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JURI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 19 mars 1998

• 1006

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs. La séance de ce matin est ouverte.

Nous accueillons aujourd'hui du Barreau du Québec, les avocates Carole Brosseau et Madeleine Caron. Je tiens à vous remercier d'être des nôtres. Avez-vous une présentation à faire? Nous passerons ensuite à la période de questions.

[Français]

Me Carole Brosseau (avocate, Barreau du Québec): Bonjour. Je vous remercie d'abord de nous accueillir encore aujourd'hui et de nous permettre de vous faire nos représentations sur le projet de loi S-5.

Compte tenu du court laps de temps qui nous a été alloué, j'aimerais vous dire qu'au moment où nous avions préparé le mémoire pour le présenter devant le Sénat, nous avions utilisé le projet de loi C-98 parce que, comme je l'ai fait remarquer aux instances gouvernementales fédérales, les projets de loi émanant du Sénat ne sont pas disponibles sur Internet contrairement aux projets de loi publics. Les corrections ne sont pas encore faites et j'espère qu'éventuellement cela va venir.

Nous avons donc utilisé le projet de loi C-98 mais, à toutes fins utiles, la teneur du projet de loi S-5 et celle du projet de loi C-98 se ressemblent et les arguments qu'on retrouve dans notre mémoire sont des arguments qui pourraient facilement porter sur le projet de loi S-5. D'ailleurs, nous avons fait circuler ce matin une table de concordance pour vous aider dans la lecture du mémoire et pour faire la concordance entre S-5 et C-98.

Le Barreau du Québec est une organisation sans but lucratif dont l'objectif principal est la protection du public. Les représentations que nous faisons aujourd'hui sont faites dans cet esprit-là.

Je suis accompagnée de Me Madeleine Caron, une avocate spécialisée dans le domaine des droits de la personne, et je suis moi-même, pour ceux et celles qui ne le savent pas déjà, avocate au Service de recherche du Barreau du Québec.

La rédaction du mémoire du Barreau du Québec s'est faite en reprenant le projet de loi tel que présenté et en le commentant article par article.

La présentation que je vais vous faire ce matin avec Mme Caron va être quelque peu différente. Nous allons plutôt nous attarder aux grands thèmes qu'on voudrait souligner aux membres de la députation.

Les questions que nous voudrions soulever ce matin concernent les modifications qui sont apportées par le projet de loi au Code criminel. Nous allons vous parler du statut des membres du Tribunal des droits de la personne, de l'étanchéité entre les fonctions de la Commission et celles du Tribunal, et entre celles du Tribunal et l'exécutif. Finalement, nous vous parlerons des aspects de la protection du public qui sont soulevés par le projet de loi.

En ce qui concerne les modifications apportées au Code criminel, nous en présentons principalement deux, dont je voudrais vous souligner l'importance. Il s'agit de la nouvelle disposition créée par le nouvel article 153.1 du Code criminel. Dans cet article-là, on prévoit une nouvelle infraction pour une personne en situation d'autorité qui abuse sexuellement d'une personne ayant une déficience mentale et physique.

Mais le problème se pose dans le cas d'une personne majeure qui souffre d'une déficience physique et mentale. À notre avis, on porterait préjudice à cette personne parce que les dispositions actuelles du Code criminel relativement aux infractions dans ce genre de situation prévoient des conséquences plus sévères.

• 1010

En effet, pour de telles infractions, les dispositions des articles 151 et 152 sont plus sévères que celles qui sont proposées au nouvel article 153.1. Je ne pense pas que l'objectif du législateur était de rendre ces dispositions moins sévères dans ces cas-là. Au contraire, on voulait juste faciliter les choses. Il nous semble donc qu'un certain rajustement serait à prévoir dans ce cas-là.

L'autre cas dont il est question, c'est celui de l'article 627 proposé du Code criminel. Pour faire participer le plus possible au processus judiciaire les personnes souffrant d'un handicap physique quelconque, mais capables de remplir convenablement les fonctions de juré, on prévoit l'utilisation d'une aide technique, personnelle ou autre, pour leur permettre d'agir à titre de juré.

Nous formulons certaines réserves à ce sujet. Je vais prendre le cas très concret d'un handicap auditif. La personne handicapée serait aidée d'une autre personne qui lui servirait d'interprète et agirait en son nom. Cependant, rien ne nous dit que cette personne-là—et c'est la réserve que nous avons à cet égard—n'interprétera pas à sa façon la décision que le juré veut rendre. Il s'agirait donc d'un treizième juré qui serait présent aux délibérations, et cela pourrait poser un problème. J'espère que cet exemple vous aidera à comprendre nos préoccupations. Il s'agit essentiellement de ces deux cas-là pour le Code criminel.

On a aussi prévu, dans le projet de loi, la possibilité d'une prépublication des règlements par le gouverneur en conseil. Je pense que cette prépublication peut être très profitable, surtout dans le domaine des droits de la personne où il s'agit de questions fondamentales et où les arguments des citoyens et des citoyennes sont extrêmement importants. D'ailleurs, le Barreau du Québec avait déjà proposé, dans un autre contexte, qu'il y ait en permanence une prépublication de tous les règlements. Les consultations publiques qui en découleraient seraient également souhaitables.

Je vais passer maintenant au nouveau Tribunal canadien des droits de la personne. Je vais d'abord vous parler du statut des personnes qui agiront à titre de présidente ou président de ce tribunal, puis je céderai la parole à Mme Caron, qui vous parlera de tout l'aspect de l'étanchéité entre le Tribunal et la Commission, et entre l'exécutif et le Tribunal.

Dans le cas qui nous concerne, la formation des personnes qui vont présider le Tribunal est tout à fait fondamentale. On ne prévoit pas la présence d'un juriste à titre de président de façon permanente. Nous croyons cependant qu'il est très important qu'une personne ayant une formation juridique préside à la destinée de ce tribunal, d'une part parce que ce tribunal ne traitera pas seulement de questions de droits de la personne, mais aussi de questions de droit.

D'autre part, ce tribunal n'est pas tenu d'observer des règles strictes de preuve. Dans ce contexte-là, il est encore plus nécessaire que la personne qui le préside soit en pleine possession et en pleine connaissance des règles de preuve pour pouvoir évaluer la preuve.

Dans le contexte présent, on ne précise pas qu'il s'agit d'un juriste, et je pense qu'il est fondamental de le faire, d'autant plus que le nouveau paragraphe 49(5) qui est proposé attribue au Tribunal canadien des droits de la personne un rôle judiciaire. Il peut se prononcer sur une question mettant en cause la compatibilité d'une disposition d'une loi fédérale et des règlements d'application. Ce rôle judiciaire justifie donc qu'on exige la compétence nécessaire des personnes qui seront appelées à présider le Tribunal canadien des droits de la personne. À notre avis, il est fondamental que ces gens-là soient très compétents.

• 1015

Je vais maintenant parler du lieu de résidence. On oblige le personnel à résider dans la Capitale nationale. Nous nous interrogeons beaucoup sur la pertinence d'une telle obligation pour les personnes qui seront appelées à travailler au Tribunal. D'une part, les moyens de communication qui sont actuellement à notre disposition permettent que les personnes habitent dans des lieux différents. D'autre part, des personnes compétentes refuseront peut-être le poste sous prétexte qu'elles devront déménager avec leur famille dans la Capitale nationale. Donc, la représentativité des régions, qui, je crois, est l'un des objectifs de ce projet de loi, ne pourra pas être respectée.

Enfin, et c'est le troisième aspect, il y a la question des experts qui seront appelés à soutenir les membres du Tribunal. Il n'y a pas de problème à utiliser des experts pour avoir une meilleure information, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agira des experts du Tribunal. Il faudrait que les experts se limitent aux faits connus. Dans le cas où les expertises dépasseraient les faits déjà connus, il faudrait absolument que les parties en cause en soient informées.

Dans le cas présent, il ne faudrait pas que l'expertise soit une façon détournée d'avoir de l'information qui ne puisse pas faire partie de la cause elle-même. Ça ne doit pas être à part. Donc, si on maintient l'utilisation des experts, il faut limiter leur champ d'action ou d'expertise aux faits en cause connus. Si cela dépasse ce cadre-là, il faut prévoir un mécanisme permettant une divulgation de la preuve.

Ma présentation est terminée. Je vais céder la parole à Mme Caron. Merci.

Me Madeleine Caron (avocate, Barreau du Québec): Bonjour.

Comme le disait Me Brosseau, je vais d'abord parler de l'absence d'étanchéité ou de barrières suffisantes entre le Tribunal des droits de la personne et l'exécutif, c'est-à-dire le ministre de la Justice.

L'article 48.3 proposé prévoit que le ministre de la Justice pourra ordonner que des mesures correctives ou disciplinaires soient imposées aux membres du Tribunal. Nous croyons que ça met trop de pression entre l'exécutif et le Tribunal, qui devrait avoir une plus grande indépendance par rapport au ministre de la Justice.

Par ailleurs, nous croyons que le projet de loi n'offre pas assez d'étanchéité entre la Commission des droits de la personne, qui est un organisme administratif et d'enquête, et le nouveau Tribunal, qui a une fonction judiciaire.

Je vais vous donner quelques exemples. L'article 49.1 proposé permet à la Commission de demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte. Nous pensons que ce n'est pas une procédure appropriée. La Commission pourrait tout simplement introduire l'instance, à la suite de quoi le Tribunal agirait selon les règles de procédure appropriées.

Un autre exemple: le paragraphe 40(4) de la loi permet à la Commission de faire une jonction de plaintes quand, de l'avis de la Commission, plusieurs plaintes ont le même objet.

• 1020

Nous sommes d'accord que cette jonction de plaintes puisse se faire, mais nous croyons que la Commission, au lieu de procéder à sa discrétion, devrait procéder par requête au Tribunal, lequel déciderait alors s'il convient de faire cette jonction de différentes plaintes.

La Commission semble aussi avoir trop de discrétion par rapport au Tribunal à l'alinéa 53(2)a), qui porte sur les mesures de réparation que peut ordonner le Tribunal. Le Tribunal, après l'audition, peut évidemment émettre des ordonnances de réparation, etc., mais la formulation de cet alinéa n'est pas convenable. Je vais vous lire le texte exact. On dit que le tribunal peut ordonner:

    a) de mettre fin à l'acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement...

Nous croyons que la formulation adéquate serait que le Tribunal puisse faire des ordonnances, mais conformément à la preuve entendue pendant l'instance et non pas «en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux».

L'autre point concerne la protection du public. Évidemment, cette loi vise essentiellement la réparation des actes discriminatoires. Donc, le public est très intéressé à l'application de cette loi. La première chose que j'aimerais souligner est ce qui concerne les mesures de représailles.

L'article 14 de la loi serait modifié afin que des représailles, à la suite d'une plainte de discrimination, puissent être considérées comme un acte discriminatoire en soi, ce qui est une bonne chose.

Vous savez que dans une entreprise ou un bureau, par exemple, quand une femme se plaint de harcèlement sexuel et dépose une plainte, une rétrogradation ou même un congédiement peuvent suivre cette plainte, et il est bon que l'on puisse prévenir ces actes de représailles.

Cependant, la loi ne prévoit pas de mesures spécifiques, de mesures d'urgence dans ces cas-là, ce qui existe dans la Loi québécoise sur les droits de la personne. Quand une personne subit des représailles à la suite d'une plainte de discrimination, il faut que le Tribunal puisse être saisi de cette chose avant même le déroulement de l'enquête sur la discrimination principale. Nous croyons que ces mesures d'urgence devraient être ajoutées.

L'autre point qui concerne la protection du public, c'est la discrétion qui est donnée dans la loi à la Commission des droits de la personne à cet égard. L'article 51 prévoit que quand la Commission comparaît, elle «adopte l'attitude la plus proche, à son avis, de l'intérêt public compte tenu de la nature de la plainte». Nous croyons que l'intérêt public est tellement important dans une loi comme celle-là que les critères de respect de l'ordre public ne doivent pas être laissés au bon jugement de la Commission; on devrait plutôt avoir des critères objectifs.

• 1025

Finalement, nous aimerions faire quelques remarques à propos des mesures pénales. D'abord, on utilise au paragraphe 53(2) l'expression «personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire». Or, on sait que les lois sur les droits de la personne ne sont pas des lois punitives, comme la Cour suprême l'a souvent dit. Ce sont des lois qui ont pour but de prévenir la discrimination et de corriger les actes de discrimination. Ce ne sont pas des lois criminelles et on devrait donc éviter l'expression «trouvée coupable».

D'autre part, dans l'alinéa 54(1)c) et le paragraphe 54(1.1), on prévoit des sanctions pécuniaires dans des cas qui sont déjà prévus au Code criminel, comme la propagande haineuse. Nous croyons que ces dispositions devraient être éliminées parce qu'à ce moment-là, il s'agirait d'une double punition, ce qui n'est pas conforme aux principes généraux du droit.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney): Je vous remercie. Nous passerons maintenant aux premières questions.

[Français]

Madame Dalphond-Guiral.

Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ): Merci d'être ici ce matin. J'ai deux questions à vous poser.

La première concerne l'article 153.1 proposé, qui nomme une nouvelle infraction. Les témoins qu'on a entendus se sont étonnés de ce que la peine maximale prévue pour cette infraction soit de cinq ans, contrairement à ce qu'on trouve aux articles précédents, qui prévoient une peine allant jusqu'à 10 ans.

Ma question est la suivante: Est-ce que, par exemple, quelqu'un qui est victime d'un acte de cet ordre pourrait invoquer l'article 271, où on parle de l'infraction sexuelle large et où la peine maximale est de 10 ans? Bien sûr, dans les articles qui précèdent 153, on parle d'enfants. Je pense qu'une personne souffrant d'un handicap devient, à un moment donné, une personne adulte et a des responsabilités d'adulte quelque part. Est-ce qu'elle ne pourrait pas utiliser l'article 271, qui prévoit une punition pouvant aller jusqu'à 10 ans?

Me Carole Brosseau: Je saisis peut-être mal votre question. Dans le cas concerné, le problème qui se pose, c'est qu'il y a déjà des dispositions prévues à cet égard dans le Code criminel dans le cas des personnes mineures. La question se pose à 153.1 dans le cas des personnes majeures. L'infraction ou la punition sera moindre dans le cas d'une personne qui souffre d'un handicap. L'objectif était de faire en sorte que la preuve soit plus facile dans le cas de ces personnes, essentiellement parce que ce n'est pas facile pour ces personnes d'aller devant un tribunal. C'est souvent la crédibilité de cette personne-là qui peut être mise en doute. Donc, c'est pour faciliter les choses pour ces personnes.

Cependant, là où on en a, c'est au niveau des conséquences pour la personne majeure. L'infraction ou les conséquences seront moindres. Évidemment, il pourra y avoir éventuellement des contestations portant sur le caractère discriminatoire de cette disposition. On se demande comment ce sera plaidé. Cela dépendra des faits en cause. Donc, il y a une possibilité de contestation éventuelle de cette disposition, et on vous le fait remarquer tout de suite.

L'objectif était de faciliter la comparution devant un tribunal des personnes souffrant d'un handicap et de créer une espèce de présomption, mais l'effet ne sera pas nécessairement celui-là.

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Ma deuxième question s'adresse à Mme Caron. Vous avez parlé des inquiétudes suscitées au niveau de la formation des membres du Tribunal des droits de la personne. Au Québec, on a un tribunal des droits de la personne. J'aimerais que vous nous exposiez les différences entre l'actuel Tribunal des droits de la personne du Québec et celui qui est proposé dans le projet de loi S-5. Est-ce une question plus claire? Je dois dire qu'elle est plus simple pour moi aussi.

• 1030

Me Madeleine Caron: Je comprends votre question. Au Québec, le législateur a choisi de créer un Tribunal des droits de la personne qui soit complètement judiciaire; c'est-à-dire que les juges sont des juges de la Cour du Québec qui sont affectés aux auditions qui concernent les droits de la personne. Il y a un juge permanent et deux juges à temps partiel, mais ce sont des juges de la Cour du Québec qui sont nommés à vie. Si on parle d'indépendance judiciaire, c'est à un degré beaucoup plus fort dans ce cas-ci. C'est ma première remarque.

Je vous ferai ensuite remarquer, et cela ne découle pas nécessairement du fait que les juges sont permanents, que l'étanchéité est beaucoup plus grande entre la Commission québécoise et le Tribunal des droits de la personne que dans ce que l'on propose dans ce projet de loi.

Dans le passé, il y a eu des problèmes. Je pense qu'on améliore un peu la situation avec ce projet de loi en ce qui concerne le statut du Tribunal. Le Tribunal a quand même une certaine permanence par rapport à ce qui existait dans le passé, mais on a pu parfois constater une certaine complicité, même si ce n'était qu'apparent, entre la Commission et le Tribunal. Je pense que l'on doit éviter ce genre de chose dans le but de protéger le public et pour que justice soit vraiment rendue.

Ce sont deux différences importantes qui méritent d'être soulignées et qui correspondent d'ailleurs à nos représentations ici.

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Merci.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney): Je vous remercie, madame.

Monsieur Lee.

M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Je vous remercie.

Je tiens à répondre à l'idée selon laquelle il n'y a pas suffisamment d'étanchéité entre le tribunal et le gouvernement.

Je crois que l'opinion de ce comité et de nos collègues au Parlement ces dernières années a été qu'au gouvernement, qu'il s'agisse du contrôle exercé par le Parlement ou par le gouvernement proprement dit, nous hésitons à renoncer à la capacité d'ordonner des mesures disciplinaires, surtout en cas de mauvaise conduite de la part de membres de tribunaux et d'instances quasi-judiciaires.

Le mécanisme que nous avons ici est le seul moyen qui nous permette de le faire. Nous ne pouvons tout simplement pas abandonner nos responsabilités en tant que représentants élus chargés de surveiller le gouvernement, et créer des lois qui constitueraient des organismes, des commissions ou des tribunaux quasi-judiciaires. Nous serions incapables de prendre à partie leurs membres, de les renvoyer et d'ordonner des mesures disciplinaires dans les cas flagrants de mauvaise conduite.

Je voulais vous demander si vous comprenez ce principe tel que le conçoit le Parlement, et si vous l'acceptez. Si vous ne l'acceptez pas, quel autre mécanisme pourriez-vous envisager pour permettre au gouvernement de conserver la capacité d'obliger l'organisme ou la commission à rendre des comptes comme ils le doivent et pour s'assurer que ses membres sont accessibles?

[Français]

Me Madeleine Caron: Bien sûr, la position du Barreau n'est pas de dire que les membres d'un tribunal doivent être à l'abri de toute sanction disciplinaire et qu'ils peuvent se comporter n'importe comment, mais cela relève du ministre de la Justice lui-même. Il pourrait y avoir un mécanisme qui soit plus indépendant de l'exécutif lui-même ou du Parlement lui-même.

[Traduction]

M. Derek Lee: Qui ou quoi?

Cela ne concerne pas uniquement ce tribunal en particulier. Il y en a beaucoup. Nous n'en avons pas créé. Vous proposez peut-être la création d'un mécanisme au gouvernement permettant de s'occuper de ces questions de discipline.

• 1035

Un exemple récent est celui de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui est un organisme quasi-judiciaire. Nous avons dû adopter des dispositions qui prévoient à l'intention de ses membres des mesures plus rigoureuses en matière d'obligation de rendre compte et de discipline à l'aide d'une procédure établie par voie législative.

Vous n'avez donc pas de proposition particulière à nous faire, mais vous comprenez le problème. Est-ce exact?

[Français]

Me Carole Brosseau: Dans le cadre du projet de loi, vous instituez le contrôle de l'État sur un processus judiciaire, et cela nous indispose.

La question que vous posez est beaucoup plus complexe et fait l'objet d'un débat qui est fortement médiatisé, particulièrement au Québec ces derniers temps. Il s'agit essentiellement de l'action, du rôle ou de la façon dont nous allons discipliner nos magistrats. C'est tout cet aspect qui nous préoccupe.

Je pense que c'est un débat qui devrait se faire indépendamment du projet de loi et de nous-mêmes. Il devra se faire. Le contrôle sur le judiciaire doit se faire dans certaines limites.

Je vais vous donner un exemple concret de ce qui se passe au Québec concernant le Conseil de la magistrature. Dans le cas où une action indispose le ministre ou quelqu'un d'autre, on dépose une plainte auprès du Conseil de la magistrature et on essaie de voir si cette plainte est fondée ou non.

Là où le bât blesse, c'est au niveau des sanctions qui en découlent. On a soit une simple suspension, soit une réprimande, qui ne vaut même pas une suspension, ou encore une démotion complète de cette personne-là. Je pense que ce débat est amorcé et qu'il doit se poursuivre, mais il y a des tables de concertation où tous les intervenants devraient débattre plus largement sur cette question.

Il y a des précédents, aux États-Unis entre autres, quant au contrôle qu'on exerce sur nos magistrats et sur le Code de déontologie. Est-ce que le Canada va décider de se doter d'un système comparable? Je pense qu'on en est là. C'est un débat qui est très présent et très actuel, mais il va falloir l'étendre à tous les intervenants concernés.

[Traduction]

M. Derek Lee: Oui.

[Français]

Me Carole Brosseau: Je peux vous dire aussi qu'il est très gênant de voir le contrôle du ministre. Peu importe l'objectif, nous disons qu'il faut avoir un pouvoir judiciaire indépendant et autonome, qui ne soit pas l'objet d'un contrôle politique.

[Traduction]

M. Derek Lee: D'accord. Je considère simplement que nous ne pouvons pas y renoncer tant que nous n'aurons pas un autre mécanisme. Vous nous demandez d'en trouver un qui conviendra, semblable à celui que nous utilisons pour la magistrature. Chaque province possède un tel mécanisme, et au niveau fédéral nous avons un mécanisme pour nous occuper du problème judiciaire.

J'aimerais maintenant passer aux peines prévues par le Code criminel. Vous avez laissé entendre qu'il existe un manque d'uniformité en ce qui concerne les peines prévues par les modifications apportées au Code criminel. Que voulez-vous dire au juste? Est-ce que les peines proposées à l'article 153.1 ne sont pas assez sévères ou trop sévères? Je pense que c'est Mme Brosseau qui a soulevé cette question.

On a indiqué plus tôt que la peine maximale pour une autre infraction était de dix ans et pour celle-ci, elle est de cinq ans. Je ne suis pas sûr si c'était...

[Français]

Me Carole Brosseau: La sentence de cinq ans dont il est question est pour une personne majeure. L'objectif est la création d'une nouvelle infraction. Cette sentence de cinq ans concerne les personnes handicapées majeures.

[Traduction]

M. Derek Lee: Excusez-moi, mais permettez-moi simplement de formuler ma question autrement. Êtes-vous satisfaite des dispositions relatives aux peines qui sont prévues ici et, dans la négative, pourquoi?

[Français]

Me Carole Brosseau: Je ne répondrai pas à cette question dans le sens où vous désirez que je réponde parce qu'il ne s'agit pas de savoir si on est satisfaits ou pas de ces sentences, mais de savoir qu'on n'est pas satisfaits du fait que ces personnes-là sont soumises à un régime différent et surtout moins sévère.

On peut avoir l'impression qu'on veut aider et prendre sous notre aile cette personne handicapée en créant une nouvelle infraction, mais cette infraction ne correspond pas du tout au régime général. Et le Barreau du Québec, de façon générale, s'objecte toujours à des cas particuliers.

Regardez le Code criminel. Je peux vous dire que je le transporte régulièrement et qu'il s'est beaucoup alourdi au cours des cinq dernières années.

• 1040

Si on a un régime général généreux et applicable, il faut le conserver. Dans le cas où on veut créer une infraction particulière, il faut peut-être la créer dans certaines circonstances particulières, mais il ne faut pas que cela entre en contradiction avec le régime général.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney): Nous allons devoir vous interrompre maintenant.

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Je vous remercie, monsieur le président.

Je tiens à remercier également les témoins de comparaître devant nous aujourd'hui. Vos commentaires nous sont très utiles.

Je pourrais peut-être reprendre là où M. Lee s'est arrêté, et demander si ce projet de loi ne se trouve pas, en fait, à créer une infraction particulière. J'ai la nette impression qu'il va plus loin en créant une catégorie d'agression sexuelle dans ce cas, qui autrement n'existerait pas. Cela découle sans doute du fait qu'il existe désormais une sanction ou une disposition dans le cas d'une invitation, qui n'existerait pas autrement. C'est l'invitation faite à une personne ayant une déficience physique ou mentale qui constitue l'infraction. Dans la version anglaise du texte de loi, le verbe «invite» a été substitué au verbe «induce».

J'aimerais savoir si on se préoccupe du consentement à l'invitation. Je n'aime pas l'expression «couper les cheveux en quatre» mais comment le consentement interviendra-t-il comme défense à l'invitation? Comprenez-vous ma question?

[Français]

Me Carole Brosseau: Nous n'avons ni vu ni traité cet article de ce point de vue-là. C'était juste au niveau des conséquences ou du risque. Je ne pourrais donc pas vraiment répondre à la question dans le cadre actuel. Il n'y a aucun problème à créer une nouvelle infraction. C'est un choix politique, et on va en créer d'autres.

L'objectif est d'apporter de l'aide aux personnes handicapées dans des affaires d'agression sexuelle. Nous en avons beaucoup parlé avec les procureurs de la Couronne qui s'occupent beaucoup de ce genre d'affaires. Il est clair que cette disposition est introduite dans le but d'aider les personnes handicapées qui sont peu crédibles devant les tribunaux, à cause de leur handicap justement. C'est très difficile, pour les procureurs de la Couronne, de faire la preuve, devant le tribunal, d'une agression sexuelle contre des personnes handicapées.

Mais où est-ce que le bât blesse? C'est au niveau des conséquences. Pour une personne majeure, on crée une nouvelle infraction. Il s'agit d'une nouvelle catégorie d'agression sexuelle dont les conséquences sont moindres vu l'état de la personne. Mais il s'agit quand même d'une agression sexuelle. Je ne vois pas en vertu de quoi l'article propose une peine moindre que celle de 10 ans imposée dans le régime général, puisqu'au niveau de la preuve ou des conséquences, à mon avis, il s'agit d'une autre infraction.

[Traduction]

M. Peter MacKay: D'accord. Je suppose que je parle davantage de l'application pratique de cette disposition. Selon le point de vue d'un procureur de la Couronne, je peux prévoir qu'un avocat de la défense va... Et c'est peut-être un exemple trop précis, où le verbe «invite» est maintenant inclus dans le Code criminel, ou le serait par le biais de ce projet de loi.

Dans un cas précis visé par le paragraphe 153.1 et ce cas pourrait se produire dans un milieu de travail où l'employeur ou une personne de confiance, pour utiliser la description plus générale, interprète mal certains échanges, ou même une conversation, et en réponse, fait des avances ou une invitation inconvenantes. Cela ne comporte aucune forme d'agression sexuelle mais crée une infraction criminelle selon laquelle la personne qui est en situation de confiance invite un comportement sexuel.

[Français]

Me Carole Brosseau: Mais c'est cela.

[Traduction]

M. Peter MacKay: J'aimerais votre opinion juridique sur la façon dont le consentement à cette invitation pourrait être interprété par un tribunal.

• 1045

[Français]

Me Carole Brosseau: Je ne sais pas vraiment comment répondre à cela. J'ai relu l'article 153.1 pendant que vous me posiez la question et on dit que c'est «sans son consentement», «without any consent».

Dans cette perspective-là, l'article 153.1 reprend les termes du régime général. C'est cela qui fait toute la différence. C'est la raison pour laquelle nous disons que c'est moins sévère parce qu'on parle vraiment d'une agression sexuelle sans consentement. Comme je vous le disais, on n'a pas oublié ce point de vue-là.

Vous m'amenez sur un terrain où je me sens assez mal à l'aise, parce que, comme je vous l'expliquais, la divulgation de la position du Barreau doit être autorisée. Pour l'instant, ce n'est que de la spéculation. Je me sens un petit peu mal à l'aise, à titre de représentante du Barreau, de vous donner une réponse sur cet aspect-là, et je vous ramène à ce qu'on nous dit dans cet article-là.

[Traduction]

M. Peter MacKay: J'examine de plus près la description ou la définition de «consentement» au paragraphe 153.1(2), qui se lit comme suit:

    Sous réserve du paragraphe (3), le consentement consiste, pour l'application du présent article, en l'accord volontaire du plaignant à l'activité sexuelle.

Donc nous parlons davantage de l'acte physique par lequel se manifeste cet accord. Je suis un peu mal à l'aise au sujet de l'ajout du verbe «invite».

[Français]

Me Carole Brosseau: C'est la preuve qui va faire ressortir ces éléments-là. C'est malheureux que je ne puisse pas vous répondre parce que c'est une question factuelle; ce sont souvent des causes factuelles.

Le problème des personnes handicapées, pas particulièrement les personnes handicapées physiquement mais plutôt les personnes handicapées mentalement, c'est qu'elles ont très peu de crédibilité devant les tribunaux. C'est dans cet esprit qu'on a créé cette nouvelle infraction.

[Traduction]

M. Peter MacKay: J'ai une très brève question.

Le vice-président (M. John Maloney): Votre temps est écoulé, monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: D'accord, je vous remercie, monsieur le président.

La personne qui, dans un tribunal, serait autorisée soit pour aider un juré ou un témoin ou un participant à un procès... Préféreriez-vous que l'interprète soit désigné par le tribunal, ou qu'on laisse à la personne handicapée le choix d'être accompagnée d'un interprète, d'un assistant ou d'utiliser une aide quelconque?

[Français]

Me Carole Brosseau: Dans tous les cas ou seulement dans le cas des jurys? Je pense que dans certains cas, vous voulez une aide. Actuellement il existe déjà des aides dans les tribunaux. Je peux vous parler des tribunaux du Québec où certaines aides sont apportées. Certains moyens sont également utilisés, selon l'handicap de la personne, pour permettre que les témoignages ne se fassent pas nécessairement en cour. Il peut y avoir des témoignages différés.

Donc, il existe déjà des moyens ou des ajustements apportés par le système judiciaire pour le témoignage des personnes handicapées, lorsqu'elles sont elles-mêmes des victimes. C'est bien dans cet esprit-là que vous le dites: c'est lorsqu'elles sont elles-mêmes victimes.

Mais on sollicite le projet de loi au-delà de tout cela. On ne parle pas que de la personne handicapée qui est la victime, mais également de la personne handicapée qui pourrait participer de façon générale au processus judiciaire. Il n'y a donc pas de problème à ce que cette personne-là soit aidée pour pouvoir participer davantage.

Au contraire, plus il y a de participants, plus on ouvre les tribunaux et plus la crédibilité de notre système judiciaire va être rehaussée. Mais l'objectif du projet de loi est vraiment d'élargir le plus possible la présence des personnes handicapées au tribunal.

Il faut donc s'adapter aux personnes handicapées. On en parle depuis longtemps au niveau de l'accessibilité, par exemple, pour les personnes en chaise roulante. Ce problème existe.

• 1050

Quand on parlait des jurés, on parlait surtout des handicaps physiques. Une personnes handicapée mentalement pourrait avoir des difficultés dans certaines circonstances. On parle d'aptitude à servir à titre de juré, mais il y a différents handicaps, différentes situations et différentes adaptations. L'objectif visé est une participation plus grande.

On se demande si le système judiciaire sera vraiment prêt à ouvrir ses portes aux personnes handicapées et à faciliter leur participation.

[Traduction]

M. Peter MacKay: Je suis d'accord avec...

Le vice-président (M. John Maloney): Excusez-moi. Vous avez largement dépassé votre temps.

Monsieur DeVillers.

[Français]

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Au deuxième paragraphe de la quatrième page de votre mémoire, où vous traitez de l'article 9 qui modifie l'article 15, vous dites:

    Cependant, en ce qui concerne le paragraphe 2, la notion de contrainte excessive a déjà été élaborée par la jurisprudence et nous craignons que cette notion ne soit restreinte par ce paragraphe.

Pourriez-vous m'expliquer les inquiétudes du Barreau du Québec à cet égard?

Me Madeleine Caron: Dans cet article, la contrainte excessive est limitée au coût, à la santé et à la sécurité. Or, la jurisprudence de la Cour suprême est beaucoup plus souple et tient compte d'autres critères, dont la taille de l'entreprise ou les effets sur les employés d'une petite entreprise. Ce ne sont là que deux exemples. La jurisprudence n'est pas limitative en termes de critères et elle permet aux membres du Tribunal de juger selon les circonstances de l'affaire.

M. Paul DeVillers: Vous trouvez donc que c'est trop restreint aux termes de ce projet de loi?

Me Madeleine Caron: Oui.

M. Paul DeVillers: D'accord. Merci beaucoup.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney): Monsieur Forseth.

M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Réf.): Les groupes qui comparaissent devant nous ont parfois beaucoup d'observations générales et de propositions de changements à présenter. Si vous deviez établir un ordre de priorité, et que vous étiez limités à un ou deux choix, quelles seraient les deux principales modifications que vous aimeriez voir apporter à ce projet de loi? Quelle serait la grande priorité et peut-être votre deuxième priorité en ce qui concerne les modifications que vous souhaiteriez voir apporter?

[Français]

Me Carole Brosseau: Ce sont toutes les priorités qui figurent dans notre mémoire. Mais au-delà de ça, si on parle en termes de tribunal, on pourrait insister sur la compétence des gens qui vont agir et sur l'étanchéité; c'est-à-dire que des rôles très spécifiques devront être attribués aux membres du Tribunal.

L'objectif principal du projet de loi est justement d'instituer un Tribunal canadien des droits de la personne. Si on l'institue, il faut que les gens qui présideront à ses travaux soient très compétents, pour les raisons qu'on vous a mentionnées précédemment et que Me Caron a longuement expliquées. Il faut aussi prévoir l'étanchéité.

Ce sont les deux principaux points que nous retenons en termes de priorité. Est-ce que ça va, quant à vous, au niveau de la protection?

Me Madeleine Caron: Évidemment, je ne sais pas quel est le sens de votre question. Est-ce que vous disposez d'un temps limité pour étudier le projet de loi? Est-ce que vous devez vous limiter à seulement deux ou trois sujets? Je ne sais pas quel est votre objectif. Je pense donc qu'il faudra considérer tous les aspects du mémoire.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney): Madame Finestone.

[Français]

L'hon. Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Je voudrais souligner que cette réponse est fort intéressante et bien méritée d'ailleurs.

J'ai deux questions, dont la première touche à l'article 16.1.

• 1055

[Traduction]

Il se lit comme suit:

    Ne constitue pas un acte discriminatoire le fait de recueillir des renseignements relatifs à un motif de distinction illicite s'ils sont destinés à servir lors de l'adoption ou de la mise en oeuvre des programmes, plans ou arrangements visés au paragraphe (1).

[Français]

Cet article porte sur les renseignements relatifs à un motif de discrimination illicite.

J'ai une inquiétude au sujet de la protection des droits à la vie privée. Je sais que le Québec a certainement des lois qui protègent mieux la vie privée que ne le font les lois fédérales.

Vous en avez peut-être parlé dans votre mémoire, que je n'ai malheureusement pas eu la chance de lire puisque je devais assister à deux réunions avant celle-ci. Cet article ne vous apporte-t-il pas un certain niveau d'inquiétude?

Supposons que l'on veuille mettre sur pied des programmes d'action positive à l'intention des personnes handicapées et vérifier une foule de renseignements: qui sont nos clients, comment peut-on procéder, quelles sont les contraintes à l'égalité, de quelle nature sont-elles, etc. L'article 16.1 ne vient-il pas mettre en péril la protection de cette information-là?

Me Madeleine Caron: Je n'ai pas bien compris votre question.

L'hon. Sheila Finestone: L'article 16.1.

Me Madeleine Caron: C'est mis en péril, oui.

L'hon. Sheila Finestone: C'est mon franglais, madame. Je pourrais peut-être m'exprimer en anglais, si vous le préférez.

Me Madeleine Caron: Non, non. Le Barreau n'a pas étudié cette question-là. Cependant, c'est une question qui se pose un peu partout dans l'application des programmes d'accès à l'égalité. Il faut d'abord que la personne consente à ce qu'on la considère comme une personne handicapée. On ne peut pas forcer quelqu'un à subir un examen médical, etc.

L'hon. Sheila Finestone: Non, non.

Me Madeleine Caron: Mais il est bien entendu que dans la philosophie générale, ces renseignements-là doivent servir uniquement aux fins pour lesquelles ils sont recueillis. Je suis d'accord avec vous que diffuser ces renseignements serait contraire à la protection de la vie privée.

[Traduction]

L'hon. Sheila Finestone: Je pense qu'il s'agit de l'article 10 de la Charte du Québec—c'est certainement l'article 15 de la Charte canadienne—qui nous autorise sans aucun doute à recueillir de l'information pour assurer l'application de l'équité en matière d'emploi qui diffère dans une certaine mesure de l'action positive.

Je voulais m'assurer que ce n'était pas un aspect qui vous préoccupe puisqu'au Québec vous avez une série de lois différentes. Vous n'avez aucune inquiétude au sujet de la protection de cette information?

Si vous n'avez pas étudié cette question, je la laisserai de côté et passerai alors à ma deuxième question, si vous préférez.

Cela se rapporte au paragraphe 48.1 du projet de loi. Vous faites allusion à l'existence d'une certaine confusion. Je crois que mon collègue, M. Lee, a peut-être abordé la même question lorsque je suis arrivée, mais je n'en suis pas sûre.

Vous dites dans votre texte que:

    Une certaine confusion entre les rôles respectifs du Tribunal et de la Commission témoigne du manque d'étanchéité entre les fonctions de ces deux organisations.

Puis, vous parlez de l'indépendance judiciaire et vous en définissez les trois éléments essentiels—l'inamovibilité, la sécurité financière et l'autonomie institutionnelle.

Plus loin, vous dites:

    Le Barreau du Québec estime qu'il s'agit d'un exemple flagrant du manque d'étanchéité entre le rôle du Tribunal canadien des droits de la personne et celui de la Commission. Il s'agit d'un exemple de complicité administrative

—Je trouve que vous ne mâchez pas vos mots, et je dois avouer que cela ne va pas dans le sens dont les projets de loi de ce gouvernement ont été rédigés—

    et le Barreau du Québec exige que cette disposition soit modifiée afin que la Commission ne puisse choisir ses juges.

• 1100

Si vous examinez l'article 48.1 du projet de loi, le Tribunal, ou l'article 48.3, le président et les vice-présidents et au moins deux autres membres du Tribunal doivent être membres du Barreau d'une province ou de la Chambre des notaires du Québec. Le président ou vice-président doivent avoir été membres du Barreau ou de la Chambre des notaires du Québec depuis au moins 10 ans.

Je ne vois pas comment cela est un exemple flagrant de manque d'étanchéité. Je ne vois pas comment cela constitue de quelque façon que ce soit un exemple de complicité administrative. Plus je lis ceci, plus je suis offusquée par le langage utilisé et je dois avouer que je ne m'attendais pas à cela du Barreau; et deuxièmement, j'aimerais que vous m'expliquiez comment vous en déduisez que les compétences juridiques risquent d'être insuffisantes. Quel genre de formation possèdent ces personnes si elles font partie du Barreau du Québec depuis 10 ans? Auraient-elles dû être renvoyées parce que leur formation juridique était insuffisante? Je ne comprends pas toute la texture ou...

[Français]

ce qu'il y avait derrière ces remarques.

Me Madeleine Caron: En ce qui concerne la question de l'étanchéité, je ne me souviens pas si vous étiez présente quand on en a parlé tantôt.

L'hon. Sheila Finestone: Non, je n'étais pas là.

Me Madeleine Caron: Dans la formulation des articles, par exemple à l'article 49, on dit que la Commission peut demander au Tribunal de désigner un membre. C'est ce genre d'expression qui donne l'apparence qu'on joue ensemble, si on peut dire, sans parler de complicité.

L'hon. Sheila Finestone: Madame, excusez-moi. On dit:

    49. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal...

Or, le président est nommé. Le président est un avocat qui a 10 ans d'expérience. Alors, on ne peut pas dire que c'est un méli-mélo et que la Commission peut faire ce qu'elle veut. Il y a une distinction absolue entre le rôle de chacun de ces établissements et on ne peut pas jouer un petit je ne sais quoi. Je pense que vous avez mal lu.

Me Madeleine Caron: Ma collègue, Me Brosseau, va parler de la question du choix d'un juriste ou d'un avocat. Je ne crois pas que ce soit parce que le président du Tribunal est un avocat.

L'hon. Sheila Finestone: Il devient juge d'un tribunal, n'est-ce pas?

Me Madeleine Caron: Ce n'est pas parce qu'il est juriste et qu'il est président du Tribunal qu'au plan administratif et juridictionnel, la loi permet un échange de conseils, si on peut dire, entre la Commission et le Tribunal.

Nous proposons que, comme devant tout tribunal, la Commission, un organisme administratif qui fait des enquêtes, puisse, à la fin de son enquête et si elle le juge approprié, selon la preuve qu'elle a recueillie, présenter ce litige devant le Tribunal. À ce moment-là, la Commission doit, comme tout autre organisme justiciable qui va devant un tribunal, déposer son action, que le Tribunal jugera d'une façon ou de l'autre.

L'hon. Sheila Finestone: Oui, c'est cela.

Me Madeleine Caron: Ces anomalies se retrouvent dans certaines dispositions comme le paragraphe 49(2), le paragraphe 40(4)...

L'hon. Sheila Finestone: Je regrette, madame...

Me Madeleine Caron: ...ou l'alinéa 53(2)a). C'est peut-être seulement une question de formulation, mais il ne devrait pas y avoir autant de communication informelle entre la Commission et le Tribunal. Tout cela devrait se faire selon des procédures qui sont habituellement reconnues devant les tribunaux, à savoir que la Commission dépose une plainte et que le Tribunal décide si les plaintes vont être jointes. Le Tribunal décide si les plaintes doivent être jointes.

• 1105

Le Tribunal, selon la compétence qui lui est accordée par la loi, décide s'il a compétence pour entendre telle plainte et le Tribunal, après l'audition de la cause, fait ses ordonnances selon la preuve recueillie.

L'hon. Sheila Finestone: Madame, c'est ce qui est dit au paragraphe 52(2). Vous ne croyez pas que c'est exactement ce qu'il fait?

Me Madeleine Caron: Et l'article sur la preuve dit qu'à l'issue de l'instruction, le membre instructeur peut ordonner «de mettre fin à l'acte et de prendre, en consultation avec la Commission...».

Relativement à leurs objectifs généraux, nous croyons que cette formulation est inadéquate et qu'elle devrait être remplacée par, par exemple, «selon la preuve entendue». À l'issue d'une audition, le Tribunal n'a pas à consulter la Commission pour savoir quelles ordonnances il va rendre. Il a entendu une cause, il a reçu des preuves et il suffit qu'il rende ses ordonnances selon la preuve reçue.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney): Madame Finestone, je pense que nous allons devoir vous interrompre ici. Je vous remercie.

Y a-t-il une autre brève question de l'opposition? Monsieur John McKay, avez-vous une brève question à laquelle les témoins pourront répondre brièvement?

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Il n'y a pas de question brève.

J'aimerais revenir à vos commentaires à la deuxième page de votre introduction:

    Bien que nous comprenions le principe qui sous-tend le nouvel article 153.1 du Code criminel, nous sommes perplexes sur la création d'une nouvelle infraction qui est moins sévère que le régime général actuel. D'ailleurs, les conséquences d'une telle disposition pourraient avoir l'effet contraire de celui recherché par le législateur et pourraient désavantager les personnes atteintes d'une déficience mentale ou physique.

Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire par là? On pourrait donner comme exemple le fait qu'une personne handicapée risque d'être accusée d'une telle infraction.

[Français]

Me Carole Brosseau: Je ne sais pas si vous étiez là quand je l'ai dit tantôt, mais dans l'interprétation de cet article-là, on crée une nouvelle infraction pour le bénéfice, dans le fond, des personnes handicapées, ce qui est un peu l'objectif.

Cela dit, ce n'est pas cela qu'on met en cause actuellement. C'est plutôt la conséquence et la rédaction de l'article. De la façon dont l'article est rédigé, cela s'assimile beaucoup au régime général qui est celui d'une infraction ou d'une agression sexuelle. Dans ces cas-là, on parle de «without consent» ou «sans son consentement». Pour une personne majeure, la conséquence de la création de cette nouvelle infraction est que cela s'apparente grandement au régime général des infractions sexuelles à l'égard d'une personne majeure. On se demande pourquoi la conséquence, pour ces personnes-là, serait moindre. On trouve cela un peu injuste. Pourquoi cette personne, à cause de cette infraction-là, serait-elle soumise à une peine de cinq ans, alors que dans le régime général on prévoit une peine de 10 ans?

[Traduction]

M. John McKay: Donc le problème, c'est l'infraction même? Est-ce la création de l'infraction même, ou le problème de la peine?

[Français]

Me Carole Brosseau: De la façon dont cette infraction a été crée, non. Il s'agit de l'objectif de sa création.

[Traduction]

M. John McKay: Donc vous approuvez l'objectif visé?

[Français]

Me Carole Brosseau: Oui, on comprend l'esprit. Comme je le disais, il est tellement difficile pour les personnes handicapées d'avoir une certaine crédibilité qu'on veut leur offrir plus de latitude et plus de possibilités.

[Traduction]

M. John McKay: Mais comment cela améliore-t-il la crédibilité dans un cas...

[Français]

Me Carole Brosseau: Vous savez bien que, dans le cas de la preuve criminelle, il y a toujours une question de crédibilité des témoins qui se pose. Les personnes avec un handicap mental partent souvent avec une longueur de retard, parce que c'est plus difficile pour elles.

[Traduction]

M. John McKay: Mais il ne s'agit pas d'une disposition qui inverse la charge de la preuve, ni d'un problème de consentement. Ce n'est pas un problème de crédibilité. Ce qui est en cause, c'est la création d'une nouvelle infraction.

[Français]

Me Carole Brosseau: Exactement. Mais dans l'infraction qui est créée, le problème n'est pas le type d'infraction. On se demande simplement pourquoi vous avez un régime général qui est plus généreux que le régime particulier. Nous vous posons aussi la question.

Nous vous faisons une suggestion et j'aimerais qu'il soit bien clair que nous ne le faisons pas pour ou contre quelqu'un.

• 1110

Nous ne défendons aucune position très arrêtée. Nous voulons juste que ce soit viable. Nous vous faisons part des questions que nous nous posons. Nous vous demandons de nous dire si, en tant que comité, vous allez prendre parti. Nous voulons aussi savoir si vous allez répondre que c'est fondé ou non fondé. Nous soulevons tous ces problèmes en vue de bonifier le plus possible la loi. Vous en faites ce que vous voulez ensuite. Notre objectif est de la bonifier.

Nous ne cherchons pas à justifier cette infraction. On n'est pas un groupe politique. Nous vous disons simplement qu'en lisant la disposition portant sur cette nouvelle infraction, nous la comprenons comme étant différente de celle du régime général pour une personne déficiente majeure. Est-ce que vous me comprenez?

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney): Madame Caron, nous vous remercions d'avoir comparu devant nous ce matin et de nous avoir aidés avec ce projet de loi. Merci beaucoup.

La séance est levée.