JURI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 16 mars 1999
Le président (M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.)): La séance est ouverte.
Ce matin, nous accueillons les représentants de l'Association du Barreau canadien: Isabelle Schurman, présidente de la Section nationale de droit pénal, et Tamra Thomson, directrice de la législation et réforme du droit.
Comme d'habitude, vous aurez environ 10 minutes pour faire vos remarques liminaires, puis il y aura une période de questions.
Mme Tamra L. Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien): Merci, monsieur le président. Étant donné que nous disposons de peu de temps ce matin, nous tenterons d'être brèves.
L'Association du Barreau canadien est un organisme national représentant plus de 35 000 juristes dans l'ensemble du Canada. Nous avons comme objectifs prioritaires l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans ce contexte que nous faisons nos remarques ce matin.
Vous avez tous reçu un exemplaire du mémoire qui a été rédigé par la Section nationale de droit pénal de l'Association du Barreau canadien. Je vous ferai remarquer que cette section comprend à la fois des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense de toutes les régions du Canada. Je suis très heureuse d'être accompagnée ce matin d'Isabelle Schurman, la présidente de la section de droit pénal. Je lui demande sans plus tarder de traiter des questions de fond figurant dans notre mémoire.
Mme Isabelle Schurman (présidente, Section nationale de droit pénal, Association du Barreau canadien): Merci de nous avoir invitées à témoigner aujourd'hui. Comme vous le savez sans doute si vous avez jeté un coup d'oeil à notre mémoire, nous nous opposons vigoureusement à ce projet de loi, et ce, pour différentes raisons dont je tenterai de vous donner un aperçu en moins de 10 minutes.
• 0840
Les partisans du projet de loi maintiennent que leur soutien
se fonde essentiellement sur deux choses: soit que les peines
imposées actuellement au Canada sont trop indulgentes, soit que le
projet de loi constitue la seule façon de donner satisfaction aux
victimes de certains crimes.
Au sujet du premier argument—à savoir que les peines ne sont pas assez lourdes—, il est tout simplement faux de dire que les pratiques actuelles en matière de détermination de la peine sont trop indulgentes dans les cas de meurtre et d'agression sexuelle, en dépit de ce que veulent nous faire croire les médias en publicisant certains cas particuliers ou exceptionnels. Dans les affaires de meurtre, par exemple, une peine d'emprisonnement à perpétuité ne signifie pas que le délinquant qui sera libéré après avoir purgé une partie de sa peine sera entièrement libre. Une peine à vie est purgée toute la vie. Le délinquant fait l'objet, dans le cadre du système correctionnel, d'un contrôle ou d'une surveillance quelconque pour le reste de sa vie.
L'admissibilité à la libération conditionnelle dans les cas de meurtre intervient après les 25 ans d'une peine obligatoire minimale pour meurtre au premier degré ou après les 10 ans d'une peine obligatoire minimale pour meurtre au deuxième degré. Je le souligne, car la Cour suprême du Canada a déclaré ces dernières années qu'il n'est pas nécessaire, dans une affaire de meurtre au deuxième degré, qu'il y ait des circonstances exceptionnelles pour qu'un juge impose une peine minimale obligatoire en l'assortissant d'une période supérieure à dix ans avant l'admissibilité à la libération conditionnelle. Il importe de noter que dans les cas de meurtre au premier degré, même si un article du Code criminel permet au détenu purgeant une peine minimale obligatoire de 25 ans de demander à un juge et à un jury l'autorisation de présenter une demande de libération conditionnelle après avoir purgé 15 ans de sa peine, bon nombre de ces délinquants, sinon la plupart, ne le font pas. D'après les membres de notre sous-comité sur le système correctionnel et la libération conditionnelle, ces délinquants savent que leur demande sera rejetée ou qu'un jury constitué de membres de la collectivité où un meurtre effroyable et odieux a été commis ne sera pas très chaud à l'idée de les libérer avant qu'ils aient purgé au moins 25 ans de leur peine. Par conséquent, dans les cas de meurtre au premier et au second degré, il est faux de dire que le régime actuel de détermination de la peine est trop indulgent.
En ce qui concerne les agressions sexuelles, le projet de loi semble ne viser que ce qu'on pourrait appeler l'agression sexuelle simple. Il ne semble pas s'appliquer à l'agression sexuelle grave ou à l'agression sexuelle armée. Par conséquent, nous comprenons mal pourquoi les peines imposées pour les agressions sexuelles simples seraient considérées plus indulgentes ou problématiques, alors que ce ne serait pas le cas des agressions sexuelles plus graves. Encore une fois, en dépit de l'attention qu'accordent les médias à certains cas particuliers et peut-être isolés, un examen des décisions rendues par les cours d'appel du pays indiquerait à votre comité que ce crime est pris très au sérieux. Certaines cours d'appel ont fixé des peines minimales d'incarcération, même si le Code criminel n'en prévoit pas pour les personnes reconnues coupables d'agression sexuelle.
Voilà pourquoi nous estimons que le premier argument en faveur du projet de loi C-251 est sans fondement. Il n'est même pas nécessaire de passer en revue les peines qui sont imposées pour constater que ces peines sont suffisamment lourdes.
Lors de l'examen des modifications proposées, il est aussi important de comprendre que tous ceux qui sont admissibles à la libération conditionnelle ne l'obtiennent pas nécessairement. En fait, comme nous l'indiquons dans notre mémoire, sur 422 hommes qui étaient admissibles à la libération conditionnelle pendant une année donnée, seul 1,5 p. 100 ont obtenu la libération d'office. Il est donc faut de dire que l'admissibilité à la libération conditionnelle signifie automatiquement la liberté dans la collectivité.
Nous sommes convaincus que tout changement au régime de la détermination de la peine en matière pénale doit s'inscrire dans ce système qui a été élaboré avec soin et sur une longue période de façon à refléter les valeurs de notre société. On dit souvent que c'est par le biais du système de justice pénale que se traduisent les valeurs d'une société: comment la société traite-t-elle ses délinquants, comment traite-t-elle ses victimes; quel châtiment impose-t-elle aux coupables et quelles sont les conditions de ces châtiments?
• 0845
Nous ne croyons pas que ce projet de loi, comme d'aucuns le
prétendent, est la seule façon de répondre aux besoins des
victimes. Comme l'ont dit certains de mes collègues devant votre
comité à propos d'un autre projet de loi il y a quelques semaines,
nous ne sommes pas que des avocats, nous, les procureurs de la
Couronne, nous défendons aussi les victimes; nous sommes des mères,
des pères, des soeurs, des frères, des fils et des filles. Nous
sommes extrêmement sensibles au tort qu'entraîne un crime terrible
et qui ne peut jamais être réparé. Mais les principes de la
détermination de la peine au Canada se fondent sur la protection de
la société, sur la dissuasion, sur la dénonciation et sur la
réinsertion sociale. Il faut se demander également si la peine
totale permettra d'atteindre ces objectifs.
Ces principes ont été élaborés sur une longue période, et le Canada a raison d'en être fier. Nous estimons que toute peine doit être proportionnelle au crime. Nous estimons que, si des peines consécutives entraînent une sanction excessivement longue et lourde, le tribunal devrait en tenir compte. Nous estimons qu'il faut prendre en compte tous les effets de la sentence, les effets qu'elle aura sur le délinquant et les effets qu'elle aura sur la société.
Nous avons rejeté le système qui existe ailleurs, y compris dans certains États américains, qui veut que la détermination de la peine ne soit qu'un calcul mécanique. Nous avons rejeté cette solution, car notre propre régime comprend toute la souplesse qui permet au juge d'examiner le crime, d'examiner le criminel, d'examiner la gravité du crime et de déterminer quelle peine correspond à ce crime. Le condamné ne doit pas être négligé si nous croyons à l'avenir de la société canadienne et si nous croyons à la réinsertion sociale dans certaines circonstances.
Cette souplesse que nous avons jalousement protégée pendant des années nous donne un régime de détermination de la peine qui tient compte véritablement des actes que nous voulons condamner, des personnes que nous voulons punir et des formes que prendra ce châtiment.
Nous sommes aussi d'avis—et je ne le dis pas en passant, car c'est un des points qui est abordé moins longuement dans notre mémoire—que ce projet de loi soulève certaines questions constitutionnelles. Tout projet de loi qui prévoit de prolonger les périodes d'inadmissibilité à la libération conditionnelle sera scruté à la loupe et pourrait être jugé inconstitutionnel. L'emploi de certains termes est d'ailleurs malheureux. Le mot «event» en anglais n'est pas conforme au vocabulaire actuel du Code criminel. Le Code criminel emploie d'autres termes, pas celui-là. Il faudrait donc le définir ou en trouver un autre qui s'inscrirait mieux dans le Code criminel tel qu'il est formulé aujourd'hui.
Enfin, après avoir étudié attentivement le projet de loi, nous ne savons toujours pas avec certitude si le projet de loi s'applique à tous les types de peine ou seulement à l'incarcération. Il est extrêmement malheureux que le projet de loi emploie le terme «peine» pour désigner les seules peines d'incarcération, comme si c'était là le seul genre de peine qui est imposé au Canada. Depuis quelques années déjà, le Canada déploie de grands efforts pour ne plus mériter sa réputation de pays occidental qui privilégie l'emprisonnement. Nous avons mené des réformes exhaustives au cours des dernières années qui ont élargi le champ des possibilités. Il est donc très malheureux que ce projet de loi ne fasse allusion qu'aux peines d'incarcération.
Voilà donc, en huit ou neuf minutes, les quelques remarques que nous voulions faire.
Le président: Merci, madame Schurman.
Je crois que les premiers tours de questions seront de cinq minutes. Nous n'avons prévu qu'une demi-heure pour ces témoins. Je demanderai donc aux députés de limiter leur préambule et de poser des questions directes.
Monsieur Abbott.
M. Jim Abbott (Kootenay—Columbia, Réf.): J'ai noté que vous avez dit que la détermination de la peine devrait traduire les valeurs de notre société, que la peine devrait être proportionnelle au crime et que vous craigniez qu'on impose à certains délinquants des sentences excessivement longues ou lourdes. Sauf votre respect, les valeurs de notre société telles que je les conçois ne se reflètent pas actuellement dans le système de justice.
• 0850
Deuxièmement, le fait que le délinquant reste au sein du
système même s'il n'est plus incarcéré ne permet pas de répondre à
la question de la sécurité du public. Si la période d'admissibilité
à la libération conditionnelle est différente selon qu'il s'agit
d'un meurtre au premier degré ou au deuxième degré, pourquoi ne
serait-elle pas différente aussi selon que le délinquant a commis
un ou plusieurs meurtres? La semaine dernière, on nous a donné
l'exemple de l'automobiliste qui se rend d'Ottawa à Toronto, qui
dépasse la limite de vitesse et qui se fait prendre au radar. S'il
est arrêté ainsi plusieurs fois en chemin, il n'aura pas de rabais
sur la quantité. Il aura cinq contraventions s'il est arrêté cinq
fois pour excès de vitesse.
En l'occurrence, puisque notre système de justice prévoit déjà une période d'admissibilité différente selon qu'il s'agit de meurtre au premier degré ou au deuxième degré, pourquoi n'y aurait-il pas aussi une période d'admissibilité différente pour ceux qui commettent plusieurs meurtres au premier degré, d'autant plus que c'est un crime pour lequel la preuve est très difficile à faire? C'est probablement l'une des condamnations les plus difficiles à obtenir.
Si un accusé est reconnu coupable de plus d'un meurtre au premier degré, pourquoi le moment où il lui sera possible d'être libéré ne serait-il pas fonction du nombre de meurtres commis?
Mme Isabelle Schurman: Si ma mémoire est bonne, on a récemment modifié le Code criminel de sorte que ceux qui sont reconnus coupables de meurtres multiples n'ont plus le droit de demander la libération conditionnelle après 15 ans en s'adressant à un juge et un jury, comme c'est le cas pour les personnes reconnues coupables d'un seul meurtre.
M. Jim Abbott: Je comprends
Mme Isabelle Schurman: Cela répond en partie à votre question. Pour le reste, je reviens à ce que je disais au début de mon exposé. Mais auparavant, et soit dit en passant, je réprouve vivement cette idée selon laquelle le régime actuel de détermination de la peine offre des rabais sur le volume, comme le disait un défenseur de ce projet de loi dans une entrevue que j'ai lue dans le journal. Je ne crois pas que le régime actuel offre des rabais sur le volume, et voici pourquoi.
Rien n'oblige la Commission des libérations conditionnelles de mettre en liberté une personne admissible à la libération conditionnelle, et souvent, elle ne le fait pas. En fait, celui qui a été reconnu coupable d'un meurtre au premier degré est peut-être admissible à la libération conditionnelle après avoir purgé 25 ans de sa peine, mais il est fort probable qu'on ne lui accorde jamais cette libération. De plus, les lois ont été modifiées de façon à permettre—et je ne suis pas experte de ce sujet—aux victimes, aux familles et à d'autres intervenants d'avoir voix au chapitre à l'étape de la libération conditionnelle. Peut-être devrions-nous plutôt cibler cet aspect, car si nous modifions la loi et, ce faisant, les principes de la détermination de la peine, nous risquons, sous prétexte de vouloir protéger la société, de ratisser trop large.
Je suis convaincue que la Commission des libérations conditionnelles assume toutes ses responsabilités à cet égard. Vous verrez dans notre mémoire que très peu de ceux qui demandent la libération conditionnelle l'obtiennent, et c'est probablement souvent à juste titre, compte tenu des circonstances et des arguments qui sont présentés.
M. Jim Abbott: Outre la question de la sécurité, qui est ma priorité absolue, ma deuxième préoccupation—et ce n'est la deuxième que parce que nous devons établir des priorités—ce sont les familles des victimes. On n'a qu'à voir la situation atroce qui a été provoquée par notre meurtrier le plus notoire, ou peut-être devrais-je dire tristement notoire. Je refuse de le nommer. Parce que l'article 745 ne s'appliquait pas à lui, il a fait subir des souffrances atroces aux familles de ces victimes à Vancouver.
Si cette situation se reproduisait, si un autre meurtrier comme lui avait le droit de demander la libération conditionnelle après 25 ans, il pourrait lui aussi rendre la vie des familles de ses victimes infernale. Il me semble que les intérêts des victimes et la sécurité du public devraient primer les intérêts de ceux qui commettent des crimes si odieux.
Mme Isabelle Schurman: Je crois que nous sommes tous d'accord là-dessus. Personne, que ce soit au Barreau canadien ou parmi mes collègues, ne prétendra qu'on ne devrait pas se préoccuper de la sécurité du public dans le cas de crimes aussi odieux.
• 0855
Ce que nous craignons, c'est que l'imposition de peines
consécutives obligatoires ne règle pas les problèmes dont vous
parlez, qui pourraient être résolus par le maintien en
incarcération pour de longues périodes des détenus dangereux. La
Commission des libérations conditionnelles peut fort probablement
s'en charger sans qu'il soit nécessaire de modifier les règles de
détermination de la peine.
Vous avez parlé de cette personne que vous refusez de nommer—nous connaissons tous son identité; ce cas est tout à fait exceptionnel. C'est une aberration, un exemple de la pire des situations, et c'est un exemple malheureux. Sauf votre respect, le Barreau canadien ne croit pas qu'on doive se servir de tels exemples comme dénominateur commun, car cela créera un système de justice qui vise le pire dénominateur commun et nous risquerions ainsi de graves erreurs judiciaires.
Le président: Merci, monsieur Abbott.
Monsieur Bellehumeur.
[Français]
M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): J'aimerais vous féliciter d'avoir mis dans un document des explications très compréhensibles et très condensées sur un sujet très complexe. Je pense que vous avez réussi à faire un assez bon portrait du dossier. Au début, j'étais sympathique au projet de loi, mais plus je le regarde et plus je lis des mémoires comme celui que vous nous avez soumis, plus je suis convaincu que ce n'est peut-être pas la meilleure des choses. C'est peut-être tentant. On comprend la légitimité de cela, mais c'est un dossier très complexe.
Une des phrases que je retiens de votre mémoire se trouve à la page 6 de la version française. Vous écrivez:
-
Il incombe
au juge de fixer la totalité de la peine en tâchant
d'éviter une sanction trop sévère ou excessivement
longue et de s'assurer que la peine est adéquate.
Si le projet de loi C-251 était adopté et que le principe en application était celui des peines consécutives, croyez-vous qu'un juge qui s'apprêterait à donner une sentence tiendrait compte de cela et réduirait les peines pour chaque infraction afin d'en arriver à la même sentence au bout de la ligne?
Mme Isabelle Schurman: Cela n'est pas impossible, et nous avons déjà vu des situations semblables se produire après l'adoption d'autres amendements. Comme j'ai tenté de l'expliquer tout à l'heure, nous avons un système de détermination de la peine qui comporte évidemment certains problèmes, mais dont nous sommes fiers comme société. Il a fallu un certain temps pour l'élaborer.
Les juges et les avocats qui ont oeuvré dans ce système pendant un certain temps sont tous d'accord que certains changements s'imposent, mais en règle générale, ils ont leurs habitudes au niveau de la peine pour tel crime ou tel autre crime. Certaines cours d'appel ont établi des minimums d'incarcération en matière d'agression sexuelle même si le Code criminel n'en impose pas. Ces mêmes personnes, du jour au lendemain, se retrouveront devant les juges qui vont sûrement se dire que l'année passée, ils donnaient 10 ans dans telle situation et qu'ils doivent donner 20 ans aujourd'hui dans la même situation, sans même regarder la personnalité de l'individu qui est devant eux et sans prendre en considération sa famille et ses enfants. Le côté subjectif n'est pas la seule considération, mais c'en est une.
Je suis d'accord avec vous qu'il y a un risque que ce genre de situation se produise si, du jour au lendemain, on double les peines dans certaines circonstances sans permettre aux intervenants du système judiciaire, aux juges et aux avocats, de regarder les facteurs qu'ils ont toujours regardés et qui font de notre système de justice un système plus humain que certains autres.
M. Michel Bellehumeur: Merci. Je n'ai pas d'autres questions.
[Traduction]
Le président: Merci.
Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie toutes les deux de votre témoignage et de votre mémoire. Je n'ai pas lu votre mémoire du début à la fin, mais je suis certain qu'il nous sera utile.
Pour faire suite à la question de M. Bellehumeur, en ce qui a trait à la date d'admissibilité à la libération conditionnelle dans le cas des peines consécutives d'emprisonnement à perpétuité... Et je ne suis pas d'accord avec vous pour dire que la plupart de ceux qui purgent des peines de prison à vie purgent dans les faits plus de 15 ans de prison; j'ai vu bien des exemples de détenus qui ont été libérés bien avant d'avoir purgé 25 ans de prison de leur peine d'emprisonnement à perpétuité. Selon vous, la date d'admissibilité à la libération conditionnelle, même pour des peines consécutives, s'appliquerait-elle toujours et serait-elle la même, compte tenu du rabais sur le volume, que celle prévue à l'heure actuelle pour les peines concurrentes? Autrement dit, le détenu qui purge deux peines d'emprisonnement à perpétuité, disons qu'il purge une peine allant de 50 ans à la vie, serait admissible à la libération conditionnelle à la même date, tous les autres critères étant égaux?
Mme Isabelle Schurman: C'est ainsi que nous interprétons l'intention du projet de loi, même s'il ne le stipule pas clairement.
Je ne voudrais pas qu'on se trompe sur mes propos; pour ce qui est du nombre de détenus qui sont libérés après avoir purgé 15 ans de leur peine, il y a bien des détenus qui présentent une demande et un certain nombre d'entre eux sont remis en liberté. Les statistiques montrent toutefois que dans de très nombreux cas, la demande n'est même pas faite, mais même si des demandes sont faites, ce n'est pas aussi simple que ne le laissent entendre les médias, à savoir que le jury de 12 personnes accorde automatiquement la libération conditionnelle. Je ne voudrais pas qu'il y ait malentendu à ce sujet.
Le libellé du projet de loi n'est pas clair, mais, d'après notre interprétation, dans les cas de meurtre au premier degré, le condamné serait admissible à la libération conditionnelle, comme c'est le cas actuellement, après avoir purgé la peine minimum obligatoire. Voilà pourquoi nous craignons que le projet de loi, s'il est adopté, ne fasse l'objet de contestations aux termes de la Constitution. Lorsqu'on cherche à étendre la période minimale obligatoire avant l'admissibilité à la libération conditionnelle, souvent, sinon toujours, il s'ensuit une contestation constitutionnelle.
M. Peter MacKay: Toute nouvelle loi fera l'objet d'une contestation constitutionnelle. Ne nous leurrons pas. Toute nouvelle loi fait l'objet d'une contestation aux termes de l'un ou l'autre article de la Constitution.
Mme Isabelle Schurman: Peut-être bien, mais ce risque est plus grand pour certaines lois que pour d'autres. Il en est ainsi, par exemple, de toutes mesures qui minent la justice fondamentale ou qui prolongent la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, car on considère que cela touche à la liberté.
M. Peter MacKay: Bien sûr.
Mme Isabelle Schurman: De même, le renversement du fardeau de la preuve en matière criminelle attire souvent ce genre d'attention, peut-être même davantage que d'autres mesures législatives.
M. Peter MacKay: Bien sûr. Plus les enjeux sont grands, plus la violation des libertés individuelles paraît grave, plus le risque de contestation aux termes de la Charte.
Moi aussi, je veux bien me faire comprendre. Il y a bien des exemples de détenus qui purgent leur peine entière, mais il y en a beaucoup qui ne le font pas. Vous avez parlé de proportionnalité et de l'expression galvaudée du principe des peines réelles, mais à mon avis, le problème de la loi actuelle dans les situations de double ou de triple homicide, c'est qu'aucune partie de la peine ne peut être attribuée à chaque crime. Autrement dit, si vous êtes condamné pour avoir commis trois meurtres... Nous avons tendance à ne penser qu'aux pires cas, mais ce sont ces cas-là qui sont visés par le projet de loi C-251. Rien dans le régime actuel de détermination de la peine ne reflète le fait qu'il y a eu un deuxième, un troisième ou un quatrième meurtre car les peines seront purgées de façon concurrente.
Cela a des effets encore plus pervers. Si un meurtrier est remis en liberté avant d'avoir purgé toute sa peine—Dieu nous en garde, mais cela arrive—et qu'il commet un autre assassinat pendant sa liberté conditionnelle, cette nouvelle peine sera aussi purgée de façon concurrente. Je trouve cela tout à fait révoltant.
Mme Isabelle Schurman: Vous avez soulevé deux questions que je traiterai séparément.
Vous avez d'abord dit qu'à l'audience du prononcé de la sentence, parce qu'il y a une peine minimale obligatoire, la peine ne traduit pas le nombre d'homicides qui ont été commis. De même, je vous dirai qu'elle ne traduit pas le fait que c'était un crime passionnel, qu'il s'agit d'un jeune adulte qui a tué un membre de sa famille...
M. Peter MacKay: Sauf votre respect, tout cela est divulgué pendant le procès.
Mme Isabelle Schurman: Mais si l'accusé est reconnu coupable de meurtre, je dirais que rien ne reflète le nombre de victimes, c'est une peine minimale obligatoire de 25 ans, mais c'est une condamnation à perpétuité. Aucune de ces circonstances ne sera prise en compte. Dans les cas de meurtre au premier degré, la détermination de la peine n'est pas discrétionnaire; ce crime entraîne automatiquement une condamnation à perpétuité avec emprisonnement minimal obligatoire de 25 ans. C'est la Commission des délibérations conditionnelles qui a le pouvoir discrétionnaire, après 25 ans, d'entendre toutes les parties et de décider si ce détenu sera remis en liberté ou non.
• 0905
Vous avez donc raison de dire que la peine ne reflète pas ces
facteurs, mais la peine ne reflète aucun facteur dans les cas de
meurtre. Une peine minimale obligatoire est prévue, et c'est ce que
cela signifie. Il n'y a pas d'audience, il n'y a pas... C'est la
loi: 25 ans d'emprisonnement avant l'admissibilité à la libération
conditionnelle, et une condamnation à perpétuité.
M. Peter MacKay: Seulement pour le meurtre au premier degré.
Mme Isabelle Schurman: Oui. Et pour le meurtre au deuxième degré, il y a une audience pour déterminer si une peine supérieure à la peine obligatoire minimale de dix ans devrait être imposée.
M. Peter MacKay: Mais on tient alors compte de toutes les circonstances.
Mme Isabelle Schurman: Et des circonstances qui peuvent être prises en compte sont prises en compte.
C'est bien ce qui se passe dans l'exemple que vous avez donné. Mais, sauf votre respect, vous ne pouvez négliger comme vous le faites le rôle de la Commission des libérations conditionnelles. Nous avons une commission des libérations conditionnelles et nos lois concernant la libération conditionnelle ont été resserrées ces cinq à dix dernières années. Comme les chiffres l'indiquent, notre commission des libérations conditionnelles ne se contente pas de remettre automatiquement tous les détenus en liberté.
Le temps est peut-être venu pour les citoyens et les collectivités qui souhaitent qu'on ne libère pas certains détenus de jouer un rôle plus actif à l'audience de libération conditionnelle. Peu importe le nombre de peines que prévoira la loi, peu importe que vous disiez que les peines d'emprisonnement à perpétuité seront purgées de façon consécutive, en réalité, il y a des délinquants qui ne devraient jamais être libérés et d'autres qui pourraient l'être. Nous devons conserver un système qui nous permet de tenir compte de tous les aspects et de ne pas dire automatiquement: «Nous n'examinerons pas votre dossier. Nous vous jetons en prison pour le reste de votre vie.» Notre société ne peut se permettre d'agir ainsi et prétendre ensuite que notre système de justice pénale est compatissant.
Le président: Merci, monsieur MacKay.
Monsieur Saada.
[Français]
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): J'aimerais faire une déclaration, puis entendre vos commentaires sur la déclaration en question.
Je comprends le but du projet de loi. Je pense qu'il y a deux motifs principaux. D'une part, il y a un motif qui repose sur la compassion pour les victimes. D'autre part, il y a un motif fondé sur l'exception, qu'il s'agisse de gens dont on ne veut pas donner le nom mais qu'on connaît très bien, ou de gens qui ont commis d'autres crimes alors qu'ils bénéficiaient d'une libération conditionnelle de quelque nature. Je comprends tout cela.
Je comprends aussi que c'est très humain pour la mère, le père, le frère ou la soeur de vouloir une forme de revanche. Cependant, notre système de justice n'est pas un système de revanche, mais un système de correction, au sens très propre du terme.
Notre système de justice ne doit pas viser la satisfaction des victimes mais bien une sanction juste. Dans ce cadre, le projet de loi en question a deux pôles: l'un qui est humain et très compréhensible, et l'autre qui constitue une agression envers un système qui tient compte du besoin fondamental de faire la correction des choses et dont le but n'est pas de faire en sorte que les victimes prennent leur revanche. Pourriez-vous faire un commentaire là-dessus, s'il vous plaît?
Mme Isabelle Schurman: Effectivement, si nous décidons, comme société, que la revanche est un but principal de notre système de droit pénal, nous allons défaire plusieurs dizaines d'années, sinon des siècles de construction d'un système de droit criminel plus vaste que cela. Il est compréhensible, comme vous le dites, que les victimes veuillent être entendues et avoir le sentiment qu'on se préoccupe de leurs besoins, mais au Barreau canadien, nous sommes loin d'être certains que la seule façon ou même la bonne façon de se préoccuper de ces besoins est d'éliminer la flexibilité de notre système de détermination de la peine. La revanche, en soi, n'a peut-être pas sa place dans la détermination de la peine.
Les critères de notre système de justice pénale, que nous avons mis des années à élaborer, sont la protection de la société, la réadaptation dans certains cas, la dissuasion, la punition et la correction, mais nous avons toujours dit, comme société, que la revanche n'avait pas sa place comme critère dans notre système de justice pénale. Je crois que ce serait une erreur que de commencer à donner à ce sentiment un place officielle dans la détermination de la peine.
• 0910
Je suis portée à être d'accord avec vous que dans ce projet de loi,
on voit deux extrêmes, notamment un côté très compréhensible visant à
corriger certaines lacunes perçues dans le système, mais par un moyen
qui non seulement n'est pas le bon, mais qui va aussi nous poser des
problèmes de société plus tard, parce que cela va changer quelque
chose de fondamental dans notre système de détermination de la peine.
M. Jacques Saada: Avez-vous le sentiment qu'avec ce projet de loi, pour servir certaines victimes, ce que je comprends très bien, on prend le risque de faire d'autres victimes, pas du même crime ou de la même nature, mais d'autres victimes? Il pourrait s'agir, par exemple, des familles de ces gens qui sont condamnés ou de la société dans son ensemble. Je crois que vous y avez fait un peu allusion tout à l'heure. Est-ce qu'on ne risque pas, par l'étendue du filet dont vous parlez, de faire des victimes en plus de celles qui sont déjà victimisées par le criminel?
Mme Isabelle Schurman: Justement, et on ne parle même pas des circonstances où la cour aurait de très bonnes raisons de regarder la situation de l'individu qui plaide coupable ou qui est condamné; la loi ne permettra pas à la cour de le faire. Donc, on créera une autre catégorie de victimes: ceux et celles qui risquent d'être victimes d'un déni de justice lorsque la cour n'aura aucune discrétion quant à la peine et lorsque le délai avant leur admissibilité à une libération conditionnelle sera prolongé. Je suis bien d'accord avec vous qu'on risque de créer d'autres victimes.
M. Jacques Saada: Merci.
[Traduction]
Le président: Merci. Nous n'avons pas assez de temps pour un deuxième tour de table. Je vais user de mon pouvoir discrétionnaire pour donner à Mme Guarnieri l'occasion de poser une très brève question, puis nous entendrons les témoins suivants.
Mme Albina Guarnieri (Mississauga-Est, Lib.): Merci, monsieur le président.
Mme Campbell, du Service correctionnel du Canada, a déclaré en réponse à une question du comité que rien ne prouve qu'il y ait un rabais sur le volume, et vous semblez abonder dans le même sens. Toutefois, les statistiques qu'a présentées Mme Campbell au comité montrent bien qu'un rabais considérable sur le volume est accordé à ceux qui commettent des meurtres multiples.
Selon ses statistiques, la durée moyenne d'incarcération pour la principale catégorie des 292 meurtriers multiples passerait de 18,8 ans à 45,2 ans si mon projet de loi était adopté. Par conséquent, les peines concurrentes font que les meurtriers multiples purgent 58 p. 100 moins de temps d'emprisonnement que s'ils purgeaient leurs peines de façon consécutive. Je continue de maintenir que mon projet de loi éliminerait les rabais sur le volume.
En ce qui a trait à l'agression sexuelle, Mme Campbell a aussi apporté des faits qui confirment que de grands rabais sur le volume sont accordés aux agresseurs sexuels. Elle a présenté des statistiques selon lesquelles la peine moyenne pour les crimes sexuels multiples était de 39 p. 100 supérieure à la peine imposée pour une seule infraction, et on entend par multiple au moins deux chefs d'accusation. Par conséquent, je maintiens que le surplus de peine imposé pour la deuxième agression sexuelle est inférieur à la moitié de la peine imposée pour un seul chef d'accusation.
Je ferai donc une déclaration au comité: le témoignage de Mme Campbell elle-même montre clairement qu'il y a actuellement un rabais sur le volume d'au moins 60 p. 100, et probablement davantage, puisque dans bien des cas, il y a plus de deux chefs d'accusation.
J'en viens à ma question pour nos estimés témoins. M. Daubney a présenté le point de vue du ministère, selon lequel les dispositions du projet de loi C-251 relatives aux peines consécutives pour meurtre constitueraient, dans bien des cas, une peine cruelle et inhabituelle. C'est votre position.
Mais ne conviendriez-vous pas qu'il n'y a pas d'avis juridique actuel à ce sujet, et qu'il n'y a pas d'arrêt de la Cour suprême selon lequel l'inadmissibilité à la libération conditionnelle suivant une condamnation à perpétuité est une peine cruelle et inhumaine? N'est-ce pas le cas?
Mme Isabelle Schurman: Je suis désolée, je n'ai pas bien compris la dernière partie de votre question. Vous disiez qu'il y a un arrêt de la Cour suprême. Vous parliez de l'affaire Lyons, je présume.
Mme Albina Guarnieri: Je disais que vous présumez qu'il s'agirait d'une peine cruelle et inhumaine. Vous ne citez pas une cause où l'on aurait prouvé...
Mme Isabelle Schurman: Merci. Ce que nous disons, c'est qu'il est fort possible, sinon probable, qu'il y ait une contestation judiciaire en vertu de la Loi constitutionnelle, et qu'il n'est pas impossible qu'elle prévale. En effet, en éliminant 25 années supplémentaires de ce que j'appellerais la «possibilité d'obtenir une libération»... c'est le genre de situation dont la Cour suprême a dit, dans l'affaire Lyons, qu'elle pourrait être considérée comme une peine cruelle et inhabituelle. Cela nous préoccupe et il est vrai que certains textes législatifs prêtent le flan à des contestations judiciaires. On ne peut pas dire que c'est le cas de tous les textes législatifs puisque nous sommes déjà venus ici, et avons affirmé qu'il n'y aurait pas de problèmes constitutionnels pour un projet de loi, même s'il y avait d'autres problèmes. Ce projet de loi soulève toutes sortes de problèmes, dont des problèmes constitutionnels.
J'aimerais savoir un peu... Je sais qu'il s'agissait plutôt d'un commentaire que d'une question de votre part, mais l'Association du Barreau canadien n'aime pas beaucoup l'expression «rabais sur le volume». Je n'étais pas ici au moment de l'exposé de Mme Campbell. J'en connais le propos et une partie de l'exposé même. Il est très délicat de parler de rabais sur le volume lorsqu'on calcul ce qui est défalqué du maximum pour une personne condamnée pour deux ou trois infractions. C'est une fâcheuse expression, sauf votre respect, puisque dans chaque affaire où une peine est imposée, à l'exception des peines minimales obligatoires de 25 ans, il y a eu une audience, les victimes ont pu s'exprimer, il y avait des procureurs, des témoins et des familles qui ont témoigné et qui ont parlé de leurs attentes au sujet du châtiment mérité pour le crime subi. On a parlé de la peine souhaitée pour le contrevenant, qui dans certains cas fait partie de la famille de la victime, et de ce qu'on voulait pour avoir l'impression que le système était à l'écoute.
Il est donc très difficile de prendre une série de chiffres et de dire: dans ce cas-là, il y a eu deux agressions sexuelles, la peine est de tant, il y a donc eu un rabais sur le volume. Il est regrettable qu'on ne tienne pas compte de la réalité, de ce qui s'est produit aux audiences de détermination de la peine. Je dis cela en passant.
Mais pour répondre à votre question, nous croyons qu'il y aurait certainement une contestation du report de 25 ans de l'admissibilité à la libération conditionnelle, parce que ce serait une peine cruelle et inhabituelle.
Le président: Merci. Nous apprécions votre présence ici ce matin. Malheureusement, nous manquons de temps et nous devons passer au groupe de témoins suivants. Merci d'avoir pris le temps de venir.
Mme Isabelle Schurman: Merci beaucoup.
M. John Reynolds (West Vancouver—Sunshine Coast, Réf.): J'invoque le Règlement.
Le président: Allez-y, monsieur Reynolds.
M. John Reynolds: Je veux simplement dire qu'il est très frustrant de venir ici sans pouvoir glisser une question. Je sais que nous avons peu de temps, mais j'étais ici avant nombre de députés qui n'étaient même pas là au début de la séance et qui ont pu poser une question. J'espère qu'à l'avenir, si nous vous disons que nous avons une question à poser aux témoins, chacun pourra raccourcir son intervention d'une minute, afin que nous puissions tous poser nos questions.
Le président: Nous en tiendrons compte. Il faut comprendre qu'il y avait deux intervenants de ce côté-ci. Il y en a un qui a posé une question au deuxième tour, et vous de même. À qui donner la parole? J'ai choisi de la donner à Mme Guarnieri, qui est un peu à part des autres.
M. John Reynolds: Je ne m'en prends pas à votre désignation des intervenants. Mais si nous voulons bien faire notre travail de députés et de membres de comité, il faudrait peut-être garder les témoins un peu plus longtemps que prévu, pour bien faire les choses. Nous avons des témoins qui sont partis, et nous ne pouvons plus leur poser de questions.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Par ailleurs, nous pourrions peut-être aussi supprimer les préambules. Les députés s'éternisent sur de grandes déclarations...
M. John Reynolds: Je disais simplement que si on nous donne... si nous savions tous à l'avance qu'on a des questions pour le groupe suivant, on serait plus bref, par exemple, on ne poserait qu'une question.
Le président: John, c'est justement ce que je dis en ouvrant la séance, en vous priant d'éviter les préambules et de poser directement vos questions.
M. John Reynolds: Je sais que vous ne pouvez pas faire grand-chose contre cela.
M. John McKay: Si vous avez cinq minutes et que le préambule en prend trois et demie, que reste-t-il?
M. Jim Abbott: Mais certains préambules sont carrément brillants, John.
M. John McKay: Voyons, Jim.
Le président: Nous accueillons maintenant Mme Lisa Addario, des Associations nationales intéressées à la justice criminelle, M. Irwin Koziebrocki, de la Criminal Lawyers' Association, M. Rainer Knopf, de l'Université de Calgary, et M. Christopher Manfredi, de l'Université McGill.
Nous vous proposons de présenter chacun un exposé d'une dizaine de minutes, puis de répondre à nos questions. Si j'ai bien compris, il n'y a que deux mémoires, en anglais seulement. Nous préférons habituellement avoir les mémoires dans les deux langues officielles. Je dois donc demander aux membres du comité s'ils accepteront de recevoir les mémoires en anglais seulement, dont la copie française nous arrivera plus tard. Préférez-vous que ces mémoires ne soient pas distribués?
Monsieur Bellehumeur, des commentaires?
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Quelle est la pratique actuelle?
[Traduction]
Le président: Habituellement, nous ne les acceptons pas à moins qu'il y ait consensus au sein du comité. Y a-t-il un consensus?
Une voix: Oui.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Non. On va attendre d'avoir des mémoires bilingues avant de les distribuer.
[Traduction]
Le président: Bien.
Malgré la position adoptée, veuillez présenter votre exposé, en suivant votre mémoire, si vous le souhaitez. Merci.
Allez-y, Lisa.
Mme Lisa Addario (coordinatrice exécutive, Associations nationales intéressées à la justice criminelle): Les Associations nationales intéressées à la justice criminelle sont une coalition de 19 organismes nationaux qui se consacrent à une approche socialement responsable de la justice criminelle. Nous cherchons à faire participer les Canadiens à un examen des causes de la criminalité, de l'efficacité relative de l'incarcération et du meilleur moyen de réadapter les délinquants et de les réintégrer à la société.
Certains de nos organismes offrent des services directs à ceux qui ont eu des démêlés avec la justice. D'autres de nos membres font la promotion de mesures de rechange communautaires à l'incarcération. D'autres encore font de la recherche en droit pénal. Beaucoup de nos organisations membres reçoivent un soutien financier du ministère du Solliciteur général. La liste de nos membres est fournie avec notre mémoire, à votre intention.
Les membres de notre regroupement travaillent à la prévention de la criminalité par le développement social, tout en cherchant à augmenter la confiance du public dans le système judiciaire. Nous voulons tous aussi réduire l'incarcération et promouvoir la collaboration internationale. Par notre vision de la justice pénale, nous contribuons de manière importante au débat public sur les politiques pénales. Nous le faisons en encourageant et en permettant la collaboration au sein des organismes bénévoles mais aussi entre ceux-ci, tous les paliers de gouvernement et le public.
Nous vous sommes très reconnaissants de nous permettre de parler aux membres de votre comité au sujet du projet de loi C-251. Pendant mon exposé, je présenterai les principales préoccupations de l'une des organisations membres de notre regroupement, soit l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.
L'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry est une fédération de sociétés anonymes qui travaillent avec les femmes ayant affaire au système judiciaire et en leur nom, particulièrement les contrevenantes. Les sociétés Elizabeth Fry sont des organismes communautaires qui offrent des services et des programmes aux femmes et aux filles marginalisées, qui font la promotion de réformes législatives et administratives et qui servent de tribune permettant au public de se renseigner et de participer à toutes les facettes du système judiciaire qui touchent les femmes. Actuellement, il y a 23 sociétés membres au Canada.
• 0925
Pour commencer, je voudrais vous parler du bien-fondé de ce
projet de loi. Les Associations nationales intéressées à la justice
criminelle, et particulièrement l'Association canadienne des
sociétés Elizabeth Fry considèrent que ce projet de loi est inutile
pour deux raisons. Premièrement, le juge à qui l'on confie la
détermination de la peine a déjà la discrétion nécessaire pour
décider d'imposer des peines consécutives ou concurrentes. En fait,
il y a une large gamme de dispositions du Code criminel et de la
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous
condition qui imposent des conséquences graves pour les condamnés
qui ont récidivé en commettant des infractions graves. Ainsi, le
projet de loi C-45 fait en sorte que toutes nouvelles peines
consécutives imposées à un contrevenant qui purge déjà une peine
aura pour effet de prolonger la période d'inadmissibilité à la
libération conditionnelle, qui doit être purgée en incarcération.
En vertu de changements apportés à l'article 745, les auteurs de meurtres multiples ne peuvent plus demander une révision judiciaire de leur admissibilité à la libération conditionnelle après 15 ans. Les politiques de la Commission nationale des libérations conditionnelles l'obligent à tenir compte des antécédents criminels et sociaux du contrevenant, de même que de toute question se rapportant au risque de récidive, dans ses décisions relatives à la libération conditionnelle. La libération conditionnelle totale est restreinte pour ceux qui ont récidivé ou qui ont de multiples condamnations. Ils n'ont pas accès à la libération conditionnelle totale à moins d'avoir fait leurs preuves dans le cadre de permissions de sortir sans surveillance et de semi-liberté.
D'après les chiffres de 1999 publiés par la Direction générale des affaires correctionnelles du ministère du Solliciteur général, le temps moyen d'incarcération pour les condamnés à perpétuité pour meurtre au premier degré, au Canada, est de 28,4 années. Nous arrivons au second rang derrière les États-Unis, où la période moyenne d'incarcération est de 29 ans. En Angleterre, par contre, un condamné pour meurtre au premier degré est incarcéré pendant en moyenne 14,4 ans, alors qu'en Australie, c'est 14,75 ans.
Nous estimons en outre que les juges au Canada ont traditionnellement et de manière systématique recouru à leur pouvoir discrétionnaire pour imposer des peines relativement sévères aux contrevenants condamnés pour des infractions avec violence, graves ou multiples. Ce projet de loi ne vient donc pas modifier un régime où les peines seraient trop légères ou bien où les libérations conditionnelles arriveraient trop tôt; il est inutile. En fait, il nuit à la discrétion judiciaire. Ce projet de loi l'éliminerait. Selon les Associations nationales intéressées à la justice criminelle, il est essentiel qu'un juge puisse tenir compte des facteurs atténuants, dans un système de détermination de la peine éthique et juste. Nous sommes en faveur du principe selon lequel les cas semblables doivent être traités de manière semblable, mais l'absence de discrétion judiciaire signifiera certainement que les cas dissemblables seront traités de manière semblable.
Dans son rapport de 1987, Réformer la sentence: une approche canadienne, la Commission canadienne sur la détermination de la peine recommandait qu'un juge puisse tenir compte de facteurs atténuants, y compris les faits démontrant des problèmes de santé physique ou mentale chez le contrevenant, la jeunesse ou le grand âge du contrevenant, le fait qu'il ait agi sous la contrainte et toute preuve de provocation de la part de la victime. Ce projet de loi empêchera le juge qui prononce la peine de prendre en considération ces facteurs, et d'autres aussi importants, comme le fait que le contrevenant ait lui-même été victime de sévices ou d'agression sexuelle, qu'il ait été toxicomane ou qu'il ait une responsabilité de soutien de famille. Il faut que les juges aient la discrétion nécessaire pour tenir compte de ces facteurs si l'on veut qu'ils imposent des peines souples et humaines qui permettront d'atteindre l'objectif fixé à l'article 718 du Code criminel: contribuer au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre par l'infliction de sanctions justes.
En examinant le profil des femmes qui ont des démêlés avec la justice, on constate qu'elles sont surtout des femmes jeunes, pauvres, peu instruites, non qualifiées et souvent elles-mêmes victimes de mauvais traitements et d'agression sexuelle. Chez les délinquants sous responsabilité fédérale, 82 p. 100 ont été victimes de sévices ou d'agression sexuelle. Beaucoup ont été dépendantes émotivement ou financièrement d'un partenaire qui les maltraitait. La proportion des femmes autochtones au sein de la population carcérale est excessive. Les deux tiers des femmes incarcérées sont des mères. La plupart sont ou étaient le seul soutien financier de leur famille. La plupart n'ont pas de famille pour les aider et voient donc leurs enfants confiés à l'État. On constate une criminalisation croissante des femmes ayant des problèmes de santé mentale, à mesure que l'État cesse d'assumer la responsabilité du traitement de leur déficience.
• 0930
Ce projet de loi empêcherait un juge qui impose une peine de
prendre en compte ces circonstances ou ces besoins particuliers. Il
en résulterait une peine injuste, qui ne contribuerait pas à rendre
notre société plus juste. Voilà pourquoi nous nous opposons au
projet de loi C-251.
Nous tenons aussi à signaler que le projet de loi n'éliminerait pas la discrétion du système judiciaire, qui serait transférée au procureur. Si le projet de loi est adopté, il donnera davantage de pouvoir à la Couronne dans la négociation de plaidoyers, puisque le risque associé à un procès deviendrait extravagant pour l'accusé. Les avocats de la défense et les procureurs recourent quotidiennement à des accusations plus lourdes ou à des menaces de peines plus sévères pour encourager les accusés à formuler un plaidoyer de culpabilité pour des peines moins graves. La Commission sur la détermination de la peine a fait un sondage auprès des procureurs et des avocats de la défense, dans le cadre de ses recherches. Les deux parties, procureurs et avocats de la défense, devaient donner leurs opinions au sujet de la meilleure façon de réduire la variabilité indue des sentences imposées. La solution la moins populaire auprès des procureurs et des avocats de la défense—93,57 p. 100 s'y opposaient—était un régime de détermination de la peine qui réduirait la discrétion offerte aux juges comme le fait ce projet de loi.
Parlons maintenant des besoins des victimes. Il est entendu que les victimes d'actes criminels méritent mieux que ce que le système judiciaire leur offre aujourd'hui. Les victimes ont droit à davantage de respect et à une plus grande satisfaction. Comme l'a signalé le Conseil des églises pour la justice et la criminologie, tous les Canadiens doivent individuellement et collectivement chercher un remède à cette douleur et un moyen d'apaisement plus efficace. Il ne faudrait toutefois pas confondre les moyens d'adoucir l'expérience du système judiciaire vécue par les victimes, d'une part, et, d'autre part, la durée de la peine imposée au contrevenant.
Fait à remarquer, l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, l'Association canadienne des Centres contre le viol, le Comité national d'action sur le statut de la femme et 60 autres groupes féminins nationaux ont à maintes reprises demandé un processus judiciaire plus respectueux, plus accessible et plus exemplaire, au nom des femmes et des enfants qui sont victimes de la violence masculine, mais elles ne sont pas allées jusqu'à demander des peines plus sévères ni des périodes d'incarcération plus longues. Le mouvement des femmes a reconnu que l'objectif d'égalité et de justice ne doit pas être confondu avec la vengeance.
L'un des objectifs de la détermination de la peine fixés à l'alinéa e) de l'article 718 du Code criminel est de «d'assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité». C'est certes un élément important de la détermination de la peine, mais il doit être mis en balance avec nombre d'autres principes, y compris le principe de la proportionnalité, de l'atténuation et la nécessité de s'assurer que les peines consécutives combinées ne sont excessives ni de par leur nature ni de par leur durée. La reconnaissance des droits des victimes doit être équilibrée avec l'intérêt de la société, confirmé par nombre de sondages, dans la resocialisation du contrevenant. Celle-ci ne peut se produire que lorsque le détenu peut participer à des programmes communautaires qui répondent à ses besoins et qui lui sont offerts au bon moment pour permettre sa réinsertion dans la société. À notre avis, la modification proposée réduit de beaucoup la possibilité de resocialisation.
Le président: Madame Addario, puis-je vous demander de conclure en quelques minutes, s'il vous plaît?
Mme Lisa Addario: Volontiers.
À notre avis, ce projet de loi déstabiliserait le régime de détermination de la peine et irait à l'encontre des principes de la théorie de la détermination de la peine au Canada. Comme le disait la Commission canadienne sur la détermination de la peine:
-
On ne peut partir d'un cas isolé pour déterminer un quantum des
sentences. Il faut tenir compte de tout un ensemble d'infractions
à évaluer en fonction de leur gravité relative.
À notre avis, le principe fondamental de la proportionnalité de la peine exige aussi que nous tenions compte de l'incidence de celle-ci sur le contrevenant.
En terminant, rappelons-nous ces mots de la Commission canadienne sur la détermination de la peine, et encourageons les membres du comité à les écouter:
-
En essayant de déterminer si une peine est proportionnelle à une
infraction, il importe de s'écarter des chiffres abstraits et de
penser à ce qu'ils veulent dire en réalité. Sur papier, dix ans
d'emprisonnement peut sembler assez court. Mais pour une personne
emprisonnée à l'âge de 20 ans et libérée à 30 ans, c'est toute une
jeunesse perdue. Il s'agit certainement d'une peine grave.
Le président: Monsieur Koziebrocki.
M. Irwin Koziebrocki (vice-président, Toronto, Criminal Lawyer's Association): Merci, monsieur le président.
Je représente la Criminal Lawyers' Association. J'en suis le vice-président, et aussi le président du Comité législatif. Pendant quelques années, j'ai été procureur de la Couronne pour le droit criminel au ministère du Procureur général de l'Ontario. Depuis le milieu des années 1980, je pratique le droit criminel pour la défense. Je travaille à la défense, surtout à la Cour d'appel de la Cour suprême du Canada.
Avant de commencer, comme je ne me suis pas présenté au comité depuis quelques mois, je tiens à exprimer nos sincères condoléances au comité à la suite du décès de votre ancienne présidente, Mme Shaughnessy Cohen. Elle était une personne merveilleuse et j'ai eu le privilège de traiter avec elle à ce comité.
Mes collègues et moi-même avons comparu devant le comité à quelques reprises et avons souvent félicité le gouvernement pour ses projets de loi. La Criminal Lawyers' Association, qui représente environ 900 avocats pratiquant en droit criminel en Ontario, a toujours essayé de présenter des critiques constructives au comité.
Shaughnessy Cohen disait souvent de notre association que nous étions la conscience du comité, du moins à son avis. Étant donné le rôle qu'elle nous attribuait, je dois vous dire, au nom de la Criminal Lawyers' Association, que ce projet de loi gêne la conscience du comité.
En toute humilité, nous devons vous dire qu'il a des relents d'opportunisme. Il profite des malentendus qu'on a encouragés et qui sont certainement à éviter. Plutôt que de corriger ces mauvaises perceptions, comme il incombe au Parlement de le faire, de l'avis de notre Association, ce projet de loi, à mon humble avis, en tire profit.
Après avoir lu ce projet de loi, notre association a pris une mesure extraordinaire et a émis un communiqué de presse. Je suis membre du conseil de cet organisme depuis au moins dix ans et je ne me souviens pas qu'on ait déjà agi ainsi pour un projet de loi. J'aimerais rapidement faire la lecture de ce communiqué de presse, publié le 3 décembre 1998.
-
Aux yeux de la Ontario Criminal Lawyers' Association, ce projet de
loi repose sur le voeu délibéré de certaines personnes de mal
comprendre nos lois. La peine imposée pour un meurtre, qu'il soit
au premier ou au second degré, est l'emprisonnement à perpétuité.
Il ne peut y avoir d'emprisonnement plus long. Voilà pourquoi
Robert Latimer et Paul Bernardo purgent la même peine
d'emprisonnement à perpétuité. La seule différence entre les deux,
c'est le moment où la loi leur permettra de demander une libération
conditionnelle, et non le moment où ils y auront droit. Ils peuvent
ne jamais obtenir de libération conditionnelle. Cette décision
revient à la Commission nationale des libérations conditionnelles.
-
Nous pensons que les politiciens ont le devoir de renseigner le
public et non de tirer parti de l'opinion publique pour mousser
leur popularité. Il est irréaliste d'essayer d'imposer des peines
consécutives d'emprisonnement à perpétuité. [...] il est encore
plus irrationnel et illogique d'imposer des peines consécutives
pour seulement certains types d'infraction, par exemple les
agressions sexuelles.
-
Nous sommes horriblement déçus de voir qu'on abuse de la souffrance
réelle des victimes pour justifier des projets de loi irrationnels
et mal conçus. Nous espérons que l'esprit des députés ne sera pas
obscurci par la sympathie qu'ils éprouvent légitimement pour les
victimes. Ce projet de loi doit être carrément rejeté.
Voilà la position que nous avons adoptée et présentée dans ce communiqué de presse et que nous vous présentons maintenant.
Respectueusement, nous croyons que ce projet de loi n'ajoute rien aux divers principes de détermination de la peine que nous suivons actuellement et qui sont intégrés au Code criminel depuis déjà des années.
• 0940
Nous pensons aussi qu'il n'y a pas de besoin apparent pour ce
genre de projet de loi. Le Code criminel, depuis le rapport Daubney
du milieu des années 1980, a des dispositions substantielles en
matière de détermination de la peine qui intègrent les divers
principes jugés appropriés par cette Chambre et par les tribunaux.
Il faut se rappeler que les cas particuliers ne signifient pas que
le système fonctionne mal. Il faut aussi se rappeler que ce projet
de loi créera un régime sévère qui ne laissera aucune place à la
resocialisation et qui remplira les prisons de détenus pour qui
l'espoir n'est plus permis.
Les dispositions relatives au meurtre traitent déjà des diverses situations sur lesquelles porte ce projet de loi. Rappelons que pour un meurtre, il s'agit de l'emprisonnement à perpétuité, et la perpétuité, c'est toute la vie. Pour des situations graves comme le meurtre, il y a toujours eu des dispositions permettant d'éviter les abus. Ainsi, une condamnation à perpétuité pour meurtre au premier degré, au Canada, signifie 25 ans d'emprisonnement, ce qui est plus élevé que dans tout autre pays civilisé, comme vous le savez sans doute.
Lorsque le Parlement s'est penché sur la question de la peine capitale, il y a quelques années, il a examiné les diverses possibilités de peines pour les infractions qui autrefois auraient été passibles de la peine capitale. La Chambre a conclu que 25 ans sans admissibilité à la libération conditionnelle constituaient une limite appropriée, parce qu'on lui a dit qu'au-delà de cette limite, la réadaptation n'était absolument plus envisageable.
Contrairement à ce que laisse entendre ce projet de loi, un meurtre au second degré ou un deuxième meurtre ne passe pas inaperçu. Pour commencer, par exemple, l'alinéa 745b) du Code criminel prévoit qu'un deuxième meurtre au deuxième degré équivaut à un meurtre au premier degré. Il s'agit donc d'un minimum de 25 ans d'emprisonnement avant qu'une libération conditionnelle soit envisagée. Un deuxième meurtre est donc passible d'une sanction supplémentaire en vertu du Code criminel actuel.
Le paragraphe 743.6 du Code criminel permet à un juge d'ordonner que l'accusé purge au moins la moitié de sa peine avant d'être admissible à une libération conditionnelle. Voilà une autre méthode par laquelle les juges peuvent alourdir la peine. L'article 745.4 du Code criminel permet au juge au procès, dans un cas de meurtre au deuxième degré, de faire passer la période d'inadmissibilité de 10 ans à jusqu'à 25 ans. Cet article a été invoqué systématiquement dans les cas d'homicides multiples. Dans un cas de meurtres multiples, vous n'écopez pas de 10 ans, mais de plus.
Je peux vous donner l'exemple d'une situation où je suis comparu devant la Cour d'appel pour un homicide multiple. Un homme avait tué ses beaux-parents et sa femme. C'était un meurtre au deuxième degré, un crime passionnel. La Cour d'appel de l'Ontario estimait que la période d'inadmissibilité qu'il convenait de fixer dans ce cas-là était de 23 ans. La cour a donc certainement tenu compte du fait qu'il y avait eu plus d'un meurtre.
La clause de la dernière chance du Code criminel a énormément compliqué les choses pour les auteurs de meurtres multiples. Seuls des cas extraordinaires pouvaient obtenir une libération conditionnelle avant 25 ans.
Respectueusement, je vous dirais que cette question n'est pas pertinente. Au pire, cela créera un sentiment de désespoir et une atmosphère de poudrière au sein de la prison. Je ne voudrais pas être gardien de prison là où les détenus sont sans espoir et convaincus qu'ils mourront en prison. Ces détenus n'ont rien à perdre.
• 0945
En ce qui a trait aux dispositions sur l'agression sexuelle,
pourquoi parler de peines consécutives pour cette infraction
particulière? Pourquoi celle-là plutôt qu'une autre? Pourquoi pas
le cambriolage, l'entrée par effraction, le détournement de voiture
ou le vol avec violation de domicile? À mon humble avis, il n'y a
pas de raison logique de cibler cette infraction particulière. Ce
n'est pas comme l'usage d'une arme selon les dispositions du Code
criminel. Cela entraîne une peine minimale de quatre ans. N'oubliez
pas que l'agression sexuelle dont il s'agit à l'article 271 n'est
pas une infraction stricte.
Depuis qu'on a changé le nom de ce crime, il s'applique à un grand nombre de situations. Il peut s'agir d'avoir pincé quelqu'un à un endroit stratégique en métro ou en autobus ou encore d'un viol. Exiger l'imposition de peines consécutives pour ce genre d'infraction pourrait, dans certains cas, entraîner des injustices et même forcer les juges à modifier les peines selon la situation ou forcer les procureurs de la Couronne à retirer les accusations sur plaidoyer de culpabilité pour obtenir la bonne sanction.
Respectueusement, j'estime qu'il existe déjà dans le Code criminel des dispositions qui tiennent compte des infractions multiples.
Le président: Monsieur Koziebrocki, puis-je vous demander de conclure en quelques minutes, s'il vous plaît?
M. Irwin Koziebrocki: J'ai presque terminé.
Certains principes de la détermination de la peine qui sont énoncés au Code criminel reflètent le principe de la totalité. L'article 718.1 dit: «La peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction [...]»; à l'alinéa 718.2b), il est stipulé que les infractions semblables appellent des peines semblables; et à l'alinéa 718.2c), on impose l'obligation, dans le cas des peines consécutives, «d'éviter l'excès de nature ou de durée».
Dans les cas où c'est indiqué, dans les cas graves, le juge dispose de divers recours. L'article 743.6 confère au juge le pouvoir d'ordonner que le délinquant purge la moitié de sa peine avant d'être admissible à la libération conditionnelle, selon les antécédents du délinquant.
L'article 753 sur les contrevenants dangereux prévoit l'imposition d'une peine d'une durée indéterminée. L'article 753.1 est la nouvelle disposition sur les délinquants à contrôler qui prévoit des peines à long terme pour ceux qui ont commis des infractions multiples ou qui doivent être maîtrisés au sein de la collectivité. Celui qui commet une agression sexuelle armée se verra imposer une peine minimale de quatre ans d'emprisonnement. La Cour d'appel et la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Shopshire et C.M.E., ont indiqué que des peines plus justes et plus substantielles devaient être imposées, et elles l'ont été dans ce genre de situations.
Respectueusement, le Code criminel comporte déjà bien des dispositions qui s'appliquent aux diverses situations visées par ce projet de loi.
En conclusion, j'espère que la citation que je ferai maintenant est erronée. En décembre 1998, dans le Law Times, la députée ayant parrainé ce projet de loi a dit ce qui suit au sujet de l'opposition à son projet de loi de la part des criminalistes qui, selon elle, était intense. Elle a déclaré:
-
Avant même que j'aie pu apposer mon nom sur la liste des témoins du
comité de la justice, l'Association du Barreau canadien et la
Criminal Lawyers Association avaient communiqué avec le comité.
-
Je comprends qu'ils veulent des clients fidèles, mais j'estime que
les violeurs et les tueurs ne devraient pas bénéficier de rabais
sur le volume et, d'ailleurs, depuis que j'ai entrepris de
présenter ce projet de loi, beaucoup de gens sont venus me faire
part de la tragédie qu'ils avaient vécue.
Je vous dirai ceci. Si cette citation est juste, oui, la Criminal Lawyers a demandé à témoigner devant votre comité. Cette question est des plus importantes, et nous estimons qu'il est de notre devoir de vous faire part de notre point de vue, surtout lorsque le projet de loi nous apparaît vicié.
• 0950
Deuxièmement, je suis très préoccupé par le fait que la
personne qui parraine de ce projet de loi juge que nous sommes
motivés par le désir d'avoir des «clients fidèles». Cela laisse
entendre que nous ne nous intéressons qu'à notre propre sort et pas
à la collectivité. Ce n'est pas le cas. Nous ne venons pas
témoigner par intérêt personnel, mais bien parce que nous avons le
devoir de faire ce que nous pouvons pour nous assurer que nous
vivons dans une société juste et compatissante.
Le président: Merci, monsieur Koziebrocki.
Monsieur Knopf, vous avez la parole.
M. Rainer Knopf (Département de science politique, Université de Calgary): Merci. Je m'appelle Rainer Knopf. Je suis professeur de science politique à l'Université de Calgary. Entre autres choses, j'enseigne le droit constitutionnel et la philosophie politique.
Dans le cadre de mes travaux d'enseignement et de rédaction dans ce domaine, j'ai eu l'occasion de m'intéresser aux liens qui existent entre les divers principes pénaux et de détermination de la peine. C'est cet aspect du projet de loi que j'aimerais aborder aujourd'hui, et je vous remercie de m'avoir invité à le faire.
Si je ne m'abuse, le projet de loi C-251 est fondé sur deux principes interreliés, à tout le moins deux principes. Le premier est celui de la proportionnalité de la peine. Le deuxième est le principe des peines réelles. On fait valoir que des peines consécutives sont plus proportionnelles et plus réelles que des peines concurrentes. J'aimerais traiter brièvement de ces deux propositions, en commençant par le principe de la proportionnalité.
J'établirai d'abord le contexte des grands principes de notre système de justice pénale, à savoir les principes de la détermination de la peine. Le système tente de trouver l'équilibre entre au moins quatre objectifs: primo, la dissuasion; secundo, la réinsertion sociale; tertio, la neutralisation; et enfin, la proportionnalité. Ces quatre objectifs sont tous importants et légitimes. Toutefois, il n'est pas rare qu'ils s'opposent les uns aux autres et je dirais que c'est généralement le principe de la proportionnalité qui prime.
Ainsi, prenons le cas d'une personne qui commet un meurtre passionnel. Nous conviendrons peut-être qu'il n'est pas nécessaire de la neutraliser, car il est fort probable qu'elle ne récidivera pas. Pour la même raison, il n'est pas nécessaire de la réadapter. De plus, nous savons qu'il est très difficile de dissuader qui que ce soit de commettre un crime passionnel. En bref, si on se limitait aux principes de la neutralisation, de la dissuasion et de la réinsertion sociale, on pourrait très bien ne pas imposer de peine. Or, nous insistons pour qu'il y ait une sanction. Pourquoi? En raison du principe de la proportionnalité, à savoir que le crime mérite d'être puni proportionnellement à sa gravité, que ce châtiment serve ou non à atteindre les autres objectifs pénaux.
Dans mon mémoire, que vous obtiendrez bientôt, j'espère, je donne plusieurs autres exemples semblables aux deux extrêmes de ce qu'on pourrait appeler l'échelle pénale, mais comme je dispose de peu de temps, je ne vous les décrirai pas. Ils témoignent tous du fait que le principe de la proportionnalité domine généralement les autres. Cela ne signifie pas qu'il les fait disparaître entièrement. Cela ne signifie pas non plus qu'il prime dans tous les cas où il y a conflit.
Ainsi, même dans les cas de meurtre au premier degré, le principe de la réinsertion sociale intervient après 25 ans, lorsque la libération conditionnelle devient possible. C'est à ce moment que nous disons que le détenu réadapté peut réintégrer la société.
De même, le principe de la neutralisation nous amène parfois à incarcérer des contrevenants dangereux pour des périodes bien plus longues que celles prévues en proportion au crime commis. Néanmoins, mesurés à l'aune de la proportionnalité, ces cas constituent des exceptions.
Je prétends donc qu'en invoquant le principe de la proportionnalité, le projet de loi C-251 invoque le principe qui constitue probablement le fondement même de notre système pénal et de notre système de justice. En fait, il ne m'était même pas nécessaire d'en parler si longuement, car les opposants au projet de loi invoquent le même principe. Ils le font surtout pour appuyer l'argument de la totalité, qui veut que, lorsque des peines consécutives sont imposées, elles ne représentent pas au total une peine disproportionnée par rapport à la culpabilité du délinquant. Dans la mesure où les peines concurrentes permettent d'éviter la disproportionnalité, elles constituent un élément clé de notre régime de détermination de la peine. Les deux camps invoquent donc exactement le même principe. Ni l'un ni l'autre ne nient la légitimité ou l'importance de ce principe.
• 0955
Essayons donc de voir un peu comment cela fonctionne. Permettez-moi
de vous donner un exemple purement hypothétique, très abstrait.
Supposons qu'un juge conclut qu'une personne qui est trouvée coupable
à trois reprises du même crime mérite au total disons une peine
d'emprisonnement de 20 ans. Supposons que le même juge, et la
population aussi considère que la peine proportionnelle pour quelqu'un
qui est trouvé une fois coupable de ce crime est une peine minimum de
10 ans. La sentence consécutive exigerait que le juge impose soit une
peine de 30 ans—la moitié de ce qu'il considère être une peine
proportionnelle à la peine totale—ou qu'il réduise la peine à six ans
et deux tiers pour chaque infraction, ce qui représente 20 ans, ou un
tiers de moins de ce qu'il considère être une peine appropriée pour
quelqu'un qui est trouvé coupable d'un seul de ces crimes.
Selon le principe des peines consécutives, les juges sont obligés de compromettre leur sens de la proportionnalité, soit pour une seule infraction, soit pour toutes les infractions. Si on pousse l'argument plus loin, je pense qu'on peut mieux maintenir la peine proportionnelle en permettant aux juges, à leur discrétion, d'utiliser la peine concurrente pour fusionner les deux. En d'autres termes, le juge peut dorénavant dire: «Je vous condamne à une peine de 20 ans, soit une peine de 10 ans pour la première infraction, une peine de 10 ans pour la deuxième infraction, et une autre peine de 10 ans qui doit être purgée concurremment pour la troisième infraction.» Il impose donc une peine de 10 ans pour chacune des trois infractions, mais pour une peine totale de 20 ans; trois fois 10 donne 20. On n'en laisse tomber aucune.
Je me demande cependant si ce n'est pas réellement un cas où on tente de tout avoir. Comme les défenseurs de la peine proportionnelle, moi aussi je suis convaincu que la loi n'est pas uniquement un instrument mais qu'elle sert aussi à éduquer grâce aux messages qu'elle envoie. C'est un aspect très important du système juridique. Je soupçonne cependant que les messages éducationnels de la loi ne peuvent être efficaces que lorsqu'ils sont enracinés dans la réalité qui est perçue et qu'ils ne vont pas à l'encontre du bon sens. Est-il possible vraiment de s'attendre à ce qu'en imposant une peine de 20 ans pour trois infractions, le message n'est pas que l'on a imposé une peine de six ans et deux tiers pour chaque infraction, plutôt que 10 ans? On peut prétendre avec sérieux que chacune vaut 10. Je dirais que l'appui général accordé à ce projet de loi laisse entendre que cela va en quelque sorte à l'encontre de l'intuition des gens.
Dans les cas d'agression sexuelle—et c'est pourquoi on a le principe des peines réelles—ce principe des peines réelles signifie que toutes les infractions subséquentes doivent être traitées aussi sérieusement que la première si elles sont toutes du même niveau et du même calibre au départ. Si les juges veulent accorder des rabais pour les infractions multiples, naturellement, cela est laissé à leur discrétion, même s'ils doivent être un peu plus transparents et honnêtes à ce sujet.
À ce moment-ci, j'aimerais vous parler du «rabais sur le volume», car je viens d'utiliser cette expression et j'ai entendu beaucoup de critiques à ce sujet. Je pense que je comprends certaines de ces critiques, qui sont faites pour deux raisons. D'abord, le terme «rabais sur le volume» sous-entend la clémence, et notre système n'est pas très clément. Nous imposons des peines assez sévères dans la plupart des cas. Je dirais, avec tout le respect que je vous dois, que ça donne une perception erronée de la question. La question n'est pas de savoir si une peine pour une infraction en particulier est trop clémente ou non; peut-être qu'elle l'est, peut-être qu'elle ne l'est pas. C'est une autre question qui mérite d'être abordée dans un autre débat. La question est de savoir si la peine est appliquée ou non, si elle est vraiment appliquée.
Une autre raison pour laquelle le rabais sur le volume est critiqué, c'est qu'en fait, ceux qui commettent des infractions multiples ou en série sont punis plus sévèrement que ceux qui ne commettent qu'une seule infraction. Je suis prêt à l'admettre, mais je suppose, par exemple, que si j'entrais dans un magasin, que j'achetais deux ordinateurs et que je payais le plein prix pour le premier et que le magasin m'accordait un rabais de 50 p. 100 pour le deuxième, cela me coûterait en fait plus cher que pour un seul ordinateur; je paierais une fois et demie le prix, mais j'obtiendrais toutefois un rabais sur le volume.
• 1000
Dans le cas du meurtre au premier degré, la question ne se
pose pas en ce qui concerne la peine de base, qui est la peine
d'emprisonnement à perpétuité. Naturellement, personne n'a plus
d'une vie à purger pour ses crimes. Il est vrai que logiquement, on
ne peut pas purger plusieurs peines d'emprisonnement à perpétuité
de façon consécutive. Là n'est pas la question. C'est plutôt la
question de l'admissibilité à la libération conditionnelle qui se
pose. Pour répéter ce que j'ai dit précédemment, la loi accorde aux
meurtriers qui se sont réadaptés la possibilité d'une libération
conditionnelle, non pas au moment de la réadaptation... Nous
pourrions conclure qu'une personne qui a été reconnu coupable de
meurtre au premier degré s'est réadaptée après un, deux, cinq ou 10
ans, mais nous disons que peu importe qu'elle se soit ou non
réadaptée; le principe de la peine proportionnelle veut que cette
personne purge une peine d'au moins 25 ans.
Encore une fois, la question de savoir si la peine est trop sévère ou si elle ne l'est pas assez pourrait faire l'objet d'un autre débat, mais c'est la décision à laquelle nous sommes arrivés. Donc, le principe de la peine proportionnelle l'emporte sur le principe de la réadaptation tant qu'on n'a pas atteint la limite des 25 ans; ensuite on dit que la personne est réadaptée depuis 10 ou 15 ans; qu'elle peut maintenant demander une libération conditionnelle.
Le projet de loi C-251 incorpore tout simplement la même idée, c'est-à-dire que le principe de la proportionnalité l'emporte sur le principe de la réadaptation. Selon ce principe, les restrictions qui s'appliquent pour l'admissibilité à une libération conditionnelle dans les cas des différentes infractions s'ajoutent les unes aux autres, ce qui fait que dans de nombreux cas, la peine d'emprisonnement à perpétuité se traduit exactement par une peine à perpétuité. Peut-on vraiment en arriver à la conclusion qu'il s'agit d'un prolongement disproportionné de la totalité de la peine alors qu'il s'agit déjà d'une peine d'emprisonnement à perpétuité? Notre loi dit clairement que la peine d'emprisonnement à perpétuité est une peine tout à fait proportionnelle même pour un seul meurtre au premier degré: le premier.
Or, si on déclare faussement que la peine réelle est une peine de 25 ans, et non pas une peine d'emprisonnement à perpétuité, pourrait-on conclure qu'en ajoutant 25 autres années à la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour un second meurtre équivaudrait à doubler la peine, la rendant ainsi disproportionnée? Il s'agit déjà d'une peine d'emprisonnement à perpétuité. Si la peine réelle est moindre qu'une peine d'emprisonnement à perpétuité, alors je pense que l'on a déjà concédé quelque chose que l'on ne voulait pas concéder, alors pourquoi ne pourrait-on pas doubler la peine pour une deuxième infraction? Je ne pense pas non plus que les dispositions relatives aux délinquants dangereux règlent le problème. Ces dispositions sont très valables, mais elles rendent surtout exécutoire le principe de neutralisation que j'ai mentionné précédemment, plutôt que le principe de la proportionnalité. Il est effectivement important de protéger la société en s'assurant que les délinquants dangereux sont hors circuit, mais encore une fois, nous gardons en prison pendant au moins 25 ans même les meurtriers qui se sont réadaptés, c'est-à-dire qui ne sont pas des délinquants dangereux, parfois bien après qu'ils se soient réadaptés.
Selon le principe général de la proportionnalité, peu importe qu'un délinquant soit ou non dangereux. Une peine proportionnelle doit être purgée dans un cas ou l'autre pour chaque infraction. Voilà ce que ce principe sous-entend. Nous évaluons toute la situation de plusieurs façons, mais c'est ce que le principe sous-entend. Donc, en conclusion, le fait d'accorder un rabais sur le volume—je crois que c'est le cas—pour les infractions multiples crée une contradiction dans la loi. Il me semble que deux choses peuvent en résulter. Les gens auront l'impression que les crimes ne sont pas aussi graves, ramenant ainsi leur image mentale de ces crimes au niveau du rabais de la peine sur le volume, ou ils s'indigneront ou encore perdront le respect qu'ils ont pour le système juridique. Je ne pense pas que l'un ou l'autre résultat soit souhaitable.
Merci.
Le président: Merci.
Professeur Manfredi.
M. Christopher Manfredi (professeur, Département de science politique, Université McGill): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je m'appelle Christopher Manfredi et je suis professeur de science politique à l'Université McGill. Je comparais aujourd'hui à titre de politicologue professionnel qui étudie le crime et la justice surtout au Canada et aux États-Unis, mais également de façon comparative, depuis une dizaine d'années.
Le but de mon exposé aujourd'hui est surtout d'aborder certaines des critiques qui ont été exprimées au sujet du projet de loi C-251. Pour résumer la façon dont je comprends ces critiques, je les formulerai comme suit: le projet de loi est au mieux inutile et au pire il va à l'encontre du but recherché, ou il est peut-être même inconstitutionnel. Ces deux séries de critiques découlent du fait, je crois, que le projet de loi irait supposément à l'encontre du pouvoir judiciaire discrétionnaire. C'est la question que j'aimerais aborder, surtout dans le contexte de l'agression sexuelle. Je pense que le professeur Knopf a abordé la question du meurtre assez en détail.
• 1005
J'aimerais maintenant résumer l'argument opposé, si vous me le
permettez. Il y a un argument positif qui justifie le pouvoir
judiciaire discrétionnaire, qui permet de compter sur les juges
pour qu'ils imposent une peine juste et convenable dans des cas
spécifiques; plus spécifiquement, au Canada les juges ont déjà le
pouvoir discrétionnaire d'imposer des peines consécutives au
besoin; et il y a des données qui laissent entendre que les juges
ajoutent des peines supplémentaires dans le cas des délinquants qui
ont commis des infractions multiples. D'un autre côté, il y a les
arguments négatifs contre l'élimination du pouvoir discrétionnaire.
Il en résulte des peines obligatoires, des taux d'incarcération et
des coûts qui augmentent en flèche, et l'expérience américaine est
souvent donnée en exemple pour montrer jusqu'à quel point cela est
un échec. J'aimerais aborder chacune de ces questions
individuellement et parler un peu de la façon dont je pense que
nous imposons les peines, particulièrement dans les cas d'agression
sexuelle.
Permettez-moi d'abord de vous parler un peu du pouvoir judiciaire discrétionnaire de façon assez générale. En ce qui concerne le projet de loi C-251, je suppose que je suis en accord avec au moins une critique à son sujet, c'est-à-dire que cela devrait sans doute ne pas s'appliquer uniquement à l'article 271. Je crois cependant qu'il s'agit d'un problème de rédaction technique très facile à résoudre. Si j'ai bien compris le projet de loi C-251, il n'a pas vraiment d'aussi grandes répercussions sur le pouvoir judiciaire discrétionnaire. Tout au plus, il influence le pouvoir judiciaire discrétionnaire qui existe aux termes du paragraphe 718.3(4) qui donne au juge le pouvoir discrétionnaire d'imposer des peines consécutives pour certaines infractions. Le projet de loi C-251 dit tout simplement que dans certaines circonstances ce pouvoir discrétionnaire est limité, en ce sens que des peines consécutives doivent être imposées.
Si j'ai bien compris le projet de loi, il ne modifie pas le pouvoir discrétionnaire des juges lorsqu'ils imposent une sentence, par exemple, dans les cas d'agression sexuelle. Si on prend l'exemple de l'agression sexuelle grave, pour laquelle la peine minimum prévue est de quatre ans et la peine maximum est l'emprisonnement à perpétuité, la mesure ne modifie pas le pouvoir discrétionnaire du juge d'imposer une peine pour une agression sexuelle en particulier qui varie entre quatre et dix ans. Un juge peut donc examiner les circonstances entourant un cas particulier et décider que le cas mérite une peine de 6,8 ou 5 ans, etc. On dit simplement que s'il y a plus d'une infraction aux termes du paragraphe 718.3(4), le juge doit imposer des peines consécutives.
Par ailleurs, je pense que même si on faisait valoir que cela modifie le pouvoir judiciaire discrétionnaire, ce principe n'est pas sacro-saint. Il est vrai que le Code criminel accorde une très grande souplesse aux juges dans la détermination de la peine et ce, pour quelques bonnes raisons. D'abord, nous avons un seul Code criminel pour tout le pays, et le pouvoir judiciaire discrétionnaire lors de la détermination de la peine permet aux juges d'imposer un peu de fédéralisme dans notre Code criminel en adaptant les peines selon les conditions locales. Par ailleurs, cela donne aux juges la possibilité de tenir compte des circonstances atténuantes et aggravantes. Cependant, le Parlement a reconnu à plusieurs occasions qu'il peut arriver que le pouvoir judiciaire discrétionnaire ne soit pas le meilleur principe à appliquer. Il peut y avoir des cas où il est nécessaire de limiter ce pouvoir judiciaire discrétionnaire afin de s'assurer qu'un principe particulier de détermination de la peine sera appliqué de façon uniforme dans tout le pays.
Juste avant de venir ici, j'ai compté au moins 12 dispositions du Code criminel qui prévoient l'imposition d'une sentence minimum obligatoire. Cela indique donc à mon avis que l'idée selon laquelle le pouvoir judiciaire discrétionnaire ne peut pas être limité au Canada est tout simplement fausse. Le Parlement peut le faire et l'a fait, et n'a eu aucun problème à le faire.
Par ailleurs, il n'y a aucune raison inhérente pour laquelle le fait de limiter le pouvoir judiciaire discrétionnaire devrait être considéré comme une disposition relative à l'ordre public ou une politique qui mène nécessairement à un taux d'incarcération plus élevé. Le pouvoir judiciaire discrétionnaire lors de l'imposition de la peine a été limité à bien des endroits pour de nombreuses différentes raisons avec des conséquences bien différentes. On l'a fait entre autres dans des pays aussi socio-démocratiques que la Finlande en 1976 et la Suède en 1988. On l'a fait dans un État d'ordre public comme la Californie, on l'a rejeté dans un État d'ordre public comme l'État de New-York, et on l'a fait dans un État relativement libéral comme celui du Minnesota. Donc, de nombreux différents types de cultures et régimes politiques peuvent décider de limiter le pouvoir judiciaire discrétionnaire lors de la détermination de la peine.
• 1010
Par ailleurs, il n'y a aucune raison pour que le taux
d'incarcération augmente lorsqu'on limite le pouvoir
discrétionnaire. En Finlande, par exemple, les limites au pouvoir
judiciaire discrétionnaire lors de la détermination de la peine ont
été accompagnées de réductions importantes de la population
carcérale. Au Minnesota, l'imposition de lignes directrices en
matière de détermination de la peine a été administrée de façon à
ce que les populations carcérales ne dépassent pas la capacité
actuelle des prisons. Donc, je pense qu'il est erroné de laisser
entendre que le fait de limiter le pouvoir judiciaire
discrétionnaire lors de la détermination de la peine mène à une
peine minimum obligatoire qui fait augmenter la population
carcérale et les coûts comme c'est le cas, je crois, en Californie.
J'aimerais maintenant aborder la question de savoir si les peines sont suffisantes, tout au moins dans les cas d'agression sexuelle, et si cela est nécessaire pour s'assurer que dans de tels cas des peines convenables sont imposées. Si on regarde les données de 1995-1996, soit l'année la plus récente pour laquelle nous avons de très bonnes données, sur les peines imposées dans les cours provinciales, qui entendent la plupart de ces cas, presque 92 p. 100 des peines d'emprisonnement pour des infractions violentes étaient des peines de moins de deux ans. Dans le cas d'une agression sexuelle, la peine moyenne était de 10,2 mois. La médiane, c'est-à-dire la peine au-dessous et au-dessus de laquelle 50 p. 100 des peines se situaient, était de 3,9 mois. Cela signifie que 50 p. 100 de ceux qui ont reçu une peine pour agression sexuelle ont reçu des peines de moins de quatre mois. Pour les agressions sexuelles armées et graves, la moyenne était de 3,1 ans, ce qui est considérablement plus élevé. La peine médiane était de deux ans. Cela a donc augmenté pour les agressions sexuelles armées et graves, mais on peut se demander si cela est suffisant.
Si on regarde les cas au cours de cette même année où il y avait des accusations multiples, il est vrai que les cas d'accusations multiples ont mené à des peines d'emprisonnement environ deux fois plus souvent que dans les cas d'accusation unique. Mais je pense qu'il est également important de souligner que lorsqu'il y avait cinq accusations ou plus, dans 31 p. 100 des cas il n'y a eu aucune peine d'emprisonnement imposée. Il est peut-être vrai que la peine d'emprisonnement moyenne dans les cas d'accusations multiples est de 140 p. 100 plus élevée que dans les cas d'accusation unique, mais cela signifie que l'on accorde un certain rabais pour la deuxième accusation. Je ne porte pas de jugement à cet égard; je vous donne tout simplement l'information.
Est-ce que l'exigence d'une peine consécutive dans ces circonstances particulières violerait les dispositions de la Charte? Il est vrai, je pense, que cela mènerait à une contestation en vertu de la Charte, mais il n'est pas tout à fait clair pour moi que cela pourrait nécessairement mener à une décision selon laquelle cela constituerait une peine cruelle et inusitée. Dans un arrêt de 1990, Steele contre Établissement Mountain, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'elle avait établi un critère strict et exigeant pour déterminer s'il y avait eu violation de l'article 12, et je cite un extrait de cet arrêt:
-
Il arrivera très rarement qu'une cour de justice conclura qu'une
peine est si exagérément disproportionnée qu'elle viole les
dispositions de l'article 12 de la Charte.
Cet article porte sur la peine cruelle et inusitée.
Dans ce cas-ci, la cour cite un arrêt antérieur, la Reine contre Smith, en 1987, où on stipule:
-
Le critère applicable à l'examen en vertu de l'article 12 de la
Charte est celui de la disproportion exagérée, étant donné qu'il
vise les peines qui sont plus que simplement excessives.
En d'autres termes, même une peine excessive peut être constitutionnelle aux termes de l'article 12.
Je poursuis ma citation:
-
Il faut éviter de considérer que toute peine disproportionnée ou
excessive est contraire à la Constitution.
Donc, même si on reconnaissait—je ne suis pas prêt à le faire—que les peines consécutives sont disproportionnées ou excessives, elles pourraient toujours être considérées comme conformes à la Constitution aux termes de l'article 12, si j'ai bien compris les arrêts du tribunal dans les affaires Smith et Steele.
Permettez-moi de conclure en reprenant là où a laissé le professeur Knopf, c'est-à-dire en parlant de l'importance du principe du juste dû qui s'applique dans ce projet de loi en particulier. Essentiellement, le principe du juste dû veut que les peines reflètent la gravité morale de l'infraction et du tort causé à la victime. Le principe du juste dû exige que l'on fasse une distinction importante entre la vengeance et le châtiment. Un certain nombre de personnes ont dit que le projet de loi à l'étude ajoutait un élément de vengeance ou de revanche à la détermination de la peine au Canada. Je pense qu'il est vrai que cela ajoute un élément de châtiment, mais le châtiment n'est pas la même chose que la vengeance, comme le juge en chef du Canada le dit dans l'affaire M. (C.A.).
• 1015
Comme le juge en chef l'a dit:
-
La vengeance [...] est un acte préjudiciable et non mesuré qu'un
individu inflige à une autre personne, fréquemment sous le coup de
l'émotion et de la colère [...] Le châtiment se traduit par la
détermination objective, raisonnée et mesurée d'une peine
appropriée, reflétant adéquatement la culpabilité morale du
délinquant, compte tenu des risques pris intentionnellement par le
contrevenant, du préjudice qu'il a causé en conséquence et du
caractère normatif de sa conduite.
Il me semble que dans certaines circonstances la peine concurrente sous-estime la gravité morale de l'infraction et du préjudice causé aux victimes par cette infraction en n'imposant pas dans ce cas une peine juste et appropriée. Donc, même s'il s'agit d'une loi rétributive, ce n'est certainement pas une loi de vengeance, et je pense que cela est tout à fait conforme à la notion selon laquelle chaque infraction doit être évaluée selon sa gravité morale et le préjudice causé à la victime.
Merci beaucoup.
Le président: Merci, professeur Manfredi.
Des interventions de sept minutes. Monsieur Abbott.
M. Jim Abbott: Monsieur Koziebrocki, je dois vous dire que cela fait six ans que je suis en politique et que je siège à un certain nombre de comités, mais je n'ai jamais été aussi bouleversé que je le suis à la suite de votre exposé. Pour utiliser votre expression lorsque vous dites que vous nous «soumettez le tout respectueusement», moi aussi je vous dirai respectueusement que votre attaque contre quiconque appuie le projet de loi à l'étude est à la fois gratuite et insultante.
Cela étant dit, je vous invite à répondre.
M. Irwin Koziebrocki: Eh bien, je n'attaque pas les gens qui appuient un projet de loi en particulier. Si vous parlez du communiqué qui a été publié par la Criminal Lawyers' Association, ce communiqué a été publié par l'association et par le conseil d'administration de cette association. Ce n'est pas mon communiqué. J'ai dit que c'était la position qu'avait adoptée la Criminal Lawyers' Association.
En ce qui concerne ce projet de loi en particulier, nous avons un point de vue sur le fondement du projet de loi. Avec tout le respect que je vous dois, je vous dirai que j'ai déjà comparu devant votre comité à plusieurs reprises. J'ai tenté de présenter une approche raisonnée sur plusieurs projets de loi dont est saisi votre comité.
Il s'agit d'un projet de loi qui nous tient vraiment à coeur. Sauf votre respect, je dirais qu'il est libre à nous de dire que nous sommes d'avis que ce projet de loi ne devrait pas être appuyé par la Chambre des communes. Je vous dirais, encore une fois avec tout le respect que je vous dois, que j'ai le droit de dire une telle chose à cette Chambre.
M. Jim Abbott: Eh bien, alors, avec tout le respect que je vous dois, j'ai dit ce que j'avais à dire.
Vous soulevez par ailleurs la question des gardiens de prison. Je suis certain que dans votre profession vous avez eu de temps à autre l'occasion de leur parler. Dans le peu de temps que j'ai eu le privilège d'être le porte-parole de mon parti en ce qui concerne le solliciteur général, j'ai eu l'occasion de parler à bon nombre d'entre eux. Quant aux prétextes que vous nous avez mis sous le nez en nous disant qu'une prison est un terrible endroit si les gens doivent y être incarcérés à perpétuité et que ce serait un endroit terrible pour les gardiens de prison, je vous dirai que sans exception, chaque fois que j'ai parlé de cette question à un gardien de prison—et j'ai parlé à au moins deux ou peut-être même trois dizaines d'entre eux—ils étaient d'un avis tout à fait opposé à celui que vous nous donnez à l'appui de la mise en liberté anticipée.
Par ailleurs, la plupart des gardiens de prison ont du mal... je suis désolé. Je ne m'aventurerai pas dans cette direction.
Vous avez laissé entendre, ou la Criminal Lawyers' Association a indiqué, que la société ne serait pas moins en danger grâce à l'adoption de ce projet de loi, mais étant donné que les statistiques révèlent que les meurtriers qui bénéficient d'une mise en liberté conditionnelle risquent 100 fois plus de commettre un meurtre que les autres Canadiens, n'êtes-vous pas d'accord pour dire qu'il serait en fait avantageux pour la société que les meurtriers qui ont commis des crimes multiples restent en prison, que cela mettrait moins en danger la société?
M. Irwin Koziebrocki: Il y avait deux questions. Premièrement, en ce qui concerne les gardiens de prison, sauf votre respect, je ne considère pas avoir dit à votre comité que c'était un faux-fuyant. Le fait est que si l'on incarcère des gens et qu'on leur dit effectivement qu'ils seront incarcérés à perpétuité, qu'ont-ils à perdre? S'ils sont de mauvaises personnes, ils agiront mal. Ils n'auront aucune considération pour la vie. Cela ne peut que créer une situation difficile pour quiconque se trouve dans cet environnement, notamment pour les gardiens de prison.
M. Jim Abbott: Mais je vous dis respectueusement que cela ne traduit pas la position des gardiens de prison à qui j'ai parlé. C'est votre position.
M. Irwin Koziebrocki: Très bien. Deuxièmement, pour ce qui est de savoir s'il faut incarcérer les meurtriers multiples pour une période plus longue, naturellement il le faut. Je ne dis pas que quelqu'un qui commet un meurtre multiple doive recevoir quelque avantage que ce soit à cet égard, pas du tout. Les dispositions prévues dans le Code criminel le reflètent et prévoient ce genre de situation.
Je peux vous dire qu'au cours de mon expérience, ayant comparu pendant 23 ou 24 ans devant des cours criminelles et ayant pratiqué à la cour d'appel de façon régulière pour des cas d'admissibilité à la mise en liberté sous condition par voie de sentence, dans presque tous les cas dont je me suis occupé et où il était question d'un meurtre multiple, cela se reflétait dans la période d'inadmissibilité à une mise en liberté sous condition.
Je ne peux pas vous dire qu'il y a un chiffre établi, mais il y a certains chiffres qui, je le sais, s'appliquent dans le cas de meurtres multiples. Pour ce qui est d'un second homicide, le point de départ est 15, et cela va en montant.
M. Jim Abbott: Pour changer de sujet, dans votre témoignage avez-vous laissé entendre également que vous ne comprenez pas pourquoi on isole les cas d'agression sexuelle, et non pas les cas de vol? Est-ce que les membres de votre association ne comprennent pas la différence entre un crime sexuel avec violence et le vol, ce qui est exactement l'objet du projet de loi?
M. Irwin Koziebrocki: Absolument, nous comprenons cette différence.
M. Jim Abbott: Eh bien, alors je ne comprends pas votre témoignage.
M. Irwin Koziebrocki: Eh bien, alors peut-être pourrais-je vous l'expliquer.
Sauf votre respect, une agression sexuelle est un crime grave. Personne n'a jamais dit que ce n'était pas un crime grave. Il se trouve que l'agression sexuelle peut comprendre toutes sortes de permutations différentes, à partir du fait de toucher un sein, par exemple, dans une situation qui est inappropriée, et qui peut donner lieu à une pénalité particulière, qui est moindre que pour une autre situation, jusqu'à une situation de viol par contrainte, qui donnerait lieu à une pénalité beaucoup plus grave. Cette infraction particulière peut donc varier selon la nature même du crime qui a été définie par le Parlement. Chaque cas a ses propres paramètres et son propre degré de gravité.
Le vol qualifié est un crime très grave. On utilise la violence pour voler quelque chose à quelqu'un. On peut entrer par effraction dans la maison de quelqu'un d'autre et matraquer la personne pour lui voler son argent et ses biens. Il s'agit là d'un crime très grave. Avec tout le respect que je vous dois, je vous dirais que sur le plan de la gravité, selon la situation, ce n'est peut-être pas tellement différent d'une agression sexuelle. Pourquoi faites-vous une distinction pour cette infraction particulière aux termes de l'article 271 par rapport à tout autre crime violent qui devrait être puni et qu'on devrait décourager?
M. Jim Abbott: Je me demande si vous pourriez me dire combien de gens sont envoyés en prison pour un attouchement non voulu. Nous ne parlons pas de... Ce n'est pas une infraction innocente. Je ne veux pas dire que c'est le cas, mais vous avez vous-même affirmé qu'il y a une différence importante entre un attouchement et un viol avec contrainte, particulièrement lorsqu'il s'agit de viols répétés, ce qui nous intéresse ici dans ce projet de loi.
M. Irwin Koziebrocki: Eh bien, ce n'est pas le cas. Sauf votre respect, le projet de loi parle de l'article 271. L'article 271 est l'article concernant les agressions sexuelles. Il y a d'autres articles dans le Code criminel qui parlent des viols avec contrainte, de l'utilisation de la force, de l'utilisation d'armes, de menaces. Ces crimes sont traités beaucoup plus sévèrement, et dans certains cas, comme vous l'avez entendu, la peine minimum est de quatre ans. Nous ne parlons donc pas de ces articles dans cette situation particulière.
• 1025
Supposons qu'une jeune fille dise que son beau-père l'a
agressée sexuellement tous les soirs pendant une période de deux
ans; il lui a fait quelque chose de nature sexuelle tous les soirs.
D'après mes calculs, cela représenterait 730 agressions sexuelles.
Si l'on imposait à cet homme un mois d'emprisonnement pour chaque
agression sexuelle, il irait en prison pendant 60 ans. C'est le
genre de situation dont on parle dans une mesure législative de
cette nature.
M. Jim Abbott: Me reste-t-il du temps?
Le président: Non, vous avez même dépassé le temps qui vous était alloué.
Monsieur Peter MacKay.
M. Peter MacKay: Pour en revenir à votre dernier point, j'ai participé à la poursuite de cas exactement semblables à celui que vous décrivez. Le plus souvent, vous devez en convenir, on porte des accusations au sujet d'une certaine période de temps, au lieu de porter une accusation pour chaque agression sexuelle ou chaque crime commis dans le scénario que vous décrivez. Il n'est donc pas possible qu'un juge qui impose une peine ait le choix d'attribuer une peine d'une durée spécifique pour chaque incident. Ce n'est pas exactement ainsi que les choses fonctionneraient. Le procureur de la Couronne ne porterait jamais une accusation de cette manière.
M. Irwin Koziebrocki: Je suis d'accord avec vous. Le procureur de la Couronne porterait une accusation d'agression sexuelle portant sur une certaine période, soit la période de deux ans. Ensuite, la personne serait condamnée, d'après les normes actuelles, à une période d'emprisonnement allant de trois à six ou sept ans, selon la nature de l'infraction à caractère sexuel. C'est ce qui se passerait actuellement. Mais si cette mesure législative est adoptée, on pourra tenir compte de chaque incident ou événement comme un crime distinct...
M. Peter MacKay: Ce n'est pas ce que cette mesure demande, sauf le respect que je vous dois, monsieur Koziebrocki. Dans le cas des agressions sexuelles mineures ou moins graves, je ne pense pas que ce soit l'objet de cette mesure. Il s'agit ici d'agressions sexuelles majeures, graves, ou de meurtres, et non de contacts sexuels comme ceux que vous avez décrits. Nous pouvons convenir de ne pas être d'accord là-dessus.
Pour ce qui est de l'argument que vous avez présenté en réponse aux questions de mon collègue du Parti réformiste au sujet d'une personne qui purge une peine d'emprisonnement et qui présente une menace possible pour les autres détenus ou pour un gardien parce qu'elle n'a rien à perdre, renversons ce scénario et disons que le meurtrier s'est évadé, ou a obtenu une libération conditionnelle, ou est en train de commettre une série de meurtres. Qu'est-ce qui pourrait le décourager de continuer? Y a-t-il une mesure générale ou spécifique de dissuasion si une telle personne sait que toute peine qui pourra lui être imposée sera purgée en même temps qu'une peine d'emprisonnement à perpétuité déjà imposée? Ainsi votre argument selon lequel une telle personne serait dissuadée de commettre d'autres infractions pendant sa détention est encore plus étonnant dans le cas d'une personne qui est en liberté, comme on l'a vu dans le cas d'Allan Legere dans la région de Miramichi.
M. Irwin Koziebrocki: Le Code criminel prévoit que si quelqu'un commet un meurtre au deuxième degré pendant qu'il purge déjà une peine d'emprisonnement pour un premier meurtre au deuxième degré, le second meurtre au deuxième degré est traité comme un meurtre au premier degré. Il y a donc une possibilité de condamnation à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pendant une période de 25 ans. C'est clairement une mesure de dissuasion.
La deuxième mesure de dissuasion vient du fait qu'une personne qui se trouve dans cette position n'a probablement aucune possibilité en temps normal d'obtenir une libération conditionnelle, sauf dans de rares cas où le détenu s'est réformé au point que la Commission des libérations conditionnelles juge bon de le libérer, habituellement vers la fin de sa vie. Il y a donc là des mesures de dissuasion. Cette mesure législative ne change rien à un tel scénario.
M. Peter MacKay: En ce qui concerne le principe des peines concurrentes, je tiens à vous lire une citation d'un jugement rendu dans la province de Nouvelle-Écosse.
• 1030
Le juge Ian MacKeigan a dit ce qui suit au sujet des peines
concurrentes:
-
L'imposition d'une peine dite concurrente ne condamne aucunement le
coupable à une peine d'emprisonnement, étant donné qu'il n'a pas à
purger un seul jour d'emprisonnement. Une personne ne peut pas
purger deux fois la même journée d'emprisonnement, pas plus qu'elle
ne peut être pendue deux fois. Un juge qui impose une peine
concurrente ne s'acquitte pas bien de ses fonctions.
Le savant juge dit là ce qu'on a cité à plusieurs reprises, à savoir qu'on ne peut pas superposer des peines. On ne reconnaît pas la valeur d'une peine concurrente qui est imposée.
M. Irwin Koziebrocki: Sauf le respect que je dois au savant juge, cela ne se produit pas dans le système pénitentiaire. Lorsqu'on impose des peines concurrentes, d'après mon expérience, la Commission des libérations conditionnelles tient compte du fait qu'on a imposé une peine concurrente lorsqu'il s'agit de déterminer non pas l'admissibilité à la libération conditionnelle, mais la possibilité d'accorder cette libération. Par conséquent, lorsqu'un détenu purge une peine concurrente à cause d'une infraction sans lien avec la première, la Commission des libérations conditionnelles tiendra compte de ce facteur pour déterminer si cette personne obtiendra la libération conditionnelle.
Deuxièmement, je conviens avec le savant juge en chef de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse que d'une manière générale, quand il s'agit de la détermination de la peine, le common law—et je suppose que c'est le cas également du droit législatif—veut que des peines consécutives soient imposées pour des infractions de nature différente, pour des actes différents. Il en a toujours été ainsi.
La seule chose est que lorsqu'on examine la situation dans son ensemble pour déterminer la peine appropriée, on tient compte de toutes les circonstances, en particulier des divers crimes commis, de la situation de la ou des victimes, et de la situation de l'accusé. Lorsqu'il s'agit de trois crimes punissables chacun de cinq ans d'emprisonnement, la peine finalement imposée pourrait être de 12 ans au lieu de 15 ans, parce qu'on tient compte de l'ensemble des circonstances.
M. Peter MacKay: Mais on ne reconnaît pas dans cela la proportionnalité individuelle. Je crois que M. Manfredi a utilisé une expression très pertinente en disant que les peines concurrentes sous-évaluent la gravité morale de chacune des infractions. Dans cette méthode de détermination de la peine, on ne reconnaît pas vraiment la proportionnalité des infractions.
Je veux répondre à un commentaire fait en ce qui concerne les infractions pendant lesquelles on a utilisé une arme à feu. On a mentionné qu'il y a au moins 12 cas prévus actuellement dans le Code criminel où l'on permet des peines minimales obligatoires. Il y a une peine minimale obligatoire de quatre ans d'emprisonnement pour les vols à main armée ou les infractions avec violence, où l'on a utilisé une arme à feu, ce qui pourrait entraîner une peine consécutive de 25 ans. On inclut des peines minimales obligatoires dans les cas d'infractions avec usage d'une arme à feu pour reconnaître dans la loi le caractère sacré de la vie humaine, ou le risque qu'une personne qui commet une infraction en utilisant une arme à feu puisse prendre une vie humaine.
Par conséquent, si nous sommes disposés à mettre l'accent sur le risque de perdre une vie humaine, en prévoyant chaque fois l'imposition de peines minimales consécutives, pourquoi donc ne pas imposer des peines consécutives lorsqu'il y a vraiment eu une perte de vie humaine? Cela ne refléterait-il pas l'horreur que suscite la prise d'une vie humaine?
M. Irwin Koziebrocki: Est-ce une question?
M. Peter MacKay: Oui.
M. Irwin Koziebrocki: Premièrement, nous imposons une peine minimale d'emprisonnement de quatre ans lorsque quelqu'un a utilisé une arme à feu parce que nous voulons dire à notre société que nous ne voulons pas que les gens utilisent des armes de poing. Étant donné la nature même de ces circonstances, nous voulons une société qui a horreur de l'utilisation des armes de poing et de la violence qu'elles peuvent entraîner. Par conséquent, nous prévoyons une peine minimale en plus de celle que peut entraîner l'infraction même. Quelqu'un qui utilise une arme de poing pour commettre un vol qualifié se verrait imposer une peine de quatre ans.
M. Peter MacKay: Consécutive.
M. Irwin Koziebrocki: Consécutive.
M. Peter MacKay: Parce qu'il aurait pu tuer quelqu'un?
M. Irwin Koziebrocki: Mais vous savez qu'en vertu de la loi actuelle on ajuste bien souvent la peine totale à imposer dans le cas d'un vol qualifié. C'est ce qui se passe dans la réalité. La différence dans le cas d'un meurtre vient du fait qu'il n'y a qu'une seule peine, et cette peine est l'emprisonnement à perpétuité. Et c'est ce que la peine signifie, l'emprisonnement à perpétuité. Cela veut dire que le condamné pourra passer le reste de sa vie en prison. Et cela peut arriver à l'occasion, mais cela dépend des circonstances et de l'auteur de l'infraction.
Dans ce cas-ci il s'agit de la possibilité d'obtenir une libération conditionnelle à un moment donné, sous supervision, c'est-à-dire que si la personne en question fait quelque chose de mal elle retourne immédiatement en prison. Si la personne libérée enfreint l'une des dispositions de sa libération conditionnelle—si elle boit alors qu'elle ne doit pas le faire—la libération conditionnelle est révoquée et la personne doit purger sa peine d'emprisonnement à perpétuité. La peine reste imposée pour le reste de sa vie. On peut imposer une seule peine d'emprisonnement à perpétuité à la même personne.
Je déteste le dire, mais il en est ainsi. On peut parler de ce qui se fait au Texas, où l'on impose de multiples peines d'emprisonnement à perpétuité, ce qui revient à dire à quelqu'un qu'il n'y a pas d'espoir; eh bien, c'est peut-être une approche que vous voudrez choisir. Mais je soutiens respectueusement que, étant donné les circonstances dans notre pays et le fait que nous nous considérons comme une société compatissante qui donne aux détenus la possibilité de s'y réinsérer, vous ne voudrez peut-être pas adopter cette voie.
Le président: Monsieur John McKay.
M. John McKay: Merci, monsieur le président. Je ne pense pas avoir déjà été dans une salle où l'on fait montre d'autant de respect.
Je veux revenir sur l'échange qui a eu lieu entre M. Koziebrocki et M. MacKay au sujet de certains des éléments plus problématiques du projet de loi C-251, et particulièrement du paragraphe 1(2). Si je regarde l'article 271 du code, il porte sur l'agression sexuelle et se limite en fait à l'agression sexuelle. On propose ici ce qui suit: «La sentence imposée à une personne pour une infraction prévue au paragraphe (1) est purgée consécutivement à toute autre peine».
Ainsi, dans un cas où il y aurait 18 accusations, ce qui est du domaine du possible, il pourrait être difficile de tenir compte des principes de la proportionnalité. Comment cela fonctionnerait-il dans une situation réelle? Supposons que vous défendiez quelqu'un et que, pour quelque raison que ce soit, la poursuite ne retire aucune des accusations. On a porté 18 accusations, on ne les retire pas, et l'on enregistrera 18 condamnations pour cette série d'agressions sexuelles avec violence. Que pourra faire le juge, étant donné que nous avons encore dans notre système des principes de proportionnalité?
M. Irwin Koziebrocki: Je ne suis pas d'accord avec M. McKay. Quand je lis cette mesure législative, je vois qu'on y parle de sentences purgées consécutivement «à toute autre peine imposée pour une autre infraction basée sur les mêmes faits et à toute autre sentence qu'elle purge à ce moment-là». Dans le scénario que je vous ai proposé tout à l'heure, je ne pense pas qu'il y ait de problème à cet égard, parce qu'il y a une série d'événements. Chaque soir, cet homme descendait et allait agresser sexuellement sa belle-fille. Votre scénario concorde avec ce paramètre. Comment les choses se passeront-elles?
Il y aura une distorsion dans l'imposition de la peine. Chacune de ces agressions sexuelles sera probablement traitée d'une manière incorrecte, parce qu'un juge de première instance sait que dans le scénario que je vous ai donné une personne accusée mérite une peine de trois à sept ans, étant donné la nature du crime en question.
• 1040
Le juge sait donc cela. C'est le principe de la détermination
de la peine qui a été établi par les cours d'appel de l'Ontario et
de l'Alberta, par exemple, qui ont effectivement établi les
paramètres pour déterminer les peines dans de tels cas. Un juge
dira alors: «Pour en arriver à imposer une peine de cet ordre, je
devrai imposer à cette personne six mois d'emprisonnement pour
chacune de ses 18 infractions afin de respecter les limites
prévues.» Est-ce ce que vous voulez?
M. John McKay: Ainsi, «l'escompte de volume», si nous pouvons utiliser cette expression, entre en jeu au début du processus plutôt qu'à la fin.
M. Irwin Koziebrocki: Il entre en effet en jeu au début du processus.
M. John McKay: La question est de savoir ce qu'on a réalisé, en fin de compte.
M. Irwin Koziebrocki: C'est pourquoi je vous ai dit que c'est une question d'optique, que nous n'accomplissons vraiment rien ici qui rapporte quelque chose, sauf du point de vue de la perception, je vous le dis respectueusement. Je dis cela parce que c'est une expression que j'utilise beaucoup au tribunal. Je dois faire preuve de respect parce que je plaide beaucoup devant la cour d'appel.
M. John McKay: Je veux poser une question au professeur Manfredi tandis qu'il est encore ici. J'ai été quelque peu déçu de ne pas vous entendre parler davantage de ce qui se passe aux États-Unis, surtout au sujet des peines minimales obligatoires et d'autres questions de cette nature, en particulier en ce qui concerne les infractions liées aux stupéfiants. Les Américains ont déclaré la «guerre aux stupéfiants» et multiplié les peines minimales obligatoires, par exemple, au point d'atteindre des niveaux qui vont à l'encontre de nos principes de proportionnalité, je le dis franchement. Avez-vous fait des observations à ce sujet, et pouvez-vous nous en faire part dans le contexte qui nous préoccupe?
M. Christopher Manfredi: Je pense que comme pour tout principe lié à la détermination de la peine, si l'on élabore et applique d'une manière grossière et simpliste des peines minimales obligatoires, on peut en arriver à des résultats comme ceux que nous voyons aux États-Unis, soit une forte hausse des taux d'incarcération. Je pense que la population carcérale augmente aux États-Unis d'environ 6 p. 100 par année depuis cinq ou six ans.
M. John McKay: Oui, je crois savoir que dans le nord de l'État de New York, c'est essentiellement une industrie de croissance, que la construction de prisons est une...
M. Christopher Manfredi: Oui, les villes se battent pour qu'on y construise des prisons. C'est une bonne chose pour la collectivité.
En effet, comme c'est le cas pour le pouvoir judiciaire discrétionnaire, qui peut mener à des résultats jugés improductifs si on l'applique d'une manière inappropriée, il en va ainsi des peines minimales obligatoires. Je ne suis cependant pas certain qu'il s'agisse nécessairement d'une peine minimale obligatoire. On ne fixe pas de peine minimale obligatoire pour une agression sexuelle quelconque, par exemple. On dit seulement que, quelle que soit la peine imposée pour chaque acte spécifique, ou pour chaque condamnation spécifique, ces peines seront purgées consécutivement.
Moi qui étudie la politique gouvernementale, je ne peux pas vous dire que cela n'entraînera pas une augmentation de la demande en ressources carcérales. Si les chiffres fournis par Mme Campbell sont corrects, il faudrait probablement augmenter d'environ 16 p. 100 les budgets des services correctionnels pour les adultes au Canada.
C'est une question que les décideurs politiques doivent examiner, c'est-à-dire si cela en vaut la peine. Il me semble que si l'on peut en arriver, dans la détermination de la peine, à bien tenir compte de la gravité morale de chaque infraction et du tort causé à chaque victime, ces coûts supplémentaires pourraient en effet en valoir la peine. Je ne prétendrai pas cependant qu'il n'y aura pas de répercussions sur les ressources. Il y en aura certainement.
M. John McKay: J'ai une dernière question à poser. Si je comprends bien le principe qui anime l'auteur du projet de loi et ceux qui l'appuient, on le trouve résumé dans l'expression «la justesse des peines imposées». On a l'impression que le système judiciaire est captif du Barreau. Il est captif de la magistrature. Franchement, les citoyens ne jouent qu'un rôle accessoire, s'ils ne sont pas complètement étrangers à tout le système. On a presque adopté l'attitude de «papa a raison» face à la population canadienne, dont certains éléments sont particulièrement offensés par ce qu'ils lisent.
J'ai de nombreuses années d'expérience dans le domaine et je ne suis pas aussi complètement convaincu de cette opinion. Cela dit, je la comprends, du point de vue de la perception. J'aimerais donc entendre vos observations sur la façon dont nous pourrions nous sortir de ce dilemme.
• 1045
On serait presque porté à croire que dans un certain sens la
détermination de la peine se compare à l'élection d'un pape. Un peu
de fumée sort d'une cheminée, et il n'y a aucun élément
d'imputabilité face à la population, qui est propriétaire de ce
système, en fin de compte. J'aimerais savoir si vous avez des
suggestions à faire pour nous tirer de ce problème des peines
consécutives, des peines concurrentes—de tout ce dilemme.
M. Rainer Knopf: Si vous le permettez, je commencerai par faire un bref commentaire; il me semble que ce projet de loi vise précisément à résoudre cette question, et quant à savoir s'il est rédigé parfaitement ou non, c'est une autre question. Je laisse aux rédacteurs législatifs le soin de le déterminer. On y tente de s'attaquer au problème en faisant correspondre la façon dont les gens perçoivent une peine proportionnée avec la peine véritablement infligée. Il y a beaucoup de façons de le faire.
J'ai dit tout à l'heure que la question de la gravité et de la clémence relative des peines n'est pas nécessairement reliée à la question de savoir si elles sont vraiment infligées. Je pense que c'est crucial. Si nous décidons qu'une peine est vraiment exagérée, nous pouvons abaisser la peine maximale. Tout dépend du crime dont on parle. Je ne parle pas nécessairement d'un meurtre au premier degré.
Il est tout à fait concevable, et cela dépasse la portée du projet de loi, qu'il y ait des peines trop élevées, de sorte que lorsqu'on les impose à des contrevenants, ils ne purgeront pas une très grande proportion de la peine qu'on leur impose officiellement. Il y a vraiment là une disjonction pour les gens. Ils sont vraiment bouleversés, indignés, par exemple, lorsque quelqu'un est libéré après avoir purgé le tiers de la peine qu'on lui avait imposée, ou parfois moins.
De même, dans le cas de quelqu'un qui agresse sexuellement sa belle-fille tous les soirs pendant deux ans, les gens pourraient dire qu'on devrait considérer cela comme un seul événement combiné, comme les procureurs de la Couronne le font. Si ce même homme va agresser la fille de son voisin, ou sa nièce ou quelqu'un d'autre, c'est une autre infraction. N'accordons pas d'escompte de volume.
Je répondrai à votre question en disant qu'il faut une certaine correspondance dans l'esprit de la population entre la peine qu'on estime proportionnée, la peine qui est vraiment infligée et celle qui est vraiment purgée. C'est là que la disjonction se produit. Il se peut que pour certains crimes nous voulions réduire les peines prévues, dans le but de nous assurer qu'une plus grande proportion de ces peines sera vraiment purgée.
Le président: Merci, monsieur McKay.
Monsieur Peter MacKay, nous sommes rendus au deuxième tour de questions, et vous avez droit à trois minutes.
M. Irwin Koziebrocki: Puis-je répondre à la question?
Le président: Je vous demande d'être bref, monsieur Koziebrocki.
M. Irwin Koziebrocki: Je dirai que la Chambre a consacré beaucoup de temps aux questions de détermination de la peine. Le rapport Daubney représentait le résultat d'un travail considérable en vue de modifier le Code criminel. La véritable question consiste à bien informer les gens pour qu'ils comprennent les conséquences de certaines peines, de sorte qu'ils ne se retrouvent pas dans des situations où ils ont l'impression de ne pas être au courant de ce qui se passe, d'être dépassés par le système. S'ils comprenaient les concepts de la détermination de la peine, de même que les conditions d'admissibilité à la libération conditionnelle, la possibilité d'obtenir une libération conditionnelle, leur responsabilité dans une telle situation, ce qu'ils peuvent faire, et où et quand quelqu'un pourrait obtenir une libération conditionnelle, je pense que les gens accepteraient mieux tout le processus.
Le président: Je vous en prie, monsieur Peter MacKay.
M. Peter MacKay: Monsieur le président, nous participons à un débat très savant et presque philosophique, et je pense que certains des commentaires entendus sont très perspicaces. John McKay a dit qu'il existait une disjonction dans le pays parfois et qu'il y avait une méprise qui amenait peut-être les gens à perdre leur respect pour un système judiciaire... je ne peux pas m'empêcher d'en revenir à la réalité pour certaines de ces victimes.
• 1050
Je ne veux pas en parler trop longtemps, mais je pense qu'on
pourrait résoudre une partie de ce problème en acceptant la
suggestion du professeur Knopf de mettre davantage l'accent sur la
reconnaissance de chaque acte ou de chaque infraction criminelle
distincte. Cependant, au lieu d'utiliser des questions ou des
exemples hypothétiques, je ne peux pas m'empêcher de revenir à des
exemples concrets. Dans les cas d'agressions sexuelles en
particulier, le résultat est parfois presque pire qu'une mort
rapide et sans douleur.
Monsieur Koziebrocki, je sais que vous avez travaillé dans certaines affaires absolument haineuses, presque au point que vous devez vous désensibiliser. Lorsque vous devez, à titre de procureur de la Couronne, essayer de regrouper des cas de cette nature... et je proteste contre le commentaire de Mme Addario au sujet des procureurs de la Couronne, face à la possibilité qu'on leur donne plus de pouvoir discrétionnaire. J'ai pris note de l'expression que vous avez utilisée. Vous avez dit, je pense, que si l'on transférait aux procureurs de la Couronne le pouvoir discrétionnaire, ils risqueraient peut-être de perdre une partie de leur objectivité, car ils augmentent couramment les accusations dans le but de contraindre les accusés à des aveux. J'ai vu M. Koziebrocki sourciller en entendant ce commentaire. Je ne pense pas que ce soit une pratique très courante dans notre pays. Cela s'est peut-être déjà fait, mais je ne pense pas que ce soit le cas très souvent dans ce pays. Il y a toujours des exemples d'abus du pouvoir discrétionnaire de la part des procureurs de la Couronne, mais je pense qu'on exagère grandement en disant que cela se fait couramment dans le pays.
Mme Lisa Addario: Je devrais peut-être apporter une précision. Je n'ai pas utilisé le verbe «contraindre», monsieur MacKay. J'ai plutôt utilisé le verbe «encourager». Il y a une différence. La différence concerne un élément de libre arbitre et une option réelle, viable. J'ai été moi-même procureure de la Couronne, et je sais que lors des mises en accusation on exagère parfois un peu au départ, pour ensuite réduire les accusations portées. On les réduit parfois avant de commencer à négocier un aveu, et parfois on les réduit pendant la négociation d'un aveu.
M. Peter MacKay: Chacune des accusations doit être fondée sur des motifs raisonnables et probables.
Mme Lisa Addario: Je ne suis pas en désaccord avec vous, mais je sais que l'on porte parfois des accusations plus importantes que celles sur lesquelles portera le procès en fin de compte.
M. Peter MacKay: C'est assez juste. C'est un argument pertinent.
Le président: Merci, monsieur MacKay.
Monsieur Jim Abbott.
M. Jim Abbott: Madame Addario, étant donné que la Société Elizabeth Fry représente les intérêts des femmes qui sont détenues et que ce projet de loi porte presque exclusivement sur des hommes qui sont détenus pour avoir commis de multiples meurtres ou viols, et surtout étant donné que les victimes de ces criminels sont principalement des femmes et des enfants, je suis plutôt curieux de savoir comment vos commentaires peuvent servir les intérêts des femmes qui sont détenues, puisque vous semblez vouloir bloquer ce projet de loi, qui renforcerait les sanctions imposées à ceux qui ont violé ou tué plus d'une femme.
Mme Lisa Addario: Ni l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, ni les groupes nationaux de femmes qui font des consultations régulières sur la violence faite aux femmes et aux enfants, notamment dans le contexte de la réforme du droit et des lois, ne croient qu'on peut progresser vers l'objectif de l'égalité en renforçant les sanctions et en infligeant des peines plus sévères.
M. Jim Abbott: Vous n'estimez pas qu'il y a des cas où la sécurité de la société, et plus particulièrement celle des personnes que vous représentez, serait améliorée si l'on incarcérait de manière plus permanente les hommes qui commettent de telles infractions?
Mme Lisa Addario: La sécurité publique est toujours le premier critère invoqué par la Commission des libérations conditionnelles. C'est cette commission qui a compétence en la matière. L'une de ses préoccupations dominantes est d'assurer la sécurité du public. Mais l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et le mouvement national des femmes ne pensent pas que l'augmentation des peines imposées à une population de contrevenants qui sont souvent très marginalisés constitue un moyen approprié de répondre à leurs besoins et d'atteindre le grand objectif commun de réinsertion et de réadaptation des détenus.
M. Jim Abbott: La Société Elizabeth Fry a-t-elle déjà appuyé l'idée d'imposer des peines plus sévères pour certains crimes?
Mme Lisa Addario: Je ne suis pas au courant de l'ensemble des positions prises par l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry depuis sa création. Je peux cependant vous dire qu'au cours des quatre ou cinq dernières années, lorsqu'on a proposé des mesures législatives comme les dispositions interdisant le harcèlement avec menaces, appelées également projet de loi sur le harcèlement criminel, ou encore la Loi sur la banque de données génétiques, et même la Loi sur les armes à feu, l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, comme les autres groupes nationaux de femmes, n'a pas appuyé l'imposition de sanctions plus sévères ou de peines plus dures.
M. Jim Abbott: Je crois l'avoir déjà demandé, mais je tiens à être absolument sûr. Vous dites bien que votre société a pour position que garder en prison les personnes reconnues coupables de délits violents, les empêchant ainsi...
Permettez-moi de prendre comme point de départ quelque chose qui s'est passé dans mon bureau. J'avais une femme en larmes qui était là avec sa mère et sa soeur. Elles étaient terrifiées par la libération imminente d'une personne qui avait commis des actes de violence indicibles contre elles et leur famille. Elles n'étaient pas du tout convaincues qu'elles ne subiraient pas de nouveau les attaques de cette personne. Elles étaient d'ailleurs persuadées du contraire. Or, vous dites que, selon vous, il n'y a pas de problème, qu'il n'y a aucun avantage pour ces femmes que j'avais dans mon bureau. C'est bien ce que vous dites?
Mme Lisa Addario: Je me demande si vous pourriez établir de façon plus précise le lien entre vos propos et le projet de loi, car je ne pense pas bien comprendre les conséquences de ce que vous dites en rapport avec le projet de loi C-251.
M. Jim Abbott: Dans le cas en question, la personne avait commis un certain nombre d'agressions sexuelles violentes réparties sur une certaine période de temps. L'imposition de peines consécutives ferait en sorte que cette personne serait emprisonnée plus longtemps. C'est finalement ce que vise le projet de loi: il vise à assurer la sécurité de ces femmes que j'avais dans mon bureau. J'ai en tête le visage de ces trois femmes, et quand je vous entends dire qu'il n'y a pas de problème...
Mme Lisa Addario: Les auteurs d'agressions sexuelles reconnus coupables de chefs d'accusation multiples se voient déjà imposer des peines plus sévères. Ils reçoivent généralement une peine plus longue. Je crois que la peine est de 35 p. 100 à 40 p. 100 plus longue en cas d'agressions sexuelles multiples que lorsqu'il n'y a qu'une seule agression.
M. Jim Abbott: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Abbott.
Monsieur Saada.
Mme Albina Guarnieri: Je crois que Lisa Addario a parlé du CCASF, et je tiens à présenter de nouveau une lettre que j'ai déjà remise au comité, où le CCASF fait effectivement état de son appui de principe à mon projet de loi. Je ne sais pas si vous êtes au courant de cela.
Le président: Madame Guarnieri, pouvons-nous, s'il vous plaît, poursuivre nos audiences?
Mme Albina Guarnieri: Oui.
Le président: À vous, monsieur Saada.
M. Jacques Saada: Merci beaucoup.
Bien sûr, nous pouvons débattre très longuement de tous ces principes juridiques ainsi que des avantages et des inconvénients de l'allongement des peines, etc., mais j'ai quelque chose que je tiens à dire à ce sujet, et je le dirai en des termes qui sont vraiment ceux d'un profane. Il me semble que l'effet dissuasif est complètement nul.
Réfléchissons à tout cela un instant. Nous parlons ici de cumuler les peines et les périodes d'admissibilité, etc. Croyez-vous que la personne qui est en train de commettre un acte criminel quelque part va penser à tous les détails, va connaître toutes les combinaisons possibles, tous les calculs complexes, etc.? L'effet dissuasif n'est tout simplement pas un facteur à cet égard.
Une voix: Je ne parlais pas de cela. Je parlais plutôt...
M. Jacques Saada: Non, ce n'est pas vous que je regarde, ce n'est pas à vous que je pense. J'ai entendu des observations qui ont été faites au sujet de l'effet dissuasif.
Par ailleurs, en termes très simples—corrigez-moi si j'ai tort et éclairez-moi—si nous appliquons le principe selon lequel il devrait y avoir une rétribution pour chacun des actes commis, pour chacune des victimes, comme le prévoient déjà nos principes, si je ne m'abuse... mais si on allait jusqu'à ce qui est proposé dans le projet de loi, comment appliquerait-on le principe dans le cas d'un génocide? Cinquante mille personnes seraient mortes à cause d'un criminel. Comment appliquerait-on le principe dans un cas pareil? Je ne le sais pas. Éclairez-moi.
M. Christopher Manfredi: Permettez-moi tout d'abord de répondre à la première partie de la question concernant l'effet dissuasif.
Ni le professeur Knopf ni moi n'avons dit que le projet de loi accroîtrait nécessairement l'effet dissuasif. Il convient de faire une distinction importante entre les buts utilitaires et normatifs des sanctions. La dissuasion est un des buts utilitaires, mais il faut avoir à la fois des buts utilitaires et des buts normatifs. Il me semble que le projet de loi vise la neutralisation, soit un but utilitaire, et, comme nous l'avons indiqué, il vise à ce que le châtiment corresponde au crime, soit un but normatif. Or, dans l'optique du châtiment mérité, la question de savoir si le châtiment a un effet dissuasif n'est en quelque sorte pas pertinente. La question est de savoir si le châtiment correspond au préjudice moral causé par le délit. Si, en imposant le châtiment en question, on obtient accessoirement un effet dissuasif, tant mieux. Parler donc de l'effet dissuasif, c'est changer en quelque sorte l'optique.
Pour ce qui est de la question de savoir comment on applique le principe aux cas de génocide, eu égard à ce que je viens de dire au sujet de la distinction qu'il convient de faire entre les buts utilitaires et normatifs des sanctions, permettez-moi de m'exprimer ainsi et de présenter la chose dans un contexte légèrement différent, qui permet de comprendre pourquoi nous continuons à poursuivre les criminels de guerre nazis et les criminels de guerre de la Yougoslavie.
On ne peut pas vraiment invoquer les buts utilitaires habituellement associés au châtiment pour justifier ces poursuites. Pensons-nous vraiment que le fait de poursuivre de nos jours les criminels de guerre nazis vivant au Canada aura un effet dissuasif sur quelqu'un qui voudrait dans l'avenir commettre un génocide? Pas vraiment. Si nous examinons la question dans l'optique d'un autre but utilitaire du châtiment, la réadaptation, il est évident que ces personnes ne peuvent pas être réadaptées. Elles sont sans doute toujours convaincues qu'elles ont eu raison de faire ce qu'elles ont fait, si bien qu'il n'y a aucune valeur de réadaptation à leur châtiment. Pour ce qui est de les neutraliser, la plupart de ces personnes sont déjà très vieilles, et il est peu probable qu'elles commettent un crime semblable, ou même qu'elles commettent quelque acte criminel que ce soit.
Ainsi, au regard de tous les buts utilitaires du châtiment, il n'est vraiment pas justifié de poursuivre ces personnes. Il n'est justifié de le faire que pour des raisons normatives, pour dire que l'acte en question est tellement horrible et répréhensible qu'il doit s'accompagner d'un châtiment, peu importe que le châtiment ait un effet utilitaire quelconque. C'est simplement ce que le sens moral nous commande de faire. Voilà comment je répondrais à votre question. J'ai une opinion quant au châtiment qui devrait s'appliquer en cas de génocide, mais ce n'est pas là une question dont le comité est saisi.
Le président: Madame Guarnieri.
Mme Albina Guarnieri: J'ai simplement une toute petite question pour M. Koziebrocki. Je veux revenir sur ce que vous avez dit en réponse à la question de Jim Abbott au sujet des cas où les détenus n'ont aucun espoir. C'est là un principe très louable que de vouloir être humanitaire et réadapter ces personnes, mais si elles sont trop dangereuses pour les gardiens de prison et si tout espoir est éliminé, ne sont-elles pas trop dangereuses pour qu'on se retrouve nez à nez avec elles chez le dépanneur?
M. Irwin Koziebrocki: Je crois que nous parlons de personnes qui de toute façon purgent des peines très longues. Dans le cas de personnes qui ont commis un meurtre, leurs chances de pouvoir un jour sortir de prison sont considérablement réduites, comme le veut la nature de l'acte criminel qu'elles ont commis. Il s'agit donc ici de personnes qui ne sortiront sans doute de prison que vers la fin de leur vie, étant donné ce qui est prévu à l'heure actuelle dans le Code criminel.
Si la question est de savoir si la personne qui est reconnue coupable d'un meurtre au premier degré devrait pouvoir se retrouver comme vous et moi chez le dépanneur dans six ou sept ans, je répondrais par un non catégorique. Je serais non seulement scandalisé, mais aussi effrayé par cette possibilité. Si vous me posez la même question dans 25 ans au sujet d'une personne qui a 50 ou 60 ans et qui a donné la preuve qu'elle peut être réadaptée, qui, d'après les divers critères que peut appliquer la Commission des libérations conditionnelles pour permettre à un détenu d'être réintégré dans la société, a donné la preuve qu'elle peut apporter une contribution utile à la société maintenant qu'elle est plus âgée, je ne serais sans doute pas aussi prêt à m'en scandaliser. J'y verrais plutôt le signe que nous sommes une société humanitaire et que nous sommes disposés, dans certaines circonstances, à pardonner les crimes que la personne aurait commis plus tôt dans sa vie.
• 1105
Il en va de même pour les contrevenants de 17 ou 18 ans.
Voulons-nous vraiment incarcérer ces jeunes pendant tout le reste
de leur vie? Ce serait une idée accablante que de penser que le
jeune qui aurait commis un crime des plus horribles à cet âge-là,
mais qui l'aurait fait de façon précipitée, ne verrait pas la vie
d'une autre façon à l'âge de 50 ans, ne pourrait jamais être
libéré.
Mme Albina Guarnieri: Croyez-vous, monsieur, qu'il est juste que Bernardo ne soit pas poursuivi pour les 14 viols qu'il a commis, parce que cela ne fait aucune différence quant à la peine qui lui sera imposée?
M. Irwin Koziebrocki: Vous m'interrogez au sujet d'un cas en particulier. Croyez-vous...
Mme Albina Guarnieri: Est-ce juste?
M. Irwin Koziebrocki: Est-ce juste dans les circonstances? Je ne crois pas que le mot «juste» soit celui qui convienne. Voici ce dont il faut tenir compte: M. Bernardo a été condamné à l'emprisonnement à vie. M. Bernardo a été déclaré contrevenant dangereux, l'effet pratique de cette désignation étant qu'il ne sera jamais libéré, étant donné les circonstances du cas. Est-ce juste d'obliger ces huit personnes à témoigner, à participer à un procès, à vivre l'angoisse que ce procès occasionnerait pour elles-mêmes et pour leurs familles et à accepter que ce qu'elles ont vécu soit de notoriété publique? Je ne suis pas vraiment sûr que cela soit nécessairement juste dans les circonstances.
Mme Albina Guarnieri: Pour celles qui toutefois veulent...
Le président: Ce sera votre dernière question, madame Guarnieri.
Mme Albina Guarnieri: J'ai tellement de questions à poser.
Pour celles qui toutefois souhaitent poursuivre l'action en justice, pensez-vous que c'est juste? Si l'une ou l'autre des 14 victimes de viol souhaite poursuivre l'affaire, est-il juste qu'elle n'ait pas droit à une audience et que la douleur qu'elle a vécue ne se trouve pas reflétée dans la peine?
M. Irwin Koziebrocki: Je dirais que, dans l'affaire Bernardo, ce n'était pas le cas. Quand il a été déclaré contrevenant dangereux, c'est qu'il avait commis un certain nombre de crimes, notamment ceux dont vous parlez. Sous notre régime de détermination de la peine, ces personnes ont eu le droit de présenter leur point de vue au tribunal. Elles ont eu le droit de présenter au tribunal une déclaration de la victime. Elles ont eu droit à l'espèce de purification ou de libération que procure le fait de déposer un document comme celui-là devant le tribunal et de savoir que le tribunal en a tenu compte dans sa décision de déclarer Bernardo contrevenant dangereux. Il me semble que le fait qu'il ait été condamné à une peine indéterminée et que, dans son cas, il est fort probable qu'il ne soit jamais libéré est le signe que les victimes ont effectivement eu leur mot à dire devant le tribunal.
Le président: Merci, madame Guarnieri.
Merci à nos témoins. La matinée a été longue, et nous vous sommes reconnaissants pour votre contribution.
Nous prenons une pause d'environ trois minutes pour donner au nouveau groupe le temps de s'installer, puis nous reprendrons nos travaux, puisque nous avons du retard.
Le président: J'invite les membres du comité à regagner leur place pour que nous puissions reprendre.
Je tiens à souhaiter la bienvenue ce matin à MM. René Durocher et Glen Flett, de Life Line Concept; à M. Rick Prashaw, du Conseil des Églises pour la justice et la criminologie; à Mme Christine Leonard, de la Société John Howard; et à Mme Elizabeth White, de la Société Saint-Léonard du Canada.
Je crois savoir que vous avez tous un exposé à présenter. Normalement, nous accordons une dizaine de minutes par exposé, mais je crois savoir que vous avez une bande vidéo à nous présenter, et le temps nécessaire devra donc être pris à même le temps que vous avez pour vos exposés. Je devrai vous demander de vous en tenir rigoureusement au temps de parole qui vous est alloué.
Si j'ai bien compris, c'est Christine Leonard qui sera la première.
Mme Christine Leonard (directrice générale, Société John Howard de l'Alberta): La Société John Howard est un organisme bénévole qui offre des services aux collectivités dans plus de 60 localités canadiennes. Nous nous intéressons à la criminalité dans nos collectivités, ce qui nous amène à offrir divers services, notamment des programmes d'éducation donnés dans les écoles, des services de surveillance de personnes libérées sous condition, des installations de garde ouverte pour jeunes contrevenants, des programmes de réconciliation entre victimes et contrevenants, des maisons de transition, des programmes de préparation à l'emploi, des cours d'alphabétisation et des services d'accueil et de counselling. À cause de la longue expérience que nous avons des questions de criminalité et de prévention dans les collectivités, nous jouons aussi un rôle actif sur le plan de la recherche et de la réforme du système dans son ensemble.
Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir donné l'occasion de venir vous parler aujourd'hui du projet de loi C-251.
Je vous fais mes excuses: j'ai soumis le texte de mon exposé ce matin, et il n'est disponible qu'en anglais. On m'a demandé à la dernière minute de remplacer notre directeur général national. Je travaille pour la Société John Howard de l'Alberta, mais je suis ici aujourd'hui en tant que représentante de la Société John Howard du Canada.
Dans les années qui ont suivi le travail fait par la Commission canadienne sur la détermination de la peine, l'objet et les principes de la détermination de la peine ont fait l'objet de nombreux projets de loi ainsi que de nombreuses consultations et discussions. Nous nous sommes inspirés de tout cela quand nous avons présenté notre position sur le projet de loi C-41 il y a de cela quelques années. Nous avons été encouragés par l'inclusion de l'objet et des principes de la détermination de la peine et par les modifications apportées au Code criminel en vertu du projet de loi C-41.
L'objet et les principes devraient servir de pierre de touche pour asseoir et guider les discussions et les débats sur la détermination de la peine au Canada. Si l'on a voulu consacrer l'objet et les principes dans la loi, c'était pour que nous ayons un fondement à partir duquel évaluer l'effet des projets de loi ad hoc sur la détermination de la peine, comme le projet de loi C-251. Dans son examen du projet de loi C-251, le comité devrait avoir présent à l'esprit le travail détaillé de la Commission canadienne sur la détermination de la peine ainsi que la déclaration de principes adoptée il y a de cela à peine quatre ans.
L'objet de la détermination de la peine, aux termes du Code criminel, est de contribuer à la sécurité du public par l'imposition de sanctions justes. D'après la Commission canadienne sur la détermination de la peine, la réalisation de cet objet doit être démontrée par des avantages sociaux perceptibles. Nous demandons donc quels sont les avantages pour notre société des peines d'emprisonnement à vie consécutives. Est-il nécessaire d'allonger la durée des peines au-delà du minimum de 25 ans afin de mieux protéger le public? La réponse est non.
Nous savons que les condamnés à vie se tirent mieux d'affaire que bien d'autres catégories de contrevenants quand ils sont libérés. Même les États américains où l'on impose un emprisonnement à vie sans possibilité de libération, ou encore des peines d'emprisonnement qui dépassent la vie normale d'un être humain, ont dû mettre sur pied des mécanismes discrets pour libérer les condamnés afin de régler des problèmes de coûts et de surpopulation. Pour ces raisons, la Société John Howard n'est pas convaincue qu'il y ait des avantages sociaux perceptibles aux peines d'emprisonnement à vie consécutives. Le seul et unique but des propositions en ce sens est le châtiment. Or, le châtiment seul n'est pas considéré en droit comme un objet de la détermination de la peine.
Outre le but visé par l'imposition de peines d'emprisonnement à vie consécutives, il convient de discuter de la façon dont les propositions en ce sens s'accordent avec les principes de la détermination de la peine, tels qu'ils sont énoncés, principes qui ont été élaborés et consacrés après de nombreuses années de discussion. Ces principes nous guident dans la détermination de la gravité du châtiment qui convient dans un cas donné. Le principe fondamental est que la gravité du châtiment doit être proportionnelle au degré de responsabilité du contrevenant. Les autres principes précisent que la peine doit varier en fonction de facteurs atténuants ou aggravants, nous rappelant ainsi l'importance de la souplesse dans la détermination de la peine à imposer dans un cas donné. Les principes précisent également que l'imposition de peines consécutives ne devrait pas avoir pour résultat une peine cumulative excessivement longue ou sévère.
La Société John Howard soutient que la peine qui résulterait de l'imposition de peines d'emprisonnement à vie consécutives pourrait dépasser la vie normale d'un être humain et serait donc excessivement longue et sévère.
• 1120
Le recours à des peines fantaisistes, des peines de 50 à 75
ans sans possibilité de libération sous condition, a pour effet de
redéfinir le concept de la proportionnalité pour en faire un
concept axé sur l'équivalence de la douleur causée. Selon cette
nouvelle définition, la douleur causée par le châtiment devrait
être proportionnelle à celle infligée par l'infraction. Voyons ce
que donnerait cette définition de l'équivalence si elle était menée
à sa conclusion logique. Celui qui tuerait trois personnes serait
condamné à trois peines d'emprisonnement à vie consécutives. Selon
cette définition, celui qui volerait une tablette de chocolat
devrait se voir imposer une amende d'un dollar.
Quand on veut l'appliquer ainsi à d'autres circonstances, le concept de la douleur équivalente ne semble pas être un principe rationnel de détermination de la peine. Il ne s'applique pas très bien non plus à d'autres types de délits. Par conséquent, il est incompatible avec la politique rationnelle, raisonnée et complète de détermination de la peine que nous avons adoptée récemment.
Notre régime de détermination de la peine dans les cas de meurtre au premier degré est déjà l'un des plus sévères du monde. Dans une étude comparant la situation dans 16 pays industrialisés, il ressort que la durée moyenne de la peine à purger avant d'être admissible à la liberté sous condition ou à la révision de sa peine était de 9,5 ans. Au Canada, elle est de 25 ans, ou de 15 ans si le détenu est admissible à une révision en vertu de l'article 745. La moyenne de la peine purgée pour un meurtre au premier degré dans les 16 pays était de 14,3 ans. Au Canada, d'après les prévisions statistiques, elle devrait se situer aux alentours de 28,4 ans.
Les États-Unis, où certains États ont des peines d'emprisonnement à vie sans possibilité de libération sous condition, sont le seul pays où la durée de la peine purgée est plus élevée qu'elle n'est projetée de l'être au Canada. La durée moyenne y est de 29 ans—pas tellement plus longue que ce qui est projeté au Canada.
La Société John Howard soutient que le Canada ne devrait pas s'enorgueillir du deuxième rang qu'il occupe sur cette question et que nous ne devrions certainement pas mettre en oeuvre des mesures qui nous feraient passer au premier rang pour la sévérité excessive de notre politique de détermination de la peine.
Enfin, le projet de loi C-41, qui a été adopté il y a de cela bien des années, a mis sur pied un régime global de détermination de la peine qui était non seulement fondé sur des principes solides, mais rationnels, coordonnés et complets. Les projets de loi ponctuels comme celui qui nous occupe ne font qu'ajouter à la confusion et à la complexité de la politique en matière de détermination de la peine. Le public aura du mal à savoir quelles sont les infractions qui appellent obligatoirement des peines consécutives et quelles sont les circonstances dans lesquelles on impose des peines consécutives.
En conclusion, nous tenons à souligner les risques inhérents aux changements récents concernant les projets de loi d'initiative parlementaire. Il était évident qu'un grand nombre de ces projets de loi traiteraient de questions relatives à la justice. Nous craignons que le temps, les ressources et les travaux du comité ne soient ainsi accaparés pour une bonne part par des projets de loi d'initiative parlementaire qui proposeront vraisemblablement des modifications ponctuelles à notre régime global et raisonné de détermination de la peine ainsi qu'à notre système correctionnel. Le comité, de par sa nature, a une compréhension du système judiciaire qui dépasse la moyenne. Il appartiendra au comité permanent ainsi qu'à ses membres de bien mesurer l'effet de projets de loi de ce genre et de résister aux pressions en faveur de l'adoption des solutions les plus simples.
Nous vous exhortons à suivre le conseil de vos fonctionnaires du ministère de la Justice qui ont évalué le projet de loi C-251. Ils ont signalé les modifications apportées récemment au Code criminel et à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui répondent déjà aux préoccupations visées par le projet de loi à l'étude. Il serait dangereux d'adopter un projet de loi comme le C-251 à cause du mouvement qui serait ainsi mis en branle et qui ferait en sorte qu'avec chaque nouveau projet de loi on chercherait à atteindre un effet punitif toujours plus grand.
Il appartient à votre comité de veiller au respect des principes de la détermination de la peine et de rejeter le projet de loi.
Merci.
Le président: Merci.
Vous avez la parole, monsieur Flett.
M. Glen Flett (directeur général, Contrevenants visés par une surveillance de longue durée, Life Line Concept): Merci beaucoup.
Je m'appelle Glen Flett, et c'est pour moi un grand honneur de pouvoir vous adresser la parole ici aujourd'hui. Je suis ici comme porte-parole de Life Line Concept, mais aussi à titre de condamné à perpétuité. C'est donc très humblement que je vous adresse la parole aujourd'hui.
En me levant ce matin, je me suis dit que cela faisait 21 ans et 11 jours que j'avais commis, en Ontario, le crime horrible qui m'a valu d'être condamné. Le temps était très semblable à celui que nous avons aujourd'hui: il y avait de la neige au sol et des nuages dans le ciel. Je m'en souviens très clairement même aujourd'hui, et c'est un crime qui continue à m'affecter. Je vous demande donc votre indulgence si vous me voyez trembler un petit peu.
Je suis venu témoigner contre le projet de loi parce que je suis très préoccupé par le fait qu'il supprime l'exemplarité dans un cas de meurtre, ou du moins l'exemplarité de la peine d'emprisonnement à vie dans un tel cas. Je purge actuellement une sentence à vie pour laquelle le délai minimal d'admissibilité à la mise en liberté sous condition est de 14 ans. La peine est une peine d'emprisonnement, non pas de 14 ans, selon moi, mais à vie. Je vis dans la collectivité depuis neuf ans, et j'estime qu'il est plus difficile pour moi de purger ma peine dans la collectivité que ce ne l'était en prison. Je dois faire face aux conséquences de ce que j'ai fait.
• 1125
J'ai trois grands enfants, qui ont grandi pendant que j'étais
en prison. Quand je suis sorti, j'ai dû me rendre à l'évidence de
tout le tort que j'avais causé à ma famille. J'ai dû également me
rendre à l'évidence que ma victime avait quatre enfants et que, à
cause de moi, ces enfants n'avaient plus de père.
J'ai eu le privilège de pouvoir m'occuper de mon vieux père quand ma mère est morte prématurément. Ce n'est pas qu'elle est morte prématurément—elle avait 82 ans—mais elle est morte avant lui. Il avait 91 ans et était cloué dans son lit, et j'ai pu m'occuper de lui parce que je vivais dans la collectivité. J'étais là le jour où il est mort, et je peux vous dire que la deuxième chose qui m'est venue à l'esprit après que je me suis dit qu'il allait me manquer, c'est que j'avais empêché quatre personnes de vivre cette expérience, parce qu'elles n'avaient pas pu dire adieu à leur père.
À l'époque, ma femme, qui avait 39 ans, a su qu'elle était enceinte. Ma petite fille est née il y a deux ans, si bien que j'ai maintenant quatre enfants. Il ne se passe jamais un jour depuis que je vis dans la collectivité que je ne me rends pas compte de la grande responsabilité que j'ai et du fait que j'ai commis un crime abominable.
Cependant, aux termes du projet de loi qui est à l'étude aujourd'hui, M. Flett ne pourrait pas se promener dans la rue—je ne serais sans doute pas ici avec vous aujourd'hui. À l'origine, j'avais été condamné à un emprisonnement minimal de 20 ans et à une peine consécutive d'un an pour outrage au tribunal. C'est que nous avons volé la Brinks et qu'un innocent a été tué. Ce n'était pas le gardien de la Brinks. Cela s'est donc produit en même temps que le vol.
On aurait dû m'imposer une peine d'au moins 15 ans pour ce délit, puisque j'avais déjà un casier judiciaire. Manifestement, on aurait dû me donner une peine plus sévère. On aurait dû m'imposer sept ans d'emprisonnement de plus, ce qui aurait porté le délai minimum d'admissibilité à la mise en liberté sous condition à 28 ans. Je ne serais pas là aujourd'hui.
Au cours des neuf dernières années... Je ne veux pas dire que je peux réparer ce que j'ai fait, mais je me suis vraiment efforcé de montrer mon remords. Nous avons créé une société appelée LINC qui aide les détenus à sortir, et nous sommes maintenant associés à Life Line Concept.
Nous avons deux victimes qui siègent à notre conseil d'administration, parce que nous sommes convaincus qu'il faut trouver un moyen de tendre la main aux victimes et de les aider à se guérir de la douleur que nous leur avons causée. Nous sommes convaincus qu'il y a moyen que nous redonnions quelque chose à la collectivité et que nous contribuions à la sécurité du public. J'estime que les détenus avec qui je travaille—je travaille très régulièrement dans la prison—ont besoin d'espoir. Ils n'ont pas besoin de désespoir.
J'ai entendu quelqu'un parler ici aujourd'hui de ces hommes violents et du fait que, comme ils sont tellement violents, il ne faut pas les laisser sortir de toute façon. À l'heure où nous nous parlons, il y a toutefois 230 hommes environ qui sont incarcérés au pénitencier Kent. Il y en a 60 seulement qui sont des condamnés à vie. Cela veut dire que leur attitude, leur haine et leur désir de vengeance se répercutent sur tous les autres détenus, qui seront relâchés dans les collectivités. Il faut penser à l'effet que cela aura sur la protection de la société dans son ensemble.
Par ailleurs, je suis convaincu qu'il y a moyen d'intervenir. J'ai eu l'occasion de travailler avec certains hommes—et certains d'entre eux sont des délinquants sexuels, soit dit en passant. Je ne suis pas spécialiste en la matière, mais quand j'étais en prison, il m'arrivait souvent de dénoncer les délinquants sexuels. Aujourd'hui, je travaille avec eux. J'ai trouvé cela très difficile au début, mais j'ai bien souvent eu l'occasion d'examiner ces cas et de me demander, finalement, qui étaient vraiment les victimes.
Ces hommes ont été victimes de graves agressions, et il faut faire beaucoup plus que de simplement les punir pour les empêcher de se comporter ainsi. Parfois, et c'est notamment le cas des délinquants sexuels, le fait d'être puni ne fait que les inciter à commettre de nouveaux délits, parce que, s'ils commettent des agressions, c'est justement parce qu'ils ont eux-mêmes été agressés quand ils étaient enfants.
On commence à envisager des lois arbitraires. Il s'agit d'une loi arbitraire qui restreint le système actuel, lequel, à mon avis, est tout à fait adéquat.
J'ai lu cette brochure pour savoir ce que je pouvais dire et ne pas dire ici aujourd'hui, et j'ai constaté qu'il n'y a rien que je pourrais dire ici aujourd'hui qui pourrait m'envoyer devant les tribunaux. Vous ne pouvez porter aucune accusation contre moi. Mais si l'un d'entre vous téléphonait à mon agent de liberté conditionnelle par la suite pour lui dire que je vous ai menacés au cours de cette audience, je serais en prison cet après-midi même. Je peux vous le garantir. C'est le genre de système que nous avons.
Je vois mon agent de liberté conditionnelle une fois par mois et un psychologue une fois par mois. Il y a neuf ans que je suis sorti de prison. Je n'ai d'ailleurs aucune objection à le voir. Je pense que c'est une bonne chose pour la collectivité et je veux contribuer à assurer la sécurité de la collectivité. Je crois que la plupart des condamnés à perpétuité avec qui je travaille sont du même avis.
• 1130
Je ne veux pas en minimiser l'importance ni vous choquer, mais
la plupart d'entre vous ont beaucoup de chance de n'avoir jamais
tué personne. Il est facile pour vous de dire qu'ils n'éprouvent
pas de remords. Croyez-moi, la majorité des gens avec qui je
travaille éprouvent énormément de remords à propos de ce qu'ils ont
fait. Si nous pouvions retourner en arrière et tout effacer, nous
le ferions.
S'il y avait un débat à l'heure actuelle sur la peine de mort et que l'on me demandait de comparaître devant vous pour m'opposer à la peine de mort, même dans mon propre cas, je ne suis pas sûr que j'accepterais. Je ne suis pas sûr que je présenterais des arguments contre la peine de mort. Je vais probablement vivre encore 40 ans dans la collectivité, et je dois assumer les conséquences de mon geste.
J'ai d'ailleurs l'intention de le faire. Je n'ai pas l'intention de redevenir comme avant, car je sais que la seule façon de rendre hommage à ma victime et de compenser pour ce que j'ai fait et pour le tort énorme que j'ai causé—non seulement à cette victime-là, mais à de nombreuses autres victimes—c'est de toujours être présent dans la collectivité au lieu de me cacher en prison.
Croyez-moi, j'ai traversé des crises au cours des neuf dernières années, et bien des fois j'ai songé à retourner en prison pour m'y cacher. Heureusement, ma femme m'a soutenu et m'a dit: «Écoute, tu dois avoir plus de courage que cela. Tu dois réparation aux membres de la collectivité.» J'essaie de mon mieux de réparer le tort que j'ai causé. J'espère que cette loi sera rejetée afin qu'elle n'empêche pas d'autres personnes de faire de même.
Si vous lisiez mon dossier, vous considéreriez que le projet de loi C-251 aurait été très valable dans mon cas. Mais j'espère toutefois que vous n'empêcherez pas les détenus de venir en aide à la collectivité.
Je vous remercie.
Le président: Je vous remercie, monsieur Flett.
Monsieur Durocher, avez-vous un bref commentaire à faire?
M. René Durocher (intervenant principal du programme In-Reach, Life Line Concept): Oui, je tiens à vous remercier de m'avoir accordé le privilège de redevenir un homme libre. Je suis vieux. Je regarde ici autour de moi, et il n'y a pas tellement de gens plus âgés que moi.
Je sors d'un système établi dans les années 50 et 60. Depuis, il a changé, et je pense que ce changement a été pour le mieux. J'ai passé plus de 22 ans de ma vie en prison et j'ai victimisé des milliers de gens. J'étais un voleur de banque de Montréal qui tirait des coups de feu d'abord et posait des questions ensuite. Comment se fait-il que je n'ai tué personne? Je suppose que quelqu'un là-haut m'en a empêché.
J'ai grandi avec l'idée de devenir le meilleur criminel du pays. Je suis un produit d'un mal social—la pauvreté. Je regarde les jeunes aujourd'hui à Winnipeg en 1999, et je constate qu'elle a le même effet. Nous n'arrêtons pas de les enfermer comme on l'a fait dans mon cas. Je le méritais; j'étais vraiment mauvais—comme tous ces enfants aussi. Nous sommes en train de créer les criminels de demain.
Chaque fois que je vais prendre la parole quelque part—et j'ai pris la parole environ 2 000 fois au cours des huit dernières années sur la prévention du crime—j'espère arriver à convaincre un jeune à la fois pour lui éviter d'avoir à subir ce que j'ai subi, non pas pour moi, mais pour les victimes.
Mon dernier crime remonte au 8 juillet 1985. J'avais cambriolé un camion de la Brinks à Toronto. J'étais fier de moi, mais j'entends encore la voix de l'homme qui criait: «S'il vous plaît, ne me tuez pas!» Je savais que je n'avais pas l'intention de le tuer, mais lui ne le savait pas. Est-ce que je vaux mieux qu'un délinquant sexuel? Mon crime est-il moins grave? Tout crime est grave. Tout crime mérite punition, mais il y a une marge entre la punition et la vengeance.
Je considère avoir subi la justice de la vengeance. J'ai purgé trois peines de 15 ans. Je suis toujours en libération conditionnelle. Ce ne sont pas ces peines qui ont eu un effet dissuasif, parce que plus la peine est sévère, plus on s'endurcit. Ce qui incite un être humain à changer, c'est quand il se tourne vers les autres—qui ils sont et ce qu'ils ressentent. On commence alors à se rendre compte du tort que l'on cause.
Je travaille au pénitencier de Stony Mountain et un peu partout au Manitoba. J'ai un peu menti, parce que je retourne en prison chaque jour, mais chaque soir je retourne chez moi. Je travaille avec ceux qui purgent une peine d'emprisonnement à perpétuité. J'ai des clients qui purgent des peines d'emprisonnement à perpétuité de 18 et 20 ans pour un meurtre.
• 1135
Pouvons-nous dire que le projet de loi C-251 va changer
quelque chose? Les juges ne sont pas limités à imposer une peine
d'emprisonnement de 10 ans. Ils peuvent imposer une peine
d'emprisonnement se situant entre 10 et 25 ans pour un meurtre au
deuxième degré.
La meilleure disposition qui existe pour les tueurs vraiment dangereux, les tueurs en série, c'est l'article 745. Avant le 8 janvier 1998, tout condamné à perpétuité était autorisé à invoquer cette disposition. Depuis cette date, les condamnés à perpétuité qui présentent une demande ne peuvent pas avoir commis deux meurtres. Ils ne sont plus admissibles. Ils doivent également faire revoir leur cause par un juge seul, et le juge décidera alors si un jury l'entendra. Si ces condamnés à perpétuité parviennent jusqu'à ce stade, ils devront obtenir un jugement unanime du jury. Auparavant, c'était huit jurés 12, maintenant c'est 12 jurés sur 12. Et cela ne leur accorde qu'un seul privilège: celui de comparaître devant la Commission des libérations conditionnelles.
La meilleure soupape de sécurité que nous avons dans la collectivité, c'est celle qui a été mise en oeuvre par le Parlement. Il s'agit de la Loi sur la libération conditionnelle. Je proposerais aux députés de venir au Manitoba assister à une audience de la Commission des libérations conditionnelles dans le cas d'un condamné à perpétuité. Vous pourrez constater que la commission ne libère pas facilement les condamnés à perpétuité. Aucun de mes clients n'a purgé moins de 13 ou 14 ans avant d'avoir pu faire un premier pas dans la collectivité. Lorsqu'on leur accorde la permission de sortir, ils ne peuvent sortir que pendant quatre à six heures et sont escortés tout le temps. Cela dure des années, parfois plus. Tout dépend du temps que met une personne à réapprendre à vivre en société.
Pour vous, il est tout naturel de pouvoir traverser la rue pour aller chez McDonald commander un hamburger. Vous ne pouvez pas imaginer le temps qu'il m'a fallu pour pouvoir le faire. Jusqu'à aujourd'hui, c'est encore ma femme qui doit acheter mes vêtements. Ce n'est pas parce que j'étais un criminel, mais parce qu'il est incroyablement difficile de se réadapter à la vie quotidienne.
Prenez un type qui est en prison depuis 1974 et qui a maintenant la possibilité d'être libéré. Après 25 ans, il n'est pas libre. Il n'a que le privilège de demander une audience à la Commission des libérations conditionnelles, et laissez-moi vous dire que la commission ne lui accordera pas la libération conditionnelle immédiatement. Le condamné à perpétuité qui a purgé toute sa peine de 25 ans ne sera libéré qu'après avoir au moins purgé 30 ans. Il lui faudra cinq ans depuis ses premiers pas dans la société jusqu'au moment où il pourra peut-être obtenir une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale. Nous n'enseignons pas à un enfant comment courir. Nous lui enseignons comment marcher.
Pour terminer, j'aimerais citer une personne que je suis fier de compter parmi mes amis, Mme Wilma Derksen. J'ai eu l'occasion de traiter avec elle, lors des rencontres face à face avec des meurtriers en sa présence à Stony Mountain. Je crois que la victime a droit non pas à la vengeance mais à un processus de guérison.
Si je remonte à 1991, à l'époque où les Conservateurs étaient au pouvoir, il y avait un autre comité de la justice présidé par M. Horner, et je crois que le père de M. MacKay siégeait à ce comité. Dans la troisième recommandation qu'il a formulée, le comité avait préconisé que le gouvernement consacre 1 p. 100 du budget de la justice pénale au cours des cinq années suivantes à la prévention du crime. Que pouvons-nous faire de mieux?
Quels que soient les crimes que j'ai commis, je ne pourrai jamais les effacer. Nous ne pourrons jamais ramener à la vie ceux que nous avons tués. Mais nous pouvons empêcher les jeunes de devenir comme nous. Nous ne pourrons jamais nous libérer des crimes mais nous réussirons à réduire chaque année les crimes de violence.
Mme Wilma Derksen m'a demandé de vous transmettre un message. Lorsque je lui ai parlé jeudi soir, elle m'a dit, «René, ce dont nous avons besoin, ce ne sont pas des peines plus sévères mais de l'aide pour les victimes.» C'est ce qu'elle m'a demandé de vous dire. En tant que député, vous avez le pouvoir de fournir le financement qui permettra à ces gens de guérir.
Au Manitoba, nous avons mis sur pied un nouveau programme en collaboration avec la Société John Howard. Il s'agit d'un programme de libération conditionnelle réparatrice. Pour la première fois dans notre pays, la victime aura le droit de venir prendre la parole lors d'une audience de la Commission des libérations conditionnelles. Jusqu'à présent, les victimes n'y assistaient qu'à titre d'observateurs. J'estime qu'en insérant cette disposition nous faisons un énorme pas en avant.
On ne guérit pas le mal par le mal. Je ne pourrai jamais effacer ce que j'ai fait. Mais si je peux aider un seul jeune à ne jamais faire ce que j'ai fait, alors je tiens à vous remercier de m'avoir accordé le privilège d'être libre à nouveau dans cette société.
Je vous remercie.
Le président: Je vous remercie, monsieur Durocher.
Simplement à titre d'information, l'année dernière le gouvernement a effectivement consacré 1 p. 100 du budget de la justice à la prévention des crimes au cours des cinq prochaines années.
Madame White.
Mme Elizabeth White (directrice exécutive, Société Saint-Léonard du Canada): Je vous remercie.
Je fais partie de la Société Saint-Léonard du Canada, qui est une organisation bénévole qui défend l'humanité et l'humanisme dans la justice pénale. Nos 13 sociétés affiliées fournissent des services directs au adultes et aux jeunes déclarés coupables d'actes criminels ou à risque dans 15 villes canadiennes. Notre société nationale fournit des services d'emploi pour aider la réinsertion de nos clients à Kingston ainsi que des services aux membres et des services d'élaboration des politiques à partir d'un bureau à Ottawa.
Nos directeurs sont tous des bénévoles, un représentant chaque société affiliée et quatre qui représentent la collectivité en général. Depuis plus de 30 ans, notre gamme de services comprend l'information communautaire—et nous avons beaucoup parlé de sensibilisation communautaire plus tôt ce matin comme moyen de remédier à certaines fausses perceptions à propos de notre système de justice—des maisons de transition pour les personnes condamnées à la prison, des foyers pour jeunes, la surveillance communautaire, ainsi que des programmes de désintoxication et d'emploi. En fait, le Life Line Concept a pris naissance à notre maison de Windsor car nous sommes fermement convaincus qu'il y a de nombreux détenus qui ont beaucoup à donner.
Le projet de loi part de l'hypothèse—nous sommes d'ailleurs très heureux d'avoir l'occasion de prendre la parole devant le comité à ce sujet nous l'en remercions—que des cumuls de peines obligatoires dans notre régime d'incarcération permettront mieux d'atteindre les buts de notre système de justice pénale que ne le fait notre régime actuel de détermination de la peine. On suppose qu'en rendant certaines peines d'emprisonnement toujours consécutives dans certaines circonstances et en limitant l'admissibilité à la libération conditionnelle, nous répondrons aux besoins.
La Société Saint-Léonard du Canada croit que notre procédure actuelle de détermination de la peine ainsi que les principes qui la sous-tendent conviennent en général et suffisent pour que nous puissions atteindre nos buts. Par conséquent, nous appuyons un régime de détermination de la peine sensible, plutôt que rigide, lorsqu'il a été démontré que des préjudices ont été causés. Pour déterminer la peine avec sensibilité, il faut reconnaître que toutes les situations qui répondent à la définition d'une infraction en particulier n'entraînent pas nécessairement la même peine pour ceux qui la commettent, pas plus d'ailleurs que la peine n'a le même effet dans tous les cas, sur le contrevenant ou sur la victime.
Nous croyons que la façon la plus efficace de chercher le bon remède dans chaque situation consiste à exercer la discrétion judiciaire. Nous trouvons que l'éventail des peines, tel qu'il est déterminé par la jurisprudence et les caractéristiques législatives, appuient l'effet de dissuasion général de la peine. La balance de la décision relative à la peine, reflétée dans la discrétion judiciaire, vise à atteindre d'autres buts, comme la dénonciation, la réadaptation et les possibilités.
Il y a une hausse importante du nombre d'infractions pour lesquelles les peines sont maintenant définies par le fait de la condamnation plutôt que par un examen de tous les facteurs pertinents. On semble insister moins sur la possibilité de recourir à la détermination de la peine pour régler des problèmes comme la réadaptation ou le l'élimination de la récidive. En outre, notre système n'a jamais tenu compte comme il le fallait des besoins des victimes dans le processus de la justice pénale et n'a pas encore élaboré de stratégie globale pour appuyer les victimes. Nous joignons notre voix à celle des autres témoins qui ont comparu ce matin pour encourager le comité à tenir compte de ce fait.
Il y a deux aspects sur lesquels nous aimerions faire des observations ce matin. Le premier est l'accent sur la détermination de la peine et sur l'administration de la peine, du fait qu'on considère uniquement l'infraction. Le second est l'impression que l'incarcération prolongée constitue un instrument de justice efficace, ainsi que les attentes que cette impression peut faire naître.
En ce qui concerne la détermination de la peine en fonction de l'infraction, l'objectif de la détermination de la peine doit-il être limité à l'expression d'un châtiment pour punir l'auteur d'un préjudice? De l'avis de la Société Saint-Léonard, cela est loin d'être nécessaire ou pertinent. La détermination de la peine en fonction de l'infraction ne suffit pas toujours. Une victime ou un survivant de la victime peut ressentir un préjudice plus grand ou moins grand qu'un autre, selon sa situation personnelle, au-delà de la portée de l'infraction proprement dite. En d'autres mots, le contexte de la victime est pertinent pour évaluer l'incidence d'une infraction. La détermination de la peine en fonction de l'infraction suppose également que notre Code criminel peut définir une infraction avec une telle précision que toutes les personnes déclarées coupables en vertu de cette définition auront agi de la même manière et pour les mêmes raisons. La nature humaine n'est pas aussi prévisible.
• 1145
L'autre possibilité est que seul le résultat compte. Dans ce
cas, on pourrait soutenir qu'il n'est pas nécessaire de faire une
distinction entre un homicide involontaire et un meurtre. Notre
société choisit habituellement, heureusement d'ailleurs, d'examiner
les circonstances qui entourent un événement avant de porter un
jugement.
Le recours à l'imposition de peines minimales a augmenté. C'est en partie un effet secondaire de la tendance à déterminer la peine en fonction de l'infraction. Les conséquences de cette tendance sont très troublantes. Les justifications de l'imposition de peines minimales comprennent le prétendu effet de dissuasion, leur rôle comme moyen d'exprimer la politique sociale, et la nécessité d'imposer des peines claires pour l'activité criminelle. Un examen de l'évolution des peines minimales obligatoires révèle que, lorsqu'elles sont révisées, on a tendance à accroître régulièrement la durée de ces peines afin, espère-t-on, de les rendre plus efficaces. Mais l'efficacité de cet outil comme moyen de dissuasion de la criminalité n'a pas été démontrée de manière empirique. La Société Saint-Léonard a préparé un document de travail exhaustif sur la question des peines minimales obligatoires, et si cela intéresse le comité, nous nous ferons un plaisir de le mettre à sa disposition.
L'objectif du droit pénal consiste à empêcher divers actes nuisibles. Les objectifs de la détermination de la peine varient selon les diverses couches de la population canadienne. Il s'agit notamment de punir et d'éviter les récidives ou l'escalade du comportement contrevenant. Les objectifs parfois contradictoires de la détermination de la peine sont illustrés par le vaste éventail de peines que nous avons mis à la disposition de nos tribunaux et de nos systèmes correctionnels. La Société Saint-Léonard est fermement convaincue que la justice vengeresse n'est pas un objectif acceptable, peu importe les autres témoignages qui ont été entendus plus tôt aujourd'hui. Notre mission est la prévention de la criminalité par la promotion de la vie communautaire responsable dans des collectivités plus sûres. Afin de réduire la criminalité future, nous croyons que les peines devraient exprimer la désapprobation sociale d'une manière qui mène à l'intégration du contrevenant dans la société, afin d'éviter la récidive.
D'autres buts de la détermination de la peine devraient inclure les éléments de responsabilité envers les victimes et la collectivité. Pour atteindre ces buts, il faut une évaluation individuelle dans chaque cas.
Je vous renvoie à une analyse de cet argument par Julian Roberts dans Actualités-Justice publiée cet hiver par l'Association canadienne de justice pénale. Dans le contexte de certaines initiatives récentes en Alberta, il détaille davantage les principes et l'objet de la détermination de la peine et aborde des aspects dont vous avez discuté concernant la proportionnalité et le confinement et l'échec des peines obligatoires minimales à produire jusqu'à présent les résultats espérés par leurs partisans.
Les peines minimales obligatoires ont tendance à accroître le recours à la procédure de négociation de plaidoyer—et cela risque fort de fausser tous résultats escomptés par suite de ces changements. C'est ce qu'a signalé plus tôt Lisa Addario des Associations nationales intéressées à la justice criminelle.
Je passerai maintenant brièvement à l'efficacité de l'incarcération. Les lois qui cherchent à accroître les périodes d'incarcération obligatoire semblent indiquer qu'il y a lieu de croire que la sécurité sociale sera nettement renforcée par le recours accru à l'emprisonnement. Aucune étude ne prouve cette hypothèse. Il a cependant été démontré qu'en soi, l'incarcération ne réduit pas la récidive. Les études menées par Don Andrews et d'autres révèlent que l'incidence sur la récidive dépend du type de la portée du programme d'intervention pendant que la peine est purgée. Il ne faut pas oublier dans ce contexte le fait que pour les contrevenants dont les facteurs criminogènes sont peu élevés, une intervention trop musclée peut aller à l'encontre du but recherché, et sans compter le fait que, pour de nombreuses interventions, la prestation des programmes dans la collectivité est plus efficace que les programmes en prison.
Cette tendance vers les peines d'emprisonnement prolongées et obligatoires semble découler de la crainte que les juges ne seront pas assez sévères lorsqu'ils déterminent les peines. Elle ignore le fait que le juge qui a été formé pour évaluer l'infraction criminelle et qui a entendu toutes les preuves est clairement mieux placé pour être sensible à toutes les circonstances entourant une affaire que si l'on se fie à un barème de peines fixé à l'avance. Cela dénote une méfiance apparente envers la capacité du système judiciaire de prendre les bonnes décisions.
De plus, on cherche ainsi à obtenir des certitudes inébranlables sur les résultats des peines imposées et à insister sur la dénonciation de certains actes criminels en les particularisant aux fins de la détermination de la peine, en faisant des exceptions à la justification générale de la détermination de la peine. Cela ne crée pas un système cohérent. On peut aussi se demander quel but est recherché et si ces dispositions permettront d'atteindre ce but.
• 1150
La prolongation de la période d'inadmissibilité à la
libération conditionnelle vise à empêcher certaines personnes
d'avoir accès à la libération sous surveillance communautaire. Ceux
qui sont considérés les plus susceptibles de récidiver
n'obtiendront probablement pas leur libération conditionnelle de
toutes façons. Si nous cherchons uniquement à punir, ces
dispositions réussiront peut-être.
Cependant, la Société Saint-Léonard considère que châtier pour châtier est une piètre justification d'une telle décision. Cela ne répondra pas aux besoins de toutes les victimes, n'accroîtra pas de manière sensible la sécurité communautaire et coûte extrêmement cher. Nous pouvons obtenir une sécurité beaucoup plus grande à bien meilleur marché en appuyant de bons programmes de surveillance communautaire. On vous a déjà parlé aujourd'hui des tableaux vous indiquant la norme d'incarcération qui existe dans notre pays c'est-à-dire 28 ans en cas de meurtre, comparativement à une moyenne de 15 ans dans d'autres pays. La Société Saint-Léonard trouve que cela témoigne de façon éloquente de la sévérité de notre système.
Nous fixons la barre très haute afin de montrer que nous désapprouvons le meurtre. Il existe déjà des moyens d'isoler les personnes dangereuses de la collectivité. La Société Saint-Léonard trouve inutile de créer d'autres moyens de prolonger les périodes d'emprisonnement. Si nous voulons avoir un système de justice pénale engagé, nous devons laisser les arbitres formés et compétents exercer leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer quand une personne peut être libérée sous surveillance.
Nos collègues du Conseil des Églises pour la justice et la criminologie se sont exprimés sur certaines préoccupations relatives aux besoins de la victime qui ne sont pas prises en considération de manière satisfaisante. Nous appuyons ces observations ainsi que celles faites par la Société John Howard du Canada sur la proportionnalité.
Nous considérons la peine d'emprisonnement comme une question des plus sérieuses et, compte-tenu de sa nature problématique, nous demandons instamment au comité de ne pas recommander le durcissement de ce type de châtiment. Notre expérience a démontré que nous créerons une société plus sûre pour tous en intervenant par des mécanismes axés sur l'insertion sociale et en réservant l'emprisonnement uniquement aux situations les plus nécessaires. Lorsque nous avons recours à l'incarcération, nous devons en profiter pour réduire le risque de récidive et préparer les détenus en vue de leur libération sans danger sous surveillance communautaire. Nous n'avons pas besoin d'imposer d'autres restrictions à la libération. Nous devons maintenir le cap sur notre objectif commun: avoir un système de justice qui accroît la sécurité communautaire.
La Société Saint-Léonard estime que ce projet de loi allongerait la liste des situations qui confineront les prisonniers sans obtenir une amélioration appréciable de la justice pénale. Notre expérience relative aux châtiments efficaces nous oblige à exhorter le comité...
Le président: Pourrais-je vous demander de conclure en quelques minutes?
Mme Elizabeth White: ... à ne pas appuyer le projet de loi C-251.
Le président: Je vous remercie.
Monsieur Prashaw.
M. Rick Prashaw (coordonnateur des communications, Conseil des Églises pour la justice et la criminologie): Bonjour. Depuis 25 ans, le Conseil des Églises, ainsi que ses 11 Églises nationales et ses 14 000 congrégations travaillent pour favoriser une démarche plus réparatrice à l'intention de tous ceux qui sont victimes de crime. Ces dernières années, nous avons voulu aller encore plus loin en devenant plus sensibles aux victimes.
Donc je dois dire dès le départ que je me trouve dans une situation que je considère difficile mais authentique à savoir de défendre les victimes mais de m'opposer à un projet de loi désigné par certains comme un projet de loi qui favorise les victimes. Il est intéressant que René ait parlé de Wilma Derksen étant donné que j'utiliserai cinq des dix minutes qui me sont accordées, pour vous présenter, à l'aide d'une vidéo, Wilma Derksen et le travail qu'elle accomplit auprès des victimes des crimes les plus graves commis dans notre pays, à la recherche de solutions qui favorisent davantage la guérison.
Nous nous opposons à cette modification parce que nous estimons qu'elle constitue un outil inapproprié et très inefficace pour ne serait-ce que commencer, de façon significative, à aller au fonds des préoccupations des victimes et d'autres en ce qui concerne les peines concurrentes. Nous respectons le sentiment qui sous-tend ce projet de loi, mais nous n'approuvons pas l'orientation qu'il donnerait à notre pays, à nos lois et notre sens de la justice. Nous voulons plutôt favoriser d'autres chemins que nous estimons être plus salutaires, pour atteindre l'objectif partagé par beaucoup et qui est de venir en aide aux victimes de crimes très graves.
Certaines victimes nous ont déclaré, à juste titre, que, si elles avaient été la cible du deuxième crime ou d'un crime subséquent commis par le même accusé et qu'une peine concurrente ait été prononcée, qu'elles avaient l'impression que l'on ne s'était pas du tout occupé de leur cas, qu'aucune peine n'avait été prononcée pour le meurtre d'un être aimé ou l'infraction commise contre lui, que les tribunaux laissaient entendre qu'il importe peu que quelqu'un tue une, deux ou trois autres personnes. Pour ces victimes, les peines concurrentes ne riment à rien. Les victimes nous communiquent ainsi des messages très importants. Elles veulent des réponses à leurs questions. Elles veulent que l'on se souvienne des êtres qui leur sont chers, que le meurtre ou l'infraction soit reconnu et que l'on fasse comprendre aux responsables les douloureuses conséquences de leurs actes sur le plan personnel. C'est ce que nous voulons, nous aussi.
• 1155
Mais nous estimons que les peines consécutives ne riment pas
à grand chose elles non plus. Plus de 25 années d'interventions
dans le système de la justice pénale nous ont appris qu'infliger
une peine n'est pas le meilleur moyen de satisfaire les victimes ni
d'honorer la mémoire des êtres qui leur étaient chers. Nous nous
opposons également aujourd'hui, appuyant ce que d'autres ont dit à
propos de la nécessité de la discrétion judiciaire et de la
proportionnalité, le cumul à l'américaine des peines qui existe
dans certains endroits.
Dans de tels cas, cela ne fait aucune différence, puisqu'une libération anticipée est plus qu'improbable, mais nous supposons toutefois que le cumul a lieu parfois pour des raisons symboliques, ce qui se comprend. Malheureusement, il n'en ressort qu'un remaniement général de la politique juridique et pénitentiaire, dont la portée s'étend à beaucoup plus de personnes que celles que la législation voulait viser.
Notre analyse du système de la justice pénale et l'expérience que nous avons acquise dans ce domaine nous convainquent de nous opposer à ce projet de loi. En effet, il a pour effet d'abandonner les détenus et de perpétuer la violence sous prétexte de réhabilitation, mais ce qui nous trouble particulièrement, c'est qu'il semble faire l'erreur de s'en remettre encore une fois exclusivement à une peine; il essaye de définir la durée d'emprisonnement qui convient pour satisfaire un besoin qui ne peut être intégralement satisfait, en tout cas certainement pas dans une salle d'audience ni dans un pénitencier. Aucune durée d'emprisonnement, qu'elle soit de 25, de 50 ou de 150 ans, ne peut rendre un être cher ni restaurer l'innocence. Si l'on peut assurer la sécurité publique d'une autre façon, à quoi peut servir une loi qui, poussée à l'extrême, pourrait être considérée par certains comme l'expression du principe «oeil pour oeil, dent pour dent»?
Nous avons cheminé avec plusieurs victimes pour tenter de comprendre les sentiments qu'elles éprouvent des semaines, des mois et des années après le crime. Mais celui qui n'a jamais été victime ne peut véritablement le comprendre. Car ces sentiments, si humains, si naturels et si normaux, ne sauraient être le fondement du droit.
En conclusion, je voudrais porter à l'attention des députés qui étudient cet important projet de loi les travaux de plusieurs groupes de victimes, et notamment de Victims' Voice, que Wilma Derksen va maintenant vous présenter. Elle vient du Manitoba. Il y a 10 ans, je crois, sa fille...
Une voix: En 1984.
M. Rick Prashaw: ... a été enlevée et assassinée. Personne n'a été jugé, accusé de ce crime ou identifié en tant que meurtrier. Comme le dit Wilma, elle s'est donc trouvée contrainte de chercher une voie autre que la justice pénale et la peine imposée pour panser ses plaies et avoir l'impression d'obtenir justice et satisfaction.
Nous allons vous présenter un extrait de cinq minutes d'un discours beaucoup plus long. Je laisserai au comité permanent l'enregistrement vidéo qui pourrait être versé au compte rendu. Il s'agit d'un témoignage sur le travail qu'elle fait pour aider les victimes des crimes les plus graves commis dans notre pays.
• 1200
[Note de la rédaction: Présentation vidéo]
M. Rick Prashaw: Monsieur le président, me permettrez-vous une dernière phrase pour conclure l'intervention du Conseil des Églises?
Le président: Certainement.
M. Rick Prashaw: Victims' Voice fait la promotion d'une vaste gamme d'initiatives d'aide aux victimes, qui comprend des projets communautaires visant à rendre honneur à la vie de la victime, des programmes de mentorat, des programmes de contact entre victimes, des vigiles à la chandelle, des croix du souvenir, des bourses et des envois de cartes au jour d'anniversaire du décès. Nous pensons que ces initiatives sont plus apaisantes et plus satisfaisantes et, sans vouloir juger qui que ce soit parmi les responsables du projet de loi, nous souhaitons informer les membres du comité des diverses voies empruntées par les victimes et les groupes de victimes de notre pays.
Le président: Merci, monsieur Prashaw.
Je dois m'excuser auprès de nos témoins, car la Chambre étudie aujourd'hui un projet de loi portant sur des questions de justice, et plusieurs de nos membres doivent prendre la parole. C'est pourquoi notre quorum est quelque peu réduit.
Monsieur Durocher, avez-vous une question?
M. René Durocher: M'autorisez-vous à distribuer ce document? Il n'est disponible qu'en anglais. Tous nos mémoires étaient en français et en anglais, mais je suis arrivé avec celui-ci à la dernière minute et je n'ai pas eu le temps de le faire traduire en français.
Le président: Y a-t-il consensus pour que ce document soit distribué en anglais et qu'on le fasse traduire par la suite?
Des voix: D'accord.
Le président: Oui, monsieur.
Allez-y, monsieur Abbott.
M. Jim Abbott: Je dois moi aussi m'excuser, car je suis le prochain à intervenir à la Chambre; je vais donc devoir filer après avoir posé mes questions.
Madame White, je remarque qu'au deuxième paragraphe de la page 3 de votre mémoire, vous dites ceci:
-
le recours à l'imposition de peines minimales a augmenté. C'est en
partie un effet secondaire de la tendance à déterminer la peine en
fonction de l'infraction. Les conséquences de cette tendance sont
troublantes.
Est-ce que votre organisme a la même préoccupation et est-ce que l'inclusion dans le projet de loi C-68 de la détermination obligatoire de la peine vous dérange? Il s'agit du projet de loi sur les armes à feu.
Mme Elizabeth White: Je parle des armes à feu, n'est-ce pas?
M. Jim Abbott: Oui.
Mme Elizabeth White: Je parle de quatre ans pour une arme à utilisation restreinte et vous voulez savoir si cela préoccupe la Société Saint-Léonard? Est-ce bien votre question, monsieur Abbott?
M. Jim Abbott: Oui. C'est une question ouverte. Ce n'est pas une question académique.
Mme Elizabeth White: Bien sûr.
M. Jim Abbott: Est-ce que vous vous préoccupez de la peine minimale obligatoire ou de son application en l'espèce?
Mme Elizabeth White: Nous nous en préoccupons de façon générale. Merci de m'avoir permis d'apporter cette précision.
M. Jim Abbott: Parfait. Merci beaucoup.
Je dois dire à titre personnel, monsieur Durocher et monsieur Flett, que de tous les témoins que nous avons entendus, c'est vous que je trouve les plus convaincants. Je sais que vous avez dû avoir bien du mal à venir, et que vos difficultés sont quotidiennes, comme l'a si bien dit M. Flett.
Je suis un peu perplexe. En tant que chrétien, j'ai connu une expérience de conversion, et je comprends les sentiments de M. Flett lorsqu'il parle de sa conversion au christianisme. Et pourtant, je remarque beaucoup de scepticisme, n'est-ce pas, des gens qui s'en servent pour demander pour eux-mêmes l'application de critères différents.
En réponse aux questions que vous posez à la page 4 de votre mémoire pour savoir si cette mesure législative aura un effet dissuasif sur les meurtriers, la réponse est non, je ne pense pas qu'elle ait un tel effet. Est-ce qu'elle va améliorer les chances de réintégration? Encore une fois, non. Je suis d'accord. Est-ce que la loi va augmenter le coût des services correctionnels du Canada? Vraisemblablement, oui. Cependant, vous demandez aussi si cette mesure législative est nécessaire et vous répondez par la négative; en tout respect, je répondrais par l'affirmative. N'oubliez pas ce que j'ai dit de ceux qui parlent de leur expérience de conversion à leur profit—enfin, je me comprends.
Nous ne parlons pas ici des événements tout à fait tragiques dont vous vous occupez, messieurs, où quelqu'un a été tué, nous parlons d'infractions répétées à maintes et maintes reprises. À mon humble avis, nous parlons d'une situation tout à fait différente de la vôtre. Ne s'agit-il pas de la sécurité du public, en définitive? Il ne s'agit pas de justice rétributive, ni d'effet dissuasif. Je crois que la véritable question, c'est la sécurité. Ne pensez-vous pas qu'il est question ici de sécurité?
M. René Durocher: Puis-je demander si quelqu'un se sent menacé par ma présence ce matin? J'ai purgé une peine de deux ans, puis une peine de 14 ans et 10 mois, puis de 15 ans, puis de 16 ans, le tout de façon consécutive. La première chose considérée par la Commission des libérations conditionnelles avant toute remise en liberté... Et pas uniquement pour les personnes comme moi. J'étais considéré comme un psychopathe pendant les années 70. On me jugeait dangereux au point de m'en prendre à moi-même si je ne pouvais pas atteindre ma victime. Je reviens de loin.
Croyez-moi, il y en a bien d'autres comme moi, qui se sont réintégrés à la société et qui ne constituent plus le moindre danger pour la sécurité du public. Il y a 21 personnes condamnées à perpétuité ou à de longues peines qui, dans chaque province du Canada, font ce que je fais moi-même au Manitoba et qui s'efforcent de sensibiliser le public. Je ne parle pas d'éducation, parce que nous n'avons pas besoin d'éduquer le public. Mais il faut lui faire connaître les critères appliqués par la Commission des libérations conditionnelles, et le premier critère, qui éclipse tous les autres, c'est la sécurité du public. Les détenus condamnés à perpétuité doivent subir des évaluations psychologiques et psychiatriques avant même qu'on puisse envisager de les transférer d'une prison à sécurité moyenne à un établissement à sécurité minimale.
Je crois sincèrement que si la commission a réussi à considérer que le public était en sécurité au moment où elle m'a libéré, elle pourrait libérer bien d'autres détenus sans risque pour notre sécurité. Je ne prétends pas pour autant qu'il n'y ait pas des détenus qu'on ne peut pas libérer et qui ne pourront jamais l'être, mais si nous avons déjà un tueur en série au Canada, c'est un de trop. Mais si l'on regarde les chiffres, pouvez-vous me citer cinq tueurs en série au Canada? Je ne pense pas, car il y a deux noms qui viennent immédiatement à l'esprit, avec peut-être en troisième lieu, Legere du Nouveau-Brunswick. Nous en avons un en Ontario et un au Québec actuellement, mais ils viennent de Colombie-Britannique. À part cela, il n'y en a pas d'autres.
• 1210
Je pourrais vous citer une liste interminable de noms de
condamnés à perpétuité qui ont parfaitement réintégré la société.
Ils n'ont pas la chance de faire comme Glen et moi. Ils n'ont pas
la chance d'exprimer publiquement ce qu'ils voudraient dire, car la
plupart d'entre eux se sont tellement repliés sur eux-mêmes qu'ils
ont du mal à s'exprimer, même en privé, donc à plus forte raison,
en public. Mais ils ont réussi leur réintégration.
Regardons maintenant la Commission des libérations conditionnelles. Si un homme d'affaires ou même quelqu'un d'autre gagne une élection avec 94 p. 100 des voix, tout le monde va y voir un résultat extraordinaire, et on ne se préoccupera pas des 6 p. 100 qui ont voté différemment. Mais en matière de criminalité, on considère les 6 p. 100 qui ont échoué, et jamais les 94 p. 100 qui ont réussi. Parmi les condamnés à perpétuité, sur les 6 p. 100 qui échouent, moins de 1 p. 100 récidivent. Celui qui réussirait aujourd'hui à lancer une entreprise en atteignant un taux de succès aussi élevé à l'échelle nationale ou internationale serait considéré comme un génie.
Je ne me sens pas en sécurité lorsque je vais aux États-Unis. Et je suis autorisé à y retourner. Je pense que si les États-Unis m'autorisent à retourner sur leur territoire, c'est que j'ai réalisé quelque chose d'extraordinaire. Mais lorsque je regarde la situation aux États-Unis, je vois que malgré une législation très sévère, c'est toujours le pays le plus violent au monde. Il n'y a que la Russie qui ait un taux d'incarcération supérieur, de 3 ou 5 p. 100, je crois. J'ai vécu en Colombie-Britannique, j'ai vécu en Alberta, j'ai vécu un peu partout et je me suis fait expulser de toutes les prisons de notre pays.
Mes premiers voyages au Canada ont été des transfèrements d'une prison à l'autre, parce que j'étais un mauvais... vous m'avez compris. Mais je me faisais chasser de partout à cause de ce que je faisais, des situations de violence que je provoquais. Je ne peux plus me comporter de façon violente aujourd'hui. J'ai eu l'occasion de faire un retour sur moi-même et nombreux sont ceux qui font la même expérience.
Merci.
M. Glen Flett: J'ajouterais qu'à ma connaissance, et je travaille avec des délinquants qui sortent de prison, des condamnés à perpétuité... Tout récemment, un auteur de meurtres multiples, qui a commis plusieurs homicides, est mort en prison. Il avait été condamné en 1964 et pouvait obtenir la libération conditionnelle au bout de 10 ans, mais il n'est jamais sorti de prison. Il est mort le mois dernier sans avoir été remis en liberté.
Je travaille avec d'autres auteurs de meurtres multiples, dont un jeune homme qui a tué ses meilleurs amis alors qu'il était sous l'effet de la drogue, à l'âge de 17 ans. Il a purgé une peine de 15 ans, et il est maintenant en liberté conditionnelle pour trois ans; il fait des études universitaires. Je l'ai déjà vu s'effondrer. Ce sont ses meilleurs amis qu'il a tués, et il le sait. C'étaient ses meilleurs amis, et il en assume les conséquences. La Commission des libérations conditionnelles a jugé bon de le remettre en liberté parce qu'il a fait la preuve des changements qui allaient entraîner cette décision.
Je n'ai rien contre les peines à perpétuité. Je crois que c'est la sanction qui convient en cas de meurtre. C'est véritablement la peine la plus sévère possible. Encore une fois, je m'inquiète d'entendre parler de sentences multiples à perpétuité, car c'est comme si l'on disait que la première peine à perpétuité n'a pas été assez importante. Il faut insister sur le fait que dans notre culture, c'est là une peine très grave; si nous ne le faisons pas, nous la privons de ses effets de dissuasion et de dénonciation du crime. De surcroît, nous ne prenons pas en compte le sort des victimes. Je crois que le Conseil des Églises a bien indiqué que la détermination de la peine ne se limite pas au choix d'un certain nombre d'années de prison; il s'agit de faire le bilan d'un événement qui a changé des vies, et non pas pour un certain nombre d'années, mais...
M. Jim Abbott: Est-ce que celui qui est mort en prison était l'auteur des meurtres commis aux environs de Creston, en Colombie-Britannique?
M. Glenn Flett: C'est exact.
M. Jim Abbott: Aidez-moi, car c'est ma circonscription. Que vais-je dire à mes électeurs...? En fait, un journaliste m'a dit—je ne me souviens plus du nom du condamné—«un tel est mort. C'est formidable, n'est-ce pas?» Voilà ce qu'en pensent les gens de Creston Valley. Qu'est-ce que je peux leur dire pour leur faire part de votre point de vue? En effet, ils sont heureux qu'il ne constituera plus jamais une menace.
M. Glen Flett: Encore une fois, il s'agissait d'un crime horrible. Je connaissais cet homme parce que j'ai travaillé avec lui et aussi parce que nous avons été codétenus. D'ailleurs, il a connu beaucoup de difficultés. Les autres détenus jugeaient très sévèrement son crime, et ils ne lui ont pas fait la vie facile.
• 1215
Mais en définitive, il reste qu'indépendamment de ces
difficultés, la Commission des libérations conditionnelles n'a
jamais jugé prudent de le remettre en liberté. En 1986, je purgeais
ma peine à Matsqui avec lui, et il s'est présenté devant la
Commission des libérations conditionnelles. C'était bien avant
qu'on ait débattu d'une disposition qui puisse redonner espoir, car
n'oubliez pas qu'il purgeait une peine minimale de dix ans. Ça
n'était pas une sentence de 25 ans. En 1986, la Commission des
libérations conditionnelles lui a dit qu'il pouvait choisir
n'importe quelle prison canadienne à sécurité moyenne, mais qu'il
devrait s'y habituer. C'est tout ce qu'on pouvait lui accorder.
À l'époque—c'était il y a 13 ans—on lui a dit qu'il allait mourir en prison. Encore une fois, il avait été condamné à perpétuité. Donc peu importe le nombre de condamnations à perpétuité. Il n'y a qu'une perpétuité, et le détenu reste en prison pour toujours, à moins qu'il ne réussisse à sortir.
M. Jim Abbott: C'est un problème de communication. Je voudrais dire à M. Prashaw que malgré tout ce qu'il a dit aujourd'hui, et que je comprends assez bien, puisque j'ai commencé à étudier cette question, ces propos d'aujourd'hui ne peuvent être acceptés par les gens de Creston Valley. C'est un sérieux problème de communication.
M. Rick Prashaw: Je suis d'accord, car je sais comment certains réagissent à nos propos. D'après ce que vous me dites, c'est à la fois un problème de communication et d'éducation. J'espère qu'au lieu de se contenter de ces réponses séduisantes qui tiennent en quelques mots et qui nous font beaucoup de publicité, nous allons pouvoir amorcer un véritable dialogue.
Je comprends tout à fait que certains se réjouissent de sa mort. Pour moi, c'est le début d'une conversation que vous pourriez animer dans votre circonscription en tant que représentant élu; une réponse étonnante de votre part pourrait vous valoir une grande publicité. Peut-être ne devriez-vous pas agir ainsi avant les élections, mais deux ans après, dans le cadre de cet effort permanent d'éducation... ne serait-ce que pour exprimer votre angoisse. Tout à l'heure, vous avez parlé de trouble et d'angoisse, et je crois que le simple fait d'entendre des représentants élus tenir de tels propos permet au pays de progresser bien au-delà des réponses simplistes des sondages Gallup et des présentateurs de nouvelles.
Le président: Merci, monsieur Abbott.
Monsieur McKay.
M. John McKay: Je voudrais revenir sur ce qu'a dit M. Abbott à propos de vos témoignages, monsieur Flett et monsieur Durocher. Ce sont des témoignages très convaincants. Ce qui m'a frappé le plus, monsieur Flett, c'est que la vie à l'extérieur est plus difficile qu'à l'intérieur. Pour moi qui n'ai jamais purgé de peine, ni à l'intérieur ni à l'extérieur, c'est un point de vue très pénétrant.
Nous avons entendu des considérations théoriques plutôt arides avant d'être confrontés à la réalité, et à propos de l'effet dissuasif, j'aimerais vous demander de revenir dans votre esprit, si vous le pouvez au moment où vous avez commis le crime. Est-ce que la question des sentences concurrentes ou consécutives a traversé votre esprit?
M. René Durocher: Lorsqu'on va commettre un crime, on est persuadé qu'on ne se fera jamais prendre. Je n'ai jamais considéré l'élément dissuasif. J'ai été élevé dans la rue à Montréal. À 14 ans, je faisais des vols à main armée. Pensez-vous qu'à 25 ans, je me figurais que quelqu'un allait pouvoir m'arrêter? Si je me faisais prendre, ce serait toujours de la faute de quelqu'un d'autre. Toute ma vie, j'ai imputé aux autres tout ce qui m'arrivait. J'ai commencé à changer d'avis lorsque je me suis vraiment demandé qui était responsable.
En ce qui concerne les condamnés à perpétuité, il faut savoir que 70 p. 100 sont des gens comme vous. Pour une première infraction—il suffit d'une fraction de seconde pour supprimer une vie, et c'est bien là le plus dramatique. On ne peut pas revenir en arrière et demander la restitution de cette fraction de seconde. Personne ne peut ramener la victime à la vie. Je pense essentiellement que la société aurait perdu quelque chose si j'étais resté en prison ces huit dernières années. Je crois que j'ai fait quelque chose de bien pour ma communauté. Je ne pourrai jamais revenir sur ce que j'ai fait.
M. John McKay: Vous répondez donc qu'au moment de l'infraction, la notion de dissuasion ne vous a jamais traversé l'esprit parce que vous étiez certain de ne jamais vous faire prendre. En ce qui concerne le monde des criminels que vous connaissez bien, est-ce que la notion de dissuasion a quelque sens pour eux, est-ce qu'elle peut intervenir dans la façon dont ils abordent leurs actes criminels?
M. Glen Flett: Encore une fois, je crois que la notion de dissuasion est tout à fait personnelle. George Orwell a écrit un excellent roman, Nineteen Eighty-four, où il parle de la façon dont les individus sont touchés par des idées individuelles. Il faut reconnaître que l'idée de la dissuasion diffère de l'un à l'autre.
Je n'essaie pas de trouver des excuses pour l'horrible forfait que j'ai commis. Je peux vous dire que ce que j'ai pensé lorsque j'ai tiré sur la détente, c'est que j'allais aller en prison pendant 15 ans et que je ferais tout pour l'éviter. Je savais évidemment que je risquais 15 ans de prison. Cela ne m'a pas empêché de le descendre et de risquer la perpétuité. L'élément dissuasif me faisait peur, c'est certain, mais au-delà de la peur, je n'ai pas été dissuadé. En fait, cela m'a même forcé à faire encore pire, vous savez...
M. John McKay: Vous avez donc fait un pari avec vous-même.
M. Glen Flett: En quelque sorte.
On ne peut pas savoir ce qui pourrait dissuader l'auteur d'un incident criminel unique. Je suis convaincu que la sentence n'a pas d'effet dissuasif en elle-même. Il y a d'autres éléments. L'emprisonnement fait certainement partie de la dissuasion, mais le principal élément dissuasif aujourd'hui, c'est ma fille de 20 mois et le fait que je fasse partie d'une communauté qui m'a accueilli.
Toute ma communauté m'appuie et me fait confiance. Le maire de ma ville m'appelle M. Flett. J'apprécie vraiment cette confiance. Je ne la mérite pas. Ma meilleure dissuasion aujourd'hui, c'est que je ne veux pas les décevoir, me décevoir, ni décevoir ma fille.
M. John McKay: Ma deuxième question concerne votre propre situation, monsieur Flett. Vous avez été condamné en 1980. Quand êtes-vous sorti? En 1990?
M. Glen Flett: J'ai été condamné en 1980 et j'ai bénéficié d'une libération conditionnelle totale en 1992. En 1989, j'ai commencé à sortir dans le cadre d'un programme très sévère de remise en liberté progressive à raison de 24 heures par mois pendant les six premiers mois. J'avais besoin d'un parrain dans la communauté. C'était un peu comme une permission de sortir sous surveillance. Il fallait que la même personne vienne me chercher et me ramène à la prison. Je ne devais pas rester en permanence en présence de cette personne, mais elle devait m'accompagner presque tout le temps.
Au bout de six mois, j'ai pu bénéficier d'absence de 24 heures sans surveillance. La deuxième année, mes périodes de sortie se sont prolongées pour atteindre progressivement 240 heures par mois. Ensuite, j'ai eu une libération conditionnelle totale de jour. Pendant les huit derniers mois de ma libération conditionnelle de jour, j'ai obtenu ce qu'on appelle couramment un cinq et deux, c'est-à-dire que je passais cinq jours chez moi et je revenais en prison pour deux jours.
Pendant toute cette période, j'ai vu mon agent de libération conditionnelle. Au début, je le voyais trois fois par mois, et je consultais un psychologue. Ensuite, je l'ai vu deux fois par mois, puis j'ai commencé à fréquenter le psychologue deux fois par mois également. Je voyais donc ces gens chaque semaine; par ailleurs, j'avais une libération conditionnelle de jour et j'étais étroitement surveillé. Ensuite, lorsque j'ai obtenu ma libération conditionnelle totale, j'ai continué à voir mon agent de libération conditionnelle et mon psychologue une fois par mois, et c'est encore le cas aujourd'hui. Je suis en liberté depuis sept mois.
M. John McKay: Les Canadiens s'offusquent des situations comme la vôtre, parce qu'elles montrent bien que la perpétuité n'est pas la perpétuité. Les gens s'imaginent que la perpétuité signifie que le reste de la vie se passera en prison, entre quatre murs. De toute évidence, la perpétuité ne signifie pas l'emprisonnement pour le reste de la vie entre quatre murs.
Est-ce que vous pourriez nous dire ce que la perpétuité signifie pour vous du point de vue de l'admissibilité à la libération conditionnelle, la surveillance de la libération conditionnelle et l'attitude vis-à-vis de la communauté pour le reste de vos jours?
M. Glen Flett: Excusez-moi, je ne comprends pas.
M. John McKay: Vous bénéficiez d'un programme qui vous remet progressivement en liberté. Quand les restrictions à votre liberté vont-elles être levées?
M. Glen Flett: Jamais. Comme je l'ai dit, je suis sorti de prison depuis neuf ans. Il y a deux autres niveaux de surveillance qui pourraient m'être appliqués. Au niveau de surveillance inférieur, je devrais me présenter aux autorités tous les trois mois. Si j'améliore mon comportement sur une longue période, je peux demander à ne me présenter que tous les trois mois. Mais avant cela, je devrai le faire tous les deux mois pendant un an avant de bénéficier d'un allégement.
M. John McKay: Je ne pense pas que l'ensemble des Canadiens ni les médias sachent que la perpétuité signifie effectivement la perpétuité. Même à la fin de votre vie, vous devrez vous présenter aux autorités.
M. Glen Flett: Je ne pense pas que les Canadiens sachent à quel point les agents de libération conditionnelle peuvent être sévères. Je suis sorti de prison depuis neuf ans et j'ai failli y retourner à deux reprises parce que je n'étais pas d'accord avec des policiers—rien de bien grave; j'ai discuté avec eux et je n'étais pas d'accord. Ils ont téléphoné à mon agent de libération conditionnelle, qui a menacé de révoquer ma libération conditionnelle.
Une fois, c'était lors du décès de ma tante, âgée de 101 ans. La police est arrivée à l'improviste et a commencé à... Ma tante était morte 20 minutes plus tôt, et j'étais en plein désarroi. Je sais que mon agent de libération conditionnelle considère que je dois être poli en tout temps avec les policiers, mais c'était très difficile d'être poli à ce moment-là, car j'étais très peiné. Ma tante avait vécu avec nous pendant trois ans et demi et je savais qu'elle allait beaucoup me manquer. On m'imposait donc une rude épreuve.
Mais en définitive, j'étais en libération conditionnelle et on ne me permettait pas de faire mon deuil. Mon agent de libération conditionnelle m'a dit que c'était inapproprié.
M. John McKay: Merci.
M. René Durocher: Il y a un autre élément qui concerne 99,9 p. 100 des détenus condamnés à perpétuité au Canada. N'importe qui peut rentrer à la maison le soir et prendre une bière, mais dans le cas d'un condamné à perpétuité, la police peut arriver à tout moment et s'il est surpris à consommer de l'alcool... Je ne parle pas de drogues, mais tout le monde a le droit de boire de l'alcool, mais pas le condamné à perpétuité, parce que s'il se fait prendre, il sera automatiquement renvoyé en prison.
Il y a des restrictions. Je crois que ce sont les meilleures garanties pour la sécurité publique qu'on puisse concevoir. Avec les mesures mises en place par le Parlement, la Loi sur les libérations conditionnelles, le système judiciaire et la révision des dossiers, je crois que la sécurité est assurée si l'on tient compte des taux de succès de ceux qui sont remis en liberté.
Le président: Merci.
Madame Guarnieri.
Mme Albina Guarnieri: Merci, monsieur le président.
Je tiens à vous féliciter de défendre courageusement vos convictions devant ce comité.
Vous dites que certains détenus peuvent être remis en liberté en toute sécurité. Personne n'en doute.
On avait dit précédemment que la prison ne réduit pas la récidive. La semaine dernière, on a présenté à ce comité des statistiques qui semblaient indiquer un faible taux de récidive parmi les meurtriers bénéficiant d'une libération conditionnelle. On a voulu présenter comme une réussite le fait que cinq personnes aient été tuées par des meurtriers en libération conditionnelle.
Je signale que d'après les statistiques de Mme Campbell, environ huit meurtriers en libération conditionnelle sur 1 000 commettent d'autres meurtres. Dans l'intervalle, huit Canadiens sur 100 000 seulement commettent des meurtres. Par conséquent, j'en déduis que les meurtriers en libération conditionnelle risquent 100 fois plus de commettre un meurtre que le Canadien moyen.
C'est dans ce contexte qu'ils présentent un risque que l'on ne peut écarter à la légère. La question que je veux vous poser paraîtra peut-être brutale, mais pourquoi la société devrait-elle accorder le bénéfice du doute à quelqu'un qui ne s'est pas contenté d'un seul meurtre, et pourquoi devrait-elle renoncer...?
Je vais vous donner un exemple. Dans ma circonscription de Mississauga, Wendy Carroll, une agente immobilière, s'est fait trancher la gorge par deux meurtriers auteurs de plusieurs crimes, alors qu'elle n'avait rien fait. Pour commencer, il serait bien difficile de lui expliquer ce que ces deux individus faisaient dans la rue.
Je vis dans une banlieue—ce n'est pas le centre-ville de New York ou de Washington—et à 15 minutes de ma circonscription, Joseph Fredericks, un prédateur sexuel, était cité dans les écoles comme un exemple de réhabilitation réussie, et nous savons la façon tragique dont cette histoire s'est terminée.
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La fille qui a été jetée sur la voie du métro après que le
meurtrier eut quitté son groupe en disant qu'il allait tuer
quelqu'un, venait elle aussi de ma circonscription.
Pas très loin de là, à Hamilton... nous connaissons tous l'histoire de Don Edwards. Sa soeur a été violée et le violeur a ensuite assassiné ses parents, les parents de Don Edwards, et maintenant, la famille vit dans la terreur de cet individu qui pourra obtenir la libération conditionnelle dans sept ans.
Quelle réponse pouvez-vous donner à Wendy Carroll, qui a eu la gorge tranchée, et à Don Edwards, qui a déménagé avec sa famille aux États-Unis parce qu'il affirme que seule la frontière pourra le protéger? Je ne doute pas que vous souhaitiez sincèrement bien faire, mais peut-on accorder le bénéfice du doute à des individus capables de faire autant de mal que ceux des exemples que j'ai cités?
M. René Durocher: Je crois que vous avez deux réponses en face de vous. Nous sommes les réponses; nous montrons qu'on peut accorder le bénéfice du doute à ceux qui prouvent qu'ils sont capables de changer. Pour les victimes, je peux simplement dire que je suis désolé de tout ce qu'elles doivent endurer pour le reste de leurs jours.
Par ailleurs, on parle... Croyez-moi, je ne suis pas un expert des délinquants sexuels, mais d'après le Code criminel, toute personne arrêtée peut être accusée en vertu des dispositions sur les délinquants dangereux, qui concernent essentiellement les délinquants sexuels.
Il y a actuellement 251 délinquants sexuels et dangereux—ce ne sont pas tous des délinquants sexuels, mais ce sont des délinquants dangereux—qui sont enfermés à perpétuité dans les pénitenciers canadiens. Leurs chances d'en sortir sont pratiquement nulles.
Regardez nos tueurs en série. Je me souviens qu'il y a quelques années, ou même plus récemment, les gens de Colombie-Britannique étaient très inquiets parce qu'Olson demandait l'application de l'article 745. Je peux vous dire ceci: ceux qui suscitaient les pires craintes parmi la population savaient que sa demande était irrecevable. Pour qu'une demande soit acceptée, il faut que son auteur soit tout d'abord capable de bien se comporter à l'intérieur du pénitencier et qu'il suive les mêmes programmes que les autres détenus. Olson est emprisonné tout seul depuis son arrestation, en 1981.
Dans une société, il y aura toujours des actes de violence gratuite; c'est bien triste pour les victimes, mais chaque fois que quelque chose se produit, est-ce qu'on va...? Si un avion s'écrase demain, ce sera la faute d'Air Canada. Est-ce qu'on va changer la loi pour autant? Est-ce qu'il faut changer la loi si quelqu'un vole une tablette de chocolat?
Si je m'introduis chez vous ce soir et que je vide vos tiroirs, je commets une sorte de viol. Je viole vos droits fondamentaux. Je suis allé regarder ce que vous avez caché même à vos enfants; de toute votre vie, seul vous et votre mari y avez eu accès. C'est un viol, c'est un crime. Est-ce que c'est pire si je viole physiquement une femme? Dans mon livre, je dis que je suis responsable de tout crime que je peux commettre, et qu'il n'y en a pas un de moins grave qu'un autre.
Il est très difficile pour qui que ce soit de s'adresser à la victime pour se dire désolé. Les excuses ne ramènent pas la victime à la vie, mais nous devons tirer la leçon des événements et veiller à ce que plus personne ne subisse la même chose. Il faut faire un travail collectif, et non pas essayer de s'en sortir tout seul. Ce qu'il faut, c'est éviter que d'autres ne se retrouvent en prison. Il faut donc commencer avec la jeunesse—on envisage de les emprisonner à l'âge de 10 ou 12 ans, au lieu de faire de la prévention de la criminalité auprès de ces jeunes—parce qu'autrement, on va en faire les criminels de demain.
Je suis l'un de ces «criminels de demain» qui s'est formé à l'âge de 12 ans. Est-ce que c'est ce que l'on veut pour notre société? C'est à nous de décider ce que nous voulons faire et je pense qu'en tant que députés, vous pouvez décider de ce qu'il adviendra de ces dispositions. C'est bien difficile. Peut-être que Glen a un autre commentaire, mais...
«Désolé» n'est qu'un mot, mais pour prouver que vous avez essayé de faire mieux par la suite... et la seule de le prouver, c'est d'avoir la possibilité de sortir et de montrer que vous êtes décidé à le faire.
Mme Albina Guarnieri: Il est certain qu'il faudrait apporter de nombreuses réformes sociales dans notre pays pour remédier aux injustices.
Vous avez évoqué le cas d'Olson. J'ai assisté aux audiences du procès Olson et j'étais dans la salle lorsqu'Olson s'est moqué du tribunal en disant: «Ils peuvent bien me donner 25 ans.» Il a lu la lettre de son avocat qui lui demandait de déclarer tous ces meurtres en même temps de façon à n'avoir qu'une peine à perpétuité. Croyez-vous que c'est juste de donner à quelqu'un qui a tué 20 personnes la même qu'à vous? Est-ce que vous pensez que ce tarif de gros donne une bonne image de la justice?
M. Glen Flett: Encore une fois, une peine à perpétuité est une peine à perpétuité. Le problème d'Olson, c'est qu'il s'est laissé avoir par le discours des médias. Croyez-moi, ce n'est pas 25 ans. Il va mourir en prison. Il ferait mieux de se faire à l'idée. Il va mourir dans une petite boîte. S'il ne faisait que 25 ans en prison...
Mme Albina Guarnieri: Puis-je intervenir? J'étais parmi ceux qui étaient convaincus qu'Olson et Bernardo ne sortiraient jamais de prison. C'est ce que je croyais. Je me suis toujours demandé comment il se pouvait que Wendy Carrol ait eu la gorge tranchée par ces deux prédateurs en liberté. Pour moi, cela n'avait aucun sens. Je ne comprenais qu'on ait pu relâcher ces individus avec une telle désinvolture.
Lorsque je suis allée au procès d'Olson, j'ai constaté qu'il avait ses champions. Un agent du Service correctionnel a dit qu'il était en bonne santé. Si je m'étais contentée de son témoignage, que je n'avais pas écouté le psychiatre ni les victimes qui nous ont rappelé la nature sordide de ses crimes, j'aurais pu me dire: «Tiens, ce pauvre homme est désolé; il est réhabilité; il faudrait le remettre en liberté.» Mais en réalité, nous savons tous qui est véritablement Olson.
M. Glen Flett: Mais ce que vous ne comprenez pas, c'est la procédure, et je le sais bien, parce que vous êtes allé à l'audience...
Mme Albina Guarnieri: Ce fut pour moi un choc....
M. Glen Flett: ... mais vous ne connaissez pas la vie en prison.
Reprenons l'exemple d'Olson. Je déteste utiliser ce nom, mais je vais l'utiliser quand même. Il ne sortira pas de prison, car il ne pourra pas franchir les étapes du milieu carcéral. Vous ne comprenez pas ce milieu. Il ne sortira jamais d'un pénitencier à sécurité maximale et il ne pourra jamais vivre dans une prison à sécurité moyenne, parce que les autres détenus le tueraient. Vous pouvez en être certaine. En définitive, il ne pourra jamais véritablement demander la libération conditionnelle, car il sera toujours dans une prison à sécurité maximale. Rien que pour cela, on lui refusera la libération conditionnelle. J'ai travaillé avec des détenus en libération conditionnelle, et on n'obtient jamais la libération conditionnelle si on est dans une prison à sécurité maximale.
Le président: Une dernière question, madame Guarnieri, puis il faudra conclure.
Mme Albina Guarnieri: Très brièvement, j'ai posé la même question aux fonctionnaires du ministère de la Justice à propos d'Olson et de Bernardo, et ils m'ont répondu que c'était tout à fait improbable.
M. René Durocher: Vous ne pouvez pas retourner cette question dans votre conscience en vous disant: «en tant que député, j'ai décidé qu'Olson et Bernardo ne seraient jamais remis en liberté», parce que c'est à la Commission des libérations conditionnelles d'en décider. Mais les gens de la Commission à commencer par M. Gibbs, qui a déjà été directeur de prison, connaissent tous les aspects du système pénitentiaire. Croyez-vous qu'ils vont les relâcher? Pensez-vous trouver dans ce pays un jury composé de 12 personnes saines d'esprit qui seraient prêtes à accorder à Olson ou à Bernardo ne serait-ce qu'un espoir? Il en faudrait 12 sur 12. Pouvez-vous les trouver? Je ne pense pas. On ne trouvera certainement pas 12 personnes saines d'esprit qui puissent le faire dans ce pays, pas plus que 12 déments, d'ailleurs.
Mme Albina Guarnieri: Une dernière courte question. Comment pouvez-vous justifier que quelqu'un qui a tué 25 personnes soit traité de la même façon que quelqu'un qui n'a tué qu'une fois?
M. Glen Flett: Il n'y a pas de justification à cela, évidemment.
Encore une fois, vous passez à côté de l'essentiel. La perpétuité, c'est la perpétuité. J'ai été libéré au bout de 14 ans. Mon complice l'a été au bout de 16 ans. Il conduisait la voiture, mais c'était le cerveau de l'opération. Pour une raison quelconque—sans doute à cause de son comportement en prison et de tout le reste—la libération conditionnelle a décidé de le garder plus longtemps en prison. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Mais il est un fait que c'est la Commission des libérations conditionnelles qui décide de lever la peine très sévère d'emprisonnement à perpétuité. Le condamné n'en est pas libéré; simplement, il réintègre la communauté et il a le privilège de purger sa peine dans la rue.
Je ne connais pas les circonstances du dossier des deux individus qui ont tranché la gorge de cette femme, mais je suis certain que si vous regardez les circonstances dans lesquelles on a décidé de leur accorder la libération conditionnelle avant qu'ils ne commettent ce crime, vous constaterez que malheureusement, ils ont dû tromper tout le monde.
Je ne sais pas trop ce que cela signifie, mais il faudrait faire participer davantage la population. Tout cela se passe chez nous. Si l'on veut aider les victimes, il faut que la population s'implique dans le processus correctionnel. Évidemment, c'est le beau débat de la participation et de la recherche d'une meilleure solution. Je crois que tout le monde doit s'en préoccuper, non seulement moi, mais tout le monde.
M. René Durocher: Je crois qu'on essaie chaque fois d'imposer une solution plus sévère. Je crois que dans ce pays, il faudrait débattre de la façon d'améliorer la société et de la rendre plus sûre, mais non pas en considérant ceux qui sont en prison. C'est dans la rue qu'il faut régler les problèmes, pour s'occuper de nos jeunes décrocheurs, pour s'occuper des jeunes qui glissent vers la criminalité.
Le président: Je tiens à remercier nos témoins de leur présence. La matinée a été longue, mais nous avons beaucoup apprécié vos témoignages. Merci d'avoir été des nôtres.
La séance est levée.