JURI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 23 mars 1999
Le président (M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.)): Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne reprend ses travaux.
Les témoins de ce matin sont M. Steve Sullivan, directeur général du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, et M. Gary Rosenfeldt, directeur général de Victims of Violence Canadian Centre for Missing Children.
Messieurs, nous allons vous donner une dizaine de minutes pour faire vos exposés, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.
Monsieur Rosenfeldt, voulez-vous commencer?
M. Gary Rosenfeldt (directeur général, Victims of Violence Canadian Centre for Missing Children): Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis très heureux de pouvoir m'adresser à vous.
Je tiens d'abord à remercier le comité de nous avoir invités à témoigner.
La question de la réhabilitation retient régulièrement l'attention de notre organisation depuis plusieurs années. Nous en discutons fréquemment parce que nos membres se demandent constamment s'il convient d'accorder la réhabilitation à quiconque a été trouvé coupable de violence sexuelle envers un enfant.
Les objectifs de notre organisation comprennent notamment la prévention de la criminalité contre les enfants et la prestation d'une aide aux victimes de crimes avec violence. À titre de directeur de l'organisation, je suis appelé à rencontrer quotidiennement des victimes d'actes criminels. Je reçois constamment des appels téléphoniques de victimes d'un bout à l'autre du pays. Notre bureau, au 211 avenue Pretoria, est quasiment devenu un centre d'accueil de victimes. Il n'est pas rare que des familles de victimes d'homicide ou des hommes victimes d'agression sexuelle y viennent directement pour obtenir des conseils.
Nous publions par ailleurs un bulletin auquel sont abonnées plus d'un millier de personnes de tout le pays. L'une des principales préoccupations des gens qui nous écrivent ou que nous rencontrons quotidiennement dans nos bureaux concerne les pédophiles. Je précise que nous avons un service de recherche très étoffé qui se penche depuis longtemps sur le problème des gens qui commettent des crimes contre des enfants innocents.
Après cette introduction, vous comprendrez que le projet de loi de M. Lowther, le C-284, a immédiatement attiré notre attention quand nous en avons entendu parler. Il vise en effet à protéger les enfants, et j'ajoute que nous avons beaucoup apprécié les positions prises par le Solliciteur général à ce sujet dans le contexte de projets de loi apparentés qui sont passés devant la Chambre des communes ces dernières années. Cela dit, la position de notre organisation a toujours été et sera toujours qu'aucune personne reconnue coupable d'agression sexuelle contre un enfant ne devrait pouvoir obtenir de réhabilitation, en aucune circonstance.
• 0915
Cette position s'explique très facilement. Nos recherches,
confirmées par de nombreuses autres, ne cessent de montrer que les
gens qui commettent ces crimes n'ont dans la plupart des cas aucun
remords. Ils ont la conviction que ce qu'ils font est juste et
acceptable, que c'est une forme d'expression de leur amour envers
les enfants.
Pour la plupart des Canadiens, je suis sûr que devoir discuter de cette question est foncièrement insupportable. Les gens ne veulent pas en parler. D'après nous, les auteurs de ces crimes expriment de cette manière une préférence sexuelle que l'on ne peut pas changer. Nous ne pensons pas qu'il existe une thérapie ou un système quelconque qui puisse résoudre le problème de ces individus.
La question qui se pose est de savoir quoi en faire. Eh bien, nous avons dans notre pays toutes sortes de méthodes pour nous en occuper. Par exemple, la personne qui vole de l'argent peut être emprisonnée à vie, mais elle peut aussi obtenir une réhabilitation au bout de cinq ans. D'après nos informations, les détenus qui s'adressent à la Commission nationale des libérations conditionnelles ont 99 p. 100 de chances d'obtenir une réhabilitation, quel que soit le crime qu'ils aient commis.
Si tel est le cas, on peut penser que Paul Bernardo et Clifford Olson ont probablement eux aussi de bonnes chances d'obtenir un jour leur réhabilitation de la Commission nationale des libérations conditionnelles.
En réalité, l'octroi de la réhabilitation est quasi automatique. De ce fait, même des criminels coupables d'agression sexuelle peuvent retourner dans la société sans que celle-ci le sache.
Comparons ce cas à celui d'une personne qui a volé de l'argent. Supposons qu'il s'agisse d'un comptable qui aurait volé l'argent d'un fonds de fiducie. S'il est condamné à une peine de prison, il peut demander sa réhabilitation au bout de cinq ans. Toutefois, la société continue de le sanctionner à vie car il ne pourra jamais exercer à nouveau sa profession. Il ne sera jamais autorisé à nouveau à manipuler de l'argent. De fait, il lui sera peut-être même difficile d'obtenir un emploi à Sears s'il a accès à une caisse enregistreuse. Cela s'explique facilement: au Canada, pour obtenir un emploi concernant de l'argent, il faut être cautionné.
La même chose vaut pour un avocat qui aurait été radié du Barreau pour avoir volé de l'argent à son employeur. En le radiant, on le prive de son gagne-pain. Autrement dit, on le sanctionne à vie. Certes, il obtiendra peut-être aussi une réhabilitation au bout de cinq ans mais cela ne veut pas dire qu'il pourra réintégrer le Barreau. Cette sanction restera avec lui jusqu'à la fin de ses jours.
Que faisons-nous par contre avec les gens qui commettent un crime envers nos possessions les plus précieuses, nos enfants? Nous les faisons entrer dans un système de porte-tournante qui leur permet de recouvrer la liberté à très brève échéance.
Nous en avons eu un cas exemplaire ici même, à Ottawa, la semaine dernière, où un homme condamné pour avoir molesté neuf jeunes garçons innocents a obtenu une peine conditionnelle d'un an ou de deux ans. De toute façon, un an, deux ans ou cinq ans, quelle différence y a-t-il si c'est une peine conditionnelle? Il ne passera pas une seule journée en prison. En outre, il pourra demander sa réhabilitation. En fait, il l'a déjà obtenue. Il avait en effet déjà commis un crime pour lequel il avait obtenu sa réhabilitation. Autrement dit, lorsqu'il se retrouvera à nouveau devant les tribunaux, il demandera une autre réhabilitation et il aura à nouveau accès aux enfants. Voilà le problème que posent ces individus.
D'après nous, la prison n'est peut-être même pas un endroit adéquat pour ce genre de personne. À preuve, le cas de Joseph Fredericks, un malade mental. Il souffrait depuis longtemps de maladie mentale grave et il avait enlevé et molesté des enfants.
• 0920
Quand un individu comme cela est arrêté et qu'il obtient
ensuite la libération conditionnelle, il récidive. Il enlève des
enfants, il les viole. Il a assassiné le jeune Christopher
Stephenson. On l'a donc arrêté de nouveau et on l'a renvoyé en
prison avec une peine d'incarcération à vie. Quand il a demandé à
être placé dans la population carcérale générale, d'autres détenus
l'ont assassiné.
Il convient donc de se demander si l'on a raison d'envoyer des pédophiles ou des prédateurs sexuels en prison. En effet, les autres détenus les méprisent et on est obligé de les séparer de la population carcérale. Comme on l'a vu dans le cas de Joseph Fredericks, cette séparation ne marche pas toujours.
Peut-être devrions-nous envisager un type spécial d'établissement carcéral? Peut-être avons-nous besoin d'un plus grand nombre de centres psychiatriques régionaux comme il y en a à Saskatoon? Nous parlons en effet ici de cas très difficiles à traiter, de personnes qu'on ne peut pas guérir et qui souffrent de graves troubles mentaux. Ce sont des personnes qui ne se conforment pas aux règles sociales et qui sont extrêmement dangereuses.
Il y a quelques années, une étude a été effectuée en Californie au sujet de pédophiles non incarcérés, et l'on a constaté qu'ils faisaient en moyenne plus de 200 victimes pendant toute leur vie.
Notre organisation tient donc à exprimer son appui au projet de loi C-284 d'Eric Lowther, si le comité juge bon de ne pas abolir complètement l'octroi de la réhabilitation à tous les agresseurs sexuels. Voilà notre position ultime: il faut tout simplement éliminer la réhabilitation.
Pour ce qui est du projet de loi du gouvernement, le projet de loi C-69, je l'ai lu attentivement et j'apprécie les remarques formulées par M. Scott Newark, avocat du Bureau de l'Ontario pour les victimes de crimes. Il a envoyé une lettre de cinq ou six pages à tous les membres du comité au sujet de ce projet de loi.
Je suis d'accord avec lui. On va se retrouver avec un labyrinthe bureaucratique impossible à maîtriser. Il est inévitable que des erreurs seront commises, et ce seront probablement des enfants innocents qui en seront victimes.
Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Rosenfeldt.
Monsieur Sullivan.
M. Steve Sullivan (directeur général, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes): Merci, monsieur le président.
Je tiens moi aussi à exprimer l'appui de notre organisation au projet de loi C-284. Je crois pouvoir dire que son principe fondamental est très bon. À preuve, il a été approuvé par tous les partis. C'est en tout cas de cette manière que j'interprète le dépôt récent du projet de loi C-69 par le gouvernement. Certes, il y a des différences entre les deux textes du point de vue des procédures mais le principe fondamental est bon.
Le but visé est également simple et justifié—en vertu du projet de loi C-284, permettre aux organismes s'occupant d'enfants d'obtenir des informations pertinentes sur au sujet des antécédents sexuels et particuliers, notamment de toute infraction commise contre les enfants.
Il me semble important de souligner que le groupe cible dont nous parlons ici est relativement petit. Il s'agit des personnes qui non seulement ont été condamnées pour avoir commis une infraction sexuelle contre des enfants mais aussi qui souhaitent obtenir un emploi de confiance auprès des enfants. Il ne s'agit donc pas simplement de tous les délinquants sexuels sollicitant n'importe quel type d'emploi. Il s'agit seulement des emplois reliés à la prestation de soins aux enfants.
Je suppose que nous aborderons pendant la période des questions les différences qui existent entre les deux projets de loi. Suite à un bref examen du projet C-69, je crois pouvoir dire que les deux principales différences sont les suivantes: a) plus de latitude dans le projet de loi C-69 que dans le projet de loi C-284 quant au droit de ne pas divulguer les informations—la divulgation étant obligatoire dans le deuxième texte—et b) un amendement à la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Comme vous le savez, c'est dans le projet C-284 que l'on envisage d'apporter un amendement à cette Loi et je me demande pourquoi on ne trouve pas de proposition similaire dans le texte du gouvernement. Peut-être a-t-on jugé que cela n'est pas nécessaire mais il me semble que c'est une question sur laquelle le comité devrait se pencher attentivement.
L'un des principaux problèmes que posent les deux projets, comme l'indiquait la semaine dernière l'Association canadienne des policiers, est relié à notre CIPC. En effet, le Centre d'information de la police canadienne est au bord de la saturation et, si l'on décide d'y intégrer encore plus de nouvelles informations sans lui donner les ressources nécessaires, on court à la catastrophe.
• 0925
À mon sens, les deux projets de loi portent sur la
réadaptation des agresseurs d'enfants. Or, les recherches montrent
que le taux de récidive ne reflète pas exactement le nombre
d'infractions commises par ces agresseurs. En tout cas, des
recherches effectuées par le ministère du Solliciteur général ont
révélé que, plus on suit attentivement l'évolution des personnes
condamnées pour agression sexuelle contre des enfants, plus on
constate de risque de récidive. Dans une période de suivi de 15 à
30 ans, on a enregistré un taux de nouvelles condamnations de
42 p. 100. Toutefois, ce chiffre ne tient pas compte des
infractions qui n'ont jamais été portées à l'attention de la police
ou qui n'ont pas produit de condamnations.
En outre, on peut lire dans la même étude que:
-
Des politiques spéciales sont peut-être nécessaires en ce qui
concerne l'octroi de la réhabilitation aux agresseurs d'enfants car
ils risquent de récidiver pendant de nombreuses années et il ne
semble y avoir aucune période claire à partir de laquelle ce risque
serait substantiellement réduit.
Cette remarque me semble très importante pour votre comité au moment où il entreprend son étude des deux projets de loi. Elle veut dire en effet que nous traitons ici d'un petit groupe de gens dont nous ne savons pas si nous pouvons vraiment les guérir ou les réadapter, malgré nos meilleurs efforts et nos meilleures recherches. De fait, je pense que les experts expriment encore des avis partagés au sujet de l'efficacité réelle du traitement des prédateurs sexuels—étant bien entendu qu'il peut aussi y avoir des différences entre les différentes catégories de ces prédateurs.
M. Rosenfeldt parlait tout à l'heure d'un individu d'Ottawa qui s'est vu infliger une peine conditionnelle, c'est-à-dire qu'il a en fait obtenu la réhabilitation. Ce qui m'a frappé, dans cette affaire, c'est que c'est l'accusé lui-même qui a signalé au tribunal qu'il avait déjà obtenu une réhabilitation dans le passé, à l'étape de la sentence. S'il ne l'avait pas dit, le juge n'en aurait rien su, à en croire les journaux.
Je trouve cela très surprenant. Je ne suis pas sûr que cela relève du projet de loi dont nous sommes saisis mais c'est manifestement quelque chose que nous devons garder à l'esprit quand nous parlons de réhabilitation. En effet, il est tout à fait possible que le tribunal chargé de fixer la peine d'un agresseur sexuel n'ait aucune idée que celui-ci est en fait un récidiviste.
Je répète que nous parlons ici d'un tout petit groupe de gens. Il ne s'agit pas seulement des prédateurs sexuels souhaitant obtenir un emploi de laveur de vitre ou d'éboueur. Il s'agit de gens qui veulent travailler directement auprès des enfants. Je crois comprendre que le projet de loi du gouvernement va un peu plus loin que cela mais le groupe de personnes touchées n'en reste pas moins minime.
Le but visé est de mieux protéger nos enfants, mais ça ne veut pas dire que nos enfants ne vont plus courir aucun risque. Ça ne veut pas dire qu'un agresseur d'enfants qui n'a jamais été condamné ne pourra pas solliciter un poste de confiance. Donc, même si ces projets de loi ne constituent pas encore la solution totale au problème, ils représentent un pas en avant utile.
Votre comité a déjà montré qu'il est prêt à oeuvrer dans un esprit d'unité pour améliorer le système, notamment dans le cas de son récent rapport sur les droits des victimes. Vous avez maintenant une nouvelle occasion d'oeuvrer dans cet esprit avec deux projets de loi qui partagent le même but, même s'ils proposent des méthodes différentes. Comme ce n'est pas là un obstacle insurmontable, j'ai la conviction que vous trouverez la bonne solution.
J'en reste là, monsieur le président, afin de pouvoir répondre à vos questions.
Le président: Merci, monsieur Sullivan.
Monsieur Lowther.
M. Eric Lowther (Calgary-Centre, Réf.): Merci, monsieur le président.
Je suis heureux d'avoir entendu ces deux témoins et je dois dire que nous partageons leurs préoccupations à l'égard des victimes.
Après avoir comparé les deux projets de loi, monsieur Sullivan, vous êtes parvenu à la conclusion que la démarche envisagée dans le projet de loi C-69 pourrait déboucher sur un «labyrinthe bureaucratique», pour reprendre votre expression.
Pourriez-vous nous expliquer pourquoi?
M. Steve Sullivan: En fait, c'est M. Rosenfeldt qui a parlé de labyrinthe bureaucratique. Si je comprends bien, il voulait dire par là que le projet de loi du gouvernement allait créer de nouveaux paliers de décision et, en tout cas, donner plus de latitude en matière de divulgation des informations, alors que celle-ci est rendue obligatoire dans le C-284.
Si notre objectif est de faire en sorte que les organismes oeuvrant auprès des enfants soient correctement informés au sujet de ce type de contrevenants, on peut se demander pourquoi la divulgation n'est pas rendue obligatoire dans le projet du gouvernement. En ce qui nous concerne, c'est la méthode envisagée dans le C-284 que nous préférons, c'est-à-dire la divulgation obligatoire.
Nous pensons d'ailleurs que les organismes concernés seront capables de prendre les décisions voulues lorsqu'ils auront reçu les informations. Par exemple, si quelqu'un a été condamné il y a 30 ou 40 ans et que l'on a des raisons de penser qu'il a changé son comportement, je pense que la plupart des organismes seront assez responsables pour lui donner la chance de s'expliquer et qu'ils s'efforceront de lui trouver un poste.
M. Eric Lowther: Si nous savons qu'une personne condamnée pour pédophilie a été réhabilitée, qu'elle a consenti à ce que son casier judiciaire complet soit vérifié et qu'elle sollicite un poste dans un organisme qui s'occupe d'enfants—si nous savons que ces trois conditions sont respectées—pourrait-il y avoir des raisons quelconques, selon vous, pour lesquelles le Solliciteur général pourrait ne pas vouloir divulguer ces informations? Pouvez- vous songer à un scénario quelconque qui pourrait justifier que le Solliciteur général s'oppose à la divulgation?
M. Steve Sullivan: Personnellement, non. Pour moi, le fait qu'une personne qui a été condamnée pour agression sexuelle contre des enfants sollicite un emploi impliquant des contacts avec les enfants m'amène immédiatement à me poser des questions. D'après moi, ce seul fait mérite que l'on s'interroge.
Si la personne consent à ce qu'on vérifie son casier judiciaire, je ne vois pas pourquoi le Solliciteur général pourrait s'y opposer.
M. Eric Lowther: Y a-t-il dans le projet de loi C-69 une catégorie particulière d'infractions qui serait visée? Indique-t-on quelque part que les informations ne devraient être divulguées que pour certains types d'infractions ayant fait l'objet d'une réhabilitation?
M. Steve Sullivan: Non, il n'y a rien là-dessus dans le projet de loi. Je crois comprendre toutefois que cela figurera dans les règlements. Je crois me souvenir que M. Saada disait la semaine dernière qu'il y aurait 26 infractions, mais nous ne les connaissons pas encore.
De toute façon, il n'y a rien à ce sujet dans le projet de loi lui-même.
M. Eric Lowther: Si vous étiez sur le point de recruter quelqu'un et que, grâce au projet de loi C-69, vous appreniez que cette personne a bénéficié d'une réhabilitation, ce qui vous amenait à décider de ne pas la recruter, à cause de cela, pourriez- vous faire l'objet de poursuites de la part de cette personne parce que vous auriez porté atteinte à ses droits en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne? En effet, si la personne a bénéficié d'une réhabilitation, elle n'est plus sous le coup d'une sanction pénale. Donc, si vous décidez de ne pas la recruter, elle pourrait dire que vous faites de la discrimination à son égard. Vous seriez donc obligé de vous défendre en justice.
M. Steve Sullivan: Certes, mon interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne me porte à penser que les organismes devraient s'interroger s'ils décidaient de ne pas recruter quelqu'un parce qu'il a fait l'objet d'une réhabilitation. Cela me semble être un problème sérieux. La dernière chose que nous voulons est que ces organismes puissent avoir accès aux informations et, après les avoir utilisées de manière adéquate, qu'ils fassent l'objet de poursuites devant les tribunaux.
À mon avis, c'est un problème très sérieux.
M. Gary Rosenfeldt: Je vais tenter de répondre à votre question, au nom d'un organisme de charité.
La question du recrutement est toujours délicate. Nous recrutons bon nombre de personnes d'un bout à l'autre du pays, par exemple pour participer à des collectes de fonds. Nous avons en outre des bénévoles qui travaillent avec nous. L'un de nos objectifs constants est donc d'éviter de nous retrouver dans une situation de ce genre et cela ne nous est encore jamais arrivé.
Certes, il y a des gens qui sont venus voir pour tenter d'utiliser notre organisme à d'autres fins mais cela ne nous a pas encore causé de sérieux problèmes.
Je me souviens d'un cas que nous avons connu à Edmonton, il y a quelques années. Un agent de police municipal est venu me voir dans nos bureaux, au palais de justice. Il a passé de nombreuses heures avec nous pour nous parler de son souci d'aider les victimes. Or, en 1989, il a été arrêté et accusé de crimes sexuels contre des enfants.
C'était quelqu'un qui profitait de son poste de confiance au sein de la police d'Edmonton pour avoir accès à des enfants exploités. Au moment du procès, il a tenté de se justifier en disant qu'il voulait faire preuve d'amour à l'égard de ces enfants car cela leur manquait à la maison. Il ne choisissait que des enfants qui, selon lui, étaient exploités à la maison.
Dans ce cas précis, nous avons eu beaucoup de chance. Nous ne l'avons pas autorisé à avoir des contacts avec les enfants, alors que nous en avions un grand nombre à l'époque qui faisaient du bénévolat dans nos bureaux.
Ce qui est très difficile, pour un organisme de charité comme le nôtre, c'est que nous sommes dans le noir. Le cas dont je viens de vous parler concernait une personne qui n'avait jamais été condamnée. Nous n'aurions donc pu faire aucune vérification à son sujet.
Steve a fait une remarque tout à fait pertinente au sujet des réhabilitations. La semaine dernière, cette personne a obtenu une réhabilitation. Notre problème, avec les réhabilitations, c'est qu'il doit y avoir une sorte de signal, quelque part... mais je n'ai pas très confiance non plus dans ce système. Je regrette mais nous parlons ici de la vie d'enfants innocents et je ne suis pas sûr que ce soit la bonne démarche à adopter.
• 0935
Disons que c'est mieux que rien.
M. Eric Lowther: D'aucuns ont dit que, si ces informations étaient divulguées, des gens pourraient les utiliser de manière inadéquate, c'est-à-dire pour autre chose que des décisions de recrutement. Par exemple, on pourrait les rendre publiques ou s'en servir pour nuire à la personne qui a bénéficié d'une réhabilitation, dans un contexte autre qu'une demande d'emploi.
Il y a dans le projet de loi C-284 des peines très sévères pour quiconque agirait de cette manière, mais pas dans le projet de loi C-69. Qu'en pensez-vous?
M. Steve Sullivan: Ce que contiennent les projets de loi à ce sujet n'a rien de nouveau. Les organismes ont déjà la possibilité d'obtenir des informations sur les casiers judiciaires. Le seul changement est que nous élargissons le système pour l'appliquer aux prédateurs sexuels d'enfants qui ont obtenu une réhabilitation.
Je dois dire que je n'ai encore jamais entendu parler d'organisme qui ait fait un usage répréhensible de telles informations. Sachez bien que, si on nous les communique, c'est pour une bonne raison. Si une personne viole la confiance qui lui a été accordée, elle devrait certainement être sanctionnée. Ce n'est pas quelque chose qu'il faut prendre à la légère. L'information qui est divulguée l'est pour une raison bien précise et seulement pour cette raison.
Il me semble donc tout à fait normal de vouloir sanctionner la personne qui ferait un usage répréhensible des informations qui ont été divulguées.
C'est d'ailleurs la même chose en ce qui concerne la législation sur les banques de données d'ADN. En effet, si les agents de police font un usage répréhensible de ces informations, qui sont très personnelles, ils sont passibles de sanctions pénales.
M. Eric Lowther: Merci.
Le président: Merci, monsieur Lowther.
Monsieur Marceau, je me demande si, par courtoisie pour M. McKay, nous pourrions interrompre un instant l'ordre des intervenants afin qu'il puisse...
Une voix: Pour n'importe qui sauf John McKay.
Des voix: Oh!
Une voix: Faut-il une motion à ce sujet?
Voulez-vous proposer une motion, John?
Le président: Monsieur John McKay.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Il aura droit à un tir au filet.
Merci, monsieur le président.
Ces deux projets de loi reflètent deux principes foncièrement différents quant à la manière dont il convient d'aborder un même problème. Personne ne semble contester la nature fondamentale du problème, c'est-à-dire qu'on ne guérit pas de la pédophilie.
Nous avons donc une démarche relativement sévère de la part de M. Lowther, qui dit que pour ce type de crime et ce type de problème, le ministre sera obligé de divulguer les renseignements. Il n'aura pas le choix. C'est une solution simple, directe et reliée à la recherche d'un emploi.
De l'autre côté, le ministre propose un système un peu plus souple, c'est-à-dire la tenue d'une audience. Dans son projet de loi, s'il a l'intention de refuser la réhabilitation, il y aura une audience. Cette méthode ne sera cependant pas reliée à l'emploi et elle pourra s'appliquer à beaucoup d'autres crimes que seulement la pédophilie.
Je voudrais connaître votre réaction à ces deux types de démarches. À certains égards, le projet de loi du ministre s'appliquera à un plus large éventail de la population, mais en préservant la méthode de l'audience, alors que l'autre projet de loi instaurerait un mécanisme très simple.
J'aimerais donc savoir comment vous réagissez au principe fondamental et à sa mise en oeuvre concrète.
M. Steve Sullivan: À mes yeux, la solution consisterait peut- être à prendre ce qu'il y a de mieux dans chaque projet de loi. Je pense que l'approche du gouvernement concernant l'expansion de ce type d'infractions...et les victimes, d'après moi, ne sont pas simplement les enfants mais tous les groupes vulnérables. Autrement dit, j'inclus les personnes handicapées dans ce groupe.
Je pense que c'est une excellente approche. Donc, cette partie du projet de loi du gouvernement est...
M. John McKay: Plus rigoureuse à certains égards.
M. Steve Sullivan: Oui, plus rigoureuse. Par contre, si l'on tient compte de la latitude qui est prévue dans le projet de loi du gouvernement en matière de divulgation, c'est la proposition de M. Lowther qui paraît plus simple. Et je préfère ce qui est simple. Si notre but est de veiller à ce que les organismes obtiennent les informations pertinentes sur les antécédents des personnes qui ont exploité des enfants, il suffit de leur donner ces informations. Si la personne concernée consent à ce qu'on consulte son casier judiciaire, je ne vois pas pourquoi on devrait laisser un pouvoir discrétionnaire au ministre à ce sujet.
M. John McKay: Pourriez-vous envisager un système mixte, avec certains pouvoirs discrétionnaires et d'autres qui ne le seraient pas? Autrement dit, il pourrait y avoir des pouvoirs discrétionnaires et, par conséquent, une audience, pour certaines infractions, mais aucun pouvoir discrétionnaire pour certaines autres—les informations pertinentes seraient alors automatiquement divulguées, d'une manière ou d'une autre.
M. Steve Sullivan: Théoriquement, cette solution serait préférable à ce qui est actuellement envisagé dans le projet de loi du gouvernement. C'est cependant difficile à dire. Il faudrait distinguer les infractions pour lesquelles ce serait automatique de celles pour lesquelles ce ne le serait pas. Ce serait sans doute une meilleure solution.
M. John McKay: [Note de la rédaction: Inaudible]...comme la loi sur l'ADN.
M. Steve Sullivan: Oui, vous voulez parler des deux listes. À mon avis, ce serait préférable à l'approche actuelle que propose le gouvernement.
M. John McKay: S'il devait y avoir des audiences, comment cela marcherait-il? Pensez-vous qu'il devrait y avoir certaines présomptions ou un certain fardeau de la preuve avec le projet de loi du ministre?
M. Steve Sullivan: Si l'on décidait de tenir une audience, je pense que c'est la personne ayant obtenu la réhabilitation qui devrait avoir la responsabilité de justifier pourquoi les informations ne devraient pas être divulguées.
M. John McKay: Le demandeur, donc.
M. Steve Sullivan: C'est cela. C'est le demandeur d'emploi qui devrait justifier pourquoi les informations ne devraient pas être divulguées.
M. John McKay: Bien.
L'un des problèmes que j'envisage avec le projet de loi de M. Lowther concerne la personne qui demande les informations. Il me semble que, puisque le ministère, lancé dans cette merveilleuse recherche pour savoir s'il s'agit d'un organisme ou d'un groupe agissant de manière responsable dans l'intérêt d'un ou de plusieurs enfants... Cela me semble être un domaine d'investigation assez douteux. Il est facile de savoir que les Boyscouts s'intéressent aux enfants. C'est peut-être un peu moins facile quand on parle d'un conseil scolaire, et certainement beaucoup moins quand on parle d'une société comme Magna, qui offre sans doute des services de garde d'enfants à son personnel.
Autrement dit, je me demande si cette partie du projet de loi n'est pas à certains égards une fausse piste.
M. Steve Sullivan: La définition de ces groupes serait certes difficile. Par exemple, on peut se demander si les gens qui confient leurs enfants à une garderie ne devraient pas avoir accès à ce genre d'informations. Si tel était le cas, on pourrait étendre le groupe très largement. Sur le plan des principes, ce serait la meilleure chose...
M. John McKay: Mais, en élargissant, on perdrait l'avantage de ce que propose M. Lowther.
M. Steve Sullivan: Exactement.
Ce que je ferais, c'est que j'examinerais les organismes qui effectuent actuellement ce type de vérifications. Ils ne possèdent pas les renseignements concernant les réhabilitations mais le gouvernement a mis en place il y a quelques années un processus de filtrage qui permet aux organismes de garde d'enfants de faire vérifier les casiers judiciaires. On profiterait donc de ce processus.
Je crois qu'il faudrait fonder le système sur les groupes qui s'occupent actuellement de ça.
M. John McKay: Puisqu'on attache beaucoup de prix à la simplicité du processus, on pourrait peut-être dresser une liste d'organismes, afin que la police ne soit pas obligée de mener une enquête chaque fois que l'un d'entre eux serait mentionné. Par exemple, si la demande provenait des scouts, elle serait automatiquement satisfaite. Je pense que ce serait faisable.
M. Steve Sullivan: Oui.
M. John McKay: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur McKay.
Monsieur Marceau, merci de...
Des voix: Bravo.
Le président: Vous n'avez quand même pas gagné un Oscar.
M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Est-ce que je peux avoir ma prime maintenant?
[Français]
Je vous remercie d'être venus encore aujourd'hui; vous êtes maintenant des habitués du Comité permanent de la justice. J'ai quelques questions à vous poser.
Monsieur Rosenfeldt, j'ai lu rapidement le document que vous nous avez donné. À la page 2, vous parlez de votre premier choix. Vous dites que le projet de loi de M. Lowther serait votre deuxième choix et que votre premier choix serait un registre national. J'aimerais que vous en parliez un petit peu plus.
J'aimerais également que vous me disiez si vous croyez que ce serait légal, surtout si on prend en considération la Charte des droits et libertés.
[Traduction]
M. Gary Rosenfeldt: Je ne suis pas expert au sujet de la Charte, et je ne suis pas non plus un avocat, mais je sais qu'il y a dans divers États américains des lois autorisant la tenue d'un registre des personnes condamnées pour agression sexuelle contre des enfants.
Je ne connais pas très bien les détails de la loi pertinente de la Californie mais, à ma connaissance, toute personne qui est condamnée dans cet État pour avoir commis une infraction sexuelle contre un enfant est automatiquement fichée dans le registre central de l'État.
• 0945
Ainsi, si vous vivez à Los Angeles et que vous voulez
déménager à San Diego, vous êtes obligé de vous adresser au service
de police le plus proche pour lui signaler votre arrivée. Vous
devez lui dire qui vous êtes, que vous êtes un délinquant sexuel
fiché et que vous allez vous installer à San Diego. Ainsi, la
police doit toujours être au courant de votre adresse.
Considérant la nature des crimes dont on parle et des torts causés aux victimes, qui sont des enfants innocents, je ne pense pas que ce soit trop demander des coupables.
En outre, puisqu'un grand nombre de ces coupables causent tant de victimes pendant leur vie, j'aimerais que l'on mette en place une sorte de fichier central de cette nature dans la province de l'Ontario—et, en fait, dans tout le Canada.
Notre organisation se distingue par contre de nombreuses associations de victimes dans la mesure où nous ne croyons pas que la liste doive être rendue publique. Il y avait à une certaine époque en Colombie-Britannique un périodique de Canada Safeway qui contenait des publicités d'épicerie et, sur la quatrième de couverture, les photos et adresses des pédophiles connus de la ville de Vancouver.
À mon avis, c'est du harcèlement. C'est exagéré. Je ne pense pas qu'il faille aller jusque-là.
Notre organisation n'a jamais pris de mesures pour diffuser dans la population l'adresse des pédophiles. Nous sommes fermement opposés à la publication de listes et photographies de pédophiles dans les journaux.
La raison en est très simple: nous ne pensons pas que cela puisse donner des résultats. On peut bien faire savoir qu'un pédophile vit à côté de chez vous mais il déménagera le lendemain. Ça n'aura donc servi à rien.
À mon sens, il devrait y avoir un fichier central des pédophiles de l'ensemble du pays, de façon à ce que toute personne décidant ouvrir une garderie d'enfants, par exemple, puisse être informée des pédophiles qui déménagent et changent de province, par exemple.
Ce qui est frustrant avec ce projet de loi, c'est qu'on y parle des «employeurs». Or, la réalité est que, dans la province de l'Ontario, n'importe qui peut mettre sur pied un organisme de charité travaillant auprès des enfants. Évidemment, de tels organismes peuvent vouloir filtrer les candidats à un emploi mais, croyez-moi, ils ne sont aucunement obligés de faire la preuve de leur compétence, de quelque manière que ce soit.
Il y a quatre ou cinq ans, il y avait à London un pédophile connu qui, à sa sortie de prison, avait ouvert une garderie d'enfants. Évidemment, il n'avait pas à s'inquiéter d'une vérification éventuelle de son employeur puisque c'est lui et un autre pédophile qu'il avait rencontré en prison qui possédaient cette garderie. De fait, il se peut fort bien qu'ils la possèdent encore aujourd'hui.
[Français]
M. Richard Marceau: Donc, selon vous, le projet de loi de M. Lowther, en se limitant à la divulgation du casier judiciaire, ne va pas assez loin parce qu'il ne parle que de demandeurs d'emploi et ne couvre pas, par exemple, les gens qui pourraient ouvrir une garderie. Selon vous, le projet de loi ne va pas assez loin. C'est cela?
[Traduction]
M. Gary Rosenfeldt: Exactement. Nous pensons qu'il devrait être possible d'établir un meilleur système et c'est pour cette raison que nous avons tenu à venir appuyer devant votre comité le projet de loi de M. Lowther. Disons que l'on essaie de combler une brèche du barrage mais la réalité est qu'il y en a beaucoup d'autres. Je ne sais pas quelle serait vraiment la meilleure solution dans l'intérêt des enfants.
Notre souci est de protéger les enfants. Nous n'avons donc rien à dire contre le projet de loi de M. Lowther, puisqu'il vise à éviter la victimisation des enfants, ni même contre le projet de loi C-69, même s'il risque sérieusement de créer un labyrinthe bureaucratique à cause du grand nombre d'organismes et de personnes qui seront impliqués. En fait, je ne pense pas que ce système marchera, c'est aussi simple que ça.
• 0950
Même si la Chambre approuve une combinaison du projet de loi
C-69 et du projet de loi de M. Lowther, nous continuerons à vous
envoyer des lettres parlant de la protection des enfants et
demandant pourquoi ces personnes ont le droit d'ouvrir des
garderies en Ontario.
[Français]
M. Richard Marceau: Monsieur Sullivan, vous disiez tout à l'heure que le projet de loi touchait un petit groupe de personnes. Si je me souviens bien, c'est ce que vous avez mentionné à trois reprises. On parle de combien de personnes environ?
[Traduction]
M. Steve Sullivan: Pour être franc, je ne le sais pas. Il faudrait voir combien d'agresseurs sexuels d'enfants obtiennent une réhabilitation, combien sollicitent en réalité...
[Français]
M. Richard Marceau: Mais vous n'avez pas fait la recherche. Vous ne savez pas combien il y en a. Vous dites qu'il y en a un petit nombre, mais vous ne savez pas combien.
M. Steve Sullivan: Non.
M. Richard Marceau: Il serait peut-être intéressant, monsieur le président, que notre ami M. Rosenfeldt trouve la réponse à cette question, si c'était possible.
[Traduction]
Le président: Il faudra faire des recherches.
Monsieur Lowther, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. Eric Lowther: Nous avons donné des informations au comité à ce sujet lors d'une audience antérieure. Je serais très heureux de les communiquer.
[Français]
M. Richard Marceau: Oui, s'il vous plaît.
J'ai une dernière question. Tout à l'heure, dans votre discussion avec mon collègue Lowther, vous avez parlé de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dont l'article 2 porte sur la non-discrimination pour l'emploi: on ne peut pas discriminer contre une personne qui a été graciée.
Est-ce que, selon vous, le projet de loi de M. Lowther fait en sorte que ce droit n'est pas respecté?
Un des problèmes qu'on a dans ce pays est qu'il y a souvent trop d'avocats; je le sais car j'en suis un. On est payés pour entreprendre des actions juridiques. C'est notre job, on gagne notre vie comme ça. On peut être pour ou contre, on peut le déplorer, mais c'est un fait.
Je vais vous poser ma question très librement car jusqu'à présent, j'ai voté en faveur du projet de loi. Ne pensez-vous pas que ce serait une mauvaise idée que d'avoir un projet de loi qui aille aussi loin? Partout au Canada, il y aurait de méchants avocats qui décideraient d'attaquer cette loi et on risquerait de se retrouver avec un système bloqué.
M. Rosenfeldt a peur qu'avec le projet de loi C-69 on se retrouve dans un problème bureaucratique. Avec le projet de loi C-284, on risquerait de se retrouver avec un problème juridique: les cours seraient remplies de contestations de la loi par des avocats.
[Traduction]
M. Steve Sullivan: Quel que soit le projet de loi qui est adopté, je pense qu'il fera l'objet de contestations au titre de la Charte. Les avocats feront leur travail et diront que les deux projets de loi portent atteinte aux droits de leurs clients. C'est comme ça que fonctionne notre système.
Cela dit, je pense que M. Lowther a précisément tenté de contourner le problème en prévoyant de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je ne sais pas si c'est absolument nécessaire étant donné que je ne connais pas très bien cette loi. Quoi qu'il en soit, cela montre qu'il y a là pour lui un problème réel et qu'il a tenté de le résoudre.
Pour être franc, quel que soit le projet qui est adopté, je pense qu'il fera l'objet de contestations.
Le président: Merci, monsieur Marceau.
Nous allons ouvrir le deuxième tour de questions, avec des périodes de trois minutes.
Monsieur Lowther.
M. Eric Lowther: Merci.
Je voudrais revenir sur ce que disait M. McKay. Je ne sais plus à qui il s'adressait exactement mais il a dit que, pour certains types d'organismes, et je ne sais plus s'agissait précisément d'organismes s'occupant d'enfants, il ne serait peut- être pas nécessaire de faire d'enquête et qu'on devrait laisser le ministre décider.
Dans le projet de loi C-284, on parle d'effectuer des vérifications au sujet de toute personne qui est:
-
en charge d'un particulier, d'un organisme ou d'un groupe
responsable du bien-être d'un ou de plusieurs enfants
-
le ministre a reçu l'engagement écrit qu'il exige, en la forme
prescrite par lui,
—et je souligne ce dernier passage—
-
de la personne, du particulier, de l'organisme ou du groupe
Autrement dit, le ministre peut établir les règles qui lui semblent nécessaires pour effectuer une vérification au sujet d'un particulier ou d'un organisme.
Ma question est la suivante: à titre de représentants des victimes, êtes-vous à l'aise avec le fait que le ministre puisse dire à quelqu'un qui veut recruter une certaine personne pour s'occuper de ses enfants—une gardienne, disons—qu'elle ne peut pas avoir accès à son casier judiciaire alors qu'un organisme comme les Boyscouts obtiendrait automatiquement cet accès? Pensez-vous qu'il faut laisser ce type de pouvoir au ministre ou plutôt qu'il faudrait dire que, si les conditions établies par le ministre sont respectées, l'accès aux informations est automatiquement accordé, sans restriction?
Si j'ai bien compris ce que vous avez répondu à M. McKay, vous estimez qu'il est acceptable de donner cette latitude au ministre, n'est-ce pas?
M. Steve Sullivan: Quelle que soit la méthode retenue, on donne en fait ce pouvoir au ministre. Dans un sens, on lui donne ce pouvoir à l'avance puisque c'est lui qui fixe les conditions.
Ce que je retiens de notre échange c'est qu'il y a certains groupes pour lesquels la réponse est évidente, par exemple les Scouts. Dans leur cas, il n'est pas nécessaire de faire une vérification. Par contre, il peut y avoir des cas moins évidents. Vous avez parlé des gardiennes d'enfants. Je ne veux pas dire que ces personnes ne devraient pas avoir accès aux informations mais il faut se demander si c'est vraiment nécessaire. Je pense que ce n'est pas aussi évident.
Quoi qu'il en soit, on laisse au ministre le soin d'établir les règles. Dans votre système, cela se ferait au départ. Je ne sais pas quelle est la meilleure solution mais je comprends votre argument. Plus on peut communiquer ces informations à un grand nombre de personnes s'occupant d'enfants, mieux cela vaudra.
M. Eric Lowther: C'est une bonne réponse. Vous avez tout à fait raison de dire que les conditions sont établies au départ. Si tous les paramètres établis par le ministre sont respectés, il n'existe aucune latitude en matière de divulgation. Autrement dit, les informations doivent automatiquement être divulguées. C'est inévitable.
Le président: Monsieur Saada.
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je me demande si cette question de latitude du ministre n'est pas un mythe. Le chef Fantino, de l'ACP, a précisément réclamé une certaine latitude pour la police. À l'heure actuelle, c'est le Solliciteur général qui la détient mais, si j'ai bien compris les chiffres qui m'ont été communiqués, il accepte la divulgation dans 80 p. 100 des cas qui lui sont soumis.
Selon votre recommandation—et vous me corrigerez si je me trompe—vous souhaitez que ce pouvoir soit laissé à l'employeur potentiel du groupe. Il doit de toute façon exercer un certain pouvoir une fois qu'il a le dossier sous les yeux.
Donc, dire que l'on retire ce pouvoir au Solliciteur général parce qu'il ne serait pas bon de le lui laisser me semble être généralement un mythe étant donné que, si ce n'est pas lui, c'est quelqu'un d'autre qui devra exercer ce pouvoir.
En fait, ce que je veux dire, c'est que, si quelqu'un doit détenir ce pouvoir, je préférerais que ce soit un élu étant donné qu'il serait tenu de rendre des comptes au public.
Qu'en pensez-vous? Croyez-vous que je fais fausse route?
M. Gary Rosenfeldt: Ce qui est difficile, c'est qu'on parle de cas particuliers. Nous parlions tout à l'heure d'un employeur mais que se passe-t-il si un pédophile condamné devient l'employé? Il n'y a plus alors...
Dans les deux projets de loi, on parle des employeurs.
M. Jacques Saada: J'entends bien. Je ne conteste pas le fait que ce projet de loi ne résout pas le problème que vous avez soulevé au sujet d'un pédophile qui deviendrait lui-même l'employeur, par exemple en créant son propre emploi.
M. Gary Rosenfeldt: Ou un organisme.
M. Jacques Saada: D'accord, mais ce n'est pas vraiment l'objet de ma question. C'est le pouvoir de décider qui m'intéresse.
Honnêtement, j'ai entendu beaucoup de témoins s'adresser au comité et aucun n'a encore réussi à me convaincre que ce pouvoir va disparaître—et je suis sûr que nous comprendrons mieux cette question si nous en discutons avec M. Lowther. Il s'agirait simplement, d'une manière ou d'une autre, d'en déplacer le centre de gravité.
M. Steve Sullivan: Vous avez raison. Il faut qu'il y ait à un certain moment un pouvoir discrétionnaire. Le gouvernement affirme qu'il devrait être confié au ministre, le chef Fantino dit qu'il devrait l'être à la police et, quant à nous, nous disons qu'il devrait être accordé à l'organisme. Cela étant, il y a quelqu'un qui le possédera ce pouvoir discrétionnaire.
M. Jacques Saada: Une chose qui est intéressante avec le processus du projet de loi C-69, c'est que le demandeur d'emploi exerce un pouvoir discrétionnaire. En effet, une fois que l'organisme lui demande d'avoir accès à son casier judiciaire, il a une décision à prendre. Accepte-t-il la divulgation ou renonce-t- il à sa demande d'emploi pour aller chercher ailleurs?
C'est un outil très important car, si le demandeur d'emploi ne veut pas divulguer son casier judiciaire, l'employeur sait qu'il n'est pas prêt à coopérer en mettant les choses au clair. Donc, si le demandeur renonce au poste, le problème est réglé dans son cas.
Si l'on veut parler de pouvoir discrétionnaire efficace et non pas aveugle—si ces deux mots peuvent aller ensemble, ils sont peut-être antinomiques—je pense que le projet de loi C-69 propose quelque chose qui a beaucoup de sens.
M. Steve Sullivan: Le débat porte uniquement sur la question de savoir qui détient le pouvoir discrétionnaire.
M. Jacques Saada: C'est juste.
M. Steve Sullivan: Dans ce cas, je répète que, pour moi, c'est l'organisme lui-même qui devrait le détenir. C'est en effet l'organisme qui a la responsabilité de prendre la décision de recruter quelqu'un.
Cela dit, quel que soit le projet de loi adopté, il y aura un pouvoir discrétionnaire. Il s'agit simplement de savoir qui va le détenir.
M. Jacques Saada: Me reste-t-il du temps?
Le président: Non, vous avez terminé.
M. Jacques Saada: Aurai-je une autre chance?
Le président: Non.
Monsieur Marceau? Monsieur Cadman, dans ce cas.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): S'il y a un pouvoir discrétionnaire, j'aimerais savoir qui doit en rendre compte. Si c'est le Solliciteur général qui le détient, comme dit M. Saada, que se passera-t-il s'il décide de ne pas divulguer les informations et que l'agence recrute quand même la personne et qu'il y a ensuite un problème? Est-ce le Solliciteur général qui sera tenu responsable? Par contre, si c'est l'organisme qui détient le pouvoir discrétionnaire et qu'il décide de recruter, c'est lui qui doit assumer la responsabilité.
M. Gary Rosenfeldt: À mon avis, Chuck, ce sont les organismes qui seront incités à faire les vérifications s'ils ont charge d'enfants. De fait, je ne doute pas qu'une garderie ou un organisme de charité ayant charge d'enfants ferait savoir qu'il effectue ce type de vérification car ce serait dans son intérêt.
M. Chuck Cadman: La question est de savoir qui assume la responsabilité. Si l'organisme recrute quelqu'un en sachant qu'il a déjà été condamné ou qu'il a obtenu une réhabilitation et que cette personne commet une nouvelle infraction, l'organisme court un danger réel, mais je ne pense pas que ce serait la même chose pour le Solliciteur général s'il décidait de ne pas divulguer.
M. Jacques Saada: Si le Solliciteur général refuse de divulguer le casier?
M. Chuck Cadman: Oui.
M. Jacques Saada: Si le Solliciteur général refuse de divulguer les informations et que l'organisme se sent alors assez en confiance pour pouvoir recruter la personne, et si celle-ci commet ensuite une infraction, l'organisme pourra dire: «Nous avons appliqué le système. Nous avons demandé le casier judiciaire au Solliciteur général.»
M. Chuck Cadman: Mais quel serait le degré de responsabilité du Solliciteur général dans ce contexte? C'est ça ma question.
M. Jacques Saada: Je suis sûr que ce sera une question pour la Chambre.
Le président: Merci de votre témoignage, monsieur Saada.
Des voix: Oh!
Le président: Monsieur Cadman, voulez-vous continuer?
M. Chuck Cadman: Non, ça va.
Le président: Il nous reste encore du temps.
Madame Bakopanos.
Mme Eleni Bakopanos (Ahuntsic, Lib.): Merci—à moins que M. Saada veuille continuer.
M. Jacques Saada: Non, merci.
Mme Eleni Bakopanos: Merci.
Je voudrais revenir sur cette question des deux pédophiles qui ont ouvert leur propre garderie. Était-ce en Ontario?
M. Gary Rosenfeldt: Oui, à London.
Mme Eleni Bakopanos: Il s'agit donc de deux pédophiles connus?
M. Gary Rosenfeldt: Tout à fait.
Mme Eleni Bakopanos: Ils sont connus dans la collectivité locale?
M. Gary Rosenfeldt: Tout à fait.
Mme Eleni Bakopanos: Et des parents leur confient leurs enfants?
M. Gary Rosenfeldt: Je ne suis pas sûr. Je peux vous dire qu'il y a eu un long article à ce sujet dans le London Free Press, comme dans la plupart des journaux de l'Ontario. C'est la presse qui en a fait toute une histoire étant donné qu'aucune loi n'interdit qui que ce soit d'ouvrir une garderie d'enfants, en Ontario ou dans n'importe quelle autre province, si je ne me trompe.
Mme Eleni Bakopanos: On n'est pas obligé de demander un permis?
M. Gary Rosenfeldt: Si.
Mme Eleni Bakopanos: Mais on ne fait donc aucune vérification avant de l'accorder?
M. Gary Rosenfeldt: À ma connaissance, non.
Voici la situation: même s'il y a une vérification, je ne pense pas qu'on puisse les empêcher d'obtenir leur permis.
Lorsqu'ils ont ouvert leur garderie à London, il y a quatre ou cinq ans—je n'ai plus les dates exactes ni les noms mais je pourrais les trouver—tous les quotidiens en ont parlé. Le London Free Press a prévenu les parents que ce ne serait probablement pas une bonne chose de confier leurs enfants à cette garderie, et c'est probablement ce qui pouvait arriver de mieux.
C'est le mieux que l'on pouvait faire.
Mme Eleni Bakopanos: Cela veut dire que, par le truchement des journaux, la communauté a su que ce délinquant ou criminel était sorti de prison. La communauté locale a été informée...
M. Gary Rosenfeldt: Mais c'est sporadique.
Mme Eleni Bakopanos: ...à moins qu'il ne change de province.
M. Gary Rosenfeldt: Mais tout dépend du journal. Je ne pense pas que nous devions nous en remettre aux lubies des journaux pour assurer la protection de nos enfants.
Mme Eleni Bakopanos: Non, mais je peux vous dire que, personnellement—puisque mes propres enfants ont été en garderie—j'ai pris la peine de faire une vérification au sujet de la garderie. Je ne suis pas prête à confier mon enfant à n'importe qui. Je veux dire par là que la communauté locale et les parents doivent aussi assumer leur part de responsabilité. C'est ce qui m'a semblé très intéressant dans votre cas.
Pour ce qui est des pouvoirs discrétionnaires, je pense que la plupart des ministres, quelle que soit la décision qu'ils prennent, doivent rendre des comptes au public. Si l'on apprend que le ministre a refusé de divulguer les informations, la presse aura son rôle à jouer. C'est le mécanisme de responsabilité qui est établi pour les élus et pour les ministres.
Il y a donc à mon avis un mécanisme de responsabilité envers le public, monsieur Cadman. Bien sûr, ça ne règle pas la situation s'il y a un problème, j'en conviens.
Merci.
Le président: Y a-t-il d'autres questions? Il nous reste du temps.
Monsieur Lowther.
M. Eric Lowther: Nous avons peut-être été un peu injustes envers les témoins puisque ce sont les problèmes de violence et des victimes de violence qui constituent leur spécialité, alors que nous leur avons demandé de parler des nuances de deux projets de loi qui ne portent pas là-dessus. Je les remercie d'avoir essayé de répondre aux questions.
Cela dit, je voudrais revenir à leur spécialité en précisant au comité que nous avons le devoir de faire quelque chose de concret dans l'intérêt des victimes, sans jouer de jeux avec le projet de loi.
Vous êtes en contact direct avec les victimes et je me suis laissé dire qu'être victime est une sorte de peine perpétuelle.
M. Gary Rosenfeldt: C'est très proche de la vérité, monsieur Lowther. Comme vous dites, on peut discuter de projets de loi mais ce qui est difficile, pour les victimes d'actes criminels, c'est qu'elles en subissent les séquelles pendant toute leur vie. Et c'est encore plus vrai des hommes victimes d'actes criminels, car beaucoup d'entre eux ont beaucoup de mal à en parler et à s'adresser aux tribunaux.
Comme nous le savons bien, et on a pu le voir en Ontario ces dernières années, cela peut parfois déboucher sur des suicides ou des tentatives de suicide. La victime est donc affectée pendant toute sa vie. C'est aussi simple que ça.
• 1010
Ce qui est très difficile pour beaucoup de victimes, c'est
d'arriver à parler de ce qui leur est arrivé. La plupart n'y
arrivent pas. Nous rencontrons beaucoup de victimes qui viennent
nous parler et qui souhaitent en rencontrer d'autres qui se sont
trouvées dans des situations similaires. Toutefois, la plupart
refusent d'utiliser le système, c'est-à-dire de s'adresser à la
police.
En fait, la seule chose qui puisse les encourager à s'adresser aux autorités et à porter une accusation, surtout s'il s'agit d'hommes victimes d'agression sexuelle, c'est de penser que leur agresseur continue de sévir auprès d'autres enfants.
M. Eric Lowther: Donc, en dernière analyse, que souhaitent les deux groupes que vous représentez, pour ce qui est de ces projets de loi? Qu'est-ce que vous réclamez vraiment?
M. Gary Rosenfeldt: Notre groupe est sincèrement heureux que le projet de loi C-284 ait été déposé car nous estimons qu'il peut être utile pour prévenir la victimisation de certains enfants.
Cela dit, je répète qu'il y aura encore beaucoup à faire. Si ce projet de loi est le début de nombreuses mesures qui seront prises pour améliorer le système, ce sera parfait.
Nous ne sommes pas des avocats ni des experts mais, selon nous, le projet de loi C-69 risque plus de produire un labyrinthe bureaucratique que le projet de loi C-284. À notre avis, ce dernier est donc beaucoup plus satisfaisant.
J'ajoute d'ailleurs que le projet de loi C-69 n'a vu le jour que cette semaine, alors que le C-284 existe depuis beaucoup plus longtemps. S'il avance plus vite dans le système...
Il ne fait aucun doute qu'il protégerait certains enfants en prévenant leur victimisation.
M. Eric Lowther: Steve, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Steve Sullivan: Comme l'a dit Gary, notre objectif est que tous les enfants soient protégés. Aucun des deux projets de loi n'atteint cet objectif mais tous deux feront en sorte que certains enfants le seront.
Nous étions ici la semaine dernière ou la semaine d'avant pour discuter d'un autre projet de loi et nous avons eu l'occasion de dire que, si un texte de loi permet de protéger ne serait-ce qu'un seul enfant, cela en vaut la peine.
C'est cela notre argument ultime. Nous avons deux projets de loi qui visent un but similaire et il est clair que nous faisons confiance au système, sinon nous ne serions pas ici. Nous ne viendrions pas témoigner. Votre rôle est d'assumer vos responsabilités à l'égard de tous les Canadiens en réussissant à vous entendre.
Je crois que vous pouvez le faire. Vous l'avez prouvé avec le rapport sur les victimes. Que vous décidiez ou non de retenir ce qu'il y a de mieux dans chaque projet de loi, le but ultime doit être de protéger les enfants.
M. Eric Lowther: Oui.
Le président: Merci, monsieur Lowther.
Monsieur John McKay.
M. John McKay: Je repensais à votre exemple de London. À mon avis, chaque projet de loi permettrait d'y faire face. Songeons en effet au processus qu'il faut suivre pour ouvrir une garderie. Si j'ai bien compris, la seule obligation est d'obtenir un permis d'exploitation de la municipalité. C'est tout.
M. Gary Rosenfeldt: Exactement.
M. John McKay: Dans ce cas, je me demande si le comité ne devrait pas demander dans son rapport que les municipalités soient incluses dans la liste des organismes qui seraient tenus de faire une vérification avant d'octroyer un permis d'ouverture d'une garderie.
M. Gary Rosenfeldt: Je pense que ce serait une très bonne idée, monsieur McKay, surtout par rapport au système actuel. Le fait que des pédophiles condamnés puissent ouvrir des garderies d'enfants est complètement absurde.
M. John McKay: Il s'agit là d'une anomalie qui n'est pour le moment prise en compte par aucun des deux projets de loi.
Pour revenir à ce que disait M. Saada de la localisation du pouvoir discrétionnaire...
M. Jacques Saada: Je ne fais que poser des questions.
M. John McKay: ...allons-nous parler de in discretion locus? Il y avait autrefois la notion de in loco parentis mais elle est disparue. Dans le projet de loi du ministre, ont dit que, si la Commission se propose de refuser une réhabilitation—ce qui, à certains égards, jette le filet un peu plus loin—et de tenir une audience, la demande peut être formulée par un organisme tel que ceux auxquels s'intéresse M. Lowther ou par la personne condamnée elle-même.
Je me demande si nous ne pourrions pas limiter en quelque sorte le pouvoir du ministre d'octroyer une réhabilitation, en tenant compte des préoccupations exprimées par M. Lowther—c'est-à- dire, des diverses catégories d'infractions. Est-ce qu'on ne pourrait pas...
• 1015
Je pense que nous avons un choix à faire. Nous pouvons confier
ce pouvoir discrétionnaire à la police ou au ministre. Dans un
certain sens, je préférerais le confier au ministre car, d'après
moi, la police n'a pas à rendre de comptes—en fait, ce n'est pas
tout à fait vrai mais c'est quand même limité—alors que, tout au
moins en théorie, le ministre est obligé de le faire de manière
beaucoup plus concrète.
Donc, s'il doit y avoir un pouvoir discrétionnaire, n'est-ce pas le ministre qui devrait le détenir?
M. Steve Sullivan: Je ne connais pas tous les détails du projet de loi du gouvernement et je ne suis donc pas certain de ma réponse.
M. John McKay: Nous non plus. Nous sommes dans le même bateau.
M. Steve Sullivan: Si je vous comprends bien, vous parlez du pouvoir d'accorder la réhabilitation.
M. John McKay: C'est ça.
M. Steve Sullivan: Donc, cinq ans après l'infraction, la personne fait sa demande. Pensez-vous que nous devrions limiter le type d'infractions pour lesquelles les gens pourraient obtenir une réhabilitation?
M. John McKay: Si les préoccupations de M. Lowther sont justifiées, n'est-ce pas à cette étape que le signal devrait être donné? Le fait que la personne demande ou non un emploi concernant des enfants ne devrait pas être pris en considération. Le signal devrait être donné dès que la personne demande sa réhabilitation.
Qu'en pensez-vous?
M. Steve Sullivan: Dans ses remarques liminaires, M. Rosenfeldt disait que les personnes trouvées coupables d'agression sexuelle auprès des enfants ne devraient jamais obtenir de réhabilitation, mais il faudrait donc définir les infractions dont il s'agit. Les recherches effectuées par le ministère du Solliciteur général et par d'autres organismes montrent qu'il y a des questions de fond importantes à prendre en considération au sujet des prédateurs d'enfants.
La solution la plus simple serait peut-être de ne tout simplement pas accorder la réhabilitation à certains types d'agresseurs d'enfants.
M. Gary Rosenfeldt: À mon avis, le problème vient en partie de ce que les services de police ne savent pas vraiment quoi faire dans ce cas. Toutes les communautés réclament plus d'informations au sujet des pédophiles qui sortent de prison.
S'il y avait un système clair ou des lignes directrices, les communautés se sentiraient peut-être plus à l'aise avec un système de vérification des demandeurs d'emploi.
Beaucoup de gens nourrissent des craintes légitimes car ils entendent parler de pédophiles libérés de prison qui viennent emménager dans leur quartier et occuper un emploi.
Dans certaines collectivités des États-Unis, certains d'entre eux ont été attaqués. Il y a quelques années, quelqu'un a été battu à mort à Los Angeles mais ce n'était pas la bonne personne. Voilà le genre de problème qu'on rencontre.
C'est pour cette raison que nous ne recommandons pas que toutes ces mesures soient prises uniquement dans le but de protéger les enfants. En effet, les communautés se sentiraient beaucoup moins en danger si des systèmes étaient mis en place pour leur donner l'assurance que les garderies d'enfants ou les organismes oeuvrant auprès des enfants sont dirigés par des personnes responsables, avec du personnel ayant fait l'objet d'un contrôle.
Les parents expriment beaucoup de crainte à ce sujet. Nous essayons de faire de l'éducation publique mais nous percevons néanmoins beaucoup de crainte injustifiée. Certains parents craignent d'envoyer leur enfant à la piscine publique s'ils ne peuvent pas être présents en permanence. Pour les adolescents, cela peut causer des difficultés. Cela limite la vie familiale. Il y a beaucoup de choses que certains parents ne veulent plus faire. En revanche, nous sommes aussi régulièrement en contact avec des groupes qui veulent, par exemple, organiser des manifestations là où habitent des pédophiles, ce qui n'est pas vraiment notre préférence. Ça ne règle rien. Je dois dire que nous n'accordons pas notre appui aux organismes qui s'adressent à nous pour ce genre de chose.
Le président: Merci, monsieur Rosenfeldt.
Peter MacKay, avez-vous une question à poser?
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins qui nous ont à nouveau donné des informations très utiles.
Monsieur Rosenfeldt, vous parliez des mesures que prennent certaines communautés en réponse à cette crainte, apparente ou réelle. J'ai pu le constater moi-même.
• 1020
Dans mon coin de la Nouvelle-Écosse, il y avait un homme qui
avait été condamné à plusieurs reprises pour des actes commis à la
fois dans sa communauté et à l'extérieur. De ce fait, plusieurs
membres de la communauté, dont des agents de police, ont signé des
pétitions. Ils sont allés jusqu'à afficher dans leur quartier des
avis portant la photographie de cet homme. Et j'ajoute que ça s'est
fait avant même le procès.
La crainte dont vous parlez est donc un élément important, tout comme la nécessité de partager des informations. Cela dit, vous avez indiqué dans votre lettre concernant ce projet de loi qu'il faudrait établir un fichier national au Canada.
Pensez-vous que cela pourrait nous donner l'occasion—et M. Sullivan a lui aussi abordé cette question—de tirer parti des aspects positifs des deux projets de loi, c'est-à-dire de celui de M. Lowther et de celui du Solliciteur général, en mettant sur pied un fichier national des prédateurs sexuels?
M. Gary Rosenfeldt: J'espère qu'on y arrivera. C'est précisément ce que nous souhaitons.
Notre souci est d'assurer la protection des enfants. Vous venez de parler d'un cas en Nouvelle-Écosse où même des agents de police ont participé à des manifestations. Je trouve tout cela très frustrant et ça me met en colère.
Je ne suis pas là pour protéger les pédophiles mais ce que je dis... je comprends bien les craintes que ressent la population.
Il y avait hier soir un reportage sur Global concernant un pédophile qui a déjà été condamné et que l'on recherchait parce qu'on l'accusait d'avoir agressé sexuellement une fille de 16 ans à l'Île-du-Prince-Édouard. Il a ensuite déménagé à Moncton, au Nouveau-Brunswick, alors qu'il faisait l'objet d'un mandat d'arrestation à l'Île-du-Prince-Édouard. Absolument personne n'a pris la peine d'emprunter le pont pour aller l'arrêter et le ramener à l'Île-du-Prince-Édouard afin de l'inculper. On n'était pas prêt à envoyer deux agents à Moncton pour l'arrêter.
Ce bonhomme est ensuite parti à North Bay, en Ontario. Là, les gens l'ont chassé de la ville en organisant des manifestations parce qu'ils avaient appris de qui il s'agissait. Il a donc dû quitter North Bay et il s'est rendu à Toronto, où la police a aussi été prévenue de son arrivée.
À peine arrivé à Toronto, il s'est rendu dans un terrain de jeux où il y avait des enfants et c'est alors que la police de Toronto lui a mis la main au collet. Elle a dépensé 4 000 $ pour le renvoyer à l'Île-du-Prince-Édouard où personne ne voulait cependant le recevoir.
Nous parlions tout à l'heure du pouvoir discrétionnaire. Hier soir, le chef de la police de Summerside, à l'Île-du-Prince- Édouard, participait à une entrevue télévisée. Il a déclaré que, puisque la famille de ce bonhomme habite là, on supposait qu'il y reviendrait bien un jour ou l'autre. Je précise que la fille de 16 ans qu'il aurait agressée sexuellement vit aussi dans cette ville.
Comment la population peut-elle donc faire confiance à la police, au Solliciteur général ou à l'appareil judiciaire? Pouvez- vous reprocher aux Canadiens d'organiser des manifestations? À North Bay, c'est comme ça que la population a pu s'en débarrasser.
Mais ce n'est malheureusement pas la bonne méthode. Personne ne sort gagnant de ce genre de situation. Ce qu'il nous faut, c'est plutôt un fichier soigneusement planifié des prédateurs sexuels, mis en oeuvre d'un bout à l'autre du pays, pour que les parents qui confient leurs enfants à des garderies ou à d'autres types d'organismes puissent le faire en toute confiance.
Voilà l'objectif ultime de notre organisation.
Le président: La cloche des 15 minutes vient de commencer à sonner.
Je vais vous laisser poser une dernière question, monsieur MacKay, après quoi nous devrons conclure.
M. Peter MacKay: Je dirai simplement que je suis tout à fait d'accord avec vous. Je suis d'accord avec le but que visent M. Lowther et le Solliciteur général. Ce qu'il faut faire maintenant, c'est agir sans tarder pour protéger les enfants de toutes les manières possibles, législativement ou autrement.
Merci.
Le président: Merci, monsieur MacKay.
Merci, messieurs Rosenfeldt et Sullivan. Nous sommes très heureux que vous ayez pu venir à nouveau témoigner devant notre comité.
M. Jacques Saada: Puis-je prendre cinq secondes pour donner une information?
Le président: Cinq secondes? Allez-y.
M. Jacques Saada: Les critères qui seront établis par le Solliciteur général pour divulguer les casiers judiciaires feront partie des règlements relatifs au projet de loi C-69. L'adoption de ces critères fera l'objet de consultations préalables afin de garantir qu'ils répondent bien à nos préoccupations.
• 1025
Je tenais simplement à ce que vous sachiez tous que c'est ce
qui est envisagé.
Le président: Merci, monsieur Saada.
Monsieur Lowther, je crois comprendre que l'information que souhaitait M. Marceau vous a été communiquée par les recherchistes. Si vous pouviez les remettre au greffier, nous pourrions en faire profiter tout le monde.
M. Eric Lowther: Très bien. Merci.
Le président: Merci.
Si les témoins suivants sont déjà dans la salle, je leur présente nos excuses. Il va y avoir un vote en Chambre et cela va nous prendre environ 45 minutes. Malheureusement, aller voter une fois de temps en temps fait aussi partie de notre travail.
Merci.
Le président: Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Il s'agit de Paddy Bowen, directrice générale de Volunteer Canada, de Noreen Murphy, directrice générale de la Churchill Park Family Care Society, et de Peter Stock, de la Coalition de l'action pour la famille au Canada.
Kim Pate est-elle avec nous?
Oui, elle est là.
Paddy Bowen, merci beaucoup de votre présence. Je crois comprendre que vous êtes un peu pressée, suite au vote auquel nous avons dû participer ce matin. Je vais donc vous donner la parole tout de suite pour que vous puissiez faire votre exposé, après quoi je crois comprendre que vous devrez partir. De ce fait, vous ne pourrez malheureusement pas entendre les autres témoins qui s'adresseront à nous puis répondront aux questions.
Mme Paddy Bowen (directrice générale, Volunteer Canada): Vous voudrez bien m'excuser si je dois partir pendant la période des questions.
Le président: Si quelqu'un a des questions particulières à vous poser, je l'inviterai à le faire dès le début. Merci.
Mme Paddy Bowen: Merci. Je vais faire un bref exposé, après une remarque d'ordre plus personnel. En réfléchissant aux questions dont vous êtes saisis, je dois dire que j'ai eu une vive réaction d'ambiguïté.
Au niveau purement émotif, le parent que je suis aimerait pouvoir vivre dans un pays où l'on n'accorderait jamais de réhabilitation à une personne qui aurait eu des relations sexuelles avec un enfant. D'après les statistiques du Solliciteur général, 700 réhabilitations accordées à des prédateurs sexuels d'enfants ont été révoquées au cours des 25 dernières années, ce qui veut dire qu'il y avait probablement eu 700 cas de récidive de trop pour les parents.
Comme je suis très attachée aux libertés civiques, je crois beaucoup à la notion de réhabilitation, c'est-à-dire à la possibilité pour l'individu qui s'est fourvoyé de corriger ses erreurs, de reprendre sa vie et de réintégrer la société sans stigmatisation. C'est pour moi une valeur très importante.
Cela dit, je m'adresse à vous aujourd'hui à titre de directrice générale de Volunteer Canada, et de porte-parole nationale de la campagne d'éducation nationale sur le filtrage. Cela m'amène à faire deux remarques.
La première est plus ou moins indirecte et n'est pas directement reliée au thème de la séance. D'après moi, le débat auquel vous participez aujourd'hui met clairement en relief la nécessité de répéter continuellement que les contrôles de police exécutés pour essayer de protéger les enfants contre les prédateurs sexuels ont relativement peu d'importance.
Pour être efficaces, les contrôles exigent du temps. Il y a toute une série de mesures à prendre pour protéger les enfants, allant de l'évaluation du risque jusqu'à la mise en oeuvre d'un processus adéquat de recrutement, contenant ou non une vérification auprès de la police, et débouchant sur une supervision et une évaluation adéquates auxquelles participeraient les parents et les enfants.
Cela veut dire que le contrôle de police ne constitue qu'un aspect extrêmement mineur d'un filtrage adéquat, étant donné que la grande majorité des personnes susceptibles de causer du tort aux enfants n'ont jamais été condamnées pour quoi que ce soit. Prenez la récente cause célèbre du Canada, c'est-à-dire Sheldon Kennedy, qui a été agressé par Graham James, ou prenez le cas de Gordon Stuckless et des exemples horribles d'abus à Maple Leaf Gardens, et prenez aussi les nombreux cas dont nous entendons parler dans le secteur du bénévolat, vous verrez qu'il n'y a eu dans la plupart des cas aucune condamnation. Les coupables n'auraient donc jamais été identifiés par un contrôle de casier judiciaire.
• 1110
Mettre trop l'accent sur ces contrôles, même si l'on signale
qu'une réhabilitation a été accordée, suscite énormément d'intérêt
et d'activité qui détournent l'attention de ce qui devrait être
notre priorité: un filtrage adéquat pour protéger les enfants.
Je pourrais évidemment parler longtemps, et peut-être avec trop de passion, de tout ce qui tourne autour du filtrage. Je ne vais pas vous faire subir cela mais je vous invite à prendre contact avec Volunteer Canada si vous souhaitez obtenir des précisions sur la campagne nationale d'éducation sur le filtrage, qui est une initiative commune du Solliciteur général, de Santé Canada et du ministère de la Justice.
Ma deuxième remarque concerne directement le thème de la séance d'aujourd'hui. Il s'agit de signaler les réhabilitations qui sont accordées à des individus qui ont été condamnés pour un crime d'ordre sexuel.
À mon avis, si l'on investit le temps et les efforts voulus pour mettre en place un système adéquat et correctement géré d'octroi des réhabilitations, on doit avoir la possibilité de préserver le droit pour ces personnes de demander une réhabilitation. De fait, si l'on a des inquiétudes quelconques, si l'on craint que ces personnes constituent un risque, on ne devrait de toute façon pas leur accorder la réhabilitation.
D'après moi, si le système fonctionne bien et qu'un individu obtient une réhabilitation, on va tout à fait à l'encontre de l'objectif visé en signalant publiquement cette réhabilitation. J'ai la ferme conviction que cela pourrait n'être que l'amorce de choses bien regrettables. En effet, en arriverons-nous ensuite à signaler ceux qui ont commis un meurtre et ceux qui ont commis un crime de haine? Si tel est le cas, on en arrivera à se demander à quoi peut bien servir le système de la réhabilitation.
Si le gouvernement adopte un texte de loi donnant la possibilité de signaler publiquement les personnes obtenant une réhabilitation, je suis convaincu qu'il sera primordial de maintenir l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont on parlait plus tôt au niveau le plus élevé possible.
Il y a longtemps que je travaille dans le secteur du bénévolat. Il existe au Canada 175 000 organismes de charité et à but non lucratif, dans plus de 6 000 collectivités. Quelle que soit notre confiance envers la police et les organismes de bénévolat, ce sont des organismes communautaires comme tous les autres, c'est-à- dire assujettis comme les autres à toutes les vicissitudes de la nature humaine, notamment au désir sexuel et aux problèmes de gestion. Si l'on se met à divulguer des informations confidentielles en fonction du plus bas dénominateur commun, on va instaurer une mentalité de chasse aux sorcières.
Ma conclusion est que, si ce projet de loi doit être adopté, c'est au niveau le plus élevé possible qu'il faut accorder le pouvoir de décision relativement à la divulgation du casier judiciaire. C'est là quelque chose qui est très important à mes yeux car nous avons déjà pu constater, avec l'introduction du filtrage des bénévoles, que l'une des premières questions que l'on pose au niveau communautaire est la suivante: «Cela ne va-t-il pas dissuader des gens qui seraient prêts à faire du bénévolat?»
Le conseil scolaire de Toronto a fait la première page du Globe and Mail lorsqu'il a instauré le filtrage obligatoire des parents bénévoles. Il y a eu une levée de boucliers de la part des associations de parents qui ont dit: «Comment pouvez-vous douter de nous? Comment pouvez-vous faire ça?» L'idée d'établir un mécanisme de contrôle ou de filtrage pour déterminer qui est acceptable et qui ne l'est pas suscite beaucoup de crainte. Si l'on va encore plus loin en ouvrant le système et en permettant à des organismes locaux, voire à des services de police, d'obtenir accès à ce type d'informations confidentielles, on risque de ternir considérablement la réputation des organismes de bénévolat, ce qui pourrait être extrêmement préjudiciable à leurs activités de recrutement et à leur gestion globale.
Je vais conclure en formant le voeu que vous vous souviendrez d'au moins une chose que je vous aurai dite aujourd'hui. Je vais vous donner une très brève leçon sur le bénévolat, si vous me le permettez, même si ce n'est pas tout à fait pertinent. S'il y a une chose que vous devriez retenir, c'est que filtrer des individus ne veut pas nécessairement dire consulter un casier judiciaire ou un gros fichier central. En fait, si on laisse entendre, ouvertement ou non, que consulter un casier judiciaire ou un fichier central constitue tout ce que l'on a à faire pour protéger les enfants, on aura gravement induit en erreur les gens qui ont charge d'enfants, on aura induit le public en erreur et, plus important encore, on aura mis les enfants en danger.
Je ne saurais m'exprimer trop vigoureusement contre un fichier national des agresseurs sexuels, non pas parce que l'idée d'un fichier est foncièrement mauvaise mais parce que c'est un système qui ne marchera pas, qui coûtera cher et qui donnera à la population un faux sentiment de sécurité puisque les gens pourront dire: «J'ai vérifié dans le fichier». Si quelqu'un avait vérifié le fichier, il n'y aurait jamais vu le nom de Graham James, et Sheldon Kennedy aurait continué d'être victime, comme tous les milliers d'enfants qui sont victimes de pédophiles discrets et malins.
• 1115
J'aimerais que nos gouvernements unissent leurs ressources et
leur énergie pour éduquer et préparer les organismes de bénévolat
afin qu'ils s'acquittent adéquatement de leurs responsabilités,
sans créer de tempête dans un verre d'eau sur les questions de
réhabilitation et de signalisation.
Merci.
Le président: Merci, Madame Bowen.
Madame Murphy.
Mme Noreen Murphy (directrice générale, Churchill Park Family Care Society): Je suis ici pour représenter les éducateurs de la petite enfance et les puériculteurs de l'Alberta. Je voudrais vous dire comment le projet de loi C-284 protégera les enfants qui sont confiés aux milliers de puériculteurs du Canada.
Les familles du Canada confient quotidiennement leurs enfants à des éducateurs et puériculteurs, et l'on trouve des éducateurs et puériculteurs qui s'occupent d'enfants dans les garderies, en famille, dans des relations individuelles, en thérapie de groupe, en hôpital, dans des écoles de sciences infirmières, en maternelle, dans des centres préscolaires ou dans des programmes scolaires.
Nous favorisons les petits groupes où les enfants ont quelqu'un avec qui ils entretiennent une relation privilégiée. Nous croyons qu'il est bon d'embrasser les enfants, de les tenir dans les bras, de les caresser. Les enfants acquièrent le goût d'apprendre et les compétences nécessaires pour s'épanouir en société lorsqu'ils peuvent avoir des contacts physiques appropriés avec des adultes affectueux. Songez à la manière dont vous voudriez que votre enfant soit traité quand vous n'êtes pas avec lui. Vous voudriez qu'il soit traité avec affection.
Les puériculteurs sont en fait parfois des parents de substitution, qui vivent avec les enfants de huit à 12 heures par jour. Bien des parents qui occupent un emploi ne peuvent pas consacrer autant de temps à leurs enfants. Ces éducateurs et puériculteurs langent les enfants, leur apprennent la propreté, les habillent et les déshabillent, les préparent à la sieste (souvent seuls avec eux dans une chambre), les réconfortent et leur donnent les premiers soins. Ce sont les adultes extérieurs à la famille qui connaissent souvent le mieux les enfants.
Les puériculteurs sont des modèles de comportement et des mentors pour les parents, les étudiants, les enfants et les autres intervenants. Dans les garderies, les parents, les administrateurs et le public s'attendent à ce que ces fonctions soient confiées à des personnes qui ont la personnalité, l'instruction et les qualités nécessaires pour soigner et éduquer les jeunes enfants.
Si un enfant est exploité par un prédateur sexuel, sa confiance dans le monde qui l'entoure est à jamais atteinte. D'aucuns disent qu'elle est brisée pour toujours. Ces crimes insidieux, silencieux et dévastateurs ont un effet profond et durable sur l'enfant, les parents, les autres intervenants, le centre d'accueil, la collectivité des puériculteurs et le public.
Les garderies sont des lieux privilégiés pour que les prédateurs de ce genre essaient d'obtenir un emploi. Ces individus sont des maîtres de la tromperie et de la manipulation. Usant de leur charme et de leurs mensonges, ils sont capables de contourner les mesures de sauvegarde que nous mettons en place. Ils sont capables de communiquer de manière intime avec les enfants vulnérables, immédiatement après avoir été engagés, parce qu'une garderie de qualité est organisée de manière à favoriser des relations de confiance entre les enfants et les puériculteurs. Par conséquent, le prédateur potentiel s'intègre aisément dans ce milieu et peut très facilement causer du tort aux enfants.
Avant d'engager qui que ce soit pour assumer cette responsabilité, nous devons veiller à ce que les enfants et les familles puissent effectuer la meilleure évaluation possible. Comme la personne qui m'a précédé, j'estime que l'évaluation est le facteur clé. Garder des enfants n'est pas une activité sophistiquée, et les méthodes de filtrage sont méconnues ou mal connues dans ce secteur.
Songez simplement à la garderie qui se trouve au bout de votre rue et qui est dirigée par la dame qui vit à l'étage du dessus. Sa capacité à déterminer les antécédents d'une personne est très compromise si elle connaît mal la loi et les pratiques juridiques.
Je viens de l'Alberta où l'octroi d'un permis est assujetti à une vérification du casier judiciaire. Des gens comme cette dame au bout de la rue supposent que la personne qu'ils recrutent est parfaitement acceptable si la vérification du casier judiciaire n'a rien révélé à son sujet.
S'il y avait un mécanisme de signalisation, quelque chose qui me permette de savoir qu'il y a peut-être quelque chose qui ne va pas dans le caractère ou le passé d'un employé potentiel, je pourrais poser les bonnes questions. Si je n'ai pas ce signal, je ne peux pas poser les bonnes questions.
• 1120
Quand nous recrutons quelqu'un pour s'occuper d'enfants, nous
devons le faire en considérant que ceux-ci et leurs familles
méritent ce qu'il y a de mieux. Nous devons être en mesure
d'éliminer les personnes qui ont causé du tort aux enfants dans le
passé. Nous ne pensons pas que le succès de la réadaptation doive
être testé auprès de nos citoyens les plus vulnérables.
Il y a probablement à l'heure actuelle au Canada des centaines d'individus qui ont commis des crimes sexuels contre les enfants et qui entretiennent avec de très jeunes enfants des relations au niveau le plus intime possible pendant huit à 12 heures par jour. Hélas, nous ne savons pas qui ils sont parce que la réhabilitation qu'ils ont obtenue empêche les gérants de garderie d'avoir accès à leur casier judiciaire. Cela veut dire que nous ne pouvons offrir ce qu'il y a de mieux à nos enfants.
Veuillez donc nous donner le moyen de savoir si la personne qui a commis un crime sexuel contre les enfants fait une demande d'emploi auprès d'enfants. Merci.
Le président: Merci, madame Murphy. Madame Pate.
Mme Kim Pate (directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry): Merci beaucoup de nous avoir invités à témoigner.
Je voudrais dire quelques mots de l'importance de la réhabilitation pour nous et pour les personnes qui l'obtiennent, avant de faire quelques remarques sur le projet de loi.
Lorsqu'une personne condamnée pour avoir commis un acte criminel finit de purger sa peine et qu'elle essaie de réintégrer la société en montrant qu'elle saura respecter les lois, la réhabilitation a pour effet de sceller son casier judiciaire afin que le processus de réadaptation puisse avancer sans ingérence indue. La réhabilitation sert à libérer les individus qui ont payé leur dette envers la société de toute stigmatisation préjudiciable.
Il est très important de comprendre que tel est le but de la réhabilitation, et aussi de rappeler que le Solliciteur général jouit déjà d'une latitude considérable à ce sujet. Je partage à cet égard l'avis de ma collègue de Volunteer Canada qui estime que le pouvoir discrétionnaire doit être localisé au niveau le plus élevé possible pour tout ce qui concerne la réhabilitation.
À notre avis, le paragraphe 6(3) de la Loi sur le casier judiciaire donne déjà au ministre le pouvoir de divulguer des informations sur les casiers judiciaires s'il a la conviction que cette divulgation est souhaitable. En outre, ce pouvoir est défini de manière extrêmement large puisqu'il est clairement indiqué dans la Loi que la réhabilitation peut être accordée si cela correspond aux intérêts de l'administration de la justice ou à tout objectif relié à la sécurité du Canada. Manifestement, cela englobe la sécurité des enfants.
À nos yeux, le projet de loi C-284 ne fait que limiter ce pouvoir discrétionnaire et entravera son exercice par le ministre. Le projet de loi fixe aussi les conditions dans lesquelles l'exercice du pouvoir discrétionnaire pourra être limité. Notre position est qu'il n'est pas légitime de limiter ce pouvoir discrétionnaire étant donné que rien ne prouve que ce soit nécessaire.
De fait, selon les propres données du ministère du Solliciteur général—à qui nous avons demandé combien de fois il a été appelé à exercer ce pouvoir et à rouvrir des casiers judiciaires—cela ne concerne que 12 à 15 cas par an. En règle générale, le ministre décide de divulguer les informations demandées dans environ 80 p. 100 des cas. Près de la moitié des demandes reçues chaque année émanent d'employeurs potentiels qui souhaitent prendre connaissance du casier judiciaire d'une personne qui a obtenu la réhabilitation. Lorsque l'employeur est informé que le candidat à l'emploi est une personne réhabilitée, probablement par cette personne elle-même ou par un autre mécanisme de filtrage, comme une vérification auprès de la police, il demande l'accès à ces informations. Comme nous l'avons dit, c'est seulement dans 20 p. 100 des cas que le ministre a jusqu'à présent décidé de ne pas divulguer le casier judiciaire. Il est donc évident que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire assez régulièrement dans le nombre limité de cas qui lui sont soumis chaque année.
• 1125
En instaurant le système de signalisation envisagé dans le
projet de loi C-284, on risque de voir augmenter le nombre de
demandes formulées chaque année. Cela risque d'engendrer un système
dispendieux qui, comme on l'a déjà dit, donnera un faux sentiment
de sécurité aux employeurs éventuels car il risquera fort bien de
détourner l'attention de la nécessité très réelle de veiller à ce
que les employeurs éventuels, notamment d'employés qui vont
travailler auprès des membres plus vulnérables de la société, que
ce soient des enfants, des personnes handicapées ou d'autres
groupes auxquels le projet de loi C-284 ne s'appliquera pas
nécessairement... Nous préférerions en fait que l'on ne détourne
pas l'attention du but principal et que l'on s'intéresse plutôt aux
activités mentionnées par Mme Bowen et ses collègues, soit les
méthodes de filtrage, la formation professionnelle, la supervision
et l'évaluation.
Si vous me permettez une remarque d'ordre personnel, je peux vous dire, puisque j'ai fait partie du conseil d'administration d'une garderie d'enfants et que je suis mère de deux enfants, qu'il y a beaucoup trop de gens qui s'imaginent que le filtrage sera une véritable panacée, la méthode ultime pour savoir qui risque de poser un danger à nos enfants dans les garderies. En fait, il est parfaitement clair que c'est le contraire qui est vrai. Comme l'a dit Mme Bowen, bon nombre de ceux qui agressent les enfants ou les membres les plus vulnérables de la société ne sont pas identifiés par la police ou les tribunaux et n'ont pas eu de réhabilitation.
D'après nous, un mécanisme de filtrage, qu'il s'agisse d'une vérification de police, de l'examen du dossier de réhabilitation ou d'un système de signalisation, ne rehaussera en rien la sécurité de nos enfants—ou en tout cas de très peu. Nous préférerions de loin que l'on prête plus attention aux activités d'éducation auxquelles participe le Solliciteur général avec des organismes tels que Volunteer Canada, dans le but de mettre en place d'autres mécanismes de filtrage, de formation et d'évaluation pour que les gens soient plus conscients des types de comportements sur lesquels ils doivent se pencher et des types de problèmes auxquels ils devraient être sensibilisés.
D'après moi et d'après l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, il est parfaitement clair que nous n'avons aucun besoin d'un tel système de signalisation. Le ministre détient déjà tous les pouvoirs nécessaires pour rouvrir les casiers judiciaires lorsque cela lui semble légitime et nécessaire.
Les informations fournies par le ministère lui-même montrent clairement que le taux de récidive des agresseurs sexuels est en fait très faible. Certes, toute récidive de cette nature est de trop pour tout le monde, mais la réalité est qu'il s'agit là d'un problème qui a suscité beaucoup d'émotion et qui, pensons-nous, détourne l'attention des choses beaucoup plus importantes dont Mme Bowden et moi-même venons de parler.
Merci beaucoup.
Le président: Merci, madame Pate. Monsieur Stock.
M. Peter Stock (directeur des Affaires nationales, Coalition de l'action pour la famille au Canada): Merci, monsieur le président. Merci d'avoir invité la Coalition de l'action pour la famille au Canada à venir témoigner sur cette question importante.
Je tiens tout d'abord à féliciter le député de Calgary-Centre parce qu'il a réussi à franchir le plus haut obstacle que rencontre tout député qui dépose un projet de loi d'initiative privée: l'envoi de son projet devant un comité, après la deuxième lecture. Je tiens aussi à féliciter le Solliciteur général et le gouvernement d'avoir pris conscience de la gravité de cette question et d'avoir indiqué clairement qu'ils sont prêts à s'y attaquer de front, en déposant leur propre projet de loi.
La raison pour laquelle la Coalition de l'action pour la famille au Canada s'intéresse au problème global de l'exploitation sexuelle des enfants est que l'on entend de plus en plus parler de pornographie infantile. Jour après jour, on peut lire dans la presse que la police saisit des dizaines de milliers de photographies d'enfants nus prépubescents faisant l'objet d'abus sexuels. Nous savons que c'est un problème qui dépasse largement les simples questions de sanctions pénales et de services correctionnels. Comme nous estimons qu'il est important d'agir pour protéger les enfants, nous avons décidé de pousser nos recherches à ce sujet.
Quand on parle de saisie de matériel pornographique infantile, il faut bien comprendre que cela peut toucher 10 000 ou 20 000 enfants, c'est-à-dire le nombre d'enfants qui vivent probablement dans n'importe laquelle de vos circonscriptions. Songez que le nombre d'enfants agressés par des pédophiles est peut-être aussi élevé que cela! Je parle ici d'enfants du Canada, des États-Unis et de bien d'autres pays, mais le fait qu'une seule personne puisse avoir en sa possession autant de matériel, autant de cochonnerie, est absolument choquant.
• 1130
Pour effectuer nos recherches, nous nous sommes adressés à la
police d'Ottawa-Carleton, où il existe un service d'enquête sur la
pornographie infantile, ainsi qu'aux responsables du Projet P et à
la police provinciale de l'Ontario qui a probablement le service
d'enquête le plus étoffé et le plus développé sur cette question.
J'ai apporté avec moi quelques photographies de pornographie infantile qui ont été saisies lors d'une opération menée à Toronto. Si vous le désirez, je suis prêt à vous les montrer. Quand on réalise qu'il y a des milliers de magazines à ce sujet, ainsi que des dizaines de milliers de photographies sur des disques durs d'ordinateurs, vous comprendrez que c'est absolument incroyable.
Bien sûr, nous sommes aussi allés parler aux gens qui s'occupent des pédophiles incarcérés à Penetang, la circonscription du député de Simcoe-Nord. Il y a là un centre de traitement et un établissement d'incarcération de pédophiles endurcis. Finalement, nous avons aussi parlé à des pédophiles.
Ces recherches nous ont amenés à la conviction absolue que la plupart de ces individus risquent fortement de récidiver. Comme ils ne récidiveront que s'ils en ont l'occasion, tout ce que le Parlement peut faire pour protéger nos enfants... C'est là une question qui dépasse la partisanerie politique.
Bien sûr, il y a un élément de partisanerie dans la mesure où vous êtes saisis de deux projets de loi, l'un d'initiative privée et l'autre du gouvernement. En revanche, leur but est foncièrement le même, c'est incontestable. On y trouve toutefois certaines différences clés et c'est de cela dont je voudrais maintenant vous entretenir.
Je pense qu'il est important d'examiner sérieusement les deux projets de loi—bien que cette audience porte précisément sur le projet de loi C-284—en essayant de voir ce que chacun a à offrir, dans le but de trouver la solution ultime, ou une solution au moins partielle, au problème global. De fait, c'est surtout au sujet du projet de loi C-69 que nous exprimons des réserves.
Pour ce qui est du projet de loi d'initiative privée, C-284, il pose le problème de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de ce qui se passe lorsqu'un casier judiciaire est divulgué à un organisme souhaitant recruter un ex-contrevenant qui a accepté que son casier soit divulgué. Supposons que l'organisme décide de ne pas recruter cet individu parce que l'examen de son casier judiciaire révèle qu'il a fait l'objet d'une condamnation il y a une vingtaine d'années, par exemple.
Face à ce refus, l'individu peut s'adresser à la Commission des droits de la personne en disant: «J'ai fait l'objet de discrimination à cause de ma réhabilitation». Je constate que le projet de loi d'initiative privée traite de cette question en proposant d'amender la Loi sur les droits de la personne. Tel n'est pas le cas—pour le moment—du projet de loi du gouvernement et c'est peut-être quelque chose que le Solliciteur général pourrait envisager de corriger.
Notre deuxième réserve au sujet du projet de loi C-69 concerne le mécanisme de signalisation. Il est parfaitement clair que les deux projets de loi envisagent un mécanisme de signalisation des casiers judiciaires concernant des infractions qui seront indiquées dans les règlements. C'est très bien mais il semble que le projet de loi du gouvernement suscite un petit problème concernant ce que j'appellerai la responsabilité civile. Supposons en effet que la police constate qu'un casier fait l'objet d'une signalisation et qu'elle demande au Solliciteur général d'avoir accès aux informations pertinentes. Supposons ensuite que, pour quelque raison que ce soit—raisons dont nous ne pouvons pas discuter puisqu'elles n'ont pas encore été explicitées—le Solliciteur général refuse de divulguer les informations, et que ses raisons soient au demeurant parfaitement légitimes. La police reprend donc contact avec l'organisme concerné et celui-ci l'interroge: «Pourquoi le ministère a-t-il décidé de ne pas vous communiquer les informations? Est-ce parce que le casier a été signalisé?»
La question qui se pose est de savoir si la police aurait même le droit d'indiquer qu'il y a eu signalisation du casier. Si elle révélait ce fait, commettrait-elle une infraction à la loi? Si elle ne le faisait pas et que le demandeur d'emploi commettait une nouvelle infraction, la police serait-elle tenue responsable de ne pas avoir indiqué que le casier judiciaire avait été signalisé? À mon avis, c'est là une question qui n'a encore fait l'objet d'aucune réponse. C'est pourtant quelque chose de très important. Allons-nous exposer la police à des poursuites dans ce contexte? À vous de répondre à la question.
La dernière question concerne le cas où le Solliciteur général examine les casiers judiciaires et prend ce qui semble être une décision subjective au sujet de la divulgation ou non des informations. Ne devrait-on pas indiquer dans les règlements les motifs pour lesquels la divulgation pourrait être refusée? Cela constituerait une norme et la décision serait fondée sur des critères objectifs plutôt que subjectifs. Pourquoi établir un nouveau palier bureaucratique? Cela ne va-t-il pas ralentir le processus d'accès aux casiers judiciaires? Ce sont là toutes les questions auxquelles il convient de répondre. Je ne sais pas si l'on pourra y trouver des solutions mais il est crucial d'en tenir compte.
• 1135
Ma dernière remarque concerne la liste des infractions qui
figurera dans le règlement. Certes, le gouvernement n'a encore
donné aucune indication à ce sujet mais je suppose qu'il finira par
le faire. En attendant, nous tenons à encourager vivement le
Solliciteur général et le comité à inclure dans la liste les
infractions figurant aux articles du Code criminel relatifs à la
pornographie infantile, c'est-à-dire les infractions des
paragraphes 1 à 4 de l'article 163.1, soit possession, distribution
et production de pornographie infantile, etc.
Je ne sais pas si le gouvernement envisage d'inclure ces infractions dans le règlement mais il est clair que les infractions de pornographie infantile sont directement reliées aux activités de pédophilie et à l'exploitation sexuelle des enfants. En conséquence, nous demandons fermement au gouvernement et au comité d'inclure ces infractions dans la liste dans le but d'aider la police et les organismes concernés. Il ne s'agit pas seulement ici de signaler les casiers judiciaires car, comme plusieurs organismes n'ont pas manqué de le souligner, cela ne saurait résoudre totalement le problème.
Il y a plusieurs autres choses que nous voulons demander. Nous croyons que le comité s'engage dans la bonne voie en essayant d'aborder ce problème de manière adulte et responsable.
Cela dit, parlons du problème de la peine minimum obligatoire. Le 12 mars de cette année, un certain Paul Gervais, âgé de 52 ans et résidant à Ottawa, a connu la peine qui lui serait infligée pour les sept accusations d'exploitation sexuelle, d'agression sexuelle et d'acte indécent pour lesquelles il avait plaidé coupable le 16 décembre. Ces accusations concernaient neuf jeunes victimes de 14 ans à 20 ans qu'il avait agressées dans son atelier de rembourrage de meubles ces dernières années. Les accusations avaient été portées l'an dernier suite à une plainte déposée par un enfant de 14 ans. Lors de l'audience, on a appris que M. Gervais avait été condamné pour une agression similaire il y a plus de 20 ans et qu'il avait depuis obtenu sa réhabilitation, ce que nous ne contestons pas.
Ce qui est intéressant, c'est que, lorsque la Couronne et la défense ont présenté leurs arguments sur la sentence, la Couronne a demandé une peine de 12 à 18 mois et que le juge Ryan a déclaré qu'il avait d'abord pensé qu'une peine d'emprisonnement serait adéquate car il savait que la communauté «réclame de longues peines d'incarcération pour de telles infractions».
Ensuite, le juge Ryan a dit que, puisque M. Gervais devrait à plus ou moins longue échéance retourner dans la société, il serait préférable pour le public qu'il bénéficie d'un traitement régulier et qu'il soit avec sa famille. Le juge n'a donc aucunement tenu compte du principe de protection de la société et il a infligé à M. Gervais une peine conditionnelle de deux ans moins un jour, assortie de trois années de probation. Je cite le juge lui-même:
-
Si le législateur a jugé bon d'offrir aux tribunaux la possibilité
d'appliquer des peines conditionnelles, pourquoi ceux-ci ne
devraient-ils pas s'en prévaloir?
La question que je vous pose à ce sujet—et c'est celle que posait le juge—est celle-ci: pourquoi y a-t-il des peines conditionnelles en cas d'agression sexuelle contre des enfants? Je pense que le comité serait bien avisé de se pencher sur cette question.
Je conclurai en faisant trois brèves recommandations. Il conviendrait de relever l'âge du consentement, ce qui serait très utile à la police dans les affaires de prostitution infantile. Il faudrait bannir la vente de matériel adulte aux enfants, c'est-à- dire de revues comme Playboy ou Hustler, qui peuvent légalement être vendues aux enfants au Canada. Finalement—et c'est là une chose au sujet de laquelle le gouvernement a fait preuve de leadership, ce qui est encourageant—il convient d'élaborer une stratégie coordonnée à l'échelle nationale en matière de répression de l'exploitation sexuelle des enfants.
La GRC et le CCIP s'occupent depuis un certain temps de l'élaboration d'une telle stratégie de répression qui est sur le point d'être mise en oeuvre. La seule recommandation à cet égard est que le comité et le gouvernement songent sérieusement à consacrer des crédits supplémentaires à cet égard. Ils dépensent déjà énormément d'argent dans d'autres secteurs des activités policières qui sont loin, à mon avis, de pouvoir produire autant de résultats. Quelques millions de dollars consacrés à ce domaine aideraient considérablement la société à réduire l'ampleur du problème de la pédophilie et de l'exploitation sexuelle des enfants.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Stock. Monsieur Lowther.
M. Eric Lowther: Merci, monsieur le président.
Je m'adresse tout d'abord à Paddy Bowen. Près de 40 organismes différents de bénévolat—YMCA, Scouts, garderies, conseils scolaires, Grands frères, associations de handicapés, etc.—ont fermement appuyé le projet de loi C-284. Votre organisation, Volunteer Canada, s'exprime-t-elle en leur nom?
Mme Paddy Bowen: Non, nous ne représentons que nous-mêmes.
M. Eric Lowther: Volunteer Canada reçoit-elle des crédits du gouvernement?
Mme Paddy Bowen: Oui.
M. Eric Lowther: Du gouvernement fédéral?
Mme Paddy Bowen: Oui.
M. Eric Lowther: Vous semblez dire qu'il ne faut faire aucune vérification des casiers judiciaires parce que cela donnerait un faux sentiment de sécurité. Savez-vous qu'il y a actuellement dans la nature 12 000 agresseurs sexuels réhabilités?
Mme Paddy Bowen: Oui. Vous n'avez pas exprimé exactement notre position. Nous ne disons pas qu'il ne faut pas faire de vérification mais simplement qu'il ne faut pas se fier uniquement à la vérification du casier judiciaire car il y a bien d'autres vérifications possibles.
M. Eric Lowther: D'accord.
Mme Paddy Bowen: De fait, les organismes que vous venez de mentionner—Scouts Canada, YMCA, Association canadienne des parcs et des loisirs—sont nos partenaires dans la campagne nationale d'éducation sur le filtrage et ils diffusent le même message que nous.
M. Eric Lowther: Je vous ai pourtant citée textuellement: «ne vérifiez pas parce que cela donne un faux sentiment de sécurité».
Mme Paddy Bowen: Veuillez m'excuser, je pense que vous avez mal enregistré mes paroles.
M. Eric Lowther: Dans ce cas, dites-vous maintenant qu'il faut la peine de faire des vérifications?
Mme Paddy Bowen: La vérification du casier judiciaire est l'une des 10 étapes du filtrage. La première étape consiste à évaluer le risque du poste. La deuxième, à créer un poste qui atténue le risque. Par exemple, pour les camps d'été, 400 entraîneurs sont recrutés en mai et partent en octobre. Il n'est pas nécessaire d'appliquer les 10 étapes à tous ces 400 entraîneurs si l'on crée des postes de bénévolat qui atténuent le risque, c'est-à-dire garantissant que les entraîneurs ne sont jamais seuls avec les enfants, ne peuvent pas les prendre dans leurs bras et n'ont aucun contact avec eux. Par contre, si certains entraîneurs doivent faire des déplacements avec les enfants, pour participer à des tournois par exemple, il convient d'effectuer un filtrage plus intensif, ce qui peut alors comprendre une vérification du casier judiciaire.
Ce que nous recommandons, c'est que l'on n'exagère pas la valeur de la vérification du casier judiciaire car cela ne permettra aucunement de repérer tous les contrevenants. D'autres initiatives de filtrage, par exemple faire preuve de vigilance, surveiller les individus dans leurs rapports avec les enfants, vérifier les références, dispenser une formation adéquate et parler aux enfants, donneront de bien meilleurs résultats.
M. Eric Lowther: Je vous remercie de cette explication. Votre position est au fond que vérifier le casier judiciaire d'un contrevenant réhabilité n'est pas une panacée.
Mme Paddy Bowen: Ce n'est qu'une toute petite pièce du casse- tête.
M. Eric Lowther: C'est une petite pièce du casse-tête.
Si j'ai bien compris, vous dites aussi que l'on devrait peut- être revoir l'idée même d'accorder la réhabilitation, afin de régler le problème à sa source dans certains cas. Cela dit, quand on sait qu'il y a 12 000 agresseurs sexuels réhabilités dans la nature, selon les chiffres mêmes du Solliciteur général, et que 700 d'entre eux ont récidivé après leur réhabilitation, j'ai peine à comprendre pourquoi vous ne voudriez pas au moins ajouter l'étape supplémentaire.
Certes, ce n'est pas une panacée mais si quelqu'un souhaite occuper un poste de confiance auprès d'enfants, nous saurions au moins que le casier judiciaire est accessible et que l'on peut obtenir les renseignements relatifs à la réhabilitation. Je ne comprends donc pas pourquoi vous ne voudriez pas que ces informations soient communiquées à la personne chargée de décider, non pas à titre de panacée ou pour donner un faux sentiment de sécurité mais pour faire tout notre possible pour éviter un problème? Vous semblez vous opposer à cela. À moins que je ne vous ai mal comprise.
Mme Paddy Bowen: Vous m'avez mal comprise. Je m'oppose à ce que l'on considère cela comme une panacée, comme vous venez de le dire. Si l'on décide d'aller de l'avant, j'ai dit que ma préférence serait que le pouvoir discrétionnaire de divulguer les informations—dont nous avons tous parlé dans nos exposés—continue d'appartenir au Solliciteur général.
J'ajoute par ailleurs que les 700 et les 12 000 individus dont vous parlez ne seront à mon avis pas repérés avec le projet de loi C-284 parce que le système ne serait mis en place qu'à partie de maintenant, si je ne me trompe, et que l'on ne commencerait à avoir accès aux casiers judiciaires que dans trois ans. En fait—et j'exprime plus là un avis personnel que celui de Volunteer Canada, comme je l'avais fait au début de mon exposé—je n'aurais rien contre une réévaluation du système de la réhabilitation dans le but de voir comment on accorde aujourd'hui la réhabilitation à des agresseurs sexuels d'enfants.
Par exemple, quiconque est condamné de meurtre au premier degré n'est pas admissible à la réhabilitation. C'est une décision qui a été prise dans le passé. J'ai le sentiment qu'il y a un intérêt croissant à prendre une décision similaire dans d'autres cas, sous réserve d'un débat poussé avec les experts, comme vous- même, pour savoir où fixer la limite. Devrions-nous accorder la réhabilitation à l'individu dont le penchant est d'avoir des relations sexuelles avec des enfants?
Si l'on accepte le système de la réhabilitation, il existe des mesures relativement étoffées qui permettent de repérer la majeure partie des délinquants sexuels.
M. Eric Lowther: Permettez-moi de dire que le système ne semble pas avoir été très efficace pour les 12 000 réhabilités qui courent dans la nature. Leur réhabilitation a été accordée quasi automatiquement. Également, rien n'empêche que le projet de loi C-284 soit appliqué rétroactivement à ces cas-là aussi.
J'apprécie néanmoins vos remarques. Si je vous comprends bien, vous n'êtes pas opposée à la vérification du casier judiciaire, vous pensez simplement qu'il ne faut pas y voir une panacée. Cela me semble bien cohérent.
• 1145
Puis-je vous poser aussi une question ou deux, madame Pate?
Vous avez évoqué la stigmatisation dont ces individus continuent de
faire l'objet dans la société. Je tiens à préciser qu'en vertu du
projet de loi C-284, le casier judiciaire ne serait divulgué que si
la personne sollicite un poste de confiance auprès d'enfants. Il ne
le serait aucunement dans d'autres circonstances. Vous dites aussi
que le Solliciteur général possède déjà aujourd'hui le pouvoir de
divulguer les informations. L'un des problèmes que nous avons à ce
sujet est que, bien souvent, les gens ne savent même pas qu'il y a
eu une réhabilitation et qu'ils ne songent donc même pas à
s'informer. C'est pour cette raison qu'il y a eu jusqu'à présent
tellement peu de demandes.
Le fait que rien ne prouve qu'il soit nécessaire de limiter le pouvoir du Solliciteur général à cet égard n'est à mon avis qu'un facteur tout à fait accessoire—à moins que je ne vous ai mal comprise—étant donné que, aujourd'hui, les gens ne savent tout simplement pas qu'ils peuvent demander les informations. Ils supposent que la vérification du casier judiciaire est complètement suffisante et qu'il n'y a rien d'autre à chercher. En effet, rien n'existe pour leur indiquer qu'il a pu y avoir une réhabilitation. Vous avez aussi évoqué le faux sentiment de sécurité que pourrait produire la vérification du casier judiciaire. Suite à ma discussion avec Mme Bowen, est-ce toujours votre position ou croyez-vous qu'il vaut quand même la peine de faire cette vérification dans le contexte que j'ai mentionné?
Mme Kim Pate: Pour revenir à votre première question, notre réserve vient du fait que cela constituera la première entorse à la notion même de réhabilitation. En effet, la question qui se pose automatiquement est celle-ci: que deviendra la réhabilitation? C'est ça notre préoccupation fondamentale.
Il faut bien admettre qu'il y a certaines personnes qui réussissent à régler leur problème et à tirer vraiment un trait sur leur passé. Notre position n'est pas que l'on ne devrait jamais pouvoir effectuer de vérification mais plutôt que l'on peut déjà le faire aujourd'hui et que, bien souvent, les individus qui sont déjà connus le sont sans qu'il soit nécessaire de vérifier leur casier judiciaire et leur réhabilitation car ils sont souvent bien connus dans leur collectivité.
Autrement dit, il existe déjà des mécanismes de contrôle. De fait, si quelqu'un veut avoir accès à un casier judiciaire, c'est techniquement possible, à l'exception des cas bénéficiant d'une protection au titre de la législation canadienne sur les droits de la personne—la même protection n'étant pas nécessairement accordée par toutes les lois provinciales des droits de la personne.
Le président: Monsieur Peter MacKay, êtes-vous prêt?
M. Peter MacKay: Oui. Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre quand vous dites qu'une bonne partie de ces informations est déjà connue sans qu'il soit nécessaire de vérifier le casier judiciaire.
Il se peut que ce soit vrai dans certains cas mais je sais que, dans ma région, les provinces maritimes, les gens déménagent beaucoup. Or, il est évident que celui qui a un casier judiciaire et qui a des instincts pédophiles et prédateurs aura tout intérêt à ne pas se faire identifier. Il fera beaucoup d'efforts pour ne pas être repéré.
En fait, pour reprendre l'exemple de M. Lowther, la plupart des formulaires utilisés pour faire une demande d'emploi ne contiennent aucune question relativement à la réhabilitation. On dit simplement: «Avez-vous un casier judiciaire?» Dans le cas d'une réhabilitation, l'individu peut répondre non car, d'un point de vue strictement juridique, la réhabilitation a purgé le casier judiciaire.
Donc, si l'on s'en remet essentiellement au fait que les individus concernés devront s'auto-identifier, il est clair que tel ne sera pas le cas. Que répondez-vous à cela?
Mme Kim Pate: Je vous remercie d'abord de votre explication car je pensais que nous parlions des petites communautés et des petits groupes. Dans les petites communautés, en effet, les personnes qui ont été condamnées sont bien connues et elles le sont encore 20 ans après, qu'elles aient ou non obtenu leur réhabilitation.
Pour ce qui est des casiers judiciaires, notre expérience nous a montré que, lorsqu'on demande aux gens s'ils ont un casier judiciaire, beaucoup de ceux qui ont obtenu la réhabilitation répondent par l'affirmative parce qu'ils pensent que leur casier judiciaire a simplement été scellé, pas purgé. Voilà ce que je voulais dire.
• 1150
Votre remarque confirme précisément mon argument que cela ne
sera pas une panacée. En fait, si quelqu'un déménage souvent, qu'il
ait ou non été réhabilité, surtout s'il n'a jamais été condamné, ce
qui est le cas de beaucoup... Nous savons bien que la plupart des
gens qui peuvent poser un risque pour nos enfants n'ont jamais été
appréhendés, et encore moins condamnés, emprisonnés ou réhabilités.
Le fait que l'on veuille mettre en place ce nouveau système nous
porte à croire que cela va créer un faux sentiment de sécurité,
autant de la part des employeurs, qui vont se fier au fichier, que
de la part du grand public, qui aura l'impression que les enfants
sont plus en sécurité qu'avant. Or, c'est tout à fait le contraire
qui va se produire car ces individus trouveront des méthodes encore
plus sophistiquées pour se cacher.
M. Peter MacKay: Si je suis votre raisonnement, je débouche nécessairement sur la prévention. Je reconnais que ce n'est pas un texte de loi qui va résoudre à lui seul le problème. Toutefois, comme on a pu le voir avec d'autres projets de loi, par exemple sur l'enregistrement des armes à feu, dont le but était uniquement de permettre aux agents de police d'avoir des informations—c'était en tout cas l'intention d'origine et c'est comme ça qu'on l'a présenté au grand public... Si je comprends votre raisonnement, vous dites que, puisque le système ne sera pas infaillible, c'est-à-dire que les informations qu'il contiendra ne seront pas totalement parfaites, la police ne devrait pas lui accorder beaucoup de crédit. Dans certains cas, et même dans la plupart, des informations inexactes sont pires que pas d'information du tout. Ça peut être mortel.
Si l'on veut évoluer vers un système donnant certaines informations à la police, ce ne sera peut-être pas un système parfait qui permettra d'appréhender tout le monde mais ce sera quand même un pas dans la bonne voie... Je pense que ce que l'on envisage généralement, c'est une sorte de fichier national des délinquants sexuels qui serait relativement exact, tout au moins en ce qui concerne les individus qui sont passés dans l'appareil judiciaire, c'est-à-dire qui ont eu leur procès et qui ont été condamnés. Ces informations feraient alors partie de cette panacée plus générale dont nous discutons et feraient partie des vérifications et de l'éducation qui est nécessaire. N'est-ce pas là l'objectif ultime?
Mme Kim Pate: C'est peut-être votre objectif ultime—et je pense qu'il est tout à fait louable—mais je ne pense pas qu'il sera atteint. Puisque vous avez parlé du fichier des armes à feu, nos réserves à cet égard viennent du fait qu'on l'a présenté comme un mécanisme qui permettrait de prévenir de nombreux actes criminels alors que nous savons bien que, dans la vie réelle, les risques les plus grands viennent des gens qui se blessent eux- mêmes, qui se suicident ou qui ont un accident et non pas de ceux qui sont victimes d'un acte criminel. Cela aussi peut créer un faux sentiment.
La résultante de cela est que les gens en veulent encore plus parce qu'ils croient que le système n'est pas assez rigoureux. C'est la tendance générale, alors qu'il serait préférable de considérer que ce n'est qu'un petit élément d'une campagne globale d'éducation du public ou d'une approche globale intégrant les bénévoles et ceux et celles qui ont charge d'enfants.
De fait, nous craignons que, plus les gens seront portés à penser que le problème est réglé, grâce à ce système, moins ils attacheront d'importance et consacreront de ressources à une vraie prévention. En outre, ce type de fichier coûtera bien cher à entretenir, relativement parlant—c'est-à-dire par rapport au travail d'éducation que mène Volunteer Canada auprès de ses membres.
Il est évident qu'il y a encore bien des gens—votre collègue a mentionné qu'une quarantaine de groupes se sont manifestés—qui appuient cette initiative. Je n'en suis pas surprise puisque les gens cherchent des solutions. Ce que je crains, c'est que le système de signalisation qui sera mis en place avec ce type de projet de loi donnera à la population l'impression qu'il y a une solution très bon marché au problème et pas nécessairement...
M. Peter MacKay: Aux dépens d'autres efforts.
Mme Kim Pate: Aux dépens d'autres efforts.
C'est précisément pour cette raison que j'évoquais tout à l'heure ma propre expérience au conseil d'administration d'une garderie. Nous parlions de choses qui seraient considérées comme des méthodes plus compliquées pour assurer la sécurité des enfants. Quand les gens se sont mis à penser qu'une simple vérification du casier judiciaire résoudrait le problème, ils ont manifestement été portés à croire que la plupart de ces individus sont déjà sous les barreaux.
• 1155
Je voudrais aussi aborder une question que vous pourrez poser
au gouvernement et au Solliciteur général: à l'heure actuelle,
combien y a-t-il de délinquants sexuels qui ont été réhabilités? Je
sais que l'on a mentionné des chiffres au sujet des années passées
mais la réalité est que l'on a attaché beaucoup plus d'importance
aux infractions à caractère sexuel au cours de la dernière décennie
et je serais donc surprise qu'il y en ait aujourd'hui autant qui
obtiennent la réhabilitation qu'autrefois. Je ne sais pas.
M. Peter MacKay: J'ai une très brève question à vous poser à ce sujet, madame Pate ou madame Bowen. Seriez-vous favorable à ce que l'on indique clairement dans le Code criminel que, pour les crimes à caractère sexuel commis contre des enfants, aucune réhabilitation ne pourra être accordée? Cela éviterait tout malentendu et serait parfaitement clair.
Mme Paddy Bowen: Ce n'est nécessairement la position de Volunteer Canada. De fait, notre position vient d'être parfaitement exprimée par Kim—je devrais vous inviter à déjeuner, Kim—quand elle a souligné l'importance d'une campagne nationale d'éducation. Du point de vue du simple citoyen, il semble assez peu légitime d'accorder la réhabilitation à quelqu'un qui commet ce type de crime. En fait, je pense qu'il serait plus cohérent de l'accorder à celui qui a tué quelqu'un et qui s'est réadapté plutôt qu'à un délinquant sexuel car nous savons bien, d'après les recherches, qu'il y a toutes sortes de problèmes de récidive.
Comme Kim, j'estime qu'il est important de préserver l'intégrité du système de réhabilitation. Si on commence à le manipuler en signalant de manière particulière les personnes réhabilitées, celles-ci devront-elles être considérées comme réhabilitées ou comme signalées? Si elles sont signalées, cela ne sera-t-il pas la même chose que si l'on avait révélé leur condamnation? D'après moi, c'est la mauvaise réponse à une bonne question, malgré de bonnes intentions.
J'affirme donc que l'un des objectifs à long terme devrait être de resserrer le système de la réhabilitation de façon à ce que celle-ci ne soit pas remise en cause une fois qu'elle a été accordée. Si l'on estime que quelqu'un continue à poser des risques, il ne faut pas lui accorder la réhabilitation. Cela me semble procéder d'une logique tout à fait élémentaire mais je reconnais que c'est peut-être plus compliqué à mettre en place du point de vue législatif.
Le président: Merci, monsieur MacKay. Monsieur John McKay.
M. John McKay: Monsieur MacKay vient d'aborder un sujet qui m'intéresse considérablement car vous avez probablement raison, madame Pate, de dire qu'on risque de commettre la première entorse à tout le système de la réhabilitation. Avant de pousser la réflexion un peu plus loin, je souhaite vous poser une question. D'après vous, quel est le pourcentage d'individus condamnés qui demandent la réhabilitation?
Mme Kim Pate: Je ne sais pas. Je pense que la proportion est relativement petite et que la demande est en moyenne formulée 11 ans après la fin de la peine. Toutefois, je ne connais pas le pourcentage réel.
M. John McKay: Pourrait-on supposer que seulement 10 p. 100 des individus condamnés pour avoir commis un acte criminel demandent la réhabilitation?
Mme Kim Pate: J'hésite à m'engager dans cette voie. Cela dit, il semble qu'un certain nombre d'individus hésitent à demander leur réhabilitation parce que le processus est relativement complexe et relativement long.
M. Eric Lowther: Un rappel au Règlement, monsieur le président. Nous avons déjà remis cette information à tous les membres du comité lors d'une séance précédente. Les chiffres montrent que 99 p. 100 des demandes de réhabilitation sont accordées. L'information demandée a donc déjà été fournie.
Le président: Monsieur Lowther...
M. John McKay: Veuillez m'excuser, ce n'est pas la bonne réponse.
Le président: ...je crois que le député a le droit de poser toutes les questions qu'il veut au sein du comité.
M. Eric Lowther: D'accord. Je voulais juste apporter cette précision.
Le président: Si l'information a déjà été fournie, il nous fait perdre notre temps. Allez-y, monsieur McKay.
M. John McKay: Je vais formuler certaines hypothèses car je voudrais parler uniquement du groupe de ceux qui demandent la réhabilitation. À l'heure actuelle, ceux qui formulent cette demande semblent avoir un taux de succès relativement élevé et, comme l'a déjà dit M. Lowther, c'est essentiellement pour cela que le public perd confiance dans le système, surtout en ce qui concerne ce type de crime.
Selon Mme Bowen, nous n'accordons pas la réhabilitation à ceux qui ont commis un meurtre au premier degré. D'après vous, ferions- nous—comment dire?—une sérieuse entorse au système si nous décidions de ne pas non plus accorder de réhabilitation aux pédophiles?
Mme Kim Pate: Veuillez m'excuser, je ne saisis pas bien votre question. Voulez-vous dire qu'il y aurait une augmentation si l'on n'avait pas ce système de signalisation?
M. John McKay: Non. Je dis que la personne qui aurait commis ce type particulier d'infraction n'aurait jamais droit à la réhabilitation.
Mme Kim Pate: Mon organisation et moi-même sommes favorables au système de la réhabilitation et il est regrettable que les personnes condamnées à la prison à vie, c'est-à-dire parce qu'elles ont commis un meurtre, n'y sont pas admissibles. La raison en est notamment que leur peine n'est jamais complètement purgée. Elle continue jusqu'à leur mort.
M. John McKay: C'est la perpétuité. C'est vrai.
Mme Kim Pate: Nous ne sommes donc pas favorables à ce qu'on limite encore plus ceux qui pourraient obtenir la réhabilitation mais cela ne veut aucunement dire qu'il ne faudrait pas revoir le système. De fait, nous estimons que le système est devenu de plus en plus difficile au cours des années. Pour certains, c'est pour des raisons financières, étant donné qu'il faut verser des droits pour présenter une demande. Pour d'autres, c'est parce que le processus est trop long.
M. John McKay: Nous arrivons à certains égards au coeur même de la question, c'est-à-dire que, si l'on en croit les données disponibles, ces gens n'arrivent jamais à surmonter leur habitude ou leur prédilection. Comme ils ne peuvent jamais guérir, il serait relativement contradictoire de leur accorder la réhabilitation, ce qui nous amène au bout d'un mur philosophique, si je puis m'exprimer ainsi.
Mme Kim Pate: Je conviens que, selon les recherches disponibles, très rares sont les délinquants sexuels qui peuvent être réhabilités ou perdre leur prédilection en matière d'activité sexuelle, surtout les pédophiles.
Il convient cependant de reconnaître aussi que l'on a relativement peu étudié les mesures concrètes qui pourraient être prises, et c'est pourquoi nous pensons... S'il est vrai que je ne voudrais certainement pas donner l'impression que nous devrions relâcher notre vigilance à l'égard de ceux qui sont impliqués dans des activités sexuelles—c'est-à-dire de ceux qui sont en situation de risque dans la société—il n'en reste pas moins que l'on ne devrait pas non plus, à mon avis, renoncer d'office à toute intervention.
M. John McKay: Mais on ne changerait pas vraiment grand-chose au système de réhabilitation si l'on décidait que celle-ci ne pourrait jamais être accordée pour certains types d'infractions.
Mme Kim Pate: Au contraire, je crois que cela réduirait le pouvoir discrétionnaire du ministre.
M. John McKay: Ce qui serait précisément le but visé. Nous limiterions le pouvoir discrétionnaire du ministre.
Mme Kim Pate: C'est cela. Toutefois—et c'est ici que la première entorse nous inquiète—ce seront les infractions à caractère sexuel cette année mais, l'an prochain, ce sera peut-être autre chose, par exemple les infractions reliées à la drogue. Autrement dit, nous craignons que l'on en arrive à prendre la même décision pour tout ce qui deviendra un point chaud dans la collectivité et ce n'est pas...
M. John McKay: Mais, écoutez, la vraie question n'est-elle pas de savoir pour qui on rédige ce code? Pour qui y a-t-il un appareil de justice pénale? Est-ce que c'est pour la population ou pour les experts, les gens qui occupent le système, c'est-à-dire les participants, les avocats, les juges, etc.?
J'ai dit que j'allais m'excuser de vous pousser à la limite mais je le fais délibérément pour voir si vous ne pensez pas que l'on pourrait légitimement éliminer toute possibilité de réhabilitation pour cette catégorie d'infractions.
Mme Kim Pate: Si j'avais l'assurance que les infractions dont il s'agit correspondent exactement aux comportements, je serais peut-être prête à aller jusque-là mais je ne suis pas certaine que ce soit le cas. De fait, nous savons que les infractions ne reflètent pas clairement les comportements. Par exemple, il n'existe pas d'infraction sexuelle, ou d'infraction sexuelle contre un enfant. Il y a une série de...
M. John McKay: C'est vrai. Il s'agit de condamnations.
Mme Kim Pate: C'est juste. La question serait alors de savoir comment on définit le comportement et s'il risque de se reproduire. C'est d'ailleurs pour cette raison que la réhabilitation est un processus individualisé, à mon avis. Elle est envisagée différemment dans chaque cas, en fonction des motifs de condamnation.
Pour pousser le raisonnement dans l'autre sens, notre inquiétude serait que, plus les sanctions deviennent lourdes, plus on assisterait à l'effritement du système, et je ne voudrais certainement pas me retrouver dans une situation où quelqu'un qui pourrait ou devrait être jugé et condamné pour un crime donné le serait pour quelque chose qui ne serait pas dans la liste.
M. John McKay: Pour éviter toute éventualité de réhabilitation. C'est un peu tiré par les cheveux, n'est-ce pas?
Mme Kim Pate: Peut-être bien, mais je pense que c'est une question qu'il faut se poser.
Le président: Merci, monsieur McKay.
Monsieur Lowther, pour trois minutes.
M. Eric Lowther: Merci, monsieur le président.
Si je comprends bien Mme Bowen et Mme Pate, elles laissent entendre qu'elles seraient prêtes à envisager de ne pas accorder du tout de réhabilitation à ces individus à condition que l'on parvienne à définir tout à fait exactement leur comportement. Pourtant, le projet de loi C-284 vise uniquement à dire que l'on indiquera que l'individu a bénéficié de la réhabilitation.
Si la réhabilitation n'a pas été accordée, on aura toujours le droit de savoir que la personne a un casier judiciaire. S'il n'y a pas de réhabilitation, on peut savoir qu'un casier existe. Pourtant, vous semblez vous opposer à ce que l'on donne aux gens le droit d'avoir accès à cette information lorsqu'il y va d'un poste de confiance auprès des enfants, c'est-à-dire d'une situation de risque élevé pour ces derniers.
Voulez-vous donc dire que le projet de loi C-284 ne va pas assez loin et que vous préféreriez que l'on réexamine les dossiers des 12 000 prédateurs sexuels qui ont obtenu la réhabilitation afin de révoquer celle-ci? Si vous préférez qu'on ne leur accorde pas la réhabilitation, peut-être devrait-on la révoquer pour tous ceux qui l'ont obtenue?
Mme Paddy Bowen: Je tiens à dire clairement que je ne m'oppose pas au projet de loi C-284. Je pense simplement qu'il comporte certaines failles. Ma position générale, que j'ai déjà exprimée, est qu'il faut mettre beaucoup plus l'accent sur l'éducation plutôt que sur ce système de contrôle.
Comme je travaille dans le secteur du bénévolat, je sais parfaitement les craintes que peut susciter l'éventualité de recruter un pédophile. Ces craintes sont très répandues dans nos communautés—pour toutes sortes de bonnes raisons. Mes remarques visent simplement à replacer les choses dans leur contexte pour vous aider à trouver la meilleure solution pour atteindre votre but qui est de protéger les enfants.
Je pense que le projet de loi dont vous êtes saisis souffre de certaines failles. D'un point de vue philosophique, je pense qu'il témoigne d'une certaine incohérence. Si la réhabilitation doit avoir un sens, pourquoi ces gens-là ne pourraient-ils pas l'obtenir? Si on décide de signaler qu'elle a été accordée... Il faudrait savoir comment revenir en arrière.
Ma deuxième réserve concernait la manière dont on ferait savoir qu'il y a un signal sur le casier judiciaire. Je pense que cette information ne devrait pas être communiquée directement aux groupes communautaires car j'estime que le système pourrait devenir extrêmement arbitraire à ce niveau. Je n'accorde pas beaucoup de confiance à la police locale dans certains cas. J'ai vu des résultats très négatifs de discussions sur les casiers judiciaires.
Si vous décidez d'aller de l'avant, je recommanderais que le pouvoir discrétionnaire soit maintenu au niveau le plus élevé possible.
M. Eric Lowther: Pour ne pas perdre de temps, madame Bowen—car mon temps de parole est limité—les deux projets de loi aboutiraient quand même à divulguer cette information aux organismes faisant du recrutement, j'espère.
Mme Paddy Bowen: Oui, mais la décision de...
M. Eric Lowther: ...divulguer l'information ou non, ça va.
Mme Paddy Bowen: C'est cela.
Mme Kim Pate: Si vous me permettez...
M. Eric Lowther: Puis-je poser une autre question? Mme Pate ou vous-même seriez-vous en faveur de revoir les cas qui ont déjà bénéficié de la réhabilitation, pour voir s'il conviendrait de la révoquer?
Mme Paddy Bowen: Je n'ai pas d'opinion à exprimer à ce sujet, dans un sens ou dans l'autre, mais cela n'irait pas à l'encontre de notre message qui est de privilégier la campagne nationale d'éducation sur le filtrage, dans le but de protéger les enfants.
Mme Kim Pate: Cela nous poserait un problème s'il n'y avait aucune autre raison que le fait de vouloir revoir le cas de ceux qui ont été réhabilités. Nous nous opposerions certainement à ce type de réexamen. Par contre, s'il y avait une raison valide pour revoir ces cas, ce serait autre chose, et le ministre détient déjà ce pouvoir.
Au cas où mon témoignage n'aurait pas été assez clair, je tiens à rappeler que nous ne sommes pas en faveur de ne pas accorder la réhabilitation à certains individus. Nous croyons que tous ceux qui sont passés dans le système devraient y être admissibles et avoir le droit de la demander.
Le problème que nous soulevons est que, du fait de la sensibilité accrue de la population à l'égard des crimes de violence contre les femmes et les enfants, des agressions sexuelles ou de la pédophilie, des mécanismes de filtrage plus rigoureux devraient être mis en place, ce qui ne veut certainement pas dire que ces individus ne devraient jamais avoir la possibilité d'obtenir une réhabilitation. Je reviens sur certaines des remarques que j'ai formulées car je n'ai peut-être pas été claire en répondant à votre collègue. Je crois qu'il est grand temps de revoir attentivement la situation de certains groupes de détenus, auprès desquels on n'a pas fait beaucoup de travail, et que cela serait peut-être la manière d'y arriver. Je ne dis donc ni oui ni non mais peut-être.
Nous ne voulons pas dire non de manière définitive pour le moment. Notre position, que je veux exprimer très clairement, est que, plutôt que de détourner l'attention du besoin d'éduquer le public, en créant un fichier dispendieux qui donnerait un faux sentiment de sécurité, on devrait précisément mettre plus l'accent sur l'éducation et sur des mesures concrètes pour que l'on puisse effectivement constater un plus grand investissement humain et un usage meilleur et plus efficient de nos ressources.
• 1210
Je crois que l'on risque de voir les gens se fier beaucoup
plus au fichier, alors qu'il conviendrait de faire un travail plus
en profondeur, surtout lorsqu'il s'agit de petits groupes ayant des
ressources limitées.
Le président: Merci, monsieur Lowther. Monsieur Grose.
M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je vais revenir sur mon cheval de bataille. Je n'aime pas l'idée de manipuler le système. Je ne suis pas du tout d'accord avec l'idée d'accorder la réhabilitation à des prédateurs sexuels, surtout des pédophiles.
Si l'on décide de signaler leur réhabilitation, cela veut dire qu'ils n'en auront en fait pas bénéficié. La personne qui a bénéficié d'une réhabilitation ordinaire peut dire dans sa demande d'emploi qu'elle n'a pas de casier judiciaire. Si le délinquant sexuel réhabilité répond de cette manière, une vérification ultérieure du dossier amènera à conclure qu'il a menti. Je ne vois pas pourquoi on envisage deux catégories de réhabilitations. Je serais tout à fait d'accord pour qu'on signale la réhabilitation des délinquants sexuels actuels. Dans le même projet de loi, pourquoi n'indique-t-on pas que l'on va cesser d'accorder la réhabilitation? En effet, ils ne bénéficieront plus du même type de réhabilitation que les autres, de toute façon. Arrêtons de manipuler le système. Rien ne peut justifier cela.
Qu'en pensez-vous? Évidemment, je pense que vous êtes d'accord avec moi.
Mme Kim Pate: Mes réserves viennent de l'incidence que cela pourrait avoir sur le reste du système. Nous savons que le système s'adapte, que ce soit à la longueur des peines ou au recours à des peines minimum obligatoires et, si cela n'a pas encore atteint la réhabilitation, il est tout à fait concevable que l'on y arrive un jour.
Il y a certaines parties du système qui s'adaptent pour compenser, si l'on veut, les déficits que l'on constate ailleurs. Si quelqu'un doit être condamné parce qu'il a commis une infraction figurant sur la liste mais qu'on a la possibilité de le condamner pour une infraction qui n'y figure pas, je crains que certains n'essaient de contourner le système de cette manière.
Je répète que l'on semble penser, à tort, que cela règle le problème des risques que courent nos enfants. Nous savons que 90 p. 100—c'est le chiffre qui est souvent mentionné—de ceux qui commettent un crime contre les femmes et les enfants ne font jamais l'objet de poursuites. Ils ne sont jamais dénoncés et encore moins poursuivis. Si tel est le cas, en quoi ces mesures pourraient-elles rehausser la sécurité du public ou des enfants?
M. Ivan Grose: D'accord. Je vais mentionner ma solution ultime à tout cela. J'ai l'impression de l'utiliser souvent.
La solution ultime est que le délinquant sexuel souffre d'un problème mental, ce qui veut dire que le problème devrait être envisagé dans le cadre d'une loi sur la santé mentale et pas de l'appareil judiciaire. Cela n'a rien à voir avec la justice. La justice ne peut pas le guérir et elle ne peut pas non plus le punir puisque cela ne change rien. Pourquoi ces individus passent-ils d'ailleurs en justice?
S'ils ne passaient pas en justice, je n'aurais aucun problème avec vos réhabilitations. Le système pourrait continuer de fonctionner comme il se doit. Par contre, on sait qu'il ne marche pas, ou on essaie en tout cas de faire en sorte qu'il ne marche pas comme il le devrait, dans le cas des délinquants sexuels. Au fond, on essaie de s'adapter à des gens qui ne devraient de toute façon pas se trouver dans le système judiciaire. Le problème est qu'on n'arrête pas de manipuler le système, ce qui fait qu'il n'est jamais au point.
Mme Noreen Murphy: Pour ce qui est de la garde des enfants, elle se situe au bas de la chaîne, si je peux dire, du point de vue des ressources que l'on accepte d'y consacrer.
Ma crainte est que, si l'on ne manipule pas le système, les merveilleuses campagnes d'éducation qu'on peut lancer au niveau national ou même provincial ne feront... En Alberta, 80 p. 100 des services de garde d'enfants sont fournis par des centres privés. Ceux-ci ne vont certainement pas se prévaloir de ces programmes de formation et d'évaluation. Leur seul objectif est de trouver le personnel le moins cher et le plus mal payé possible. Cela veut dire que 80 p. 100 des enfants des garderies de l'Alberta n'auront pas un iota de plus de protection.
Je conviens parfaitement que ce n'est pas une panacée mais c'est au moins une petite pièce utile dans le casse-tête. Comme nous sommes obligés de faire une vérification du casier judiciaire, en Alberta, les gens auraient au moins l'information qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
M. Ivan Grose: Je puis vous assurer que je voterais en faveur de l'un ou l'autre de ces projets de loi, avec réticence toutefois car ils ne constituent pas la solution finale et que j'ai l'intention de continuer à la chercher. J'espère vivre assez longtemps pour la trouver.
Le président: Merci, monsieur Grose. Monsieur Peter MacKay.
M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.
Votre premier postulat semble être que l'on accordera trop d'importance et de confiance à cette approche, au détriment d'autres efforts. Selon Mme Murphy, ce système devrait être coordonné avec les autres approches. L'idée d'un meilleur partage des informations devrait être positive. Pour ce qui est de la stigmatisation du délinquant sexuel, tant pis, c'est le prix à payer. Qu'il s'agisse d'un problème pénal ou d'un problème mental, comme dit M. Grose, il n'en reste pas moins que nous avons le devoir de protéger les enfants avec tous les moyens à notre disposition.
Mme Paddy Bowen: Je suis d'accord avec vous et c'est pourquoi, en fin de compte, je serais aussi d'accord avec M. Grose. Ceci n'est peut-être pas la meilleure solution au problème mais c'est au moins une solution partielle. On pourra peut-être l'améliorer plus tard. J'estime avec vous qu'il faut faire quelque chose pour s'attaquer à un problème urgent.
Toutefois, si je reprends l'exemple de Noreen, il serait aussi efficace d'indiquer à ces milliers d'organismes de garde d'enfants de l'Alberta qu'ils peuvent maintenant vérifier les casiers judiciaires de façon à filtrer le petit pourcentage de gens qui sont des délinquants sexuels réhabilités. En outre, ceux qui délivrent les permis ne devraient pas en délivrer aux organismes qui n'ont pas mis en place un système de filtrage exhaustif. Cela constituerait de la part des gouvernements, avec l'octroi des budgets correspondants, un signal beaucoup plus fort que le pouvoir d'effectuer cette incursion relativement mineure dans la protection des enfants. Cela met aussi en danger l'intégrité du système de réhabilitation.
Il faut trouver le juste équilibre. Qu'est-ce qui produirait les meilleurs résultats, eu égard aux inconvénients? Le problème n'est pas que ce qui est envisagé est mauvais mais simplement que ce n'est pas parfait.
M. Peter MacKay: Au fond, vous nous demandez quelle est notre plus grande priorité...
Mme Paddy Bowen: Oui.
M. Peter MacKay: ...et qu'est-ce qui serait le plus rentable pour les gouvernements, ce qui est toujours la question.
Mme Paddy Bowen: Devrait-on jouer avec une question aussi grave?
Mme Kim Pate: Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Paddy à ce sujet. Je crois que la question est aussi de prendre acte de la réalité. On ne parle plus d'hypothèses ici. La réalité est que, plus nous consacrons de ressources à ce type de mécanisme, moins nous en avons pour d'autres choses, par exemple l'éducation du public. Il ne s'agit donc pas uniquement de trouver le meilleur compromis entre différents objectifs. Il s'agit de résoudre un problème bien réel et non pas hypothétique. Nous savons que, chaque fois que nous prenons cette mesure, nous avons tendance à ne pas prendre l'autre en parallèle.
Pour ce qui est de cette question de santé mentale, je suis parfaitement d'accord et j'estime que la situation serait radicalement différente si l'on pouvait consacrer plus de ressources au système de santé mentale.
Nous avons examiné la situation des femmes condamnées pour infractions sexuelles. Il y en avait quatre qui pouvaient être identifiées et qui souffraient toutes d'un problème mental, mais trois d'entre elles se trouvaient dans une situation particulièrement grave à ce chapitre.
La réalité est qu'il peut y avoir stigmatisation lorsqu'une personne commet une infraction dans un certain contexte mais pas dans un autre. On peut superviser, filtrer et appuyer pour veiller à ce que ça ne se reproduise pas.
À mon sens, il ne s'agit pas seulement de trouver un équilibre entre des intérêts contradictoires, dans une situation hypothétique. J'ajoute d'ailleurs très respectueusement que beaucoup de ces problèmes ne se poseraient sans doute pas si nous avions un programme national de garderies d'enfants.
Le président: Votre dernière question, monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Il s'agirait donc d'augmenter le budget global au lieu de prendre une partie d'un budget fixe pour la consacrer à ce programme, ce qui réduirait les sommes disponibles pour le reste. Si le budget global était plus vaste, si l'on adoptait une démarche plus holistique... C'est une autre manière de dire la même chose.
Mme Paddy Bowen: Vous auriez l'impression d'avoir fait votre travail.
Mme Kim Pate: Si l'on ne peut pas augmenter le budget global, pourquoi consacrer une partie du budget existant à cela, où l'on aura beaucoup moins de résultats positifs?
Le président: Merci. Monsieur Saada.
M. Jacques Saada: Merci, monsieur le président.
• 1220
Je tiens tout d'abord à féliciter le bébé de Mme Pate d'avoir
respecté nos délibérations.
Des voix: Bravo.
M. Jacques Saada: Monsieur Stock, vous disiez que l'employeur devrait savoir qu'un casier judiciaire a été signalé. Notre proposition est que la police le sache, pas l'employeur. Si celui- ci sait qu'un casier est signalé, quel avantage y aurait-il à se demander si les informations devraient ou non être divulguées?
La deuxième chose concerne les critères de divulgation. À l'heure actuelle, il en existe dans la loi. Ils ont été établis après des consultations. Pour ce qui est du projet de loi C-69, je m'attends donc aussi à ce que les critères soient formulés non seulement après des consultations mais aussi... Disons qu'il y aura des consultations et que nous verrons alors tout ce que cela implique.
Pour vous rassurer, il y a aussi une liste préliminaire des infractions qui seront touchées—je parle de liste préliminaire, comme le disait il y a quelques minutes M. Lowther—mais elle est très proche de la liste finale qui sera adoptée. L'article 163.1 sera couvert.
Je veux poser une question à Mme Murphy. Je ne sais pas très bien comment la formuler pour ne pas... Je vais quand même la poser. Vous avez parlé dans votre exposé de garderies d'enfants «non sophistiquées». Je comprends que vous faisiez alors référence à leur structure et à leur organisation, ce qui n'a certainement rien de dérogatoire pour personne. En lisant votre mémoire, cependant, j'ai vu que vous seriez tout aussi prête à appuyer le projet de loi C-69 puisque votre mémoire concerne l'objectif global et pas nécessairement les moyens employés. Ai-je raison?
Mme Noreen Murphy: Absolument. La seule chose qui me pose un problème... Le projet de loi C-69 n'existait pas encore quand j'ai rédigé mon mémoire. Mon problème est que ni moi ni les membres de ce secteur ne savions que nous avons actuellement la possibilité d'obtenir la divulgation des casiers judiciaires. C'est une nouveauté pour moi, alors que je dirige des organismes de garde d'enfants depuis près de 30 ans. Si je ne le savais pas, il y en a sans doute beaucoup d'autres qui ne le savent pas non plus. C'était ma première remarque.
La deuxième concerne le processus de demande de divulgation des informations. La plupart des garderies ont un personnel limité, correspondant à un quotient établi d'enfants pour chaque employé. Sans aller jusqu'à dire que nous devons recruter un nouvel employé chaque fois que nous voulons lancer une nouvelle activité, nous devons bien être capables de remplacer sur-le-champ tout employé qui ne se présente pas au travail, pour quelque raison que ce soit. Si un membre de notre personnel nous quitte pour un emploi plus lucratif, nous devons pouvoir le remplacer très vite.
De ce fait, si je n'ai pas toutes les informations voulues et que je dois attendre que ma demande soit traitée par une autre bureaucratie, je n'arriverai pas à avoir le personnel qualifié dont j'ai besoin.
Le président: Monsieur Stock souhaite faire une remarque, monsieur Saada.
M. Peter Stock: Merci de vos remarques, monsieur Saada. Nous sommes évidemment très encouragés d'apprendre que l'article 163.1 sera couvert par cette liste. C'est un grand soulagement pour nous.
Pour ce qui est de la signalisation des casiers judiciaires—à l'intention de la police—la question que je posais concernait moins les casiers eux-mêmes que leur contenu. Si la police apprend qu'un casier a été signalé, aura-t-elle la possibilité de divulguer cette information à l'organisme—c'est-à-dire le fait que le casier a été signalé?
M. Jacques Saada: Non. Je crois comprendre que ce n'est pas ce qui est prévu dans le projet de loi C-69. Supposons que quelqu'un a été réhabilité. Une demande d'emploi est présentée à un organisme et celui-ci demande s'il y a un casier judiciaire. S'il sait dès le départ que le cas a été signalé, que le Solliciteur général possède ou non le pouvoir discrétionnaire—ou n'importe qui d'autre, puisque c'était la question que j'allais poser ensuite—de décider ou non de divulguer les informations, pour des raisons très valides et conformément aux critères très solides qui auront été établis, le simple fait d'indiquer qu'il y a un signal mettrait tout simplement fin à tout ça.
M. Peter Stock: Mon problème est que ce n'est pas vraiment indiqué clairement dans le projet de loi. Peut-être pourriez-vous le faire dans le règlement? Je ne sais pas. Il me semble que c'est une chose qu'il faudrait régler. Nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation où la police risquerait de faire l'objet de poursuites parce qu'elle avait légalement le droit de divulguer l'information qu'un casier a été signalé et qu'elle ne l'a pas fait, ce qui aurait amené l'individu à obtenir un poste de confiance et à commettre une infraction, après quoi il aurait appris que la police savait que le casier était signalé. Vous voyez ce que je veux dire?
M. Jacques Saada: Oui, mais la police...
Le président: C'est votre dernière question, monsieur Saada.
M. Jacques Saada: Bien.
Je pense que la logique de la chose découle d'elle-même. Le rôle de la police n'est pas d'informer l'employeur potentiel qu'un casier a été signalé. Son rôle, dans ce cas, est d'appuyer la décision du Solliciteur général de divulguer ou non. Du point de vue le plus simpliste possible, c'est à cela que ça se ramène.
Le problème du pouvoir discrétionnaire, à cette étape, ne concerne pas la police. Hier, l'ACP voulait que ce pouvoir soit confié à la police.
Ma question à Mme Murphy est la suivante: si nous accordons l'accès aux employeurs éventuels, ce sont eux qui posséderont le pouvoir discrétionnaire ultime. Si on enlève ce pouvoir discrétionnaire au Solliciteur général, il y aura bien quelqu'un qui finira par l'exercer. Ce que je veux dire, et c'est la question que je vous pose, c'est ceci: est-ce que le vrai problème est de savoir s'il faut confier le pouvoir discrétionnaire à quelqu'un d'autre?
Mme Noreen Murphy: Nous possédons actuellement certains pouvoirs discrétionnaires dans les garderies d'enfants. Si quelqu'un a un casier judiciaire, on nous le signale, sauf si l'individu a obtenu une réhabilitation. Les individus concernés ont la possibilité de nous apporter les informations. Cela ne veut pas dire que nous ne recruterons jamais quelqu'un qui a un casier judiciaire. Nous possédons déjà le pouvoir discrétionnaire d'utiliser ou non cette information.
Le président: Merci, monsieur Saada.
Je remercie beaucoup les témoins qui se sont adressés à nous ce matin. Cela nous sera très certainement utile dans nos délibérations.