernement fédéral s'occupent traditionnellement des pêches depuis de longues années. Je pense que cela conditionne, si on veut, la façon dont les deux gouvernements ont décidé de travailler ensemble ou de ne pas travailler ensemble dans le contexte des événements politiques qui sont survenus au Québec depuis une quinzaine d'années.

M. Bill Gilmour: Merci.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Monsieur Jordan.

M. Joe Jordan: J'ai juste une brève question. À la lumière de la récente initiative d'harmonisation, que beaucoup de gens différents ont qualifiée de nombreuses façons différentes, s'agit-il simplement d'une façon administrative de préciser qui ne va rien faire? Pensez-vous que la situation se détériore ou qu'elle est si mauvaise qu'elle ne peut pas empirer?

M. Bill Craik: Je pense que vous avez mis le doigt en partie sur le problème. L'autre aspect de cela est que le gouvernement fédéral a graduellement abandonné ce domaine et retiré ses experts. Donc, même si le gouvernement fédéral était autrefois très réticent à faire quoi que ce soit de concret en matière de réglementation et d'examen, il y a aussi la disparition des experts. À un moment donné au moins, à un niveau très pratique, nous pouvions traiter avec certains employés fédéraux et recevoir certains conseils. Ce n'est plus possible maintenant.

M. Joe Jordan: Je pense qu'il finit par y avoir un moment où nous nous retrouvons en dehors du jeu et où nous ne pouvons plus contester les données du gouvernement parce que nous ne sommes pas en mesure de produire les nôtres. Les chiffres peuvent mentir et les menteurs peuvent inventer des chiffres. Je veux dire, que pouvons-nous faire?

M. Bill Craik: L'autre problème est que, dans la plupart des cas, la province ne prend pas le relais.

M. Joe Jordan: C'est exact.

• 1655

M. Brian Craik: Le ministère provincial de l'Environnement a perdu beaucoup d'employés qui connaissaient bien la question. Voilà ce qui est advenu de ceux qui pourraient vouloir faire quelque chose. Est-il dans son intérêt de rassembler réellement des données qui vont montrer les répercussions de ses projets?

M. Alan Penn: En outre, je dirai qu'à mon avis le problème est que le cadre institutionnel fédéral pour l'aide technique et scientifique à la pêche en eau douce et en mer dans la région de l'est de l'Arctique du Canada, y compris le sub-Arctique... il a été démantelé au cours de la période traitée dans ce mémoire. Si on démantèle quelque chose, on le perd, à moins de le reconstruire. Je pense que ce qui est nécessaire à cet égard n'est peut-être pas une recommandation explicite relative à ce mémoire, mais je pense que ce que nous aimerions est que les organismes fédéraux compétents réfléchissent à nouveau au type d'aide institutionnelle qu'ils devraient fournir, pas nécessairement en empiétant sur la juridiction de quelqu'un d'autre, mais en déterminant quelles connaissances de base sont nécessaires pour la gestion des ressources et pour la conservation et la protection de l'habitat, pour une bonne politique environnementale à grande échelle dans cette partie du pays. Je pense qu'il faut réfléchir à nouveau à ce qui est nécessaire.

M. Joe Jordan: Merci.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Pour terminer, j'ai quelques questions. Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails à propos de l'exemple du pont. Où se trouve-t-il? Quelle est l'ampleur de ce projet? Quand a-t-il commencé?

M. Alan Penn: La localité qu'on connaissait autrefois sous le nom de Fort George s'appelle maintenant...

M. Brian Craik: Non, pas ce pont-là. Nous parlons du pont de la route forestière.

M. Alan Penn: Oh, je suis désolé, allez-y.

M. Brian Craik: Il y a une route forestière en cours de construction juste au nord-ouest d'Ashuanipi, au sud de Nemaska. On construit une route d'accès principale, puis un certain nombre de chemins plus petits. La route traverse la rivière Broadback. Je suppose qu'à cet endroit-là, elle a plus de 200 verges de largeur. C'est une assez grosse rivière. Elle n'est pas énorme, mais c'est une des trois plus grosses de cette zone. Le projet hydroélectrique Nottaway-Broadback-Rupert, dont il a été question pendant un certain temps et qui a été éliminé... C'est cette rivière-là.

Le gouvernement fédéral est intervenu surtout à cause de la Loi sur les pêches et il a décidé que l'ACEE devrait procéder à un examen. Nous en avons vu le résultat. L'étude préliminaire du projet est réalisée entièrement quelque part au Nouveau-Brunswick. Cet organisme a engagé quelqu'un pour le faire à sa place. Le gouvernement a refusé d'appliquer la Convention de la Baie James et la procédure que celle-ci prévoit.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Sous quelle forme ce refus a-t-il été présenté? Vous a-t-on envoyé une lettre?

M. Brian Craik: C'est simplement que c'est l'ACEE qui le fait. Oui, le gouvernement nous a envoyé une lettre. En fait, il nous a envoyé une lettre précisément à ce sujet en disant qu'il allait effectuer une évaluation en application de la LCEE.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Pensez-vous qu'il respecte ainsi la Convention?

M. Brian Craik: Il pense qu'il n'a pas à appliquer la Convention, parce que, d'après lui, l'arrêt Eastmain au tribunal...

Le vice-président (M. Gar Knutson): Qui signifie quoi?

M. Brian Craik: C'est un arrêt qui a été rendu vers 1994, je pense, au sujet du projet d'aménagement d'Eastmain, que les Cris ont contesté. Le juge a déclaré que ce projet était fondamentalement décrit dans la convention originale de 1975 et qu'il devrait donc aller de l'avant. Ensuite, il a ajouté que lorsqu'un projet concerne un domaine relevant de la compétence de la province, comme l'hydroélectricité, l'examen devrait être fait selon la procédure provinciale, et non pas la procédure fédérale.

Il y a là une véritable contradiction. Selon des interprétations antérieures de la Convention, lorsqu'un projet a des répercussions sur une zone placée sous juridiction fédérale, l'examen se fait conformément à la Convention. Le gouvernement fédéral devrait faire l'examen pour les zones qui le concernent, et le Québec pour celles qui concernent la province. Mais le problème est que, depuis ce jugement, le gouvernement fédéral ne veut pas appliquer cette procédure, parce que quel projet y a-t-il dans le Nord du Québec qui ne relève pas surtout de la juridiction provinciale?

• 1700

Le vice-président (M. Gar Knutson): Quand vous parlez de «cette procédure», voulez-vous dire celle qui est prévue dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois?

M. Brian Craik: Oui. Depuis lors, la question est devenue caduque. Au lieu de s'adresser aux Cris ou au Québec pour leur dire «Comment allons-nous appliquer les dispositions de cette convention relatives à la protection de l'environnement par le gouvernement fédéral?», le gouvernement dit: «Nous n'avons pas à l'appliquer.» On ne peut donc pas l'utiliser.

Ce qu'il y a de paradoxal est que la LCEE oblige le gouvernement fédéral à réaliser un examen conformément aux dispositions de la Loi sur les pêches. La LCEE a donc été invoquée pour une question placée sous juridiction fédérale. Le gouvernement a utilisé une argumentation inverse. Il a utilisé la même argumentation que celle que nous utilisons pour appliquer la Convention de la Baie James et du Nord québécois pour dire qu'il doit maintenant seulement appliquer la LCEE. Peut-être devrait-il nous dire: «Adressons-nous au tribunal pour obtenir un jugement déclaratoire au sujet de la façon dont ce système fonctionne.» Nous serions d'accord pour le faire si vous payiez nos frais juridiques.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Madame Kraft Sloan.

Mme Karen Kraft Sloan: Je connais de nombreux cas qui relèvent à la fois de la juridiction fédérale et provinciale et pour lesquels ils procèdent conjointement à un examen ou constituent un comité conjoint—cela dépend des cas. Il leur arrive de travailler ensemble pour des choses de ce genre.

M. Alan Penn: Lorsque la convention a été négociée en 1975, l'article concernant l'environnement auquel Brian fait référence désignait une personne chargée de prendre les décisions concernant les questions de juridiction fédérale et une autre personne pour les questions de juridiction provinciale.

Le problème avec le procès, l'arrêt Eastmain, est que la Cour d'appel fédérale a rejeté la partie relative à cette possibilité de se prononcer sur les questions relevant de la province et a simplement dit qu'un projet était, par définition, soit fédéral, soit provincial. Si on y réfléchit, tout projet concernant l'exploitation des ressources naturelles peut facilement être classifié à partir de maintenant essentiellement comme étant purement provincial. Cela élimine fondamentalement la participation fédérale aux questions relatives à l'aménagement hydroélectrique et à la foresterie ou aux mines si on applique ce genre de règle pour la prise de décision. Nous ne pensons pas que c'est ce que nous voulions faire en 1975 quand nous avons négocié la Convention, mais c'est ce qui découle de l'arrêt de la Cour d'appel.

Mme Karen Kraft Sloan: La LCEE contient une liste d'éléments qui peuvent déclencher cette procédure, et la Loi sur les pêches peut également le faire.

M. Brian Craik: C'est vrai pour la LCEE, mais pas pour la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Si vous vous rappelez l'examen de Grande Baleine, si on proposait cela à nouveau, le gouvernement fédéral dirait qu'il n'y participerait pas aux termes de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Il a participé à l'examen qui a eu lieu avant 1994 parce que le projet de Grande Baleine allait avoir des répercussions sur des questions sous juridiction fédérale. Il ne le ferait plus maintenant. Cela empêche la participation des Cris à la procédure d'examen, alors que c'est une des promesses contenues dans le traité à ce sujet.

M. Alan Penn: Si je comprends bien, le gouvernement fédéral peut prétendre que la procédure prévue pour les Cris est applicable même si elle ne va jamais déclencher l'examen fédéral. Nous perdons donc dans les deux cas.

M. Brian Craik: Une communauté crie avait, par exemple, proposé de construire une scierie sur des terres de la catégorie I lui appartenant, qui sont sous juridiction fédérale; c'était surtout pour couper des arbres dans des forêts situées dans des terres de la catégorie I, et le gouvernement fédéral a refusé de faire un examen parce que les scieries sont, par nature, provinciales.

Le vice-président (M. Gar Knutson): Merci beaucoup pour votre exposé. Je vais simplement rappeler aux membres du Comité que nous allons siéger à huis clos pendant quelques minutes pour voir si quelqu'un veut faire des commentaires à notre recherchiste.

[Note de la rédaction: la séance continue à huis clos]