JURI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 4 février 1999
[Traduction]
Le président (M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.)): Ce matin, nous accueillons les représentants de la Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada, M. Herb Simpson, M. Daniel Mayhew et M. Doug Beirness, et, du Centre for Addiction and Mental Health, M. Robert Mann. Soyez les bienvenus, messieurs. Aimeriez-vous d'abord faire quelques remarques liminaires? Il y aura ensuite une période de questions. Qui aimerait commencer?
M. Herb M. Simpson (président-directeur général, Fondation de recherches sur les blessures de la route): Merci. Je serais honoré de commencer.
Nous avons remis ce matin au greffier un tableau qui, je présume, a été distribué à tous les membres du comité.
Le président: Oui.
M. Herb Simpson: Merci. Je crois que les interprètes ont aussi une copie de mon allocution.
Je suis heureux d'avoir l'occasion de témoigner devant votre comité. Je commencerai par vous présenter de nouveau mes collègues qui serviront de personnes-ressources pendant la période de questions. M. Daniel Mayhew est vice-président principal de notre fondation. M. Douglas Beirness est vice-président de la recherche. Ensemble, ces deux messieurs comptent plus de 30 ans d'expérience en sécurité routière et ce sont des experts de réputation mondiale. Si vous ajoutez mon expérience à la leur, nous comptons quelques 55 années d'expérience dans ce domaine.
Notre organisme, la Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada, a été créé par le Collège royal des médecins et chirurgiens en 1964 comme organisme de charité national enregistré. Depuis plus de 30 ans, les experts de la Fondation sont des leaders à l'échelle mondiale en matière de recherche et d'évaluation de la sécurité routière et d'élaboration de programmes et de politiques, et il compte de nombreuses récompenses pour leur contribution à la compréhension et au contrôle de la conduite avec facultés affaiblies.
• 0940
Pour bien décrire le contexte de nos recommandations,
j'aimerais d'abord brosser un tableau de ce qui s'est passé dans le
domaine de l'alcool au volant au cours des trois dernières
décennies; c'est ce que montre le graphique que j'ai distribué, qui
illustre l'évolution du problème depuis 1973. Dans les années 70,
le problème était grave et on pourrait même dire qu'il s'est
aggravé. À la fin de cette décennie, près de 60 p. 100 des
conducteurs morts dans un accident de la route avaient bu.
Les années 80 sont bien différentes. Elles sont caractérisées par une baisse marquée du problème. Pendant cette décennie, les préoccupations et les interventions de la part du public et des responsables politiques ont atteint des niveaux sans précédent, et des changements importants se sont produits. Les attitudes ont changé, les comportements ont changé et, comme le montre le graphique, le résultat a changé. Des études ont démontré que la plupart des gains réalisés dans les années 80 peuvent être attribués au changement du comportement des buveurs occasionnels responsables. Le problème auquel nous avons fait face dans les années 90 était certainement différent.
Comme nous l'avons montré dans une série d'études, une bonne partie du problème actuel est causée par le groupe des récidivistes invétérés. De façon répétée, ils prennent le volant après avoir bu de grandes quantités d'alcool, mettant leur vie et celle des autres en danger. Comme le nom l'indique, les récidivistes invétérés ont souvent à leur actif plusieurs condamnations pour conduite avec facultés affaiblies, ce qui témoigne des lacunes du système actuel, ces récidivistes étant passés par le système sans que cela ait influé sur leur comportement.
En cernant bien le problème que nous affrontons aujourd'hui, nous saurons mieux évaluer les possibilités de progrès futures. En bref, le défi que nous devons relever étant moins grand, les améliorations des dix prochaines années ne pourront se comparer à celles des années 80. Plus précisément, dans les années 80, on a pu sauver de 35 à 195 vies par année. Ce sont là les baisses les plus marquées jamais enregistrées en matière d'accidents de la route provoqués par l'alcool au Canada, et elles se sont produites pendant une période d'efforts sans précédent. Surtout, elles se sont produites à une époque où des gains relativement faciles étaient possibles car ils relevaient des buveurs occasionnels.
Les changements observés dans les années 80 sont attribuables à un ensemble de conditions favorables dont bon nombre n'existent plus. Par conséquent, les progrès de la prochaine décennie ne pourront rivaliser avec ceux des années 80. Nous encourageons donc le comité à rester quelque peu sceptique devant ceux qui prétendent que les politiques et les programmes pourront atteindre des objectifs bien plus ambitieux que ceux qu'on a atteints dans des conditions presque idéales. Toutefois, je m'empresse d'ajouter qu'on peut certainement encore réaliser des progrès. On peut prendre de nombreuses mesures efficaces pour lutter contre l'alcool au volant, et, ensemble, ces mesures peuvent donner des résultats positifs. Nous sommes optimistes quant à la possibilité d'apporter encore des changements, mais nous sommes aussi réalistes quant à l'ampleur de ces changements.
Je passerai maintenant rapidement en revue nos recommandations qui sont énoncées en détail dans notre mémoire. Nous les avons regroupées sous deux grandes rubriques en fonction de l'effet dissuasif général de la loi et de l'effet dissuasif particulier de la loi.
L'effet dissuasif général suppose que la menace de sanctions dissuadera la plupart des gens. Les changements survenus dans les années 80 reflètent l'incidence importante de l'effet dissuasif général. Étant donné que les personnes ayant du civisme ont déjà modifié grandement leur comportement, la nécessité d'adopter d'autres mesures à effet dissuasif général peut certainement être remise en question. Toutefois, nous estimons qu'on peut réaliser encore de grands progrès grâce à ces mesures.
Dans ce contexte, les résultats de notre sondage national sur la conduite en état d'ébriété, qui ont été rendus publics hier, sont très pertinents. Ce sondage a révélé que bien des Canadiens continuent de conduire après avoir bu. Près de quatre millions de Canadiens l'ont fait l'an dernier. Plus de la moitié d'entre eux l'ont fait même s'ils croyaient avoir trop bu. Cela prouve bien la nécessité de rehausser l'effet dissuasif général de la loi. Cela peut se faire de bien des façons, et nous en recommandons quatre.
Notre première recommandation est d'accroître et d'améliorer la connaissance de la loi. La loi ne pourra exercer son plein effet dissuasif que si le grand public connaît ses dispositions. Dans le passé, cela a constitué un grand problème. À titre d'exemple, notre étude de l'incidence des modifications apportées au Code criminel en 1985 a révélé que ces changements n'étaient pas associés aux changements dans la fréquence des cas de conduite en état d'ivresse ou des accidents liés à l'alcool. Cette constatation plutôt décevante est attribuable en partie au fait que peu de gens étaient au courant des modifications législatives, même des plus fondamentales.
Notre sondage national le plus récent sur l'alcool au volant a révélé que cette ignorance de la loi persiste encore. Si on veut que la loi exerce son plein effet dissuasif général, il faut sensibiliser le public aux sanctions auxquelles il s'expose.
• 0945
Ainsi, notre première recommandation est d'encourager les
mesures qui accroîtront la connaissance de la loi et des
conséquences sérieuses de la conduite avec facultés affaiblies;
cela permettra de rehausser l'effet dissuasif général de la loi,
est aussi des modifications qui lui seraient apportées.
Notre deuxième recommandation porte sur la confiance du public à l'égard du système judiciaire. Il faut que la population connaisse bien la loi et les conséquences des infractions, mais il faut aussi qu'il estime qu'il est raisonnablement probable que les conducteurs en état d'ébriété se feront prendre. Heureusement, les Canadiens estiment déjà que le risque de se faire prendre par la police est relativement élevé, comme l'indique le résultat de notre sondage national. Mais pour que la loi exerce son plein effet dissuasif, le public doit aussi être convaincu que les conducteurs ivres qui se feront prendre seront aussi punis. C'est là que le système fait défaut, d'après le public.
On croit qu'une accusation de conduite avec facultés affaiblies risque peu d'entraîner une condamnation et une sanction. De plus, même s'il y a condamnation et qu'une peine est imposée au conducteur, on croit en général que le coupable récidivera. Le grand public juge que notre système judiciaire ne traite pas efficacement des cas de conduite avec facultés affaiblies; notre deuxième recommandation est donc d'adopter des mesures en vue d'accroître la confiance du public à l'égard des processus de jugement et de sanction.
Notre troisième recommandation concerne l'alcoolémie légale. Une étude récente des pratiques policières au Canada a révélé qu'on porte rarement des accusations contre les conducteurs dont l'alcoolémie se situe entre 80 milligrammes pour cent et 100 milligrammes pour cent. Cette pratique est bien sûr contraire aux intentions de la loi, et si elle devient généralement connue, elle pourrait miner l'effet dissuasif général de la loi. Par conséquent, il faut appliquer l'alcoolémie légale actuelle.
Pour ce faire, il faudra déterminer pour quelles raisons juridiques, techniques et administratives les policiers décident de ne pas porter d'accusation si l'alcoolémie est entre 80 milligrammes pour cent et 100 milligrammes pour cent et corriger ces problèmes. Nous estimons que le système actuel fonctionne bien. Cela nous apparaît plus important que de modifier le système actuel en abaissant l'alcoolémie légale, par exemple.
Une explication détaillée de notre prise de position sur cette question se trouve dans notre mémoire, mais essentiellement, nous ne voyons pas de preuves convaincantes qu'une simple réduction du taux d'alcoolémie légale améliorera les choses. Nous sommes venus à cette conclusion il y a plus de 15 ans dans un rapport que le ministère de la Justice nous a demandé de préparer. Dans une étude que nous avons faite pour Transports Canada, dix ans plus tard, nous sommes venus à la même conclusion.
Encore plus récemment, nous avons fait un examen détaillé de la documentation moderne et nous avons analysé à nouveau les données des provinces qui ont récemment modifié leurs limites. Dans cette étude, qui sera publiée sous peu, nous n'avons trouvé aucune preuve probante qu'une réduction de l'alcoolémie légale augmentera la sécurité de façon mesurable.
Les études qui prétendent démontrer une telle amélioration ont de nombreuses lacunes méthodologiques qui mettent la validité des conclusions en doute. Les études plus rigoureuses sur le plan scientifique qui tiennent compte de l'influence d'autres facteurs confusionnels possibles n'ont pas démontré d'avantages significatifs.
En plus de l'absence de preuves scientifiques convaincantes de l'efficacité d'une réduction de la limite, les autres facteurs qui mettent la pertinence d'une telle réduction en doute sont nombreux. Nous mentionnons sept de ces raisons dans notre mémoire, et nous serons heureux d'en parler lors des questions.
Pour ces raisons, notre troisième recommandation est de retenir la limite actuelle de 80 milligrammes. Il n'est pas nécessaire de réduire la limite, mais il faut faire respecter la limite que nous avons déjà de façon plus rigoureuse.
Enfin, pour ce qui est des moyens de dissuasion généraux, il y a toute la question des détecteurs passifs d'alcool. Souvent, les conducteurs ivres qui réussissent à éviter la police sont les plus dangereux et les plus aptes à causer une collision sérieuse. D'après les recherches, même quand la police fait un contrôle surprise, la moitié des conducteurs qui sont en état d'ivresse d'après la loi ne sont pas pincés.
Les détecteurs passifs d'alcool aident les policiers à détecter l'alcool en prenant des échantillons de l'air près du visage du conducteur. Les policiers peuvent ainsi avoir un motif raisonnable de croire que la personne a consommé de l'alcool, ce qui leur permet d'exiger un alcootest en se servant d'un appareil de détection approuvé. Grâce aux détecteurs passifs d'alcool, il serait presque impossible pour un conducteur ayant les facultés affaiblies d'éviter la détection une fois arrêté par la police. L'efficacité de ces détecteurs passifs a déjà été démontrée dans des essais opérationnels.
Donc, notre quatrième recommandation est de modifier le Code criminel pour permettre à la police d'utiliser les détecteurs passifs afin d'améliorer la détection et l'arrestation des conducteurs ivres. De cette manière, la loi aurait un plus grand pouvoir de dissuasion.
Les autres recommandations portent sur des moyens spécifiques de dissuasion. Évidemment, il faut renforcer non seulement les moyens de dissuasion généraux, mais aussi les moyens plus spécifiques de la loi. Les récidivistes invétérés, qui sont responsables de la majorité des cas aujourd'hui, sont indifférents aux moyens de dissuasion généraux, et les taux de récidivisme élevés démontrent que même beaucoup de moyens de dissuasion spécifiques sont inefficaces. Il faut trouver des moyens nouveaux pour dissuader ce groupe de façon efficace, ou une meilleure façon de mettre en vigueur les mesures que nous avons déjà.
• 0950
Trois de nos recommandations portent sur les moyens de
dissuasion spécifiques. En premier lieu, nous recommandons
l'établissement d'un système d'alcoolémie à paliers multiples. À
l'heure actuelle, les conducteurs dont l'alcoolémie est légèrement
supérieure à la limite prévue par la loi sont traités exactement de
la même façon que les conducteurs dont l'alcoolémie est supérieure
à 200 milligrammes pour cent, même si le risque que ces derniers
posent à la société est 400 fois plus grand. À notre avis, la
nature de la sanction et sa sévérité doivent dépendre de la gravité
de l'infraction, déterminée par le taux d'alcoolémie du conducteur.
Plus le taux d'alcoolémie est élevé au moment de l'arrestation,
plus la sanction est sévère. On pourrait également faire inscrire
automatiquement les conducteurs qui ont des taux d'alcoolémie
élevés à certains programmes de réadaptation. Dans un système à
paliers multiples, si une personne refuse de se soumettre à un
alcootest elle devrait subir les mêmes conséquences qu'une personne
qui a au moment de l'arrestation un taux d'alcoolémie dans la
catégorie la plus élevée.
En passant, j'ai collaboré avec plusieurs États aux États- Unis, et tout dernièrement avec l'Arizona, pour mettre sur pied un système de taux d'alcoolémie à paliers multiples. L'un de leurs problèmes les plus difficiles c'est s'assurer qu'un refus entraîne les même sanctions qu'un taux d'alcoolémie élevé.
Le fait de relier le taux d'alcoolémie à la sévérité des sanctions se justifie en théorie et en pratique, et les preuves sont résumées dans notre mémoire. Nous préconisons un système de limites graduelles ou progressives du taux d'alcoolémie échelonné qui permette d'établir un lien entre la sévérité de la sanction et la gravité du délit.
Nous recommandons également, comme mesure spécifique de dissuasion, l'alcoomètre anti-démarreur. L'alcoomètre anti- démarreur est une petite antenne éthylométrique, installée dans un véhicule; l'échantillon d'haleine de la personne qui veut prendre le volant doit révéler un taux d'alcoolémie nul ou très faible pour qu'elle puisse démarrer. L'alcoomètre anti-démarreur est actuellement très fiable, même dans les températures extrêmes. Ordinairement, cet appareil est installé après une suspension de permis, pour faciliter la réinsertion du délinquant. En même temps, l'alcoomètre anti-démarreur offre une protection à la société.
Les évaluations effectuées au cours des dix dernières années ont constamment démontré l'efficacité de l'alcoomètre anti- démarreur. Les taux de récidive parmi les délinquants qui participent au programme sont jusqu'à 55 p. 100 inférieurs à ceux des non-participants. Nous venons de terminer l'évaluation la plus complète qui ait jamais été faite de l'efficacité de ce dispositif, au cours d'une étude de cinq ans en Alberta.
Dans notre sixième recommandation, le Code criminel soit modifié pour permettre aux juges d'ordonner à un contrevenant de faire installer un alcoomètre anti-démarreur dans son véhicule, comme condition de sa libération conditionnelle. Si cette approche s'avère impossible à cause des obstacles juridiques et administratifs, le Parlement devrait, comme solution de rechange, encourager les provinces à faire de ces mécanismes une condition obligatoire du rétablissement du permis de conduire.
Notre dernière recommandation porte sur l'évaluation et le traitement. Pas moins des trois quarts des récidivistes font un abus de l'alcool ou souffrent d'une dépendance à cet égard. C'est également le cas d'un grand nombre de ceux qui sont accusés pour la première fois. Cependant, la nature et la gravité des problèmes connus au sein de ces groupes peuvent varier considérablement. Pour définir ces problèmes et désigner plus facilement les programmes de traitement les plus efficaces, il faudrait que le contrevenant se soumette à une évaluation complète. Ceci devrait se faire dès que possible après l'arrestation et la condamnation. À la suite de l'évaluation, l'on peut recommander le programme de réadaptation le plus adapté, et le contrevenant devra suivre ce programme jusqu'au bout avant de recevoir son permis de conduire.
Nous croyons que l'évaluation et la réadaptation des contrevenants se feraient d'une façon plus efficace si les provinces l'administraient par le biais de leur système de permis de conduire. Plusieurs d'entre elles disposent déjà d'un programme d'évaluation et de réadaptation pour les contrevenants. Le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle s'il encourageait les autres pouvoirs publics à mettre de tels programmes en oeuvre et s'il mettait au point des normes pour ces programmes tout en aidant les provinces à appliquer tout programme qui répond à ces normes.
Voilà qui termine notre exposé. J'aimerais ajouter que nous avons apporté, pour le greffier, des exemplaires de nos recherches des six dernières années, qui portent directement sur les recommandations que nous faisons, et nous vous laissons ces documents pour votre gouverne.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Simpson. Y a-t-il quelqu'un d'autre qui veut faire un exposé, ou avez-vous parlé au nom de tout le monde?
M. Herb Simpson: J'ai parlé au nom de mon groupe.
Le président: Merci.
Docteur Mann.
M. Robert Mann (Centre de toxicomanie et de santé mentale): Si vous le permettez, j'ai des exemplaires de mon mémoire que j'ai apportés pour les distribuer. En plus, pourrais-je utiliser un rétroprojecteur pour cet exposé?
Le président: Nous n'avons pas commandé de rétroprojecteur, docteur Mann. En aviez-vous demandé un?
M. Robert Mann: Peu importe. J'ai apporté des transparents, mais je peux les utiliser comme notes. Même si, malheureusement, vous ne pourrez pas voir certaines des choses dont je vais vous parler, je pense que je pourrais...
Le président: Bien. Avoir su, on aurait pu vous donner ce qu'il vous faut. Je vous présente nos excuses.
M. Robert Mann: Mais je vous en prie.
Une voix: Il y a un projecteur là-bas, derrière.
Le président: Très bien. Préférez-vous présenter des transparents?
M. Robert Mann: J'ai en effet quelques éléments visuels qui pourront vous intéresser.
Le président: Pouvons-nous lever la séance pendant deux ou trois minutes, pour que vous vous installiez?
M. Robert Mann: Volontiers.
Le président: Nous pouvons reprendre.
M. Robert Mann: Toutes mes excuses. Permettez-moi de dire que je suis ravi d'être avec vous ce matin. Je vais de nouveau me présenter.
Je suis Bob Mann. Je suis chercheur au Centre for Addiction and Mental Health de Toronto, anciennement la Fondation de recherche sur l'alcoolisme et la toxicomanie, le Clarke Institute of Psychiatry, le Queen Street Mental Health Centre et le Donwood Institute—qui ont été fusionnés—et aussi au Department of Public Health Sciences de la Faculté de médecine de l'Université de Toronto.
• 1000
Tout d'abord, je vous fais remarquer que vous vous lancez dans
un projet très important. La conduite avec facultés affaiblies a
été et demeure un grave problème au Canada. Je crois que mes
collègues de la Fondation de recherches sur les blessures de la
route au Canada ont très bien présenté l'ampleur des problèmes que
nous avons et, si vous le permettez, j'aimerais ajouter à cela des
données tirées du site Web de Transports Canada.
Il s'agit d'un résumé des collisions au Canada, entre 1977 et 1996. On peut estimer que des conducteurs ivres étaient impliqués dans 40 p. 100 des accidents causant des décès et dans 30 p. 100 de ceux qui ont causé des blessures. Ensuite, on peut estimer que dans cette période de 20 ans, de 1977 à 1996, environ 35 000 personnes ont été tuées lors d'une collision où les facultés d'un chauffeur étaient affaiblies. On peut ensuite évaluer les coûts de cela, qui atteindraient environ 52,1 milliards de dollars de 1996. On peut aussi estimer qu'environ 1 505 035 personnes ont été blessées dans des collisions où un conducteur était en état d'ébriété pendant cette période de 20 ans, et que cela a coûté environ 42.1 milliards de dollars. C'est donc un problème grave, aux plans personnel, économique, et autres.
J'aimerais répondre aux questions qui étaient posées dans le document de discussion du comité. Je ne suis pas ici pour faire des recommandations de politiques, et j'aimerais me concentrer sur la possibilité pour les diverses mesures proposées dans le document de réduire les collisions où l'alcool joue un rôle, et par conséquent, les blessures et les décès. Permettez-moi de répondre aux six questions.
Voici la première: Les sanctions actuellement prévues au Code criminel reflètent-elles adéquatement la gravité des diverses infractions, surtout dans le cas des récidivistes ou des personnes aux facultés affaiblies dont la conduite cause des blessures ou des pertes de vie? Y a-t-il des raisons justifiant une suspension de permis à vie et, dans l'affirmative, dans quelles circonstances devrait-on appliquer cette mesure? On veut donc savoir quelle est l'incidence des diverses sanctions sur les personnes condamnées pour conduite avec facultés affaiblies. Je vous signale que parmi toutes les sanctions imposées, les suspensions de permis me semblent être les plus efficaces pour réduire le nombre de collisions et les taux de récidive. Dans une étude effectuée à Toronto sur 2 739 contrevenants, qui en étaient ou non à leur première infraction, nous avons constaté que de toutes les sanctions, y compris les amendes, les peines d'emprisonnement, les probations et les suspensions de permis, la révocation du permis semble être la seule qui est toujours associée de manière positive à la sécurité routière, c'est-à-dire en réduisant de manière sensible le nombre total de collisions, dont celles associées à la consommation d'alcool. Ray Peck, qui était directeur de recherche au département des véhicules automobiles de la Californie, a conclu en 1991 que les suspensions avaient réduit de 30 à 50 p. 100 les infractions pour conduite en état d'ébriété et les collisions, pendant qu'elles étaient en vigueur.
Actuellement, la recherche ne nous permet pas de dire à quel moment ces avantages s'estompent, je ne peux donc pas vous dire l'effet comparatif des suspensions longues ou courtes. Je me contenterai de signaler qu'en Ontario, on a récemment commencé à imposer des suspensions à vie à la quatrième et à la quatrième infraction et qu'il faudrait suivre les résultats de cette mesure.
Voici la deuxième question: Le Code criminel devrait-il prévoir une évaluation obligatoire de tous les conducteurs aux facultés affaiblies afin d'identifier les buveurs invétérés? Devrait-il exiger que les conducteurs qui sont des buveurs invétérés suivent des traitements, en plus de les assujettir aux sanctions habituelles? Je me contenterai de dire qu'en général, les mesures de réadaptation soit les évaluations, les programmes d'éducation ou de désintoxication, font partie des deux types de mesures qui sont maintenant considérées comme pouvant réduire la conduite en état d'ébriété et les autres problèmes associés à la sécurité routière chez les contrevenants condamnés.
• 1005
Je vais vous présenter certaines études. Dans l'une, que nous
avons réalisée, on a fait le suivi de 614 hommes qui en étaient à
leur deuxième infraction qui avaient dû suivre un programme de
réadaptation où à qui on avait imposé des conditions de contrôle
pour une période moyenne de dix ans. Nous avons relevé les taux de
mortalité chez ces contrevenants. Nous avons constaté que dans le
groupe ayant reçu des traitements, le taux de mortalité était de
30 p. 100 inférieur à celui du groupe n'en ayant pas reçus.
Dans une méta-analyse, Beth Wells-Parker de l'Université de l'État de Mississippi a évalué 315 études portant sur les effets des programmes de traitement. Elle a constaté que les traitements réduisaient de 7 à 9 p. 100, en moyenne, le taux de récidive pour la conduite en état d'ébriété ainsi que le nombre de collisions associées à l'alcool. Nous avons des raisons de croire qu'il s'agit là de chiffres modérés. Dans son étude, Dave DeYoung, de la Californie, s'est penché sur les effets de diverses combinaisons de sanctions sur 148 632 contrevenants. Il a conclu que pour lutter contre la récidive de l'alcool au volant, la combinaison de sanctions la plus efficace était celle des mesures relatives au permis et des traitements contre l'alcoolisme.
Mme Eleni Bakopanos (Ahuntis, Lib.): Puis-je vous demander ce qu'est une méta-analyse?
M. Robert Mann: Bien sûr. C'est une façon de combiner des études pour en faire un examen statistique.
Mme Eleni Bakopanos: Ce sont donc des études différentes; il y en a 215.
M. Robert Mann: C'est exact.
On demande ensuite s'il faudrait abaisser à moins de .08 la limite légale du taux d'alcoolémie. Serait-il valable de prévoir une gradation des peines selon le taux d'alcoolémie du conducteur? Je vous signale que mes collègues et moi-même avons récemment terminé pour Transports Canada un rapport sur l'incidence potentielle d'un abaissement des limites au Canada à 50 milligrammes par 100 millilitres. Je vais vous en donner un bref résumé.
Tout d'abord, je vous fais remarquer qu'une limite de 50 milligrammes n'a rien d'inhabituel. Dans la plupart des territoires, la limite est à 50 ou à 80 milligrammes par 100 millilitres. En Australie, en Finlande, en Grèce, aux Pays-Bas, en Norvège et ailleurs, la limite légale est de 50 milligrammes. Bien entendu, au Canada, les provinces ont le choix d'ajouter une limite administrative inférieure à 80 milligrammes et la plupart l'ont fait. Ainsi, en Ontario, on impose une suspension de 12 heures, soit une sanction mineure, pour les alcoolémies supérieures à 50 milligrammes. La première limite légale de l'alcoolémie, imposée en Norvège, en 1930, était de 50 milligrammes par 100 millilitres.
La plupart de ces pays ont abaissé la limite à 50 milligrammes, ce qui nous a permis de voir ce qui s'est produit, après la baisse. Je regrette de vous présenter des tableaux aussi complexes, mais il me semble difficile de bien résumer ces données.
M. Dick Harris (Prince George—Bulkley Valley, Réf.): Pouvons-nous avoir des copies papier de ces tableaux, d'ici quelques jours?
M. Robert Mann: Bien entendu.
Diverses études ont porté sur les effets d'un abaissement de la limite à 50 milligrammes et certaines choses ont été remarquées. Pour commencer, la qualité de ces études varie beaucoup. Pour certaines, il s'agissait simplement d'examiner le nombre d'accidents avant et après la réduction de la limite légale. Évidemment, on ne saurait trop se fier aux résultats de pareilles études. En revanche, d'autres font une analyse plus approfondie et je les considère très valables.
J'aimerais vous parler de deux d'entre elles, l'une effectuée par Henstridge, Homel et McKay, qui ont examiné ce qui s'était passé en Australie lorsque la limite a été abaissée à 50 milligrammes par 100 millilitres, et une autre, effectuée par Thor Norstrom et Hans Laurell, portant sur les effets en Suède d'une réduction qui a fait passer la limite de 50 à 20 milligrammes. Ces chercheurs ont utilisé des stratégies d'analyse très perfectionnées, permettant de contrôler par exemple le kilométrage, la consommation d'alcool, etc.
• 1010
Je vous signalerais également que dans tous les cas où ces
limites ont été réduites, on a constaté des effets positifs pour ce
qui est du nombre réduit de collisions, de blessures et de
mortalités. Parfois, ces impacts semblent temporaires; c'est-à-
dire, ils diminuent avec le temps. Mais partout on rapporte qu'il
y a eu un impact positif dans une certaine mesure.
Permettez-moi également de noter que les deux études que je considère les plus convaincantes, c'est-à-dire celles menées par Henstridge et par Norstrom et Laurell, indiquent que les effets positifs sont de longue durée.
Une question importante se pose à mon avis: Si une réduction de la limite produit des résultats positifs, ces résultats se limitent-ils aux personnes dont le TA se situe entre 50 et 80 et dont le risque de collision n'est pas aussi élevé que chez les personnes dont le TA est plus élevé? Influençons-nous seulement les gens dont le TA est moins élevé? Cela ne semble pas être le cas. Là où on a analysé cette expérience, il semblerait que, pour une raison quelconque, cet impact positif est le plus prononcé chez les conducteurs ayant un TA plus élevé. Il semblerait que l'on assiste à un phénomène dissuasif général assez prononcé. Ce ne sont pas simplement ceux qui se situent entre 50 et 80 qui seraient influencés par une limite moins élevée, mais il y a un impact dissuasif plus global, qui est le plus évident parmi ceux dont le TA est le plus élevé. De nombreuses études démontrent cet effet.
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Pourriez-vous nous expliquer cela en plus de détails?
M. Robert Mann: Bien sûr. Dans un cas en Suède, ils ont constaté une réduction des collisions et de la mortalité liées à l'alcool. Dans ce cas particulier, ils ont examiné le pourcentage de personnes trouvées coupables de conduite en état d'ébriété, selon divers TA. Ils ont constaté qu'il y avait en fait une réduction considérable du nombre de conducteurs ayant les taux les plus élevés d'alcoolémie. En d'autres mots, cette réduction de la limite légale semble avoir eu un effet, du moins selon les pourcentages calculés de conducteurs en état d'ébriété, dans le cas des TA les plus élevés.
M. Dick Harris: Donc l'effet dissuasif est plus important pour ce groupe-là. C'est ce que vous êtes en train de nous dire?
M. Robert Mann: Ce qui se produit n'est pas très clair. Je pense que l'interprétation la plus simple est que les gens boivent moins souvent lorsqu'ils prennent le volant, y compris ceux qui boivent le plus, et le résultat de tout ça est peut-être que tous ces chiffres sont à la baisse.
Mme Eleni Bakopanos: Donc il y a moins de buveurs qui conduisent avec des TA plus élevés?
M. Robert Mann: Oui.
Mme Eleni Bakopanos: Ces statistiques en tiennent compte?
M. Robert Mann: Oui, cela semblerait être le cas.
Est-ce clair?
Mme Eleni Bakopanos: Non, ce n'est pas clair. C'est peut-être moi qui comprends mal.
M. Robert Mann: Je crois que ce qu'il importe de retenir, du point de vue de la conduite état d'ébriété, c'est que l'impact de la réduction de la limite de 80 à 50 mg ne se fera pas sentir seulement dans le cas de ceux qui conduisent avec un TA entre 80 et 50. Il y aura un effet sur tous ceux qui dépassent la limite légale.
M. Dick Harris: Mais vos chiffres indiquent que l'effet dissuasif le plus efficace était chez les conducteurs ayant les TA les plus élevés?
M. Robert Mann: Les données semblent indiquer que ce soit le cas.
M. Dick Harris: D'accord.
M. Robert Mann: D'autres données laissent entendre la même chose. Encore une fois, nous examinons les pourcentages calculés pour tous les conducteurs. Il y a probablement beaucoup de gens qui conduisaient avec des TA entre 50 et 80 et qui conduisent maintenant avec des TA moins élevés. Alors toute la gamme des TA semble avoir été réduite. Je crois que c'est probablement ce qui s'est produit.
• 1015
Comment cela se traduit-il en termes de sécurité routière?
Encore une fois, par leurs procédures analytiques, les deux études,
c'est-à-dire celle de Norstrom et Laurell et celle de Henstridge et
al, ont permis d'évaluer de l'impact en pourcentage sur les
collisions fatales. Norstrom et Laurell rapportent que l'impact
d'une réduction de 20 mg de la limite représente une réduction de
9 pour cent de toutes les collisions. N'ayant pas pu isoler les
collisions liées à l'alcool, ils ont examiné l'ensemble des
collisions, et rapportent une réduction de 9 p. 100 Ils ont estimé
que dans 3 p. 100 de ces cas, la réduction pouvait être due à
l'évolution des groupes d'âge des conducteurs, ce qui peut donc
laisser une réduction de 6 p. 100 qui serait due à l'adoption d'une
loi prévoyant 20 mg. Il est question ici des taux inférieurs. Dans
le cas des taux supérieurs, on peut se tourner vers l'étude de
Henstridge, où ils ont constaté dans l'État du Queensland un
abaissement de la limite légale à 50 milligrammes par 100
millilitres a donné lieu à une réduction de 18 p. 100 dans le
nombre de collisions. Donc au Canada, il y aurait potentiellement
une réduction de 6 à 18 p. 100 de la mortalité.
En 1996, il y a eu au Canada 3 082 décès de la route. Donc, nous estimons que ce nombre pourrait être réduit de 6 à 18 p. 100, ce qui représente une réduction potentielle de 185 à 555 décès par année. Pour diverses raisons, je dirais que cela représente la limite supérieure des résultats auxquels on peut s'attendre au Canada.
M. Jacques Saada: Je regrette de vous interrompre, mais nous n'aurons pas devant nous ces tableaux lorsque nous vous poserons des questions plus tard, alors cela m'inquiète un peu.
Hormis la réduction de la limite, y a-t-il d'autres mesures qui ont été prises en Suède, au Queensland ou ailleurs qui pourraient également être considérées un facteur dans ces résultats et qui ne sont pas directement attribuables à la réduction de la limite mais plutôt à toute une série de mesures?
M. Robert Mann: Oui, plusieurs choses se sont produites. En Suède, par exemple, certaines peines d'emprisonnement ont cessé d'être obligatoires. Ils ont donc réduit la limite à 20 mg pour cent, mais ils ont décidé qu'il n'y aurait plus de peine d'emprisonnement obligatoire pour certains de ces délits. En Australie, dans certains États, on a adopté la méthode des alcootests surprise. Par de telles mesures, on veut que la population sache que les lois en la matière seront rigoureusement appliquées, comme on le fait dans le cas des programmes R.I.D.E. que nous avons en Ontario, ou autres programmes de ce genre.
Henstridge et al. indiquent dans leurs procédures analytiques qu'ils ont pu isoler cet effet, de sorte qu'il y a au moins pour ces résultats un contrôle sur le plan statistique, si vous me permettez d'employer ce terme.
Alors, oui, d'autres mesures sont mises en oeuvre. Il y a des changements dans le comportement des automobilistes et peut-être d'autres changements au plan juridique. Ces analyses tentent de tenir compte de ces facteurs.
De telles mesures comportent des coûts dont on doit tenir compte. Les conséquences économiques possibles liées à la perte de revenu des ventes d'alcool est une préoccupation valable et importante pour bien des gens. Il y a également les coûts accrus de la surveillance policière, des tribunaux et des services correctionnels dont on doit tenir compte, ainsi que les conséquences négatives possibles qui pourraient résulter si la mesure est mise en oeuvre sans l'appui du public et des groupes clé, tels que les forces policières, la magistrature et les provinces.
En outre, j'ai noté que l'impact se ferait sans doute sentir le plus dans le cas des taux d'alcoolémie élevés. Nous savons que divers facteurs influent sur l'effet dissuasif d'une nouvelle mesure. Pour qu'une telle mesure donne les résultats voulus, par exemple, la police doit avoir à sa disposition les ressources pour mener à bien des campagnes d'application de la loi très visibles, les tribunaux doivent régler les cas des contrevenants de façon efficace et les provinces doivent fournir les ressources pour appuyer la mise en application de la loi. Tout cela serait nécessaire, et bien d'autres choses.
• 1020
La quatrième question est est-ce que la police devrait avoir
des pouvoirs accrus pour exiger des échantillons d'haleine, de sang
ou de salive pour fins d'analyse d'alcool ou de drogues? Bien qu'il
n'existe peu ou pas de recherches examinant l'impact direct de ces
mesures sur la sécurité routière, ces mesures ont peut-être l'effet
d'augmenter la certitude du châtiment, ce qui aurait pour effet
d'augmenter l'effet dissuasif général.
La cinquième question est la suivante: Est-ce que les délits de conduite en état d'ébriété devraient relever exclusivement de la compétence d'un juge de cour provinciale ou territoriale afin d'éliminer le droit de l'accusé à choisir l'enquête préliminaire ou un procès par jury? Je noterais ici qu'il n'existe peu ou pas de preuves quant à l'impact d'un tel changement sur les collisions ou la mortalité. De façon générale, les mesures qui tendent à augmenter ou diminuer la perception du public quant au sérieux d'un délit peuvent influencer les taux de conduite en état d'ébriété dans la collectivité. En outre, les mesures qui influencent la rapidité ou la certitude du châtiment peuvent aussi influencer les taux de conduite en état d'ébriété.
Le dernier point et ma dernière observation ici sont que le Code criminel permet actuellement aux tribunaux de libérer un conducteur en état d'ébriété qui a besoin de traitements curatifs en accordant la liberté surveillée à cette personne à condition qu'elle obtienne un tel traitement. Est-ce convenable? Les tribunaux devraient-ils avoir à leur disposition d'autres options quant à la peine?
Tout le monde reconnaît, je le signale, que le traitement ne doit pas remplacer les sanctions, surtout pas les suspensions de permis. Le moyen le plus efficace pour contrer la récidive et les collisions, c'est une combinaison de mesures de réadaptation et de suspension de permis. En remplaçant les unes par les autres, on diminue leur efficacité.
En ce qui concerne les autres options de la détermination de la peine, il y a un certain nombre de solutions prometteuses, comme les dispositifs qui bloquent l'allumage. Cependant, il reste encore bien des choses à découvrir sur la meilleure façon d'utiliser ces mesures, et à ce titre, je recommande qu'on poursuive les évaluations.
Merci beaucoup, et veuillez m'excuser pour les acétates.
Le président: Merci, monsieur Mann.
Pouvez-vous nous les laisser pour qu'on puisse en faire des copies? Ensuite, nous vous les enverrons avec votre exposé.
M. Robert Mann: Oui.
Le président: Merci.
Monsieur Harris.
M. Dick Harris: Merci, monsieur le président.
Messieurs, merci de votre exposé.
Tout d'abord, je voudrais vous interroger sur le facteur de dissuasion. J'ai remarqué que dans le tableau fourni par le groupe de M. Simpson, on signalait une diminution marquée de 1981 à 1989. Pendant cette période, a-t-on adopté des mesures dissuasives beaucoup plus sévères pour persuader les gens de ne pas conduire après avoir consommé de l'alcool?
M. Herb Simpson: Oui, je crois qu'il y avait en fait deux formes de dissuasion à l'époque. La première a été le résultat des campagnes de sensibilisation indiquant qu'il s'agissait d'une infraction criminelle. En 1985, on a apporté des changements au Code criminel et même si les nouvelles dispositions n'étaient généralement pas connues, elles ont dû du moins fait l'objet de certaines discussions.
Mais l'effet le plus marqué a résulté, à mon sens, des mesures prises à l'époque au niveau provincial, notamment de l'ajout d'une suspension de permis aux trois mois d'interdiction de conduite, et tout le monde en a été informé.
Mais il existe une autre forme de dissuasion qui résulte des stigmates associés à la conduite avec facultés affaiblies au plan social, et je crois que c'est l'effet le plus marqué qu'on ait observé à l'époque. La question a pris de l'importance auprès du public dès le début des années 80, notamment grâce aux efforts des groupes de victimes, et non pas des scientifiques. Ces groupes de victimes l'ont inscrite dans l'actualité politique et ont infléchi son évolution. Peu à peu, les gens se sont rendu compte qu'il s'agissait là d'un comportement socialement inacceptable et je pense que chacun d'entre nous peut faire état d'un exemple personnel illustrant la façon dont les choses se sont produites. On peut donc dire que les éléments sociaux et juridiques de la dissuasion sont entrés en action.
M. Dick Harris: Est-ce qu'on a fait des études pour déterminer si les personnes condamnées pour conduite avec facultés affaiblies sont conscientes d'avoir commis un acte criminel?
M. Herb Simpson: Je ne sais pas ce qui a été écrit à ce sujet. Il existe un certain nombre d'études informelles portant essentiellement sur le sentiment de remords, etc.
Mes collègues pourront compléter la réponse, mais j'ai l'impression qu'il existe certainement des individus qui éprouvent des remords et qui prennent conscience qu'ils ne doivent plus se comporter ainsi. On a constaté que certaines personnes appréhendées au cours des années 80 ont pris conscience du stigmate associé à ce comportement et n'ont pas récidivé. Cependant, sur le groupe que nous avons qualifié en 1991 de «noyau dur de récidivistes», bon nombre ne voient pas pourquoi ils ont été punis ou considèrent qu'ils sont maltraités. Le seul effet que j'ai pu constater, c'est lorsqu'ils ont été confrontés avec leurs victimes et qu'ils ont vu sur elles les effets de leur acte. Mais chez certains d'entre eux, il est très difficile de faire changer le sens moral ou le sens de la responsabilité individuelle.
M. Dick Harris: Combien de temps avons-nous chacun?
Le président: Dix minutes chacun, monsieur Harris.
M. Dick Harris: Il semble que votre groupe ne partage pas l'avis exprimé par le groupe de M. Mann en ce qui concerne l'abaissement du taux d'alcoolémie. M. Mann nous a fait part des études qui nous auraient peut-être permis de sauver entre 185 et 500 vies en abaissant le TA à .05.
La préoccupation soulevée dans vos études, est-ce qu'elle porte plutôt sur la marge d'erreur des détecteurs d'alcool? En ayant une limite de .08, les gens savent bien qu'à moins d'avoir un TA de 1.0 ou de 1.1, ils ne risquent que de se faire imposer une suspension temporaire sur place du permis de conduire en raison de la marge d'erreur de ces détecteurs. En réduisant la limite à .05, croyez-vous qu'on va pouvoir invoquer plus souvent des preuves contraires? Est-ce surtout vers cela qu'on se dirige, ou existe-t- il d'autres facteurs?
M. Herb Simpson: Il existe plusieurs raisons. Examinons la question en deux volets.
Premièrement, il faut établir s'il existe des données scientifiques solides qui démontrent qu'une telle mesure peut produire des résultats qu'on peut justifier en tenant compte des coûts.
Deuxièmement, est-ce que cela a du bon sens, compte tenu du climat actuel au Canada—par exemple, les provinces ont déjà établi des limites de 50 et de 40 milligrammes. Alors il faut savoir si le service de police va pouvoir mettre en application une telle mesure. Il faut également déterminer si le public va appuyer une telle mesure, ou si nous nous retrouverons dans une situation où il y aura tellement de conducteurs ayant un TA entre 50 et 80 milligrammes que les tribunaux seront surchargés et ainsi de suite. Par conséquent, il y a beaucoup de questions secondaires qui sont de nature pratique et qui vont déterminer s'il s'agit d'une mesure qu'on peut justifier.
Quant au bien-fondé de la preuve—c'est-à-dire est-ce que cette mesure donne les résultats voulus?—il y a certes une divergence d'opinions qui découle surtout de l'interprétation de la documentation. M. Mann, après avoir étudié la documentation, dit qu'il est convaincu que les auteurs sont corrects, qu'ils ont constaté ces résultats. Il dit qu'il fait confiance à plusieurs de ces études.
Nous avons lu la documentation et nous sommes d'avis que ces études n'ont pas tenu compte des autres facteurs de confusion dont certaines questions font fait allusion. Selon notre interprétation de la documentation, les preuves sont moins convaincantes à nos yeux. C'est normal. Les scientifiques ont souvent tendance à ne pas interpréter de la même façon ce qu'on croit être un fait. Cette situation ne va pas changer.
• 1030
Les données en ce qui concerne cette question en particulier
ne sont pas tout à fait solides. Il y a une divergence d'opinions.
Il existe des preuves contraires. On vient de publier, à l'automne,
une étude dont les contrôles étaient parmi les plus rigoureux, qui
portait sur l'expérience en Caroline du Nord. Cette étude n'a pas
pu démontrer qu'une réduction de la limite du TA a un impact sur
les résultats. Il s'agit d'une question très controversée.
Mais l'élément le plus important, c'est qu'il s'agit d'une question très chargée psychologiquement, et elle est ainsi parce que la plupart des gens se disent: eh bien pourquoi pas, si une telle mesure ne peut pas faire de tort, elle pourrait être utile. C'est une question qui tombe dans cette catégorie.
Pour me résumer, je dirais qu'il existe une divergence d'opinions en ce qui concerne l'interprétation de la documentation scientifique, et qu'il nous faut pas mal de temps pour le débattre.
M. Dick Harris: Essentiellement, vous dites qu'il ne faut pas baisser la limite mais plutôt mettre en application la limite de .08?
M. Herb Simpson: C'est exact.
M. Dick Harris: D'accord. M. Mann nous dit que les preuves démontrent que l'abaissement de la limite à .05 serait une mesure efficace. Hier, les scientifiques qui ont comparu devant nous ont dit qu'on n'avait pas encore corrigé la marge d'erreur des détecteurs. D'après ce que j'ai pu comprendre hier, les avocats de la défense peuvent facilement se servir de cette marge d'erreur de 10 ou de 20 p. 100 pour tirer leurs clients d'embarras, et par conséquent, les policiers, de façon générale, ne font qu'imposer une suspension du permis de conduire à moins d'avoir établi que le TA est inférieur à .01.
Si vous dites qu'il faut appliquer le taux de .08, cela veut dire qu'il nous faudra des instruments de dépistage presque parfaits. Est-ce qu'il pourrait y avoir un compromis? Si on ne peut pas corriger la marge d'erreur, est-ce qu'on pourrait réduire le taux à .06, par exemple, pour tenir compte de la marge d'erreur actuelle, et donc on pourrait avoir des condamnations à .08?
M. Herb Simpson: C'est évidemment ce que propose MADD, c'est-à-dire abaisser le taux à .06, mais seulement si on peut corriger les problèmes liés à l'application du taux actuel de .08.
M. Dick Harris: D'accord, ça va.
M. Herb Simpson: Je crois que c'est notre premier objectif. Cela doit être notre premier objectif parce qu'il faut aussi se rendre compte du fait que le taux d'alcoolémie des conducteurs arrêtés au Canada se situe entre .17 et .18. Normalement, on n'arrête pas les gens à .08 ou .09, parce que la plupart des gens qui sont arrêtés ont été impliqués dans un accident ou font l'objet des méthodes normales d'arrestation, de sorte que les gens ayant des taux d'alcoolémie élevés tombent aux mains de la police.
Je ne suis pas certain que cela changerait nécessairement la situation actuelle. Il pourrait y avoir une certaine valeur symbolique, mais je ne suis pas certain qu'il y aurait un effet pratique.
M. Dick Harris: Moi je pensais au facteur dissuasif, si cette mesure était assortie d'un programme efficace d'éducation du public.
M. Herb Simpson: Puis-je faire une brève intervention à ce sujet? Si on veut sensibiliser les gens à un TA plus bas, ils devraient être informés des taux plus bas qui sont en vigueur dans leurs provinces. D'après le sondage national qu'on vient de terminer, très très peu de gens savent même qu'il y a un taux plus bas dans leur province. C'est quelque chose dont j'ai parlé aux provinces à maintes reprises. J'ai même parlé à des réunions de gens qui devraient être au courant, et beaucoup de ces gens qui sont des experts dans le domaine ne le savent pas. C'est quelque chose qu'on devrait exhorter les provinces à faire.
M. Dick Harris: Monsieur Mann, je ne voulais pas vous exclure. Je vous invite à participer.
M. Robert Mann: Je voudrais simplement dire qu'il y a sans doute beaucoup plus de choses sur lesquelles nous sommes en accord qu'en désaccord et que j'approuve ce que le Dr Simpson a dit, à savoir qu'il y a beaucoup d'autres éléments importants à mettre en place pour qu'il y ait un effet de dissuasion générale. Changer simplement la loi sans se préoccuper des questions d'éducation du public, de la capacité d'application de la loi, de la visibilité de l'application, etc., donnerait de faibles résultats par rapport au potentiel dont je vous ai parlé. Il faut que ces éléments soient en place. L'effet dissuasif général est un processus qui comporte de nombreuses mesures pour pouvoir réussir.
Je crois que nous serions tous d'accord pour dire que c'est important que ces mesures soient mises en place.
M. Dick Harris: D'accord. Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Harris.
[Français]
M. Pierre Brien (Témiscamingue, BQ): Monsieur Simpson, vous semblez baser en grande partie vos recommandations sur le fait que bon nombre de problèmes actuels sont causés par les nombreux récidivistes, des gens qui ont déjà été arrêtés une première fois ou qui sont des consommateurs d'alcool réguliers qui conduisent fréquemment. Je sais que vous avez déposé plusieurs études, mais est-ce que vous avez en main des statistiques sur le nombre de récidivistes qui commettent de nouvelles infractions de conduite en état d'ébriété?
[Traduction]
M. Herb Simpson: La réponse est oui. Certains des rapports que nous avons présentés contiennent des chiffres précis. Je crois qu'il est important de souligner qu'environ 70 p. 100 des contrevenants sont des récidivistes. Il est intéressant de noter que ce noyau dur constitue une très petite proportion de la population. Par exemple, la nuit, il constitue moins de 1 p. 100 des automobilistes, et ils sont responsables d'à peu près 65 p. 100 des accidents graves qui ont lieu en ce moment-là.
Notre sondage national a aussi relevé que même s'il y a beaucoup de déplacements faits par des conducteurs avec facultés affaiblies au Canada, il y en a à peu près 12 millions chaque année au Canada—80 p. 100 de ces déplacements sont faits par moins de 3 p. 100 de la population totale de conducteurs. Ce sont des récidivistes invétérés et il y des faits irréfutables qui montrent que c'est là le noeud du problème, et que c'est un problème grave.
[Français]
M. Pierre Brien: Ma deuxième question porte sur votre cinquième recommandation, où vous proposez des sanctions progressives selon le taux d'alcoolémie. Sans trop vous attarder aux différents niveaux des sanctions, pourriez-vous nous dire ce que vous avez en tête quand vous parlez de sanctions plus sévères?
[Traduction]
M. Herb Simpson: Nous n'avons pas recommandé des taux spécifiques. Il y a déjà des systèmes dont on peut s'inspirer, et il y a certains points qu'il vaut la peine de retenir. Les taux cités le plus souvent pour un système de limites graduelles ou progressives sont .20 et 1.5, ce qui est à peu près deux fois la limite légale. Un bon nombre d'États américains ont fait un compromis et fixé à .17 et .18 les taux de ce qu'ils appellent la conduite avec facultés extrêmement affaiblies. À partir de là, ils prennent les peines associées à la limite inférieure et les augmentent dans une mesure raisonnable, ce qui exige toujours un compromis politique quant à la sévérité que l'on veut atteindre. Mais essentiellement, ils augmentent les amendes, la période d'emprisonnement et la période de suspension du permis, de sorte que toutes les peines sont simplement augmentées dans le cas des taux élevés.
L'autre aspect essentiel est que les personnes ayant de tels taux élevés sont soumises à un examen clinique et à des traitements obligatoires pour leurs problèmes liés à l'alcool. Alors, c'est plus que simplement une occasion de punir la personne; c'est aussi un moyen de s'attaquer aux causes profondes du problème.
Un bon nombre de pays européens ont des systèmes de taux d'alcoolémie à paliers multiples. Il y en a en Australie, et certains d'entre eux sont très complexes. Je crois que le système danois a cinq paliers, ce qui en fait un cauchemar administratif. Mais ce qui nous intéresse ici, c'est le concept. On ne fait pas de recommandations en ce qui concerne des taux spécifiques; ce qu'on dit essentiellement, c'est que plus l'infraction est grave, plus les sanctions devraient être sévères.
M. Pierre Brien: On a remarqué récemment, particulièrement au Québec, des cas d'accidents où on présumait que les conducteurs étaient en état d'ébriété, mais où on avait de la difficulté à le prouver en raison de délits de fuite. Est-ce que vous vous êtes penchés sur cette problématique? Le nombre des délits de fuite a semblé augmenter de façon marquée au cours des dernières années.
[Traduction]
M. Herb Simpson: C'est un aspect très important et nous nous y sommes penchés. On a récemment terminé une étude sur les effets de la suspension du permis de conduire et de la saisie des voitures dans la province de Manitoba. Une des questions qui nous préoccupaient était le fait que plus les peines deviendront lourdes, plus les gens vont essayer de les éviter. Un moyen de les éviter est de s'enfuir.
Je dois demander à Doug s'il se souvient des statistiques, parce qu'il y a certainement des faits qui le démontrent.
M. Douglas Beirness (vice-président, Direction de la recherche, Fondation de recherches sur les blessures de la route): Malheureusement, je ne me rappelle pas des statistiques exactes. Je me souviens qu'il y a des chiffres pour les délits de fuite, lorsque la police a pu porter des accusations dans ces dossiers. Ces infractions sont très rares, statistiquement, si l'on s'en tient à la base de données des dossiers des conducteurs. On n'avait simplement pas assez de chiffres dans le système manitobain pour établir ce nombre.
À en juger par les chiffres à notre disposition, il était très évident qu'il y avait eu une augmentation du nombre de délits de fuite après l'application de peines plus sévères dans cette province.
M. Robert Mann: Est-ce que je peux commenter là-dessus aussi?
En Ontario, on a remarqué que l'alcool jouait un rôle dans la vaste majorité des infractions de la route relevant du Code criminel. Quand on a instauré un programme de réadaptation obligatoire pour tous les contrevenants, on a décidé d'inclure toutes les personnes condamnées aux termes du Code criminel pour une infraction liée à l'alcool au volant. Quiconque est accusé en Ontario de délit de fuite et a déjà été condamné pour conduite avec facultés affaiblies est obligé de participer au programme de réadaptation.
Le président: Merci, monsieur Brien.
Madame Bakopanos.
Mme Eleni Bakopanos: Merci de votre excellent exposé,
Je pose ma première question à M. Mann. Je me demande si vous avez des statistiques sur l'alcool au volant chez les jeunes. Est- ce que les jeunes conduisent avec les facultés affaiblies, et est- ce que leurs taux d'alcoolémie sont beaucoup plus élevés quand ils sont dans des accidents mortels? Est-ce qu'on a des statistiques à cet égard?
M. Robert Mann: On a de très bonnes données, et je vais refiler cette question à la Fondation de recherches sur les blessures de la route. Oui, il y a un problème d'alcool au volant parmi les jeunes gens, et je vais me contenter de vous signaler la recherche faite par la Fondation à cet égard. Je les invite à vous en parler.
M. Herb Simpson: La bonne nouvelle, c'est que les jeunes gens sont les moins aptes à conduire en état d'ivresse et sont les personnes les moins souvent mêlées aux accidents liés à l'alcool. La très bonne nouvelle, c'est qu'au cours des 15 dernières années, ils affichent la baisse la plus importante des taux de conduite en état d'ivresse de la plupart des autres groupes d'âge.
La mauvaise nouvelle, c'est qu'il y en a toujours qui conduisent en état d'ivresse, et il y a des accidents, et les jeunes ayant un faible taux d'alcoolémie risquent beaucoup plus d'avoir un accident. C'est pour cela qu'un bon nombre des provinces qui adoptent l'immatriculation par étapes progressives applique la tolérance zéro dans le cas des jeunes conducteurs. Cela est une approche qui devient très répandue en Amérique du Nord. Il y a une très bonne raison à de telles mesures: les faits démontrent qu'à de faibles taux d'alcoolémie, leurs facultés sot affaiblies.
M. Robert Mann: Nous avons examiné ce qui s'est produit avec la loi de la tolérance zéro en Ontario. On a fait des études auprès de jeunes gens de niveau secondaire—c'est-à-dire des mineurs—et la proportion de mâles qui déclarent avoir conduit après avoir bu a baissé de 25 p. 100 depuis l'adoption de ces lois, et la proportion des décès liés à l'alcool dans le groupe de 16 ans a diminué considérablement elle aussi.
Mme Eleni Bakopanos: Donc, on pourrait pousser l'argument plus loin. Si on baisse la limite, ce sera sans doute un moyen de dissuasion plus fort pour les jeunes gens que pour les récidivistes chroniques.
M. Herb Simpson: Effectivement, et on a déjà baissé la limite pour les jeunes en introduisant la tolérance...
Mme Eleni Bakopanos: La tolérance zéro. Alors, vous êtes tous en faveur de cela à l'égard dans le cas des jeunes?
M. Herb Simpson: Exact.
Mme Eleni Bakopanos: Je ne sais pas qui peut me répondre, mais ma deuxième question concerne la vie privée et la Charte. Le sujet a été grandement débattu à la Chambre des communes. Ni le docteur Mann ni le docteur Simpson n'en a pas parlé. Je l'ai lu rapidement, je dois l'avouer, mais il n'y a pas eu de question à ce sujet, qu'il est peut-être opportun d'aborder ici. Avez-vous des commentaires? Le docteur Simpson a déjà répondu à la question, je crois.
M. Robert Mann: Le lien entre les lois sur l'alcool au volant et la Charte est une question récurrente. Je sais que c'est une question importante. Je n'ai pas de réponse—je ne suis pas juriste. Je sais que ce sont des questions sérieuses et importantes, mais je n'ai pas de réponse.
Mme Eleni Bakopanos: Merci.
Le président: Merci.
Monsieur Cadman ou monsieur Harris.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): J'ai une petite question. Je m'intéressais, docteur Simpson, à votre commentaire au sujet des récidivistes chroniques qui ne reconnaissent pas leur problème jusqu'à ce qu'ils se trouvent devant une victime. Toujours avec cette idée de la dissuasion, il y a un programme, à Los Angeles je crois, dont j'ai entendu parler, où on amène des jeunes gens—je ne sais pas s'ils ont été accusés ou condamnés—à la morgue pour qu'ils voient des autopsies de victimes de l'alcool au volant. C'est une mesure assez dure, mais je crois que c'est une bonne idée, surtout pour les jeunes, afin de souligner le message. Il y en aura qui prétendent que c'est une «peine cruelle et inhabituelle». J'aimerais avoir vos idées là-dessus.
M. Herb Simpson: Dans le cas des jeunes gens, cela a été l'approche la plus répandue, et il y a des programmes de cette nature au Canada. Par exemple, le programme PARTY organisé par Sunnybrook avait ce genre d'approche: amener les jeunes gens à un centre de traumatisme et leur montrer non pas les fatalités, mais les infirmités. Les jeunes gens ont beaucoup moins peur de mourir que d'être blessés ou de devenir infirmes, par exemple.
On n'a pas fait de très bonnes évaluations de ces programmes. La plupart montrent qu'il y a un effet à court terme associé à ce qu'on appelle essentiellement des techniques visant à effrayer. C'est ce que l'on a constaté lorsqu'elles ont été utilisées la première fois dans le domaine du tabagisme. La technique elle-même ne fait que capter votre attention. Sans suite, les effets sont à court terme. Il y a un effet de halo pour quelque temps, puis tout s'estompe.
M. Chuck Cadman: C'est exactement ce que je pensais. En d'autres termes, l'effet du choc est constructif, dans la mesure où on y fait suite avec quelque chose de significatif.
M. Herb Simpson: Oui.
Le président: Aimeriez-vous poser des questions, monsieur Harris?
M. Dick Harris: Oui, j'ai une courte question. Si je comprends bien votre exposé d'aujourd'hui, vous seriez sans doute tous d'accord pour dire que si on pouvait condamner les conducteurs ayant un TA de 80 mg pour cent et augmenter de beaucoup le nombre de condamnations à ce taux-là, on ferait un grand pas en avant dans la lutte contre la conduite avec facultés affaiblies.
M. Herb Simpson: Je suis d'accord.
M. Dick Harris: Merci beaucoup.
Le président: Monsieur Saada.
M. Jacques Saada: Merci beaucoup. D'après ce que vous avez dit, docteur Simpson, et si mes calculs sont exacts, vous comptez 25 années d'expérience dans ce domaine.
M. Herb Simpson: Oui.
M. Jacques Saada: Cinquante-cinq moins 30 égale 25.
M. Herb Simpson: C'est exact.
[Français]
M. Jacques Saada: Ma question est une question beaucoup plus terre à terre, très pratico-pratique. Avant que je pose ma question de substance, j'aimerais qu'on me dise si une suspension substantielle du permis de conduire est une décision qui émane des tribunaux ou si la police a le droit de prendre cette décision sur place.
[Traduction]
M. Douglas Beirness: Il y a deux types de suspension, en fait. Dans bien des provinces, il existe maintenant des suspensions de permis administratives. En effet, dès que l'alcootest indique plus de 80 mg pour cent ou que vous refusez de fournir un échantillon d'haleine, la police peut agir au nom du registraire des véhicules à moteur et suspendre votre permis de conduire pour une période allant jusqu'à 90 jours. La suspension entre en vigueur immédiatement.
• 1050
Les autres suspensions surviennent seulement après la
condamnation, ce qui peut avoir lieu, comme vous le savez sans
doute, de nombreux mois après l'infraction. Si vous êtes condamné,
et qu'il s'agit d'une première contravention, le juge peut vous
interdire de conduire pendant une période de trois à six mois.
Quand la province, c'est-à-dire le registraire des véhicules à
moteur, est avisé de la condamnation, on vous envoie une petite
lettre pour vous dire que votre permis de conduire est suspendu
pour un autre 12 mois, de façon concomitante avec l'interdiction de
conduire. Le permis est rétabli seulement après la suspension. Il
y a deux types de suspension, une qui s'applique au moment de la
contravention et l'autre qui fait suite à la condamnation.
[Français]
M. Jacques Saada: Les chiffres que vous avez donnés tout à l'heure, lors de votre présentation, ne font pas de distinction entre les suspensions à court terme et à long terme. Vous n'avez parlé des suspensions que de façon générale.
[Traduction]
M. Herb Simpson: Nous n'avons pas soulevé la question des suspensions; c'était le docteur Mann.
M. Robert Mann: C'est exact.
M. Jacques Saada: Vous avez pourtant mentionné que c'était les suspensions qui avaient le plus grand effet, je crois que vous avez parlé de 30 p. 100 à 50 p. 100. Ou est-ce que c'était vous, docteur Mann?
M. Robert Mann: Oui.
M. Jacques Saada: Je m'excuse.
M. Robert Mann: Il n'y a pas de quoi. Il s'agit en effet d'un chiffre fourni par Ray Peck, responsable des recherches sur les véhicules à moteur en Californie. À ce moment-là, et je pense que c'est toujours le cas, on manquait de preuves tangibles quant à la durée de l'effet, on ne sait pas si l'effet s'estompe avec le temps. Nous n'avons donc pas la réponse définitive.
M. Jacques Saada: J'aimerais vous poser maintenant ma question de fond, où j'en venais.
Hier nous avons écouté un exposé où les témoins ont dit que si la limite était abaissée, la marge d'erreur sur l'évaluation du taux d'alcoolémie étant plus grande vers les limites supérieures, un juge aura moins tendance à condamner quelqu'un aux limites inférieures qu'aux limites supérieures. J'aimerais faire un lien entre cette idée et l'affirmation faite par je ne sais plus qui, mais je pense que c'était vous, docteur Simpson, en parlant du noyau dur par rapport aux autres, selon laquelle les buveurs occasionnels conduisant en état d'ébriété sont susceptibles d'être impressionnés par le processus policier et judiciaire. Même s'ils sont trouvés non coupables, les diverses étapes de l'arrestation et du procès, etc., ont de fortes chances de les dissuader de récidiver, tandis que le noyau dur de contrevenants invétérés ne subit pas cet effet dissuasif. Ce sont tous des arguments en faveur du maintien du taux actuel.
J'aimerais avoir votre point de vue sur cela. Je sais, docteur Mann, que votre approche est scientifique et quelque peu différente de celle du docteur Simpson. J'aimerais bien avoir tous ces renseignements pour les analyser plus en détail et vous poser d'autres questions afin de déterminer les autres facteurs dont on a tenu compte ou dont on n'a pas tenu compte ou encore dont il est impossible de tenir compte. Que pensez-vous de cette affirmation qu'abaisser les limites rendrait encore plus difficile la campagne contre le noyau dur de contrevenants?
M. Herb Simpson: Je dirais d'abord que nous sommes tout à fait d'accord, surtout si la nouvelle limite plus basse devient encore plus difficile à appliquer que la limite actuelle. La conséquence, c'est une baisse de la confiance du public à l'égard du système. La dissuasion est possible si (a) les gens croient qu'ils vont se faire arrêter, et (b) quelque chose leur arrivera s'ils se font prendre. Mais si l'accusation est rejetée à cause d'une technicalité concernant les instruments, on dit que la loi est une farce. Ceux qui connaissent les technicalités et les problèmes sont justement ces contrevenants qui constituent le noyau dur. Ils ont de l'expérience avec le système. Ils connaissent mieux le système que nous ne le connaîtront jamais, et je ne crois pas qu'il soit très logique de les encourager encore plus à ne pas prendre le système au sérieux.
• 1055
Je serais donc d'accord avec vous pour conclure qu'il ne
serait pas nécessairement constructif d'aller dans ce sens-là.
M. Robert Mann: Moi aussi, je suis d'accord. Si vous faites en sorte que le système ne fonctionne pas, vous n'allez pas atteindre vos objectifs. C'est très évident.
J'aimerais aborder certains points précis. Si je comprends bien, la marge d'erreur à 50 mg pour cent n'est pas très différente de celle qu'on trouve à 80 mg pour cent. Aux taux d'alcoolémie très bas, c'est peut-être vrai, mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas pour les TA dont on parle ici.
J'aimerais aussi mentionner les expériences des pays qui ont abaissé les limites et qui ont ensuite examiné la répartition des TA dans le cas des mortalités de la route; on constate que ce sont les conducteurs ayant un TA élevé qui sont les plus touchés. Je pense donc que cela peut nous amener à la conclusion inverse.
Je pense comme vous que le système doit bien fonctionner et qu'il doit être efficace, mais quand ce n'est pas le cas, et je tiens pour acquis que le système a bien fonctionné en Suède et en Australie et ailleurs, l'incidence de cette mesure pourrait être encore plus marquée au niveau du noyau dur de contrevenants si l'on réduit le nombre de collisions et de fatalités et l'incidence de la conduite avec facultés affaiblies.
Le président: Monsieur Grose.
M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je sais que nous avons tous été surpris en regardant le tableau qui montrait une corrélation entre un TA plus bas et une réduction du nombre de conducteurs ayant consommé beaucoup d'alcool.
Étant un buveur hautement qualifié—on pourrait même dire un buveur professionnel, mais c'est dans le passé, heureusement—on entend souvent l'expression «allons prendre un verre». Un verre, c'est bien. Dans beaucoup de cas, vous êtes en deçà de la limite de 80 mg pour cent, à moins de prendre des doubles. Vous prenez donc un verre. Mais je sais qu'il est rare qu'on s'arrête après seulement un verre. On continue. La conversation se poursuit et on commande un autre verre et un autre après, et on se trouve enfin à ce taux élevé.
Pour quelqu'un de sensé, à l'inverse d'un alcoolique, si la limite est assez basse pour qu'il puisse être arrêté s'il prend un verre, il ne le fait pas avant d'avoir fini de conduire, et c'est pourquoi, à mon sens, les chiffres vont baisser, même les plus élevés.
Les alcooliques, bien sûr, sont à part. J'en ai connu un bon nombre et on peut leur faire n'importe quoi. On pourrait installer ce dispositif spécial de blocage dans leur véhicule, j'en oublie le nom, qui les oblige à respirer dedans, et ils prendront un autre véhicule, ils emprunteront une voiture ou ils en voleront une. Cela ne leur fait rien. Il faut les traiter à part. Ces gens sont malades, et il faut les traiter comme étant des malades.
J'aimerais aussi mentionner que je conduis une automobile depuis plus de cinquante ans, et à maintes occasions, je n'aurais pas dû être derrière le volant. Je n'ai jamais été appréhendé. Heureusement, si j'ai eu quelques accidents mineurs, je ne buvais pas au moment où ils se sont produits. La conclusion qu'on peut en tirer est regrettable, c'est-à-dire, qu'une personne peut boire tout au long de sa vie sans être appréhendée à moins d'avoir un accident. Malheureusement, dans la plupart des cas, un tel accident est de nature horrible.
Nous en avons vu un dans ma ville natale d'Oshawa l'autre soir, un accident qui a été sans aucun doute causé entièrement par l'alcool. La personne en question, qui était déjà suivie par une autre voiture parce qu'elle avait brûlé trois feux rouges, en a brûlé un autre et a tué quelqu'un, une personne qui avait 23 ans.
Je n'ai pas une solution à proposer. Vous, pour votre part, vous faites encore des recherches. Je sais que je ne pose pas une question, mais j'ai essayé de contribuer parce que j'ai une certaine expérience, ce que très peu de gens sont prêts à admettre. Donc, je vous donnerai mes opinions personnelles.
C'est un problème qui demande une solution. Je ne connais pas la solution. Je vous prie de nous proposer une solution.
M. Herb Simpson: Vous sentez la même frustration qu'éprouvent les gens qui font face à ce problème depuis des années. Ce niveau de frustration a atteint un sommet dans les années 70. La population était convaincue que, premièrement, le problème n'était pas important et, deuxièmement, même s'il l'était, on n'y pouvait rien, qu'il était en fait insoluble.
• 1100
Eh bien, la situation a évolué d'une autre façon, parce qu'il
y a eu des progrès importants dans les années 80, et je crois que
ces progrès ont encouragé les gens à reconnaître certains éléments
clés dans cette évolution. Premièrement, il s'agit d'un problème
complexe, et donc il n'y a pas de solution miracle, il n'y a pas de
recette magique, il n'y a pas de panacée. Il exigera une série de
mesures adaptées à la nature très complexe du problème. Les gens
qui conduisent sous l'influence ne le font pas pour les mêmes
raisons, et les risques ne sont pas les mêmes pour tout le monde.
Les mêmes sanctions ne conviennent pas à tous. Il nous faut donc
une gamme de mesures qui, autant que possible, doivent être
appliquées de façon stratégique.
Le Dr Mann a souligné l'importance de la suspension des permis, l'importance des services de traitement, mais il ne faut pas abandonner l'un pour l'autre. Pour cette raison, lorsque vous étudiez vos mesures, le meilleur conseil que je peux vous donner est d'adopter une approche réaliste. Nous allons faire des petits gains dans cette lutte, ce qui est une bonne chose, mais nous ne pouvons faire ces petits gains que si nous mettons en oeuvre une gamme de mesures, d'une façon le plus stratégique que possible.
Même après 25 ans de travail dans le domaine, nous sommes toujours optimistes, mais notre optimisme est tempéré par le fait que les gains que nous comptons faire seront très modérés, malgré que très importants pour les personnes dont la vie aura été sauvée.
Le président: Monsieur DeVillers.
M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Docteur Simpson, dans les études que vous venez de terminer, trouve-t-on quelque chose à ce sujet? À plusieurs reprises dans nos délibérations aujourd'hui, je crois avoir entendu que les gens ne sont pas vraiment convaincus qu'ils seront appréhendés. Lorsqu'ils prennent la décision de conduire sous l'influence, en règle générale, leurs pensées ne sont pas claires, mais ils imaginent qu'ils ne seront pas appréhendés, qu'ils peuvent prendre le risque. Est-ce qu'on retrouve dans vos recherches, dans vos sondages d'opinions publiques, les réponses à la question de risque, c'est-à-dire, pourquoi est-ce qu'on prend ce risque, quels sont les facteurs qui amènent une personne à prendre ce risque?
M. Herb Simpson: Oui, le sondage d'opinions, ainsi que d'autres recherches plus substantielles de nature quantitative, ont examiné ce qu'on appelle la probabilité perçue d'arrestation.
Il est bien connu que la probabilité perçue d'arrestation est un facteur de dissuasion, parce que si on croit que la probabilité d'arrestation est élevée, on est moins porté à le faire. Nous en avons des preuves solides dans les pays qui ont des programmes de test-haleine au hasard, dont l'Australie et la Suède, où il y a de fortes chances que, si on vous arrête, vous serez soumis à l'alcootest et donc appréhendé.
Ai-je raison de dire qu'au Canada, les chances de se faire prendre n'ont pas beaucoup changé depuis dix ans? Les chances sont toujours d'une sur 200 environ. Par conséquent, toute personne raisonnable dirait que 199 fois sur 200, elle ne va pas se faire prendre, donc elle va conduire après avoir bu de l'alcool; c'est la chose intelligente à faire. Heureusement, la plupart des gens ne résonnent pas de cette façon.
En effet, nous avons trouvé intéressant de constater, d'après le sondage, que la vaste majorité de la population pense qu'il y a de fortes chances de se faire prendre. À cause de toute l'attention portée à ce problème, les gens ont l'impression, d'après les rapports dans les médias, qu'il est très probable qu'ils vont se faire prendre.
La question cruciale est de savoir si ceux qui conduisent en état d'ébriété pensent qu'ils vont se faire prendre. Le fait est qu'ils en sont moins convaincus que n'est le reste de la population. Il est donc important que le grand public continue de croire cela. Je ne sais pas si nous arriverons à changer cette perception parmi les buveurs endurcis, à moins de mettre en place des mesures draconiennes. Cela demeure un problème.
M. Robert Mann: J'aimerais faire une observation. L'éducation du public et les efforts très visibles d'application de la loi réussissent bien à convaincre les gens qu'il risque de se faire prendre, et je pense que cela vaut pour les buveurs excessifs également. Il va s'en dire que si on voit un contrôle surprise en se rendant au travail, on aura moins tendance à prendre un verre en rentrant le soir. Je pense que ces initiatives sont efficaces; il faut poursuivre dans cette veine.
M. Herb Simpson: J'aimerais ajouter que le sondage a montré aussi que relativement peu de gens sont arrêtés lors des contrôles surprise effectués par la police. Autrement dit, dans certaines régions, les contrôles surprise sont très fréquents, alors que dans beaucoup d'autres, ils sont inexistants. Certains corps policiers s'en servent plus souvent. Je pense qu'il serait avantageux d'avoir plus de ces contrôles. Ils nous seraient très utiles.
M. Paul DeVillers: Et cela ne relève pas du gouvernement fédéral de faire quelque chose par voie d'amendement au Code criminel.
M. Herb Simpson: Tout à fait.
M. Jacques Saada: Quant à la question que vous soulevez, Paul, je dois dire que je ne comprends pas le raisonnement. Mettons que je viens de boire un coup et que je suis sur le point de conduire. Si j'ai les facultés tellement affaiblies, comment me dissuader de conduire si je n'ai plus de jugement voulu pour penser à tous les risques et toutes les conséquences de mon geste?
M. Herb Simpson: J'en suis moins convaincu moi aussi. Je suis plutôt de votre avis. J'ai tendance à penser que les buveurs endurcis et excessifs sont moins dissuadés que le citoyen ordinaire. Il est certain que s'ils se mettent à boire, l'effet dissuasif sera minimal. Cependant, pour certains de ces gens, il y aura un effet dissuasif qui fera en sorte qu'ils ne boiront qu'un verre, ou qu'ils s'organiseront pour avoir un conducteur désigné ou pour utiliser un autre mode de transport. Si l'effet dissuasif fait que ces gens ne boivent pas ou décident de prendre un autre mode de transport s'ils boivent, cela peut être utile.
Le président: J'ai une question pour le Dr Mann.
Dans votre exposé, vous avez parlé des conséquences économiques qu'aurait la réduction du TA sur l'industrie de l'accueil, les brasseries et les distillateurs. De plus, il y aurait une augmentation des coûts des services policiers et de ceux des tribunaux. Avez-vous une idée approximative de l'importance de ces conséquences économiques? Est-ce que l'industrie de l'accueil subirait une réduction de 10 p. 100, ou est-ce que les coûts des services policiers augmenteraient de 25 p. 100?
M. Robert Mann: On peut craindre un impact sur les ventes d'alcool, mais je ne saurais la quantifier. J'aimerais juste souligner que la loi fixant la limite légale à 80 milligrammes d'alcool a été adoptée au Canada en 1969. La consommation moyenne ou per capita a continué de croître après cela.
Je crois qu'il y a d'autres études dans ce domaine aux États- Unis, et dans les États américains où la limite a été abaissée de 100 à 80 milligrammes. En tout cas, d'après la NHTSA, cela n'a eu aucun impact majeur sur les ventes et la consommation d'alcool. Alors, même si je reconnais qu'il s'agit là d'une préoccupation—et c'est pourquoi j'en ai parlé ainsi—, que je sache, il n'y a pas de données solides pouvant nous faire conclure qu'il y a des conséquences économiques sérieuses. Je tenais à le préciser.
Pour ce qui est des frais pour les services de police, pour les tribunaux et ainsi de suite, tout dépend de combien vous y mettez. Un chiffre qui nous est venu de l'expérience en Colombie- Britannique porte à croire qu'il en coûterait au Canada 40 millions de dollars de plus par année en frais de justice seulement. Il n'y avait aucun chiffre concernant les frais liés à la police ou tout autre élément du système juridique.
Le président: Merci.
Monsieur Harris, vous aviez autre chose?
M. Dick Harris: J'ai un tas de questions, mais je sais que nous approchons de la fin. J'aimerais tout simplement remercier les participants pour les exposés et les encourager à nous envoyer autant de renseignements sur papier qu'ils le peuvent. J'apprécie la documentation que la Fondation nous a remise aujourd'hui et je m'attends à ce que le Dr Mann nous envoie des copies papier de ses acétates.
Le président: À l'instar de M. Harris, je tiens à vous remercier infiniment. Vos exposés ont été très instructifs et seront très utiles pour nos études. Merci beaucoup d'être venus.
La séance est levée.