ENSU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT
COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 28 mai 1998
[Traduction]
Le président (M. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Bienvenue à tout le monde.
Peu d'entre vous étiez là hier, à l'exception de M. Bigras, quand nous avons lancé ces audiences en compagnie des fonctionnaires du ministère de la Santé et du ministère de l'Environnement. Étant donné ce qui a été dit lors de la période des questions en Chambre, d'après ce qu'on peut constater en lisant le hansard de mardi, je me suis réjoui de voir que notre rapport a été porté à l'échelon ministériel. Madame la ministre a en effet déclaré qu'elle avait elle-même demandé le rapport d'exécution, ce qui nous fait porter une responsabilité toute particulière, à savoir que nous devrons peut-être remettre le métier sur l'ouvrage dans six mois d'ici, pour savoir ce qu'il est advenu de nos recommandations. Donc, quand nous aurons terminé notre étude du projet de loi C-32, nous devrons certainement réserver quelques jours pour revenir sur le rapport d'exécution ministériel et nous assurer qu'il a reçu toute l'attention qu'il mérite.
Cela étant posé, notre témoin de ce matin est sans doute le seul spécialiste en matière de LCPE au pays, parce qu'il a frayé plusieurs fois avec la loi, soit dit en tout honneur et uniquement au vu de son expérience sur ce plan. Ceux d'entre vous qui siègent à ce comité depuis 1994 connaissent John Moffet. Il nous a beaucoup aidés dans notre exercice très délicat de préparation de notre rapport intitulé Notre santé en dépend. Comme vous le savez, il a préparé une étude à notre demande, que nous avons fait remettre à tous les membres du comité en mars. Aujourd'hui, nous allons entendre son exposé oral.
Au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier d'être venu nous rencontrer. Je vous en prie, commencez.
M. John Moffet (associé, Ressources futures internationales): Merci, monsieur Caccia. Je suis heureux de me trouver parmi aujourd'hui.
Je vais brièvement vous parler de mon expérience de la LCPE et vous présenter la perspective que j'ai décidé d'adopter pour ma présentation.
Je suis avocat et analyste de politiques, spécialisé dans les questions environnementales. Je travaille dans un cabinet d'experts conseils à Ottawa et j'ai effectué l'évaluation de la LCPE pour le compte du ministère de la Santé et du ministère de l'Environnement en 1993. Par la suite, comme M. Caccia l'a indiqué, mon associé, François Bregha, et moi-même avons assisté le comité dans son examen de la LCPE et contribué à la rédaction du rapport Notre santé en dépend.
Depuis, je fournis des conseils à Environnement Canada sur les différentes questions liées à la LCPE, notamment en matière d'exécution de la loi, d'élaboration de mesures non réglementaires et d'accords; je lui donne aussi des conseils juridiques sur l'inclusion de concepts comme le principe de prudence et la responsabilité de l'utilisateur et du producteur face à la loi.
Ce matin, je m'attarderai à définir si le projet de loi C-32 permet de réaliser les objectifs et les principes directeurs énoncés dans le rapport du comité, Notre santé en dépend. Donc, par rapport au plan directeur établi dans ce rapport, on peut se demander dans quels domaines le projet de loi C-32 est meilleur que la LCPE de 1988 et dans quels domaines il ne répond pas aux attentes établies dans le rapport en question?
• 0920
Dans ma conclusion générale, je résumerai ce que je vous aurai
présenté, après quoi je commenterai le tableau qu'on vous a remis
et qui porte sur les différentes parties du projet de loi.
Je conclurai globalement que le projet de loi constitue une amélioration par rapport à la LCPE et qu'il incorpore une grande partie des recommandations formulées par le comité. Toutefois, je suis d'avis qu'il ne va pas assez loin dans le sens du principe de prudence et de l'approche axée sur le danger—je vous expliquerai plus tard ce que j'entends par-là—pour éviter la pollution par des produits toxiques et d'autres substances, comme le comité l'avait recommandé.
Qui plus est, je crains que la marge de manoeuvre du gouvernement fédéral ne soit considérablement limitée par les nombreuses exigences de consultation des provinces, énoncées dans le projet de loi. Par ailleurs, en plus de toutes les obligations législatives, il faut tenir compte des répercussions éventuelles de l'accord d'harmonisation conclu au niveau du CCME.
Enfin, je tiens tout de suite, comme je le ferai dans ma conclusion, à insister sur le fait que l'efficacité du projet de loi dépendra bien sûr très largement de la volonté politique et des ressources disponibles, commentaires que le comité a déjà formulés à plusieurs reprises cette semaine au sujet des questions d'application. J'estime, cependant, que cet aspect va bien au-delà de la question de l'application et qu'il concerne aussi l'importance des ressources affectées à l'évaluation du risque et le grand pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires relativement à la façon dont ils évalueront le risque et détermineront si l'intervention du gouvernement fédéral est appropriée en matière de pollution atmosphérique internationale, de pollution transfrontière des eaux et ainsi de suite. De nombreuses dispositions de ce projet de loi autorisent mais ne contraignent pas le gouvernement à agir.
Voilà donc mes conclusions générales à ce sujet. Je vous ferai part de mes conclusions plus détaillées en cours de présentation. Si cela vous convient, je vais commenter le tableau.
J'aurais dû vous inviter, au début, à m'interrompre n'importe quand en cours de présentation pour me poser vos questions. Si je ne suis pas clair, demandez-moi des précisions. Je vis au contact de cette loi depuis pas mal de temps, mais pas aussi étroitement que certains fonctionnaires qui, eux, l'appliquent tous les jours. Certains acronymes et concepts me sont familiers, mais ce n'est pas forcément le cas pour quelqu'un qui se pencherait sur le projet de loi pour la première fois.
Commençons par le préambule et les fonctions administratives énoncées à l'article 2. Je dirais que le préambule reprend fidèlement tous les principes énoncés dans Notre santé en dépend. J'aurais cependant deux commentaires à faire à ce sujet.
Je crains que ce préambule ne contienne trop de principes pour que ceux-ci soient utiles. Autrement dit, dans l'ensemble, le préambule invite le gouvernement à faire tout ce qu'il y a de bon pour l'environnement, en collaboration avec d'autres et dans un esprit scientifique. Selon moi, il n'y a pas là grande orientation susceptible d'aider les fonctionnaires quand ils seront appelés à interpréter les diverses dispositions du projet de loi. Je n'ai rien à reprocher à ces principes, je m'inquiète simplement qu'ils y en aient trop et qu'ils ne constituent pas un guide très explicite.
Dans la même veine, les fonctions administratives décrites à l'article 2 font référence aux nombreux principes énoncés dans Notre santé en dépend, bien que certains soient laissés de côté. Par exemple, il convient de remarquer que cet article 2 ne fait pas explicitement allusion au principe de prudence. Par ailleurs, les fonctions administratives insistent sur l'importance, pour le gouvernement, d'adopter des mesures préventives rentables et d'agir dans le respect des accords et des arrangements intergouvernementaux.
Comme il n'est pas fait explicitement référence au principe de prudence et qu'on n'explicite pas non plus ce que sont des mesures de prévention rentables ni ce qu'est le respect des arrangements intergouvernementaux, même si l'on n'a rien contre ces concepts, j'ai l'impression qu'on se trouve ainsi à atténuer quelque peu la teneur proenvironnementale du préambule.
• 0925
Comme je vous le disais, je suis avocat de profession. Je ne
suis pas ici pour vous fournir un avis juridique, mais il peut être
utile de se pencher un peu sur l'importance que pourraient prendre
le préambule et l'article 2 sur le plan de l'interprétation de la
loi. Ce que je veux dire par-là, c'est que les dispositions de
fonds de la loi seront bien sûr interprétées et appliquées par les
fonctionnaires.
D'après ce que je crois comprendre de la jurisprudence générale dans ce domaine—bien que je ne sois pas expert en interprétation des lois—, les déclarations apparaissant dans les préambules et la formulation des fonctions administratives revêtent une importance juridique quand les dispositions de fonds du projet de loi sont ambiguës ou permettent une certaine latitude.
Voilà pourquoi, dans mon commentaire au sujet du préambule, je vous ai dit craindre qu'il ne donne pas suffisamment d'orientation, parce que dans l'ensemble il est de nature trop générale. Ainsi, si une disposition de fonds est ambiguë, il sera difficile, selon moi, de se référer au préambule pour trancher et se dire qu'il faut l'interpréter comme ceci ou comme cela.
Cela étant posé, la vraie question est de savoir dans quelle mesure les différents principes, comme le principe de prudence et celui de la prévention de la pollution, se retrouvent dans les dispositions de fonds du projet de loi. Je me propose de les passer en revue les unes après les autres, mais je vous ferai remarquer d'entrée de jeu que les principes sont effectivement énoncés dans plusieurs des dispositions du projet de loi.
J'attire votre attention sur l'approche écologique—dont il est explicitement question dans plusieurs dispositions, comme dans la définition de la pollution atmosphérique—et sur l'insistance accordée aux dispositions relatives aux substances nutritives et à celles concernant la recherche et la collecte de données. Toutes ces dispositions font explicitement obligation de tenir compte de l'écosystème, contrairement à la LCPE de 1988. Par ailleurs, à plusieurs reprises dans le projet de loi, on fait mention de la coopération intergouvernementale.
D'un autre côté, on ne trouve aucune référence explicite au principe de prudence, si ce n'est dans le préambule. Je reconnais que plusieurs dispositions reflètent ce principe. Je pense plus particulièrement à l'approche de la liste inversée adoptée pour les immersions de déchets en mer.
Cependant, et j'y reviendrai plus tard, rares sont les autres dispositions qui reprennent le principe de prudence en y accordant l'importance que le comité lui avait reconnue dans les recommandations de Notre santé en dépend. Je pense surtout ici aux dispositions relatives à l'évaluation du risque, tant pour les substances actuelles que pour les nouvelles substances.
Bien, passons maintenant au tableau qui dresse de façon sommaire une comparaison entre la LCPE de 1988, le rapport du comité intitulé Notre santé en dépend, la politique de gestion des substances toxiques, la réponse du gouvernement, le projet de loi C-74 et l'actuel projet de loi C-32 dont est saisi le comité. Nous allons donc parcourir chacune des catégories que j'ai établies dans ce tableau. Je ne commenterai pas chaque article de façon détaillée, mais je serai très heureux de répondre à vos questions si vous désirez obtenir plus de renseignements.
Le projet de loi s'ouvre par des dispositions relatives à la collecte de données et à l'autorisation accordée au ministère d'effectuer des recherches. On peut sans crainte affirmer que ces dispositions confèrent plus de pouvoirs au ministère que la LCPE, conformément à ce qu'avait recommandé le comité dans Notre santé en dépend. Voilà donc déjà une première recommandation du comité dont on a tenu compte.
Dans la même veine, les dispositions relatives aux objectifs, lignes directrices et codes ont été augmentées et élargies, surtout en ce qui concerne la prévention de la pollution et l'approche écologique, tout à fait comme le recommandait Notre santé en dépend.
Le projet de loi prévoit une très nette amélioration sur le plan des comptes rendus au public. Il exige la tenue d'un registre de protection de l'environnement, comme le recommandait Notre santé en dépend. On y fait spécifiquement allusion à la tenue d'un Inventaire national des rejets de polluants, l'INRP, comme le recommandait également Notre santé en dépend.
• 0930
Il convient, cependant, de remarquer que la portée prévue de
l'INRP dans le projet de loi n'est pas aussi large que celle qu'on
avait envisagée dans Notre santé en dépend. En effet, le rapport du
comité recommandait que cet inventaire comporte non seulement des
données sur les émissions, mais également des données sur les
progrès réalisés en matière de prévention de la pollution par les
compagnies faisant rapport de leurs émissions. Le raisonnement tenu
était que toute personne lisant l'inventaire devait être en mesure,
non seulement de constater les niveaux d'émissions, mais aussi de
se faire une idée des efforts entrepris et des progrès réalisés en
vue de réduire les émissions. En l'état, il faudra se reporter aux
tendances des émissions par les compagnies.
Donc, dans l'ensemble, les premières pages du projet de loi reprennent les recommandations de Notre santé en dépend.
Passons maintenant aux substances toxiques. Vous constaterez, dans le tableau, que j'ai divisé ma description en fonction des différents éléments d'évaluation et de gestion du risque. Cette subdivision est un peu artificielle, car nous avons affaire à un processus très fluide, mais j'ai fait cela pour les fins de mon exposé.
Commençons par l'organigramme que j'ai préparé. Comme je l'ai indiqué dans le tableau, cet organigramme a été ni examiné, ni approuvé par le ministère. Il représente l'interprétation que je fais du projet de loi et de la façon dont celui-ci s'articule. Je l'ai dressé en partie pour m'aider à comprendre la situation et, je l'espère, en partie pour vous aider à saisir la façon dont fonctionne le processus.
Je commencerai donc par décrire brièvement le processus, après quoi je vous dirai dans quelle mesure, selon moi, il correspond aux recommandations formulées par le comité il y a deux ans.
En haut de l'organigramme, on trouve le processus d'évaluation du risque qui, pour l'instant, obéit à deux pistes plutôt que d'être simplement déclenché par la liste prioritaire située à droite. La première piste est celle du dépistage des substances de la liste intérieure et la seconde est celle de l'examen des décisions prises par d'autres instances.
Pour le dépistage des substances de la liste intérieure, les fonctionnaires devront examiner les substances et les produits de biotechnologie de la liste qui présentent le plus fort risque d'exposition, qui sont persistants ou bioaccumulables et intrinsèquement toxiques.
Pour ce qui est de l'examen des décisions prises par d'autres instances, les fonctionnaires doivent se pencher sur les substances non réglementées à des fins de protection de l'environnement ou de la santé au Canada, mais qui le sont dans des pays de l'OCDE ou dans une autre province. Le reste du processus est essentiellement le même, peu importe la façon dont la substance a été désignée au départ. Le ministère se livre à une évaluation du risque, publie les données scientifiques—autrement dit, les conclusions de l'évaluation des risques—et publie une proposition énonçant ce que le ministre envisage de faire. Une période est réservée à la consultation publique et, une fois que le ministère a réagi aux observations qui lui ont été adressées, le ministre peut publier sa décision finale.
Le ministre peut décider de ne rien faire ou d'ajouter la substance à la liste des substances prioritaires, ou encore de la déclarer non toxique si tel est le cas. En revanche, si celle-ci est toxique, le ministre peut évidemment l'ajouter à la liste des substances toxiques.
Il y a une exception à cette autorisation générale. Dans la colonne de gauche, vous constaterez que si le ministre conclut qu'une substance sélectionnée dans la liste intérieure a été soumise à un dépistage—parce qu'on a estimé qu'elle pouvait être persistante, bioaccumulable et toxique—et qu'on a, par la suite, conclu qu'elle peut avoir des effets nocifs à long terme sur l'environnement à cause de sa toxicité intrinsèque et de son caractère persistant, bioaccumulable et anthropique—ce qui veut dire qu'elle est produite par l'homme—, il faut nécessairement l'inscrire dans la liste des substances toxiques.
• 0935
On en vient donc à la question des substances qui ont été
ajoutées à la liste des substances toxiques, et il faut ensuite
déterminer si elle est persistante, bioaccumulable et anthropique.
Dans l'affirmative, c'est la piste numéro qui s'applique et le
projet de loi prévoit l'élimination virtuelle de la substance. Dans
la négative—si la substance est simplement persistante ou
bioaccumulable ou toxique en vertu de la LCPE—elle doit être
soumise à la gestion du cycle de vie. Partant, le ministre est
essentiellement autorisé à contrôler la substance et à la
réglementer, mais il n'y est pas obligé.
Voilà donc un instantané de la façon dont fonctionne l'évaluation du risque. Revenons au tableau et recommençons du début.
S'agissant de la sélection des substances à évaluer, il était recommandé dans Notre santé en dépend, que le ministère ne se contente pas d'examiner la liste prioritaire et qu'il s'intéresse aux substances de la liste intérieure qui sont persistantes et bioaccumulables, ainsi qu'aux substances réglementées par d'autres instances. C'est précisément ce que prévoit le nouveau projet de loi, qui créé donc de nouvelles pistes en matière d'évaluation du risque. Selon moi, cela constitue une très nette amélioration par rapport à la LCPE de 1988.
Pour ce qui est de l'évaluation du risque en soi, Notre santé en dépend recommandait de remplacer l'évaluation des risques, telle qu'elle est définie dans la loi à l'heure actuelle—autrement dit, le fait de contraindre les fonctionnaires à examiner la toxicité intrinsèque plus le risque d'exposition—par l'évaluation du danger, qu'on pourrait définir comme correspondant à l'examen de la toxicité intrinsèque de la substance, sans égard au potentiel d'exposition.
Le projet de loi C-32 va en partie dans cette direction. Il n'exige en effet d'évaluation du danger que dans un seul cas de figure; pour tout le reste, il s'en tient à l'approche actuelle de l'évaluation du risque et à la définition de la toxicité en fonction de la LCPE.
Je vais vous expliquer ce que je veux dire quand j'affirme que le projet de loi exige une évaluation du danger dans un seul cas de figure. Si vous reprenez l'organigramme, vous verrez dans la partie gauche que les fonctionnaires doivent dépister les substances de la liste intérieure—c'est-à-dire les substances déjà utilisées au Canada—et repérer celles qui sont persistantes ou bioaccumulables et toxiques en soi. Il nÂest nullement question d'exposition. Ils doivent ensuite évaluer les substances en question. S'ils concluent que la substance est susceptible d'avoir un effet nocif à long terme sur l'environnement, à cause de sa toxicité intrinsèque, parce qu'elle est persistante, bioaccumulable et qu'elle est produit par l'homme—encore une fois il n'est pas ici question d'exposition—le ministre doit l'ajouter à la liste des substances toxiques. Une fois qu'elle est sur cette liste, à cause de son caractère persistant et bioaccumulable, elle est soumise à la première piste de traitement et doit être quasiment élimininée d'après ce que prévoit le projet de loi. J'en conclus donc que le projet de loi incorpore l'approche d'évaluation du danger.
L'essentiel, ici, est de savoir quelle définition réglementaire on va donner de la persistance ou de la bioaccumulation? Le projet de loi déclare en effet que si la substance est persistante ou bioaccumulable, il faut telle et telle chose. Cependant, quelle définition donne-t-on à ces termes, puisqu'ils ne sont pas définis dans le projet de loi, ce qui est tout à fait normal? Ce sont là des considérations scientifiques complexes et nous avons cru comprendre qu'elles pourraient évoluer dans le temps, raison pour laquelle il est tout à fait normal qu'elles soient visées dans les règlements qui découleront nécessairement de la loi.
• 0940
C'est là une question très importante et il conviendra que le
comité veille à ce que le gouvernement s'appuie sur le critère de
la prudence. Certes, la politique de gestion des substances
toxiques énonce plusieurs critères qui pourraient fort bien être
repris dans le futur règlement d'application de la LCPE. Vous ne
manquerez pas d'entendre, de la bouche de plusieurs plus
techniquement compétents que moi, que ces critères sont très
restrictifs et qu'à cause de cela le nombre de substances soumises
à l'évaluation du danger sera très limité.
Je ne suis pas compétent pour commenter cet aspect, mais je vous exhorte à ne pas oublier d'en parler quand vous accueillerez des témoins de formation scientifique.
Passons à la gestion du risque. L'actuelle LCPE permet au ministre de réglementer toute substance portée dans la liste des substances toxiques. En d'autres mots, une fois que le ministre a conclu que la substance est toxique et qu'il l'a fait ajouter à la liste des substances toxiques, il dispose d'une grande latitude pour la réglementer.
Le rapport Notre santé en dépend stipule que le projet de loi devrait être davantage normatif. On peut y lire que celui-ci devrait bannir toute substance à toxicité intrinsèque, persistante et bioaccumulable, de même que toute substance déjà interdite par d'autres instances. Il y est également précisé qu'il faudrait, a priori, conclure à la nécessité de réglementer une substance réglementée ailleurs ou décrétée toxique après une évaluation, mais qui n'aurait pas été soumise à la procédure d'interdiction. Notre santé en dépend indique également que la loi devrait exiger la mise en place de contrôles dans les deux années suivant la déclaration de toxicité d'un produit.
Là encore, le projet de loi C-32 reprend ces recommandations. Il prévoit la piste dite à approche unique, qui exige que le ministre propose la quasi-élimination des substances inscrites à l'annexe 1—c'est-à-dire, celles qui ont été déclarée toxiques, persistantes et bioaccumulables.
Notre santé en dépend demandait également que le ministre contrôle les substances inscrites à l'annexe 1, mais pas forcément qu'il les réglemente. Le projet de loi exige que le ministre publie les mesures de contrôle proposées dans les deux ans suivant l'évaluation du risque, comme le recommande le rapport.
Le plus important, selon moi, concerne la définition que le projet de loi donne à l'élimination virtuelle, ou quasi-élimination des substances persistantes et bioaccumulables. Celle-ci est définie comme étant le moyen de réduire les émissions en dessous d'une quantité ou d'une concentration mesurable correspondant ou pouvant correspondre à des effets nuisibles pour l'environnement ou pour la santé ou la vie humaine.
Dans Notre santé en dépend, il est dit que l'élimination virtuelle doit correspondre à une réduction des émissions et de l'utilisation des substances visées. Le projet de loi C-32 n'exige qu'une réduction des niveaux d'émission. Il s'agit là, je crois, d'une importante distinction qui a directement trait au concept de prévention de la pollution. Plusieurs autres témoins ne manqueront pas de vous présenter une interprétation différente de la prévention de la pollution.
• 0945
Selon la définition de la prévention de la pollution que le
comité avait avalisée il y a deux ans, la façon la plus efficace
d'éviter la pollution par une substance consiste, d'abord, à en
interdire l'utilisation... non pas construire des murs, des
installations d'élimination ni à poser des épurateurs dans les
cheminées, mais bien à réduire le niveau d'utilisation de la
substance et à trouver une autre façon de fabriquer le produit ou
d'offrir le service, sans utiliser la substance en question parce
que, si elle est relâchée dans la nature, même accidentellement,
elle peut-être nuisible pour la vie humaine ou pour
l'environnement. Voilà la définition de la prévention de la
pollution que le comité avait adoptée. Personnellement, j'estime
qu'elle n'est pas parfaitement reprise dans C-32, ce qui constitue
une limitation relativement importante de ce projet de loi.
Passons maintenant à la façon dont le projet de loi traite des nouvelles substances. Notre santé en dépend recommandait d'adopter une approche de type fardeau inversé pour les nouvelles substances. Cela veut dire que toute personne désireuse d'introduire au Canada une substance qui n'y est pas déjà utilisée doit prouver au gouvernement que celle-ci ne posera pas de risque inacceptable pour la santé humaine ou pour l'environnement.
Les rédacteurs du projet de loi ont plutôt retenu l'approche énoncée dans la loi actuelle, qui interdit l'utilisation de toute nouvelle substance tant que le gouvernement ne l'a pas évaluée. Cela revient à dire que s'il existe bien certaines restrictions sur l'utilisation d'une nouvelle substance, il appartient au gouvernement d'évaluer les dangers qu'elle présente. Ainsi, si le gouvernement décrète que la substance est toxique, il est investi du pouvoir voulu pour la contrôler.
J'ai établi une distinction très nette entre les deux approches. D'ailleurs, la différence n'est pas aussi grande que cela, parce que le projet de loi actuel a considérablement élargi le pouvoir du gouvernement en lui permettant d'exiger de ceux qui se proposent d'utiliser une nouvelle substance, de recueillir et de fournir toute une gamme de renseignements susceptibles de lui permettre d'évaluer le risque.
Bien que le projet de loi n'impose pas de façon explicite le fardeau de la preuve sur celui qui propose un produit, il permet au gouvernement d'exiger qu'on lui fournisse les renseignements nécessaires pour déterminer le risque présenté par une substance. Ainsi, le projet de loi va effectivement dans le sens du point de vue philosophique énoncé dans Notre santé en dépend, mais pas jusqu'au bout.
L'autre aspect important qu'il convient de souligner, selon moi, au sujet des dispositions relatives aux nouvelles substances tient au fait que celles-ci concernent les nouvelles activités conséquentes. Dans Notre santé en dépend, on utilise l'expression «nouvelle utilisation importante», et dans le projet de loi, on retrouve l'expression «nouvelles activités importantes».
Notre santé en dépend recommandait que le projet de loi oblige les personnes utilisant une substance, réglementée ou non, à signaler toute nouvelle utilisation importante. L'idée est la suivante. La substance peut ne pas être réglementée à l'heure actuelle parce qu'elle est utilisée d'une certaine façon et que les risques d'exposition sont minimes, ou encore qu'il y a peu de chance qu'elle entre en contact avec une autre substance, ce qui créerait un problème, mais que si elle devait être utilisée de façon totalement différente, elle pourrait donner lieu à de nouveaux risques, de sorte que l'utilisation doit être déclarée et que le gouvernement doit avoir la possibilité de réévaluer la substance sur la foi de ses nouveaux renseignements.
Le projet de loi C-32 reprend en partie cette recommandation. En effet, il autorise le ministre à exiger la communication de toute activité nouvelle et importante relativement aux substances inscrites dans la liste intérieure. Il ne s'agit cependant pas d'une obligation générale parce qu'à la façon dont le projet de loi est actuellement structuré, le ministre doit explicitement exiger le signalement des nouvelles activités importantes et désigner le genre d'activités devant faire l'objet d'un tel rapport. Ainsi, on peut imaginer qu'une substance pourra encore être inscrite dans la liste intérieure sans devoir forcément faire l'objet des mesures de compte rendu relativement à tout nouvel usage conséquent.
L'autre aspect des dispositions relatives aux substances toxiques dont je traite dans le tableau est celui de la collecte de renseignements. Notre santé en dépend recommandait que la nouvelle loi élargisse considérablement les pouvoirs du gouvernement en matière de collecte d'information et d'exiger des utilisateurs et des producteurs d'une substance qui fait l'objet d'un examen qu'ils fournissent les renseignements exigés. Comme je l'ai dit, le projet de loi reprend entièrement ces recommandations.
• 0950
Enfin, le projet de loi comporte une nouvelle partie
concernant la planification de la prévention de la pollution.
Celle-ci était recommandée dans Notre santé en dépend; cependant,
si cette recommandation portait sur l'ensemble des substances
toxiques aux termes de la LCPE, le projet de loi C-32, lui,
autorise le ministre à exiger des plans de prévention de la
pollution pour toute substance déclarée toxique en vertu de la
LCPE. Encore une fois, cette recommandation a été quelque peu
édulcorée mais elle est tout de même généralement reprise dans la
loi.
Je voulais faire deux autres remarques à propos des dispositions relatives aux plans de prévention de la pollution: je vous recommande de ne pas perdre cet aspect de vue et éventuellement de poser des questions aux fonctionnaires à ce sujet.
Tout d'abord, il convient de remarquer que le libellé de ces dispositions est quelque peu ambigu, car il laisse une certaine latitude au ministre pour exiger la mise en oeuvre des plans. L'article 56 du projet de loi stipule que le ministre peut exiger de toute personne ou catégorie de personnes de préparer ou de mettre en oeuvre un plan de prévention de la pollution; quant à l'article 58, il exige que les parties ayant dû préparer un plan soumettent une déclaration indiquant que tel a été le cas. Enfin, le paragraphe 58(2) stipule que toute personne ayant dû mettre un tel plan en oeuvre doit soumettre une déclaration en ce sens.
On ne sait donc pas avec certitude si le ministre exigera systématiquement que les parties concernées préparent et mettent de tels plans en oeuvre. On pourrait fort bien interpréter le projet de loi comme donnant la possibilité au ministre de réclamer la préparation d'un plan mais de ne pas en exiger la mise en oeuvre. Je ne sais pas exactement quel est le but visé ici. Je sais que c'est actuellement un problème pour le ministère, problème dont il conviendrait que vous traitiez explicitement dans votre rapport et dans les questions que vous adresserez aux fonctionnaires.
Il vaut aussi la peine de remarquer que le dépôt d'un plan de prévention de la pollution n'est pas automatiquement exigé et qu'il suffit de soumettre une déclaration et de conserver le plan sur les lieux de travail. C'est une bonne idée. Cela n'est pas tout à fait conforme avec ce qui était recommandé dans Notre santé en dépend, mais il est nul besoin de faire preuve de beaucoup d'imagination pour se douter que le gouvernement n'aura jamais les ressources ni les compétences nécessaires pour évaluer tous les plans du genre.
Certes, s'il exigeait le dépôt d'un plan de prévention de la pollution pour l'évaluer, le gouvernement montrerait qu'il ne plaisante pas. On ferait ainsi sentir qu'il est nécessaire de mettre un plan en oeuvre, de communiquer ses objectifs et de dire ce qu'on a l'intention de réaliser grâce au plan demandé. Le gouvernement pourrait alors déterminer si les objectifs énoncés sont conformes aux siens. Le gouvernement n'a pas besoin de se livrer à des conjectures à propos des décisions techniques prises par les compagnies relativement aux technologies ou aux processus qu'elles utilisent.
Permettez-moi de résumer ce que je pense des dispositions relatives aux produits toxiques qui sont reprises des recommandations de Notre santé en dépend. Je dirais qu'elles constituent une importante amélioration par rapport à la loi actuelle. D'un autre côté—et je vais vous répéter un thème de ma présentation—on n'y retrouve pas l'approche de la prudence que recommandait Notre santé en dépend. Quatre grandes raisons m'amènent à ce genre de conclusion.
D'abord, le projet de loi, comme je l'ai déjà dit, définit la quasi-élimination comme correspondant à une diminution des émissions mais pas à la suppression de toute utilisation.
• 0955
Deuxièmement, bien que le projet de loi prévoie une approche
axée sur l'évaluation du danger en vue de favoriser l'élimination
virtuelle des substances bioaccumulables persistantes, je crains
que cette disposition ne dépende entièrement des critères qui
seront formulés pour l'inclusion dans la première piste; je veux
parler ici des critères visant à déterminer quelle substance est
persistante et bioaccumulable. Il conviendra de veiller à ce que le
règlement qui établira ce genre de critère définisse également les
critères de prudence. Comme le comité a pu le remarquer, il y a
deux ans, le critère de prudence, par exemple, est déjà défini par
la Commission mixte internationale.
Ma troisième réserve au sujet des dispositions relatives aux produits toxiques tient au fait que, même si le nouveau projet de loi donne au gouvernement le pouvoir d'exiger des utilisateurs et des producteurs de substances qu'ils soumettent des renseignements sur les produits, le processus demeure mobilisateur de ressources. Nous nous trouvons donc à avoir augmenté le nombre de pistes d'évaluation des substances ainsi que le nombre de substances pouvant être soumises à examen et faire l'objet d'un retrait, et nous avons rallongé la liste des substances toxiques, mais il nous faudra faire preuve de réalisme. Tout cela nécessite du temps, des compétences et de l'argent et tant que la capacité de réglementer du gouvernement repose sur l'application d'un processus d'évaluation du risque, nous devrons appliquer des démarches mobilisatrices de main-d'oeuvre qui ne nous permettront d'examiner qu'un petit nombre de substances. Cela, je pense, est inévitable, mais il faut en être conscient.
Enfin—et encore une fois je vais répéter un des thèmes de ma présentation—je vous invite à vous demander dans quelle mesure la marge de manoeuvre du gouvernement ne sera pas réduite à cause de l'article 2 qui exige la prise en compte des accords intergouvernementaux et des ententes relatives à l'harmonisation ainsi que des ententes auxiliaires sur les normes qui en découlent.
Passons maintenant au traitement que le projet de loi réserve aux déchets. Il est question des déchets dans deux des parties du projet de loi et, dans l'ensemble, celles-ci sont conformes aux recommandations de Notre santé en dépend. Le projet de loi C-32 donne à présent au gouvernement le pouvoir de se conformer à ses obligations internationales, ce que la LCPE de 1988 n'autorise pas pleinement. Il autorise aussi le gouvernement à intervenir dans le cas des expéditions de déchets solides destinés à être définitivement éliminés, comme l'exige l'entente signée avec les États-Unis. Il autorise le gouvernement à exiger des exportateurs de déchets qu'ils déposent des plans de réduction de déchets, ce qui reprend, là aussi, les recommandations de Notre santé en dépend.
Cependant, le projet de loi transfère également les aspects environnementaux du règlement sur le transport de déchets dangereux du ministère des Transports—en vertu de la Loi sur le transport de marchandises dangereuses—au ministère de l'Environnement, comme le recommandait Notre santé en dépend.
Le comité s'est intéressé à la biotechnologie dans Notre santé en dépend; je sais qu'il a tenu d'autres audiences à ce sujet et qu'après tout cela il a recommandé que la LCPE fixe des normes minimales dans ce domaine. Comme vous le savez, la partie 6 du projet de loi C-32 établit un filet de sécurité et précise que le ministre responsable de l'autre loi fédérale—quelle que soit l'autre loi fédérale traitant également de substances biotechnologiques—peut décider si la LCPE doit s'appliquer ou non. Autrement dit, ce n'est pas nécessairement le ministre de l'Environnement ni le ministre de la Santé qui décidera si la LCPE s'applique. Le ministre de l'Agriculture ou le ministre responsable de toute autre loi d'application pourra estimer que la loi qu'il administre a préséance.
• 1000
Dans le cas qui nous intéresse, bien que le projet de loi
comporte un certain nombre de dispositions autorisant le
gouvernement à réglementer la biotechnologie, il ne se conforme
pas—peut-être que le terme conformé est trop fort—, disons qu'il
ne reprend pas les recommandations faites par le comité dans Notre
santé en dépend.
Pour ce qui est des éléments nutritifs, le projet de loi C-32 prévoit une approche écologique, comme le recommandait Notre santé en dépend.
Pour ce qui est de la pollution transfrontière des eaux, Notre santé en dépend formulait des recommandations très générales exhortant le gouvernement à s'attaquer au problème et je pense qu'il est tout à fait approprié que le projet de loi C-32 autorise le ministre de l'Environnement à promulguer des lignes directrices à cet égard. En effet, je ne pense pas que ce projet de loi aurait permis de régler entièrement cette question. Celle-ci concerne forcément plusieurs instances et le gouvernement fédéral peut s'imposer en chef de file à cet égard en promulguant des lignes directrices. Je dirais donc que le projet de loi reflète l'esprit des recommandations formulées par le comité.
Le comité a, par ailleurs, émis plusieurs recommandations à propos de l'immersion des déchets en mer et je crois pouvoir dire que celles-ci sont reprises dans le projet de loi. En outre, cette mesure législative exhorte le comité à adopter l'approche dite de la liste inversée et à faire référence au protocole international annexé à la Convention de Londres sur l'immersion des déchets, lequel énonce des lignes directrices relatives à l'évaluation des déchets que devrait consulter toute personne demandant un permis d'immersion.
Le comité avait également recommandé que le gouvernement se dote d'une meilleure capacité pour recouvrir ses coûts sous la forme des droits de permis, et il avait recommandé que les pouvoirs d'application relativement aux immersions de déchets en mer soient élevés au niveau des pouvoirs d'application prévus dans le reste de la loi. Le projet de loi reprend toutes ces recommandations.
Pour ce qui est des carburants et des additifs de carburant, le comité avait exhorté le gouvernement à revoir le projet de loi pour permettre au ministre de réglementer les carburants, selon le poids de la preuve, et d'appliquer les mêmes normes aux carburants exportés qu'aux carburants destinés à la consommation nationale. Le projet de loi donne effectivement plus de pouvoir au gouvernement qui pourra réglementer un plus grand nombre d'aspects concernant les carburants, mais il n'exige pas que le gouvernement applique les mêmes normes aux carburants exportés qu'à ceux consommés ici, bien qu'il l'autorise à adopter une estampille nationale qui aurait pour objet de montrer que les carburants estampillés correspondent aux normes environnementales canadiennes quand ils franchissent la frontière à l'importation ou à l'exportation. Ainsi, le projet de loi reprend en partie les recommandations du comité.
Pour ce qui est des émissions des véhicules, le comité avait recommandé que le pouvoir de réglementer les émissions des véhicules passe du ministère du Transport au ministère de l'Environnement dans le cadre de la LCPE. Le projet de loi C-32 reprend ces dispositions et en ajoute d'autres relatives à l'adoption d'une estampille pour les émissions nationales ainsi qu'à un régime de crédit d'émissions. Donc, le projet de loi respecte les recommandations et va plus loin.
Passons à la pollution atmosphérique internationale. La définition qu'en donne le projet de loi est assez large puisqu'elle fait référence aux concepts écologiques et donne de nouveaux pouvoirs au ministre en matière d'émission des arrêtés provisoires et d'application des arrangements réciproques contenus dans la législation américaine. Toutes ces dispositions reflètent les recommandations du comité; cependant, la recommandation principale ne concernait pas la façon dont devait être libellé le projet de loi sur le plan juridique, mais la façon dont le gouvernement devait appliquer les dispositions.
Pour tout dire, le gouvernement n'a jamais appliqué ces dispositions et le comité l'avait exhorté à le faire. Encore une fois, j'ai l'impression de reprendre un des thèmes de ma présentation, mais comme je l'ai dit au tout début, une grande partie de l'efficacité du projet de loi ne dépend pas tant de son libellé que de la façon dont il sera interprété et appliqué.
• 1005
Au sujet de la pollution transfrontière des eaux, le comité a
expressément demandé au gouvernement d'adopter un nouvel article
s'inspirant des dispositions sur la pollution atmosphérique
internationale. C'est précisément ce qu'on a fait avec le projet de
loi C-32.
Je veux maintenant vous parler de la capacité du gouvernement de réglementer en vertu du projet de loi et je vais vous faire un petit historique de la question. Nous avons affaire ici à un vide réglementaire tenant au fait que les activités fédérales échappent aux lois provinciales. Certaines activités privées sont réglementées par les provinces et d'autres par le fédéral, comme nous le savons tous.
Cependant, si l'activité est entreprise par le gouvernement fédéral—par un ministère, un organisme ou une société d'État—, les lois provinciales ne s'appliquent pas. Les aspects environnementaux des entreprises fédérales qui auraient été réglementés par les provinces s'il s'était agi d'une activité privée, échappent à toute réglementation sauf si le gouvernement fédéral intervient lui-même sur ce plan. Voilà donc le vide auquel cette partie du projet de loi est censée répondre.
La LCPE de 1988 autorise le ministre à émettre des lignes directrices. Le projet de loi C-32 exige que le gouvernement émette des objectifs, des lignes directrices et des codes de pratique, ce qui est conforme aux recommandations du comité. Le projet de loi C-32 élargit également les pouvoirs du ministre en matière de réglementation des activités fédérales, comme le recommandait Notre santé en dépend. Encore une fois, conformément à ce qui a été recommandé dans le rapport du comité, le projet de loi C-32 ne reprend pas l'exigence que faisait la LCPE de 1988, à savoir que le ministre de l'environnement devait obtenir l'accord de ses collègues touchés par tout règlement envisagé avant de le promulguer. C'est ce qu'avait recommandé le comité et c'est ce qui est repris dans le projet de loi.
Encore une fois, permettez-moi d'insister sur le fait que, même si la loi est grandement améliorée par C-32 et que le gouvernement a mis de l'ordre dans ses opérations, cette question demeure importante et elle concerne essentiellement l'application de la loi. Si le gouvernement a réalisé des progrès notables dans ce domaine, force est de constater qu'on n'a prévu aucun règlement en vertu de cette partie et qu'il n'a prévu que très peu d'objectifs, de lignes directrices et de codes de pratique.
Je tiens à vous rappeler que le comité a fait remarquer, dans Notre santé en dépend, que le vide réglementaire actuel est important pour deux raisons. D'abord, parce que le gouvernement fédéral est la plus grande entreprise au pays qui emploie le plus grand nombre de gens, qui compte le plus grand nombre d'installations et qui occupe une superficie de terrain plus grande que n'importe quelle autre entreprise au Canada, si bien que les incidences directes de ses activités sur l'environnement peuvent être très importantes et qu'il y a lieu de faire quelque chose pour les limiter.
Il est également important de régler ce problème du vide réglementaire pour une autre raison, une raison symbolique liée au leadership: un gouvernement doit diriger par l'exemple. Il est normal qu'il ait de la difficulté à réglementer le secteur privé s'il n'est pas lui-même prêt à se réglementer, mais il lui sera encore plus difficile de promouvoir l'application de démarches volontaires, non réglementaires ou négociées—exigeant du secteur privé qu'il fasse preuve de bonne volonté—, s'il n'est pas prêt lui-même prêt à afficher la même bonne volonté.
Il existe donc des raisons importantes pour presser le gouvernement de combler l'actuel vide réglementaire.
Passons à la question des urgences. Selon moi, le projet de loi C-32 reprend les recommandations de Notre santé en dépend, et représente une nette amélioration par rapport à la LCPE actuelle.
• 1010
Comme pour les questions autochtones, je trouve que le projet
de loi C-32 reprend presque entièrement les recommandations
formulées dans Notre santé en dépend. En effet, il permet au
gouvernement de conclure des ententes d'équivalence et des ententes
administratives avec les peuples autochtones. Il exige la
participation des peuples autochtones au comité consultatif
national et, en plusieurs endroits, il exige la tenue de
consultations avec les peuples autochtones.
Le seul aspect qui était recommandé dans Notre santé en dépend et qui n'est pas repris dans le projet de loi concerne la connaissance traditionnelle de l'environnement. En effet, le rapport du comité recommandait que le projet de loi fasse explicitement référence à la connaissance traditionnelle de l'environnement et qu'il oblige le gouvernement à en tenir compte. Celle-ci, que possèdent les peuples autochtones et qui réside dans leur culture, fait partie de la tradition orale et, si elle n'a pas été systématisée dans un esprit scientifique à l'occidentale, elle n'en est pas moins très efficace pour tout ce qui concerne les problèmes écologiques.
Le fait que cette recommandation n'ait pas été reprise dans le projet de loi constitue, selon moi, un grave problème. J'estime en effet qu'il est important de prendre acte du fait que le gouvernement accompli en général de plus en plus de travail sur ce plan.
L'Agence canadienne d'évaluation environnementale a beaucoup oeuvré sur ce plan et s'est attachée à voir comment elle pourrait intégrer la connaissance traditionnelle que les Autochtones possèdent de l'environnement. L'Agence canadienne de développement international, quant à elle, administre un important programme sur la connaissance traditionnelle de l'environnement. Le programme du Conseil de l'Arctique commandite des recherches dans ce domaine et de nombreux programmes de gestion de l'environnement, actuellement administrés en fonction de l'instauration des régimes de gouvernements autonomes autochtones au nord du 60e parallèle, tiennent tout à fait compte de la connaissance traditionnelle de l'environnement.
Le prochain aspect dont je veux vous parler est celui des instruments économiques. Notre santé en dépend recommandait que le nouveau projet de loi donne explicitement le pouvoir au gouvernement d'utiliser des instruments économiques. C'est effectivement ce que fait le projet de loi C-32, puisqu'il permet au gouvernement d'établir des régimes de dépôt et de remboursement ainsi que des régimes de permis échangeables. Je pense donc que le projet de loi reprend les recommandations de Notre santé en dépend.
Ce même rapport contenait un long chapitre sur l'application; selon moi, les changements incorporés dans le projet de loi sont bons et ils reprennent, en grande partie, les recommandations formulées dans Notre santé en dépend. On retrouve notamment dans le projet de loi les recommandations du comité en matière d'élargissement des pouvoirs des inspecteurs, des enquêteurs et des analystes ainsi que d'établissement des lignes directrices relativement aux peines; il reprend aussi plusieurs autres aspects recommandés.
Il faut cependant noter deux différences importantes. D'abord, le projet de loi ne reprend pas le régime de pénalité financière que le comité avait recommandé. Je sais que le ministère a consacré beaucoup de temps à examiner cette question et a conclu que ce n'était pas faisable. À la place, le projet de loi incorpore une mesure de substitution destinée à protéger l'environnement qui revient essentiellement à un régime de sanctions négociées permettant aux parties qui reconnaissent avoir violé la loi de négocier la sanction qui leur sera imposée ainsi que les mesures correctives qu'elles devront appliquer.
Cela est conforme à la teneur des recommandations formulées par le comité il y a deux ans, c'est-à-dire prévoir l'application de sanctions non criminelles pour les parties ayant enfreint la loi, tout en permettant aux contrevenants de bonne foi d'essayer de corriger le problème qu'ils auront causé et de rentrer dans le rang. Les entreprises sont incitées à conduire des vérifications à leur niveau pour voir si elles ne sont pas hors-la-loi et à conclure des arrangements avec le gouvernement pour s'assurer qu'elles respecteront la loi dans le plus rapidement possible.
• 1015
Ainsi, bien que le projet de loi ne reflète pas parfaitement
la recommandation du comité, je suis tout à fait favorable à ces
nouvelles dispositions.
L'autre grande différence, mais qui est relativement mineure celle-là, concerne le fait que le comité avait recommandé que le projet de loi contraigne les juges à obliger les délinquants reconnus coupables d'une infraction à publier leur déclaration de culpabilité.
Le projet de loi C-32 autorise simplement—sans l'exiger—que le juge ordonne la publication. C'est là une variante mineure par rapport à la recommandation du comité, l'important étant de retrouver cette disposition dans le projet de loi parce que nous avons vu—sur la scène provinciale, surtout en Colombie-Britannique, et également aux États-Unis où les juges appliquent plus volontiers ce genre de pouvoir—que la publication des déclarations de culpabilité a un effet dissuasif sur les contrevenants qui s'efforcent dès lors de ne plus transgresser la loi. Comme les sociétés comptent beaucoup sur la loyauté de leurs clients, la publication d'un dossier entaché ou la nécessité de faire des excuses publiques est beaucoup plus lourde de conséquences qu'une amende.
Passons maintenant à la participation du public. Comme sur bien d'autres plans, le gouvernement a repris la majorité des recommandations du comité à cet égard, mais pas toutes.
Pour ce qui est des préavis et des commentaires, le projet de loi prévoit la tenue d'un registre de protection de l'environnement et exige maintenant la publication, dans la Gazette du Canada, de presque tous les arrêtés proposés en vertu de ce projet de loi. Cela est tout à fait conforme aux recommandations du comité.
D'un autre côté, le comité avait recommandé que la LCPE établisse un programme d'aide financière aux participants, ce dont il n'est pas question dans le projet de loi.
Pour ce qui est des commissions de révision, recommandées dans Notre santé en dépend, le projet de loi C-32 s'en est tenu aux anciennes dispositions, si ce n'est qu'il renforce le droit de demander la constitution d'une commission de révision pour tous les arrêtés et tous les règlements. J'estime que c'est là une mesure importante qui va permettre d'améliorer le régime de reddition de compte en vertu de la loi.
S'agissant des dénonciateurs, le projet de loi reprend les recommandations du comité qui étaient d'étendre la protection des dénonciateurs pour le signalement de toute infraction à la LCPE et pas seulement des infractions concernant les substances toxiques.
Pour ce qui est de la confidentialité, le projet de loi C-32 clarifie les dispositions contenues dans la loi actuelle, à savoir que la partie tenue de divulguer des informations au ministère peut réclamer qu'elles demeurent confidentielles, toutes ou en partie.
D'un autre côté, je trouve que le projet de loi ne va pas aussi loin que ce que le comité avait recommandé relativement à la restriction de la capacité d'invoquer cette disposition.
Un aspect important, et bien sûr controversé, de ce projet de loi concerne les mesures de protection de l'environnement. Dans Notre santé en dépend, le comité avait recommandé d'ajouter une disposition relative au droit d'intenter des poursuites, ce qu'on retrouve maintenant dans le projet de loi.
Cette disposition est presque entièrement modelée sur une disposition équivalente de la Déclaration ontarienne des droits de l'environnement, mais il convient de remarquer au passage que celle-ci n'a jamais été invoquée en Ontario. Il existe plusieurs explications à cela, mais de l'avis de nombreux groupes d'environnementalistes, cela tient au fait qu'elles sont trop pesantes. On peut donc se demander si c'est une bonne idée de reprendre une disposition tout aussi lourde dans la LCPE.
Le dernier aspect dont je veux vous parler à propos de la participation concerne le fonds pour l'environnement dont le comité avait recommandé la création, fonds qui aurait été alimenté par les droits des usagers et les amendes et qui aurait servi à subventionner les divers programmes et diverses initiatives en matière d'environnement. Le projet de loi ne prévoit pas la création d'un tel fonds.
• 1020
Je voulais également vous parler un peu de la coopération
fédérale-provinciale. Au chapitre un de Notre santé en dépend, le
comité recommande fermement que le gouvernement fédéral ait recours
à la LCPE pour assumer un rôle phare en matière d'environnement. Il
convient ici de se demander si le projet de loi C-32 limite ou, au
contraire, accroît les pouvoirs du gouvernement fédéral d'agir
unilatéralement, autrement dit d'assumer un rôle phare.
Il ne fait aucun doute que le projet de loi améliore l'autorité du gouvernement sur le plan de la réglementation. En quelques endroits, il lui impose d'agir; à n'en pas douter, dans ces domaines, le gouvernement verra son rôle de chef de file renforcé.
Dans les cas où le gouvernement peut mais n'est pas obligé d'agir, j'estime important d'examiner les autres dispositions susceptibles d'influencer la façon dont la future loi sera appliquée et interprétée. Certes, il sera également important de tenir compte du contexte dans lequel on invoquera le projet de loi.
D'un côté, le comité consultatif national, bien qu'il soit davantage représentatif que l'actuel comité consultatif fédéral-provincial de la LCPE, a essentiellement le même mandat et les mêmes pouvoirs que celui-ci. Ainsi, il n'a pas plus le pouvoir que l'autre de limiter la capacité d'intervention du ministre. Dans bien des cas, le ministre est obligé de consulter le comité consultatif national, mais il est tout à fait libre de ne pas tenir compte de ses avis et d'agir comme bon lui semble.
D'un autre côté, j'ai déjà remarqué—et je sais que vous l'avez remarqué vous-même plus tôt lors de réunions avec des fonctionnaires—que les alinéas 2(1)d) et 2(1)l) du projet de loi exigent que le gouvernement, dans l'administration de la loi, collabore avec les autres gouvernements et agisse d'une manière qui soit conforme à l'intention des accords et arrangements intergouvernementaux.
La LCPE de 1988 inclue la première disposition, exigeant du ministre qu'il collabore avec les autres gouvernements, mais ne fait aucunement allusion à la nécessité d'agir conformément à l'intention des accords et des arrangements intergouvernementaux.
On peut dire, je pense, que l'accord d'harmonisation du CCME correspond à un tel arrangement intergouvernemental et qu'on peut l'interpréter, ainsi que l'accord auxiliaire sur les normes en découlant, comme limitant le pouvoir du gouvernement fédéral d'agir unilatéralement. Il n'en demeure pas moins que le gouvernement e le ministre ont bien sûr le pouvoir d'agir.
Cependant, on constate que toute une série de modalités d'applications, concernant la nécessité de consulter pour rechercher le consensus, viennent se superposer au projet de loi et à l'accord d'harmonisation et l'on peut craindre que toutes ces exigences additionnelles n'occasionnent des délais supplémentaires dans le règlement des problèmes dus aux substances toxiques au Canada.
Tout cela ne vous paraît pas un peu ambigu?
Je vais maintenant résumer ma présentation après quoi, comme je vous le disais, je serai tout à fait disposé à répondre à vos questions si vous avez besoin d'éclaircissement ou à vous parler davantage des recommandations ou des aspects liés aux principes de la prudence.
Tout d'abord, je dirais que le projet de loi C-32 reprend la plupart des améliorations que le comité avait recommandées, il y a deux ans, par rapport à la LCPE. On y trouve un pouvoir réglementaire étendu et amélioré sur plusieurs plans: recherche et collecte de données; processus d'évaluation du risque suivant plusieurs pistes; prévention de la pollution; quasi-élimination des substances; réduction des déchets et plan de préparation d'urgence; nécessité de faire rapport de toute nouvelle activité conséquente; plus grande insistance sur l'approche écologique; approche dite de la liste inversée pour les immersions en mer; nouvelles dispositions relatives à la pollution transfrontalière des eaux, aux émissions des véhicules et aux instruments économiques; pouvoir étendu en matière de réglementation des éléments nutritifs; situation relative aux activités fédérales; urgences, carburant et importation et exportations de déchets, notamment de déchets solides. Tous ces aspects constituent d'importantes améliorations par rapport aux dispositions de la loi actuelle.
• 1025
En outre, selon moi, le projet de loi, dans son ensemble,
représente une amélioration sur le plan des dispositions relatives
à la reddition de compte. Il confère une autorité législative très
claire à propos du INRP. Il établit le registre de protection de
l'environnement. Il exige la publication d'un avis pour les
rencontres du conseil consultatif national. Il exige que le
ministre émette un avis et permette la formulation d'observations
pour la quasi-totalité des arrêts, règlements, lignes directrices
et codes de pratique qu'il pourrait vouloir adopter en vertu du
projet de loi.
Il donne plus de latitude pour la convocation de commissions d'examen. Il établit un droit de poursuite, même si celui-ci est laborieux. Il établit un délai précis dans lequel le ministère doit publier ses propositions quant à la façon de contrôler les substances jugées toxiques après évaluation. Enfin, il prévoit une meilleure protection pour les dénonciateurs.
Globalement, les dispositions du projet de loi sont donc plus solides, tant en ce qui concerne la réglementation que la reddition de compte. Bien sûr, le projet de loi ne va pas aussi loin qu'on l'aurait souhaité dans le sens des recommandations de Notre santé en dépend, et je mentionnerai six aspects à cet égard. D'abord, il ne prévoit pas l'inversion du fardeau de la preuve pour les nouvelles substances. Il confère une certaine discrétion dans la définition des critères de persistance et de bioaccumulation. Il ne définit l'élimination virtuelle que par rapport aux émissions et non par rapport aux utilisations. Par nature, il ne fait que reprendre ce qui était dans la LCPE, ce qui est particulièrement problématique sur le plan de la biotechnologie. Enfin, je rappellerai les restrictions éventuelles pouvant être imposées sur la capacité du gouvernement fédéral d'assumer un rôle de premier plan, à cause tant de ses obligations de consulter les autres gouvernements, prévues dans le projet de loi lui-même, que de la combinaison des dispositions de l'article 2 du projet de loi et de l'entente d'harmonisation du CCME.
Cela étant posé, je tiens à rappeler que l'efficacité générale du projet de loi C-32 dépendra essentiellement de la façon dont il sera appliqué. Il accorde nécessairement beaucoup de latitude sur ce plan, par exemple dans la constitution de la liste des substances prioritaires, dans la façon dont l'évaluation des risques est interprétée, dans la manière dont sont déterminées les mesures de contrôle appropriées à chaque cas et dans la façon de les faire respecter. Quoi qu'il en soit, je tiens à réitérer le fait qu'il sera essentiel de faire preuve d'une volonté politique forte et de disposer de ressources suffisantes pour que les améliorations que représente le projet de loi se fassent effectivement sentir et qu'elles donnent lieu à une amélioration des conditions pour l'environnement et la santé humaine dans l'avenir.
Voilà qui conclut mon évaluation du projet de loi en regard des recommandations que le comité avait formulées. Comme je le disais, je serais heureux de vous faire part de mes autres points de vue quant à la façon d'améliorer le projet de loi, d'y incorporer le principe de la prudence, mais je serais aussi très heureux de vous apporter les précisions dont vous aurez besoin.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Moffet. Votre examen nous aura été fort utile, à nous tous.
Parlant de clarification—et je prie Mme Kraft Sloan de m'en excuser—, pourriez-vous demander cette précision au sujet de ce qui est écrit à la page deux? Je ne voulais pas que M. Moffet perde le fil de ses pensées.
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): C'est bien.
Le président: Je ne réduirai pas votre temps de parole.
Mme Karen Kraft Sloan: C'est entendu.
Le président: Ça va?
Mme Karen Kraft Sloan: Oui.
Le président: Parfait. Je vous remercie. Eh bien, nous allons commencer de la façon habituelle.
[Français]
Monsieur Bigras, s'il vous plaît.
M. Bernard Bigras (Rosemont, BQ): Je tiens à vous remercier de votre discours très technique sur un projet de loi très technique et rédigé fort probablement par des technocrates à l'esprit très développé.
Je dois vous dire que vous m'avez un peu laissé sur ma faim. On a beau avoir le projet de loi le plus élaboré, ce qui compte, au fond, c'est la protection de l'environnement et de la santé publique. Ce que vous venez de nous présenter confirme ce que je pensais déjà lors du dépôt du projet de loi: c'est un projet de loi complexe.
Cependant, je crains qu'il ne soit tellement complexe que les ressources mises à la disposition du ministère et la structure administrative actuelle ne permettent pas d'atteindre les objectifs que nous visons lorsque nous voulons protéger l'environnement. C'est cela, ma crainte.
Très, très, très honnêtement—parce que je suis convaincu que vous voulez protéger l'environnement et connaissez bien le projet de loi pour l'avoir étudié—, croyez-vous fondamentalement que ce projet de loi va protéger l'environnement? La complexité du processus que vous venez de nous présenter ne permet-il pas de créer des trous qui vont compromettre la protection de l'environnement? Je ne sais pas si vous comprenez ce que j'essaie de vous présenter, mais j'ai une crainte à cet égard. C'est ma première question.
[Traduction]
Le président: Voilà le technicien aux prises avec une question politique.
M. John Moffet: Tout à fait.
Excusez-moi, mais je vais vous répondre en anglais.
Le projet de loi est effectivement complexe. Il est important de le reconnaître à deux égards. D'abord, il est complexe parce qu'il porte sur un large éventail de questions différentes. Sur ce plan, je crois qu'il est important d'examiner la façon dont il traite de chacun de ces aspects. Par exemple, il établit un régime pour les éléments nutritifs, il en établit un autre pour l'immersion des déchets en mer; il en établit un autre encore pour l'exportation et l'importation des déchets dangereux.
Aux États-Unis, chacun de ces aspects fait l'objet d'une loi particulière. Au Canada, à l'échelon fédéral, toutes ces questions ont été regroupées dans une même mesure législative. Je n'y vois pas d'inconvénient et je dirais même que c'est une bonne chose, parce qu'il est possible d'appliquer de façon cohérente dans tous les programmes fédéraux—qu'il s'agisse de programmes sur les éléments nutritifs ou sur l'immersion de déchets—ce qui est énoncé dans le préambule, dans les dispositions interprétatives et dans les dispositions relatives aux recherches et à la collecte de données—au début du projet de loi—, alors qu'aux États-Unis tous ces programmes sont en quelque sorte administrés indépendamment les uns des autres. À cet égard, la complexité du projet de loi ne pose pas de problème.
En revanche, c'est dans le régime d'évaluation et de gestion des substances toxiques qu'il établit que le projet de loi est complexe. Cela ne fait aucun doute. En un sens, il est même plus complexe que la loi actuelle parce qu'il prévoit différentes pistes d'évaluation en plus de la liste des substances prioritaires, et aussi parce qu'il crée une double approche à la gestion du risque: l'élimination virtuelle d'un côté et la gestion du cycle de vie de l'autre.
• 1035
Quoi qu'il en soit, je persiste à dire qu'il est une
amélioration par rapport à la loi actuelle. La LCPE actuelle
n'exige pas que le gouvernement règle dans des délais raisonnables
un nombre suffisant de cas de substances. Elle n'exige pas du
gouvernement qu'il agisse à la suite de ses évaluations. Elle
permet une trop grande latitude.
Le nouveau projet de loi, quant à lui, exige du gouvernement qu'il ajoute les substances ne répondant pas à certains critères à la liste des substances toxiques. Il exige qu'il élimine virtuellement certaines substances et qu'il publie les mesures de contrôle relatives aux substances déclarées toxiques dans les deux années suivant les résultats des évaluations.
Je reconnais que l'organigramme est complexe, mais j'estime que ces mesures supplémentaires étaient nécessaires pour s'assurer, d'une part, que le gouvernement serait effectivement tenu d'appliquer toutes ces mesures additionnelles relativement aux produits toxiques et, d'autre part, que les responsables seraient tenus de rendre des comptes pour que nous soyons certains—moi qui appartiens au grand public et vous qui êtes députés—que les ministères font ce qu'ils doivent faire et font ce que le contenu du préambule les invite à faire.
D'un autre côté, il est indéniable que la réglementation des substances toxiques est complexe et qu'elle l'est peu importe l'instance concernée; elle est complexe parce qu'elle est directement liée à un grand nombre des questions difficiles concernant le développement durable.
D'un côté, la science peut être très complexe. D'un autre côté, il peut arriver que telle ou telle mesure ait des conséquences économiques énormes. Il nÂest nul besoin d'instaurer un processus destiné à assurer la prise en compte systématique de tous ces problèmes.
[Français]
M. Bernard Bigras: J'ai vu que vous aviez étudié entre autres l'article 185, qui porte sur l'exportation et l'importation de déchets dangereux. J'ai eu un contact avec l'entreprise Stablex de Blainville, qui m'a fait part de son inquiétude face à l'article 185, par lequel le ministère de l'Environnement projette d'imposer certains frais pour le traitement des demandes et manifestes de circulation. Si l'entreprise en question s'inquiète à propos des coûts que cela peut occasionner... En passant, ce n'est pas une entreprise polluante, mais une entreprise qui traite des résidus industriels de façon écologique et qui a reçu, entre autres, des certificats de qualité.
Elle s'inquiète de ces droits réglementaires et elle estime que cet article pourrait aller à l'encontre du traité de libre-échange, notamment avec les États-Unis. Je voudrais savoir si vous avez étudié la question de savoir si cet article pourrait aller à l'encontre du traité de libre-échange avec les États-Unis.
[Traduction]
M. John Moffet: Excusez-moi, mais je ne pense pas pouvoir répondre à cette question. Je n'y ai pas réfléchi et, par ailleurs, je sais que c'est un dossier dont s'occupe le ministère. Veuillez m'excuser si j'évite votre question, mais je ne m'estime pas compétent pour vous répondre à propos de l'accord de libre-échange. Ce n'est pas un aspect sur lequel je travaille beaucoup.
[Français]
Le président: Merci, monsieur Bigras.
[Traduction]
Monsieur Herron, s'il vous plaît.
M. John Herron (Fundy—Royal, PC): Chaque fois qu'on examine un projet de loi, on finit toujours par vouloir l'augmenter et le bonifier. Pour en revenir à la remarque que vous avez faite sur la nécessité de donner davantage de moyens au ministère et de le doter de meilleurs mécanismes d'application, ne pensez-vous pas que ce projet de loi va finir par être trop exigeant sur le plan des ressources? Autrement dit, ne va-t-il pas être plus difficile à appliquer que la LCPE de 1988, du point de vue des ressources humaines?
M. John Moffet: Je pense que les difficultés relatives à l'exécution de ce projet de loi ne découleront pas des articles d'application à proprement parler. Ces articles renforcent la capacité d'intervention des inspecteurs, des enquêteurs et des analystes et guident davantage les procureurs et les juges.
Les pressions qui s'exerceront sur les ressources humaines affectées à l'application de la loi au sein du ministère auront deux causes principales. Il y aura d'abord le nombre de mesures de réglementation et de contrôle qui seront adoptées en vertu des autres parties du projet de loi. Si l'on détermine qu'un plus grand nombre de substances sont toxiques à l'issue d'une évaluation conduite suivant l'approche mutirisques, on peut penser qu'on va se retrouver avec un plus grand nombre de règlements et de mesures de contrôle qui nécessiteront donc l'emploi d'un plus grand nombre de fonctionnaires.
En ce sens, avec le temps, le projet de loi va renforcer la présence du gouvernement fédéral sur le plan de l'environnement et il exigera évidemment des ressources supplémentaires pour faire appliquer la loi. Reste à voir comment celles-ci seront administrées et si elles se situeront toutes au niveau du fédéral ou si elles seront négociées entre le fédéral et les provinces. La deuxième source de pression dans le sens d'un renforcement de l'application de la loi viendra des examens publics comme celui que vous effectuez actuellement.
M. John Herron: Cela m'amène à ma deuxième question, et peut-être même à ma troisième, selon le temps que le président mettra à finir son café.
Ce projet de loi me semble établir une structure homogène relativement à l'inscription de nouvelles substances sur la liste des produits réglementés, c'est-à-dire des substances considérées comme étant toxiques et des substances qu'il faudrait virtuellement éliminer.
Doit-on conclure que, dans quelques années d'ici, le nombre de substances régies par la LCPE aura sensiblement augmenté? Je pense qu'il n'y en a qu'une trentaine à l'heure actuelle. Va-t-on assister à une augmentation rapide des substances prises en compte par le système?
M. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.):
[Note de la rédaction: Inaudible]
M. John Moffet: Désolé, je ne répondrai pas à cette question.
Oui, je crois que c'est une assez bonne hypothèse. Je pense que c'est l'intention du gouvernement, si j'interprète bien le projet de loi. Je pense que le ministère devra maintenant surveiller de beaucoup plus près un plus grand nombre de substances et ne pas se contenter d'établir une liste prioritaire.
M. John Herron: Pour résumer, étant donné qu'un plus grand nombre de substances sont plus susceptibles de tomber dans le système, les règlements correspondant imposeraient au ministère des obligations d'exécution plus rigoureuses qu'aujourd'hui.
M. John Moffet: Bien. Je suis votre raisonnement mais je voudrais exprimer une petite mise en garde. Je crois et j'espère sincèrement que beaucoup plus de substances tomberont dans le système, comme vous dites, et que le gouvernement fédéral en contrôlera donc beaucoup plus. Quant à savoir s'il le fera par voie réglementaire ou non, le projet de loi ne l'indique pas. Il se peut que nous constations un recours accru à des instruments économiques, comme le permet le projet de loi, et à des ententes négociées ou des mesures volontaires. Toutes ces mesures de contrôle sont parfaitement concevables.
En outre, une mesure de contrôle tout à fait concevable dans le cadre de l'accord d'harmonisation du CCME pourrait être que le gouvernement fédéral annonce que les provinces se chargent du contrôle dans le cadre d'engagements négociés. Au fond, il appartient au gouvernement fédéral de dire comment il prendra ces mesures. Le projet de loi n'impose rien à ce chapitre.
M. John Herron: Bien. Merci.
Le président: Monsieur Laliberte.
M. Rick Laliberte (Rivière Churchill, NPD): J'ai beaucoup de questions mais je vais voir si je peux...
Le président: Profitez de votre temps, il ne sera pas illimité.
M. Rick Laliberte: Bien. Merci, monsieur le président.
• 1045
Je voudrais commencer en parlant du savoir traditionnel. Une
bonne partie du savoir traditionnel est aussi une question
d'interprétation et, pour aller au coeur du sujet, ce qui nous
intéresse avant tout, c'est l'expression «quasi-élimination». Tous
les documents... on ne l'a retrouvée que lorsque le ministre a
répondu, ou lorsqu'on a publié la politique de gestion des produits
toxiques.
D'où vient cette expression? Qui l'a inventée? Qui a fait l'erreur de la publier?
M. John Moffet: Je ne sais pas d'où elle vient. On a vu apparaître au cours de la dernière décennie toute une gamme de nouveaux concepts dans les débats concernant l'environnement—comme «mesure de temporisation». À terme, il s'agit de réduire l'émission et l'utilisation d'une substance jusqu'à des niveaux négligeables.
M. Rick Laliberte: Une mesure de temporisation, c'est un phénomène naturel. On peut comprendre. Mais «quasi», dans mon vocabulaire, c'est «bidon». Ce n'est pas réel. C'est une sorte de réalité virtuelle qui n'est pas une vraie réalité.
Autrement dit, ce n'est pas une élimination réelle. C'est comme si l'on disait que l'on va éliminer ces substances pour prévenir la pollution, mais en ajoutant: «Euh, pardon, nous plaisantions, ce ne sera pas réel».
M. John Moffet: Je crois que la raison pour laquelle on a employé l'adverbe «quasi» est que l'on sait que la technologie actuelle de dépistage des substances dans l'environnement est limitée. Je ne suis pas scientifique mais les gens qui utilisent la technologie ne peuvent vous donner de garantie absolue, même quand ils lisent «zéro» dans la lucarne de leur compteur, qu'il n'y a strictement plus rien de la substance mesurée dans l'environnement. Il y a des niveaux ou des seuils de dépistage que l'on ne peut pas dépasser avec la technologie actuelle.
Donc, quand on parle de «quasi-élimination», on veut dire qu'on va éliminer la substance jusqu'au point où on ne peut plus la dépister mais qu'on ne peut pas garantir à 100 p. 100 qu'il n'y en a plus du tout.
M. Rick Laliberte: Bien.
Vous avez parlé du plus grand risque d'exposition. Vous avez exprimé certaines réserves à ce sujet et je n'ai pas bien compris votre prudence à cet égard. Pourriez-vous vous expliquer?
M. John Moffet: Je pensais avoir fait preuve de prudence du début jusqu'à la fin.
M. Rick Laliberte: Je sais, mais c'était ma première expérience à ce sujet.
Je vous pose cette question parce que je me demande ce qui se passera si l'on découvre des organismes «accidentels» qui étaient jusqu'alors inconnus? Vous avez parlé d'incidence résiduelle, d'organismes vivants non réglementés, de biotechnologie mais il se peut que, dans plusieurs générations, toute cette biotechnologie et ces effets résiduels produisent toutes sortes de méchantes bestioles dont nous n'avons aucune idée aujourd'hui. Voilà ce qui m'inquiète.
M. John Moffet: Je vais essayer de vous répondre. Je ne voulais pas parler du dépistage DSL, c'est-à-dire de la case en haut à gauche de l'organigramme. Je crois que c'est une amélioration importante. Cela obligera les ministères de la Santé et de l'Environnement à se pencher sur le cas de toutes les substances figurant sur liste des substances canadiennes, ainsi que sur le cas de tout organisme vivant qui n'est pas encore réglementé, en se demandant s'il y a là un potentiel important d'exposition ou de bioaccumulation. Si la réponse est positive, le système se met en marche. C'est cela qui permettra aux ministères de se pencher sur un plus grand nombre de substances qu'aujourd'hui. À mes yeux, c'est une bonne chose.
L'autre volet de votre question, je crois, concernait la biotechnologie. Dans le cadre du projet de loi actuel, le ministre aura le pouvoir de réglementer les produits de la biotechnologie s'ils ne sont pas déjà réglementés au titre d'autres dispositions touchant la santé ou l'environnement.
La théorie est la suivante: nous allons établir un réseau de mécanismes de réglementation de la biotechnologie au palier fédéral. La LCPE sera en quelque sorte l'instrument ultime que l'on utilisera pour tout ce qui n'est pas réglementé par une autre disposition.
M. Rick Laliberte: Bien.
Revenons au savoir autochtone et au savoir traditionnel. Autochtone, ça veut dire originel de ce pays. C'est dans cette perspective que le gouvernement envisage le cas des terres indiennes.
Notre pays a été fondé au moyen de traités négociés entre les peuples autochtones et une nouvelle nation qui venait d'arriver. Je crois qu'il faut tenir compte de la responsabilité originelle des Autochtones à l'égard de la terre, où qu'elle se trouve, au centre-ville de Toronto ou à Inuvialuit. Le savoir autochtone concernant notre territoire devrait être pris en compte dans cette interprétation.
Vous avez parlé du Conseil de l'Arctique. Comme la plupart des Autochtones vivent au nord du 60e parallèle, ils ont leurs propres institutions de gouvernement et de relations sociales, et ils appliquent leur propre savoir. Tel n'est pas le cas dans notre démocratie du sud du pays. Nous sommes une minorité comme peuple autochtone. Je pense toutefois que l'on devrait tenir compte de ce savoir en considérant qu'il fait partie intégrante du développement durable et de la prévention de la pollution.
Ce que je veux dire, c'est que, dans le cadre de cette déclaration des droits—et, à la fin, on fait l'impasse sur un volet important du droit du public à l'information—du point de vue de l'harmonisation et des relations fédérales et provinciales, le droit du public de savoir, le droit du public d'intenter des poursuites, le droit du public de participer et le droit du public de tirer la sonnette d'alarme devraient tous être renforcés par ce gouvernement, ou par ce projet de loi car, si nous acceptons la dilution de certaines de nos responsabilités en les confiant aux provinces ou à d'autres agences...
La LCPE devrait rehausser le droit du public de savoir et de participer, et aussi la prise en compte du savoir autochtone. Il me semble cependant qu'on a concocté cette «quasi-élimination» et que l'on a dilué la participation du public. Je voudrais savoir ce que vous en pensez, globalement.
Le président: Soyez bref, s'il vous plaît, car le temps passe vite.
M. John Moffet: Bien.
Veuillez m'excuser si c'est l'impression que je vous ai donnée car je pense que le projet de loi rehausse sensiblement les possibilités de participation du public ainsi que l'obligation, pour le gouvernement, de consulter les autochtones et de prendre leurs opinions en considération.
Je ne suis pas ici pour dire que ce sera l'alpha et l'oméga mais c'est quand même un progrès, tant du point de vue de la participation du public que du rôle des Autochtones, lesquels pourront influer sur les politiques adoptées en vertu de la LCPE et auront le droit d'assumer la responsabilité de la gestion environnementale de leurs propres terres.
Le président: Merci.
Monsieur Knutson.
M. Gar Knutson (Elgin—Middlesex—London, Lib.): Il me reste combien de temps?
Le président: Allez-y, vous avez le temps.
M. Gar Knutson: Merci beaucoup, monsieur Moffet.
Je commencerai par une question d'ordre général.
Aux yeux d'un écologiste, le projet de loi constitue-t-il un recul important à un égard quelconque par rapport au projet C-74? Quelque chose vous vient-il à l'esprit?
M. John Moffet: Il y en a deux. La première question concerne la planification de la prévention de la pollution.
Laissez-moi dire tout d'abord que je ne pense pas que ce soit très grave mais j'estime qu'il y a quand même une diminution du pouvoir d'action du gouvernement. Le projet de loi C-74 autorisait le ministre à exiger des plans de prévention de la pollution pour toute substance qu'il se proposait d'ajouter à l'annexe 1. Le nouveau projet de loi dit que l'on ne peut exiger de plans de prévention de la pollution tant que la substance ne figure pas à l'annexe 1—autrement dit, tant que le processus d'appel n'est pas terminé et que le gouverneur en conseil n'a pas donné son accord.
• 1055
La deuxième question concerne le nombre élevé d'exigences
supplémentaires de consultation figurant dans le nouveau texte.
J'ai peut-être fait preuve d'une certaine hésitation quand je
parlais de ces exigences car, à première vue, l'obligation de
consulter ne devrait pas susciter d'inquiétude. L'obligation de
consulter le public et les peuples autochtones pourrait rehausser
la reddition de comptes et la qualité des informations. En
revanche, on pourrait aussi consulter ad vitam aeternam pour ne
jamais agir. Je crains que, dans le contexte général et considérant
l'air du temps et l'accord d'harmonisation, cela ne mine le pouvoir
d'action du ministre ainsi que le but général du projet de loi de
pousser le ministre à agir et à faire preuve de leadership.
M. Gar Knutson: On mentionne plusieurs fois que le ministre devra tenir compte des conséquences sociales et économiques. Croyez-vous que cela ouvrira la porte à d'éventuelles poursuites judiciaires de la part de gens qui diront que certaines substances sont très toxiques et mettent leur santé en danger mais qu'il coûterait tout simplement beaucoup trop cher de les éliminer et que le ministre ou le ministère n'a pas tenu compte des conséquences économiques? Certaines personnes considéreront sans doute que ces dispositions sont très sérieuses. Certaines pensent d'ailleurs que c'est déjà l'attitude du ministère.
M. John Moffet: Je ne peux pas vous donner d'avis juridique en soi mais je crois que c'est généralement dans ce sens que ce sera interprété.
Tous les ministères effectuent actuellement des études d'incidence réglementaire. Ils sont tous obligés, en vertu de la politique du Conseil du Trésor, de faire des études bénéfices-coûts des règlements et de les publier dans la Gazette du Canada. Cela se fait déjà. Première remarque.
Deuxième remarque: je me demande si une entreprise ou une partie sujette à un règlement pourrait le contester au titre de cette disposition. Je crois que c'est fort peu probable. Le gouvernement n'aurait qu'à montrer qu'il a tenu compte de bonne foi des considérants d'ordre socio-économique. On ne dit pas ici que ce seront les considérants déterminants. Le ministre pourrait donc dire: «Mes collaborateurs ont étudié la question. Ils m'ont donné leur réponse et j'ai décidé de réglementer quand même, après avoir appliqué le processus de bonne foi.» Je pense que ce serait tout à fait conforme à la jurisprudence générale du droit administratif qui oblige les décideurs à tenir compte de certaines questions.
Ma troisième remarque me ramène à ce que je disais sur la consultation. Quelle sera l'influence de dispositions comme celles-là sur la valeur thématique ou symbolique globale de la loi pour le gouvernement chargé d'en assurer l'application? Étant donné que c'est déjà la politique du Conseil du Trésor, pourquoi mettre ça dans ce projet de loi? On ne le fait pas dans les autres textes. Est-ce strictement pour des raisons d'ordre symbolique? Si tel est le cas, quelles seront les implications de ce symbolisme?
M. Gar Knutson: Je dois comprendre que vous ne verriez rien de mal à ce qu'on supprime ça?
M. John Moffet: Je n'y verrais aucune conséquence d'ordre juridique. Je suppose que c'est là pour une raison, reliée sans doute aux négociations menées pour formuler le projet de loi, mais je ne pense pas que cela risque d'entraver l'aptitude pour le gouvernement de tenir compte de ces facteurs socio-économiques. De toute façon, le gouvernement continuera d'en tenir compte.
M. Gar Knutson: Vous avez dit que la déclaration des droits de l'Ontario n'a jamais été invoquée.
M. John Moffet: Non, veuillez m'excuser. Je voulais dire que le droit particulier d'intenter des poursuites civiles ne l'a jamais été.
M. Gar Knutson: Je n'ai pas lu tout le texte de loi mais je suis assez familier avec ce qui est proposé dans la LCPE. Si c'est similaire, cela veut-il dire que personne n'a demandé au ministère provincial quelle sera la première étape qui déclenchera le recours à cet article?
M. John Moffet: Non, il y a eu beaucoup de demandes d'enquête.
M. Gar Knutson: Comme il y a ce risque de poursuites judiciaires qui leur pend au-dessus de la tête, je considérerais, si le ministère traitait cela plus sérieusement, que cela veut dire que l'article a une certaine incidence et une certaine valeur.
M. John Moffet: C'est une remarque intéressante. Ce n'est malheureusement pas quelque chose que j'ai étudié en profondeur. Je pense que c'est une remarque utile et une question qui mériterait d'être posée. Je suis sûr que vous accueillerez des témoins de l'Ontario qui connaissent beaucoup mieux la DDE que moi.
M. Gar Knutson: Sur la partie relative aux sanctions, vous avez dit que l'on avait essayé d'éviter les sanctions pénales en offrant beaucoup de possibilités de consultation et de négociation au sujet des amendes et de tout ce qui s'ensuit. Je suppose que c'est la tendance actuelle, à l'aube du XXIe siècle.
Connaissez-vous l'arrêt minoritaire dans l'affaire d'Hydro-Québec? Mon interprétation de cet arrêt est que le gouvernement a le pouvoir d'agir du fait d'une extension naturelle de son pouvoir de droit pénal, et que l'environnement est une question tellement grave que toute infraction en la matière équivaut à une infraction pénale. L'opinion dissidente était que, même si cette interprétation est la bonne, lorsque le gouvernement conçoit un projet de loi qui ressemble plus à un texte réglementaire et qui est rédigé de manière à porter plus sur des questions de droit de la propriété et de droit civil, cela constitue quasiment une ingérence dans les compétences provinciales; en outre, s'il voulait que sa législation reste fermement circonscrite au domaine fédéral, il aurait dû y inclure au moins quelques éléments ressemblant à du droit pénal. Est-ce une bonne interprétation?
M. John Moffet: Je pense que oui. Je pense que c'est aussi l'une des principales raisons pour lesquelles le gouvernement a renoncé aux dispositifs administratifs de sanctions financières, étant donné que cela aurait pu être interprété comme non pénal.
Selon moi, avec ce dispositif, on dit quasiment que le gouvernement, avant d'intenter des poursuites... Je reprends. On n'établit pas deux pistes pour les infractions. On ne dit pas que certaines sont d'ordre pénal et d'autres non. On dit que toutes les infractions sont d'ordre pénal mais qu'on est prêt à négocier avant d'invoquer le droit pénal. Toutefois, c'est ce qui se fait chaque jour devant les tribunaux. Le gouvernement a peut-être voulu faire preuve de plus de transparence pour avoir un effet incitatif. Je pense toutefois que l'objectif global est que cela reste dans le champ du droit pénal.
Le président: Je vais passer à M. Lincoln puis à Mme Kraft Sloan, après quoi je poserai quelques questions et nous lèverons la séance vers 11 h 30. Monsieur Lincoln.
M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.): Je voudrais revenir sur les questions de M. Knutson. Autrement dit, je voudrais voir s'il y a un progrès entre le projet de loi C-74 et le projet de loi C-32. Il me semble que nous devons en juger d'après la réponse du gouvernement. Que faire ensuite? Vous y avez peut-être fait allusion en répondant à M. Knutson lorsque vous avez parlé de questions d'ordre social, économique et technique que l'on trouve aujourd'hui dans le projet de loi C-32 mais qui n'étaient pas dans le projet de loi C-74 ni dans la réponse du gouvernement.
Si j'étais un avocat d'entreprise appelé à me défendre devant un tribunal, je dirais: «Voyez le progrès réalisé. Cela doit certainement vouloir dire quelque chose de très spécial puisque c'est dans le projet de loi C-32, c'est-à-dire dans le préambule—social, économique et technique—mais que ça ne figure nulle part dans la réponse du gouvernement. Ce n'est pas dans le projet de loi C-74. On a donc manifestement voulu exprimer une intention précise.»
C'est la même chose avec le nouveau paragraphe 2(2), dont vous n'avez pas encore parlé. Dans l'ancienne loi et dans le projet de loi C-74, tout comme dans la réponse du gouvernement, on parlait strictement du ministre de l'Environnement et du ministre de la Santé. Maintenant, on a ajouté une autre petite clause qui dit, au paragraphe 2(2):
-
[...] à l'égard d'une question touchant l'environnement ou la santé
humaine, le ministre, le ministre de la Santé, s'il y a lieu, et le
ministre responsable de l'exécution de cette dernière loi décident
ensemble [...]
• 1105
Je me demande si cela aussi a un sens particulier. On pourrait
ensuite parler des alinéas 2(1)l), m) et n), qui sont
complètement
nouveaux par rapport au projet de loi C-74 et à la réponse du
gouvernement.
Pour ce qui est de la quasi-élimination—et je pense que vous y avez fait allusion dans votre organigramme—nous avions proposé d'ajouter les utilisations, si je me souviens bien. Autrement dit, on aurait eu les utilisations et les émissions. Dans sa réponse, le gouvernement n'a pas retenu complètement nos propositions sur les utilisations mais il a accepté notre recommandation sur l'obligation de faire rapport au sujet des nouvelles utilisations et des changements en matière d'exposition, ce qui était très important, tout au moins dans la mesure où cela représentait une acceptation partielle de notre rapport, alors que les nouvelles utilisations ne figurent pas dans le projet de loi C-32, si je ne me trompe.
M. John Moffet: Eh bien...
M. Clifford Lincoln: Ce que j'essaie d'établir, si l'on passe de la réponse du gouvernement au projet de loi C-32, en constatant les six points que vous avez mentionnés...
Le président: De quelle page parlez-vous?
M. Clifford Lincoln: Non, je parle seulement du résumé de John dans lequel il a parlé, par exemple, du pouvoir de décider ce qu'est une bioaccumulation persistante, de l'absence de fardeau inversé de la preuve pour les nouvelles substances, de la quasi-élimination, de l'émission par rapport aux utilisations, des relations fédérales-provinciales, etc.
À part la biotechnologie, qui relevait d'une disposition très faible dans les réponses du gouvernement—nous savons que c'est aussi mauvais ici et nous allons donc laisser cela de côté—a-t-on raison de dire que le projet de loi C-32 est sensiblement plus faible, à plusieurs égards, que la réponse du gouvernement et que le projet de loi C-74, dans la mesure où il introduit le social, l'économique et le technique, où il introduit les dispositions fédérales-provinciales, et où il laisse de côté les nouvelles utilisations et les changements du point de vue de l'exposition?
M. John Moffet: Je pense que le projet de loi a changé et qu'on y a introduit le concept de facteurs socio-économiques en renforçant l'obligation de tenir des consultations fédérales-provinciales. En revanche, je ne pense pas qu'il soit juste de dire que ces changements ne se trouvaient pas dans la réponse du gouvernement. Celle-ci contenait des termes qui faisaient ressortir l'importance de la prise en compte des facteurs d'ordre socio-économique. On ne disait pas explicitement que cela se trouverait dans le préambule mais c'était certainement dans le texte de la réponse du gouvernement.
On trouvait aussi dans cette réponse l'idée que le gouvernement définirait la quasi-élimination en faisant référence à la politique de gestion des substances toxiques. Or, cette politique dit que la quasi-élimination est la prévention des émissions mesurables. En conséquence, je pense que ce sont les émissions qui constituent le problème, mais le gouvernement a fait preuve de cohérence depuis la PGST et depuis sa réponse en disant comment il définirait cela.
Pour ce qui est des nouvelles utilisations, on trouve dans le projet de loi C-32 l'obligation de faire rapport à ce sujet. Certes, on parle d'activités nouvelles importantes au lieu de nouvelles utilisations importantes mais c'est sensiblement la même chose.
M. Clifford Lincoln: Pour vous, activités et nouvelles utilisations, c'est la même chose?
M. John Moffet: Je pense. De toute façon, le problème est le suivant: lorsque le ministre assujettira une substance au DSL, il sera tenu de dire que l'obligation de faire rapport de toute nouvelle activité importante s'applique à cette substance et d'indiquer les types de nouvelles activités qui devront être signalées. Ce n'est donc pas une obligation globale mais je pense que cela témoigne d'une approche cohérente depuis la réponse du gouvernement.
• 1110
Je ne vois donc pas de dilution majeure de la position globale
du gouvernement depuis sa réponse. Je pense qu'il y a eu certaines
nuances, notamment en ce qui concerne les consultations
fédérales-provinciales et une certaine référence symbolique à la prise en
compte des facteurs d'ordre socio-économiques, mais je ne pense pas
que les dispositions de fond aient beaucoup changé.
M. Clifford Lincoln: J'en reste là parce que nous allons devoir quitter la salle, monsieur le président.
Le président: Madame Kraft Sloan, souhaitez-vous intervenir?
Mme Karen Kraft Sloan: Je veux simplement dire aux membres du comité qu'ils sont invités à un déjeuner à 12 h 15 le 2 juin. Il s'agira d'une séance d'information concernant les ONG et les positions autochtones pour les prochaines négociations POR. Le déjeuner sera parrainé par la WWF, Greenpeace, le Centre québécois du droit de l'environnement, l'ACDE, CIELAP et ICC, qui feront des exposés. Je voulais simplement en informer les membres du comité.
Le président: Merci de nous avoir communiqué cette invitation, madame Kraft Sloan. Avez-vous des questions à poser à M. Moffet?
Mme Karen Kraft Sloan: Non, merci.
Le président: Monsieur Moffet, je voudrais revenir sur des questions qui vous ont été posées par M. Knutson et M. Lincoln, et aussi sur ce que vous avez dit au sujet du préambule. Il me semble tout à fait évident que le préambule devra être amélioré, notamment en ce qui concerne la partie disant «...dans l'élaboration des décisions touchant à la protection de l'environnement et de la santé humaine et la nécessité de tenir compte des risques d'atteinte à l'environnement ou à la santé ainsi que de toute question d'ordre social, économique ou technique lors de cette élaboration».
Ce passage donnerait à un juge une très bonne raison de se demander si les objectifs environnementaux peuvent ou non aller à l'encontre des objectifs économiques. Selon sa tendance, il pourrait considérer que les objectifs économiques ont plus d'importance que le but visé par le projet de loi. Autrement dit, cette disposition semble affaiblir le texte.
L'avocat de la défense pourrait se fonder sur cet aspect particulier du préambule pour dire que, malgré certaines conséquences d'ordre environnemental, 29 personnes risquent de perdre leur emploi et que la technologie finira peut-être par s'améliorer, ce dont on devrait tenir compte puisque c'est dans le préambule. Autrement dit, cela pourrait retarder, si ce n'est compliquer, la mise en oeuvre de cette mesure et de l'ensemble de la législation.
Qu'en pensez-vous?
M. John Moffet: Je continue de penser que la portée de cette disposition sera essentiellement d'ordre symbolique. Je pense que sa valeur juridique sera celle-ci: le ministère devra dire clairement qu'il a tenu compte des facteurs d'ordre socio-économique en prenant ses décisions, mais ces facteurs ne devront pas nécessairement être déterminants pour l'amener à prendre sa décision.
Si je puis me permettre de faire une suggestion, je pense qu'il serait utile, plutôt que de se concentrer sur cette disposition, d'essayer de faire avancer la référence au principe de précaution qui est déjà dans les fonctions administratives du préambule, ou peut-être d'ajouter une clause d'interprétation exigeant de manière explicite que la loi soit interprétée dans le sens de la précaution.
• 1115
Comme je l'ai dit, bon nombre des principes formulés dans le
préambule se retrouvent dans les fonctions administratives, mais
pas le principe de précaution. Considérant la grande latitude dont
on jouira pour évaluer les risques, et la manière dont on pourra
interpréter les pouvoirs relatifs aux carburants, par exemple, une
clause d'interprétation explicite fondée sur le principe de
précaution serait peut-être la bonne solution.
Le président: Merci.
Je présente mes excuses à M. Alcock et au greffier du comité, qui attendent que nous libérions cette salle. Nous avons été surpris d'apprendre que l'on n'avait pas prévu assez de temps pour que le comité puisse terminer son travail. Nous procédons à une étude très importante de ce projet de loi. Quoi qu'il en soit, nous allons lever la séance par respect pour nos collègues, à qui je présente à nouveau mes excuses.
Monsieur Moffet, nous devrons continuer ailleurs à un moment qui nous conviendra à tous. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie d'avoir participé à cette séance.
La séance est levée.