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JURI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 3 novembre 1998

• 0912

[Traduction]

La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): Bonjour. Je m'excuse d'être en retard. Je plaide coupable.

Une voix: ...

[Note de la rédaction: Inaudible] ...

La présidente: Vous êtes tous arrivés en retard? Merci. Au moins, vous m'avez dit la vérité.

Des voix: Oh, oh.

La présidente: Bon. Notre premier témoin est Jacques Lemire, conseiller juridique, Groupe d'entraide internationale. Voulez-vous commencer sans M. Piragoff ou préférez-vous qu'on l'attende encore quelques minutes? Savez-vous s'il sera là?

M. Jacques Lemire (conseiller juridique, Groupe d'entraide internationale, ministère de la Justice): Je crois bien qu'il sera là. Pourrions-nous attendre quelques minutes? Si cela vous pose un problème, nous pouvons commencer.

La présidente: Étant moi-même arrivée en retard, je vois mal... Nous allons suspendre la séance pour quelques minutes et attendre qu'il arrive. Nous ne nous réunissons habituellement pas dans cette salle, alors, il y a peut-être eu confusion.

M. Jacques Lemire: Merci.

• 0913




• 0916

La présidente: Aujourd'hui, nous commençons l'examen de la Loi sur l'extradition. Nous accueillons Don Piragoff, du ministère de la Justice, qui était avec nous l'autre jour. Il est avocat général à la Section de la politique en matière de droit pénal. Il est accompagné de Jacques Lemire.

Messieurs, voulez-vous faire des remarques liminaires ou pouvons-nous dès maintenant passer aux questions?

M. Don Piragoff (avocat général, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Madame la présidente, tout ce que nous avons à dire a déjà été dit par la secrétaire parlementaire de la ministre pendant le débat en deuxième lecture. Nous sommes ici pour répondre aux questions des membres du comité et les aider du mieux que nous le pouvons dans leur examen du projet de loi.

La présidente: Très bien.

M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Madame la présidente, la secrétaire parlementaire pourrait-elle relire son discours?

Mme Eleni Bakopanos (Ahuntsic, Lib.): Vous en avez tous un exemplaire.

La présidente: Oui. Vous devriez tous avoir un cahier d'information provenant du ministère de la Justice qui décrit notamment la nature du débat et comprend aussi un communiqué.

Je suis à dresser la liste des intervenants, alors si vous voulez poser des questions...

Je commence par John Reynolds.

Allez-y; je vous interromprai de façon tout à fait arbitraire lorsque j'en aurai envie.

Des voix: Oh, oh.

M. John Reynolds (West Vancouver—Sunshine Coast, Réf.): Je n'ai pas beaucoup de questions, mais j'en ai quand même quelques- unes.

Mme Eleni Bakopanos: Cela va être toute une journée.

La présidente: Si d'autres députés ont des questions, qu'ils me l'indiquent. J'en aurai moi-même quelques-unes à poser.

M. John Reynolds: Si personne n'a de questions, nous pouvons rentrer à la maison tout de suite.

Comment le projet de loi accélérera-t-il le processus? Vous avez dit que le projet de loi C-40 simplifie le processus. Dans l'affaire Rafay et Burns, deux jeunes gens de la Colombie- Britannique, la procédure a été instituée il y a déjà un bon moment. Comment le processus s'en trouvera-t-il accéléré?

M. Don Piragoff: Le projet de loi permettra d'accélérer le processus de différentes façons. Premièrement, il reprend les dispositions adoptées en 1991-1992, qui ont eu pour effet de réduire considérablement le temps nécessaire pour le processus d'appel. À une certaine époque, cela prenait cinq ans. Cela ne prend plus que deux ans, et ce, dans les cas complexes. En moyenne, la procédure prend un an, à partir du moment où la demande est faite jusqu'à la remise de l'intéressé.

Donc, premièrement, le projet de loi confirme les modifications de 1991-1992, qui se sont avérées fructueuses. Deuxièmement, il permet aux États étrangers de produire des éléments de preuve sous une forme qui convient à leur système de justice. Dans le passé, les règles très complexes du Canada en matière de preuve, à savoir essentiellement l'irrecevabilité des preuves par ouï-dire et des affidavits autres que les affidavits à la première personne, ont entraîné de grandes difficultés pour certains pays, surtout les pays de droit civil dont les lois sur la preuve diffèrent des nôtres, qui n'accordent pas la même signification que nous au ouï-dire et qui ne savent pas ce que doit comprendre un affidavit, qu'un affidavit doit porter uniquement sur ce que la personne a vu ou dit dans les faits par opposition à ce qu'elle aurait entendu dire.

• 0920

Même dans les cas de pays de common law, tels que les États-Unis ou le Royaume-Uni, des affidavits à la première personne étant requis, s'il s'agit d'un cas complexe de fraude—et la fraude transnationale est de plus en plus courante en commerce international—, on se retrouvait avec des boîtes et des boîtes de documents devant être catalogués conformément aux affidavits à la première personne.

Nous avons eu des cas où nous avons reçu de certains pays européens 50 boîtes de documents devant être catalogués et pour lesquels il a fallu faire des références croisées à partir des affidavits à la première personne. Ce n'est pas ainsi que ces pays recueillent des éléments de preuve pour leurs propres fins.

Dans ce projet de loi, nous disons: «Nous accepterons les preuves que vous produisez, chez vous, pour vos propres enquêtes et procès, et nous accepterons le résumé complet de la preuve».

Il y a des exemples de cela même pour les pays de common law. Dans l'affaire de l'attentat à la bombe à l'aéroport de Narita, en raison de l'exigence concernant les affidavits à la première personne, les lois du Japon... Si vous vous souvenez bien, l'avion, dont la destination était l'Inde, avait quitté Vancouver et fait escale à l'aéroport de Narita, au Japon, où une bombe avait explosé dans la zone des bagages, pendant que l'on déchargeait l'avion. Tous les témoins—du moins, les témoins importants—se trouvaient au Japon, y compris les experts légistes. Les lois japonaises interdisent aux pays étrangers d'obtenir des affidavits sous serment au Japon, car aux yeux des Japonais, il s'agit d'un acte de souveraineté de la part d'un pays étranger qui viole la souveraineté du Japon. Pour cette raison, nous avons dû envoyer les témoins à Hong Kong, pour y obtenir des affidavits sous serment. Cela a été coûteux en argent et en temps.

Par ailleurs, la loi dans sa forme actuelle ne permet pas à l'accusé de renoncer à la procédure d'extradition. Rien dans la loi actuelle ne permet à l'accusé de dire tout simplement: «Je ne veux pas être assujetti à la procédure d'extradition. Je suis prêt à quitter le pays. Je renonce à la procédure d'extradition». Ce n'est pas prévu par la loi actuelle. Le projet de loi permet l'expulsion de toute personne qui y consent.

Ce sont là, à mon avis, les deux mesures qui accéléreront le processus. De plus, le projet de loi définit clairement les attributions du juge d'extradition et du ministre. Dans le passé, bien des litiges étaient attribuables au fait que les tribunaux de première instance, en matière d'extradition, s'acquittaient de fonctions qui ont été plus tard jugées par la Cour suprême comme relevant du ministre, de l'exécutif.

En droit international, l'extradition est avant tout un acte de l'exécutif, mais la magistrature joue aussi un rôle. Pendant quelques années, ce rôle était mal défini, et cela a provoqué un nombre important de litiges. Ce projet de loi précise les responsabilités du ministre et les responsabilités des tribunaux. Cette clarté devrait aussi permettre d'accélérer le processus, les règles étant maintenant précises.

M. John Reynolds: Cela empêchera-t-il les contestations aux termes de la Charte? Le projet de loi comprend-il des dispositions qui empêcheront...

M. Don Piragoff: Non.

M. John Reynolds: Je vois. Que se passera-t-il dans le cas de Rafay et Burns, qui ont été accusés de meurtre aux États-Unis, si la Cour suprême jugeait qu'ils ne pouvaient y être renvoyés si les États-Unis insistaient pour qu'ils subissent la peine prévue dans ces cas-là, en l'occurrence, dans l'État de Washington, la peine de mort? Que se passerait-il dans un tel cas? Ils n'ont été accusés d'aucun crime au Canada et ils sont Canadiens.

M. Jacques Lemire: Si la Cour suprême décidait qu'ils ne peuvent être renvoyés dans un pays où ils pourraient être condamnés à la peine de mort, le ministre de la Justice devrait tenter d'obtenir des États-Unis qu'ils n'imposeraient pas la peine capitale avant d'accepter la remise des accusés. C'est ce qui serait fait en l'occurrence.

M. John Reynolds: Et si les États-Unis refusaient?

• 0925

M. Jacques Lemire: Nous serions alors dans une situation sans précédent et, manifestement, il nous faudrait respecter la décision du tribunal.

M. John Reynolds: Quel autre...

M. Jacques Lemire: En dernière analyse, il se pourrait qu'il nous soit impossible de remettre l'accusé aux États-Unis.

M. John Reynolds: Je n'ai pas entendu.

M. Jacques Lemire: Il se pourrait que nous ne pouvions remettre l'accusé aux États-Unis si nous ne pouvions obtenir les assurances prévues par l'ordonnance du tribunal.

M. John Reynolds: À quel autre moment du processus le ministre peut-il intervenir? Pourquoi le ministre a-t-il le dernier mot? Pourquoi pas plutôt les tribunaux?

M. Don Piragoff: En droit international, l'extradition se fait entre deux pouvoirs exécutifs souverains. En droit international, c'est un acte de l'exécutif, un acte d'un État souverain, et la décision finale, dans la plupart des pays—en fait, pour autant que je sache, dans tous les pays—est prise par le gouvernement.

Le pouvoir judiciaire joue un rôle important, mais cette importance varie selon le pays et la tradition juridique. Dans certains pays européens, le rôle des magistrats est de moindre importance. Essentiellement, les juges confirment que la personne faisant l'objet d'une demande d'extradition est bien l'accusé, que les infractions ont été bien définies et qu'il y a sanction réciproque. Toutes les autres décisions relèvent de l'exécutif.

En common law, les juges s'acquittent d'autres fonctions puisqu'ils doivent aussi déterminer si les preuves sont suffisantes, mais, en dernière analyse, c'est l'exécutif, le ministre, qui tranche, car différents facteurs doivent être pris en compte en matière d'extradition.

Premièrement, il faut déterminer si l'accusé aura un procès juste. Manifestement, il existe des pays où le Canada n'extradera personne parce qu'il n'a pas confiance dans leur système de justice pénale. Par ailleurs, les pays de common law, contrairement aux pays de droit civil, extradent leurs ressortissants. Il y a bien des pays dans le monde qui n'extradent pas leurs ressortissants; pour ces pays, l'extradition ne peut s'appliquer qu'aux étrangers.

Puisque dans les pays de common law, la remise des ressortissants nationaux est permise, cela soulève la question des droits, notamment des droits constitutionnels, des ressortissants nationaux.

Ainsi, aux termes de notre charte, tout citoyen a le droit de rester au Canada ou de quitter le pays, ce qui signifie que si le gouvernement ou l'État veut forcer un citoyen canadien à quitter le pays, alors que cette personne a le droit d'y rester car il est citoyen canadien, il faut appliquer les règles de droit. Premièrement, le tribunal doit déterminer si cette personne est bien la personne recherchée, c'est-à-dire établir son identité, et, deuxièmement, s'assurer qu'il y a sanction réciproque, que la conduite ayant donné lieu à la demande d'extradition par un État étranger est aussi considérée comme un crime au Canada. Si ce n'est pas un crime au Canada, pourquoi voudrions-nous alors remettre un de nos citoyens à des autorités étrangères?

Après ce processus judiciaire, il incombe au ministre de trancher toutes les questions de droit étranger et de politique internationale: l'accusé aurait-il droit à un procès juste, pourrait-il faire l'objet de persécutions dans ce pays étranger, pourrait-il être torturé dans ce pays étranger, et le système de justice de ce pays permettra-t-il un procès juste pour l'accusé.

Il est beaucoup plus facile pour l'exécutif de se pencher sur ces considérations, car, essentiellement, il s'agit de rendre un jugement politique sur le régime judiciaire et politique de l'État étranger. Un juge canadien ne peut répondre à ces questions, car il lui faudrait alors faire des observations sur la situation politique d'un autre pays. À cette étape du processus, c'est à l'exécutif qu'il incombe de dire aux autorités étrangères qu'il refuse l'extradition parce qu'il n'a pas confiance dans leur système judiciaire ou correctionnel. C'est le rôle du ministre.

M. John Reynolds: Avons-nous une liste de pays vers lesquels nous refusons l'extradition? Vous en avez mentionné quelques-uns.

M. Don Piragoff: Nous n'avons pas une liste officielle de ces pays. C'est plutôt le contraire: nous avons une liste de pays vers lesquels nous acceptons l'extradition.

• 0930

Aux termes du projet de loi, nous pourrons toujours extrader en vertu d'un traité, ce qui, essentiellement, signifie une liste. Mais on sera aussi en mesure de remettre des personnes à des pays avec lesquels nous n'avons pas signé de traité. Dans ces cas-là, la capacité d'intervention et le pouvoir discrétionnaire de l'exécutif revêtent une grande importance.

Nous avons prévu les cas où il y a absence de traité parce qu'il y a des pays, comme le Japon, qui refusent tout simplement de signer des traités d'extradition. Ils préfèrent se doter d'une procédure interne leur permettant de remettre des personnes à un pays étranger à condition que ce pays en fasse autant pour le Japon.

D'autres pays, tels que le Royaume-Uni, signent des traités et se dotent ainsi d'une liste de pays où l'extradition est possible, mais ont aussi le pouvoir d'agir au cas par cas. En l'occurrence, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Justice évaluent la situation afin de déterminer si la personne faisant l'objet d'une demande d'extradition aurait un procès juste dans le pays en question.

La nouvelle loi nous donne cette marge de manoeuvre. Elle prévoit plusieurs façons d'instituer la procédure d'extradition. La loi actuelle est fondée sur l'existence d'un traité ou sur le fait que le pays étranger est un pays de common law, un État du Commonwealth, un membre du Commonwealth. Les pays du Commonwealth sont privilégiés, en ce sens qu'ils peuvent obtenir l'extradition sans traité en vertu de l'ancienne Loi sur les criminels fugitifs qui a été intégrée à la nouvelle Loi sur l'extradition.

La présidente: Merci, John. Derek Lee.

M. Derek Lee: Merci.

Il y a quelques années, vers 1992, le Parlement a adopté des modifications à cette loi. À l'époque, je me souviens qu'on avait discuté du lien entre la Loi sur l'extradition et la Loi sur l'immigration.

Vous pourriez peut-être nous indiquer si ce projet de loi contient des dispositions qui s'appliqueraient à l'interrelation entre la Loi sur l'immigration et la nouvelle Loi sur l'extradition, en tenant compte plus particulièrement de ma perspective.

Disons qu'un étranger entre au Canada illégalement et invoque la protection de la Convention des réfugiés—je crois savoir qu'on en traite dans ce projet de loi: puisqu'il est toujours possible pour un nouveau arrivant de prétendre être un réfugié, pourquoi n'utiliserions-nous pas plus souvent la Loi sur l'immigration que la Loi sur l'extradition? Pourquoi ne pas invoquer la Loi sur l'immigration pour tout simplement expulser ceux qui sont ici illégalement, sans attendre quelque demande que ce soit d'un gouvernement étranger? Pourquoi s'en remettre à l'extradition si le ministre de l'Immigration ou ses fonctionnaires peuvent prouver que cette personne est un immigrant illégal et qu'on peut alors le renvoyer dans son pays d'origine, qu'il y soit recherché ou non pour avoir commis un crime?

Pourriez-vous nous en parler un peu?

M. Jacques Lemire: Certainement. La Loi sur l'extradition s'applique lorsqu'un État étranger nous présente une demande dans un but précis, à savoir que cet État demande qu'on renvoie une personne dans ce pays pour qu'elle y subisse son procès ou qu'elle purge sa peine.

La Loi sur l'immigration s'applique lorsqu'il est dans l'intérêt du Canada d'expulser de son territoire un étranger qui s'y trouve illégalement.

Il se peut que le renvoi aux termes de la loi sur l'immigration ne permette pas de répondre à une demande d'un État étranger. Ce n'est pas parce qu'une personne se trouve au Canada illégalement qu'elle sera renvoyée vers un État qui la recherche pour qu'elle subisse son procès ou qu'elle purge sa peine.

• 0935

Les deux processus sont différents et ont leurs propres règles. Ce n'est pas parce que la possibilité d'extradition existe que la procédure d'immigration ne peut aussi être instituée à ses propres fins. Toutefois, elle ne permettra peut-être pas de répondre à une demande d'extradition d'un État étranger. Dans le contexte de l'extradition, nous devons répondre aux demandes qui nous sont présentées conformément à nos obligations internationales.

Les deux procédures ont des objectifs très différents.

M. Derek Lee: Du point de vue de la politique gouvernementale, je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression que la procédure d'expulsion est moins longue que la procédure d'extradition. Si le Canada a le choix, pourquoi ne préférerait-il pas procéder par voie d'expulsion si c'est plus rapide, puisque, de toute façon, il n'a aucune obligation à l'égard de cet immigrant illégal.

Si j'ai bien compris, vous dites que ce projet de loi et la Loi sur l'extradition dans sa forme actuelle ne permettent pas cette autre possibilité: une fois que la procédure d'extradition a été instituée, elle doit être menée à terme, que cela prenne un, deux, trois ou quatre ans. Vous avez indiqué que cela ne prend plus que deux ans environ. En 1992, ce n'était pas le cas; la procédure d'extradition était si longue que cela en était gênant. Ne serait- il pas prudent de prévoir que la procédure d'expulsion prime la procédure plus coûteuse d'extradition, quand c'est dans l'intérêt du Canada?

Excusez-moi, madame la présidente, je demande aux témoins d'aborder un autre sujet.

La présidente: Oui.

M. Don Piragoff: Nous voulons confirmer notre réponse, car cela relève du droit de l'immigration, qui est un champ de compétence d'un autre ministère, Immigration Canada...

La présidente: Oui

M. Don Piragoff: ... et nous voulons confirmer notre réponse avant de nous exprimer au nom d'un autre ministère.

La présidente: Vous savez, peu nous importe que ce soit la bonne réponse.

Des voix: Oh, oh!

M. Don Piragoff: N'importe quelle réponse fera l'affaire?

La présidente: Ne l'avez-vous pas remarqué?

Des voix: Oh, oh!

La présidente: Ne répondez pas.

M. Don Piragoff: Je serai heureux de vous donner la réponse que vous voulez.

La distinction entre l'extradition et l'expulsion, c'est que la procédure d'expulsion et la demande d'extradition ne visent pas nécessairement le même pays. Ainsi, lorsqu'on expulse une personne, c'est généralement là où elle était avant d'arriver au Canada ou dans son pays de résidence. L'extradition peut être demandée par un troisième pays qui recherche cette personne.

L'expulsion n'intéresse que le Canada. Nous décidons discrétionnairement d'expulser cette personne du pays. En matière d'extradition, s'il existe un traité, ce traité nous impose des obligations à l'égard du pays qui demande l'extradition. En droit international, nous devons respecter ce traité si une demande d'extradition est faite. Voilà pourquoi l'extradition prime l'expulsion.

Parfois, bien sûr, la demande d'extradition et la procédure d'expulsion visent le même pays. En l'occurrence, les deux procédures peuvent être instituées en même temps. Il est arrivé dans le passé qu'il y ait une demande d'extradition et une procédure d'expulsion concernant le même pays.

Des problèmes surgissent toutefois, dans le contexte de l'expulsion, lorsque l'intéressé réclame le statut de réfugié et la protection de la Convention sur les réfugiés, car cette convention interdit l'expulsion dans son pays d'origine de toute personne demandant le statut de réfugié au Canada.

• 0940

Dans le passé, cela a causé des problèmes, car le processus de détermination du statut de réfugié peut être long et que, au bout du compte, il y a deux procédures, la première pour déterminer si la personne en question est un réfugié, ce qui peut être long, et la deuxième pour permettre à un juge et au ministre de la Justice de déterminer si cette personne a commis un crime grave.

L'une des exceptions prévues par la Convention sur les réfugiés qui permet l'expulsion d'une personne même si elle demande le statut de réfugié, c'est le fait d'être recherché par un État étranger pour avoir commis une infraction non politique grave. À l'heure actuelle, la procédure d'extradition permet de déterminer si la personne en question a commis une infraction grave, ce que tente aussi de déterminer la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

Il y avait répétition des procédures, pertes de temps et ralentissement du processus. Par conséquent, dans ce projet de loi, on prévoit qu'une seule personne tranchera la question de savoir si un crime grave a été commis et fait que la personne ne peut jouir de la protection de la Convention sur les réfugiés. Dans ce projet de loi, il a été décidé que c'est dans le cas de l'audience d'extradition plutôt que de l'audience de détermination du statut de réfugié que cela sera déterminé.

Voici pourquoi: premièrement, la décision est prise dans le cadre d'une procédure judiciaire; deuxièmement, l'évaluation est faite par un juge, bien sûr, un juge d'extradition qui a toutes les compétences nécessaires pour déterminer quelles conduites sont criminelles, et, troisièmement, le ministre de la Justice doit tenir compte de différents facteurs, tels que la probabilité pour la personne en question d'avoir un procès juste et la probabilité qu'elle fasse l'objet de discrimination, qu'elle soit torturée ou tuée à son retour dans son pays. Quoi qu'il en soit, pour rationaliser le processus, on a jugé bon de confier cette décision à un seul organisme. Et on a préféré que cela se fasse dans le cadre de la procédure d'extradition plutôt que de la procédure de détermination du statut de réfugié, qui est administrative.

M. Derek Lee: Vous avez corrigé les chevauchements entre les audiences d'extradition et les audiences de la CISR; très bien. Le projet de loi règle cette question-là. Le nouveau mécanisme m'apparaît juste.

Mais je ne crois pas que vous ayez traité directement des chevauchements entre l'audience d'extradition et l'audience d'expulsion, qui peut être plus rapide, dans les cas où l'expulsion se ferait vers un pays qui, s'il n'y avait pas expulsion, présenterait une demande d'extradition—sans donner de nom, c'est souvent le cas des États-Unis. Ce projet de loi permettra-t-il la tenue d'une audience d'expulsion, qui est plus rapide, à la place d'une audience d'extradition. Dans la négative, peut-être que cela devrait être permis dans certains cas.

On a dans l'ensemble réglé le problème du chevauchement avec la procédure de détermination du statut de réfugié. La procédure d'expulsion, elle, ne peut être ralentie par la procédure de détermination du statut de réfugié ou la procédure d'extradition. Et peut-être que, dans certains cas, l'expulsion est le bon choix. Cela prendra peut-être 30 ou 60 jours et un seul avocat de l'aide juridique, alors que l'autre procédure serait beaucoup plus coûteuse et conférerait un statut et des droits à une personne qui, étant étrangère et n'ayant aucun lien avec notre pays, ne devrait pas les avoir.

Je voudrais que vous me confirmiez que ce projet de loi ne permet pas d'invoquer la procédure d'expulsion à la place de la procédure d'extradition, plus longue et généralement plus coûteuse.

M. Don Piragoff: S'il n'y a pas de revendication du statut de réfugié, les procédures d'expulsion et d'extradition peuvent être effectuées en parallèle, au cas où l'une échouerait et l'autre pas.

Pour ce qui est de savoir pourquoi la procédure d'expulsion devrait se poursuivre ou primer la procédure d'extradition, vous voudrez peut-être poser la question au ministère de l'Immigration dont c'est le champ de compétence.

La présidente: Merci, monsieur Lee. Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, madame la présidente.

• 0945

Merci aux deux témoins de leur contribution. Le projet de loi est relativement complexe et approfondi, mais l'un dans l'autre, je crois comprendre qu'il était nécessaire et qu'il a été présenté en temps opportun.

On a parlé de la suffisance de la preuve. Je crois vous avoir entendu dire que le common law accorde un rôle plus large au pouvoir judiciaire, mais que l'on prévoit néanmoins permettre au ministère ou au ministre de porter des jugements d'ordre politique, au besoin. Pourriez-vous nous en parler un peu plus? Se pourrait-il que dans certains cas, même si le fardeau de présentation a été suffisant, le gouvernement canadien ou des gouvernements étrangers choisissent d'exercer des pressions politiques en vue d'influer sur la décision d'extrader ou non?

M. Don Piragoff: Madame la présidente, je ne suis pas sûr d'avoir compris la question. Le député veut-il savoir s'il demeure toujours possible d'exercer une influence politique? Si c'est là la question...

M. Peter MacKay: En effet.

M. Don Piragoff: Du point de vue de notre ministère et du point de vue politique, c'est justement cette possibilité pour l'exécutif d'avoir le mot de la fin qui fait concorder notre loi avec le droit international: en effet, l'extradition suppose fondamentalement une relation entre deux États souverains et est une décision prise par l'exécutif. Or, si les décisions visent le système judiciaire ou le système politique d'un autre pays, c'est le Canada en tant qu'État souverain et entité politique qui doit les prendre, plutôt qu'un juge qui n'est pas nécessairement sensible à ce qui se passe dans un pays étranger.

Maintenant, quant à savoir si ce pouvoir discrétionnaire profite à l'État, je précise que tous les pays ont ce pouvoir discrétionnaire et ont le droit de décider d'extrader ou pas. Ce pouvoir permet non seulement de veiller à ce que l'extradition réponde aux intérêts du pays en question, mais aussi de s'assurer que la personne ne sera pas exécutée dès qu'elle foulera le sol de son pays, sans avoir bénéficié d'un procès équitable.

M. Peter MacKay: Mon collègue, M. Reynolds, a déjà abordé la deuxième question qui m'intéresse, mais j'aimerais tout de même en savoir un peu plus, encore une fois. Nous avons déjà vu, ici même au Canada, le gouvernement et la magistrature prendre très à la légère les droits protégés par la Charte des droits et libertés. Et pourtant, ce projet de loi-ci me semble ouvrir éventuellement la porte à l'audition de règles de preuve différentes lors des audiences d'extradition et à un assouplissement des principes de la Charte. Cela ne vous dérange-t-il pas de trouver ça dans le projet de loi?

M. Don Piragoff: Je n'irais pas jusqu'à dire que ce projet de loi-ci assouplie les facteurs à examiner au titre de la Charte. Dans le reste du droit criminel—c'est-à-dire lorsqu'on ne traite pas d'extradition—, la Cour suprême du Canada a déjà assoupli ses règles de preuve. On commence déjà à permettre l'ouï-dire, non pas en tentant de déterminer l'exception rigide qui permettra d'étiqueter les faits comme étant une exception, mais en établissant au fond que si la preuve est digne de foi, légitime et nécessaire, elle pourra être admise. Autrement dit, le projet de loi commence dans une grande mesure à refléter ce qui se passe déjà dans le déroulement des autres procédures.

À l'heure actuelle, les règles de preuve d'extradition sont plus sévères et plus restrictives que les autres règles de preuve qui s'appliquent dans les procès qui se déroulent au Canada. Au Canada, on peut déjà admettre certains types de ouï-dire en cours de procès. Mais dans le cadre des procès d'extradition, cette admissibilité se limite plutôt aux documents, soit à des affidavits qui ne comportent jamais d'ouï-dire. Autrement dit, le projet de loi met les instructions pour extradition en conformité avec la pratique canadienne

• 0950

Le projet de loi permet également autre chose. Lorsque, dans un contexte d'extradition, le juge ne statue que sur la base d'affidavits, il n'a en main qu'une série de faits et ne se prononce qu'en fonction d'un tableau squelettique de ce qui s'est passé dans un État étranger. En effet, tel agent de police peut avoir signé un affidavit qui affirme telle chose, alors que tel autre témoin peut affirmer autre chose dans son propre affidavit. Le juge n'a jamais entre les mains le tableau global de la situation dans l'autre pays et ne sait jamais jusqu'à quel point l'affaire est fondée.

Ce que ce projet de loi dit à l'autre pays, c'est qu'au lieu de nous donner des documents à la pièce, qui ne sont que des éléments épars dans un casse-tête, et de nous demander d'essayer de rassembler les pièces du casse-tête, il doit nous donner son dossier. Il doit nous décrire l'affaire, nous donner un résumé et attester, par la voie d'un magistrat ou d'un haut fonctionnaire du gouvernement, comme le procureur général, soit que le dossier a été compilé en conformité de la loi de cet État, soit que le résumé qui nous est remis est suffisant, aux termes de la loi en vigueur dans ce pays, pour justifier des poursuites.

Cela donne au fugitif au Canada et à son avocat une bien meilleure compréhension du dossier qui le concerne dans le pays étranger, par opposition à une pile d'affidavits. Dans une certaine mesure, cela donne même à la personne qui est accusée un meilleur accès au dossier que ce qui est prévu par la loi en vigueur actuellement. C'est donc davantage conforme à la procédure canadienne parce que, comme vous le savez, il y a au Canada des exigences constitutionnelles qui obligent à aller très loin dans la divulgation d'un dossier. La mesure proposée aboutit à une divulgation aussi poussée.

Je soutiens donc qu'à bien des égards, ce projet de loi rend le processus d'extradition davantage conforme à la procédure canadienne, laquelle s'appuie actuellement en grande partie sur la théorie juridique canadienne du tournant du siècle, et modernise cette procédure.

M. Peter MacKay: Ces renseignements sont-ils fournis uniquement au moyen de documents? Est-il possible qu'un fonctionnaire vienne physiquement au Canada pour faire un exposé?

Vous avez déjà en partie répondu à cela, mais ce qui me préoccupe, c'est la présence de garanties pour empêcher l'extradition de citoyens canadiens fondée sur des éléments de preuve qui ne correspondent pas à un seuil minimal—et je suis bien conscient que le seuil est différent—établi dans le contexte de la procédure suivie par les tribunaux canadiens.

Et je sais bien qu'en tant que citoyens canadiens, nous n'amenons pas notre charte des droits avec nous à l'étranger, mais avons-nous la garantie que, premièrement, les éléments de preuve sont fiables et que nous ne sommes pas simplement en présence d'un lot de documents transmis par un pays? Je connais assez bien les cours d'assise pour savoir que les affidavits ne font pas l'objet d'un contre-interrogatoire, qu'il s'agit seulement d'une preuve documentaire. Or, si l'on présente au Canada seulement une preuve documentaire, comment pouvons-nous vérifier la véracité des faits énoncés dans ces documents?

M. Don Piragoff: Bon. Il y a deux réponses à cette question. Premièrement, prenons l'exemple d'un pays comme la France. La procédure judiciaire française est différente de la nôtre en ce sens que ce n'est pas nécessairement la police qui fait enquête; la police fait enquête sous la direction d'un juge d'instruction. Ce juge dit essentiellement à la police d'aller interroger tel ou tel témoin, d'aller chercher tel ou tel document. Le juge établit un dossier qui est essentiellement constitué des éléments de preuve qui seront utilisés dans la procédure judiciaire française.

Il y a une certaine garantie de fiabilité, puisque dans le système français, c'est un juge qui réunit les éléments de preuve qui seront ensuite utilisés au procès, et nous pouvons donc avoir une certaine confiance dans cette documentation.

Aux termes de la loi actuelle, ce document n'a absolument aucune pertinence, aucun poids dans la procédure canadienne, parce que c'est seulement du ouï-dire. C'est un rapport que le juge d'instruction rédige après avoir interrogé des témoins et des agents de police et délivré des mandats de perquisition à la police, un rapport dans lequel il se prononce sur le degré de probabilité que la personne soit coupable et énonce les raisons pour lesquelles cette personne doit subir son procès.

La mesure proposée permettrait qu'un document de ce genre, c'est-à-dire le rapport du juge d'instruction, nous soit envoyé et remis à un juge canadien, lequel examinerait ce rapport et se fonderait là-dessus pour décider s'il y a application du principe de la sanction réciproque, s'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour que, si la personne en cause était jugée au Canada, cette personne soit assignée à procès.

• 0955

La deuxième garantie, c'est que le Canada exigera qu'un haut fonctionnaire de la Justice ou qu'une autorité judiciaire quelconque de l'autre pays atteste que la preuve qui fait l'objet du résumé qui nous est présenté est suffisante, aux termes de la loi en vigueur dans ce pays, pour justifier des poursuites, ou bien que la preuve a été réunie en conformité de la Loi sur la preuve en vigueur dans ce pays.

La troisième garantie est que le ministre de la Justice a le pouvoir, avant même d'instituer une audience d'extradition, de déclarer que la preuve n'est tout simplement assez solide. Actuellement, la loi ne permet pas officiellement au ministre de dire simplement: «Selon moi, le dossier n'est pas assez solide. La preuve n'est pas suffisante. Je refuse de procéder».

Il y a tout un débat parmi les magistrats quant à la façon d'instituer une procédure d'extradition. Cette mesure dit clairement qu'il incombe au ministre de décider s'il est convaincu que la preuve provenant du pays étranger est suffisamment solide pour mettre en branle la procédure au Canada.

La quatrième garantie est...

M. Peter MacKay: Excusez-moi de vous interrompre, mais êtes- vous en train de dire que ce pouvoir discrétionnaire n'a jamais existé dans le passé? Si quelqu'un en appelait au ministre en soutenant que nous n'avions pas suffisamment d'éléments de preuve pour poursuivre cette personne dans un pays étranger, que nous ne devrions pas procéder, dites-vous que dans le passé, le ministre ne pouvait pas intervenir?

M. Don Piragoff: J'ai dit que cela n'a jamais été officiel. C'était un pouvoir discrétionnaire que le ministre exerçait, mais la loi n'a jamais accordé explicitement ce pouvoir discrétionnaire.

M. Peter MacKay: Ce n'était pas dit explicitement.

M. Don Piragoff: C'est bien cela. Aux termes de ce projet de loi, le Parlement dit clairement au ministre qu'il a bel et bien ce pouvoir discrétionnaire, tandis qu'auparavant, c'est simplement que le ministre prenait sur lui d'exercer ce pouvoir.

La quatrième protection relativement à la preuve est que pour tout élément de preuve recueilli au Canada, par exemple si la police interroge quelqu'un au Canada, les règles canadiennes relativement à la preuve doivent s'appliquer. Ainsi, cela pourrait exiger qu'un témoin vienne témoigner devant le juge d'extradition. Essentiellement, la preuve au Canada doit se conformer aux normes en vigueur au Canada. La preuve réunie à l'extérieur du Canada devra être conforme à certaines normes que ce projet de loi établit quant à la façon dont elle est recueillie ou quant à son authentification par un procureur ou un magistrat de l'étranger.

M. Peter MacKay: Est-il nécessaire ou a-t-on envisagé de conclure des ententes réciproques entre les pays? Cela entre-t-il en ligne de compte?

M. Don Piragoff: La réciprocité n'est pas mentionnée explicitement dans le projet de loi, mais c'est un facteur dont le Canada pourrait tenir compte dans ses échanges avec un autre pays. J'ai mentionné par exemple le Japon, pays qui ne signe pas de traité d'extradition. La loi japonaise permet l'extradition en l'absence de traité, mais avant d'extrader quelqu'un, les Japonais se tournent souvent vers l'autre pays en cause et demande si ce pays envisagerait d'accorder la réciprocité aux Japonais. Dans le passé, nous n'avons pas été en mesure de donner la réciprocité au Japon. Nous serions maintenant en mesure de leur dire que nous pourrions leur accorder la réciprocité, parce que nous pouvons, aux termes de cette mesure législative, extrader sans qu'il soit nécessaire d'invoquer un traité.

M. Peter MacKay: Bien. J'aurais une dernière question très précise.

La présidente: Allez-y.

M. Peter MacKay: Pour quelle raison a-t-on laissé tomber l'exigence de déposer les ententes en matière d'extradition devant les deux chambres du Parlement? C'est à l'article 8. Est-ce intentionnel?

M. Don Piragoff: À ma connaissance, la loi n'exige pas actuellement que cela soit déposé au Parlement. Il faut le publier. Je pense que dans le projet de loi, on veut traiter les traités d'extradition comme tous les autres traités internationaux, c'est- à-dire qu'ils doivent être publiés dans le Recueil des traités du Canada.

M. Peter MacKay: Merci.

• 1000

[Français]

La présidente: Monsieur Saada.

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Si j'ai bien compris, dans la première réponse à la première question, on est revenu sur le principe selon lequel l'extradition met en cause des États souverains, des pouvoirs exécutifs souverains.

Je crois aussi que dans le cadre de ce projet de loi, on élargit cette notion pour tenir compte, par exemple, des cours criminelles internationales. C'est ce qui amène l'introduction du nouveau terme «partenaire», si je comprends bien.

Dans quelle mesure d'autres États vont-ils accepter la définition qu'on donne du terme «partenaire» pour l'application de l'extradition, non plus vers d'autres États souverains, mais vers des organismes internationaux reconnus par traité ou par décision multilatérale?

M. Jacques Lemire: Il est exact que la nouvelle loi permet au Canada d'extrader des personnes non seulement vers un État, mais aussi vers un partenaire défini au sens large, ce qui inclut les tribunaux pénaux internationaux. Il appartient au Canada de décider vers quel type de partenaires on désire extrader des personnes. Cela apparaît dans les traités que nous avons signés avec les autres pays et cela pourra aussi apparaître par le biais de désignations de pays ou de territoires avec lesquels on voudra entretenir des relations d'extradition. Évidemment, il appartient au Canada de déterminer avec qui il entretiendra ces relations d'extradition.

M. Jacques Saada: Je comprends très bien tout ça. Je cherche plutôt à savoir si le principe du partenariat a tendance à être de plus en plus reconnu dans le monde où si le Canada fait figure d'innovateur à cet égard. Comment est-ce que ça se passe? Par exemple, si cette cour criminelle internationale se met en branle, comment d'autres pays traiteront-ils cette nouvelle réalité par rapport à nous? Est-ce que nous sommes des précurseurs ou si c'est un mouvement généralisé?

M. Jacques Lemire: Je crois que cette question du partenariat reflète la décision du Canada, qui veut indiquer que nous sommes dans une relation de partenariat pour contrer la criminalité. C'est une décision du Canada que d'utiliser cette appellation. Je crois qu'il appartient à chaque pays de déterminer de quelle manière, aux termes de sa loi interne, les relations d'extradition peuvent être considérées ou administrées. De manière générale, on peut s'attendre à ce qu'il y ait un appui assez vaste pour la proposition présentée par le Canada en vue de l'extradition vers des tribunaux pénaux internationaux.

Maintenant, de quelle manière chaque pays choisira-t-il d'administrer, aux termes de sa loi interne, cette possibilité d'extrader vers un tribunal pénal international? Cette décision appartient à chaque pays. Je crois que dans cette optique, le Canada a une position assez avant-gardiste et appuie le rôle que doivent jouer ces tribunaux internationaux.

M. Jacques Saada: Est-ce que ce projet de loi a des conséquences pour les cours militaires? Je ne parle pas ici des criminels de guerre. Est-ce que ce projet de loi a des conséquences pour les cours militaires en tant que telles, par exemple pour les cours militaires canadiennes?

• 1005

M. Jacques Lemire: En ce qui a trait aux infractions militaires, la règle de base applicable s'appelle la règle de double incrimination ou de double criminalité. En tant que telle, cette règle ne fait pas de distinction en ce qui a trait au tribunal lui-même et ce qui a trait à la nature même des infractions.

Par ailleurs, l'article 46 prévoit le refus obligatoire d'extradition lorsque l'infraction est une infraction purement militaire. Si un État étranger nous demandait l'extradition pour une infraction purement militaire, il y aurait refus d'extradition par le ministre. Cette disposition reflète la pratique internationale aux termes des traités qui prévoient le refus lorsqu'une infraction purement militaire est en cause.

M. Jacques Saada: Ce n'est pas tellement à ça que je fais allusion. Permettez-moi de vous poser à nouveau ma question. Ma question était tout à fait ignorante. Prenons l'exemple d'un militaire qui est en détachement à l'étranger et qui commet un crime qui n'a rien à voir avec un crime de guerre et avec l'exécution de ses fonctions de militaire. Normalement, les cours militaires prennent charge de ces cas-là.

Or, selon ce que vous me dites, ça ne porte pas sur ce genre de cas particuliers, parce que vous faites allusions aux crimes qui seraient allégués par un pays étranger, mais qui auraient été commis dans le cadre d'une fonction militaire officielle. Là, ce n'est pas le cas. Ce n'est pas ce à quoi je fais allusion. Je fais plutôt allusion au cas d'un militaire qui a commis un acte, non pas dans l'exercice de ses fonctions militaires, mais à titre personnel, dans le cadre d'une présence militaire à l'étranger.

M. Jacques Lemire: L'extradition est possible dans de tels cas.

M. Jacques Saada: En vertu de ce projet de loi-là?

M. Jacques Lemire: Oui, c'est possible. Le projet de loi ne l'exclut pas du tout. Si vous parlez d'une demande d'extradition qui pourrait être présentée par le Canada à l'étranger pour des faits commis par un militaire, mais qui seraient de la nature d'une infraction de droit commun, l'extradition pourrait certainement être engagée.

M. Jacques Saada: Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci. John McKay.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, madame la présidente.

Je voudrais attirer votre attention sur le paragraphe 44(1), motifs de refus, qui semble donner au ministre de la Justice un droit de refus dans le processus de détermination du statut de réfugié. Pouvez-vous nous décrire comment cela va fonctionner? J'aimerais que vous me donniez un exemple.

Je vous suggère d'utiliser l'exemple du blasphème au Pakistan, qui est une infraction punissable de mort là-bas. Un certain nombre de Pakistanais, chrétiens ou musulmans ahmadis, ont fui le Pakistan et se sont réfugiés au Canada en raison de persécutions religieuses, ayant apparemment commis un blasphème au Pakistan. Je ne suis pas certain que la Pakistan soit l'un des pays avec lesquels nous avons un accord d'extradition, mais une chose est sûre, cette infraction est un crime capital dans ce pays.

Supposons qu'il existe une preuve accablante que l'infraction a bel et bien été commise dans ce pays. Veuillez me décrire le processus par lequel le ministre de la Justice doit rendre une décision de mettre en branle la procédure d'extradition. Et en quoi ce processus est-il différent de ce qui existe actuellement?

M. Don Piragoff: Je vais commencer par votre dernière question: En quoi est-ce différent de ce qui existe actuellement? Il n'y a pas de différence, sinon que le pouvoir discrétionnaire n'a jamais été explicitement énoncé dans la loi. C'était simplement une question de fait: le ministre exerce un pouvoir discrétionnaire puisque l'extradition est laissée à la discrétion de l'exécutif.

La paragraphe 44(1) vise à rendre la loi conforme aux décisions rendues par la Cour suprême, selon lesquelles, aux termes de l'article 7 de la Charte, dans certaines situations, il pourrait être inconstitutionnel de refouler quelqu'un vers un autre pays.

• 1010

La Cour suprême a donné l'exemple de la torture. Si une personne sera torturée dans le pays où on veut l'envoyer, il serait inconstitutionnel pour le ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire et de renvoyer cette personne dans ce pays.

Le paragraphe 44(1) donne au ministre un droit de refus. Il peut refuser d'appliquer les dispositions d'un traité ou d'une entente quelconque entre les deux pays. Le ministre a le pouvoir de déroger à un traité.

Si un traité ne prévoit pas l'un ou l'autre de ces motifs de refus, le ministre pourrait légitimement dire qu'il refuse de l'appliquer, qu'il refuse de renvoyer la personne parce que, dans l'exemple que l'on donnait, le ministre est convaincu que la personne sera poursuivie ou punie pour ces croyances religieuses et non pas parce qu'elle a perpétré un acte criminel. Un acte criminel peut avoir été perpétré et c'est la raison pour laquelle on demande l'extradition de cette personne, mais la véritable raison pour laquelle on demande l'extradition, sous prétexte d'une infraction mineure ou de gravité moyenne, c'est que l'on veut en réalité punir la personne pour ses opinions politiques.

M. John McKay: Sur le plan fonctionnel, quelle serait la différence entre ce que le ministre de l'Immigration fait actuellement, c'est-à-dire une analyse du risque, et ce que le ministre ferait pour exercer son pouvoir discrétionnaire aux termes de l'article 44? S'agit-il simplement d'une version plus ramifiée de l'analyse de risque?

M. Don Piragoff: Cela se ressemble beaucoup et cela engloberait le type de décision qui est prise par le ministre de l'Immigration. Si la personne demande en plus le statut de réfugié... Supposons, pour reprendre l'exemple de M. Lee, qu'il y ait à la fois une procédure d'expulsion et une procédure d'extradition. Le projet de loi stipule que le ministre, en rendant sa décision sur l'extradition, doit consulter le ministre de l'Immigration pour établir la validité de la revendication du statut de réfugié.

M. John McKay: Mais c'est le ministre de la Justice qui décide?

M. Don Piragoff: C'est bien cela.

La présidente: Merci.

Eleni Bakopanos a une question à poser.

Mme Eleni Bakopanos: Oui, une très brève question, madame la présidente, merci.

Premièrement, je veux moi aussi remercier les fonctionnaires pour ceci que je trouve très utile, et j'espère que mes collègues l'ont examiné: le tableau qui décrit les deux lois et les changements qui ont été faits.

Je voudrais savoir si la tristement célèbre affaire de M. Ng pourrait se reproduire aujourd'hui, si la mesure proposée était appliquée. Aurait-il fallu autant de temps pour l'extrader?

M. Don Piragoff: Non. Les longs délais dans les affaires Ng et Kindler s'expliquent par le système complexe d'appel qui existait avant 1991-1992, c'est-à-dire qu'il était possible d'interjeter appel en même temps devant un tribunal provincial et la Cour fédérale. La loi de 1991-1992 a simplifié la procédure d'appel, de sorte qu'il n'y a maintenant qu'un seul cheminement d'appel, au lieu de deux. Nous avons constaté depuis l'adoption de cette loi qu'elle a permis de réduire sensiblement le temps nécessaire pour qu'une affaire franchisse les étapes du processus d'appel.

Mme Eleni Bakopanos: Aux termes de la mesure proposée, s'il n'y avait pas eu de modification à la loi en 1991, le pouvoir discrétionnaire du ministre aurait-il permis d'expédier beaucoup plus rapidement le dossier Ng? Je trouve que l'on a beaucoup parlé du pouvoir discrétionnaire du ministre et j'essaie d'imaginer une autre affaire difficile comme celle-là. Le ministre aurait-il plus de pouvoirs, dans ce contexte, aux termes de la loi proposée, et serait-il capable d'extrader beaucoup plus facilement?

M. Don Piragoff: Je ne suis pas sûr de comprendre la question.

Mme Eleni Bakopanos: Si nous avions l'affaire Ng aujourd'hui et que nous nous retrouvions encore devant une telle impasse, le ministre pourrait-il invoquer son pouvoir de refus et donner le feu vert et extrader M. Ng au titre de la loi actuelle?

M. Don Piragoff: Aux termes du projet de loi, une affaire comme celle de Ng aurait cheminé beaucoup plus rapidement. Même si les États-Unis sont un pays de common law, nous avons eu énormément de difficulté à obtenir des fonctionnaires américains qu'ils nous donnent la preuve dans la forme qu'il nous fallait. Nous avons même dû envoyer l'un de nos propres avocats en Californie pour les aider à rassembler les affidavits.

• 1015

Cela ne serait pas nécessaire aux termes de la loi à l'étude. C'est l'une des principales améliorations au processus. Nous n'aurions pas à gaspiller autant de temps que nous l'avons fait dans le passé, surtout pour essayer d'obtenir que l'on nous présente la preuve sur papier dans les formes voulues, alors que sur le fond, il n'y avait pas de problème.

La deuxième raison pour laquelle une affaire comme celle de Ng serait expédiée plus rapidement, ce sont les modifications apportées en 1991-1992.

Pour ce qui est de la question de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, l'une des principales raisons pour lesquelles les dossiers Ng et Kindler ont exigé tellement de temps, c'est que le ministre exerçait son pouvoir d'extrader dans ces affaires et que cette décision était contestée par la personne. C'est l'une des raisons pour lesquelles il a fallu aller jusqu'en Cour suprême.

La décision de la Cour suprême a tranché: le ministre a bel et bien le pouvoir discrétionnaire et il peut extrader une personne même lorsqu'elle est passible de la peine de mort. Le projet de loi englobe la décision rendue par la Cour suprême du Canada. Ainsi, en intégrant cette décision de la Cour suprême, quand le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire aux termes de la mesure à l'étude, il ou elle agit en conformité avec la décision de la Cour suprême, ce qui supprime évidemment une autre possibilité d'appel, parce qu'essentiellement le ministre se trouverait à dire: «j'agis en conformité avec la décision de la Cour suprême. Il n'y a pas motif d'en appeler de ma décision, pourvu que celle-ci soit conforme à la décision de la Cour suprême».

Et ce projet de loi est conforme à la décision de la Cour suprême. Ce serait donc assez rapide, pour ces raisons.

La présidente: Merci.

Monsieur Cadman.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Je voudrais préciser une chose, dans la foulée des questions que M. Lee a posées. Nous avons eu il y a quelques années une affaire en Colombie-Britannique, dont on a d'ailleurs peu parlé, dans laquelle un type s'est échappé d'une prison du Colorado, je crois, a traversé la frontière et s'est fait ramasser dans le sud de la Colombie-Britannique. Les États-Unis voulaient le ravoir, nous voulions l'expulser, mais il a présenté une demande de statut de réfugié. Dois-je comprendre qu'à l'heure actuelle, la demande de statut de réfugié doit suivre son cours jusqu'au bout avant que l'on puisse faire quoi que ce soit d'autre? Est-ce bien ce que vous dites?

M. Don Piragoff: Non. Si la personne revendique le statut de réfugié, sa demande sera examinée dans le contexte de la procédure d'extradition plutôt que d'expulsion. On a décidé de fusionner les deux procédures en une seule. Une décision est prise par le tribunal et l'autre, par le ministre, alors que selon l'ancien régime, le tribunal rendait une décision, la CISR rendait sa décision et les deux ministres rendaient leur décision.

M. Chuck Cadman: Cela devrait abréger tout le processus.

M. Don Piragoff: En effet.

La présidente: C'est l'article 96 du projet de loi qui traite de cela.

Monsieur MacKay, vous avez je crois une brève question.

M. Peter MacKay: Oui, très brève.

La présidente: N'oubliez pas que j'aimerais moi-même poser une ou deux questions.

M. Peter MacKay: Bien sûr. Je cherche la disposition qui traite du pouvoir d'arrestation et de saisie des biens ou des preuves dans le cas d'une personne qui a trouvé refuge au Canada ou qui y est venue pour échapper à des poursuites. Quel article traite précisément de cela? Quelles sont les règles de la preuve qui s'appliquent non seulement à l'expulsion de l'intéressé, mais aussi aux éléments de preuve matérielle qu'il possède peut-être? L'article 89 renvoie à la Loi sur la preuve au Canada, mais...

M. Jacques Lemire: J'attire votre attention sur l'article 39 qui stipule que le juge d'extradition, lorsqu'il ordonne l'incarcération d'une personne, peut aussi ordonner que les objets saisis lors de l'arrestation de l'intéressé et qui peuvent servir de preuve ou servir dans le cadre de la poursuite soient envoyés au partenaire étranger avec la personne faisant l'objet d'une demande d'extradition. Le juge peut aussi imposer des conditions concernant le retour de ces éléments de preuve au Canada. C'est conforme à la pratique actuelle. Cela répond à votre préoccupation au sujet de l'envoi d'éléments de preuve saisis au moment de l'arrestation.

M. Peter MacKay: Qu'en est-il des mandats de perquisition? Que se passe-t-il si on cherche le diamant Hope et que le type ne l'a pas sur lui?

M. Jacques Lemire: En effet, le pouvoir de saisie au moment de l'arrestation se limite à ce qui se trouve sur la personne ou dans son environnement immédiat.

• 1020

Les autorités étrangères qui enquêtent sur une infraction à l'étranger et qui cherchent des preuves aux fins de leur propre poursuite peuvent demander, en vertu d'un traité d'entraide juridique, aux autorités canadiennes d'effectuer en leur nom une fouille en vue de trouver des preuves pour ces poursuites à l'étranger.

La Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle s'applique aux demandes de ce genre, qui sont faites en vertu d'un traité. Ces fouilles sont faites aux termes de ces dispositions, après la délivrance d'un mandat d'arrestation par un juge canadien qui est convaincu que les motifs énoncés dans la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle s'appliquent.

Le juge délivre donc le mandat, qui est exécuté par les autorités canadiennes; il demande que les objets saisis lui soient présentés et, alors, il tient une courte audience sur la transmission de ces biens aux autorités étrangères.

M. Peter MacKay: Cela n'est pas du ressort de cette loi.

M. Jacques Lemire: Cela n'est pas du ressort de la Loi sur l'extradition. C'est prévu par la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle.

M. Peter MacKay: Je vois.

M. Jacques Lemire: Ces dispositions existent depuis 1988.

M. Peter MacKay: J'ai une question un peu plus générale. La loi a-t-elle été modifiée récemment? Pour autant que vous le sachiez, envisage-t-on de la modifier sous peu?

M. Jacques Lemire: Oui. Le projet de loi C-40 modifie notamment la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle. Il ne modifie pas les dispositions traitant plus particulièrement des fouilles et des saisies, mais il y a des modifications du concept d'entité.

De même, dans la Loi sur l'extradition, on apporte des changements concernant la publication des traités. De plus, on modifie des dispositions en vue de permettre aux autorités canadiennes, sur demande d'autorités étrangères et en vertu d'un traité, d'ordonner à une personne se trouvant au Canada de se présenter à un endroit précis au Canada où se trouvent les installations nécessaires pour la transmission du témoignage de cette personne par liaison télévisuelle avec l'État étranger. Le projet de loi crée un régime législatif à cette fin.

De même, on propose ici des modifications au Code criminel selon lesquelles le témoignage reçu par liaison télévisuelle d'une personne se trouvant à l'extérieur du Canada ou au Canada peut servir de preuve dans un procès canadien. Des dispositions semblables permettent l'utilisation de liaisons audio ainsi que télévisuelle dans le cas d'une poursuite par le Canada. Ces modifications s'appliquent au Code criminel.

M. Peter MacKay: Cependant, pour les éléments de preuve matérielle, pour pouvoir obtenir un mandat de perquisition, je présume qu'il doit y avoir une entente réciproque avec le pays pour lequel on cherche ces preuves. Je présume que ce pays doit répondre à des critères semblables pour que le mandat soit accordé.

M. Jacques Lemire: Dans le cadre de l'entraide juridique, sur demande d'un État étranger, il faut qu'il y ait un traité.

M. Peter MacKay: Je vois.

M. Jacques Lemire: Ces traités décrivent le genre d'aide que chacun des pays accepte d'accorder à l'autre en vertu de la loi.

La présidente: Merci, monsieur MacKay. Monsieur Lee.

M. Derek Lee: J'aimerais revenir au lien qui existe entre la Loi sur l'immigration et la Loi sur l'extradition; je vous renvoie de nouveau à l'article 96. J'ai un petit problème de formulation.

Des voix: Oh, oh!

M. Derek Lee: C'est probablement tout à fait juste, mais je veux m'en assurer. La plupart du temps, mes doutes sont sans fondement. C'est habituellement le ministère qui a raison.

Aux lignes 3 et 4 du paragraphe 69.1(12) proposé de la Loi sur l'immigration, tel que le modifierait l'article 96 du projet de loi, on dit dans la version anglaise: «If an authority to proceed has been issued under section 15 of the Extradition Act with respect to a person for an offence under Canadian law that is punishable», etc.

• 1025

S'agit-il ici de l'infraction commise dans le pays étranger? Dans le cas de la Loi sur l'extradition, il ne s'agit pas d'une infraction commise au Canada, mais bien d'un crime commis à l'étranger. Je peux me tromper, mais, à mon avis, on devrait plutôt dire «with respect to a person for an offence that under Canadian law is punishable under an act of Parliament».

Est-ce que je me trompe?

M. Don Piragoff: En vertu de la loi dans sa forme actuelle, vous auriez raison.

Ce projet de loi réglera un problème que nous avions dans le passé, et que nous avons encore, la question de savoir ce qui institue la procédure d'extradition. Est-ce que ce sont les accusations déposées par l'État étranger? Est-ce que ce sont les accusations équivalentes en droit canadien? On tente de régler ce problème dans ce projet de loi.

Selon le pays, les tribunaux agissent différemment; ici, on tranche cette question. On y dit que lorsque le ministre reçoit une demande... disons qu'il s'agit d'une infraction à la loi RICO des États-Unis, la Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act. Le juge au Canada doit-il déterminer si cette conduite, si elle s'était produite au Canada, aurait constitué une infraction à la loi RICO, qui n'existe pas au Canada, ou doit-il plutôt examiner le comportement et déterminer s'il y a sanction réciproque en fonction de ce qui constituerait une infraction équivalente au Canada? Le juge canadien devrait déterminer s'il s'agit de corruption, d'extorsion ou de fraude, par exemple.

Pour dissiper cette ambiguïté, le projet de loi prévoit que le ministre transpose la loi étrangère en droit canadien, et la procédure d'extradition a donc pour fondement l'équivalent canadien de la loi étrangère. Voilà pourquoi aux lignes dont vous avez parlé il est question d'une infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement d'au moins 10 ans. Le juge se penchera sur l'équivalent canadien, et non plus sur la loi étrangère.

M. Derek Lee: Je vois. Je comprends votre intention dans le contexte de l'extradition, mais n'oublions pas que ce paragraphe 12 figurera dans la Loi sur l'immigration et, si j'étais assujetti à la Loi sur l'immigration, moi, je dirais: «Excusez-moi, madame la juge, mais il ne s'agit pas ici d'une infraction à une loi fédérale, mais plutôt...

M. John McKay: Pourquoi?

M. Derek Lee: Le fédéral emploie des termes qui ne correspondent pas à ceux de la Loi sur l'immigration.

M. Don Piragoff: J'attire votre attention à la version proposée pour le paragraphe 69.1(12) de la Loi sur l'immigration:

    Si l'intéressé est par ailleurs visé par un arrêté introductif d'instance pris au titre de l'article 15 de la Loi sur l'extradition relativement à une infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement d'une durée de 10 ans ou plus,

puisqu'on y renvoie à l'article 15 de la Loi sur l'extradition, on y traite du pouvoir d'aller de l'avant...

M. Derek Lee: C'est donc prévu.

M. Don Piragoff: Oui.

M. Derek Lee: Bon. Je comprends.

M. Don Piragoff: L'article 15 dit:

    (3) L'arrêté comporte les éléments suivants:

    c) la désignation des infractions qui, du point de vue du droit canadien, correspondent à l'ensemble des actes reprochés à l'intéressé

dans un État étranger.

M. Derek Lee: D'accord.

M. Don Piragoff: Ça correspond.

M. Derek Lee: L'expression «du point de vue du droit canadien» est en quelque sorte une expression consacrée.

M. Don Piragoff: C'est exact.

M. Derek Lee: Très bien.

Deuxièmement, disons qu'un type s'enfuie des États-Unis vers le Canada, que c'est un détenu qui a un casier judiciaire épais comme cela, qu'il a été reconnu d'infractions punissables du point de vue du droit canadien d'un emprisonnement d'un an, deux ans, cinq ans, six ans ou sept ans, peu importe ce que prévoit le Code criminel. Mais il n'a jamais commis de crime punissable d'un emprisonnement de 10 ans; il doit quand même purger des peines consécutives de 25 ans dans un établissement correctionnel américain. Il réussit à s'enfuir, traverse la frontière et prétend être un réfugié.

• 1030

Ai-je raison de croire qu'aux termes de cette disposition, et compte tenu des faits, on ne pourra éviter la double procédure? En fait, même si cette personne purge une peine d'emprisonnement de 25 ans, parce qu'elle n'a pas commis de crime punissable d'un emprisonnement de 10 ans, il y aura audience pour déterminer son statut de réfugié. Si c'est juste, ne pourrait-on pas insérer ici une disposition qui traiterait de ce genre de cas, des fugitifs qui ont été emprisonnés pour 20 ans et qui viennent se réfugier au Canada?

M. Don Piragoff: Dans ce projet de loi, on tente d'éviter les chevauchements entre le processus de détermination du statut du réfugié et le processus d'extradition. Un des motifs empêchant un étranger de revendiquer le statut de réfugié est le fait d'être recherché dans un autre État pour une infraction grave non politique. La Convention sur les réfugiés ne définit toutefois pas «infraction grave non politique».

S'il y a à la fois une demande d'extradition et une demande du statut de réfugié, et si le juge est convaincu que l'infraction ayant donné lieu à l'extradition équivaut à une infraction en droit canadien punissable d'un emprisonnement d'au moins 10 ans, on jugera pour nos fins qu'il s'agit d'un crime grave non politique. Cela mettra fin à la demande du statut de réfugié et c'est le ministre qui s'occupera du reste.

Si le juge déclare qu'il ne s'agit pas d'une infraction punissable au Canada d'un emprisonnement de 10 ans ou plus, la procédure de détermination du statut de réfugié peut se poursuivre. La CISR examinera alors tous les critères pertinents—malgré qu'il s'agisse d'une infraction punissable de moins de 10 ans d'emprisonnement—pour déterminer si l'intéressé devrait obtenir le statut de réfugié ou être renvoyé du pays.

M. Derek Lee: Je vois. Pour compliquer un peu le scénario que je vous ai décrit, le pays demandant l'extradition ne poursuivrait pas la personne en question pour une infraction autre que l'évasion, délit qui, en droit canadien... Quelle est la peine pour ce délit? Deux ou trois ans de prison? Par conséquent, même s'il a été reconnu coupable de meurtre et qu'il purge une peine d'emprisonnement à vie à l'étranger, l'intéressé ne sera pas recherché pour meurtre, mais bien pour évasion, ce qui est punissable d'un emprisonnement de deux ans. C'est bien cela?

M. Don Piragoff: Non.

M. Derek Lee: Je me trompe?

M. Don Piragoff: Oui. Je ne dirai pas que vous vous trompez, mais plutôt que ce n'est pas tout à fait ça.

Des voix: Oh, oh.

La présidente: Allez-y, monsieur Piragoff.

M. Don Piragoff: Merci.

Il est vrai que le pays étranger pourrait présenter une demande d'extradition pour évasion, crime qui, comme vous l'avez dit, est punissable d'un emprisonnement de deux ans. Toutefois, on peut demander l'extradition non seulement pour poursuivre une personne qui a commis une infraction, mais aussi pour lui faire purger sa peine entière. Par conséquent, si la peine d'emprisonnement pour meurtre n'a pas été purgée dans son intégralité, puisqu'il s'agit d'une peine d'emprisonnement à vie, et que le criminel s'évade, il y aura probablement deux demandes d'extradition: une pour que le criminel finisse de purger sa peine et la deuxième pour qu'il subisse son procès pour évasion. Nous pourrions alors extrader cette personne pour les deux motifs.

M. Derek Lee: Merci.

La présidente: Merci, monsieur Lee.

J'ai deux ou trois questions pour vous. Monsieur Piragoff, tout à l'heure, je crois vous avoir entendu dire que, selon la loi actuelle sur l'extradition, les exigences concernant la preuve sont plus grandes que pour un procès. J'aimerais que vous me donniez quelques exemples qui illustrent le fait que les exigences concernant la preuve qui sont imposées à la Couronne sont plus grandes dans les cas d'extradition que dans les procès criminels ordinaires. Je crois que c'est ce que vous avez dit.

• 1035

M. Don Piragoff: Je vous décrirai la situation en général et M. Lemire, qui s'occupe de véritables cas d'extradition, vous donnera des exemples.

En vertu de la loi actuelle au Canada, les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire d'accueillir les preuves par ouï-dire même si elles ne correspondent pas aux exceptions traditionnelles à la règle sur le ouï-dire. Les tribunaux peuvent maintenant faire preuve d'une plus grande souplesse quand vient le temps de déterminer si la preuve est fiable, s'il existe une garantie circonstancielle de fiabilité et si la preuve est nécessaire. Aux termes de la Loi sur l'extradition, les tribunaux devaient appliquer les vieilles règles qui prévoyaient que les preuves par ouï-dire étaient irrecevables, que les documents sont, prima facie, des preuves par ouï-dire, et que les seuls documents recevables dans une audience d'extradition sont les affidavits de la première personne et les documents qui y sont annexés.

Dans un cas complexe de fraude où il y a 50 boîtes de documents, il vous faut un affidavit expliquant tous les documents se trouvant dans ces 50 boîtes. Dans un procès normal, vous n'auriez pas besoin d'un affidavit expliquant ces documents; vous appelleriez probablement à la barre un témoin qui, dans le cadre de son témoignage, décrirait les documents. C'est ainsi que les documents seraient produits en preuve.

La présidente: Et le témoin pourrait être contre-interrogé.

M. Don Piragoff: C'est exact. Il pourrait faire l'objet d'un contre-interrogatoire.

La présidente: Ce qui n'est pas le cas des documents.

M. Don Piragoff: En effet. Dans une procédure d'extradition, il n'y a pas de contre-interrogatoire à moins qu'il n'y ait un témoin. On peut convoquer un témoin, comme je l'ai dit tout à l'heure en réponse à la question de M. McKay. Si la preuve a été recueillie au Canada, le témoin devrait comparaître. De plus, rien n'empêche l'État étranger d'envoyer un témoin. Cela s'est déjà produit. C'est inhabituel, mais c'est possible. Un témoin pourrait venir de l'étranger au Canada.

M. Jacques Lemire: M. Piragoff a mis l'accent sur un problème en particulier qui se pose dans les cas importants de fraude ou de blanchiment d'argent: nous sommes alors saisis d'une demande portant sur des crimes graves qui ont été commis très habilement, en fait, de façon à brouiller les pistes et empêcher les autorités de retrouver les vrais coupables par le biais de montages d'entreprises.

Il est très difficile pour un État étranger qui doit trouver des documents dans toute l'Europe, par exemple, de présenter une preuve qui soit recevable en droit canadien: il lui faut présenter des documents bancaires officiels bien particuliers, de volumineux documents et les expliquer par l'entremise de témoins compétents, puis faire traduire ces documents dans l'une ou l'autre de nos langues officielles. Dans de telles circonstances, les fonctionnaires étrangers font face au défi presque insurmontable de présenter à l'audience d'extradition des preuves qui résisteront à l'examen à la loupe qu'en fera le juge au Canada.

Une fois que le représentant du pays étranger aura fourni l'attestation voulue selon laquelle les preuves sont disponibles et ont été obtenues conformément à la loi du pays, ou suffisent pour justifier qu'on intente des poursuites dans ce pays, les nouvelles dispositions prévoient qu'on pourra présenter un résumé des preuves au juge pour qu'il puisse déterminer s'il y a à première vue des preuves suffisantes contre cette personne.

Je pense que cela nous permet d'accomplir des progrès relativement à l'extradition. Il ne faut pas oublier qu'il y aura un procès dans l'État étranger où l'on examinera toutes les preuves et où la personne en cause pourra présenter des arguments pour sa défense pour que le juge ou le jury de cet État soit en possession de toutes les preuves au moment du procès.

• 1040

La présidente: Je ne veux pas tirer des conclusions négatives ou laisser croire que j'adopte une attitude négative, mais il y a certainement un problème de perception dans notre système.

À l'heure actuelle, la ministre joue deux rôles en même temps, et cette situation est maintenue dans le projet de loi. Elle intente des poursuites à titre de procureur général et elle joue aussi un rôle administratif relativement à la décision à titre de ministre de la Justice. Ce double rôle n'est pas nécessairement mauvais, à mon avis, mais il y a quand même un problème de perception. Il y a eu un problème de perception dans l'affaire Airbus. Certains diront que le problème allait plus loin que la perception, mais j'ai l'impression qu'il y avait surtout un problème de perception. Il y aura toujours un problème tant que le ministre de la Justice et le procureur général sont la même personne.

Pouvez-vous expliquer un peu comment fonctionne ce rôle? Comment cela fonctionne-t-il au ministère même? Quelle protection la ministre a-t-elle?

M. Jacques Lemire: On a examiné la préoccupation que vous avez soulevée dans le passé. Selon le projet de loi, les deux rôles de la ministre interviennent à des moments différents pendant le processus.

Il y a d'abord le moment où la ministre détermine si l'on va ou non accéder à la demande d'extradition. À ce moment-là, quand l'on rend l'arrêté introductif d'instance, la ministre est avisée qu'une demande d'extradition a été présentée et détermine si les exigences de la loi ou du traité ont été respectées relativement à la loi étrangère. Ensuite, la ministre identifie l'acte reproché et demande au tribunal de décider si l'on peut à première vue établir que la personne en question a commis un tel acte.

L'examen initial de la ministre a des paramètres bien particuliers vu qu'elle a le devoir exécutif de déterminer si l'on va ou non donner suite à la demande. Quant au juge, son rôle est aussi très précis et restreint: il doit examiner les preuves.

Au moment de l'audience d'extradition, l'État étranger est représenté par des agents du procureur général du Canada. Le rôle à titre d'agent de l'État étranger consiste à présenter les preuves sur lesquelles le juge fondera sa décision. Une fois que le juge aura statué—et sa décision porte uniquement sur la question de savoir s'il y a apparence de droit suffisante d'après les preuves admissibles—la ministre doit trancher sur certaines questions, en l'occurrence sur les motifs de refus, les conditions stipulées dans le traité, et ainsi de suite.

Dans les affaires Cotroni et Dynar, la Cour suprême a dû tenir compte de ces arguments et a statué que, compte tenu des rôles particuliers et des questions à établir, il n'y avait pas de conflit d'intérêts lorsqu'un agent du procureur général représentait l'État étranger uniquement pour l'audience d'extradition et la ministre elle-même quand elle prend une décision politique sur des questions de nature exécutive pour administrer les rapports prévus dans le traité conformément au droit applicable. Il n'y a pas de conflit d'intérêts. Cette question a été examinée et réglée.

La présidente: Je me suis moi-même occupée d'une extradition à titre d'agent du procureur général du Canada. Je pense que c'était vers 1987. Je faisais partie d'un cabinet d'avocats qui s'occupaient de ce travail de représentation.

Peter, vous serez heureux d'apprendre que c'était un cabinet d'avocats conservateurs.

Des voix: Oh, oh.

La présidente: Je me suis donc occupée d'une affaire d'extradition et j'ai trouvé cela intéressant. Je devrais probablement attendre à demain pour en parler à la ministre, mais j'ai trouvé le processus intéressant. Je suis l'une des rares avocates à ma connaissance à s'être déjà occupée d'une extradition, surtout pour la Couronne. J'imagine que toutes les extraditions vers un État étranger sont confiées à des procureurs de la Couronne fédéraux et non pas à des procureurs de la Couronne locaux?

M. Jacques Lemire: C'est exact.

La présidente: Le pauvre avocat qui sert d'agent reçoit-il de l'aide? Je peux vous dire que je n'en avais pas eu. J'étais secondé par un agent para-juridique en 1987-1988, je pense. Je devais moi- même aller au tribunal et obtenir les formulaires pour revoir la jurisprudence. Je n'avais reçu aucune aide de la police. C'est moi qui ai dû dire à la police ce qu'il fallait faire parce que les services policiers ne s'en étaient jamais occupé. C'était très amusant, mais c'était un travail plutôt curieux et troublant.

• 1045

Les agents ont-ils plus de soutien qu'auparavant ou bien avez-vous pour politique de confier ce travail à des employés du ministère de la Justice plutôt qu'à des procureurs de location?

Des voix: Oh, oh.

M. Jacques Lemire: Si je peux poursuivre, il s'agit de fonctions distinctes, mais ce ne sont essentiellement pas les mêmes employés qui s'occupent de la demande. À Ottawa, il existe un organisme central, le Groupe de l'aide internationale, qui s'occupe davantage des fonctions ministérielles.

Dans les régions, c'est l'agent du procureur général de la province où le fugitif se trouve en réalité ou en théorie, qui représente l'État étranger à cette étape des délibérations.

Il y a maintenant plus de cas qu'auparavant et le processus lui-même a évolué. Il y a maintenant bon nombre d'unités, par exemple à Montréal, à Toronto et à Vancouver, qui sont les principaux centres d'extradition au Canada. Ces unités s'occupent des demandes d'extradition et de la présentation des cas. Il existe donc des gens qui s'occupent de façon précise de ces cas.

La présidente: Le ministère a donc pour politique ou comme pratique de laisser des procureurs à temps partiel ou embauchés pour l'occasion, s'occuper des extraditions. C'est ce que j'ai toujours pensé et il me semble qu'il s'agit pourtant d'une fonction relativement importante et complexe pour l'État.

Ce n'est peut-être pas juste de vous poser cette question, monsieur Lemire, mais il me semble que le ministère devrait peut-être réviser sa politique à ce sujet. Dans mon cas, je faisais vraiment cavalier seul. J'ai cependant fait un excellent travail...

Des voix: Oh, oh.

La présidente: ... pour 55 $ l'heure, si je me rappelle bien.

M. Jacques Lemire: Je peux vous dire que les demandes d'extradition sont examinées par des procureurs permanents à nos bureaux régionaux. C'est la façon normale de procéder. Ce sont d'habitude des procureurs principaux qui sont chargés de ces cas. Ils reçoivent de l'aide. Vous avez dit aussi que vous aviez dû vous-même vous occuper d'obtenir le mandat et tout le reste. Partout dans le pays, les corps policiers affectent des ressources à la recherche de fugitifs et ces services ont l'habitude de collaborer avec les procureurs fédéraux dans les cas d'extradition.

La présidente: Je me rappelle que, dans ce cas particulier, la GRC avait dit: «Non, ce n'est pas notre affaire». C'est la police de Windsor qui s'en était occupé et cela avait bien fonctionné. Ce n'était probablement pas aussi déconcertant que mes souvenirs me l'indiquent. J'ai maintenant plus d'expérience et je sais que j'aurais probablement dû avoir plus d'aide, mais j'avais sans doute l'impression que j'étais aux prises avec des dragons.

M. Jacques Lemire: Il me semble que la pratique a évolué au cours des années et qu'il y a maintenant de très bons rapports de collaboration entre des procureurs de la Couronne fédéraux permanents et d'expérience et les autorités policières.

La présidente: Autrement dit, s'il y a une autre extradition à Windsor, c'est sans doute quelqu'un de Toronto qui s'occuperait du dossier plutôt qu'une personne sans expérience de Windsor.

M. Jacques Lemire: La pratique veut qu'en général, ce soit des procureurs permanents de la Couronne qui s'occupent de ces cas.

La présidente: D'accord.

M. Jacques Lemire: Cela n'exclut pas qu'à l'occasion un agent permanent intervienne, mais en général, c'est l'avocat de la Couronne fédérale qui s'occupe de ces questions.

La présidente: Au début des années 80, il y a eu un cas mettant en cause un promoteur de Toronto qui a été harponné par des chasseurs de tête de Floride et ramené là-bas pour y subir son procès. Mark MacGuigan, mon prédécesseur dans ma circonscription, était procureur général à l'époque.

Qu'avons-nous fait à ce sujet? Que se passerait-il maintenant si un chasseur de tête venait au Canada et effectuait l'extradition de fait d'un ressortissant canadien pour l'amener devant la justice américaine? Comment réagirions-nous? Avons-nous réglé le problème? Si je me souviens bien, nous n'avons pas réussi à obtenir que ce type revienne. Avons-vous réussi?

M. Jacques Lemire: Je le pense. À la suite de ce cas, il y a eu des discussions entre le Canada et les États-Unis. Les représentants du Canada ont fait savoir à leurs homologues américains que ce genre de comportement n'était pas acceptable et que nous envisagerions des procédures d'extradition à l'encontre des personnes qui se livrent à de telles initiatives sur notre territoire. Cette question a donc fait l'objet de discussions entre le Canada et les États-Unis et cela se reflète dans les échanges remontant à 1988, si je ne m'abuse.

• 1050

La présidente: C'est donc réglé?

M. Jacques Lemire: Il y a eu des discussions au niveau des hauts fonctionnaires et les représentants du Canada ont été très clairs. Le Canada estime que de tels actes sont inacceptables et il se réserve le droit d'exiger l'extradition de fonctionnaires ou de chasseurs de tête qui viendraient au Canada pour kidnapper, somme toute, des ressortissants canadiens. Dans de telles circonstances, le Canada n'hésiterait pas à exiger l'extradition des perpétrateurs. Si je me souviens bien, c'est essentiellement la position que nous avons communiquée aux Américains à l'époque.

La présidente: Autrement dit, si cela se produisait de nouveau, nous porterions des accusations d'enlèvement et la procédure suivrait son cours, n'est-ce pas?

M. Jacques Lemire: Nous pourrions porter des accusations d'enlèvement, mais dans de telles circonstances, il faut évidemment que les autorités canadiennes compétentes déterminent si cela est justifié. D'ailleurs, en l'occurrence, le procureur général concerné, le procureur général d'une province, devrait être chargé des poursuites, et non le procureur général du Canada. Le procureur général d'une province pourrait demander au ministre de la Justice de présenter une demande d'extradition à l'État étranger.

La présidente: Merci.

M. Jacques Lemire: De rien.

La présidente: Monsieur Grose.

M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Je me souviens de ce cas en particulier. Je m'intéresse aux affaires criminelles... j'ignore pourquoi. Les deux chasseurs de tête ont été extradés au Canada, ont subi leur procès et ont été condamnés à des peines légères, c'est vrai, mais au moins, la procédure a suivi son cours.

La présidente: Merci. J'avais oublié comment l'affaire s'était terminée. J'ai simplement cette vision de Mark MacGuigan à l'émission 60 Minutes, alors que je pensais «Pourquoi ne pas leur dire leur fait?»

Permettez-moi de poser une autre question. À moins que mes collègues soient impatients, j'aimerais poser une question au sujet de l'affaire du faux affidavit, comme dans l'affaire Léonard Pelletier. Il a été prouvé ultérieurement que l'affidavit américain était faux. Je sais ce que le gouvernement dirait au sujet de l'affaire Pelletier en particulier. Le fait est qu'il y a eu un faux affidavit. Comment allons-nous régler cela? Comment le projet de loi aborde-t-il ce genre de situation? Comment pouvons- nous éviter que cela se produise? Comment faire pour vérifier l'authenticité de ces affidavits? Devons-nous tout simplement faire confiance à la CIA ou à l'organe, quel qu'il soit, qui les fabrique?

M. Don Piragoff: Le problème avec les affidavits, c'est que mis à part le souscripteur de l'affidavit, il n'y a personne qui soit responsable de la procédure d'extradition, par conséquent, si un faux affidavit ou un affidavit erroné est soumis, dans le contexte du système actuel, il n'y a personne dans le pays étranger qui soit tenu de rendre des comptes. Essentiellement, on nous dit qu'on ne peut être tenu responsable du fait que quelqu'un ait signé un faux affidavit. Voilà ce que le procureur général dirait.

Dans ce contexte particulier, aux États-Unis, par exemple, on demande au procureur général, que ce soit au niveau de l'État ou au niveau fédéral, à tout autre procureur supérieur: «Quels sont les fondements de votre cas? Pouvez-vous nous certifier que vous avez une preuve suffisante pour intenter un procès? La preuve que vous avez en main est-elle suffisante pour justifier un procès dans votre pays?» Par conséquent, si un élément de preuve falsifié a été délibérément soumis au Canada, nous pouvons tenir responsable l'autre pays en invoquant qu'on nous a certifié qu'il disposait d'une preuve suffisante pour intenter un procès.

Les autorités ne peuvent jamais attester qu'un témoin dit la vérité car un témoin peut toujours présenter une autre version des faits une fois qu'il est à la barre. Cela se produit même chez nous. La police pense qu'un témoin va dire une chose et voilà qu'au procès, il dit quelque chose de tout à fait différent. Au lieu d'affirmer que la voiture était rouge, il dira qu'elle n'était pas vraiment rouge, qu'elle était plutôt magenta. Ce n'est pas vraiment un mensonge; c'est plutôt une zone grise, une autre interprétation de la preuve.

En l'occurrence, nous demandons aux autorités étrangères d'attester qu'elles ont une preuve suffisante, qu'elles sont prêtes à poursuivre l'affaire jusqu'au bout, de sorte que si un pépin survient et qu'il est ultérieurement prouvé qu'un élément de preuve a été falsifié, on peut revenir et dire: «vous nous avez donné l'assurance que vous disposiez d'une preuve aux fins d'un procès et voilà maintenant que nous constatons que vous n'avez jamais eu la preuve en question» ou bien, il peut arriver que l'on constate que toute la preuve est fausse.

• 1055

Comme M. Lemire l'a signalé tout à l'heure, cela ferait l'objet d'échanges entre les deux gouvernements, mais dans un deuxième temps, cela risque également de compromettre les rapports futurs entre le Canada et le gouvernement en question. En effet, nous pourrions leur rappeler qu'ils ne peuvent tout simplement pas rejeter le blâme sur la personne qui a signé l'affidavit. C'était à eux de s'assurer qu'ils disposaient d'une preuve suffisante avant de nous présenter une demande.

La présidente: Est-ce une leçon que nous avons tirée de l'affaire Pelletier? Dans cette affaire, je pense que le gouvernement avait allégué que l'affidavit falsifié n'avait pas influencé l'issue du procès, mais avons-nous tiré un enseignement à la suite de cela? Ce cas vous revient-il souvent à l'esprit?

M. Don Piragoff: La présente mesure contribuerait à résoudre le problème pour nous car il y a quelqu'un, dans le pays étranger, qui est chargé de nous fournir la preuve que nous utilisons et qui ultérieurement pourrait s'avérer sinon fausse, du moins pas tout à fait aussi authentique qu'on l'aurait cru.

La présidente: Est-ce que je vous rends nerveux, monsieur Lemire? Avez-vous quelque chose à ajouter? J'ai vu qu'il y avait de l'activité dans votre coin.

Des voix: Oh, oh!

La présidente: D'accord.

M. Peter MacKay: L'inverse pourrait être vrai, madame la présidente, notamment dans le cas de l'Airbus. C'est nous qui aurions sans doute des leçons à tirer de cette affaire.

La présidente: Très bien. Nous saisissons tous l'occasion de dire ce que nous avons à dire.

Mais il va de soi que cela demeure constamment un sujet de préoccupation car nous ne dépendons pas de notre propre système. Lorsque nous acceptons la preuve d'un autre État, nous dépendons d'un système qui n'est pas le nôtre.

Je vous remercie.

[La séance se poursuit à huis clos]