JURI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 25 mars 1998
[Traduction]
La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): La séance est ouverte. La journée a été intéressante. Nous avons eu un vote à la Chambre. Je m'en excuse, pas parce que je me sens coupable, mais parce que nous vous avions demandé d'être ici à une heure précise. Il nous est parfois impossible de prévoir ces choses-là.
Avant de commencer, permettez-moi de vous dire qu'un groupe du Forum pour jeunes Canadiens assiste à notre réunion. Je crois comprendre que ces jeunes viennent de toutes les régions du Canada et nous sommes très heureux qu'ils aient décidé de nous rendre visite. Lorsque nous aurons terminé, je suis certaine que les députés vont partir tranquillement; si les étudiants ont des questions à nous poser, nous y répondrons avec plaisir.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence.
Notre premier groupe de témoins représente les Employeurs des transports et communications de régie fédérale ou ETCOF, une association d'employeurs sous réglementation fédérale, si je comprends bien.
Nous avons avec nous Mme Lorette Glasheen, présidente du Sous- comité sur l'équité en matière d'emploi, Mme Evelyn Bourassa, directrice de la planification et du développement des relations d'entreprise, de travail et avec les artistes pour CBC à Ottawa, M. Roger MacDougall, qui est avocat pour le CN à Montréal, et M. Phillip Francis, directeur de la diversité en matière d'emploi pour Rogers Communications à Toronto.
Notre réunion sera un peu plus courte que prévu, mais nous vous souhaitons quand même la bienvenue. Je sais que vous avez un exposé à nous faire, alors, allez-y.
[Français]
Mme Evelyn Bourassa (représentante, Employeurs des transports et communications de régie fédérale): Merci beaucoup, madame la présidente. Nous vous remercions pour les présentations.
Comme on peut le constater à l'annexe de notre mémoire, si on fait abstraction des salariés de la fonction publique, les entreprises de l'ETCOF comptent le plus grand contingent de salariés assujettis aux lois fédérales canadiennes. La liste de nos membres figure à la fin du mémoire, dont copie sera distribuée demain aux membres du comité.
Avec les sociétés canadiennes du secteur bancaire, les entreprises de l'ETCOF appliquent la majorité des lois fédérales en vigueur en milieu du travail au Canada. Nous représentons un large pan de l'économie canadienne, qui englobe de grands et de petits employeurs, des sociétés d'État et des entreprises du secteur privé offrant des milieux de travail très syndiqués ou non syndiqués, dont bon nombre fonctionnent jour et nuit, 365 jours par année. Nos membres sont souvent des chefs de file en matière d'application de lignes de conduite visant à éliminer toute forme de discrimination en milieu du travail.
Je vous demande toutefois, madame la présidente, de ne pas perdre de vue que mes collègues et moi sommes ici aujourd'hui pour représenter l'ETCOF et non les entreprises qui nous emploient.
• 1635
En ce qui concerne le projet de loi S-5, les membres
de l'ETCOF estiment avoir des points de vue
particuliers en ce qui concerne l'obligation des
employeurs de prendre des mesures d'adaptation en
raison de leur longue expérience dans le traitement de
problèmes liés à ce type de mesures.
Les membres de l'ETCOF participent activement à la mise au point de mesures d'adaptation pour les salariés et les consommateurs. L'association appuie cette activité dans le cadre d'une saine politique sociale et estime que cette participation s'inscrit dans une saine gestion des affaires.
Nous avons en outre traité de la question des mesures d'adaptation durant le processus de mise en oeuvre des politiques d'équité en matière d'emploi depuis l'adoption de la première Loi sur l'équité en matière d'emploi, en 1986.
La Loi sur l'équité en matière d'emploi de 1995 exige expressément l'adoption de mesures spéciales d'adaptation aux différences. Cette loi donne à la Commission canadienne des droits de la personne le pouvoir de vérifier les mesures prises par les employeurs au plan de l'équité en matière d'emploi. En conséquence, les lois fédérales prévoient déjà une plus grande protection que par le passé à l'égard des groupes en quête d'équité en répondant à leurs besoins de mesures d'adaptation en milieu de travail.
Jusqu'à maintenant, l'obligation de prendre des mesures d'adaptation et les cas d'application au niveau fédéral ont été déterminés par jurisprudence. Nous appuyons la codification des mesures d'adaptation, qui assure aux fournisseurs de services, employeurs et consommateurs une source unique d'information sur l'état de la situation.
Toutefois, la codification proposée soulève un certain nombre de préoccupations chez nos membres. Nous avons choisi de nous concentrer sur quatre d'entre elles: les trois critères proposés, les droits des collègues, l'absence de notion de caractère raisonnable, et l'ajout des plaintes touchant les produits et services dont il est impossible d'identifier la victime.
Mon collègue, M. MacDougall, traitera du premier sujet de préoccupation, c'est-à-dire les trois critères proposés. Merci.
[Traduction]
M. Roger MacDougall (représentant, Employeurs des transports et communications de régie fédérale): Merci, madame Bourassa.
La première préoccupation des membres d'ETCOF au sujet du projet de loi S-5 a trait à la nature limitée du critère relatif à la contrainte excessive. Tout d'abord, les membres d'ETCOF appuient l'obligation de satisfaire à une politique sociale, parce qu'elle s'inscrit dans une saine gestion des affaires. Mais c'est la jurisprudence qui a toujours défini l'obligation de prendre des mesures d'adaptation et les critères d'évaluation d'une contrainte excessive. Or, ces critères englobent non seulement la santé, la sécurité et les coûts, mais aussi la perturbation de la convention collective, l'efficacité de fonctionnement, l'incidence sur la qualité du produit ou service et une incidence négative injustifiée sur d'autres employés.
Comme la Cour suprême l'a fait valoir dans un certain nombre de décisions, la perturbation de la convention collective et les droits des autres employés devraient à tout le moins pouvoir être pris en considération pour l'évaluation d'une contrainte excessive. C'est une question qui préoccupe particulièrement les membres d'ETCOF qui ont souvent de nombreux agents négociateurs, de nombreuses unités de négociation et une gamme complexe de listes d'ancienneté.
Si des facteurs autres que la santé, la sécurité et les coûts étaient inclus, les employeurs, la Commission canadienne des droits de la personne et le tribunal auraient à leur disposition un éventail plus réaliste de possibilités dont ils pourraient tenir compte au moment opportun.
Nous craignons que si les critères se limitent à trois facteurs, à savoir la santé, la sécurité et les coûts, la Commission et le tribunal tiendront pour acquis, comme la Commission ontarienne des droits de la personne, que les facteurs énumérés dans la loi sont exhaustifs. S'ils ne sont pas exhaustifs, alors la loi devrait le préciser clairement.
Comme la Cour suprême l'a indiqué dans l'affaire Simpsons- Sears en 1985:
-
Dans toute société, les droits d'une personne entreront
inévitablement en conflit avec les droits d'autrui. Il est alors
évident que tous les droits doivent être limités afin de préserver
la structure sociale dans laquelle chaque droit peut être protégé
sans porter atteinte indûment aux autres. Cela est particulièrement
important lorsque des rapports spéciaux existent, en l'espèce les
rapports entre employeur et employé.
Ma collègue, Mme Glasheen, va maintenant vous parler d'une autre préoccupation d'ETCOF.
Mme Lorette Glasheen (présidente, Sous-comité sur l'équité en matière d'emploi, Employeurs des transports et communications de régie fédérale): Merci, Roger.
• 1640
La prochaine question dont nous aimerions vous parler est
celle de l'omission du «caractère raisonnable» dans le projet de loi
S-5. Toute la jurisprudence fédérale actuelle est fondée sur la
notion de mesures raisonnables d'adaptation. La plus grande partie
des ajustements ne sont pas du domaine public parce qu'ils sont
apportés avec succès en milieu de travail.
Dans le cadre de la législation actuelle, le nombre des employés handicapés dans les entreprises sous réglementation fédérale a augmenté de plus de 70 p. 100 au cours des sept dernières années. De tels progrès n'auraient pu être accomplis si la notion de caractère raisonnable n'avait pas existé.
En 1985, avant que soit adopté le code actuel de l'Ontario, la Cour suprême a dit, dans l'affaire Simpsons-Sears, lorsqu'elle a pour la première fois reconnu l'obligation de prendre des mesures d'adaptation, que le devoir de l'employeur est de prendre des mesures raisonnables pour répondre aux besoins de l'employé, à moins que celles-ci constituent une contrainte excessive.
Durant nos consultations avec le ministère fédéral de la Justice à la fin de 1997, le personnel du ministère nous a donné à entendre que le Code des droits de la personne de l'Ontario fonctionne bien avec les trois critères limités et l'omission du caractère raisonnable. Vous avez entendu hier le témoignage de l'Association des banquiers canadiens au sujet de la décision Quesnel de 1985 en vertu de laquelle un médecin a reçu l'ordre d'apporter des aménagements qui, à notre avis, ne sont guère raisonnables.
Le code de l'Ontario ne nous apparaît pas tellement comme un modèle à suivre.
Le libellé actuel du projet de loi S-5, où le mot «raisonnable» ne figure pas, annulerait en fait la jurisprudence établie au cours des quinze dernières années. Des critères limités alliés à l'absence de la notion de caractère raisonnable entraîneraient l'ambiguïté et un gaspillage de ressources de la part du gouvernement, de l'industrie, de la main-d'oeuvre et des particuliers qui demandent que des mesures soient prises jusqu'à ce qu'un nouveau cadre ait été établi.
Cela pourrait vraisemblablement prendre dix années encore, ce qui ne semble pas très approprié en ce 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Mon collègue, M. Francis, va maintenant vous parler d'une autre préoccupation d'ETCOF.
M. Phillip Francis (représentant, Employeurs des transports et communications de régie fédérale): Merci, Lorette.
En ce qui concerne les plaintes sans victime, la législation fédérale est déjà plus permissive que les codes provinciaux des droits de la personne. En Ontario, par exemple, il doit y avoir une victime identifiable pour qu'on puisse déposer une plainte dans le contexte de l'emploi de même que dans celui des services.
Avant de pouvoir répondre aux besoins d'un individu, il faut les définir. Le libellé du projet de loi S-5 permettrait à des groupes d'intérêts de déposer des plaintes nécessitant des aménagements dans le contexte des services à un niveau abstrait. En l'absence d'un individu identifiable, il est très difficile, sinon impossible, d'évaluer le besoin, l'à-propos de l'aménagement demandé ou la justesse d'une solution.
Les plaintes sans victime qui obligent les fournisseurs de services à répondre à des besoins hypothétiques dans l'abstrait entraîneront des dépenses inutiles de temps, d'énergie et d'argent qu'il y aurait plutôt lieu d'affecter aux besoins et aux problèmes réels de l'heure.
La majorité des membres d'ETCOF sont de petits employeurs ayant de faibles marges. Même s'ils sont prêts à prendre des mesures pour répondre à un besoin véritable, certains employeurs ne sont pas toujours capables de le faire ni de tenir compte de préférences personnelles quant à la façon d'apporter une mesure. La plupart des employeurs, notamment les petits employeurs, n'ont pas non plus la capacité de faire face à tous les aménagements en milieu de travail et à tous les litiges inutiles entourant des demandes d'aménagements hypothétiques.
Qui plus est, nous ne voyons pas la nécessité d'une telle modification et nous demandons donc sa suppression.
Mme Glasheen va maintenant résumer notre proposition.
Mme Lorette Glasheen: Pour les raisons que nous vous avons énumérées aujourd'hui, nous vous exhortons à apporter les amendements suivants au projet de loi S-5: premièrement, la suppression des trois critères proposés ou leur élargissement pour tenir compte de la jurisprudence actuelle; deuxièmement, l'ajout de la notion de caractère raisonnable; et, troisièmement, l'élimination des motifs de plainte sans victime concernant les biens et services.
C'étaient là, mesdames et messieurs, les principaux points que nous tenions à vous signaler dans nos observations préliminaires d'aujourd'hui. Vous trouverez les autres points que nous souhaitons soulever dans notre mémoire qui vous sera distribué demain, si je comprends bien.
Nous vous remercions de nous avoir offert l'occasion de partager notre expérience et nos vues avec vous aujourd'hui et attendons avec impatience vos questions et réponses.
La présidente: Merci beaucoup.
Madame.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ): J'ai assisté hier à la présentation de l'Association des banquiers. Vous reprenez un certain nombre des choses qui ont été soulevées par cette association. Je voudrais vous poser une question sur les trois critères et leur élargissement, que je comprends tout à fait.
Est-ce que, par exemple, l'ajout du mot «notamment» devant les mots «la santé, la sécurité et les coûts» vous conviendrait ou si vous demandez une liste de critères plus large?
[Traduction]
Mme Lorette Glasheen: Oui, je pense que c'est exactement ce que nous proposons. Ce serait une liste qui inclurait les sept critères mentionnés dans l'affaire Central Alberta Dairy Pool. Il serait préférable de ne pas avoir de critères du tout au lieu d'en avoir trois seulement.
Dans notre mémoire, dont vous recevrez une copie demain, nous proposons un libellé qui engloberait ces sept critères. Je pourrais vous le lire tout de suite. C'est la principale proposition que nous faisons.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: À partir du moment où on met une liste, on ferme la parenthèse, alors que ce n'est pas le cas si on met le mot «notamment», qui veut dire «entre autres». Il y a trois critères, mais il peut y en avoir d'autres, selon la réalité et l'évolution de la société, des valeurs et ainsi de suite.
Vous proposez d'en ajouter sept, je pense. Ne vaudrait-il pas mieux inscrire simplement «notamment la santé, la sécurité et les coût»? Le «notamment» permettrait que toutes les autres possibilités puissent être examinées par le tribunal.
[Traduction]
M. Roger MacDougall: Une solution ou l'autre serait considérée comme un pas en avant par les employeurs qui font partie d'ETCOF.
Nous savons que n'importe quelle liste risque de ne pas tout englober. La Cour suprême a étudié la question à un certain nombre de reprises. Je crois qu'elle l'a examinée plus précisément dans l'affaire Central Alberta Dairy Pool en 1990 et qu'elle a alors dit qu'elle proposerait certains facteurs, mais qu'ils n'étaient pas exhaustifs en ce sens que les tribunaux et la Commission devraient pouvoir examiner chaque cas séparément et trouver la solution qui convient dans les circonstances.
C'est pourquoi les membres d'ETCOF sont d'avis qu'il ne conviendrait pas de limiter le nombre des critères à trois.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Merci.
La présidente: Merci, madame.
[Traduction]
Monsieur Telegdi.
M. Andrew Telegdi (Kitchener—Waterloo, Lib.): Merci, madame la présidente.
J'ai une question à poser à M. MacDougall. Vous avez dit que vous étiez préoccupés par la destruction de la convention collective et les droits des autres employés. Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails?
M. Roger MacDougall: Bien sûr. Ce que nous craignons, c'est que le tribunal et la Commission ne pourraient pas à tout le moins avoir ces facteurs à prendre en considération.
Nous pourrions peut-être vous donner un exemple pour illustrer nos propos. Nous représentons des entreprises qui comptent de nombreuses unités de négociation. Si un des membres d'une de ces unités de négociation se blesse et que l'employeur doit prendre des mesures d'adaptation, il est fort probable que l'employé en question devra être placé dans une autre unité de négociation. Cela ne pose généralement pas de problème aux gros employeurs, mais si ça arrivait à certaines de nos plus petites entreprises, nous estimons que la Commission devrait pouvoir tenir compte de l'incidence sur d'autres employés.
M. Andrew Telegdi: Nous avons entendu le témoignage de Nancy Riche hier matin. Elle est vice-présidente à la direction du Congrès du Travail du Canada. Elle nous a indiqué que les syndicats sont prêts à faire leur part. Je lui ai même posé une question à propos de l'ancienneté. Je sais que l'ancienneté compte beaucoup au Canadien National. Êtes-vous d'accord?
M. Roger MacDougall: Nous serions certainement d'accord pour dire que dans les plus grandes entreprises, les plus grandes compagnies de chemin de fer et les plus gros transporteurs aériens que nous représentons, il est souvent possible de faire des transferts entre les unités de négociation qui peuvent avoir une incidence sur l'ancienneté, mais il est normalement possible de régler les problèmes qui surgissent avec les syndicats en cause.
Mais ce n'est pas toujours facile dans le cas des plus petites entreprises. Si les mesures qui doivent être prises constituent une contrainte, une contrainte excessive, nous sommes d'avis que le tribunal devrait pouvoir tenir compte de cet autre facteur.
M. Andrew Telegdi: Avez-vous des statistiques sur le nombre d'employés du Canadien National blessés ou handicapés dans l'exercice de leurs fonctions?
M. Roger MacDougall: Je ne les ai pas avec moi aujourd'hui. Si je tiens compte des mesures prises par tous les membres d'ETCOF qui comptent 400 000 employés, je dirais quelques centaines ou milliers.
Phil.
M. Phillip Francis: À la fin de chaque année, chaque entreprise est tenue de présenter à Développement des ressources humaines Canada un rapport sur les accidents du travail.
M. Andrew Telegdi: Ces rapports contiennent-ils des chiffres sur l'invalidité de longue durée?
M. Phillip Francis: Si je comprends bien, ils sont censés contenir des renseignements sur toutes les absences attribuables à des accidents du travail.
M. Andrew Telegdi: J'imagine que tous ces travailleurs sont en congé d'invalidité de longue durée.
M. Phillip Francis: Pas nécessairement. S'il s'agit d'un accident du travail, l'employé ferait une réclamation contre la Commission des accidents du travail compétente.
M. Andrew Telegdi: Est-ce que des efforts auraient été faits pour répondre aux besoins de ces travailleurs en milieu de travail?
M. Phillip Francis: J'étais ici hier durant l'exposé de Nancy. Je dirais qu'habituellement, les employeurs font ce qu'il faut pour que les employés retournent au travail le plus rapidement possible en les réaffectant, en leur confiant des tâches moins lourdes, etc. Toutes les données recueillies montrent que plus une personne est longtemps absente de son travail, plus il lui est difficile d'y retourner. La plupart des employeurs cherchent activement à réintégrer l'employé dans ses fonctions ou à lui trouver un poste qui lui convient au moment de son retour au travail.
M. Andrew Telegdi: Auriez-vous par hasard des statistiques sur votre succès cet égard?
M. Phillip Francis: Je n'ai pas de statistiques sur le retour au travail.
Mme Lorette Glasheen: Je pense que nous pourrions obtenir ces statistiques des membres d'ETCOF pour vous si vous nous donniez deux ou trois semaines. Je peux m'arranger pour le faire et nous pourrions envoyer ces statistiques à la présidente.
M. Andrew Telegdi: Nous vous en saurions gré.
La présidente: Merci.
Mme Lorette Glasheen: Cela arrive tous les jours.
Un des points que nous tenions à signaler ici aujourd'hui, c'est que très souvent on n'en parle pas parce que ce n'est pas du domaine public.
M. Andrew Telegdi: Nous comprenons. Merci.
La présidente: Merci, monsieur Telegdi.
Monsieur John McKay.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, madame la présidente.
J'ai deux questions concernant le rajout du terme «raisonnable» dans le libellé actuel. Selon l'argument présenté par l'avocat du ministère, le mot «raisonnable» est inclus implicitement dans le libellé et le mot «excessive» suppose une application raisonnable des trois critères. J'aimerais connaître votre point de vue sur le sujet.
M. Roger MacDougall: Selon la jurisprudence actuelle constituée principalement par les arrêts de la Cour suprême, ces deux notions sont liées. Il y est question de mesures raisonnables d'adaptation qui n'entraînent pas de contraintes excessives. La jurisprudence actuelle associe les deux notions. Le point de vue de l'ETCOF va précisément dans le sens de votre recommandation et nous estimons qu'il est de loin préférable de se servir de la jurisprudence actuelle afin que toutes les parties sachent comment l'appliquer, sans qu'il soit nécessaire de réinventer la roue, avec tout le gaspillage des ressources que cela entraîne.
Plutôt que de dire que cela est sous-entendu..., il nous semble beaucoup plus simple d'utiliser le mot «raisonnable». De cette manière, les choses seront claires et il n'y aura plus aucun doute possible.
M. John McKay: Vous pensez donc que l'ajout ou la modification du libellé ne sera pas contraire à l'esprit et aux grandes lignes de la loi.
M. Roger MacDougall: C'est exact.
M. John McKay: Hier, j'ai lu à la représentante du CTC le libellé contenu dans le résumé de la proposition de l'Association des banquiers canadiens où il est question «d'adaptation en fonction des besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes», modifiant ainsi les derniers mots «toutes les mesures pertinentes et justifiables, notamment en matière de santé, de sécurité et de coûts». Est-ce que c'est la même chose... C'est le genre de libellé qu'elle a adopté. J'aimerais savoir si un tel texte vous paraît approprié?
Je vais vous le relire, parce que c'est un peu compliqué. Les derniers mots sont «toutes les mesures pertinentes et justifiables, notamment en matière de santé, de sécurité et de coûts». Est-ce que cela prend en compte...
Mme Lorette Glasheen: Oui, cela tient compte du processus. Je pense que le texte que vous venez de lire serait une amélioration, mais j'aimerais peut-être vous lire le texte que nous proposons, afin de le consigner au procès-verbal. Il se trouve dans notre mémoire que vous recevrez demain.
-
Pour tout acte mentionné à l'alinéa 1a) censé être fondé sur les
exigences professionnelles justifiées et pour tout motif
justifiable au sens de l'alinéa 1g), il doit être établi que les
mesures destinées aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de
personnes visées ne doit pas constituer pour la personne qui doit
les prendre, une contrainte excessive en matière de santé, de
sécurité et de coûts, de modification de la convention collective,
d'efficience, de répercussions sur la qualité des produits ou du
service et de conséquences négatives excessives sur les conditions,
droits et possibilités des autres employés.
Autrement dit, nous reprenons le même libellé que dans l'arrêt concernant le Central Alberta Dairy Pool.
M. John McKay: Est-ce que vous vous limitez? Vous vous imposez des limites dans votre proposition, par opposition...
M. Roger MacDougall: Je crois que la proposition des banquiers est plus large, tout comme celle du député qui proposait de n'inclure aucun critère mais simplement de s'appuyer sur l'abondante jurisprudence existante qui fait état des critères pertinents pour les tribunaux.
M. John McKay: Un dernier point qui rejoint également la préoccupation de la représentante du mouvement syndical. C'est la question de l'inclusion d'un syndicat comme partie désignée concernée par une plainte. D'après elle, cela semble se faire naturellement. D'après votre expérience également, un syndicat peut aussi être désigné dans une plainte?
Mme Lorette Glasheen: Ce n'est pas la norme, mais c'est arrivé.
M. John McKay: C'est arrivé?
Mme Lorette Glasheen: Oui.
M. John McKay: Je me demande si on doit s'attendre, par principe, à ce que les syndicats prennent part aux mesures d'adaptation dans le cas de l'intégration sur les lieux de travail, de l'aménagement des conditions de travail. Est-ce que vous y avez réfléchi?
M. Roger MacDougall: Comme l'a dit Mme Glasheen, cela se produit de temps à autre, selon les circonstances, sans qu'aucune intervention du tribunal ou de la commission ne soit nécessaire. Oui, dans certaines circonstances, lorsqu'il y a une exigence d'adaptation, aussi bien l'entreprise que le syndicat sont désignés.
J'ai l'impression que ces facteurs prouvent encore plus clairement que l'on ne doit pas se limiter à ces trois critères particuliers, mais qu'on doit pouvoir les compléter de manière à permettre aux tribunaux d'évaluer les conséquences sur le syndicat.
M. John McKay: Exactement. Merci.
La présidente: Merci.
Monsieur Peter MacKay.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci madame la présidente.
Je tiens à vous remercier pour votre présence parmi nous aujourd'hui. Ma question est d'ordre général.
En ce qui a trait aux sanctions qui peuvent être imposées, pas seulement les sanctions pécuniaires, mais également les autres mesures disciplinaires, avez-vous certaines craintes en ce qui a trait aux déclarations de culpabilité multiple susceptibles de donner lieu, en cas de violation, à des plaintes en vertu du code du travail ou de la législation provinciale sur les droits de la personne? Craignez-vous les cas où un plaignant aurait plusieurs possibilités?
M. Roger MacDougall: Tout d'abord, au sujet d'un des points que vous avez soulevés, en tant que membres de l'ETCOF, nous représentons les employeurs qui relèvent de la législation fédérale. Par conséquent, il n'y a pas de possibilité de conflits entre les codes provinciaux du travail et la législation fédérale.
Il peut toutefois arriver qu'un tribunal se penche sur certains aspects du droit du travail au même moment où la commission examine une plainte. Normalement ces deux organes connaissent et respectent les compétences de l'autre. C'est ce que je constate d'après mon expérience et je suis prêt à entendre les points de vue des autres membres du groupe. Dans la pratique et d'après mon expérience, cela n'a jamais posé un gros problème.
M. Peter MacKay: Très bien.
Mme Lorette Glasheen: Généralement, on épuise un recours avant d'en entamer un autre, si bien qu'il n'y a pas de risque de culpabilité multiple.
M. Peter MacKay: C'est un genre de règle ou d'entente tacite pour éviter que cela se produise.
Mme Lorette Glasheen: Oui.
Parfois, lorsqu'un plaignant s'adresse à la Commission canadienne des droits de la personne, on lui demande s'il a déposé un autre grief. S'il s'agit d'un employé syndiqué et qu'il n'a pas déposé un autre grief, il a le choix de le faire. S'il décide de poser un grief, sa plainte est parfois mise en suspens jusqu'à ce que le grief ait été examiné et selon le résultat, nous pouvons par la suite poursuivre la procédure auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Il n'est pas nécessaire de le faire lorsque le grief trouve sa solution à la première étape. Nous en faisons quotidiennement l'expérience.
M. Peter MacKay: Merci.
La présidente: Merci. Mais, selon le droit administratif, il faut épuiser les procédures administratives avant d'entreprendre un recours au tribunal, n'est-ce pas? Il faut invoquer la convention collective avant d'entamer toute autre procédure.
Mme Lorette Glasheen: Oui.
M. Roger MacDougall: En principe, on doit épuiser tous les recours offerts par la convention collective avant de recourir à la révision judiciaire en vertu d'un code administratif. Mais d'après notre expérience, cela n'empêche pas de déposer parallèlement une plainte devant la commission et un grief devant un arbitre.
La présidente: On essaie les deux possibilités afin de voir quels sont les résultats obtenus. Je voulais tout simplement vérifier que la procédure est toujours conforme à ce que j'en savais.
Monsieur Lee.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci. Je réfléchis toujours à l'article concernant les mesures raisonnables d'adaptation et j'ai dû revenir à l'article original pour essayer de comprendre. Le point de départ c'est la notion d'acte discriminatoire et le même article prévoit des exceptions. Deux de ces exceptions concernent «des exigences professionnelles justifiées» ou «un motif justifiable». Jusqu'à présent, il n'est pas question «d'adaptation» ni «d'obligation d'adaptation», ni du terme «raisonnable». Il est question uniquement de «motif justifiable» ou «d'exigences professionnelles justifiées».
Je comprends que vous vouliez ajouter une disposition qui limiterait à ce qui est raisonnable la réponse de la partie qui est tenue de ne pas agir de manière discriminatoire ou celle de la personne qui cherche à se prévaloir de l'exception. Si au départ l'ajout du mot «raisonnable» me paraissait approprié, cela me pose actuellement quelques difficultés parce qu'il contourne la notion. C'est une façon détournée de faire les choses plutôt que d'affirmer directement que l'exception devrait être offerte à toutes les personnes qui proposent une adaptation raisonnable. Il me semble que votre proposition—ainsi que d'autres que nous avons entendues—se contente de rajouter le mot «raisonnable»; vous voulez à tout prix inscrire ce mot afin de faire allusion au caractère raisonnable.
M. Phillip Francis: Ce secteur de la législation est en constante évolution. Dans beaucoup de cas, ce qui est raisonnable aujourd'hui ne le sera peut-être plus dans 10 ou 15 ans. Ce qui paraît déraisonnable maintenant sera peut-être tout à fait raisonnable dans deux ou trois ans. Je vais vous donner un exemple.
M. Derek Lee: D'après la façon dont vous l'avez décrit, je crois que le mot «raisonnable» ne s'applique pas pour le moment, bien que, d'après vous, les tribunaux l'ont utilisé.
M. Phillip Francis: C'est exact.
M. Derek Lee: De toute façon, poursuivez avec votre description. Je ne veux pas m'opposer à votre point de vue avant de l'avoir entendu.
M. Phillip Francis: À mon avis, on peut considérer comme raisonnable ce qu'on peut faire aujourd'hui avec les ressources dont on dispose. Dans le domaine technique, on peut dire qu'il y a cinq ou six ans, les aveugles ne pouvaient pas se servir d'un ordinateur central. Désormais, la technologie de la reconnaissance ou de la synthèse de la parole permet aux employés de communiquer avec des ordinateurs centraux qui doivent fonctionner, pour employer le jargon informatique, en mode DOS. Ces personnes peuvent par exemple travailler dans un centre téléphonique. La nouvelle technologie lit ce qui s'affiche à l'écran et l'utilisateur reçoit cette information dans ses écouteurs. Cette technologie n'était à la portée de personne, il y a cinq ou dix ans.
Il ne serait pas raisonnable de réclamer l'achat d'un ordinateur central en version pour Windows qui puisse accepter la technologie de reconnaissance de la parole. Pour le moment, cette technologie n'est pas disponible en version pour Windows, mais je suppose qu'elle le sera dans deux ou trois ans. Dans quelques années, il sera donc raisonnable de s'adapter aux besoins d'un aveugle en lui permettant d'utiliser ce genre de technologie qu'il serait déraisonnable d'exiger actuellement, puisqu'elle n'existe pas.
Je vais vous montrer que cette notion d'adaptation raisonnable est très importante, car ce qui est raisonnable évolue avec le temps. Ce qui n'est pas possible aujourd'hui le sera peut-être demain. Désormais, les employeurs sont en mesure d'aménager les lieux de travail en fonction des besoins de nombreuses personnes, alors que cela n'était pas possible auparavant. Voilà une des raisons qui justifient l'utilisation du mot «raisonnable».
M. Derek Lee: Très bien, mais il est impossible de l'ajouter sans déformer le mécanisme légal ou les normes légales que nous utilisons.
M. Roger MacDougall: Si vous le permettez, je peux peut-être vous donner une explication.
Je crois que vous vous en tenez à la législation telle qu'elle existe aujourd'hui. Vous constatez que le mot «raisonnable» ne s'y trouve tout simplement pas et vous avez raison.
Ce terme a été introduit pour la première fois par la Cour suprême du Canada en 1995 je crois, dans l'arrêt Simpsons-Sears, et d'autres jugements ultérieurs de la Cour suprême du Canada ont repris régulièrement cette notion d'adaptation raisonnable. Aussi, en tant qu'employeurs fédéraux, on ne peut malheureusement pas se contenter d'appliquer la loi telle qu'elle existe sans tenir compte de cette vaste jurisprudence.
Je crois que le ministère de la Justice propose que l'on s'en tienne pour la plupart au texte de la loi afin de définir quels sont les droits et les obligations. C'est pourquoi il a suggéré un certain nombre de changements au projet tels que par exemple l'extinction de la discrimination directe par opposition à la discrimination indirecte. Là encore, c'est sous l'influence de la jurisprudence.
Par conséquent, la loi telle qu'elle existe aujourd'hui ne reflète pas la jurisprudence et de fait, elle contient le concept d'adaptation raisonnable sous la forme de question de droit.
M. Derek Lee: Très bien, je comprends. Vous proposez donc d'ajouter le mot «raisonnablement» devant le mot «aménager».
M. Roger MacDougall: C'est exact.
M. Derek Lee: Un adverbe pour définir le verbe.
Mme Lorette Glasheen: Exactement.
Une voix: Modifier.
M. Derek Lee: Très bien. Merci.
La présidente: Merci monsieur Lee.
Nous vous remercions d'avoir demandé à participer. Nous avons eu plaisir à entendre votre témoignage.
M. Roger MacDougall: Merci.
La présidente: Je suspens pour l'instant la séance, pendant que notre prochain témoin s'installe.
La présidente: Nous sommes de retour.
De la Criminal Lawyers' Association de Toronto, nous allons entendre Irwin Koziebrocki, que nous avons pu arracher à la Cour suprême du Canada, grâce à l'insistance de notre greffier.
Irwin, je pense que vous savez que nous nous penchons sur les modifications à la Loi sur la preuve du Canada et au Code criminel. Nous nous intéressons en particulier au paragraphe 153.1(1) du Code criminel qui concerne l'exploitation sexuelle d'une personne handicapée.
Est-ce que vous êtes prêt à nous en parler ou avez-vous d'autres commentaires généraux à présenter?
M. Irwin Koziebrocki (trésorier, Criminal Lawyers' Association): J'aimerais auparavant faire quelques commentaires généraux, pour présenter le point de vue des membres de mon association.
Permettez-moi tout d'abord de préciser que la Criminal Lawyers' Association est toujours prête à comparaître devant le comité afin de l'aider dans ses délibérations. Les membres de notre association souhaitent également remercier le Conseil canadien des droits des personnes handicapées et le groupe d'étude fédéral sur les personnes handicapées ainsi que leurs divers comités pour le travail qu'ils ont effectué en vue d'améliorer le recours au système judiciaire par les personnes handicapées.
J'aimerais personnellement mentionner aux fins du compte rendu que je remercie Carole Ann Letman, notre directrice de la région de Peel, qui a fait un travail considérable sur cette question. Elle a rédigé un certain nombre de mémoires et a pris part aux consultations dans cette région. Sans son assistance, j'aurais vraiment eu de la difficulté à venir témoigner aujourd'hui.
Enfin, la Criminal Lawyers' Association appuie de manière générale les modifications au Code criminel qui donneraient aux personnes handicapées accès au système judiciaire.
Voilà qui termine mes remarques préliminaires et les précisions que je voulais donner. Cela étant dit, la mise en oeuvre du projet de loi actuellement à l'étude soulève quelques problèmes. Permettez-moi d'aborder brièvement quelques-uns d'entre eux, particulièrement ceux qui concernent les modifications de la Loi sur la preuve au Canada.
• 1725
Vous proposez de modifier la Loi sur la preuve au Canada afin
de permettre aux personnes handicapées de témoigner de certaines
manières autres que celles que nous considérons actuellement comme
recevables. Permettez-moi de préciser que la Criminal Lawyers'
Association ne s'oppose absolument pas à ces nouvelles façons de
témoigner. De fait, elles existent déjà dans la mesure où la common
law permet à un juge de première instance d'utiliser différents
moyens pour permettre à une personne de témoigner avec l'aide
d'interprètes ou d'autres formes d'assistance.
Permettez-moi de vous faire respectueusement remarquer qu'il faut, dans de telles circonstances, tenir compte de plusieurs aspects. Il y a les méthodes traditionnelles de détermination des faits qui s'appliquent dans un tribunal de première instance et qui consistent à déterminer la crédibilité et à déterminer le comportement dans le cadre de l'appréciation des faits à laquelle se livre le juge des faits.
Lorsqu'on envisage un autre moyen de témoigner, il faut se demander dans quelle mesure cela n'empiète pas sur la fonction traditionnelle du juge des faits. Est-ce qu'un juge des faits sera en mesure de déterminer la crédibilité en fonction du comportement d'après un témoignage présenté d'une manière où cet aspect particulier n'est pas immédiatement évident dans la perspective traditionnelle?
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les droits de la personne accusée en sont également modifiés. L'article 7 et l'alinéa 11d) de la Charte lui garantissent un procès équitable et il se peut que vous alliez à l'encontre de ses droits garantis par la Charte en vous éloignant des méthodes retenues habituellement pour déterminer l'innocence ou la culpabilité d'un accusé. Je pense que c'est un aspect dont vous devriez tenir compte lorsque vous étudierez les modifications proposées à l'article 6.
Plus particulièrement, l'article 6.1 proposé est une disposition intéressante. Elle permet à un témoin d'identifier une personne en faisant appel à des sens autres que les sens traditionnels, par exemple en faisant appel aux méthodes sensorielles. Vous avez mentionné, dans le document de travail fourni en annexe, des méthodes d'identification reposant sur la voix et le toucher. Il faut savoir, lorsqu'on procède de la sorte, que, s'il n'y a pas d'autre identification, la première identification à laquelle vous allez procéder selon cette méthode, se fera au tribunal. Si c'est le cas, sachez que selon les règles traditionnelles, les identifications au banc des accusés ne sont pas jugées valables par le tribunal. Voulez-vous modifier cette règle?
Deuxièmement, il faut vérifier si cet article ne viole pas la Charte en donnant lieu à des situations d'auto-incrimination. Comment procéder à une identification de la voix? Est-ce que vous avez l'intention de demander à la personne qui se trouve sur le banc des accusés de se lever et de parler pour que le témoin puisse décider s'il s'agit bien de la personne qui a commis le crime?
Quant à l'identification tactile, on peut se demander s'il s'agit d'une forme valide d'identification. Avez-vous l'intention de demander à l'accusé de se présenter devant le témoin, de se déshabiller ou de se laisser toucher de manière à permettre au témoin de l'identifier? Tout cela va à l'encontre de notre tradition voulant qu'une personne accusée a le droit de garder le silence et de ne rien dire pour sa défense, tant que le tribunal n'aura pas prouvé sa cause au-delà tout doute raisonnable.
• 1730
Par conséquent, vous devez savoir qu'en conservant cette
disposition, vous vous exposez à des difficultés dans certaines
situations.
Pour ce qui est de l'identification de la voix, envisagez-vous d'écouter la personne secrètement ou de l'enregistrer à son insu afin de pouvoir identifier sa voix, ou envisagez-vous une nouvelle disposition exigeant que la personne accusée fournisse en quelque sorte une empreinte vocale? Voilà un certain nombre de choses dont il faut tenir compte et que le projet de loi ne semble pas prendre en considération. Par conséquent, tenez compte de ces facteurs.
Par ailleurs—comme nous le verrons plus longuement à la fin de ma présentation—tout ceci, ainsi que le reste du projet de loi concerne les personnes handicapées. Or, vous pourrez constater, comme tous les intervenants du système judiciaire eux-mêmes l'ont constaté, que l'on trouve plus de personnes handicapées parmi les accusés que parmi les témoins ou les plaignants dans les affaires pénales. Sur le banc des accusés, on rencontre souvent des déficients mentaux ou physiques et aucune disposition n'est prévue pour protéger leurs droits ou leur donner la possibilité de témoigner d'une manière différente.
Cela étant dit, il y a l'article 153.1 proposé que je ne sais comment qualifier. Est-ce qu'il concerne l'exploitation sexuelle ou l'agression sexuelle? D'après mon interprétation, il vise une infraction qui se situe à mi-chemin entre l'agression sexuelle au sens classique et l'exploitation sexuelle, selon la disposition adoptée par le Parlement au sujet de certaines catégories de personnes d'un certain âge susceptibles d'avoir affaire à d'autres personnes en situation d'autorité ou de pouvoir par rapport à elles.
La présence de cette clause s'explique par le fait que le Parlement a conclu que les jeunes pouvaient être sexuellement actifs. Une fois que l'on reconnaît que les jeunes peuvent être actifs sur le plan sexuel, il reste à déterminer dans quelle mesure ils peuvent être contraints ou incités à avoir des relations sexuelles avec une personne qui est en situation d'autorité par rapport à eux. Dans le cas de cette infraction—je crois que c'est l'article 153 qui s'applique, l'article sur l'exploitation sexuelle des jeunes—certaines limites d'âge sont indiquées. Qu'il y ait consentement ou non, une infraction est commise dès lors qu'elle implique une personne qui se trouve en situation de confiance ou d'autorité par rapport au jeune. Ce sont les critères qui sont retenus pour définir une infraction pour les raisons que j'ai décrites.
Ces infractions semblent adopter les critères retenus pour l'infraction d'exploitation sexuelle, mais mentionnent par la suite l'absence de consentement alors que dans l'article 153 le consentement n'entre pas en ligne de compte; il y a infraction dès le moment où l'activité en question implique une personne en situation d'autorité. C'est l'abus de l'autorité qui constitue une infraction.
Vous adoptez donc les critères de l'article 153, vous précisez qu'il y a absence de consentement et vous ajoutez les termes suivants: «invite quelqu'un à toucher le corps de quelqu'un d'autre». Sauf votre respect, cela ne me paraît pas très logique, Si vous voulez constituer une infraction pour agression sexuelle, il en existe déjà une qui s'applique à tous, personnes handicapées et autres. Par contre, rien ne vous empêche de créer une infraction d'agression sexuelle qui s'applique spécifiquement aux personnes handicapées. Il est possible d'envisager une infraction d'agression sexuelle s'appliquant spécifiquement aux personnes handicapées qui sont incapables de consentir à une activité sexuelle. Une telle infraction permettrait de résoudre ce problème.
• 1735
Par ailleurs, votre document de travail semble considérer
comme une infraction un commentaire obscène formulé par un
employeur à un employé handicapé. Si tel est le but visé par cette
disposition, je crois qu'elle va bien au-delà de tout ce que
prévoit le droit pénal. Un employeur qui propose à une personne
handicapée de son personnel d'avoir des relations sexuelles avec
elle commet une infraction criminelle si cette personne refuse. Je
doute que telle était l'intention de la loi et du Parlement et je
ne pense pas non plus que ce soit l'intention des témoins que vous
avez entendus au nom des personnes handicapées.
Nous ne devons pas traiter les personnes handicapées comme des enfants, comme le suggère l'article 153.1 proposé. Je ne crois pas que les personnes handicapées veulent être considérées comme des enfants ni comme des personnes incapables de décider si elles veulent ou non avoir des relations sexuelles. Je crois même que les défenseurs des droits des personnes handicapées estiment que ces personnes sont seules capables de décider si elles veulent avoir une activité sexuelle normale.
Par conséquent, ce type d'infraction n'a pas sa place. Elle pourrait, à mon avis, causer un préjudice énorme sur le plan de l'activité sexuelle de ces personnes, et ferait également en sorte qu'il serait pratiquement impossible d'aborder le sujet de la sexualité avec une personne handicapée.
Un peu plus tôt, j'ai parlé avec la présidente des relations entre époux et je pense que ce type d'infraction aurait de lourdes conséquences sur ce genre de relations.
Comme je l'avais dit, je vais attirer votre attention sur un certain nombre d'autres questions que vous souhaiterez peut-être examiner.
En ce qui a trait à la modification de la composition des jurys en vertu de la clause 627 proposée, la Criminal Lawyers' Association est bien entendu favorable à la modification du Code criminel ou de la législation provinciale appropriée en vue de permettre aux personnes handicapées de faire partie de jurys, dans la mesure où elles sont capables de se prononcer sur les questions à examiner. Un détail contenu dans votre document de travail risque de poser problème. À la page 10, vous envisagez d'autoriser les aveugles à faire partie d'un jury. C'est une possibilité contre laquelle nous n'avons aucune objection dans certaines circonstances.
Comme je l'ai déjà mentionné, il y a un certain nombre de notions qui s'appliquent dans le cas d'un procès au criminel. Il y a par exemple la détermination de la crédibilité, l'examen du comportement des témoins. Voilà quelque chose qui échapperait à une personne non voyante. Dans un sens, je le souhaiterais, l'idée que la justice est aveugle peut paraître souhaitable, mais il s'avère que cela n'est pas approprié dans certaines situations, par exemple lorsque le comportement est important, ou lorsqu'il faut consulter un gros volume de documents. Il serait peut-être bon d'examiner ces différents points et d'envisager peut-être de demander l'autorisation des parties concernées avant de recruter un juré non voyant. Ce serait une façon d'atténuer ce problème.
Quant à la clause prévoyant l'enregistrement magnétoscopique des déclarations des personnes handicapées, en vertu de l'article 715.2 proposé, il me semble que, dans ce cas également, la loi considère les personnes handicapées comme des enfants. Cette clause s'inspire d'un article analogue qui concerne les enfants.
• 1740
Il y a de bonnes raisons d'appliquer de telles dispositions
dans le cas des enfants. En effet, leurs souvenirs s'estompent
rapidement; ils sont faciles à manipuler ou à influencer lorsqu'ils
sont jeunes; ils oublient ce qu'ils avaient déclaré en premier
lieu; ou, les témoignages occasionnent des confrontations ou des
situations traumatisantes qui peuvent avoir des effets à long terme
sur les jeunes enfants.
Il peut arriver que certains déficients mentaux soient dans le même cas, mais la plupart des personnes handicapées veulent être considérées comme des adultes. Avec tout le respect que je vous dois, il ne me paraît pas approprié que la loi traite littéralement les personnes handicapées comme des enfants.
D'autre part, si une telle disposition est adoptée, pourquoi ne pas l'appliquer également aux accusés? Prenons le cas d'un accusé déficient mental qui souhaiterait faire sa déclaration dès le départ et enregistrer cette déclaration au moment de l'arrestation ou peu de temps après, parce qu'il serait, au moment du procès, incapable de témoigner ou de se souvenir de la situation, en raison de sa déficience mentale. Les règles de la preuve l'empêchent d'utiliser ce genre de formule. Voilà les facteurs que vous devez prendre en considération dans ce cas particulier.
Il y a un dernier point que j'aimerais soulever à ce sujet—point qu'il faudrait peut-être laisser à la discrétion des tribunaux—c'est que vous avez omis de donner une définition de ce qu'est une personne handicapée. Vous l'avez peut-être fait délibérément et je vous souhaite bonne chance, mais, dans une certaine mesure, c'est un aspect important. Ce qui est une déficience pour une personne ne l'est pas nécessairement pour une autre. La définition du handicap est très large.
Ce midi, quand je déjeunais au marché avant de me présenter devant vous, j'ai vu un nain. J'ai rencontré une personne qui ne pouvait parler aucune des langues officielles du Canada. J'ai vu une personne qui boitait et qui marchait en s'appuyant sur une canne. J'ai vu une autre femme qui se déplaçait avec un déambulateur. J'ai vu une personne qui bégayait.
Jusqu'à un certain point, toutes ces personnes sont handicapées. Est-ce que ce genre de handicap serait couvert par l'article 153.1 tel que proposé? Personnellement, je ne saurais le dire, mais il est possible qu'un juge les considère comme des personnes handicapées.
Par conséquent, il vous incombe de réfléchir à une définition appropriée à inclure dans notre Code criminel lorsque vous proposez ce genre de modifications.
En conclusion, je souligne que la Criminal Lawyers' Association appuie sans réserve toute modification accordant aux personnes handicapées un accès égal aux tribunaux, dans la mesure où ces modifications confèrent les mêmes privilèges à une personne handicapée qui se trouve au banc des accusés. Ces modifications doivent également tenir compte des droits de l'accusé à un procès impartial, droits protégés par la Charte, et trouver le juste équilibre entre les droits de la personne handicapée et les droits à un procès impartial. Et souvenez-vous, au moment de rechercher cet équilibre, que la Cour suprême du Canada a prescrit à maintes reprises que c'est le droit à un procès impartial qui doit l'emporter.
La présidente: Merci.
Madame Dalphond-Guiral.
M. Howard Hilstrom (Selkirk—Interlake, Réf.): Mais, d'après le protocole, n'est-ce pas le Parti de la réforme qui doit commencer?
La présidente: Non.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Je vais vous attendre.
[Traduction]
La présidente: Cette fois, c'est madame qui commence.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Merci d'être là. Vous avez fait un certain nombre de commentaires nouveaux, qui n'ont pas été soulevés par les autres témoins que nous avons entendus.
• 1745
Vous avez parlé au début de la
possibilité pour les témoins de témoigner à
l'aide de perceptions sensorielles. On sait que les
perceptions sensorielles, c'est très large. On sentait
très bien que vous aviez en tête autant le droit des
accusés que celui des victimes. Je
pense que c'est le fait d'un grand professionnel.
Vous dites qu'un accusé, par exemple, pourrait refuser de parler pour ne pas s'incriminer par sa voix. À ce moment-là, un accusé aurait-il le droit de porter une cagoule pour ne pas s'incriminer par son visage?
On sait que les gens qui sont privés de l'un des sens développent une acuité absolument exceptionnelle des autres sens. Les gens qui sont aveugles, par exemple, ont une sensibilité tactile absolument extraordinaire, qui ne ressemble en rien à la nôtre, les bien-voyants. C'est la même chose au niveau de l'ouïe. Ils développent une acuité auditive extraordinairement fine.
J'ai bien entendu vos réserves, mais il faudrait peut-être pondérer cette espèce d'inconfort que j'ai senti chez vous.
Vous nous avez ensuite parlé du fameux article 153.1 proposé. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que vous n'êtes pas le premier à en parler. Tout le monde en a parlé, sauf deux ou trois groupes. Ma lecture à moi, et je pense qu'elle rejoint celle que vous en faites, est que cet article 153.1 proposé, tel qu'il est écrit, est une copie conforme de l'article 153 original, sauf que la notion de «sans son consentement» y est inscrite.
Par ailleurs, dans l'article général, l'article 271, on parle d'une agression sexuelle et de la notion de consentement, mais cela s'applique à toute personne adulte. Puis-je déduire de vos propos que vous croyez que l'article de base, l'article 271, est suffisant pour rendre justice à des personnes ayant un handicap? Comme vous l'avez bien dit, il y a plein de gens qui ont des handicaps. Ne serait-ce pas une façon de traiter de façon non discriminatoire les personnes ayant un handicap? Si vous aviez le choix, est-ce que vous décideriez de mettre une grande croix sur 153.1, d'autant que la sanction qui est proposée à 153.1 est de cinq ans alors qu'on parle d'une peine maximale de dix ans à l'article 271?
[Traduction]
M. Irwin Koziebrocki: Je commencerai par dire que ce n'est pas la première fois que l'on me fait remarquer que mon point de vue est différent de celui des autres témoins. C'est généralement ce qu'on me dit.
[Français]
Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Est-ce pour cela que vous venez toujours en dernier?
[Traduction]
M. Irwin Koziebrocki: Probablement.
Cela étant dit, commençons par l'article 153.1 proposé. Si j'avais le choix entre l'article 271 et l'article 153.1 tel qu'il se présente actuellement, je conserverais l'article 271.
Les personnes handicapées font l'objet d'agressions ou d'agressions sexuelles depuis la création du Code criminel et ces infractions dont elles sont victimes relevaient jusqu'à présent de l'article 271 ou de celui qui le précédait.
• 1750
Il y a une quinzaine d'années, le Parlement a décidé de
modifier le Code criminel afin de faire de l'agression sexuelle une
infraction uniforme qui tient compte des innombrables situations
dans lesquelles elle se produit—du simple attouchement sans
consentement jusqu'aux relations sexuelles non consensuelles.
Toutes les possibilités sont envisagées et c'est pourquoi la gamme des sentences possibles pour ce type d'infraction va de la condamnation avec sursis à une peine de dix ans d'emprisonnement. C'est probablement la seule infraction pour laquelle toute la gamme de sentences est appliquée. Dans certains cas, les accusés bénéficient d'un sursis ou même d'un acquittement. Et dans les cas considérés autrefois comme des viols, les accusés peuvent être condamnés à dix ans d'emprisonnement.
Cette disposition s'applique aux personnes handicapées victimes de ce genre d'infractions. C'est une disposition simple et claire. Vous commettez une infraction criminelle dès le moment où vous touchez une autre personne ou avez avec elle une activité visant une gratification sexuelle, sans son consentement, quelle que soit la personne avec laquelle cela se produit.
Sauf votre respect, je ne pense pas que la clause proposée soit à l'avantage des personnes handicapées. C'est une clause alambiquée et difficile. Elle rend très difficile les relations entre époux, connaissances, employeurs et employés. De plus, elle est probablement anticonstitutionnelle si elle inclut, comme votre document semble l'affirmer, les commentaires obscènes.
En tout respect, je pense que la meilleure autre option serait de considérer l'agression sexuelle d'une personne handicapée comme une infraction particulière. Vous pouvez le faire, mais je pense que cela entraînera des problèmes, puisque vous n'avez pas défini ce qu'est une personne handicapée.
Passons maintenant à la première question que vous avez posée. Je reconnais que certaines personnes ont des dons extraordinaires qui leur permettent de saisir des détails ou de faire des choses d'une manière autre que les personnes voyantes. Cela étant dit, il ne faut pas oublier quels sont les droits qui l'emportent en matière de justice pénale. Je dois reconnaître avec vous que même si l'on tente de trouver le juste équilibre entre ces droits, ce sont les droits de l'accusé qui l'emportent.
La présidente: Madame, je vous remercie. Nous avons beaucoup de questions et très peu de temps. Aussi je vais donner la parole à M. Lee, puis à M. MacKay et enfin à M. Hilstrom.
M. Derek Lee: Merci. Je voudrais revenir à l'article 153.1 proposé, qui me pose un problème. D'après votre interprétation, monsieur Koziebrocki, un conjoint pourrait fort bien se retrouver en difficulté. Il pourrait s'agir d'une personne en situation d'autorité.
M. Irwin Koziebrocki: Oui, ce serait certainement quelqu'un avec qui la personne handicapée aurait une relation de confiance sur le plan personnel.
M. Derek Lee: Cela pourrait aussi inclure une personne handicapée qui serait le partenaire ou le conjoint d'une autre personne handicapée.
M. Irwin Koziebrocki: Absolument.
M. Derek Lee: D'accord. Pouvez-vous me dire si l'expression «à des fins d'ordre sexuel» est définie ailleurs dans le Code ou s'il existe une jurisprudence qui nous permettrait, à vous et moi, de savoir ce que cela veut dire?
M. Irwin Koziebrocki: Il y a de la jurisprudence.
M. Derek Lee: C'est assez facile à trouver.
M. Irwin Koziebrocki: Oui; en gros, c'est pour sa propre gratification sexuelle.
M. Derek Lee: D'accord. Donc, cela n'inclut pas nécessairement un simple baiser.
M. Irwin Koziebrocki: Eh bien, certaines personnes pourraient dire que c'est une forme de gratification sexuelle. Il faut voir les circonstances. Je suppose qu'une simple bise ne serait pas classée dans cette catégorie, mais il y a certains genres de baisers et certaines situations qui pourraient l'être. Je laisse cela à votre imagination.
M. Derek Lee: Vous avez parlé de droits et libertés, et plus particulièrement de liberté d'expression, à quelques reprises dans votre mémoire. C'est une question qui me préoccupe moi aussi parce que ce projet de loi semble restreindre la liberté d'une personne, handicapée ou pas, qui pourrait avoir—ou non—une relation sexuelle, familiale ou conjugale déjà existante avec une personne handicapée.
• 1755
Le projet de loi limite la liberté d'expression de cette
personne, ou du moins sa capacité d'inviter, d'engager ou d'inciter
une autre personne à la toucher à des fins d'ordre sexuel, ce qui
se produit pourtant assez souvent entre partenaires.
Je me débrouille très mal avec ma question, mais j'ai l'impression que nous n'avons pas de raisons suffisantes, pour le moment, pour justifier une telle restriction de cette liberté d'expression dont nous jouissons tous. Je comprends que le cas des prédateurs qui profitent des personnes handicapées—pas toujours, mais dans certains cas—pose un problème très grave.
M. Irwin Koziebrocki: Mais ce n'est pas ce que vise ce nouvel article. Regardez bien le texte de l'article et vous verrez qu'il y a là-dedans deux choses incongrues.
D'une part, on dit «sans consentement» et, d'autre part, on parle d'«invitation». Ça ne va pas. Ce qui s'est passé, c'est qu'on a pris une notion visée par l'article 153 et une autre qui se trouve à l'article 271, et qu'on a essayé de mettre les deux ensemble. Mais ça ne fonctionne pas. À l'article 153, le consentement n'entre pas en considération. C'est la situation qui compte, et l'âge de la personne. C'est ce qui constitue l'infraction.
C'est pourquoi vous commettriez un acte criminel si vous étiez un adulte et que vous étiez l'employeur ou le professeur d'une jeune personne de 14 ou 15 ans, ou encore un prêtre ou un entraîneur de base-ball, et que vous l'invitiez à vous toucher à des fins d'ordre sexuel. Même si cette jeune personne vous disait «avec plaisir», «je le veux» ou «je suis à toi pour la vie», cela n'aurait aucune importance. C'est la situation vous ayant permis d'en arriver là qui constituerait l'infraction.
À l'article 271, l'acte criminel consiste à faire un geste à caractère sexuel sans consentement. C'est pour cela... Dans ces deux articles, on a essayé de mettre ensemble des choses qui ne vont pas ensemble.
M. Derek Lee: D'accord. Vous pensez qu'il pourrait y avoir des contestations en vertu de la Charte. Pensez-vous que cet article risque vraiment de poser un problème en tant que tel ou si ce serait seulement dans certaines situations?
M. Irwin Koziebrocki: Je ne sais même pas si ce serait contestable en vertu de la Charte ou si c'est simplement illogique. Les deux termes désignent deux réalités différentes.
M. Derek Lee: D'accord.
La présidente: Monsieur Lee, je suis désolée, mais nous n'avons pas beaucoup de temps et je veux laisser la parole à M. MacKay, à M. Hilstrom et à Mme Finestone.
M. Derek Lee: Vous avez parfaitement bien choisi votre moment. J'ai posé mes trois questions. Merci.
La présidente: Merci.
Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Merci, madame la présidente et monsieur Koziebrocki. Votre présentation a été très intéressante, comme toujours.
M. Irwin Koziebrocki: Merci, monsieur.
La présidente: Attention—c'est un procureur de la Couronne!
M. Peter MacKay: J'ai seulement quelques brefs commentaires à faire.
M. Irwin Koziebrocki: Je l'ai déjà été.
La présidente: Moi aussi.
M. Peter MacKay: J'approuve entièrement votre analyse de cet article. Quand je regarde l'article 153 dans sa forme actuelle, j'ai l'impression que nous sommes en train de créer une nouvelle infraction spécifique plutôt que de suivre la tendance que la plupart des procureurs de la Couronne préféreraient probablement, c'est-à-dire, comme vous le suggérez, de nous contenter de l'infraction générale prévue à l'article 271, sauf dans le cas de commentaires obscènes qui ne seraient pas visés par cet article.
Il me semble que c'est un autre pas vers une approche cartésienne, qui fait qu'on explique tout en termes très précis; or, nous savons vous et moi, puisque nous sommes avocats, que les procureurs de la Couronne préfèrent généralement ne pas avoir à prouver plus d'éléments de l'infraction qu'il n'en faut.
M. Irwin Koziebrocki: Certainement.
M. Peter MacKay: Mais laissons cela pour le moment. Je voudrais vous poser quelques petites questions sur le recours à un interprète ou à quelqu'un d'autre qui accompagnerait une personne ayant un handicap auditif, visuel ou mental. Recommanderiez-vous que ce quelqu'un soit nommé par la cour, par exemple par un avocat indépendant? Ce qui me préoccupe, je suppose, c'est de savoir qui serait ce treizième juré, en quelque sorte, ou cette personne qui devrait se présenter à la barre pour aider la victime à témoigner.
• 1800
Ce que vous avez dit au sujet de la possibilité de permettre
à un accusé d'avoir recours à un interprète ou à un ami de la cour
est très judicieux également. Je reprends votre exemple d'un bègue
qui ne voudrait pas témoigner devant un juré affligé d'un défaut
d'élocution et qui souhaiterait par conséquent que quelqu'un parle
en son nom.
Cet exemple soulève toute la question du choix de cette personne qui serait présente en cour. Je pense que c'est une bonne idée, mais qui déciderait de qui il s'agit?
M. Irwin Koziebrocki: En fait, quand j'ai lu ce projet de loi, j'ai tout de suite pensé à Stephen Hawking, qui est probablement l'homme le plus brillant au monde; pourtant, personne ne le comprend. Il se fait accompagner d'un interprète; je suppose qu'il s'agit de son interprète personnel, qui a passé énormément de temps à essayer de comprendre sa façon de s'exprimer et qui est probablement une des seules personnes au monde qui soient capables de comprendre ce que cet homme génial a à dire.
La cour pourrait difficilement nommer quelqu'un dans ce genre de situation. Je pense qu'il faudrait régler chaque cas individuellement. Il y aurait des cas où les tribunaux devraient nommer une personne pour être certains de son indépendance.
Ceux d'entre nous qui ont déjà fréquenté les tribunaux ont tous connu des cas où des gens amenaient leur propre interprète avec eux. C'est un processus très intéressant.
Je dirais donc que, pour la plupart des cas, les juges auraient une banque de gens sur qui ils pourraient compter, qui auraient reçu une accréditation des tribunaux. Ils pourraient avoir recours à une de ces personnes dans ce genre de situation. Dans le cas d'un juré, ce serait quelqu'un qui a l'expérience des tribunaux et qui jouit de la confiance de la cour.
Il y aura toujours des cas particuliers où quelqu'un devra avoir son propre interprète. C'est sans doute le juge qui devra alors décider, probablement par voir-dire, si cette personne a la compétence voulue pour assurer l'interprétation, si elle peut être considérée comme étant de bonne foi, et si elle est prête à se montrer franche et honnête avec la cour. Il faudra donc improviser, en quelque sorte.
M. Peter MacKay: Une autre question, très rapidement. Pensez- vous que cela ouvre la porte à une situation où, pour reprendre encore une fois certains de vos exemples, un accusé pourrait être autorisé à faire une déclaration digne du KGB plutôt que de se présenter à la barre pour assurer sa propre défense?
M. Irwin Koziebrocki: Ce serait extrêmement rare, à mon avis. Je veux parler par exemple d'un cas où un avocat dirait qu'une personne souffre de schizophrénie paranoïde et qu'elle sera par conséquent incapable de se rappeler dans deux jours ce qui lui est arrivé hier. La plupart d'entre nous avons ce problème, mais dans certains cas, c'est à cause d'un problème médical. L'avocat voudrait donc le préciser au tribunal. Il n'y a rien qui prévoit ce genre de chose actuellement. Ce serait peut-être approprié.
La plupart des avocats de la défense—je dois être honnête à ce sujet et vous dire toute la vérité, je suppose—préfèrent généralement que leurs clients ne disent pas un mot et ils ont peur jusqu'à la dernière seconde de ce que ces clients vont raconter à la barre des témoins. Mais, dans de rares exceptions, ils veulent plutôt que les faits soient rendus publics le plus rapidement possible.
M. Peter MacKay: Pour finir, l'article 153 actuel—je me demande quelle serait la réaction... Que diriez-vous d'ajouter simplement à l'article actuel les mots «toute personne qui est en situation d'autorité ou de confiance vis-à-vis d'une jeune personne ou d'une personne ayant une déficience»? Il s'agirait ensuite, comme vous le dites, de définir ce qu'est une déficience. L'article définit évidemment ce qu'est une jeune personne. Donc, plutôt que de créer un nouvel article, le 153.1, pourquoi ne pas ajouter simplement quelque chose de ce genre si c'est bien ce que vise le projet de loi?
M. Irwin Koziebrocki: J'y ai déjà pensé; c'est une possibilité. Mais il faut faire très attention. Comme je l'ai dit dans mon mémoire, cela reviendrait à traiter les personnes handicapées comme des enfants, ce qu'elles ne sont pas. En fait, elles le sont dans certains cas, si leur déficience leur donne l'âge mental d'un enfant, et si elle les fait agir et leur fait comprendre les choses comme un enfant. Elles peuvent alors très bien se classer dans cette catégorie et se retrouver vis-à-vis de quelqu'un qui est situation d'autorité—je veux parler des personnes atteintes du syndrome de Down, par exemple.
Mais une personne de 37 ans qui se déplacerait en fauteuil roulant, qui siégerait à la Cour suprême et qui serait tout à fait capable de dire oui ou non à son patron ne pourrait pas être incluse dans cette catégorie. Ce serait une personne handicapée, mais elle ne voudrait certainement pas être visée par cet article. Et elle ne devrait pas l'être. Vous créeriez de sérieux problèmes si vous décidiez que cet article s'applique à ce genre de personne.
M. Peter MacKay: Dans ce sens-là, est-ce que le simple fait de créer un tout nouvel article applicable aux personnes ayant une déficience quelconque... Je n'irais pas jusqu'à dire que c'est méprisant, mais pourquoi ne pas appliquer les dispositions générales sur les agressions sexuelles et dire que la déficience constitue une circonstance aggravante?
M. Irwin Koziebrocki: C'est exactement ce que j'ai dit.
La présidente: Monsieur MacKay, j'ai l'impression que vous vous dites la même chose que moi, puisque nous avons été tous les deux procureurs de la Couronne—et la même chose que M. Koziebrocki, qui l'a été lui aussi—, à savoir que si la police venait me voir avec cet article, je dirais: «Je préfère que vous appliquiez les dispositions générales sur les agressions parce que cet article est un véritable cauchemar et que je veux gagner ma cause.»
Monsieur Hilstrom.
M. Howard Hilstrom: Je vais vous parler selon le point de vue d'un policier qui a passé 30 ans dans la GRC. J'ai eu beaucoup de contacts avec des criminalistes et... Je suis loin d'être toujours d'accord avec vous, mais je le suis certainement aujourd'hui.
M. Irwin Koziebrocki: Je suis heureux de vous l'entendre dire.
La présidente: C'est inquiétant!
M. Howard Hilstrom: Oui, et je suppose que la Criminal Lawyers' Association n'a rien eu à dire au sujet de ce projet de loi. Avez-vous été consultés, officiellement ou non?
M. Irwin Koziebrocki: Je ne voudrais surtout pas me tromper; je ne pourrais pas vous dire. J'ai ici une note de service datée du 16 mars 1994, dans laquelle nous répondons aux modifications proposées au Code criminel et à la Loi sur la preuve au Canada au sujet des personnes handicapées. Donc, oui, nous avons été consultés aux étapes initiales, avant que le projet de loi soit rédigé; il y avait des propositions plus nombreuses à l'époque.
La présidente: Avez-vous présenté à ce moment-là certains des commentaires que vous nous avez présentés ici, pour préciser certaines choses?
M. Irwin Koziebrocki: Je n'en suis pas sûr, mais je pense que oui.
La présidente: Bien.
M. Howard Hilstrom: Je pense que vous nous avez exposé la situation très clairement dans votre présentation d'aujourd'hui.
Ma dernière question est donc la suivante: nous allons continuer à examiner les modifications à proposer, mais pensez-vous qu'il soit raisonnable de croire que nous pourrons arriver à quelque chose sans nous exposer à des contestations pendant les cent prochaines années? Ou alors, devrions-nous remettre tout le projet de loi sur le métier, si je puis dire, pour régler les questions que vous avez soulevées ici? Pourrions-nous arriver à quelque chose avec les conseils d'un avocat ou si le projet de loi est tellement boiteux qu'il risque d'entraîner des contestations jusqu'à la fin des temps?
M. Irwin Koziebrocki: Comme je l'ai dit dès le départ, il est utile que vous abordiez ces questions. Nous ne nous y opposons certainement pas. Il y a des éléments importants dans ce projet de loi, par exemple la sélection de personnes handicapées comme jurés et leur droit de témoigner par des moyens non traditionnels pour que leur cause soit entendue devant les tribunaux. Mais à mon humble avis, vous ne rendriez service à personne en créant une infraction pour le simple plaisir de la chose.
La présidente: Merci, monsieur Hilstrom.
Avant que vous commenciez, madame Finestone...
Monsieur Koziebrocki, vous voulez prendre l'avion de 19 heures?
M. Irwin Koziebrocki: S'il est encore là.
La présidente: Voulez-vous que nous vous appelions un taxi de manière à ce qu'il vous attende à la porte quand vous aurez fini?
M. Irwin Koziebrocki: Ce serait bien.
La présidente: Parfait.
Allez-y, madame Finestone.
L'honorable Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Tout d'abord, pour poursuivre la discussion sur l'article 153.1 proposé, pensez- vous qu'il y ait des choses qui auraient pu être incluses dans l'article 271—ou qui devraient l'être—afin de préciser la situation et de définir la notion de «personne handicapée»?
En écoutant tout le débat sur cette question au cours des derniers jours, ou des dernières semaines, je me suis demandé si ce n'était pas tout simplement une réaffirmation comme dans le cas de la mutilation des organes génitaux féminins, qui était déjà visée par le Code criminel. Nous avons ajouté un nouvel article à ce sujet-là pour que tout le monde sache bien que c'est là. Je me demande si ceci est bien nécessaire ou si nous pourrions simplement réaffirmer que l'article 271 s'applique aux personnes handicapées.
M. Irwin Koziebrocki: L'article 271 est probablement le plus simple qui soit, en ce qui concerne les infractions criminelles, à part... Je ne dirais pas «Tu ne tueras point» parce que c'est bien plus complexe.
C'est très simple. L'article dit que quiconque commet une agression sexuelle est coupable d'une infraction.
L'hon. Sheila Finestone: D'accord.
M. Irwin Koziebrocki: Il s'applique à tout le monde, quelle que soit la victime de l'agression. Tout le monde est couvert. Il n'est pas nécessaire d'ajouter un groupe en particulier pour préciser qu'il est inclus. Tout le monde est inclus, il me semble. Cet article n'exclut personne.
L'article que vous avez ajouté sur la mutilation féminine était un peu différent. Il y a des gens, ici même et dans le monde entier, qui ne pensaient pas qu'il s'agissait d'un acte criminel, qui n'y voyaient pas une infraction sexuelle, qui considéraient cela comme un rite religieux. Mais, d'après les normes propres à notre communauté, nous avons décidé que ce n'était pas le cas, que c'était un acte criminel, et c'est pourquoi nous avons dû le préciser clairement, pour être certains que tout le monde le comprenne.
L'hon. Sheila Finestone: Je pense aux témoins qui ont comparu devant nous et qui approuvaient l'article 153.1 proposé; ils nous ont décrit très clairement les problèmes que connaissent les personnes handicapées, surtout celles qui sont confinées à leur lit ou qui ont des déficiences graves. Ces témoins ne semblaient avoir aucune hésitation quant à l'importance de cette disposition.
Le texte français semble plus clair que le texte anglais, en ce qui concerne la contradiction entre la notion de consentement et la notion d'«invitation», et la possibilité de commettre un crime parce que cette notion d'invitation n'est pas claire.
Si nous faisions ce que vous proposez—c'est-à-dire appliquer l'article 271—, est-ce que nous supprimerions un élément qui semble réconfortant pour les personnes handicapées qui ont témoigné devant nous?
M. Irwin Koziebrocki: Je peux vous donner le point de vue de quelqu'un qui traite régulièrement de questions juridiques devant les tribunaux...
L'hon. Sheila Finestone: Avez-vous affaire aussi à des personnes handicapées?
M. Irwin Koziebrocki: Bien sûr.
L'hon. Sheila Finestone: Bon.
M. Irwin Koziebrocki: Comme je suis avocat de la défense, j'ai beaucoup de clients qui sont handicapés d'une manière ou d'une autre.
L'hon. Sheila Finestone: Excusez-moi, avant que vous terminiez votre réponse—parce que j'aimerais avoir votre avis là-dessus et que le temps presse—, vous avez dit quelque chose que j'ai trouvé très important au sujet des accusés et des victimes. Est-ce que c'est assez général pour couvrir à la fois l'accusé et la victime? Et en même temps, est-ce que cela satisferait les personnes handicapées?
M. Irwin Koziebrocki: Je ne suis pas certain...
L'hon. Sheila Finestone: Vous avez dit que beaucoup d'accusés étaient des personnes handicapées.
M. Irwin Koziebrocki: C'est exact.
L'hon. Sheila Finestone: Oui. Et vous avez dit qu'à votre avis, il y avait un conflit entre les dispositions actuelles et celles qui ont été proposées. Ce conflit vous inquiétait un peu.
M. Irwin Koziebrocki: Oui; pas en termes...
L'hon. Sheila Finestone: Si vous dites que l'article 271 couvre tout le monde, est-ce que cela inclurait les accusés et les victimes, au cas où nous voudrions mettre en relief les difficultés particulières que connaissent les personnes handicapées?
M. Irwin Koziebrocki: L'article 271 s'applique à tous les accusés, qu'il s'agisse de personnes physiquement aptes ou de personnes handicapées. Toute personne qui aurait commis cette infraction serait accusée, qu'elle soit handicapée ou non.
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Il s'applique aussi à tous les plaignants et à toutes les
victimes, selon le point de vue où on se place, qu'ils soient
physiquement aptes ou handicapés. Cet article vise tout le monde.
Les problèmes commencent avec les autres articles qui prévoient des
dispositions particulières pour les personnes handicapées en tant
que témoins ou plaignants, mais pas nécessairement en tant
qu'accusés, par exemple la disposition sur les enregistrements
vidéo dont je vous ai parlé.
L'hon. Sheila Finestone: Est-ce que c'est surtout le fait que nous avons infantilisé les gens ou que nous les avons privés de leurs privilèges d'adultes en les soumettant à l'article 153, par la création de l'article 153.1, qui vous préoccupe? Est-ce que c'est votre principale réserve?
M. Irwin Koziebrocki: Ce qui me préoccupe le plus, c'est que l'article 153.1 proposé crée une infraction tout à fait inhabituelle, qui va nous compliquer la vie pour les raisons que je vous ai expliquées.
Pour en revenir à votre autre question, il est normal que des gens viennent vous parler avec beaucoup d'émotion parce que c'est vraiment une situation chargée d'émotivité. N'importe quelle personne handicapée, ou n'importe quelle personne qui a une personne handicapée dans sa famille, vous parlera avec passion de ce genre de situation et essaiera d'obtenir tout ce qu'elle peut pour couvrir autant que possible tous les angles, du moins à son point de vue. Il est évident que vous allez entendre des gens vous dire que c'est une excellente disposition et qu'il faut l'adopter. Mais si vous le faites, vous devez également songer aux situations que vous allez créer.
L'hon. Sheila Finestone: Je ne sais pas si vous voulez dire que nous devrions supprimer cet article ou le laisser là; mais ça va.
Ma deuxième question se rapporte au commentaire que vous avez fait sur le paragraphe 6(1) proposé, au sujet de la possibilité qu'une victime ou un témoin... Dans ce cas-ci, il s'agit du témoin; vous avez parlé de la possibilité qu'une victime qui serait handicapée soit invitée à identifier un suspect visuellement ou à l'aide d'un autre de ses sens. Est-ce que cette disposition pourrait poser un problème d'auto-incrimination?
M. Irwin Koziebrocki: Je pense que oui.
L'hon. Sheila Finestone: Aimeriez-vous qu'elle soit élargie? Ce n'est pas la première fois que ce projet de loi fait le tour de l'horloge. Il vient de nous revenir du Sénat, et il me semble que, s'il y avait un problème sérieux, les sénateurs s'en seraient rendu compte. Mais vous me dites que les sénateurs, après mûre réflexion, n'ont rien trouvé. J'aimerais bien que vous nous disiez ce que nous devrions en faire.
M. Irwin Koziebrocki: Cette disposition prévoit qu'une personne peut identifier l'accusé. Il s'agit donc d'accorder ce droit à quelqu'un d'autre que l'accusé. La disposition vise spécifiquement les victimes, selon toute vraisemblance, mais pas nécessairement. Il pourrait s'agir de quelqu'un qui a assisté à un incident et qui est appelé à témoigner, par exemple un témoin d'un vol, d'une fusillade ou de quelque chose du genre. Cette personne pourrait se servir de moyens non traditionnels pour identifier l'accusé.
La police pourrait par exemple préparer une séance d'identification vocale et faire jouer des bandes sonores à certaines personnes; cela pourrait être un moyen d'identification. Mais si le témoin s'amenait à la barre et que le procureur de la Couronne demandait au juge l'autorisation de lui faire lire à haute voix un texte écrit sur un bout de papier, pour procéder à une identification vocale...
La présidente: «Ceci est un vol à main armée. Donnez-moi votre argent.»
M. Irwin Koziebrocki: Exactement. Ou alors, il pourrait s'agir d'une séance d'identification traditionnelle avec plusieurs suspects.
L'hon. Sheila Finestone: Alors, est-ce que nous devrions supprimer cette disposition, la clarifier ou la modifier?
M. Irwin Koziebrocki: Il faudrait certainement la clarifier parce qu'elle pourrait entraîner des problèmes de ce genre.
La présidente: Monsieur Koziebrocki, vous êtes sauvé par la cloche. Nous devons aller voter.
Merci infiniment.
M. Irwin Koziebrocki: Ce fut un plaisir.
La présidente: La séance est levée.