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JURI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 15 juin 1998

• 0914

[Traduction]

La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): C'est le son du pouvoir—mon maillet. Je m'appelle Shaughnessy Cohen, et je préside le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Parmi tous les gens qui se trouvent autour de cette table il y a d'autres membres du comité que je vous présenterai au fur et à mesure du déroulement de la réunion.

Permettez-moi de vous souhaiter à tous et à toutes la bienvenue. Comme vous le savez, vous êtes ici pour nous aider à examiner le rôle des victimes dans le système de justice pénal. Beaucoup d'entre vous ont déjà comparu devant notre comité mais aujourd'hui il s'agit plus de réunion avec vous, au sens stricte du terme, que de comparution devant nous.

• 0915

Vous savez que nous représentons différents partis politiques et qu'en conséquence la polémique reprend parfois ses droits dans cette salle. Je ne pense pas que ça sera le cas aujourd'hui. Je ne peux vous le garantir mais j'en suis presque certaine.

Beaucoup d'entre vous sont ici pour leurs compétences—parce que vous êtes membres de la Commission des libérations conditionnelles ou parce que vous êtes juges ou parce que vous êtes procureurs de la Couronne. Nous ne vous demandons pas de vous exprimer au nom de vos administrations officielles et je sais que certains d'entre vous ont déjà exprimé des réticences à ce sujet. Nous vous avons demandé de venir parce que vous êtes des spécialistes et parce que vous pouvez nous aider à comprendre les relations entre la victime d'un crime et le système pénal.

Notre objectif ultime est d'essayer de trouver le moyen d'évaluer la situation actuelle des victimes dans le système de justice pénal, de définir ce qui sert les victimes, de définir ce qui les dessert et d'essayer de déterminer les changements opportuns pour demain.

Nous sommes aussi réunis pour faciliter le débat entre les Canadiens et attirer l'attention des Canadiens sur ce problème particulier qui peut paraître tout à fait évident pour les concernés mais qui parfois ne bénéficie pas du genre de conscience publique ou de compréhension publique qu'il mérite.

En tant que législateurs fédéraux, nous aimerions vous rappeler que lorsque nous discutons du système de justice pénal au Canada, tant les gouvernements fédéral que provinciaux et territoriaux jouissent de compétences législatives. Le Parlement jouit de la compétence de promulgation du droit pénal et de la procédure mais les assemblées provinciales et territoriales ont la responsabilité de l'administration de la justice. Il ne faut pas l'oublier car, comité fédéral, nous ne voulons pas outrepasser nos compétences.

Notre personnel a préparé pour vous trois thèmes de discussion qui ont pour objectif d'examiner d'une manière systématique le rôle des victimes aux différentes étapes du système de justice pénal. Ce document se trouve dans le document principal qui vous a été donné.

Pendant le déroulement de cet exercice, j'aimerais que vous n'oubliiez pas les choses suivantes: la majorité des questions relatives au premier thème—que nous aborderons dans un instant—relèvent des autorités provinciales et territoriales. Notre discussion ne porte pas sur elles. Elles ne font pas l'objet de notre discussion. Nous les rappelons simplement pour ne pas oublier qu'il ne sera peut-être pas possible au gouvernement fédéral de prendre des mesures législatives les concernant.

Les deuxième et troisième thèmes que nous aborderons cet après-midi et demain matin relèvent dans une large mesure du Code criminel et de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Il est vraisemblable que la Loi sur les jeunes contrevenants sera aussi abordée dans le cadre de chacun de ces thèmes.

Il est possible que d'autres questions soient soulevées qui ne s'inscriront pas directement dans un des thèmes mais les concerneront tous d'une certaine manière—des questions comme la notion de plus en plus avancée de justice réparatrice pour les victimes et les délinquants dans le système pénal; la création d'un bureau des victimes au ministère de la Justice, la création d'un ombudsman pour représenter les victimes auprès des Services correctionnels du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles; et d'un énoncé officiel des droits des victimes dans le système de justice pénal.

Enfin, s'il y a une chose que nous avons apprise—que nos audiences nous ont appris, qui reviendra certainement sur le tapis aujourd'hui et dont nous souhaitons vraiment discuter—c'est le besoin de communication et d'information à toutes les étapes de la procédure réclamé par les victimes. Nous avons reçu le message cinq sur cinq. Nous avons besoin de votre aide pour trouver le moyen de combler ce besoin.

Un ou deux petits détails pratiques: nous avons prévu des pauses-café et elles sont indiquées dans votre programme. Nos réunions sont télévisées et, chose drôle avec la télévision, c'est qu'après un certain temps on finit par oublier les caméras et si l'un d'entre vous me voit me gratter, faites-moi signe.

Enfin, j'ai un maillet et je n'hésiterai pas à m'en servir si vous êtes trop long. Je ne donnerai pas forcément la parole aux gens selon l'ordre d'inscription et je vous dirai pourquoi. Lors de chacune de ces réunions nous nous apercevons que certaines personnes restent silencieuses pendant longtemps et décident tout d'un coup qu'il est temps pour elles de parler. D'autres lèvent la main toutes les trois minutes. Nous sommes tous les mêmes, nous sommes tous humains. J'essayerai donc d'exercer une certaine discrétion. Si elle ne vous plaît pas, dites-le moi lors des pauses et nous verrons ce que nous pouvons faire.

• 0920

Nous voulons un débat équilibré et nous voulons entendre tout le monde. Nous vous avons invités parce que nous savons que vous avez quelque chose à dire et parce que nous voulons vous entendre.

Je devrais alors ajouter qu'il y a beaucoup de gens qui n'ont pas été invités non pas parce que nous n'en voulions pas mais parce que nous avons estimé que vous étiez représentatifs de tous ces divers groupes.

Il y a aussi des gens dans cette salle qui pourront jouer le rôle et joueront le rôle de personnes ressources. Il y a des représentants du ministère de la Justice, du bureau des ministres et aussi de la bureaucratie qui sont des spécialistes de ces questions et qui peuvent nous apporter une assistance.

Pour que vous sachiez qui d'autre se trouve autour de la table, il y a Phil Rosen, notre directeur de recherche de la Bibliothèque du Parlement et Marilyn Pilon qui est aussi une de nos attachés de recherche. Marilyn et Phil sont à eux deux une somme de renseignements et si vous avez une question technique ou si vous avez besoin d'aide, je suis certain qu'ils vous aideront.

Catherine Kane travaille pour le ministère de la Justice et en connaît plus sur cette question que la plupart des gens que j'ai jamais rencontrés, nous sommes très heureux qu'elle soit avec nous. Elle est très utile et je sais qu'elle se fera un plaisir de vous aider si vous avez besoin d'une réponse à une question particulière formant la base d'un commentaire que vous voulez faire.

Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter si ce n'est que j'ai mon maillet et, comme je vous l'ai dit, que je n'hésiterai pas à l'utiliser.

Nous allons maintenant faire un bref tour de table. J'aimerais que vous vous présentiez et que vous nous disiez avec quel groupe vous êtes, pas qui vous représentez—ici, c'est vous que vous représentez—mais ce que vous faites ou quel est votre rôle. Je vous demanderai de ne pas en profiter pour faire une déclaration politique mais simplement de nous dire pourquoi vous vous intéressez à ces questions et qui vous êtes.

Allez-y. Gary Rosenfeldt.

M. Gary Rosenfeldt (témoignage à titre personnel): Merci, Shaughnessy.

Je m'appelle Gary Rosenfeldt. Je suis le directeur de Victims of Violence. Je m'intéresse à la cause des victimes en vérité depuis environ 17 ans, depuis que notre fils de 17 ans a été assassiné par Clifford Olson à Vancouver.

M. Arnold Blackstar (témoignage à titre personnel): Bonjour. Je m'appelle Arnold Blackstar et je suis directeur des Services communautaires de la Federation of Saskatchewan Indian Nations. Je participe au programme communautaire de justice réparatrice de la Saskatchewan, raison principale de ma présence.

Mme Kathy J. Louis (témoignage à titre personnel): Bonjour. Je m'appelle Kathy Louis. Je suis la vice-présidente régionale de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Cependant, ce matin, je ne suis pas ici pour représenter la Commission. Je suis ici à titre de personne ressource, enfin je l'espère, pour les questions de justice réparatrice et de guérison.

M. Andrew Telegdi (Kitchener—Waterloo, Lib.): Je m'appelle Andrew Telegdi, je suis député de Kitchener—Waterloo et membre du Comité de la justice.

M. John Goertzen (témoignage à titre personnel): Je suis un citoyen responsable de Niagara et je m'efforce d'introduire dans cette région des services aux victimes.

Mme Lynne Kainz (témoignage à titre personnel): Je travaille pour le programme judiciaire d'aide aux victimes et témoins du ministère du procureur général de l'Ontario. Nous avons pour mandat d'aider les victimes et les témoins tout au long de la procédure de justice pénale.

Mme Colette Mandin-Kossowan (témoignage à titre personnel): Je suis d'Edmonton, en Alberta. Je suis la présidente pour l'Alberta de CAVEAT (Canadians Against Violence Everywhere Advocating Extermination) (Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation). Je défends les victimes. Quatre membres de ma famille ont été victimes d'homicide en 1991 et depuis, je milite.

[Français]

M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Richard Marceau, député de Charlesbourg, Bloc québécois.

[Traduction]

M. Peter Quinn (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Peter Quinn. Je suis le coordinateur d'un programme de la Gendarmerie royale pour Banff et Canmore en Alberta. Depuis deux ans, je suis également le président des services aux victimes offerts par la police de l'Alberta.

Mme Joanne Jarvis (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Joanne Jarvis et je suis la coordinatrice nationale des Services aux victimes de MADD Canada, Mothers Against Drunk Driving.

Mme Elizabeth Sheehy, professeur (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Elizabeth Sheehy. J'enseigne le droit à l'Université d'Ottawa. J'enseigne le droit pénal et les femmes et le droit. Tout mon travail porte sur la question de l'égalité des droits des femmes dans le contexte du droit pénal et de la violence contre les femmes.

Mme Rosalee Turcotte (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Rosalee Turcotte. Je suis de Mission, en Colombie-Britannique. Je m'intéresse aux questions concernant les victimes depuis 1991, quand mon fils, Ken a été assassiné.

• 0925

M. Nigel Allan (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Nigel Allan. Je suis de Nouvelle-Écosse. Je m'occupe de poursuites criminelles.

Mme Susanne Dahlin (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Susanne Dahlin. Je suis la directrice du Secteur de la communauté judiciaire, Section d'aide aux victimes de la Colombie-Britannique. Nous avons la responsabilité des victimes de droit pénal en Colombie-Britannique, des programmes opérationnels de la violence contre les femmes et des initiatives pour les enfants ainsi que du programme d'indemnisation des dommages criminels.

Mme Janet-Constable Rushant (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Janet-Constable Rushant. Je travaille pour les services aux victimes du gouvernement territorial du Yukon.

M. Irvin Waller (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Irvan Waller du International Centre for the Prevention of Crime, basé à Montréal. Cela fait plus de 20 ans que je m'occupe des problèmes des victimes. J'ai démissionné d'un poste de cadre supérieur assez élevé au Bureau du solliciteur général à la fin des années 70 parce que je trouvais qu'on n'en faisait pas assez pour les victimes et depuis j'essaie d'obtenir plus pour elles.

[Français]

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Paul DeVillers, député de Simcoe-Nord et secrétaire parlementaire de Stéphane Dion, le ministre des Affaires intergouvernementales.

[Traduction]

Mme Wilma Derksen (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Wilma Derksen, directrice de Victims' Voice qui a pour mission avant tout de raconter l'histoire des victimes et de décrire la guérison. Nous n'existons que depuis un an et demi mais je m'intéresse aux questions touchant les victimes depuis que ma fille a disparu en 1984, il y a 13 ans.

Mme Karen O'Hara (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Karen O'Hara. Je suis la directrice exécutive de Tearman House, centre d'hébergement pour les femmes battues à New Glasgow en Nouvelle-Écosse. Nous offrons un programme de défense et d'intervention anticipées.

Mme Brenda McDonald (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Brenda McDonald. Ma soeur, Susan Klassen, a été assassinée par son ex-conjoint à Whitehorse au Yukon le 2 novembre 1995. Confrontée au système comme victime secondaire, j'ai constaté que le rôle qu'on attribuait à la victime dans la procédure laissait beaucoup à désirer. J'ai vu qu'il y avait beaucoup de place pour des changements positifs dans tout le système judiciaire.

M. Bob Witman (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Bob Witman. Je suis le coordinateur du programme New Leaf à New Glasgow. Bien que nous nous occupions des délinquants avant tout, notre programme s'intéresse de près aux victimes dans la mesure où nous avons comme priorité la sécurité pour les victimes de violence conjugale.

Mme Joanne Vogh (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Joanne Vogh. Je suis de Chilliwack en Colombie-Britannique. Je participe au programme de la Nation Stz'lo et je suis ici parce que ma soeur est morte il y a cinq ans.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Je m'appelle Peter MacKay. Je suis député de Nouvelle-Écosse, membre du Comité de la justice et ancien procureur de la couronne de la province de Nouvelle-Écosse.

M. Marvin Bloos (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Marvin Bloos. Je suis le président du Conseil canadien des avocats de la défense. J'ai exercé comme avocat de la défense pendant 21 ans. Notre association regroupe au niveau national les avocats de la défense.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Chuck Cadman, député de Surrey-Nord en Colombie-Britannique. Je m'intéresse à ces questions depuis le meurtre de mon fils en 1991.

M. Rick Prashaw (témoignage à titre personnel): Rick Prashaw, Conseil des églises pour la justice et la criminologie. Notre organisation est nationale mais nous nous efforçons de nous intéresser aux questions locales ou communautaires et de trouver des remèdes aux dommages causés par les crimes quels qu'ils soient.

[Français]

M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): Je m'appelle Michel Bellehumeur et je suis député du Bloc québécois et membre du comité permanent depuis 1993. Madame la présidente, l'un de mes rôles est de surveiller tout empiétement du fédéral dans les domaines de juridiction provinciale.

Mme Michèle Roy (témoigne à titre personnel): Je m'appelle Michèle Roy. Je suis du Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel et je représente aussi l'Association canadienne des centres contre le viol.

[Traduction]

Mme Joanne Marriott-Thorne (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Joanne Marriott-Thorne. Je suis la directrice de la Division des Services aux victimes du ministère de la Justice de Nouvelle-Écosse. Notre division a la responsabilité des programmes qui visent tout particulièrement les victimes de crimes relevant du système de justice pénal de Nouvelle-Écosse.

M. Michael Lomer (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Michael Lomer. Je suis avocat de la défense à Toronto. J'exerce depuis 17 ans et je suis membre de l'exécutif de la Criminal Lawyers Association en Ontario.

Mme Priscilla de Villiers (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Priscilla de Villiers et je suis présidente de CAVEAT (Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation), organisme national de défense des victimes qui a été créé après la mort de ma fille en 1991.

M. Steve Sullivan (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Steve Sullivan. Je suis le directeur exécutif du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, groupe de pression nationale pour les victimes.

[Français]

Mme Arlène Gaudreault (témoigne à titre personnel): Je m'appelle Arlène Gaudreault et je suis présidente de l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes inc. Je suis impliquée dans le secteur de l'aide aux victimes et de la défense des droits des victimes depuis 1984 et j'enseigne aussi la victimologie à l'Université de Montréal.

• 0930

[Traduction]

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Je m'appelle John Maloney. Je suis député de la circonscription d'Erie—Lincoln, dans la péninsule du Niagara en Ontario et membre du comité de la justice.

Madame la présidente, si je peux me permettre, pour ceux qui ne l'ont pas déjà fait, vous avez à votre disposition des écouteurs et en plus ils vous donnent l'interprétation du français à l'anglais et de l'anglais au français. Je remarque que certaines personnes n'ont pas mis ces écouteurs et je crois que vous constaterez qu'on entend beaucoup mieux avec eux.

Le sergent Randy Wickins (témoignage à titre personnel): Bonjour. Je m'appelle Randy Wickins. Je suis le sergent responsable de l'unité des services aux victimes de la Police d'Edmonton. Je suis officier de police depuis environ 13 ans et depuis un ou deux ans je travaille à la mise au point d'un programme fondé sur le modèle de la conférence de groupe familial pour traiter des crimes. Nous qualifions cet exercice de conférence communautaire.

La présidente: Merci.

Permettez-moi de renforcer ce que John a dit tout à l'heure. Dans une pièce comme celle-ci l'acoustique n'est pas très bonne et ces écouteurs vous permettent d'entendre votre propre langue mais aussi l'interprétation et vous constaterez aussi que cela amplifie le son.

Il y aura d'autres gens qui se joindront à nous cet après-midi qui ne pouvaient être ici dès ce matin, pour des raisons de déplacement, et ils se présenteront lorsqu'ils arriveront.

Enfin, laissez-moi dire à ceux d'entre vous qui étaient à l'hôtel Citadel hier soir, que je ne suis en rien responsable du déclenchement de l'alerte au feu à une heure du matin mais je crois savoir que cela a permis à certains d'entre vous de se retrouver et de discuter et que vous étiez tous charmants dans vos vêtements de nuit!

Je vais demander à John Maloney, qui est vice-président de notre comité, de présenter le premier thème.

M. John Maloney: Merci, madame la présidente.

Le premier thème ce matin concerne le rôle et les droits des victimes aux étapes de l'enquête, de l'inculpation et des poursuites.

Ce qui nous a posé, entre autres, un gros problème, c'est la définition de «victime». Il y a différentes définitions dans le code pénal, dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous nous demandons, et nous vous demandons, s'il ne serait pas judicieux d'avoir une définition commune et, s'il en existe déjà une que nous pourrions peut-être utilisée, devrions-nous le faire?

Il y a un autre point. En 1988, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux ont entériné la Déclaration canadienne des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité. Depuis, les territoires et les provinces ont adopté des lois pour les victimes mais ces lois varient d'une juridiction à l'autre. Elles prévoient des mesures concernant des services aux victimes, les besoins d'information des victimes, mais il n'y a pas uniformité et nous nous demandons si ce n'est pas nécessaire.

À la page 3 de la brochure de renseignements que nous vous avons distribuée, sont exposés divers thèmes et diverses rubriques que nous pourrions aborder et j'aimerais attirer votre attention sur le premier paragraphe de cette page.

    1. En admettant qu'il faille améliorer les lois et les programmes des provinces et des territoires, quelles modifications faudrait-il y apporter? Y a-t-il des lois ou des programmes qu'il faudrait reprendre dans tout le pays?

La présidente: Pendant que vous réfléchissez un instant à ce document préparé par Philip Rosen, notre analyste principal, je suppose que certains d'entre vous ont déjà des commentaires à faire.

Je vais vous demander de vous concentrer une minute sur la définition de «victime». Parfois définir des thèmes est le meilleur moyen de progresser et je vous demanderai, au cas où vous ayez une idée instantanée à ce sujet, que vous me fassiez signe afin que je puisse vous donner la parole; autrement je continuerai à parler. Je peux parler pendant des heures.

Je vois que vous voulez que je continue à parler.

Définir le terme «victime» pose en partie le problème du conflit inhérent entre ce que nous appelons les droits de la victime dans la procédure et les droits de l'accusé. Je sais qu'il y a des gens à cette table qui vous répondront abruptement que dans notre système de justice, il ne peut y avoir de victimes tant que l'accusé n'a pas été effectivement inculpé du délit.

J'estime que pour les victimes de crime c'est une circonstance très problématique au niveau de leur participation à la procédure judiciaire. Il me semble que c'est le premier conflit inhérent au premier thème.

Michel.

• 0935

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Je vais vous dire ce qu'est une victime en vertu de la Loi sur l'aide et l'indemnisation des victimes d'actes criminels du Québec. On dit à l'article 1: «Dans la présente loi, est considérée comme une victime d'un acte criminel toute personne physique qui, à l'occasion d'un acte criminel commis au Québec, subit une atteinte à son intégrité physique ou psychologique ou une perte matérielle, que l'auteur de cet acte criminel soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou reconnu coupable. Sont également considérés comme des victimes ses proches et ses personnes à charge.»

Je pense qu'on définit assez bien ce qu'est une victime. C'est ce qu'on veut atteindre au Québec par la Loi sur l'aide et l'indemnisation des victimes d'actes criminels.

[Traduction]

La présidente: Merci, Michel.

Michèle Roy.

[Français]

Mme Michèle Roy: Il y a une autre mise au point que nous souhaitons faire et nous aimerions que ce comité en tienne compte dans ses travaux. La majorité des victimes sont des femmes, mais on fait abstraction de cela dans les discussions actuelles. Dans les faits, je travaille avec des femmes victimes d'agression sexuelle. Je travaille conjointement avec des femmes qui travaillent en maison d'hébergement pour femmes victimes de violence conjugale et avec des femmes qui sont victimes de harcèlement au travail, dans leur milieu de vie. Qu'on pense à toutes les situations au sein de l'armée dont on a fait état dernièrement. Beaucoup de femmes sont victimes de crimes contre la personne parce qu'elles sont des femmes. C'est une donnée qui devrait être réintroduite dans les travaux, que ce soit au niveau de l'analyse des problèmes qui sont vécus par les victimes ou au niveau des conséquences, des moyens qui sont mis en place et des changements législatifs qui sont proposés. On doit inclure une analyse de ce genre et des propositions d'action qui en tiennent compte.

[Traduction]

La présidente: Paul Devillers.

M. DeVillers: Madame la présidente, à ce sujet, est-ce que notre analyste principal a des statistiques sur la démographie des victimes? Avons-nous fait des recherches dans ce sens sur le nombre de victimes masculines, féminines, les catégories d'âge, etc.?

La présidente: Je crois que certaines recherches ont été faites mais nous n'en avons pas les résultats avec nous.

Le professeur Waller pourrait peut-être nous assister. N'est-ce pas?

J'ai oublié de vous dire que si personne ne se manifeste, je désignerai des volontaires.

Des voix: Oh, oh!

M. Irvin Waller: Pour ce qui est du profil des victimes, il y a quelques renseignements dans les enquêtes de Statistique Canada, les enquêtes sur la «victimisation», et aussi dans l'enquête sur la violence contre les femmes, mais je ne crois pas qu'il y ait vraiment de bonnes données dans notre pays. Beaucoup d'autres pays du G-7 font des enquêtes régulières qui indiquent le profil des victimes de tout un éventail de crimes, y compris des enquêtes spéciales sur la violence contre les femmes. Je pense que ce serait certainement une bonne chose d'avoir un peu plus de données de ce genre car c'est une des manières de donner à cette question une plus grande visibilité.

Pour ce qui est de la question plus générale de la définition, je n'ai malheureusement pas d'exemplaire de la déclaration des Nations Unies qui contient une définition quelque peu analogue à celle du Québec mais contient aussi un deuxième paragraphe sur les questions relatives au type particulier de victimes. Les femmes constituent à l'évidence un groupe très important mais je crois qu'il y a d'autres groupes de victimes qui ne devraient pas non plus être inclus dans la catégorie générale des victimes. Je crois nécessaire de ne pas penser simplement en termes de définition mais aussi en termes de sensibilisation.

Il y a une troisième chose que j'aimerais signaler car elle me tient énormément à coeur. Je suis surpris de ne pas voir un responsable de la hiérarchie de la Gendarmerie royale et je suis surpris de ne pas vous avoir entendu mentionner une fois la Loi de la Gendarmerie royale dans votre introduction. Il me semble que s'il y a une chose que les législateurs fédéraux peuvent faire en faveur des victimes du crime, c'est apporter des changements à la Loi de la Gendarmerie royale qui incluraient votre définition mais qui incluraient aussi une sorte d'énoncé des buts et des objectifs. L'effet de domino pourrait être beaucoup plus important dans tout le pays qu'une simple insertion dans la Loi sur les services correctionnels.

• 0940

Je ne dis pas qu'intervenir à ce niveau n'est pas important mais s'il y a une administration à laquelle les victimes s'adressent c'est la police. Beaucoup ne le font pas, bien entendu, ce qui de mon point de vue met en cause la sensibilité de la police à ce problème. Dans le cadre de ce premier thème, j'aimerais que l'on discute plus de ce que pourrait faire la police et de ce qui pourrait être fait, non pas simplement au niveau de la formation, mais au niveau du mandat... accompagné de la nécessité de rendre des comptes.

La présidente: Permettez-moi de vous lire la définition de victimes contenue dans la déclaration de principes qui a été adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en novembre 1985. C'est un texte que le Canada a ratifié:

    1. On entend par «victimes» des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d'actes ou d'omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir.

Je crois que vous avez raison. C'est une définition assez générale.

Monsieur Bloos.

M. Marvin Bloos: J'ajouterais simplement que dans cette déclaration, au paragraphe 2, il me semble qu'on pourrait également inclure les membres des familles des agresseurs dans la définition de victimes, car la condamnation pour un crime peut avoir des conséquences catastrophiques sur la famille de l'accusé. Les femmes, les enfants et les familles peuvent êtres détruits, surtout quand le contrevenant est envoyé en prison pour longtemps.

Il y a aussi le danger du dérapage dans la présomption de culpabilité. Comme la présidente l'a indiqué au début de la réunion, il y en a qui prétendent qu'il n'y a pas de victime tant qu'un tribunal n'a pas établi au-delà de tout doute raisonnable qu'un crime a bel et bien été commis. Bien entendu, cela nous ramène aux principes traditionnels du droit pénal qui ont pour objet non pas de faire valoir les droits de la victime mais de déterminer si oui ou non un délit a été commis et, une fois ce délit commis, de déterminer la peine correspondante.

Je suis certain qu'en grande partie, notre discussion aujourd'hui portera sur le caractère approprié de la peine et le rôle que doit jouer la victime au niveau de sa détermination. Pendant l'instruction, à mon avis, le rôle de la victime doit être soigneusement défini, voire délimité, car à partir du moment où vous faites entrer la victime dans l'équation, quand vous mesurez le potentiel d'indemnisation économique ou psychologique, il faut alors prendre en considération le genre de partialité que cela peut engendrer. Une chose que l'histoire et l'expérience nous ont enseigné est que même des témoins impartiaux ou des témoins dont l'intérêt n'est pas en jeu peuvent fort bien se tromper dans leur témoignage. Si nous créons un système dans lequel nous donnons désormais un rôle prépondérant à la victime au-delà de celui de témoin ordinaire, nous courrons également le risque et le grand danger d'introduire une partialité qui doit être prise en compte par le tribunal.

La présidente: Merci.

Rick Prashaw.

M. Rick Prashaw: Après avoir écouté toutes sortes de gens victimes de toutes sortes de crimes, notre conseil a conclu qu'il était impératif de ne pas oublier qui est responsable de cette définition et à quelle fin. Si c'est le Parlement, cela peut être pour une raison, et si c'est la victime, cela peut être pour une autre. Cela peut être l'agent de police chargé de l'inculpation. Il y a des questions globales qui concernent la société et la collectivité, et si nous adoptons une définition uniquement pour qu'elle corresponde à nos besoins professionnels, quels que soient ses besoins, ce sont les victimes, les délinquants et les collectivités qui finissent par en payer les conséquences, conséquences qu'on constate tous les jours.

Pour postuler la définition d'une victime, j'ajouterais simplement ceci: qui pose la question et qui donne la définition? Dès lors qu'une définition est donnée, certains sont exclus.

• 0945

La semaine dernière, Ross Hastings a parlé des victimes à répétition lors de la conférence de l'Atlantique sur la prévention de la criminalité. Son intervention m'a fait réfléchir. Michèle a demandé ce matin pourquoi certains groupes de gens sont des victimes à répétition. Pourquoi, selon la catégorie, la race et le sexe, certaines personnes peuvent-elles plus souvent être étiquetées comme victimes? Voilà le genre de questions qu'il faut poser.

Je pense que c'est une bonne chose de tenir un dialogue mais ici encore, je ne suis pas naïf. Je sais que nous ne pouvons pas demeurer dans la généralité des choses. Il doit y avoir un système qui permette de répondre à ces besoins. En revanche, dès lors que vous rétrécissez le domaine, excluant donc certaines personnes, vous excluez là aussi beaucoup de gens qui, quoique dans le camp des criminels, ont également été des victimes, et vous excluez par la même occasion leurs familles, et pour ce qui est du camp des victimes, vous excluez les victimes à répétition.

Là aussi, ces gens demande qu'on fasse quelque chose au sujet de ce qui leur est arrivé à eux. Nous essayons de leur trouver immédiatement un créneau, dès le départ, et de les intégrer dans une vision systémique des choses. Cela peut alors être source de problèmes.

La présidente: Peter MacKay.

M. Peter MacKay: Je n'oublie certes pas ce qu'a dit M. Bloos au sujet de la présomption d'innocence et je pense que nous devons toujours avoir cela à l'esprit. Mais il arrive qu'une personne devient elle-même une victime dès lors que sa mère, sa soeur, sa fille ou elle-même a été blessée ou violée. C'est à ce moment précis qu'à mon avis on devient une victime.

Le système judiciaire a tendance à être très stérile. Puis l'État ou le corps policier qui fait enquête prend la relève. C'est à ce moment-là que les victimes commencent à se sentir exclues ou ignorées. Pour citer Steve Sullivan, les victimes ne reçoivent ni la dignité, ni le respect dont elles ont besoin.

Il à espérer que ce que nous allons pouvoir un peu mieux comprendre pendant cette journée et demie, c'est la façon dont on pourrait peut-être arrondir les angles du système. Nous n'allons pas nécessairement dire aux victimes oui, c'est vous qui allez pouvoir nous dire comment conduire notre enquête ou si nous devons ou non inculper ou encore procéder d'une certaine façon, mais effectivement vous allez être consulté, vous allez être tenu au courant du déroulement des choses et vous allez avoir votre mot à dire dans les décisions qui vont devoir être prises—peut-être pas de façon péremptoire, mais vous allez néanmoins pouvoir participer parce que ce qui s'est passé vous a déjà affecté. Dès lors que le crime a eu lieu, l'effet est là.

La présidente: Priscilla de Villiers.

Mme Priscilla de Villiers: Quelqu'un m'a dit de façon assez acerbe il y a environ une semaine que nous étions devenus une nation de victimes. Je pense que le terme même de «victime» est utilisé à la légère, sans trop y réfléchir. C'est un mot qui, dès lors, est galvaudé, il est devenu un genre de fourre-tout pour quiconque a matière à grief ou veut s'en prendre à un système quel qu'il soit.

Cette définition est donc tout à fait essentielle, même si c'est la seule chose que vous parvenez à faire grâce à ces discussions. Je dois vous dire que très peu de temps après l'assassinat de ma fille, j'étais complètement abasourdie d'entendre parler de cette dichotomie victime-criminel, et de comprendre que cela signifiait que le criminel est lui aussi une victime et doit donc être considéré comme telle. Cela a créé chez moi une énorme confusion.

Et comme j'ai parcouru tout le système, je comprends très bien le raisonnement qui le sous-tend, mais je pense que nous devons revenir à l'idée que si nous partons du principe qu'il y a eu préjudice, il y a eu crime. Il appartient alors aux tribunaux de décider qui a commis le crime.

Comme Peter l'a dit, il y a une victime manifeste, et il doit être tout à fait évident dès le premier instant que cette personne est à ce moment-là la victime. Si, plus tard, la personne en question à son tour commet un crime et dit qu'elle l'a fait parce qu'un crime a été commis à son endroit antérieurement et que dès lors cette personne est elle aussi une victime parce qu'à ce moment-là c'est ce qu'elle est devenue, ainsi peut-on lui accoler le qualificatif de victime.

J'ai le sentiment qu'il y a beaucoup trop de victimes. J'espère que vous êtes aussi interloqués que moi par ma petite tirade, parce que c'est précisément ce que j'ai ressenti.

Je dois également vous dire que ce genre de mal est commis littéralement chaque jour. À ma grande surprise, je lisais l'autre jour dans le journal qu'un avocat qui venait lui-même de sortir du pénitencier prétendait être la victime du système. Il n'en demeure pas moins qu'il avait été condamné à purger Dieu sait combien d'années dans ce pénitencier et je me suis dit à ce moment-là, voilà, c'est toujours le même terme qui revient.

• 0950

Ce que nous devons, je crois, établir dès le départ, c'est l'identité de la victime et le moment auquel on devient une victime. Il doit y avoir un entendement très clair, aussi bien dans les médias que dans les tribunaux, ainsi que dans l'esprit des gens eux-mêmes, de l'endroit où on se situe exactement. Pour moi, l'argument de Rick est extrêmement important, en l'occurrence que si nous définissons qui est et ce qu'est la victime en vertu du Code criminel, est-ce que cela suffira à répondre aux besoins sociaux au sens plus large que connote ce terme? Je pense que toute cette question donne lieu à énormément d'angoisse, de confusion et de discours extrêmement ésotériques. Tout cela masque la réalité qui est qu'il y a quelqu'un qui a été la victime d'un crime, dont il faut s'occuper et qui a besoin que cela soit pris en compte à ce moment-là. C'est cela je pense que je voulais dire.

La présidente: Merci, Priscilla.

Peter Quinn.

M. Peter Quinn: Je voudrais simplement poursuivre l'argument voulant que le système risque d'être biaisé si quelqu'un est considéré comme une victime trop tôt dans tout le processus. Je pense que c'est probablement pour moi l'un des problèmes que je peux envisager au quotidien, c'est-à-dire que les gens ont besoin d'aide sitôt après l'événement. Ce n'est pas un mois, deux mois, six mois ou un an ou plus tard, lorsque les tribunaux auront effectivement décidé qu'il s'agit d'une victime. Ce que je constate, c'est que ces gens-là ont besoin d'aide immédiatement.

Ce qui est vraiment utile pour ces gens, je l'ai constaté, c'est de pouvoir compter immédiatement sur certains services. À mon sens, le fait d'avoir ces services, le fait d'offrir ce genre d'informations, donne ni plus ni moins aux gens une idée réaliste de ce qui va se passer pendant tout le processus, leur apprend quand il est préférable pour eux d'intervenir et quel est le genre d'intervention qui convient le mieux. Lorsque je travaille avec des policiers ou avec des procureurs qui font précisément ce genre de choses, je me rends compte que les intéressés, c'est-à-dire les victimes, sont extrêmement satisfaites parce qu'elles peuvent participer, parce qu'elles sont intégrées au processus.

Ne pas offrir ces services pour la seule raison que cela risquerait de biaiser le système est, dirais-je, l'une des choses qui entrave probablement le plus le système en produisant des victimes au second degré, ce dont beaucoup de gens ont parlé déjà en termes très vifs. J'ai personnellement parlé à beaucoup de gens qui m'ont dit que le pire n'avait pas été l'acte dont ils avaient été victime, mais plutôt le passage devant les tribunaux. C'est pour cette raison qu'à mon avis il faut ce genre de vulgarisation. Et il en faudra énormément avant que quoi ce soit d'autre puisse survenir.

La présidente: Je vous remercie.

Steve Sullivan.

M. Steve Sullivan: Dans la même veine que Priscilla et Peter, peu importe que celui qui a assassiné la fille de Priscilla ait été ou non identifié, sa fille est morte. Elle demeure une victime, elle continue à souffrir. Elle a quand même besoin de certains services, elle a quand même besoin d'information. Je pense qu'il vous faut une définition suffisamment large pour intégrer, selon la terminologie utilisée, les victimes primaires et secondaires. Si quelqu'un a été agressé, ce quelqu'un est une victime. Si l'enfant de quelqu'un a été assassiné, ce quelqu'un est une victime. Voilà le genre de définition qu'il nous faut, quelque chose qui soit suffisamment large pour intégrer les gens comme cela.

À différentes étapes du processus, vous allez définir les droits et le genre d'accès que doivent avoir ces victimes, mais nous parlons ici du tout début du processus, avant même qu'un coupable ait été déclaré. Les victimes ne demandent rien qui puisse priver l'accusé de ses droits. Tout ce qu'elles veulent c'est de l'information, les dates du procès—ce genre de chose. Cela n'attaque en rien le droit qu'a l'inculpé d'être présumé innocent.

L'autre chose est par exemple que les programmes d'indemnisation des victimes d'actes criminels n'exigent pas nécessairement qu'il y ait condamnation ou identification d'un coupable pour qu'il y ait indemnisation.

Je voudrais revenir également sur ce qu'a dit M. Bellehumeur, c'est-à-dire que la définition en usage au Québec est bonne. Celle de la Colombie-Britannique l'est également. Ce sont des définitions très larges. Toutes deux sont un genre de fourre-tout et je pense que c'est le genre de définition que nous voudrions avoir au Canada.

La présidente: Arlène Gaudreault.

[Français]

Mme Arlène Gaudreault: Madame la présidente, je suis un peu surprise qu'on discute de la question de la définition de la victime en 1998, puisque je pense qu'on a actuellement tous les outils nécessaires dans les différentes loi. On a mentionné la Loi sur l'aide et l'indemnisation des victimes. Il n'y a pas que le Québec qui ait une loi sur l'aide aux victimes.

• 0955

Toutes les provinces ont adopté des lois sur l'aide aux victimes qui donnent de très bonnes définitions de la victime et qui comprennent des notions qui préoccupent plusieurs des parents, notamment la question des proches des victimes. Il y a aussi une excellente définition dans la déclaration de l'ONU ainsi que dans la recommandation du Conseil de l'Europe. La Loi sur les libérations conditionnelles, qui a été modifiée en 1992, donne aussi une très bonne définition, une définition large.

Je pense que le problème de la définition est un faux problème. C'est la façon dont les gens sont traités à partir de cette définition qui est beaucoup plus problématique. On ne devrait pas perdre trop de temps à s'entendre sur une définition, parce que cette définition existe. On ferait peut-être mieux de travailler, dans le cadre de ces deux journées, sur les problèmes concrets auxquels se heurtent les victimes dans le système de justice, par rapport aux libérations conditionnelles. Par exemple, depuis 1988, il y a eu de nombreuses modifications au Code criminel, dont certaines ont trait aux victimes d'actes criminels.

En 1983, on a publié un rapport important intitulé: Une justice pour les victimes d'actes criminels. Il y a eu énormément de choses. Je pense qu'on ne part pas de zéro, mais il faudrait regarder ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Les modifications au Code criminel sont-elles vraiment fonctionnelles? Est-ce mis en place pour les victimes? Est-ce que les victimes sont bien traitées à toutes les étapes? Quelles sont les obligations de chacun, que ce soit les policiers ou les procureurs?

Humblement, je suggérerais qu'on ne perde pas trop de temps sur la question de la définition, parce que je pense qu'on a tous les outils nécessaires.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie.

Susanne Dahlin, puis nous passerons à la question suivante.

Mme Susanne Dahlin: Je voudrais préciser que je trouve moi aussi que la définition devrait être assez large dès le départ, et que nous devrions effectivement axer notre intervention sur les services de soutien que nous offrons aux victimes.

Nous devrions proposer dans toute la mesure du possible une politique portes ouvertes. Les trois choses dont ont surtout besoin les victimes de vol ou de cambriolage sont de l'information, de l'aide et la défense de leurs droits. Lorsque nous arrivons au niveau des victimes de traumatisme, à ce moment-là nous avons besoin de services plus spécialisés, une formation spécialisée, et nous devons aider ces victimes avec beaucoup plus d'attention. Voilà le genre de chose qui devrait nous interpeller, mais je ne pense pas non plus qu'il faille exclure qui que ce soit du système.

Lorsque la solution est un service quelconque qui relève du judiciaire, notre programme d'aide aux victimes avec la participation des corps policiers—et c'est très vrai—est sans doute celui dont bénéficie le plus grand nombre de victimes. À mesure que, au fil du système, nous arrivons aux victimes qui finissent par se retrouver devant les tribunaux, et leur nombre est généralement plus faible, là aussi nous avons besoin de services plus spécialisés.

La présidente: Je vous remercie.

Je voudrais vous demander de réfléchir quelques instants—parce que nous y arrivons immanquablement—au genre de services qui devraient être offerts.

À la page 3 du document on pose certaines questions très précises. Au lieu de les passer en revue, je voudrais plutôt lancer la discussion dans l'espoir de pouvoir tout couvrir, mais sans trop structurer les interventions pour l'instant.

Nous cherchons donc quels sont les programmes qui existent déjà, quels sont les programmes qui semblent produire des résultats. En connaissez-vous un qui donne vraiment de très bons résultats dans votre communauté? Si vous avez été la victime d'un crime, y a-t-il quelque chose qui, dans le système, vous a été vraiment bénéfique, ou alors quelque chose qui n'a absolument pas marché? En revanche, si vous représentez un organisme officiel, un corps de police ou que sais-je encore, qu'est-ce que vous proposeriez pour améliorer encore les choses?

Et puisque nous sommes ici dans un secteur de compétences provinciales, j'imagine que ce que nous voulons faire en somme, c'est de nous remuer un peu les méninges pour découvrir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans la réalité des choses, davantage pour l'édification du public et pour celle des parlementaires présents qui veulent savoir ce qui se passe un peu partout au Canada.

Quelqu'un voudra-t-il commencer? Lynne Kainz, puisque vous venez de Windsor tout comme moi, pourquoi ne nous parlez-vous pas un petit peu de votre service?

L'une des choses que nous avons apprises, c'est qu'il y a en Ontario des différences énormes d'une communauté à l'autre, et vous pourriez peut-être nous dire quelques mots sur ce que votre service fait à Windsor et quels sont les autres organismes qui interviennent dans ce dossier.

Mme Lynne Kainz: Je vous dirais que Windsor est un cas unique en ce sens que les services communautaires et les services aux victimes fonctionnent excellemment en concertation. Nous travaillons beaucoup avec les services aux victimes de la police de Windsor.

• 1000

S'agissant des services aux victimes, nous devons reconnaître qu'il y a toute une série de services et que chacun de ces services est extrêmement important, à commencer par le programme des services offerts aux victimes par les corps policiers qui propose un service d'urgence 24 heures sur 24. En effet, les victimes ont besoin d'une aide immédiate. Je pense qu'il est essentiel d'avoir ce genre de programme dans chaque communauté.

Il y a souvent des crimes qui ne font l'objet d'aucune inculpation, et les victimes de ces crimes ont également besoin d'aide. Le service d'urgence offert aux victimes peut effectivement venir en aide à ces gens. Dès qu'une accusation est portée, à ce moment-là les victimes peuvent être prises en charge par des programmes comme le programme d'aide aux victimes-témoins.

Ici encore je pense qu'il est extrêmement important qu'il y ait une intervention immédiate, afin de pouvoir expliquer à la victime les conditions de la libération, où l'inculpé a été accusé, et ainsi de suite afin qu'elle sache immédiatement les conditions qui ont été imposées à l'accusé et qui l'intéressent directement, comme l'interdiction de se trouver à proximité de telle ou telle personne.

Il est également important que les victimes comprennent leur rôle dès lors qu'elles sont les victimes d'un acte criminel. La plupart des gens ne connaissent pas du tout le système judiciaire. Ils sont donc complètement dépassés. Ce n'est pas la victime qui décide d'intervenir ou non dans le système. Dès lors qu'on est une victime, on devient automatiquement témoin, et je pense qu'il est essentiel d'informer immédiatement la victime à ce sujet. Notre programme est également très axé sur le bien-être psychologique de la victime et il nous arrive souvent de confier une victime à un organisme communautaire bien placé pour la conseiller dans sa situation.

L'information est l'élément clé. Lorsque nous parlons aux victimes, lorsque nous leur demandons ce qui est le plus important pour elles, elles nous disent le plus souvent qu'elles veulent être informées sur ce qui se passe et tenues au courant des dates de comparution, elles veulent également participer et intervenir. Il est donc assurément important que les victimes aient le sentiment de pouvoir être entendues et de pouvoir exprimer ce qui les préoccupe le plus. Et si le suspect doit être remis en liberté, qu'est-ce qui préoccupe le plus la victime?

Nous assurons la liaison avec les procureurs de la Couronne, de sorte que si la victime va devoir témoigner, nous pouvons faire en sorte qu'elle rencontre le procureur. Nous ne discutons en revanche jamais de questions de preuve. Nous sommes simplement là pour fournir des renseignements. Je pense néanmoins qu'il est fondamental d'avoir les ressources nécessaires pour que les procureurs de la Couronne puissent rencontrer les victimes. Lorsqu'on est accusé, c'est un droit qu'on a automatiquement, même si, en raison des compressions budgétaires, je sais que ce droit été quelque peu limité. Je persiste toutefois à penser qu'il est impératif d'offrir la même chose aux victimes, c'est-à-dire la possibilité de rencontrer le procureur de la Couronne qui va s'occuper de son dossier.

Nous offrons également notre aide au niveau des déclarations de la victime. Cela aussi, c'est fondamental. Lorsque vous êtes partie prenante comme témoin dans une affaire pénale, il ne vous est jamais donné l'occasion de dire en quoi le crime vous a affecté. Pourtant, le crime a des impacts profonds et il faut que les victimes sachent qu'elles ont le droit de fournir une déclaration officielle, il faut qu'on leur dise comment elles doivent s'y prendre pour présenter une telle déclaration une fois qu'il y a eu condamnation.

Notre programme peut assurément les aider à ce niveau. Notre intervention s'arrête sitôt la chose jugée. À ce moment-là, nous faisons en sorte que la victime soit renseignée au sujet de la Commission des libérations conditionnelles afin qu'elle puisse rester en contact avec celle-ci.

La présidente: Je vais donner la parole à Brenda McDonald puis à Randy Wickins, mais j'ai néanmoins une question, qui est probablement la même que d'autres de mes collègues, et qui est comment notre société s'occupe-t-elle du travail en première ligne? Que se passe-t-il lorsqu'il y a agression? Qui est là, sur place, pour aider la victime, quel est le rôle de la police, quel est le rôle des autres organismes communautaires? Nous devrions également réfléchir à cela.

Brenda.

Mme Brenda McDonald: Mon expérience personnelle a été que, comme le crime commis à l'endroit de ma soeur était survenu à plusieurs centaines de kilomètres, le seul rôle joué par la police à Edmonton a été de nous informer de son décès. Il a fallu des mois avant que nous entendions parler d'un centre de services pour les victimes situé à Whitehorse, au Yukon. Ce n'est donc pas comme si nous aurions pu nous y rendre à pied pour demander de l'aide. Personne ne s'est manifesté à Edmonton et nous ne savions absolument pas à qui nous adresser.

• 1005

J'ai l'intime conviction que si ma famille avait pu profiter d'une intervention rapide, mon père serait toujours parmi nous. Je ne veux pas dire qu'il en est mort, mais il a été touché à un point que nous l'avons littéralement perdu. Nous avons tous accusé le coup de façon différente et il nous fallait quelqu'un de compétent pour nous aider à faire face à toutes ces émotions en sens divers et nous aider dans ce qui allait s'ensuivre.

J'ai passé les 14 mois qui ont précédé le procès à téléphoner aux policiers, aux procureurs de la Couronne, à quiconque aurait pu me donner des renseignements. C'est quelque chose que je n'aurais pas dû avoir à faire. Encore aujourd'hui, je n'arrête pas de téléphoner pour me tenir au courant.

Pour quelqu'un comme moi, il n'existe au Canada aucun service unifié qui me permettrait d'obtenir les renseignements dont j'ai besoin pour les questions d'appels, les droits de victimes, la procédure judiciaire ou encore les déclarations des victimes. Il n'y avait personne pour nous aider à tous ces égards. On nous a envoyé un formulaire par la poste. On nous disait de ne parler que des conséquences psychologiques et financières que nous avions subies.

Ces déclarations de la victime, lorsqu'il a fallu les présenter au tribunal—moi, j'aurais voulu lire la mienne. On m'a répondu que j'aurais fait rire de moi. Je ne pensais pas que quelqu'un puisse trouver amusante une telle déclaration faite par une victime. J'ai l'impression que l'avocat ou le procureur de la Couronne ont peut-être eu le sentiment que cela ne valait pas la peine.

La seule chose que le juge ait dite, c'est que comme mon père avait été policier, il comprendrait la légèreté de la peine. Mais mon père avait le sentiment qu'il était là en tant que père et non pas en tant que policier.

Depuis le tout début, cela a été une expérience très frustrante et, deux ans et demi plus tard, je suis toujours désenchantée de voir que notre opinion, celle de ma soeur... Peu importe que M. Ralph Klassen eut été ou non condamné pour ce crime, ma soeur est morte, elle était une victime et elle l'a été à partir du moment où elle a été étranglée. Lorsqu'on dit qu'il n'y a pas de victime tant qu'il n'y a pas condamnation, je ne suis absolument pas d'accord. Ma soeur a été une victime, et nous aussi l'avons été, dans les petites heures du 2 novembre 1995. Nous sommes des victimes encore aujourd'hui, mais nous n'avons reçu aucun secours.

La présidente: Madame O'Hara.

Mme Karen O'Hara: Tearman House est un programme de défense et d'intervention basé dans la collectivité. Nous offrons aux femmes exploitées et maltraitées un refuge et des services d'accueil mais, il y a deux ans, le ministère provincial de la Justice finançait nos activités comme s'il s'agissait d'un programme de défense des droits. Nous considérons avoir droit à ce genre de financement parce que nous sommes déjà très intégrés. Nous offrons déjà des services aux femmes exploitées et maltraitées.

Notre principal porte d'entrée, mais ce n'est pas la seule, est la police municipale ou la GRC. Lorsqu'on appelle la police pour porter secours à une femme qui aurait été agressée chez elle, la police nous téléphone et nous donne tous les renseignements nécessaires, le numéro de dossier, le nom de la femme en question, sa date de naissance, le nombre d'enfants qu'elle a et également ce que la police entend faire de l'agresseur.

À ce moment-là, nous appelons la victime. Comme notre budget est limité, il s'agit exclusivement à ce moment-là d'une intervention d'urgence au téléphone. Nous téléphonons à la femme en question, nous établissons avec elle un plan de sauvegarde et nous lui disons que notre intervenante va prendre contact avec elle dans les 48 heures.

Nous desservons ainsi trois comtés en Nouvelle-Écosse. Le lundi matin, nos intervenantes prennent contact avec la victime et se mettent à sa disposition si nécessaire pour l'accompagner afin qu'elle obtienne les services dont elle pense avoir besoin. Nous sommes donc un organisme axé sur la clientèle et animé par la clientèle. Nos intervenantes accompagnent donc la victime au tribunal provincial ou au tribunal de la famille, au service d'assistance social, au service d'aide à l'enfance ou au service de santé selon ce qu'elle demande.

Nous travaillons en équipe, mais également en étroite coopération avec la police et avec les services aux victimes, un organisme financé par le gouvernement. Gillian est d'ailleurs avec moi et elle pourra vous en parler.

Nous mettons donc les femmes en détresse en rapport avec les services aux victimes. Chaque mois, nous rencontrons les représentants des corps policiers des trois comtés pour vérifier si nous avons bien reçu tous les cas qu'ils nous ont soumis. C'est selon nous une démarche tout à fait intégrante. Les femmes finissent par nous faire confiance, après quoi il est très facile de les mettre en contact, de les convaincre de trouver refuge chez nous ou de profiter de nos programmes de services d'approche. Nous avons également des programmes de services d'approche pour les enfants parce que, comme vous le savez tous fort bien, les enfants eux aussi sont extrêmement traumatisés par ce genre d'événements.

• 1010

La présidente: Merci, Karen.

Randy Wickins.

Le Sgt Randy Wickins: Merci, madame la présidente.

À Edmonton, je suis responsable de l'unité des services aux victimes qui comporte sept policiers faisant partie de notre cadre et environ 165 bénévoles de la collectivité qui ont reçu une excellente formation. Ces bénévoles reçoivent chaque mois une formation en continu.

Comme l'ont déjà signalé beaucoup de gens avant moi, les victimes ont besoin d'aide à divers égards dès le tout début, et j'ignore d'ailleurs quand une victime cesse d'avoir besoin d'aide. J'imagine que c'est lorsqu'elle-même affirme que c'est fini. Mais l'aide ne devrait pas s'interrompre à un moment donné. Elle doit être dispensée tant et aussi longtemps que les victimes en ont besoin.

Je suis un ardent défenseur de la justice réparatrice et à l'heure actuelle, compte tenu de la législation et de tout ce qui régit le système judiciaire, il est très difficile de traiter avec tant soit peu de sérieux la question des victimes.

Nous avons entendu ce que sont le rôle des victimes et celui des déclarations des victimes au tribunal. Nous avons mis au point à Edmonton un programme de conférence faisant intervenir les victimes quelles qu'elles soient. Une victime peut être, selon moi, le père, la mère ou les frères et soeurs d'un criminel, de même que tous les membres de la famille, au sens large, de la victime, mais il y a d'autres victimes également. Nous confrontons les victimes et les criminels et les victimes ont leur mot à dire, aussi bien pendant les procédures que lorsqu'il s'agit de décider de ce qu'il faut faire pour que tout le monde se sente un peu mieux, pour redresser tant soit peu les torts qui ont été commis, pour que les choses aillent un peu mieux en d'autres termes.

Ce sont les victimes qui décident où est le mal. Ce sont elles qui décident ce qui doit survenir pour qu'elles puissent se sentir mieux, pour qu'elles puissent avoir le sentiment que justice a été faite. Mais c'est une chose extrêmement difficile à accomplir compte tenu de tout ce qui régit actuellement les procédures judiciaires.

Je dirais donc qu'il faudrait une solution plus facile dans les cas de ce genre, lorsque les victimes le veulent, quelque chose qui sorte du cadre des tribunaux, avant l'acte d'accusation, après l'acte d'accusation, après la condamnation, à toutes ces étapes du système. Les victimes devraient pouvoir jouer un rôle dès qu'il s'agit de décider de ce qui doit se produire, à partir du tout début.

Je vous remercie.

La présidente: Je vois que cela a attiré du monde et je donne donc la parole maintenant à John Goertzen.

M. John Goertzen: Une partie du programme des services aux victimes qui a été créé récemment dans la région de Niagara relève du solliciteur général qui assure d'ailleurs l'essentiel de notre financement.

Je voudrais faire ressortir deux choses. Pour commencer, la police est bien entendu parfaitement au courant de l'existence de ce programme, mais celui-ci est encore insuffisamment utilisé. Tout revient en somme à ceci: nous avons beau faire tout ce que nous faisons, nous avons beau avoir les lois et le cadre juridique, tout cela n'est pas vraiment utile si ce n'est pas mis à exécution.

Pour renforcer encore l'argument, permettez-moi d'évoquer un incident qui s'est produit la semaine passée, au cours duquel une femme âgée a été menottée et agressée et sa maison a été saccagée. Nous n'avons pas été appelés; nous l'avons appris plus tard. La police nous a répondu ceci: «Vous savez, cette femme avait été mise en camp de concentration en Allemagne, de sorte qu'elle a un peu l'habitude de ce genre de chose.» Voilà un exemple... Il faut donc avant toute chose que la police prévienne les services intéressés.

En second lieu, pour revenir à ce que disait Randy, quand est-ce que la victime cesse de souffrir? Quand s'arrête la souffrance? Le programme du solliciteur général qui relève du modèle SIVRAC, est une intervention ponctuelle seulement. Et comme le disait je crois Brenda, nous, nous intervenons immédiatement au moment même de l'incident pour essayer de stabiliser les choses, nous y allons avec une équipe de bénévoles qui sont parfaitement entraînés à ce genre de chose. Ils donnent aux victimes le soutien psychologique nécessaire mais également des secours pratiques, puis ils les référent le cas échéant aux organismes communautaires lorsqu'elles ont besoin d'aide à plus long terme.

Malheureusement, le programme ne se veut que cela, une première intervention. Comme le signale Randy, on reste une victime pendant très longtemps. Mais le programme ne permet pas ce genre de chose, il doit donc être étoffé.

La présidente: Colette.

Mme Colette Mandin-Kossowan: En 1991, lorsque plusieurs homicides avaient endeuillé ma famille, il n'existait aucune sorte de services aux victimes. C'était en Alberta. Le crime en question avait eu lieu dans un comté différent du nôtre et il n'y avait absolument aucun contact entre les deux. Un agent de liaison de la police nous a simplement dit ce qui se passait, et les choses se sont arrêtées là.

• 1015

Depuis lors, il y a une prolifération de services aux victimes en Alberta, dans toute la province d'ailleurs, afin de combler les lacunes, mais il n'en reste pas moins que les victimes avec lesquelles nous travaillons au quotidien éprouvent encore de multiples difficultés.

La première de ces difficultés est, comme le disait John, la communication de l'information aux victimes par les policiers. Souvent, plusieurs mois après un crime, la victime ne sait pas encore qu'il existe des services auxquels elle peut faire appel ou elle n'a pas encore été contactée. Parfois, on leur a bien dit qu'il y en avait, mais elles sont tellement traumatisées qu'elles ont oublié.

Le deuxième problème est d'ordre géographique. Une victime bénéficiera de ces services selon l'endroit où elle habite, selon les caractéristiques démographiques de sa région et selon que celle-ci est desservie ou non, selon que la police collabore avec le service compétent et de quelle façon elle le fait, selon que la collectivité elle-même finance le service d'aide aux victimes parce que tous ces services bénéficient certes d'une subvention de départ, mais après cela chaque collectivité doit réunir les fonds nécessaires pour en assurer le fonctionnement, de sorte que si la collectivité finance le programme, celui-ci a les ressources nécessaires et peut multiplier les programmes et les services. Cela dépend également du nombre et de la qualité des bénévoles ainsi que de leur formation.

À l'heure actuelle, partout au Canada tout comme en Alberta, la formation est insuffisante. La victimologie est insuffisamment enseignée, et cela à tous les niveaux, aux gens qui sont amenés à entrer en contact avec une victime. Il y a de la formation, certes, mais à l'emporte-pièce. Le nombre de places aux cours est limité et les cours ne sont dispensés qu'une fois par an. C'est donc une formation qui a du mal à se faire à tous les niveaux.

Nous entendons dire que bien souvent les victimes le redeviennent du fait de ces services en raison précisément d'un ou de plusieurs de ces éléments. Il faut une infrastructure d'information qui permettrait aux victimes de savoir quels sont les services qui leur sont offerts parce que, beaucoup trop souvent, elles l'ignorent.

Il y a également la nécessité de faire changer les attitudes à plus long terme. Tant et aussi longtemps qu'on continuera à croire qu'une victime n'a pas besoin de services dès le tout début, mais également d'une multiplicité de services qui se poursuivent par la suite, ces services ne seront tout simplement pas offerts.

La présidente: Merci.

Michel Bellehumeur.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Je pense qu'on a un système de justice qui est traditionnellement axé sur l'accusé. Depuis des années, le système est fait comme cela. Cependant, à partir de données de 1970, on s'est interrogés un peu plus sur les victimes et on a cessé de les considérer carrément comme les principaux témoins des causes. Derrière le témoin, il y a une personne, un humain, etc.

Depuis 1970, plusieurs provinces canadiennes, dont le Québec, ont adopté une loi à cet égard, mais cette législation est mal connue. Je pense que les provinces doivent être jusqu'à un certain point responsables de faire connaître leurs programmes. Les policiers ont également une part de responsabilité. Ils ne font peut-être pas nécessairement ce à quoi on s'attend d'eux.

Je vais vous donner des chiffres, parce que j'aime avoir des chiffres en tête pour voir ce qui arrive et pour mieux cerner la problématique. Je vais vous donner les chiffres uniquement pour le Québec, parce que je suis un député québécois et que je m'intéresse surtout au Québec.

Pour 1995, on a répertorié un petit peu plus de 500 000 crimes déclarés auprès des policiers. Sur ces 500 000 crimes, il y en avait 49 200 avec violence, ce qui représente à peu près 10 p. 100. Sur cela, il y avait 3 p. 100 d'homicides et, pour répondre à madame, un peu plus de 54 p. 100 des victimes étaient des femmes. Donc, la majorité des crimes sont commis contre les femmes.

Où est-ce que je veux en venir? En 1995, la Loi québécoise sur l'aide et l'indemnisation des victimes d'actes criminels a consenti des indemnités monétaires à 2 112 personnes, ce qui représente quand même le double de ce que c'était en 1985. Les gens connaissent de plus en plus la loi et on l'applique de plus en plus, mais on a encore du travail à faire pour que ce soit équitable pour les victimes.

Je rejoins à peu près tout le monde qui a parlé là-dessus. Je ne veux pas être le «casseux de party», mais cela est carrément de juridiction provinciale. Cela relève carrément de l'Assemblée nationale du Québec et des autres assemblées législatives que de faire connaître leurs programmes d'indemnisation. De grâce, que le fédéral n'intervienne pas dans cela.

• 1020

Pour répondre à Mme Gaudreault, c'est surtout en vertu du troisième volet de notre étude qu'on aura un travail à faire en tant que législateurs fédéraux, parce que je suis un député fédéral. Jusqu'à maintenant, on peut parler de la victime, du programme mal connu et de toutes sortes d'autres choses, mais je ne pense pas que nous puissions influencer les législateurs des provinces afin qu'ils fassent une meilleure application de la loi. J'ai hâte qu'on entre dans un domaine qui est de notre juridiction pour qu'on fasse avancer les choses. Je comprends toute la problématique et je sympathise avec tout le monde.

Cependant, je suis un petit peu impuissant par rapport à ce qu'on doit faire pour une meilleure application de la loi et je ne veux surtout pas qu'on se fasse les grands frères des provinces et qu'on leur disent quoi faire avec l'argent qu'elles amassent elles-mêmes. Si le fédéral a de l'argent—madame la présidente, vous êtes peut-être bien placée pour le savoir—et qu'il ne sait pas quoi en faire, il peut décider immédiatement d'envoyer cet argent aux provinces pour que ces dernières le dépensent correctement selon leurs lois.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie.

Susanne Dahlin.

Mme Susanne Dahlin: Les victimes entrent dans le système à des étapes différentes, et nous devons être prêts à assumer cet état de fait. Peut-être arrivent-elles via les services d'hébergement temporaire. Peut-être entrent-elles dans le système via les services d'urgence des hôpitaux, et c'est souvent le cas lors d'une agression sexuelle. Peut-être entrent-elles dans le système à la suite d'une intervention d'urgence, lorsque la police doit intervenir. Nous devons offrir tous les services voulus à ces étapes différentes en fonction du genre de victimes et nous devons être prêts à intervenir.

Quelqu'un a mentionné que les victimes doivent être au courant de leurs droits. C'est tout à fait essentiel. Il est impossible de se réclamer d'un droit lorsqu'on ignore qu'il existe. Au tout début du système, il faut que quelque chose se déclenche: on doit donner aux victimes une fiche documentaire ou quelque chose qui leur dise quels sont leurs droits et comment elles peuvent se renseigner à leur sujet. Bien souvent, une victime aura du mal à comprendre sur le moment même, mais si on lui donne quelque chose sur papier, elle peut toujours téléphoner un peu plus tard pour faire valoir ses droits.

Je voudrais également parler d'un élément qui a été évoqué par Irvin Waller. Lorsqu'il s'agit d'offrir des services aux victimes et de diriger les victimes vers les services dont elles ont besoin, nous butons immanquablement sur la question de la protection de la vie privée. Nous ne pouvons pas confier un dossier de victime à d'autres organismes à cause de ces questions de protection de la vie privée. Il faudrait laisser le choix aux victimes et leur demander si elles veulent que leur dossier soit confié à un autre service, il faut le leur demander, mais il y en a qui demandent cela par écrit, de sorte que nous ne pouvons pas transmettre nous-mêmes leur dossier à l'organisme qui pourrait leur offrir les services nécessaires dans la collectivité.

La présidente: Wilma Derksen.

Mme Wilma Derksen: Je vous remercie.

Je voudrais quant à moi ajouter que nous avons également besoin de services indépendants, même si je conviens totalement de la nécessité d'avoir des services policiers d'aide aux victimes et des programmes de protection des témoins. Ces questions peuvent devenir fort complexes lorsque la victime est hors d'atteinte de la police, même depuis le tout début comme cela fut mon cas, puisque nous étions des victimes au premier chef dans le cas de la disparition de ma fille, tout en faisant également l'objet d'une enquête au même moment.

Il y a donc toute une série de conflits de ce genre dans les premiers temps, de sorte que les victimes ont besoin d'organismes indépendants auxquels elles puissent faire confiance. Il faut qu'elles sachent que ce qu'elles disent ne sera pas répété ailleurs.

Je dois également dire que des services à long terme sont indispensables. Je m'occupe actuellement du cas d'une femme qui commence seulement à raconter son histoire, qui a pu commencer à le faire 20 ans plus tard seulement, même si cela fait cinq ans que nous l'aidons. Cela fait beaucoup de temps. Et dans le cas d'un meurtre, cela n'a pas de fin et il faut donc prévoir des services pour la vie durant.

La présidente: Je vous remercie.

Rick Prashaw.

M. Rick Prashaw: Vous nous avez demandé ce qui donnait des résultats. Je ne saurais mettre le doigt sur quelque chose en particulier, mais il y a ici et là au Canada et à l'étranger des choses qui valent la peine d'être rappelées.

L'histoire de Brenda, celle qu'elle nous a relatée, m'amène à penser que nos définitions risquent d'être trop exclusives, même si là n'est pas l'intention. Souvent, pour la victime, la communauté n'est ni l'endroit où s'effectuent les poursuites, ni l'endroit où le crime à été commis. Les services aux victimes doivent donc également couvrir ces endroits géographiques qui sont très réels pour les victimes. Pour moi, les choses vont dans les deux sens. Cela part des institutions, mais cela émane également de la collectivité en partenariat. Les églises et tous les groupes les plus divers doivent mieux prendre conscience, et avec beaucoup de respect, du fait que nous n'arrêtons pas de nous en prendre aux victimes, en leur envoyant des messages pas toujours très subtils pour leur dire qu'elles doivent se ressaisir. Mais les victimes ont besoin de se trouver un refuge pour faire le tri dans tout cela et pour en parler.

• 1025

Tant qu'à la Commission sur la vérité et la réconciliation, je ne lui donnerais pas ma bénédiction sans réserve, mais ce que j'aime dans l'idée, outre qu'il s'agit d'une enquête officielle, c'est ceci. J'entendais un des commissaires nous dire qu'il se rendait de village en village. Il disait qu'il s'agissait de trouver des endroits accueillants pour parler de choses difficiles. Des endroits où les gens se sentent libres de parler.

Wilma nous a dit que pour le long terme, nous voyons avec les victimes, sans nous contenter de remonter jusqu'à elles. Si vous remontez jusqu'aux victimes, il y en a déjà qui sont laissées pour compte. Les victimes doivent faire partie du parcours.

Nous n'arrêtons pas de leur dire qu'elles ont refusé la médiation ou qu'elles ont refusé un face à face. Si on le leur demande six mois plus tard à un autre endroit, leur réponse ne sera peut-être pas la même. Peut-être, et c'est fort bien, mais à ce moment-là elles ne seront plus nécessairement dans la course.

Le comté de Genessee, dans la partie nord de l'État de New York, a plusieurs éléments d'un programme qui est direct, intentionnel et à bien des égards axé sur les victimes, un programme conçu de telle façon que dans la collectivité, on n'arrête pas de s'enquérir de leurs besoins auprès des victimes elles-mêmes. Les victimes peuvent aller à certains endroits pour relater leur histoire. Voilà donc certaines de ces formules réparatrices dont parlait Randy.

La structure matérielle est un autre élément qui fait qu'un lieu ou un autre est plus sûr et plus convivial pour la victime. La victime est dans une collectivité. Elle n'est pas toujours nécessairement reliée en quelque sorte—et ce n'est pas nécessairement un mal en soi—à un poste de police ou à un tribunal, mais plutôt à un endroit ou un lieu plus convivial. Ces lieux d'accueil ont déjà été mentionnés par d'autres ici. Il peut s'agir d'un endroit où la victime peut aller pour raconter son histoire et faire partie d'un véritable dialogue. Quelqu'un me disait qu'il n'était pas toujours capable de me dire ce qui s'était passé, mais c'est de cette façon seulement qu'il pouvait s'exprimer. Il n'y a pas suffisamment de gens qui sont prêts à entendre les choses de cette façon.

La présidente: Je vais mettre un terme aux interventions après les quatre dernières qu'il nous reste à entendre. Nous allons ensuite nous interrompre momentanément. Je sais que les parlementaires vont être de plus en plus succincts dans leurs propos.

Peter MacKay.

M. Peter MacKay: Madame la présidente, je voudrais déclarer que l'une des toutes premières choses à dire est que ce genre de tribune, ce genre d'échange d'information est extrêmement utile pour favoriser la normalisation ou essayer de découvrir ce qui produit des résultats, un peu partout au Canada. Je voudrais d'ailleurs personnellement vous féliciter pour avoir conduit cette tribune.

Cela étant dit, et ceci sera peut-être le premier signe de partisanerie à se faire entendre ici, mais il n'empêche que le ministère de la Justice et le solliciteur général doivent faire une liste de priorités pour les financements. Cela va sans dire.

Si l'on veut aider les victimes, il faut entre autres encourager la prévention de la criminalité. Et pour y arriver, il faut améliorer les ressources financières données aux agents de police qui sont en première ligne. En outre, il faut réduire le nombre de dossiers dont doivent s'occuper les procureurs de la Couronne partout au Canada, cela aussi permettra de mitiger le problème qui nous occupe aujourd'hui.

Cela étant dit, s'agissant de l'aspect éducation—plusieurs intervenants en ont déjà parlé—si nous pouvions améliorer les choses à tel point que les procureurs, les agents de police et les juges soient plus ouverts aux besoins des victimes, cela aussi améliorerait le système judiciaire dans son ensemble.

Si on formait davantage ces intervenants pour les rendre plus ouverts à ce genre de chose, on rendrait peut-être toute l'institution moins insensible qu'elle ne l'est à l'heure actuelle. Il faut que ce soit obligatoire. Que cela exige des directives ou des lois, je n'en sais rien. J'imagine que c'est pour cela que nous sommes ici. Il faudrait des directives exigeant des principaux intervenants dans le processus judiciaire—des procureurs de la Couronne, les avocats de l'aide juridique, les juges, les policiers et tous ceux qui travaillent en première ligne—qu'ils suivent des cours pour mieux les sensibiliser à ce que vivent les victimes. Je pense que ce serait extraordinairement utile.

Regardons l'essentiel. Parfois, les renseignements dont ont besoin les victimes au tout début sont tout simples. Où devez-vous vous asseoir au tribunal? C'est quoi au juste une transaction pénale? Que signifie l'abandon des poursuites ou une «infraction moindre et incluse»? La victime peut-elle être dédommagée ou indemnisée si elle doit faire garder ses enfants ou s'absenter du travail? Rembourse-t-on son billet d'autobus? Voilà des renseignements tout simples et très fondamentaux qui, s'ils sont fournis aux victimes au tout début des procédures, feront que les victimes se sentiront moins prises à parti par le système.

• 1030

La présidente: Je vous remercie.

Richard Marceau.

[Français]

M. Richard Marceau: Vous comprendrez que j'étais aussi un peu mal à l'aise de voir qu'au Parlement fédéral, on allait parler de choses qui, par la définition même que vous en donnez dans le document préparé par M. Rosen, étaient de compétence provinciale.

En revanche, lorsque j'ai lu le thème 1, je me suis dit que le rôle et les droits des victimes aux étapes de l'enquête, de l'inculpation et des poursuites étaient des thèmes bien choisis pour un échange d'information sur ce qui se fait dans les différentes provinces. Je m'attendais à voir des documents décrivant ce qui se fait dans telle, telle province ou telle province afin que tous les intervenants qui s'intéressent à cette question puissent rentrer chez eux en se disant: «Chez nous, cela se fait comme cela, mais dans telle autre province, cela se fait mieux ou il y a un programme auquel on n'avait pas pensé.»

En revenant de la pause, on pourrait aller un peu plus loin dans cette direction-là et dire: «Voici comment cela se fait en Saskatchewan, en Alberta ou ailleurs.» Chaque intervenant prendrait des notes et les apporterait chez lui pour les soumettre à l'attention des différentes organisations provinciales ou territoriales de qui relèvent les programmes de ce genre. Je pense qu'un tel forum est l'occasion d'échanger de l'information. Il ne s'agit pas d'essayer de jouer au grand frère dans des domaines qui ne sont pas les nôtres.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie.

Je vous précise que nous avons déjà certains de ces documents et que nous pouvons les distribuer.

Michèle Roy, je ne vous ai pas oubliée. Je sais que vous êtes là. Vous avez signalé que vous aviez quelque chose à dire.

Michèle.

[Français]

Mme Michèle Roy: Vous allez voir que j'ai de la suite dans les idées. J'ai dit que la majorité des victimes étaient des femmes. Je ne voulais surtout pas nier le fait qu'il y a aussi des enfants, des personnes âgées, des personnes handicapées, des personnes de couleur qui sont des victimes. Selon nous, ces personnes-là sont toutes victimes, d'abord à cause d'une question d'inégalité, d'inégalité de pouvoir entre les adultes et les enfants, entre les femmes et les hommes, entre les personnes âgées ou les personnes handicapées et les gens plus en santé, etc. C'est cela qui est central et c'est à cela que nous tentons de travailler avec les femmes que nous accompagnons.

Les femmes que nous voyons sont des femmes qui ont été récemment victimes d'agression sexuelle, de viol ou qui, dans leur enfance, ont été victimes d'inceste. On essaie de leur redonner du pouvoir sur leur vie. Lorsqu'on parle de ce qui est pertinent pour les victimes, il faut dire que les femmes et les victimes de tous les niveaux ont besoin d'information, mais aussi de respect, d'être respectées dans ce qu'elles disent, d'être crues, d'être considérées. On doit tenir compte de ce qu'elles ont vécu.

Oui, on doit leur dire où elles doivent s'asseoir et comment cela va se passer en cour, mais peut-on dire aux victimes qu'elles ne seront pas victimisées à nouveau quand elles vont passer en cour, quand va avoir lieu leur procès? Peut-on leur dire comment elles peuvent réagir quand l'avocat de la défense fait une intervention qui est complètement discriminatoire pour elles, quand il joue dans leur passé sexuel ou insinue toutes sortes de choses à leur sujet? Est-ce qu'on peut assurer les femmes qu'elles seront respectées dans leur démarche? Je pense que c'est cela qu'il faut inscrire dans nos principes et dans les pratiques. On peut donner aux victimes de l'information et une indemnisation financière, car c'est une partie de la réalité, mais il faut d'abord que le système leur rende justice dans l'ensemble de leurs démarches.

Récemment, dans la région d'Ottawa, une jeune fille de 15 ans a dû faire trois lieux différents avant d'avoir le droit d'être évaluée avec la trousse médico-légale. On l'a renvoyée d'un endroit à l'autre en disant qu'on ne faisait pas cela parce que les médecins étaient débordés, etc. C'est inacceptable.

Dans la région de Québec, une femme a été agressée par quatre hommes. Il a été reconnu que les hommes avaient eu des rapports sexuels avec elle et qu'elle était totalement soûle, mais le procès s'est déroulé sur la base du fait qu'elle avait consenti. Elle était complètement soûle, mais elle pouvait consentir à être agressée par quatre personnes. C'est inacceptable.

Oui, on a besoin d'information et d'une indemnité financière. On a besoin de savoir si les services de garde vont être remboursés. Bien sûr, tout cela est pertinent, mais il y a beaucoup plus. Quand on accompagne les femmes, on essaie de ne pas les victimiser davantage ou de ne pas les mettre de nouveau en position de dépendance ou d'inégalité face à nous. On on est en droit de s'attendre à cela de la part du système de justice. Il faut leur redonner du pouvoir sur leur vie et respecter leur choix.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie.

Il nous reste Steve Sullivan, Joanne Thorne et Priscilla de Villiers, après quoi nous allons faire une pause.

Steve.

M. Steve Sullivan: Je vous remercie.

On a déjà évoqué le fait que ce dont nous parlons est de compétence provinciale. Il est certain qu'un bon nombre des services et des droits en question, des lois concernant les victimes d'actes criminels, sont du ressort des provinces.

• 1035

J'espère que les discussions et les recommandations, ou le rapport qui émanera de cette tribune seront communiqués aux provinces, non pas pour leur dire quoi faire, mais pouvons-nous l'espérer, pour les éclairer quelque peu sur ce dont nous avons parlé ici.

L'une des questions qui a été posée est de savoir s'il existe déjà une législation provinciale relative aux droits des victimes qui pourrait servir de modèle au plan national, et la réponse est oui. Le Québec a une excellente loi dans ce domaine. L'Ontario elle aussi a une fort bonne loi, tout comme la Colombie-Britannique.

Ce que nous avons appris récemment en Ontario, c'est que même si la loi qui protège les victimes est excellente, elle ne vaut pas plus que le papier sur lequel elle est couchée si elle ne contient aucune disposition concernant sa mise à exécution. J'en parle parce que le gouvernement ontarien est actuellement poursuivi par trois femmes qui prétendent que leurs droits ont été bafoués aux termes de cette Loi sur les victimes d'actes criminels.

Cela veut dire qu'à moins que les provinces ne décident de rendre leurs lois véritablement exécutoires, tous les droits dont elles font état sont vains.

Peut-être y a-t-il des choses que le gouvernement fédéral peut faire via le Code criminel, et il vaudrait peut-être la peine de voir si le Code ne pourrait pas être modifié afin que les juges doivent, c'est un exemple, au moment du prononcé de la peine, demander à la Couronne: «Avez-vous demandé à la victime de faire une déclaration?» En vertu du Code criminel, il s'agit effectivement d'un droit, mais il arrive souvent que les victimes ne savent pas qu'elles ont le droit de faire une déclaration.

Peut-être, avant d'accepter un plaidoyer de culpabilité sur un chef d'accusation réduit, devrait-on demander au procureur de la Couronne: «En avez-vous discuté avec la victime? La victime a-t-elle été consultée, a-t-elle eu la possibilité de faire une déclaration?» Beaucoup de victimes ne veulent pas le faire, mais je pense que si nous voulons leur donner le choix et le droit de le faire, nous devons également faire en sorte qu'il existe une procédure leur permettant de comprendre que ce droit existe.

La dernière chose est le danger qu'il y a—à mes yeux du moins—de parler de différentes catégories de victimes et de se demander s'il y a plus de victimes de sexe féminin ou si certains groupes ne sont pas plus vulnérables que d'autres. Je pense que les services et la législation dont nous parlons devraient être universels étant donné qu'il y a des victimes des deux sexes. Le facteur commun est qu'il s'agit de victimes, et que peu importe que ces victimes soient des hommes ou des femmes, des jeunes ou des vieux, elles ont besoin d'aide, elles ont besoin de protection, et c'est de cela que nous devrions parler je pense.

La présidente: Merci, Steve.

Priscilla.

Mme Priscilla de Villiers: Je vous remercie. Je voudrais donner suite à ce que Steve vient de dire. Le problème que pose la législation sur les droits des victimes—outre le fait que toutes les lois correspondantes au Canada contiennent une disposition de non-recours, ce qui signifie que si nous n'avons pas envie de le faire ou que si nous n'en avons pas les ressources, nous n'allons pas insister, du point de vue du gouvernement—c'est que la loi, en Ontario du moins, n'est accompagnée d'aucune procédure la rendant exécutoire.

L'un des gros problèmes qui se pose, et vous en avez déjà entendu parler aujourd'hui, et qui se pose d'ailleurs selon moi à l'échelle du système tout entier, est qu'il n'y a pas véritablement de responsabilité en cascade. Lorsque nous parlons par exemple du droit à l'information, ce qui semble très simple en soi, on ne trouve absolument nulle part un texte qui précise qui doit fournir l'information, quand, comment et sous quelle forme.

Nous constatons donc souvent qu'il y a des lacunes. Et ces lacunes se retrouvent dans une certaine mesure, dirais-je, au niveau policier. Et alors qu'il y a des programmes d'aide aux témoins, le programme SIVRAC et tous les autres qui sont pour moi autant de tentatives fort louables faites pour combler les lacunes, nous n'avons pas pour autant de rôle de défenseur d'intérêts particulier.

Comme nous l'avons déjà entendu, Lynne pourra vous parler de la disposition du tribunal, de ce à quoi on doit s'attendre lors d'un procès, de l'endroit où il faut s'asseoir et ainsi de suite, mais elle ne peut en aucun cas parler du dossier ou de la preuve. Si la Couronne refuse de le faire, si elle n'est pas disponible ou si elle pense que cela s'est déjà fait—comme vous en entendrez davantage à ce sujet très prochainement dans les salles d'audience—la victime se retrouve encore une fois assise entre deux chaises.

Ce qu'il faut dès lors faire absolument, selon moi, c'est garantir clairement que ces droits, gagnés de haute lutte et sur lesquels tout le monde s'entend désormais sur le plan philosophique, peuvent effectivement être exercés avec un minimum de tralala.

Je dirais que du point de vue fédéral, ce qu'a dit Irwin est tout à fait impérieux. Et dès lors qu'il y a une loi fédérale qui conditionne les lois provinciales, telle la Loi sur la GRC, c'est précisément là que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle directeur, c'est là qu'il peut poser la barre.

Ce que j'ai constaté dans bon nombre de ces documents—ceux des Services correctionnels, du Service des libérations conditionnelles, qui disent que les droits des victimes sont—c'est qu'il n'y a pas... Nous devons montrer ce qu'est le processus et ensuite quel est le rôle de la victime.

• 1040

En France il y a des documents comme ceux-là, des documents dans lesquels, par exemple, la police a le devoir de tenir constamment la victime au courant, mettons, et pour ce qui est de la victime, c'est son rôle, c'est ce qu'elle doit faire. Les victimes doivent-elles téléphoner à la police pour l'obtenir? Doivent-elles attendre que le policier vienne à elles? Doivent-elles s'adresser au service d'aide aux victimes et de protection des témoins?

Autrement dit, les différences entre ce que la victime doit faire, devrait faire et pourrait faire et ce que fait le responsable sont énormes, de sorte qu'à mon avis aucun des deux ne sait très clairement ce que doit être le rôle de l'autre. J'irais même jusqu'à dire que cela m'étonnerait d'apprendre que la majorité de ceux qui oeuvrent au sein du système de justice pénale dans ce pays ont lu les diverses lois relatives aux droits des victimes. On a essentiellement une connaissance très floue de ce qui est proposé.

J'estime que nous devons poursuivre nos efforts pour corriger ces lacunes et, à mon avis, c'est un rôle très important que pourrait jouer le gouvernement fédéral. Vous êtes mieux placé que moi pour savoir quelles lois établissent des normes et des restrictions en matière de comportement. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition est l'une d'elles. C'est une loi du gouvernement fédéral mais j'espère que les provinces s'en inspireront.

Il y a sept ans, quand ma fille a été assassinée, j'ai appris à mes dépens que le gouvernement fédéral légifère mais que les provinces n'administrent pas ces lois. Un porte-parole du gouvernement fédéral m'a dit que la province était responsable de l'administration de la loi et que le gouvernement fédéral se contentait de légiférer. Autrement dit, il se défile quand vient le moment de veiller à ce que la loi soit effectivement appliquée. J'estime que le gouvernement fédéral devrait à tout le moins travailler de concert avec les provinces pour faire en sorte que ces dernières appliquent l'esprit et la lettre du Code criminel et des autres lois applicables aux victimes.

La présidente: Merci, Priscilla.

Madame Marriott-Thorne, après quoi nous prendrons une pause avec seulement une demi-heure de retard.

Mme Joanne Marriott-Thorne: Merci.

Karen O'Hara a parlé un peu plus tôt des services que nous offrons aux victimes en Nouvelle-Écosse et j'aimerais vous donner quelques détails supplémentaires. En Nouvelle-Écosse, nous avons adopté pour principe qu'il existe et qu'il doit continuer d'exister de nombreux fournisseurs de services aux victimes de la criminalité.

Nous offrons de nombreux services spécialisés, qu'a évoqués Karen, et Tearman House en est un bon exemple. Nous avons aussi des services policiers d'intervention précoce auprès des victimes. Quant à la division des services aux victimes, nous leur offrons une interaction avec le système de justice pénale et nous leur fournissons de l'information dès que l'infraction est connue mais surtout dès le moment où les accusations sont portées et jusqu'au prononcé de la peine et notamment lors des auditions prévues à l'article 745. Nous avons adopté une approche holistique. Tous nos programmes sont offerts partout dans la province et nos garantissons l'accès grâce à un numéro 1-800.

Cependant, j'estime que la prestation de services directs n'est qu'un aspect de l'aide qu'il est important d'offrir. Il existe une division des services aux victimes dans toutes les provinces et tous les territoires de ce pays. L'un de nos rôles premiers c'est d'assurer aux victimes une présence dans le cadre du système de justice pénale. Nous n'avons toujours pas créé de division officielle de services aux victimes dans le cadre du système de justice pénale.

Quand j'entends parler de préjugés—et le mot a été mentionné à plusieurs reprises—dans le système, il m'apparaît indispensable d'aller à la source pour savoir comment nous pourrions mieux répondre aux besoins des victimes dans le système de justice pénale sans toutefois compromettre les droits des accusés.

Mais il faut pour cela une vision des choses bien particulière. Les services aux victimes créés par les provinces et les territoires peuvent contribuer cet éclairage bien particulier tout en assurant la coordination et la coopération entre les services.

• 1045

Un autre sujet me préoccupe et il a été abordé un peu plus tôt, c'est celui de la justice réparatrice. Cette notion de justice réparatrice montre bien que le système de justice pénale au Canada est peut-être à la veille de revoir sa façon de fonctionner.

Je ne crois pas que ce soit le cas dans toutes les provinces et les territoires mais je sais qu'en Nouvelle-Écosse, les organisations de services aux victimes participent dès le départ à l'élaboration de programmes de justice réparatrice de sorte que le point de vue des victimes a toujours été pris en compte.

Si nous voulons assurer le succès de ces programmes, et je crois que dans de nombreux cas les victimes peuvent être mieux servies par une justice réparatrice plutôt que par les formes de justice traditionnelles, il faut qu'ils soient planifiés, administrés et mis en oeuvre en tenant réellement compte du point de vue des victimes. Elles ne doivent pas être associées à la planification quand la majorité des décisions ont déjà été prises. Elles doivent être associées au processus dès le départ.

La présidente: Merci.

Nous allons maintenant faire une petite pause à la pièce 238-S, où le café est servi.

Pendant cette pause, j'espère que vous viendrez me faire part de vos commentaires sur le déroulement du processus et j'aimerais que vous réfléchissiez déjà à une question qui nous apparaît beaucoup plus épineuse, à savoir dans quelle mesure la poursuite et les policiers doivent consulter les victimes aux diverses étapes de la procédure judiciaire.

Nous n'y sommes pas encore tout à fait mais, après le déjeuner, nous aborderons la question du procès, de la décision d'aller de l'avant avec l'inculpation et autres choses du genre et de l'information qui doit être donnée aux victimes à toutes ces étapes. Quelle interaction doit-il y avoir entre la poursuite et les policiers?

Nous devrions commencer à y réfléchir. Je sais que deux autres personnes figurent sur la liste pour la séance de ce matin: votre tour viendra. Profitez de la pause. Nous reprendrons nos travaux dans 15 minutes. Nous rattraperons ce retard pendant l'heure du déjeuner.

• 1047




• 1115

La présidente: Nous n'avons qu'une heure de retard sur l'horaire prévu. Ce n'est pas trop mal.

Nous en sommes toujours au premier thème, à savoir le rôle et les droits des victimes aux étapes de l'enquête, de l'inculpation et des poursuites dans le processus de justice pénal. Il y a un certain recoupement avec le thème que nous aborderons cet après-midi. Cela dit, deux personnes prévues pour la séance de ce matin attendent leur tour. Je vous donne la parole dans un instant.

J'aimerais demander à Nigel Allan, assis là bien tranquillement, s'il peut nous décrire brièvement—je sais, Nigel, que vous ne parlez pas à titre de porte-parole de votre bureau—le rapport entre le procureur de la Couronne et la victime et la façon de surmonter certains des problèmes dont se plaignent les victimes en ce qui a trait à cette relation.

M. Nigel Allan: Madame la présidente, contrairement à ce que pensent d'autres participants ici, j'estime que les victimes ne sont qu'un des éléments dont doit tenir compte le procureur de la Couronne lorsqu'il présente ses éléments de preuve au juge. C'est un élément très important mais qui reste néanmoins un élément parmi beaucoup d'autres. Ce qui est difficile c'est d'éviter que la victime n'en vienne à croire qu'elle n'est qu'un élément d'un système plutôt complexe et insensible.

Nous devons toutefois leur faire comprendre que nous ne sommes pas leurs avocats. Ce n'est pas notre rôle. Nous assumons une fonction quasi-judiciaire en vertu de laquelle nous présentons les éléments de preuve d'une façon juste et impartiale et nous ne sommes pas censés nous soucier du résultat final—condamnation ou acquittement—mais uniquement de présenter les éléments de preuve au juge afin qu'il puisse rendre une décision de culpabilité ou d'innocence.

• 1120

Cette nuance échappe habituellement au commun des mortels. La personne moyenne juge selon son bon sens et n'est guère impressionnée par les restrictions que nous imposent la loi et le système. Quand on traite avec une victime, on tente d'établir en peu de temps un certain rapport avec elle. Il faut lui faire sentir que l'on comprend ce qu'elle vit, qu'on a une certaine responsabilité envers le système et envers la victime d'un crime et lui faire comprendre qu'on tentera de rendre l'expérience aussi indolore que possible. Or, il ne faut pas non plus l'induire en erreur; on peut lui expliquer que ce ne sera pas une expérience agréable, que notre système a pour principe qu'une personne est innocente jusqu'à preuve de sa culpabilité et que c'est donc le poursuivant qui est l'acteur principal du procès. Le poursuivant doit témoigner. C'est le poursuivant qui subit le contre-interrogatoire et non pas l'accusé. Ce sont des réalités dévastatrices pour une victime et quand on tente de lui expliquer les règles de la preuve—on le fait par courtoisie parce que, pour l'essentiel, elle n'y comprend rien—elle ne s'intéresse pas particulièrement à la loi qui interdit la présentation d'éléments de preuve qu'elle juge pertinente pour elle et pour l'affaire.

Quand j'explique à la victime d'un crime grave le mode de détermination de la peine et toute la gamme de peines qui existent au Canada pour certaines catégories d'infractions, elle n'est jamais très impressionnée par la façon de procéder ni par la durée des peines prononcées. C'est très difficile pour le procureur de la Couronne parce que la victime nous tient souvent responsable de l'état du système de justice et de la façon dont il fonctionne. Ce n'est pas le cas et nous ne sommes pas nécessairement d'accord avec la façon de faire les choses; nous avons tout simplement le devoir d'indiquer à la victime comment fonctionne le système et de lui faire comprendre que son cas n'a rien d'unique. Elle n'est pas brutalisée ou malmenée plus que d'autres par le système de justice. Le système est le même pour tous. Le contact avec le système de justice n'est pas une expérience agréable. On tente de lui faire comprendre que nous voulons que les délinquants soient tenus responsables des crimes qu'ils commettent mais que nous devons le faire en respectant certaines règles et certaines lignes directrices du système de justice pénal.

La présidente: Je note, parce que j'occupe le fauteuil et que j'ai le marteau de la présidence, qu'il y a trois personnes autour de cette table qui ont de l'expérience comme procureur de la Couronne—M. Mackay, moi-même et vous—mais vous êtes le seul à exercer actuellement ce métier.

J'aimerais vous poser encore quelques questions dont les réponses serviront je l'espère de canevas pour la discussion. Trouvez-vous utile qu'il y ait entre vous et la victime d'autres organismes qui assurent la liaison? Trouvez-vous utile de pouvoir traiter avec Lynne Kainz du programme de victimes-témoins, ou avec Suzanne Dahlin pour la Colombie-Britannique, ou avec Joanne Marriott-Thorne, responsable du programme en Nouvelle-Écosse? Des organismes de ce genre vous aident-t-ils à être le plus efficace possible lorsque vous agissez comme procureur de la Couronne?

M. Nigel Allan: Certainement. Dans le passé, cela faisait partie d'une de nos responsabilités en tant que procureur de la Couronne. Nous devions communiquer avec les victimes, les interviewer, les renseigner sur les procédures judiciaires et tout cela sans compromettre cette indépendance qui doit exister entre la victime et nous-mêmes. Ces organismes jouent à nos yeux un rôle très utile. Le premier contact intervient suffisamment longtemps avant le début du procès. Les causes sont inscrites au rôle.

C'est une autre chose que les victimes ne comprennent pas, qu'il y de nombreuses causes et de nombreuses victimes. Elles se plaisent à croire qu'on peut se consacrer entièrement à elles et quand elles découvrent que nous avons de nombreuses responsabilités et que nous devons traiter tous les jours avec des douzaines de personnes et qu'il y a toujours des files d'attente... Les organisations de services aux victimes nous aident à expliquer cette réalité, à organiser le premier contact et à préparer les victimes à l'avance pour que nous puissions dès la première rencontre avoir une discussion très poussée des circonstances du crime et des éléments de preuve qui seront présentés au tribunal. Ainsi, on peut dès le premier contact avoir une conversation sur les éléments de fond et c'est ce que nous aident à faire les services d'aide aux victimes.

• 1125

La présidente: Michael Lomer—quelle surprise, je vous prends pour cible parce que je sais que vous réfléchissez vite—y a-t-il dans ce que vient de dire Nigel quelque chose qui vous rend nerveux et malheureux en votre qualité d'avocat de la défense?

M. Micheal Lomer: Je ne le crois pas. D'ailleurs, je soupçonne que les préoccupations de M. Allan et les miennes sont assez semblables lorsqu'il s'agit des victimes-témoins, parce que ce dont il parle en réalité ce n'est pas de la victime comme telle mais de la victime qui doit témoigner et c'est là où nous avons chacun un rôle à jouer.

Ce qu'il souhaite, comme moi d'ailleurs, c'est que le procès soit équitable. Quand je parle d'un procès équitable j'entends qu'il doit l'être pour les deux parties: un procès équitable pour la poursuite et un procès équitable pour la défense. Cela signifie, pour le procureur de la Couronne et pour moi qui suis avocat de la défense, qu'avec un témoin qui est aussi une victime, il faut essayer d'éviter que ne soient présentés des éléments de preuve «douteux». Certains éléments de preuve—qu'il s'agisse d'influence indue, de manipulation du témoin, ou d'autres choses du genre—pourraient amener un tribunal ou le jury à mettre en doute la fiabilité du témoignage d'une personne, alors que cet aspect est d'importance cruciale. Nous voulons être aussi sûrs que possible de la fiabilité de la preuve.

Nous agissons de la sorte pour deux raisons. Nous ne voulons pas condamner un innocent ni acquitter un coupable. Si un groupe de soutien manipule la preuve par inadvertance cela crée un danger, à savoir que l'accusé soit acquitté injustement sous prétexte que le témoin a été manipulé.

J'aimerais vous donner un exemple, si vous me le permettez. J'ai témoigné devant la Commission Morin au nom d'une organisation appelée Association for the Defence of the Wrongly Convicted. La Commission Morin a formulé un certain nombre de recommandations. Je n'entrerai pas dans les détails, mais il ressort clairement de cette cause, étant donné la façon dont les policiers ont traité avec les victimes-témoins, qu'ils avaient manipulé les éléments de preuve. Par conséquent, la Commission a formulé un certain nombre de recommandations, que j'exhorte le comité à lire, sur la nécessité de séparer les préoccupations légitimes de la victime et les impératifs légitimes des procès lorsque la victime comparaît comme témoin.

L'une des recommandations—si vous me permettez brièvement de la présenter, et je suis certain que vous m'interromprez si je m'éloigne du sujet—disait:

    Les policiers devraient recevoir des directives précises sur les dangers de communiquer inutilement des renseignements (qu'ils connaissent) à un témoin si de tels renseignements peuvent influer sur le compte rendu des événements faits par les témoins.

Ainsi, s'il est important de donner à la victime tous les renseignements que nous pouvons raisonnablement lui communiquer, il faut néanmoins que cette information soit générale de nature. Il ne peut s'agir d'information se rattachant directement à un crime ou à l'auteur du crime, si je puis m'exprimer ainsi, parce que quand on déroge à cette règle, le danger qui existe d'influencer le témoin est très réel, et cela fait l'objet de l'une des recommandations.

Une autre recommandation disait:

    Les policiers devraient recevoir des directives précises sur les dangers de communiquer leur évaluation du poids de la preuve contre un suspect ou un accusé, leur avis concernant le caractère de l'accusé, ou des observations analogues à un témoin, qui peuvent influer sur le compte rendu des événements faits par ce témoin.

Ici aussi, c'est très facile... c'est peut-être le mauvais mot. C'est tout à fait humain de vouloir arrêter la personne qui a commis les crimes. Les policiers, la poursuite et les témoins ont en commun certains désirs qui peuvent teinter les éléments de preuve véritables et causer une erreur judiciaire. Mais n'oubliez pas que le contraire peut aussi se produire.

• 1130

Il y a d'autres recommandations auxquelles je ne m'attarderai pas mais qui concernent la conduite des procureurs de la Couronne lorsqu'ils interviewent les témoins. Ces recommandations sont très détaillées et très utiles mais ce ne sont pas des révélations. Mais dans une tribune comme celle-ci, où nous parlons des victimes et du rôle qu'elles peuvent jouer, il est utile de comprendre, sans doute plus que ce n'est le cas actuellement, exactement comment se déroule la procédure d'un procès afin que les victimes comprennent qu'elles peuvent devenir témoins et, le cas échéant, des règles différentes doivent s'appliquer afin de protéger l'intégrité des preuves que les victimes apporteront une fois devenues témoins.

La présidente: C'est une distinction que je saisis maintenant comme d'ailleurs d'autres dans cette pièce. C'est une distinction importante à faire entre une victime qui se trouve à Windsor par rapport à un incident qui survient à Vancouver avec lequel elle n'a pas de lien et à l'égard duquel elle n'est pas témoin; il y a une différence entre moi qui serais une victime dans un tel cas et la personne qui a été mêlée directement à l'incident et qui pourrait être appelée à témoigner quant aux faits observés directement. C'est bien cela?

M. Michael Lomer: Absolument. Je crois toutefois que les policiers et les procureurs de la Couronne doivent respecter certaines limites en ce qui a trait à l'information qu'ils peuvent divulguer avant le procès, même à des gens qui ne sont pas visés directement, mais il existe pour la Couronne un risque réel de porter atteinte aux droits à un procès juste et équitable si trop d'information est rendue publique avant le procès.

La présidente: D'accord. Ces échanges ont incité quelques autres participants à lever la main pour demander la parole.

Michèle Roy.

[Français]

Mme Michèle Roy: Je ne suis pas sûre d'avoir très bien compris à cause de la différence de la langue. Si j'ai bien compris, quelqu'un a dit tout à l'heure qu'on devait informer les victimes parce qu'elles seront témoins de la procédure ou de ce qui va se passer et que c'est une question de politesse. Il y a là quelque chose qui me porte à m'interroger.

Si les victimes perdent confiance dans le système de justice et ne croient pas qu'elles seront traitées équitablement, il n'y aura plus de plaintes. On entend parler régulièrement de femmes qui, après des procès qui ont fait l'objet de publicité, des décisions, des commentaires de juges et des rencontres avec des policiers, disent: «Je ne porterai pas plainte. Je me sens de nouveau accusée et agressée et je ne déposerai pas de plainte.» S'il n'y a pas de plainte, il n'y a pas de procès et il n'y a pas possibilité de voir s'il y a eu vraiment agression, qui était coupable, etc. Nous devons redonner confiance aux victimes dans le système de justice. Nous devons leur faire comprendre que le système peut leur rendre justice. C'est plus qu'une question de droit à l'information et de politesse.

[Traduction]

La présidente: Professeur Sheehy, votre nom était déjà sur la liste.

Mme Elizabeth Sheehy: Merci. J'aimerais faire quelques commentaires dans le but de préciser quelque peu les questions dont nous débattons surtout du fait que nous semblons parler maintenant du système de justice pénal plus particulièrement, plutôt que des services de façon générale.

Il m'apparaît utile et important pour diverses raisons—politiques, morales et juridiques—de parler de droits à l'égalité plutôt que de droits des victimes dans le contexte du système de justice pénal.

Je parle de raisons politiques étant donné l'information dont nous disposons sur la relation entre l'inégalité, l'impuissance et la victimisation.

Je parle de raisons d'ordre moral étant donné le souci que nous avons de préserver la dignité et le respect des gens à qui nous demandons de devenir partie prenante dans le système de justice pénale.

Je parle de raisons d'ordre juridique en disant qu'il est important de parler plutôt de droits à l'égalité puisqu'il nous faut créer une niche si nous voulons reconnaître à ce groupe un rôle dans le système de justice pénale, rôle qui ne concerne pas la victime comme témoin; il s'agit de l'État contre l'accusé. Le moyen le plus important de préserver la dignité tout en respectant les réalités politiques de la victimisation c'est l'article 15 de la Charte relatif aux droits à l'égalité. J'estime qu'il donne au gouvernement fédéral un rôle et une responsabilité clairs. Cela nous permet de demander des fonds, notamment d'aide juridique, pour défendre les droits à l'égalité de ceux qui souhaitent participer au système de justice pénale.

Je suis convaincue que certains contesteront fortement cette intervention mais je suggère que nous tentions de trouver des façons de transformer ce dossier en dossier de compétence fédérale et que nous tentions de respecter la dynamique politique et morale de la victimisation dans ce contexte.

• 1135

La présidente: Ce n'est peut-être pas une opinion populaire, mais ce n'est pas notre but ici. Nous voulons entendre ce que vous avez à dire.

Randy Wickins.

M. Randy Wickins: Merci.

J'aimerais revenir à ce que disait M. Lomer puis à ce que disait Michèle Roy. C'est réellement difficile de s'intéresser véritablement aux droits et aux besoins des victimes quand nous nous entourons de règles et de lois qui doivent être respectées—et j'en admets la nécessité—devant un tribunal.

Erreur de justice: qui définit la justice? Que veulent réellement les victimes? Déterminent-elles quel tort a été causé et ont-elles leur mot à dire lorsqu'il s'agit de décider d'une punition appropriée? Pas devant le tribunal. Il y a les déclarations des victimes, celles que l'on finit par lire devant le tribunal. Quel poids ont ces déclarations?

J'ai énormément de mal à croire que... Toutes les victimes à qui j'ai parlé sont assez mécontentes de leur expérience avec le système des tribunaux.

Je regrette d'être perçu comme une personne si négative à l'endroit du système des tribunaux. J'en fais moi-même partie. J'ai témoigné de nombreuses fois et je sais tout ce que cela signifie. Or, beaucoup de victimes ont besoin de tourner la page et ne veulent pas être là. Elles veulent avoir leur mot à dire et avoir un plus grand rôle à jouer. Mais comment pouvons-nous y parvenir?

Il faut que cela se fasse plus souvent, que les victimes aient un rôle à jouer indépendamment des règles et des contraintes techniques qui ont cours dans les tribunaux. Oui, je sais que ces règles doivent exister, mais c'est une question de priorités. Tenons-nous compte de ce que veulent les victimes ou de ce que veut l'État?

La présidente: Karen O'Hara.

Mme Karen O'Hara: Dans mon travail auprès des femmes, j'ai constaté qu'elles pensent que le procureur de la Couronne est leur avocat, plutôt que le représentant de la Reine ou de l'État, mais pas de la victime.

Il est impératif que les procureurs de la Couronne rencontrent la femme. Nous manquons de ressources au Bureau du procureur de la Couronne en Nouvelle-Écosse. Les procureurs de la Couronne rencontrent les femmes 10 minutes à l'avance. Cela ne leur donne guère confiance. Si la femme est le principal témoin, elle a du mal à croire qu'on la prendra au sérieux et qu'elle peut avoir confiance dans le système.

Dans un comté très rural de la région que nous desservons, depuis plus d'un an les procureurs de la Couronne agissent moyennant une indemnité journalière. Ainsi, très souvent, nous apprenons le matin même du début du procès qui sera le procureur de la Couronne et ce dernier aura alors peut-être une minute ou deux à consacrer à la plaignante. Il faudrait réellement corriger cela.

La présidente: Peter Quinn.

M. Peter Quinn: Nous discutons ce matin de beaucoup de questions très générales et, pendant la pause, j'ai réfléchi à certaines questions plus précises. Je me demande si nous allons aborder certains des changements plus précis qu'il faudrait apporter au système.

Quelques-uns uns des intervenants ce matin ont dit qu'il y a peu de choses à faire puisqu'il s'agit d'un domaine de compétence provinciale et non fédérale. Pour ma part, j'estime que nous pouvons faire beaucoup même à un niveau très fondamental. Je le constate tous les jours quand je pense à des choses très simples comme le rôle des causes qu'entendra le tribunal. Trop souvent on ne tient pas compte des intérêts des victimes lorsqu'on établit le rôle du tribunal. Tout se fait en fonction de l'accusé. Les victimes sont là comme simples spectateurs.

Le financement relève certainement des provinces, mais c'est néanmoins un problème. Tous ici s'accordent pour dire qu'il faut offrir des services aux victimes mais quand vous chercher à savoir qui assurera le financement, là les divergences d'opinions apparaissent.

Le gouvernement fédéral pourrait notamment prévoir l'imposition de suramendes compensatoires. Cela aiderait certainement les provinces. Voilà une chose que pourrait faire le gouvernement fédéral.

Il faut aussi poser des questions. Je vais peut-être citer de fausses statistiques, mais s'il y a eu 1 000 victimes d'agressions sexuelles, pourquoi 900 d'entre elles se tairaient-elles et pourquoi 100 seulement porteraient-elles plainte? Pourquoi des accusations ne seraient-elles portées que dans 10 p. 100 des cas? Ainsi, sur 1 000 cas d'agressions sexuelles, 10 aboutissent en réalité à un procès. C'est au niveau fédéral qu'il faut chercher une réponse à cette question.

• 1140

Il y a aussi des problèmes qui tiennent à la remise en liberté des délinquants. Je constate que très souvent les victimes ne sont pas consultées. Dans les cas de violence familiale plus particulièrement, les gens sont terrorisés à l'idée que le délinquant puisse être remis en liberté. Très souvent, le juge prononce la remise en liberté du délinquant. Je ne critique pas les juges; je dis tout simplement qu'ils n'imaginent pas la crainte que ressent la victime lors des audiences de justification parce que les déclarations des victimes sont présentées lors du prononcé de la peine et non pas lors des audiences de justification en vue de la libération. Il n'y a donc pas moyen de porter le problème à la connaissance du juge.

Ce serait bon d'examiner des problèmes fondamentaux comme ceux-là et de chercher des façons d'y remédier. Quand les gens parlent de victimisation indirecte, voilà le genre de choses auxquelles ils songent. L'époux d'une femme a menacé de la tuer et elle croit qu'il le fera et tout à coup le tribunal remet en liberté son époux et il ne sait pas pourquoi et personne ne lui a demandé son avis. Voilà quelques-unes des choses que le système pourrait prendre en compte.

La présidente: Merci, Peter.

Marvin Bloos.

M. Marvin Bloos: Il me semble que nous discutons ce matin de deux modèles distincts et qu'on ne sait pas au juste lequel doit être privilégié.

Le premier, dont M. Wickins a parlé pendant toute la matinée, est celui de la justice réparatrice. Il s'adapte assez mal au système traditionnel des tribunaux. Par tradition, le tribunal s'intéresse aux délinquants et à la question de savoir s'il a effectivement commis le crime. Les principes de justice réparatrice visent des objectifs différents et pourraient intervenir beaucoup plus tôt que ce n'est le cas dans le modèle classique.

Quand on songe à ce que la victime espère obtenir—si elle veut se faire entendre, si elle veut obtenir justice à ses conditions, comme l'a décrit M. Wickins—ce sont des principes différents qui entrent en jeu et il faudrait peut-être alors légiférer pour permettre une déjudiciarisation, des mesures spéciales post-condamnation ou des plaidoyers de culpabilité.

Nous pourrions également envisager des formes de peine différentes. Les peines conditionnelles sont fortement critiquées par plusieurs provinces car considérées comme trop douces. Elles considèrent que purger sa peine à domicile, par exemple, n'est pas un châtiment suffisant. Pourtant, avec un peu d'imagination et de créativité cette forme de peine pourrait servir les fins du modèle de justice réparatrice.

En revanche, si nous maintenons la forme de châtiment traditionnelle—le système judiciaire—l'accusation, l'inculpation, la condamnation ou l'acquittement—nous risquons de limiter le rôle que peuvent jouer les services aux victimes.

Le danger d'influencer le témoin a été évoqué tout à l'heure et je constate ce problème tous les jours dans mon travail. Il y a ces concours de crédibilité comme je les appelle. Quelqu'un dit que quelque chose est arrivé, ce que quelqu'un d'autre nie farouchement. Le procès alors se résume à déterminer qui dit la vérité, qui dit toute la vérité, qui se trompe dans son témoignage? Il importe de déterminer l'influence exercée sur un certain témoin.

Souvent ce témoin est la victime. Ce peut être un enfant, une femme, un handicapé, que sais-je. Si beaucoup d'organismes aident cette personne, si son témoignage fait l'objet de discussions, il est vital pour la défense de revenir sur les propos initiaux. Quelles ont été les réactions initiales?

C'est sur ce point que tourne le débat actuellement au Canada et sur la protection de la vie privée. Et il y a la perspective de la défense. Si son client nie les faits qui lui sont reprochés, elle a pour obligation d'abonder dans son sens.

Si des organismes, à juste titre, essaient d'aider une victime et que leur intervention ne fait que rendre la situation encore plus confuse, essayer de reconstituer la déposition initiale du plaignant ou de la plaignante n'est pas tâche facile.

Donc, le système traditionnel comporte des dangers et ce qui est peut-être nécessaire, madame la présidente, c'est une sorte de code de déontologie, une série de lignes directrices, en somme.

• 1145

Nous avons fait beaucoup de progrès au niveau de l'audition des jeunes enfants. Tout le monde reconnaît combien il est facile d'influencer leurs témoignages—combien il est facile de poser des questions de façon à ce que les réponses aillent dans le sens recherché.

Il faut que ces études sociales, ces analyses scientifiques soient faites afin d'avoir des guides dans tous ces autres cas. Nous devrions pouvoir déterminer facilement quels cas requièrent ce type d'attention spéciale. Ce n'est pas forcément nécessaire pour les vols par effraction ou pour les vols de banque. Par contre, ce peut l'être dans les affaires d'allégation d'agressions sexuelles ou d'enfants maltraités.

Il faut donc être très prudent lorsque nous essayons d'offrir des services aux victimes afin de ne pas contrarier l'objectif recherché, la justice. C'est l'affaire de l'État et de l'accusé. Aider une victime au point de faire condamner un innocent ne vaut pas beaucoup mieux. Je ne crois pas qu'aucun de nous ne le souhaite non plus.

La présidente: Ou de faire acquitter un coupable.

M. Marvin Bloos: Ou de faire acquitter un coupable.

La présidente: Très bien.

Joanne Mariott-Thorne, et ensuite ce sera le tour de Nigel Allan.

Mme Joanne Mariott-Thorne: Je crois que notre expérience ainsi que la documentation sur la question nous ont enseigné que les victimes de crime reconnues par le système, qui ont la possibilité de participer et qui sentent que leurs besoins en information sont satisfaits—pas simplement en termes de faits et de chiffres, en termes de déroulement d'audiences, de dates, d'ajournements, mais en termes d'explication de la procédure, de ses raisons, des principes qui la sous-tendent, de détails importants pour elles comme par exemple le fait que les audiences soient publiques ou à huis clos—plus elles participent, et pas forcément dans le camp de la Couronne, plus elles sont satisfaites du système, plus elles sont en mesure d'accepter la résolution quelle qu'elle soit, si elles la comprennent.

Mais je crois que c'est aussi bien le cas dans le contexte de la justice réparatrice que dans celui du système traditionnel. Je crois que nous n'avons pas été assez loin avec le système traditionnel. Il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Nous n'avons certainement pas été aussi loin que nous le pouvions. Nous n'en sommes qu'aux balbutiements en termes de participation des victimes et de leur reconnaissance dans le système traditionnel. Nous devrions poursuivre nos efforts dans ce sens.

En revanche, dans le contexte de la justice réparatrice, il est certain que toutes les études que j'ai pu lire disent que la satisfaction des victimes est proportionnelle à leur participation. Bien que ces programmes soient généralement présentés comme étant conçus pour les victimes, en réalité, les chiffres montrent que dans ces forums de justice réparatrice leur participation n'est pas très élevée.

Cela me ramène à ce que je disais avant la pause: il faut absolument assurer la présence de cette perspective dans ces programmes. Nous créons ces programmes pour servir les intérêts de la communauté, les intérêts de la victime, pour faciliter la réinsertion des inculpés et prévenir la récidive. Mais la perspective n'est pas la même, que nous travaillions pour les victimes ou pour les délinquants. Je crois qu'il ne faudrait pas l'oublier.

La justice réparatrice considérée sans la perspective de la victime ne peut que limiter le degré de participation, tout comme le degré de participation des victimes est actuellement limité dans le système traditionnel.

La présidente: Avant de donner la parole à Nigel Allan...

[Français]

Mme Michèle Roy: Quand les gens parlent très vite, j'en perds de grands bouts. J'aimerais peut-être faire un appel à...

[Traduction]

La présidente: D'accord. Il ne faudrait pas oublier que ce que nous disons est interprété dans les deux langues officielles et que parler trop vite n'aide pas.

Avant de donner la parole à Nigel, je crains que l'heure du déjeuner approchant, je ne perde la trace d'une ou deux questions soulevées qui n'ont pas encore été résolues.

• 1150

Brenda et quelqu'un d'autre ont parlé des problèmes interjuridictionnels. Dans le cas de Brenda, elle était à Edmonton et le meurtre de sa soeur avait eu lieu à Whitehorse. La ministre de la Justice nous a demandé de réfléchir à une chose. Devrions-nous ou non proposer qu'un bureau national est la responsabilité de toute une série de questions concernant les victimes de crimes?

Pourriez-vous garder au chaud dans un petit coin de votre cerveau cette idée de bureau national? Nous avons l'impression que le gouvernement ne serait pas contre et nous pourrions peut-être lui donner un petit coup de pouce si l'idée nous semble bonne.

Le rôle du gouvernement fédéral au niveau de ces problèmes interjuridictionnels semble assez évident même au début de la procédure. Cela ne concerne pas d'ailleurs uniquement les provinces. Il peut y avoir des problèmes entre comtés ou entre villes et comtés. En Ontario, si vous habitez où j'habite et si quelque chose arrive à Kenora, c'est comme si vous habitiez à l'autre bout du pays.

Ce sont quelques points sur lesquels nous devrions nous attarder ou essayer de résoudre à un moment ou à un autre.

L'autre question, c'est vous, Marvin, qui l'avez soulevée. J'aurais espéré que nous l'examinions un peu plus. Il s'agit de ce, appelons-le pour le moment code de déontologie—à observer vis-à-vis des victimes quand elles sont appelées à témoigner.

Troisièmement, à propos du rôle que pourrait maintenant jouer le gouvernement fédéral, devrions-nous demander au gouvernement—j'adore faire des demandes d'argent au gouvernement—d'envisager des projets pilotes. Ce ne sont pas des suggestions dictées par la présidence. Ce sont simplement des choses qui... Enfin, ce n'est pas vrai. Je pousse à la roue, mais...

Des voix: Oh, oh!

La présidente: Ce sont des sujets de réflexion qui me viennent à l'esprit mais qui ne doivent pas vous empêcher de parler de ce dont vous voulez parler.

Nigel.

M. Nigel Allan: Je voulais simplement rappeler qu'il y a parfois conflit considérable entre les victimes et les responsabilités de la Couronne. Je ne pense pas qu'il se passe une semaine sans que la Couronne ne se retrouve avec une victime qui refuse de coopérer. C'est alors que la Couronne doit plaider le crime contre l'État, se substituer à la victime. En tant que procureur de la Couronne, c'est à moi de plaider contre ce crime devant le tribunal, quels que soient les désirs de la victime. Et, bien entendu, cela provoque un conflit immédiat et très réel.

La présidente: Problème que tous ceux qui travaillent dans les tribunaux connaissent, qu'il s'agisse de violence conjugale, d'agressions sexuelles ou de tout autre chose, même de témoins qui ne veulent pas perdre leur temps pour une simple infraction contre des biens, ou quelque chose de ce genre. C'est un problème sérieux. Je suis heureuse que vous en ayez parlé.

Madame Derksen.

Mme Wilma Derksen: Je crois être arrivée à la conclusion qu'il est possible que nous nous trompions de termes et de modèles. Mon propre modèle est celui de la guérison. Mon passage du camp des victimes à celui des contrevenants m'a fait voir que les victimes ne cessent de se plaindre de l'absence de guérison dans le système judiciaire. Elles ont toujours l'impression de ne pas avoir été écoutées—et pour les contrevenants c'est la même chose.

Je crois qu'il faut commencer à penser à de nouveaux modèles. Dans une certaine mesure, je crois, la victime, c'est le canari dans la mine: il est tout petit, il est tout au fond, mais sÂil meurt, s'il pousse des cris d'agonie c'est toute la mine qui est en danger. Je crois que c'est ce qui se passe. Comment redonner sa santé au canari? En évacuant les gaz empoisonnés.

J'entends parler de modèles différents et je connais le modèle de la justice réparatrice et l'autre, le traditionnel. Ce qui m'alarme c'est que nous expérimentons les deux modèles en même temps. J'ai dîné avec des juges qui disaient comment ils prenaient certaines décisions dans le but de tester la réaction du public. Si nous étions médecins ou scientifiques nous n'oserions jamais expérimenter sur des êtres humains vivants, surtout en public comme nous le faisons. C'est du bricolage et j'ai vraiment des inquiétudes au niveau des conséquences pour les victimes et pour le public qui écoute les médias, qui est toujours prêt à faire des comparaisons et réagit très mal devant l'injustice.

• 1155

Il y a quelques semaines j'étais à l'Université Queen's où nous avons passé toute une semaine sur différents modèles. Si vous entendez jamais parler de cette semaine, il est possible qu'on ne vous parle que de catastrophes mais il reste que lorsqu'on a demandé aux étudiants de jouer des rôles dans les différents modèles il a été stupéfiant de constater combien nous nous investissions dans nos rôles et combien nous avons appris en l'espace d'une semaine en expérimentant les différents modèles allant du modèle traditionnel à celui de la justice réparatrice. Aucun n'a véritablement été couronné de succès mais nous avons beaucoup appris.

Ce n'est qu'à la fin de la semaine quand, au comble de l'exaspération, parlant aux victimes tout le monde s'est mis à dire: «Pourquoi n'écoutez-vous pas?», que nous avons alors ajouté: «D'accord, maintenant c'est vous qui décidez». Au niveau de la victime, c'était très simple. À la fin, elle a dit que jouer son rôle l'avait guérie. Mais elle ne nous avait pas dit qu'elle était une vraie victime, et elle a dit qu'elle avait été guérie de ce qui lui était arrivé dans le passé simplement parce que nous avions pu franchir cette frontière.

Je nous encourage donc vraiment à penser à des endroits sûrs pour faire ce genre d'expériences et pour avoir ce genre de discussions. Ce pourrait être une responsabilité de ce bureau national.

La présidente: Merci. Steve Sullivan.

M. Steve Sullivan: Merci, madame la présidente.

Je crois qu'une des choses qui frustre le plus les victimes c'est qu'elles entendent beaucoup trop parler des droits des accusés et je peux voir le même genre de frustration sur le visage de certaines des personnes présentes ici aujourd'hui.

Je crois qu'il importe de parler de l'information des victimes et de comprendre exactement ce que réclament les victimes. Elles ne réclament pas de s'asseoir avec le procureur et de planifier la stratégie du procès. Elles veulent savoir quand le procès aura lieu. Elles veulent connaître les dates. Elles veulent connaître les services. Regardez la déclaration des droits des victimes de l'Ontario et les autres mesures législatives analogues dans les autres provinces. Elles veulent savoir quels sont les chefs d'accusation et s'il n'y en a pas, elles veulent savoir pourquoi. S'il y a des choses que la Couronne ne peut leur expliquer, ce n'est pas compliqué de leur expliquer pourquoi on ne peut pas le faire ou pourquoi elles ne peuvent avoir ce renseignement.

M. Allan a parlé des victimes comme n'étant qu'un des intervenants. C'est ce que veulent les victimes. Elles veulent être un des intervenants dans le système. Beaucoup d'entre elles n'en ont pas du tout l'impression. Si vous pouvez leur donner l'impression qu'elles sont un des intervenants dans le système, vous avez réussi. Ce n'est pas à la Couronne, à la défense ou à un juge de s'assurer que lorsque la victime en a fini avec le système elle est complètement satisfaite du résultat. Cela se produira sans doute rarement. Mais si vous pouvez lui donner l'impression qu'elle s'est fait entendre et qu'elle a eu une certaine influence, vous avez réussi.

Nous avons entendu il y a quelques semaines au comité de la justice Theresa McCuaig nous dire qu'une des choses qui l'intéressait le plus de savoir à propos du meurtre de son petit-fils c'était combien de temps il avait souffert. Il lui a fallu attendre plus d'un an pour savoir qu'il n'est resté dans cet appartement que 20 minutes. Elle avait entendu à la radio et lu dans les médias qu'il y était resté plus de deux heures. Une des choses qu'elle voulait le plus c'était de pouvoir discuter avec la Couronne de cette histoire de négociations de plaidoyer. Cela ne lui plaisait pas du tout mais le procureur lui en a expliqué les raisons, lui en a expliqué l'importance en matière de témoignage, et elle est repartie satisfaite sachant qu'elle avait eu au moins l'occasion d'exprimer son opinion.

Il est évident qu'il faut traiter les victimes qui sont en même temps témoins de manière différente, mais dire que donner des renseignements de base aux victimes risque de mettre en danger le procès, c'est de la foutaise.

Écoutez ce que réclament les victimes et fondez vos décisions en conséquence.

La présidente: Merci, Steve. Gary Rosenfeldt.

M. Gary Rosenfeldt: Je vous remercie infiniment, madame la présidente. J'aimerais ajouter quelques mots à la réponse de Steve à M. Allan et M. Bloos.

En 1984, à Edmonton, un groupe de familles de victimes de meurtres s'est réuni et a ouvert un programme victimes-témoins au Palais de justice d'Edmonton. Brian Beresh, le président de la Criminal Trial Lawyers Association—je suis sûr que M. Bloos le connaît—a tenu à l'époque une conférence de presse nationale. Tous les journaux télévisés ont rapporté que ces victimes seraient présentes dans un palais de justice pour dire à d'autres victimes quoi dire.

Le tollé a été immédiat et j'en vois encore les séquelles exprimées aujourd'hui par M. Bloos et M. Allan qui ne sont pas favorables à la présence de victimes dans un tribunal pour aider d'autres victimes ou même d'un programme de services aux victimes, sur place, dans les tribunaux. Et je suis tout à fait d'accord avec Steve, c'est de la foutaise.

• 1200

On a l'impression que pour certains, les victimes ne pensent qu'à se venger, sont pleines de haine et prêtes à n'importe quoi pour faire plonger l'inculpé. C'est une attitude persistante—elle existait déjà il y a 14 ans—et c'est tout simplement faux.

Les victimes ne veulent pas la vengeance, elles veulent la justice. Elles veulent être informées pendant toute la procédure. Comme Steve l'a mentionné, elles sont dans le prétoire et pour la majorité des cas elles n'ont ni services ni salles d'attente distinctes. Certaines des choses qui devraient être offertes ne sont pas offertes dans ces tribunaux.

En fait, pendant six ans et demi, nous avons offert ce programme de services aux victimes dans les tribunaux d'Edmonton sans financement gouvernemental. C'était des victimes qui aidaient d'autres victimes devant le tribunal. Il n'est jamais arrivé une seule fois que quelqu'un se plaigne que nous ayons soufflé à une victime ce qu'elle devait dire devant le tribunal. Ce n'est jamais arrivé. Les personnes qui offraient leurs services dans ces salles de tribunaux étaient elles-mêmes des victimes de crime. Elles voulaient simplement guider d'autres victimes dans la procédure.

Mais ce que les victimes attendent réellement des tribunaux c'est quelque chose qui n'existe pas vraiment ici en Ontario. Nous avons ici dans la province un service de témoins, un service dit victimes-témoins et la majorité des provinces offrent ce genre de service. Ce que nous attendons en vérité, comme l'a dit Steve, pour commencer, c'est d'être informés sur la procédure et de savoir exactement ce qui se passe.

J'ai assisté dans des tribunaux un peu partout dans le pays des familles de victimes d'homicide. Je me souviens d'un cas à Vancouver, c'est un exemple, où nous sommes entrés dans la salle d'audience et le procureur de la Couronne a refusé de rencontrer la victime avant d'entrer dans cette salle. Après notre entrée dans la salle d'audience, j'étais assis près de la mère de la victime, et le procureur a rappelé que la main de son fils avait été coupée lorsqu'il avait essayé de se défendre. Il se battait contre l'inculpé, ce genre de choses. Je ne crois pas que les victimes veuillent vraiment connaître à l'avance la stratégie du procureur.

Je crois qu'un des meilleurs exemples de bon traitement et de bonne information des victimes est celui de l'affaire Mahaffy-French ici en Ontario.

Faites la comparaison, par exemple, avec ce qui est arrivé lorsque notre fils a été assassiné à Vancouver par Clifford Olson. Les services fournis par le procureur de la Couronne de la province de Colombie-Britannique étaient nuls et non existants. Nous n'étions jamais informés. Ils ne nous rappelaient jamais. Que ce soit la police ou le bureau du procureur général, personne ne nous rappelait. Personne dans le système ne nous rappelait. Nous nous sommes adressés au premier ministre de la province mais personne ne nous a rappelés.

Par contraste, regardez ce qui se passe aujourd'hui. Il y a quelques années, en Ontario, dans l'affaire French-Mahaffy, les procureurs, la police et tous les responsables ont coopéré avec les familles. Ils ont discuté de la possibilité d'une négociation de plaidoyer. C'est l'exemple que nous connaissons tous.

L'intéressant, c'est que tout compte fait, même si cette négociation de plaidoyer a posé un problème, les victimes ne se sont jamais plaintes, n'est-ce pas? Il est possible qu'elles n'aient pas été totalement satisfaites des résultats de cette condamnation mais il reste qu'elles ne se plaindront pas parce qu'elles étaient intégrées au processus.

Je crois que c'est exactement ce que nous essayons de démontrer ici. Il faut que les victimes soient informées pour qu'elles soient intégrées au processus et non pas écartées de celui-ci. Elles n'ont pas besoin de toute l'information qui risque de mettre en danger les arguments de la Couronne.

En réalité vous vous retrouverez avec une victime pleine de bonne volonté et coopérative. Et lorsque le procès sera terminé, il est possible que la victime ait le sentiment d'avoir été intégré au processus et qu'une certaine justice a été rendue. Peu importe que la peine corresponde ou non à leurs attentes. Dans de nombreux cas, ce n'est même pas ça qui importe.

Je regarde là-bas, de l'autre côté de la table, le père d'un enfant assassiné. Je suis sûr que la justice ne lui a pas permis d'obtenir ce qu'il voulait lors de l'audience, mais ce dont il faut se rappeler c'est que lui et sa famille ont su continuer à vivre leur vie. Ils ne seront plus jamais comme avant, et Jesse fera toujours partie de leur famille, mais cette personne a su continuer de vivre sa vie. Il est maintenant député.

La réalité c'est que les gens peuvent surmonter la victimisation jusqu'à un certain point, mais jamais complètement.

• 1205

Je me suis rendu au cimetière avec Chuck, pour rendre visite à son fils. Je le regarde aujourd'hui et je crois que c'est merveilleux. Il est maintenant député fédéral, mais il y a quelques années il était un parent désespéré, le père d'un enfant assassiné. Il est toujours ce même parent accablé de douleur aujourd'hui, le père d'un enfant assassiné, et Jesse occupe toujours une grande place dans sa vie, mais la réalité c'est qu'il est aussi député maintenant.

Il est comme moi; je dirige un grand organisme de services aux victimes au Canada. Nous ne faisons pas la promotion de la haine, de la vengeance, ni d'autres choses du genre.

Je vais m'arrêter là, Shaughnessy.

La présidente: J'ai neuf noms sur ma liste; l'heure du déjeuner approche rapidement, et nous accusons un certain retard. Je vais arrêter d'ajouter des noms à la liste. Je ne dis pas que nous ne reviendrons pas à certains de ces sujets après le déjeuner. Je ne vous oublierai pas.

Susanne Dahlin.

Mme Susanne Dahlin: Je serai brève. Je crois qu'on a déjà fait valoir tous mes arguments. Je voulais juste me faire l'écho de Steve et Garry: les victimes veulent être tenues au courant, avoir de l'appui et faire partie du processus.

Je crois que le principe de base de tout organisme d'assistance aux victimes c'est qu'on ne discute pas des preuves avec les victimes. Je crois que c'est un faux problème, de toute façon. Personne ne fait cela actuellement.

La présidente: Merci, Susanne.

Irvin Waller.

M. Irvin Waller: Cette discussion me rend très nerveux. Lorsque j'entends les mots «procureur de la Couronne», cela me semble déjà très révélateur de la nature des problèmes. Ce système a été conçu et placé entre l'État et l'agresseur sans tenir compte de ce que veulent le public ou les victimes.

Il me semble que lorsque nous parlons des victimes dans le processus de justice pénale, il faut revenir à deux ou trois très grands principes de base.

D'abord, la majorité des gens s'attendent à ce qu'on respecte leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Dans le fond, ils pensent que les gouvernements vont prendre des mesures pour les protéger. Il faut attribuer plus d'importance à cela dans ce que nous faisons ici aujourd'hui.

Je suis surpris de voir que jusqu'ici personne n'a parlé de la Loi sur les services policiers de l'Ontario. Bien qu'elle ne soit pas mise en application de façon très rigoureuse, elle contient quatre ou cinq principes liminaires qui disent que l'objectif principal de l'application de la loi consiste à protéger la vie et les biens des personnes en Ontario.

Cette loi parle de la protection des droits de la personne, du respect pour les victimes, des questions liées au sexe des parties en cause, et ainsi de suite. Elle énonce clairement une vision pour les services policiers qui est à jour, à mon avis, et non pas une vision du 17e ou du 18e siècle telle celle qui sous-tend, je pense, la majeure partie de notre système actuel.

Deuxièmement, lorsque l'État les protège, les victimes ne cherchent pas seulement la justice, qui est très importante pour elles, ni le respect, qui est aussi très important, elles cherchent à avoir un droit de regard sur le processus. Elles cherchent aussi une certaine sécurité, ce qui à mon avis est oublié complètement dans ce que nous faisons lorsque nous parlons de victimes. Parfois elles cherchent à être indemnisées, aussi.

Nous devons penser un peu plus à ces éléments qui sont effectivement respectés, de différentes façons, dans la justice réparatrice. C'est marginal à l'heure actuelle, et nous devons donc mettre l'accent là-dessus, puisque c'est important.

Troisièmement, ce qui se passe devant les tribunaux est visible et important. Surtout lors des causes les plus sérieuses, comme dans les cas de meurtre, bon nombre de ces causes se retrouvent devant les tribunaux.

Je crois que les Canadiens et Canadiennes expriment très clairement leur mécontentement face à la police et au système judiciaire. Moins de 50 p. 100 des gens déclarent les actes criminels dont ils sont victimes ou témoins à la police. C'est une indication très claire de leur sentiment de futilité.

Nous avons déjà vu les statistiques sur le viol. Environ 90 p. 100 des cas ne sont pas déclarés. Et même lorsqu'on les déclare, la majorité des cas ne se rendent pas devant les tribunaux. Nous devons consacrer beaucoup plus de temps à parler des services policiers.

Vous avez énuméré une série d'initiatives que pourrait prendre le gouvernement. J'aimerais juste ajouter deux ou trois choses qui figureraient tout en haut de ma liste de souhaits.

Les principes de la Loi sur les services policiers de l'Ontario devraient être inclus, par exemple, dans la Loi sur la GRC, et on devrait rehausser leur profil par le truchement du Code criminel et de la Loi sur les jeunes contrevenants. Toute loi fédérale portant sur les actes criminels devrait énoncer clairement les objectifs généraux poursuivis et l'importance des victimes.

• 1210

L'idée d'un bureau national pour les victimes, c'est l'enfance de l'art. Depuis des siècles les victimes ont été exclues du système, et on l'a dit encore aujourd'hui. Ce n'est qu'une partie de ce que devrait faire la Couronne. Nous n'avons pas beaucoup parlé des services policiers, mais pour que les victimes jouissent du respect qui est dû à leur vie et à leur sécurité, certains changements vont être absolument nécessaires. Il faudra une volonté manifeste, au niveau national ainsi qu'au niveau provincial, pour essayer de remanier le système bureaucratique qui a été mis en place dans une perspective tout à fait différente.

Je m'intéresse au fait que ce comité s'appelle le Comité de la justice et des droits de la personne. Ces aspects préoccupent les victimes, mais nous devons faire comprendre aux gens que la sécurité est aussi importante que la justice. Nous devons essayer d'aider les services policiers à se rendre compte qu'ils sont les premiers intervenants à aider les clients, qui sont leurs égaux.

Il faut supprimer le mot «couronne» de l'expression qui décrit le procureur. Je ne sais pas par quoi je la remplacerais. Nous devrions examiner la possibilité d'une représentation lors du procès devant les tribunaux et le droit de protéger leurs intérêts. Le procès intéresse les victimes au premier chef, en ce qui a trait à la sécurité, l'indemnisation éventuelle, et la prise en compte de leurs opinions.

Ces idées ne sont pas révolutionnaires; elles existent dans d'autres pays. Nous avons déjà vu ici au Canada comment le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont pu s'entendre sur le divorce pour créer un tribunal de la famille pour traiter de ces questions séparément des crimes. Pourquoi ne pas mettre au point un système qui permette de traiter ensemble les actes criminels et l'indemnisation? C'est le deuxième point sur la liste des choses que j'aimerais voir se réaliser.

Voici le troisième point sur cette liste. Je crois que pour financer ces initiatives il faut étudier comment mieux dépenser les 10 milliards de dollars que nous dépensons actuellement pour lutter contre le crime au Canada. Ces fonds devraient être investis de façon à garantir la sécurité. S'assurer que les services policiers mettent l'accent sur la sécurité—où leur rôle est limité—et traitent les victimes comme des clients. Les procureurs et les tribunaux etc. devraient aussi traiter les victimes comme des clients.

Nous devons aussi examiner d'autres possibilités de financement novatrices. Les États-Unis ont réussi à faire beaucoup de choses pour les victimes grâce à leur système d'amendes imposées aux contrevenants dans le secteur des affaires. Le Office for Victims of Crime aux États-Unis ne dépense pas l'argent des contribuables. Il dépense—je n'ai pas le chiffre exact—entre 100 et 200 millions de dollars américains. Ce bureau a à l'heure actuelle 500 millions de dollars américains à son actif.

Nous devons envisager d'utiliser les amendes et autres sources de financement pour transformer le système afin que les victimes ne soient plus perdues ou oubliées dans l'ombre mais soient plutôt associées à part entière à notre débat sur la sécurité et la justice dans ce pays.

La présidente: Merci, Irvin.

Rick Prashaw.

M. Rick Prashaw: J'ai été très ému par le commentaire de Steve Sullivan qu'il a illustré en racontant l'histoire de cette femme qui voulait savoir ce qu'avait souffert la personne qu'elle aimait le dernier jour de sa vie. Toutefois, nous n'oublions pas que si nous souhaitons faire place aux victimes dans notre système de justice, nous ne voulons pas toutefois qu'il soit conçu uniquement en fonction de leurs besoins. Nous voulons qu'elles nous proposent une liste de questions. Nous apprenons à être surpris des questions qu'elles posent et des réalités très diverses par lesquelles elles se distinguent les unes des autres. Nous devons leur donner les moyens de dresser la liste des questions auxquelles elles souhaitent des réponses. Nous devons mettre à contribution le système et les collectivités pour trouver les ressources dont elles ont besoin.

J'ai tenté d'amener avec moi Susan Savereux. À Vancouver, elle a raconté son histoire avec beaucoup d'émotion. Le crime n'a pas été commis à Vancouver; son frère a plutôt été tué par un conducteur en état d'ébriété. Ce n'est que lors de la médiation, après le prononcé de la peine, qu'elle a pu poser toutes les questions qui lui ont permis de tourner la page et de reprendre le cours de sa vie. Elle a su de quoi avait été faite sa dernière journée. Elle n'avait pas fait la paix avec son frère. Le processus de médiation a su dépasser l'aspect antagoniste et punitif du système; c'est un processus qu'on pourrait qualifier d'hybride.

• 1215

Dans les collectivités, on nous dit que le système contradictoire a du bon: «Si mon fils est accusé, je vais essayer de trouver un bon avocat de la défense dans le cadre du système actuel». Je connais les horreurs de ce système mais le fait est que pour un être cher je veux le meilleur avocat de la défense possible. À l'heure actuelle, je sais que je choisis une voie semée de problèmes parce que je n'ai pas la possibilité de poser de questions. Je n'ai pas souvent la possibilité de jouer un rôle plus actif.

Ainsi, si nous pouvions découvrir ce qu'il y a de bon dans le système contradictoire—confidentialité, application régulière de la loi, défense pleine et entière—et essayer de déterminer ce qu'il y a de bon dans les nouvelles approches, nous pourrions promouvoir le dialogue et les rencontres sous surveillance, après les préparatifs qui s'imposent et le consentement des intéressés. Nous pourrions ainsi retenir ce qu'il y a de bon dans ces deux mondes, ces deux planètes, ces deux approches de la justice, à la fois réparatrices et traditionnelles...

Nous participons à des réunions dans les sous-sols d'églises et nous parlons de punition et nous voyons là assis sur des bancs d'églises des gens qui souhaitent des punitions rigoureuses. Cela tient à l'histoire et à la théologie qui enseignent qu'il faut qu'il y ait châtiment. Si nous pouvions garder ce qu'il y a de bon dans ce système et écarter les éléments les moins bons... Nous voulons que des leçons soient apprises, nous souhaitons les dénonciations et l'effet dissuasif, nous voulons la sécurité mais nous semblons être omnubilés par cette idée du châtiment, par cette façon de rendre justice et nous oublions malheureusement l'essentiel. Comme il existe si peu d'outils dans les collectivités, nous croyons...

La semaine dernière, Ross Hastings parlait de mesures dissuasives uni-dimensionnelles, d'une crainte uni-dimensionnelle, celle qui existe quand nous tentons d'effrayer les jeunes en brandissant la menace d'une peine alors qu'ils craignent davantage d'être exclus par leurs pairs. Nous tentons de les dissuader de se tourner vers la criminalité en disant qu'elle est inacceptable, qu'elle est contraire à nos valeurs mais ce qui préoccupe réellement les jeunes c'est qu'ils n'ont pas d'emploi, qu'ils n'ont pas d'avenir, qu'ils sont privés d'espoir et ils ne sont pas disposés à accepter d'autres messages, surtout pas lorsqu'on leur parle de non-respect des valeurs d'une collectivité à laquelle ils n'ont pas le sentiment d'appartenir.

J'estime qu'il y a dans le système de justice actuel quelque chose de très bon non seulement en raison de ceux qui y travaillent mais en raison des principes sous-jacents. Si nous pouvons découvrir quels sont ces bons éléments dans le contexte de ce que nous voulons défendre et protéger, nous pourrons aussi évaluer ces nouvelles approches, lesquelles sont en réalité très anciennes et s'accompagnaient d'une participation très réelle des collectivités, afin que nous puissions choisir le meilleur des deux systèmes. À l'heure actuelle, je suis coincé entre les deux.

Si quelqu'un que j'aime est accusé, je vais aller rapidement cogner à votre porte pour tenter d'obtenir la meilleure défense possible, compte tenu des dangers que coure cet être cher. Or, je ne crois pas que le système nous permette toujours d'en arriver à la vérité. Il y a les négociations de plaidoyer et les ententes négociées en secret et nous court-circuitons le système de sorte que les victimes s'en trouvent exclues.

Nous en sommes aujourd'hui à une étape importante du dialogue puisque nous parlons de l'entrée dans le système et certains, dont Randy, Rick et d'autres, disent qu'il ne faut pas franchir ces portes. Quand on franchit ces portes, on oublie parfois la vérité et la valeur réparatrice du processus. D'autres disent qu'ils ne veulent pas une approche purement réparatrice parce qu'ils connaissent des histoires d'horreur résultant d'un transfert de la responsabilité aux collectivités sans tenir compte du déséquilibre entre les sexes et les classes, de l'inégalité du pouvoir et du risque que certains courent de devenir victime une autre fois. La décision est présentée comme un choix entre le système existant et les approches nouvelles mais j'estime qu'il y a du bon dans les deux systèmes et que nous devons trouver le moyen de garder le meilleur des deux.

La présidente: Merci, Rick.

Kathy Louis, je sais que vous vouliez dire quelques mots à propos de la justice réparatrice.

Mme Kathy Louis: Merci, madame la présidente. En réalité, j'aimerais parler de la nécessité d'assurer une meilleure sensibilisation et une meilleure formation aux divers groupes d'intervenants du système de justice pénale, du système actuel, avant d'envisager un système de justice réparatrice.

Cela m'a encouragée d'entendre Joanne Marriott-Thorne expliquer ce qu'ils font dans leur région pour inclure les victimes parce que, étant autochtones et étant donné notre vision du monde... J'aimerais y revenir, dans un jour ou deux, parce qu'il est essentiel de comprendre la vision du monde des peuples autochtones laquelle est bien différente de celle des grands courants de la société, et j'estime qu'il est important que les différents intervenants qui travaillent au sein du système soient conscients des différences et comprennent pourquoi il y a des différences dans ces visions du monde. Il est important qu'ils perçoivent le système de justice pénale dans l'optique des peuples autochtones.

• 1220

J'aimerais aussi mentionner qu'un énorme changement d'attitude s'impose chez ceux qui travaillent à l'intérieur du système. Nous oublions certains aspects essentiels quand nous oublions les égards dus aux victimes par les policiers, les avocats de la défense, les procureurs de la Couronne, les juges, le système correctionnel et le système de libération conditionnelle. Il y a toujours des gagnants et des perdants. Dans ma culture, la justice réparatrice fait que tout le monde y gagne. Nous mettons l'accent sur la réparation et pas uniquement sur le châtiment.

J'estime qu'il faut examiner ces notions et chercher à mieux les comprendre.

La présidente: Bob Whitman.

M. Bob Whitman: Dans mon métier, je travaille auprès des délinquants. Je les entends m'expliquer comment ils s'y prennent pour déjouer le système. J'estime que quand nous accordons des droits à une personne nous devons aussi voir comment ils en abusent.

Nous leur accordons le droit à un procès sans retard indu. Je ne vois pas pourquoi nous hésitons à dire que nous devrions accorder le même droit aux victimes. Quand le procès n'est pas terminé au bout de deux ans, qu'est-ce que cela fait à la victime et quelles sont les conséquences pour le processus?

Il en va de même du droit aux services d'un avocat que nous leur accordons. Je ne sais pas pourquoi nous n'accordons pas le même droit aux victimes afin qu'elles puissent défendre leurs droits lorsqu'ils sont bafoués.

J'aimerais soulevé la question de ce qu'on entend par «une bonne défense». J'ai du mal à accepter ce que les avocats de la défense appellent une bonne défense. Peut-on parler de bonne défense lorsqu'on provoque des retards dont le seul but est de semer la confusion dans l'esprit des gens quant aux preuves à présenter? À mon avis, on ne peut pas appeler cela une bonne défense.

Nous avons parlé plus tôt d'un code de déontologie. Je me demande si les avocats de la défense seraient disposés à adopter leur propre code de déontologie parce que j'estime que les avocats de la défense revictimisent souvent les victimes.

La présidente: Andrew Telegdi.

M. Andrew Telegdi: Merci, madame la présidente. Avant d'être élu député, je travaillais dans un organisme de justice communautaire, Youth in Conflict with the Law. Nous avions adopté une approche plus large dans le but d'instaurer un système de justice réparatrice. Il y a déjà 20 ans de cela. Comme j'ai travaillé assez étroitement avec les tribunaux et que j'y ai passé du temps comme observateur, j'ai constaté très clairement que les procureurs de la Couronne sont surmenés, que les forces policières sont surmenées, que tous les intervenants qui travaillent dans les tribunaux sont surmenés. Nous traitons énormément de cas dans les tribunaux qui auraient très bien pu être traités par d'autres moyens.

Cela aurait quelques effets positifs. D'abord, cela réduirait la charge de travail des tribunaux, et cela m'apparaît important. Ensuite, cela permettrait de trouver un règlement beaucoup plus positif à certaines causes comme c'est le cas des affaires qui sont déjudiciarisées, et cela aussi m'apparaît très important. Ceux qui participent au système contradictoire devant les tribunaux auraient plus de temps pour être sensibles au sort des victimes et plus de temps pour se sensibiliser au rôle qu'elles peuvent jouer. Nous pourrions affecter davantage de ressources aux interventions d'urgence pour aider ceux qui vivent des tragédies comme celles de Priscilla de Villiers et les autres personnes touchées par ce genre de crime.

Ce devrait être automatique. Quand un policier doit aller annoncer qu'il y a eu homicide... il doit savoir qu'il faudra une intervention d'urgence parce que très peu de gens peuvent survivre à de telles tragédies sans aide.

• 1225

Quant aux procédures judiciaires, la situation est bien différente quand il s'agit de prouver la culpabilité. Une fois la culpabilité établie, cependant, il me semble que les victimes devraient avoir le droit de faire une déclaration de victime, par écrit ou oralement.

Si les émotions sont à vifs aux auditions du tribunal au moment du prononcé de la peine, eh bien soit. Ce n'est pas censé être une procédure aride et indolore. C'est censé être le dénouement de l'affaire et même si la victime ne pourra jamais oublier, elle peut tout au moins recevoir de l'aide. Plus le crime est pénible, plus il faudra de temps à la victime pour s'en remettre.

Nous devons sérieusement réexaminer la façon dont nous affectons nos ressources. Irvin a mentionné que nous consacrons 9,6 milliards de dollars au système actuel si l'on fait le total des dépenses fédérales, provinciales et municipales. Si l'on va au-delà de cela, on dépense 46 milliards de dollars.

Au cours des quelques dernières semaines, nous avons affecté 32 millions de dollars à la prévention de la criminalité et au financement de programmes de sécurité des collectivités dans tout le Canada et nous avons lancé un appel de propositions. Ces 32 millions de dollars représentent 1 p. 100 du budget fédéral consacré actuellement aux ministères de la justice et du solliciteur général—1 p. 100—et on en a beaucoup parlé dans les médias. Nous avons consacré 40 millions de dollars à l'embauche de 1 000 personnes additionnelles pour travailler dans les pénitenciers, et les médias en ont très peu parlé.

Nous allons devoir réexaminer la façon dont nous affectons les crédits dont nous disposons actuellement. Pouvons-nous dépenser les budgets de façon plus optimale? Comment pouvons-nous marier le système de justice traditionnel, essentiellement contradictoire, et le modèle de justice réparatrice ou de justice communautaire? Comment pouvons-nous associer la population à cette réforme afin qu'elle constate que la justice sera bien servie?

Je peux vous dire qu'en Ontario, l'opinion publique est d'avis que la Loi sur les jeunes contrevenants est beaucoup trop complaisante. Or, quand on examine la Loi sur les jeunes contrevenants au Canada, nous constatons qu'elle est sans doute la plus rigoureuse qui existe dans tous les pays de l'Occident. C'est ça la réalité, mais l'opinion publique est d'avis que la Loi sur les jeunes contrevenants est tout à fait inefficace.

Je prends souvent pour exemple le Québec parce que j'ai constaté que l'écart entre la perception et la réalité y est moins grand puisqu'il n'y a pas là les influences qui existent dans le Canada anglais et qui nous viennent du sud de la frontière.

La présidente: Merci, Andrew.

Brenda McDonald.

Mme Brenda McDonald: J'aimerais mentionner encore quelques exemples tirés de notre cas où nous avons trouvé que Susan a subi un traitement dégradant, très peu respectueux de la victime qu'elle est. Elle n'était pas là pour se défendre. On ne nous a pas donné cette possibilité et nous avons dû nous en remettre au procureur de la Couronne et je crois même savoir que ce n'est pas son avocat qui la représentait. Il aurait pourtant été très simple d'utiliser son nom de temps en temps, peut-être même une seule fois, au lieu de dire «le corps» ou encore «son épouse». Il aurait déjà été préférable d'utiliser le terme «victime». Lors de l'appel, son nom n'a pas été mentionné une seule fois. C'est comme si elle n'existait même pas.

Ensuite, si le délinquant commet un deuxième acte criminel et qu'aucune accusation n'est portée... Le geste posé par Ralph Klassen était certainement assez grave pour que des accusations soient portées contre lui. Ce jeune homme, Ralph Klassen, après avoir tué ma soeur, est monté dans son camion et a tenté de se suicider en empruntant l'autoroute du Yukon et en allant se placer devant un camion de gaz propane. Il n'est pas mort. Il a subi des blessures très légères. Toutefois, le conducteur du camion a été blessé au cou et au dos et il souffrira de ses blessures jusqu'à la fin de ses jours. Il n'a jamais été officiellement reconnu comme victime parce qu'aucune accusation n'a été portée. Il s'est trouvé mêlé à toute cette histoire un peu malgré lui. On a dit qu'une fois terminé le procès pour meurtre au deuxième degré—ils ne voulaient pas brouiller les cartes de ce procès—on porterait des accusations.

Quand il a été reconnu coupable d'homicide involontaire plutôt que de meurtre au deuxième degré, on a dit à ce jeune homme: «On aura l'impression que c'est le dépit qui vous motive. Devrions-nous aller de l'avant?» Il n'a toujours pas été reconnu comme victime et il se sent complètement abandonné et trahi par notre système de justice.

• 1230

La population de Whitehorse n'est pas d'avis que c'était dans leur meilleur intérêt que le bureau du procureur de la Couronne ait renoncé à porter des accusations bien que c'est ainsi qu'on a justifié la décision aux gens de Whitehorse: ce n'était pas dans le meilleur intérêt d'exiger que des accusations soient portées contre Ralph dans cette affaire.

Il y a eu revictimisation dans un autre aspect de notre cas puisqu'il existe une loi qui blâme la victime, et c'est celle qui permet d'invoquer la provocation comme défense. Nous pensions bien que mon ex-beau-frère allait chercher à salir la réputation de Susan. Que pouvait-il faire d'autre? Il l'avait tuée. Nous ne savions pas qu'une loi allait lui permettre de le faire impunément.

J'estime que cela bafouait ses droits fondamentaux, sa liberté de parole. Elle n'était pas là pour se défendre et pour dire si elle avait effectivement mis en doute sa masculinité et aucun juge ni aucun jury ne pouvait alors dire lequel des deux était crédible. Il était le seul à témoigner et on a manifestement jugé qu'il disait la vérité et rien que la vérité. Il y avait deux personnes présentes, mais l'une d'elles était morte.

L'une des questions qui me préoccupe le plus, et je sais que le gouvernement fédéral peut agir à cet égard, c'est la nécessité de modifier la loi et de supprimer la provocation comme défense dans notre Code criminel afin que le blâme ne soit pas imputé à la victime mais plutôt au délinquant, pour qu'il assume l'entière responsabilité des gestes violents qu'il a commis.

La présidente: Merci, Brenda. Vous savez peut-être que le ministère a entrepris un examen des articles du Code criminel sur la provocation et la légitime défense.

C'est Priscilla de Villiers qui aura le dernier mot ce matin.

Mme Priscilla de Villiers: Nous devons revenir à ce que cela signifie réellement d'être une victime.

Ce n'est pas au tribunal qu'on peut panser les blessures. Ce n'est pas à cela que sert le tribunal. Les victimes de crimes se retrouvent complètement seules et démunies, complètement écrasées par un système qui leur est étranger, par un système auquel elles n'ont aucun accès et dans lequel elles n'ont aucun défenseur. Si j'ai commis une faute de syntaxe, veuillez m'en excuser.

Tout ce que l'on peut faire c'est de ne pas céder quand très souvent on souffre des douleurs ou des troubles physiques, un stress émotif et psychologique énorme consécutif au traumatisme, ce qui serait déjà bien assez, mais en plus tout autour de nous la famille se désintègre, et il faut parfois attendre des années—dans le cas de Rosalee Turcotte, elle vit cette tragédie depuis sept ans—jusqu'à ce qu'aboutisse le processus judiciaire.

Ce dont ont besoin les victimes—et je crois pouvoir parler au nom de nous toutes—c'est d'un dénouement clair, ouvert et transparent. Nous devons être traités comme des êtres humains. C'est tout. Oubliez les beaux mots comme le respect, la plus élémentaire courtoisie humaine et la dignité. Il faut que les victimes aient l'impression d'avoir un rôle à jouer dans ce système ou, si vous y êtes associés parce qu'un être cher est mort, que la vie de cette personne avait un sens.

Nous rendrons publics très bientôt des résultats de recherche qui montrent très clairement le lien entre la réhabilitation réussie d'une victime—sa pleine réinsertion dans une vie enrichissante quelconque—et la façon dont elle a été traitée par le système.

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi le bien-être de la victime ne serait pas une raison suffisante pour l'associer aux procédures du système de justice pénale dans un pays réputé pour sa compassion et son souci de la dignité humaine. Et pourtant, nous traitons les innocentes victimes de la criminalité comme des parias.

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi les droits civils d'une victime ne constituent pas une raison suffisante pour améliorer la place faite à la victime dans le système de justice pénale. Ce devrait être suffisant. Il n'y a pas lieu d'en débattre.

• 1235

Croyez-moi, le principal souci des victimes du crime est leur sécurité, celle de leur famille et celle de leur collectivité. Et toutes les victimes vous diront qu'il ne faut plus jamais que cela se reproduise. Ce sont les deux principales motivations des victimes et je peux vous dire que ce sont aussi celles de la collectivité puisque la victime représente la collectivité.

Si nous laissons de côté la dignité humaine et la compassion, les principaux arguments en faveur de l'inclusion de la victime sont que nous devons renforcer la coopération des victimes si nous voulons mettre un terme à ces crimes terribles. Nous connaissons les statistiques et nous savons qu'un très faible pourcentage des crimes sont déclarés, et cela dit tout. Si vous n'aidez pas les victimes, si vous ne les traitez pas elles et leurs familles comme il se doit, les victimes ne déclareront pas les crimes dont elles sont victimes, un point c'est tout, elles ne s'adresseront certainement pas aux tribunaux.

Je peux vous dire que, sachant ce que je sais aujourd'hui, si ma fille avait survécu, je lui conseillerais aujourd'hui de régler ses problèmes en privé. Je ne recommanderais jamais à quiconque de s'adresser aux tribunaux aujourd'hui, en 1998. Et pourtant, je crois fermement au droit et à l'ordre.

Le deuxième argument est que nous devons traiter les victimes avec respect, car cela a pour effet de renforcer les comportements socialement désirables. Si vous ne donnez pas aux victimes la stature à laquelle elles ont droit, si vous les diminuez, vous avilissez un comportement socialement acceptable. Cela est en soi un message.

Le troisième argument est que l'intérêt de la victime renforce une opinion publique favorable au système judiciaire étant donné que le grand public, et vous pouvez me croire, s'identifie à vous, qui êtes membres de la collectivité, en disant: «Voilà comment je voudrais être traité». D'ailleurs, l'appui que nous donne le grand public depuis six ans et demi en atteste.

Nous devons également, et c'est indispensable, penser à la compensation, c'est-à-dire le versement d'une indemnisation. Non seulement cela doit-il être un genre de dissuasif, mais avoir aussi un genre d'effet guérisseur pour la victime, étant donné que la plupart des victimes finissent par se trouver dans une situation économique extrêmement précaire après être passées entre les mains du système. Non seulement y a-t-il risque de perte matérielle, de souffrance, de maladie, et autres maux, mais très souvent aussi la victime se retrouve à l'assistance sociale ou presque.

Le dernier argument est que nous devons faire quelque chose pour les victimes au second degré, c'est-à-dire les victimes associées. Ici encore, il n'y a pas d'effet de guérison; bien au contraire, il s'agit de gens qui deviennent un fardeau pour la société étant donné qu'ils ne s'en remettent jamais. Au Canada, la santé physique et mentale—et je viens d'écrire une communication à ce sujet pour l'American Psychiatric Association—entraîne des coûts astronomiques. Si vous ne tenez pas à devoir dépenser quelques millions de dollars pour les victimes... Croyez-moi, c'est ce que nous faisons déjà, et cela ne fera que continuer.

S'agissant maintenant du bureau pour les victimes d'actes criminels, je me suis fait entendre haut et fort à ce sujet. Il est indispensable de monter un bureau de ce genre. Il n'existe aucun point d'accès central. Il n'existe rien qui nous permette à tous de trouver l'information dont nous avons besoin. Il n'y a pas de bureau centralisé pour la défense des intérêts des victimes, il n'y a pas de centre de recherche non plus. Il n'y a eu quasiment aucun sondage parmi les victimes d'actes criminels qui vaille la peine d'être mentionné.

Nous ignorons ce que coûte au plan national tout ce dossier des victimes. Si nous le savions, nous pourrions arriver à mieux répartir ce que nous dépensons pour l'aide aux victimes et pour la prévention de la criminalité. Je vous dirai que 32 millions de dollars, c'est probablement une goutte d'eau dans la mer par rapport à ce que la criminalité coûte au total.

Il faut également faire de la vulgarisation. Nous devons commencer à faire connaître aux gens le système actuel. Les médias font une surenchère incroyable, et il est temps de faire quelque chose à ce sujet, je veux dire par là la façon dont les médias font état des crimes. Tout dernièrement encore, en Ontario, il y a eu une série de meurtres et on a trouvé les corps près de cinq mois plus tard dans un camion, en pleine chaleur, et tous les journaux du Canada n'ont pas arrêté de parler de ces corps en décomposition en utilisant les termes les plus crus.

Les victimes, les membres des familles et la collectivité n'ont pas envie de devoir lire sans cesse ce genre d'articles à propos des êtres chers qui ont été assassinés, des articles qui s'étendent sur des choses comme l'odeur, l'apparence et la décomposition. Tout cela n'est pas nécessaire. Au contraire, c'est offensant. Nous ne le faisons pas lorsqu'il s'agit d'un simple accident, d'une maladie ou d'un suicide. C'est extrêmement offensant, et il est temps que nous fassions quelque chose à ce sujet.

• 1240

Il nous faut un centre de ressources pour les trois ordres de gouvernement, un genre de guichet unique tous azimuts pour tout ce qui intéresse les victimes. Nous devons également arriver à légitimer en quelque sorte le fait qu'il existe bel et bien une créature qui s'appelle la victime d'un acte criminel, et nous devons lui donner une voix légitime dans tous les rouages du gouvernement, en d'autres termes lui donner un rôle dans le système judiciaire.

La présidente: Merci, Priscilla.

Nous allons maintenant nous interrompre quelques instants, mais je vous exhorte à reprendre place vers 13 h 50. Ainsi, nous serons à nouveau dans les temps pour la séance de l'après-midi.

Il nous reste beaucoup de terrain à couvrir, mais nous ne faisons que commencer et nous avons encore bien du temps à notre disposition pour en parler.

Je ne vous garantis pas un déjeuner mémorable. Après tout, nous sommes à la Chambre des communes. Profitez donc de votre pause-déjeuner, et j'espère que vous en profiterez pour discuter entre vous. Une fois encore, si cette façon de procéder vous dérange, faites-m'en part personnellement.

• 1242




• 1401

La présidente: Avant de commencer la séance, je vous signale que deux de nos participants ont une annonce à faire à propos de certaines activités à venir, à très long terme certes, mais quoi qu'il en soit...

Arlène Gaudreault sera la première.

[Français]

Mme Arlène Gaudreault: Merci, madame la présidente, de me donner l'occasion d'inviter tous les participants de ce colloque à un symposium international qui aura lieu en l'an 2000 à Montréal. C'est la première fois que ce symposium international en victimologie se tiendra en Amérique du Nord, et nous en sommes très fiers. C'est l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes qui en sera l'hôte.

Nous voulons que ce symposium donne une très grande place à tous les services d'assistance aux victimes et plus particulièrement aux praticiens, ceux qui travaillent quotidiennement avec les victimes d'actes criminels. Nous aborderons des thèmes qui sont des préoccupations des personnes qui sont ici présentes, des questions d'éthique, des questions de prévention de la victimisation et la question des droits des victimes, qui est incontournable. Nous voulons en faire un forum très dynamique, un forum d'échange avec tous les pays, parce que c'est un forum international.

Donc, mettez cet événement à votre agenda. Je souhaiterais que vous nous envoyiez le petit coupon qui est dans le dépliant que je vous ai remis pour qu'on puisse communiquer régulièrement avec vous à toutes les étapes du congrès. Donc, c'est un rendez-vous à Montréal, en l'an 2000, pour reprendre quelques-unes des discussions que nous avons eues ici aujourd'hui et les partager avec des gens du monde entier.

Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie, et je donne maintenant la parole à Irwin Waller, le coprésident de la conférence en question.

Irvin, je vous en prie.

M. Irvin Waller: Nous avons évidemment prévu ce colloque en partant du principe que le rapport du comité aurait été mis en oeuvre d'ici là et que nous pourrions en faire part aux autres pays du monde.

La présidente: Mais uniquement si ce rapport vous plaît. C'est comme cela que les choses se passent?

M. Irwin Waller: C'est l'aspect mise en oeuvre qui nous préoccupe.

La présidente: Fort bien.

M. Irwin Waller: Nous sommes persuadés que votre rapport sera excellent, et nous espérons simplement que le gouvernement y donnera suite.

La présidente: Je vous remercie.

M. Irwin Waller: Je pense qu'il faut signaler que parmi tous les thèmes qui nous interpellent, l'élément policier occupe une priorité très élevée. La prévention est également l'un des thèmes importants.

Mais pour moi qui ne vis pas à Montréal, je pense que c'est un endroit superbe pour venir rencontrer tous les gens qui font tout ce dont nous avons parlé ce matin et qui, dans certains cas, ont trouvé de bonnes solutions alors que dans d'autres, ils voudront sans aucun doute apprendre quelles sont celles que nous avons ici.

La présidente: Je vous remercie, Irwin.

Randy, vous aviez une annonce à faire également à propos d'une conférence.

Le Sgt Randy Wickins: Oui, je vous remercie.

Il y a aura quelque chose de très semblable l'année suivante, en l'an 2001, en l'occurrence la conférence de la National Organisation of Victim Assistance, qui aura lieu à Edmonton.

• 1405

Je vois ici la brochure d'Arlène. Arlène, pourriez-vous nous en faire une également? Cela se ressemble beaucoup.

Pour la seconde fois dans son histoire, cette conférence aura lieu au Canada. Il s'agit essentiellement d'une conférence américaine, mais à connotation internationale. Nous avons découvert il y a environ un mois qu'Edmonton avait été choisie pour accueillir cette conférence. Nous venons tout juste de commencer la planification et tout est dans le domaine du possible. Nous sommes impatients de recevoir tout le monde à Edmonton en l'an 2001.

Je vous remercie.

La présidente: Merci.

Je vois que trois nouveaux collègues députés se sont joints à nous.

Je vais commencer par John. John, vous pourriez peut-être vous présenter et nous donner le nom de votre circonscription.

M. John McKay (Scarborough East, Lib.): Je m'appelle John McKay et je suis le député de Scarborough East.

La présidente: Eleni, auriez-vous l'obligeance de vous présenter?

Mme Eleni Bakopanos (Ahuntsic, Lib.): Certainement. Je suis déjà venue un peu plus tôt. Je m'appelle Eleni Bakopanos et je suis la députée de la circonscription d'Ahuntsic à Montréal, et la secrétaire parlementaire du ministre de la Justice.

Bonjour tout le monde.

La présidente: Peter.

M. Peter Mancini (Sydney—Victoria, NPD): Je m'appelle Peter Mancini, et je suis le député de Sydney—Victoria. Je suis également le critique du NPD en matière de justice. Je fais également partie du Comité spécial sur la garde et le droit de visite auquel je siégeais d'ailleurs ce matin. Je voudrais présenter mes excuses à l'auditoire si je n'étais pas présent pour la séance de la matinée, mais aujourd'hui j'avais deux affectations simultanées.

La présidente: Je vous remercie. Vous voyez comme notre vie est facile, il nous suffit d'avoir le don d'ubiquité.

Je vais demander à Peter McKay de nous exposer le second thème de cette journée et demie de discussions.

M. Peter MacKay: Merci, madame la présidente. Notre second thème sera le rôle et les droits des victimes avant le procès et pendant les phases de détermination de l'aptitude, pendant le procès, lors de la détermination de la peine et pendant les étapes de l'appel qui font partie du système judiciaire.

Tout cela s'inscrit à mon avis dans le droit fil de ce dont nous avons discuté ce matin. Ce dont nous parlons ici, ce sont j'imagine des exemples concrets que nous pouvons utiliser comme points de repère et comme secteurs d'améliorations possibles qui permettraient de donner aux victimes le sentiment qu'elles sont davantage intégrées au système et qu'elles participent davantage aux décisions qui doivent être prises par les intervenants en première ligne. Je pense que tout cela va produire encore une fois une discussion fort enrichissante étant donné ce qui a déjà été discuté ce matin.

La présidente: Merci, Peter.

Comme je le disais, cela chevauche un peu ce que nous avons fait ce matin, même si, avant le déjeuner, il y a un domaine que nous n'avons pas vraiment approfondi. Je sais que nous devons en discuter et puisque le second thème parle expressément des procédures judiciaires, je suggérerais de commencer nos discussions par la négociation de plaidoyers, la façon dont les victimes y prennent part ou non et ce que devrait être leur rôle selon les autres intervenants dans la procédure.

Si vous y réfléchissez quelques instants, nous pourrions en profiter pour parler plus longuement de la justice réparatrice, qui est une manière de démarche non judiciaire qui s'applique au même genre de problème—à mon avis du moins, à moins que je fasse une association d'idées malvenue, ce qui m'arrive.

Je vais commencer par donner la parole à Steve Sullivan—toujours très étonné—pour qu'il nous parle de la négociation de plaidoyers, étant donné qu'il a dit un peu plus tôt, si je ne me trompe pas en le citant: «Les victimes ne veulent pas diriger les procédures, mais elles veulent avoir leur mot à dire.» Comment cela se traduit-il donc en quelque chose de concret au niveau de la négociation de plaidoyers?

M. Steve Sullivan: Il y a une ou deux choses à ce sujet. Les victimes veulent effectivement pouvoir soumettre leurs opinions à la Couronne lorsqu'il y a négociation de plaidoyers mais—et Theresa McCuaig en a parlé également au comité—lorsque le procureur estime nécessaire d'accepter cette négociation ou ce marchandage et d'abandonner les chefs d'accusation initiaux, je pense qu'il faut également que les victimes comprennent pourquoi. S'il y a certes des problèmes de preuve, si le procureur risque de ne pas obtenir de condamnation parce qu'il s'est trompé de chef d'accusation... Je pense qu'il est important d'expliquer le pourquoi de cela aux victimes.

Comment faire en sorte que les procureurs de la Couronne le fassent? Pour ce qui est de ce qu'ont fait les provinces jusqu'à présent, je pense qu'en Ontario, par exemple, la loi provinciale n'est pas suffisante. Il s'agit essentiellement de faire confiance aux bonnes dispositions du procureur de la Couronne, et c'est selon sa charge de travail et ainsi de suite. Les femmes dont nous avons parlé qui poursuivent le gouvernement soutiennent qu'on ne leur a pas donné la possibilité de s'entretenir avec le procureur de la Couronne au sujet précisément de la négociation des plaidoyers.

• 1410

Nous avons pour notre part suggéré d'intervenir au niveau peut-être du Code criminel—et toutes les autres suggestions à ce sujet seraient bien sûr les bienvenues—par un amendement disant qu'avant qu'un juge puisse accepter un marchandage de plaidoyers proposé par la Couronne et par la défense, il doit simplement demander au procureur de la Couronne: «Avez-vous eu l'occasion d'en parler avec la victime?» Si la victime voulait en discuter et si le procureur de la Couronne n'a pas donné suite, à ce moment-là tout serait retardé jusqu'à ce que la Couronne puisse le faire.

Je ne pense pas que cela allongerait beaucoup les procédures. Si nous avons vraiment la conviction que les victimes doivent avoir l'occasion de parler des négociations de plaidoyers avec les procureurs de la Couronne, à ce moment-là il faut faire en sorte qu'il y ait un mécanisme qui le permette. Il ne suffit plus de faire confiance aux bonnes dispositions des gens. Cela doit devenir obligatoire.

La dernière chose que je voudrais vous dire avant de céder la parole, madame la présidente, c'est quelque chose dont vous avez vous-même parlé au sujet de la justice réparatrice. Pendant la pause du déjeuner, j'ai discuté avec pas mal de gens et, sans vouloir manquer de respect à qui que ce soit, cet aréopage n'est pas une tribune où l'on doit parler de justice réparatrice.

La lettre que j'ai reçue parlait du rôle des victimes dans les procédures judiciaires. La justice réparatrice est certes une notion importante, et elle le devient de plus en plus dans toute cette problématique concernant les victimes, mais je pense que nous sommes réunis ici aujourd'hui pour parler de ce que nous pourrons faire dans la pratique pour aider les victimes, de choses comme les déclarations de victimes, les négociations de plaidoyers et ainsi de suite. Pour intéressantes que soient les discussions théoriques sur la façon dont on devrait appeler les procureurs de la Couronne et sur la façon dont le système pourrait être amélioré de façon plus générale, nous devons je pense néanmoins réduire nos discussions pour parler plutôt de ce que nous pourrions recommander à la ministre de la Justice en fait d'améliorations de la situation des victimes dans le système actuel.

Je n'en dirai pas davantage.

La présidente: Eh bien, Marvin, que pensez-vous de l'idée d'un mécanisme obligatoire qui ferait que les victimes soient consultées lorsqu'il y a négociation de plaidoyers?

M. Marvin Bloos: J'allais faire la remarque que les procureurs de la Couronne sont déjà surchargés dans la plupart des cas, à tout le moins en Alberta. Si nous voulons vraiment ce genre de consultation préalable et ce genre d'information—et il s'agit peut-être ici d'une question provinciale, je l'ignore—il va falloir davantage de ressources.

Les procureurs ont déjà suffisamment de travail rien que pour la préparation de leurs dossiers et bien souvent, les décisions qu'ils prennent concernant les négociations de plaidoyers sont prises à la toute dernière minute, quelques jours seulement avant le procès. Comme les choses se passent à la hâte, il est très facile de procéder aux pourparlers avec les avocats de la défense sans prendre contact avec les victimes. Cela pourrait se faire dans un autre dossier ou dans un autre domaine.

Je n'ai vraiment pas beaucoup réfléchi à propos du rôle que devraient avoir les victimes dans ce processus. Je n'ai rien à redire au sujet de la divulgation de l'information, je ne m'oppose pas non plus à ce qu'on en discute, mais peut-être le rôle de la victime est-il effectivement limité ici. Il est possible que la victime ne puisse guère faire plus qu'exprimer un point de vue et se faire dire quand la cause va être entendue, mais il y a un certain nombre d'éléments qui entrent en jeu lorsqu'on arrive à des compromis de ce genre.

Ainsi, lorsqu'on négocie un plaidoyer, l'un de ces éléments tient au fait que le procès, qui risque de durer plusieurs semaines, pourrait être évité si l'inculpé accepte un plaidoyer de culpabilité sur un chef d'accusation moindre. Il y a plusieurs autres éléments de ce genre qui peuvent entrer en ligne de compte lorsqu'on négocie ce genre de compromis. Peu importe le sentiment que peut avoir la victime au sujet de la preuve, le procureur a peut-être des doutes quant à la solidité de son argumentation, il n'est peut-être pas certain qu'il parviendra à obtenir une condamnation, de sorte que ce genre de chose doit entrer en ligne de compte.

Mais personnellement, je n'ai pas d'objection à ce que les victimes soient consultées. Je pense même que ce serait sans doute une excellente chose. Les victimes pourraient ainsi comprendre pourquoi telle ou telle décision a été prise. Elles auraient peut-être également quelque chose d'utile à apporter au niveau de la peine réclamée ou des conditions, selon le cas.

Mais en fin de compte, cela mobilisera beaucoup de ressources parce que même si 10 ou 15 p. 100 des causes se retrouvent vraiment devant les tribunaux, il en reste 80 ou 85 p. 100 qui font l'objet d'un plaidoyer de culpabilité. J'ignore totalement combien d'entre elles sont le produit d'une négociation de plaidoyers par opposition aux cas où l'inculpé accepte spontanément de plaider coupable, mais si nous devons ajouter à la procédure un autre palier obligatoire de consultation, cela va exiger d'importantes ressources.

• 1415

Quant à la question de savoir si c'est ce que la Couronne devrait faire—et c'est quelque chose que je n'aimerais pas trop, puisqu'ainsi le procureur deviendrait en quelque sorte le conseiller juridique des victimes—ou si nous devons avoir un autre organisme professionnel, du genre centre des droits des victimes, un organisme parallèle à la Couronne et qui aurait accès au dossier... Peut-être serait-ce là la solution.

Mais je pense que cela exige une réflexion attentive pour savoir comment arriver aux résultats escomptés.

La présidente: Gary.

M. Gary Rosenfeldt: Merci, madame la présidente.

Lorsque nous parlons de victimes d'actes criminels et de ressources, les deux éléments semblent être d'une façon ou d'une autre antagonistes. Nous ne semblons jamais avoir les ressources nécessaires. Étant donné tout ce qu'on dépense dans le cadre du système judiciaire, ce que nous dépensons pour venir en aide aux victimes d'actes criminels est véritablement une aumône par rapport au total qui est dépensé.

Je comprends fort bien ce que vous nous dites, Marvin, pour ce qui est du temps que cela prend, parce qu'en effet nous sommes sans cesse en rapport avec les procureurs et chaque fois ils nous disent qu'ils sont surchargés, qu'ils sont mal payés et qu'ils doivent travailler à toute vapeur. Nous ne voulons même pas suggérer que le procureur de la Couronne puisse de quelque façon que ce soit travailler pour la victime. Ce que nous affirmons, c'est que si le procureur a l'occasion de consacrer un petit peu de temps à une victime, par exemple 10 minutes ou un quart d'heure avant une audience, pour discuter avec elle de ce qui se passe, faire un bilan et lui expliquer pourquoi il est possible qu'il y ait négociation de plaidoyers, en fin de compte cela rendra la vie plus facile à tout le monde. S'ils ne le font pas... je connais des cas où les victimes ont pris connaissance de la peine infligée à l'inculpé en lisant les journaux. Elles s'attendaient à ce que le procès ait lieu quelques mois plus tard, elles pensaient qu'on les informerait, et tout d'un coup elles ouvrent le journal et constatent qu'il y a eu négociation de plaidoyers et que l'inculpé a été mis sous les verrous. Mais elles n'ont jamais eu la moindre chance d'assister à l'audience. Ce genre de cas est extrêmement fréquent au Canada.

Nous disons simplement que les victimes veulent être davantage intégrées au système. Je pense en fait que ce qu'il nous faut dans tous les tribunaux du Canada, ce sont de bons programmes d'aide aux victimes, conduits par des diplômés en droit, par des gens qui ont étudié le droit—pas des travailleurs sociaux mais bien des gens qui peuvent travailler avec les procureurs, expliquer la procédure à la victime, travailler avec elle et assurer en quelque sorte la liaison entre la victime et le ministère public.

L'été dernier, nous avons assisté en Colombie-Britannique à une audience en vertu de l'article 745 du Code criminel, et c'était absolument incroyable de voir le système qui avait été mis en place dans cette province. Je pense que ce genre de programme pourrait fort bien être généralisé à tout le Canada et, croyez-moi, ce serait fort bien pour les victimes.

La présidente: C'est la troisième fois que j'essaie de vous aiguiller sur la question des négociations de plaidoyers. Si je le fais, c'est pour une excellente raison. Vous pourrez peut-être m'indiquer plus tard si j'ai bien compris l'état d'esprit de toutes les parties en disant que personne ici ne prétend que la victime doit avoir un droit de décider ou une influence extrême en ce qui concerne les négociations de plaidoyers. Il s'agit simplement d'une question d'information.

M. Gary Rosenfeldt: C'est tout à fait exact. Chaque jour, partout au Canada, nous avons affaire à des victimes d'actes criminels. Nous avons un numéro de téléphone gratuit. La très grande majorité des cas dont nous nous occupons sont des cas de crimes extrêmement violents, très souvent des homicides et la plupart des victimes auxquelles nous parlons demandent simplement des renseignements, veulent être informées, veulent savoir pourquoi une négociation de plaidoyers est possible. Dans la plupart des cas, les victimes ne s'opposent pas à ce qu'il y ait négociation de plaidoyers pourvu qu'elles aient compris pourquoi.

La présidente: Priscilla, cela correspond-il à la position de CAVEAT?

Mme Priscilla de Villiers: Je pense que nous allons un peu plus loin encore. L'un des problèmes est que tout cela est imposé le plus souvent à la victime et à la collectivité au moment où elles s'y attendent le moins. En second lieu, chose qui me perturbe profondément, nous n'avons toujours aucune idée du nombre de négociations de plaidoyers qui se font au Canada. Pourquoi? Pourquoi l'ignorons-nous? En 1979, c'était je pense la Commission sur les peines qui avait constaté qu'environ 76 et quelque pour cent des cas faisaient l'objet d'une négociation de plaidoyers. Mais j'ignore ce qu'il en est au juste. Quelle est la position?

• 1420

Il est évident que s'il s'agit d'une affaire grave qui doit passer en jugement et s'il y a de bonnes raisons de passer par une négociation de plaidoyers, pour commencer il faudrait savoir pourquoi c'est le cas. Ensuite, il faudrait que nous ayons une idée exacte du nombre de causes qui ont fait l'objet d'une négociation de plaidoyers afin que nous puissions conclure, comme beaucoup d'intervenants semblent le croire, que les gouvernements insistent de plus en plus pour passer par les négociations de plaidoyers parce que cela accélère les procédures et fait gagner du temps aux tribunaux. Il ne s'agit pas simplement d'épargner la victime, mais aussi et surtout d'épargner de l'argent et de faire gagner du temps aux tribunaux. Mais selon moi, ce n'est pas une raison suffisante pour accepter ce genre de compromis.

Il faut par exemple que la victime et la communauté aient la certitude que la négociation du plaidoyer s'est faite pour des raisons valables. C'est tout ce qu'elles veulent savoir—peu importe si cette procédure permet au bout du compte d'épargner de l'argent ou d'accélérer les choses.

Souvent, les victimes se sentent extrêmement mal à l'aise quand elles ont le sentiment... et c'est d'ailleurs le cas de Karen Vanscoy qui est l'une des appelantes. Elle a le sentiment que dans la cause qui l'intéressait, les preuves fournies n'étaient pas bonnes. Elle en est convaincue. C'est peut-être le cas, je l'ignore. Mais les tribunaux en sont saisis.

Il faut donc, c'est évident, jeter la lumière là-dessus. Il faut davantage de transparence.

Je suggérerais en premier lieu que les victimes soient informées bien avant le fait, et pas par un coup de téléphone après coup ou par un article de journal.

En second lieu, il faut leur dire pourquoi. Les victimes sont intimement liées à tout cela. Croyez-moi, rien n'est plus intime que ce sentiment d'être partie à l'affaire.

Troisièmement, il faudrait je pense qu'il y ait une déclaration officielle faite par écrit qui dirait exactement pourquoi le compromis a été accepté. Je sais bien que le juge a toujours le droit de refuser un plaidoyer négocié mais il est évident que dans tous les cas de figure, il faudrait que les raisons soient données.

Quatrièmement, je pense qu'il est grand temps que nous sachions combien de cas graves font effectivement l'objet d'une négociation de plaidoyers. Je pense que pour le bien de toutes les parties, il faut que toute cette question soit beaucoup plus transparente.

J'espère que je n'ai rien oublié.

La présidente: Laissez-moi faire le point. Steve a signalé à juste titre que nous étions ici aujourd'hui pour étudier le rôle des victimes dans le système, et même si cela peut avoir un impact sur la question de la justice réparatrice, ce n'est pas cette question-là que nous étudions à proprement parler.

L'une des premières questions qui nous a été posée dans le cadre du deuxième thème porte sur les programmes de déjudiciarisation. Je pense que pour ces programmes, on peut tirer les mêmes leçons que dans le cas de n'importe quel autre volet du système. Peut-être pourrions-nous parler quelques instants de ces programmes de déjudiciarisation et du rôle que les victimes d'actes criminels devraient jouer lorsqu'on envisage un programme de ce genre pour tel ou tel crime ou délit, sans oublier bien sûr qu'aucun type de défense n'est exclu, qu'il y ait déjudiciarisation avant ou après l'acte d'accusation, même si, dans bien des juridictions, en Ontario, certains crimes ne peuvent pas faire l'objet de programmes de déjudiciarisation. Ces programmes sont devenus un recours intéressant, un recours utilisé dans une optique communautaire et réparatrice. Quel devrait être le rôle de la victime dans un système comme celui-là?

Arnold, est-ce que vous avez cela en Saskatchewan?

M. Arnold Blackstar: En Saskatchewan, il y a 72 réserves. Ces 72 réserves appartiennent à 10 conseils tribaux et, depuis trois ans, nous nous employons effectivement très activement à valoriser ce domaine de la justice réparatrice.

Un grand nombre de nos programmes sont des programmes de déjudiciarisation et des programmes parallèles conçus par les collectivités elles-mêmes.

Le rôle de la victime est très important dans ces procédures réparatrices en ce sens que pour pouvoir arriver à boucler le dossier et à assurer la guérison et le bien-être de la victime et du coupable, des familles et de la collectivité en général, il faut que la victime participe d'une façon ou d'une autre et que la décision soit prise par elle.

Le rôle joué par ces programmes est très important dans la mesure où les commissions judiciaires qui existent dans les réserves jouent aussi un rôle important au niveau des services offerts aux victimes. Les commissions en effet informent les victimes, leur apprennent ce qui va se passer et quelles vont être les procédures qui vont se dérouler.

C'est une option qui est offerte à toutes les victimes et à tous les accusés, de même qu'à la collectivité qui peuvent ainsi décider s'ils veulent procéder par voie de justice réparatrice.

• 1425

Ce qui se passe en Saskatchewan, c'est que les services aux victimes sont principalement offerts par les détachements de la GRC ou les corps policiers municipaux. Pour les Premières nations, cela signifie que les besoins culturels ne sont pas pris en compte, pas plus que les besoins linguistiques ou les besoins géographiques: la plupart des réserves sont en effet situées dans des régions rurales ou des régions accessibles uniquement par avion dans lesquelles il n'y a pas vraiment de services aux victimes. La seule solution consiste alors à passer par les commissions judiciaires communautaires qui se chargent donc également des services aux victimes. Ces travailleurs communautaires sont essentiellement des bénévoles qui sont prêts à travailler, dans la collectivité, dans le cadre du système de justice réparatrice. Là encore, j'imagine que le problème pour ces commissions judiciaires communautaires est un problème de ressources lorsqu'il s'agit de mettre en place des services aux victimes axés sur la justice réparatrice.

En Saskatchewan, le ministère a beaucoup insisté dans le sens de la justice réparatrice, mais c'est également une initiative très limitée. Le ministère de la Justice de la Saskatchewan et les services sociaux de la province font preuve de beaucoup de bonne volonté et sont prêts à travailler avec les collectivités pour faire de la justice réparatrice.

Par contre, pour ce qui est des lois comme la Loi sur les jeunes contrevenants, dont l'article 69 fait délégation aux comités de justice pour la jeunesse, ou de la Child and Family Services Act, qui délègue aux panels familiaux, ou encore la Loi sur les services correctionnels qui, à l'article 81, parle de cercles libératoires ou d'autres types d'arrangements avec la collectivité... Toutes ces lois semblent dire aux collectivités qu'il y a effectivement partenariat équitable en matière de justice réparatrice, mais dans la pratique, le ministère public, les juges de l'aide juridique, les agents de probation, les agents de services correctionnels et ainsi de suite, c'est-à-dire tous les travailleurs en première ligne, semblent répugner à travailler avec les collectivités qui font de la justice réparatrice, en particulier parce qu'ils ne savent pas au juste comment les collectivités vont s'y prendre avec les contrevenants dans ce genre de procédure, ni quelles sont les garanties que les comités de bénévoles ont reçu la formation nécessaire qui leur permettra de travailler dans ce domaine.

Essentiellement, dans tous les cas de conseils de détermination de la peine, de conférences familiales, de médiation ou autres cercles de guérison que nous avons eus en Saskatchewan, l'expérience a été une réussite en ce sens qu'on s'est davantage axé sur la guérison, en plus d'entamer le bouclage de la boucle dans tous les cas de crimes, non seulement pour la victime mais également pour les familles et pour la collectivité. Ce genre de démarche est de plus en plus acceptée en Saskatchewan, surtout en raison des problématiques qu'on connaît, la surcharge de travail du ministère public par exemple, ainsi que les rôles des services de probation et des services à la jeunesse qui tous débordent comme on le sait.

S'agissant maintenant des changements à apporter à la législation, je pense que les juridictions provinciales doivent envisager une coopération étroite avec les collectivités pour favoriser la consultation et conduire des discussions ou des tribunes comme celles dont j'ai déjà parlé. Je pense que ce serait profitable en permettant de mieux circonscrire les rapports entre les différents intervenants.

La présidente: Arnold, vous pourriez peut-être répondre également à cette autre question. Existe-t-il un protocole au terme duquel les victimes sont informées et participent toujours aux procédures? Si une victime refuse de participer, le conseil de détermination de la peine ou le conseil judiciaire communautaire, quel que soit le processus utilisé, peuvent-ils intervenir sans la victime?

M. Arnold Blackstar: Nous demandons à chaque commission judiciaire communautaire d'établir des lignes de conduite concernant le rôle qu'elle joue, le rôle de leurs membres et la façon dont chaque cas va être étudié du point de vue de l'évaluation et de la gestion des dossiers. Chaque commission doit se mettre en rapport avec les victimes, dans tous les cas qu'elle est appelée à entendre.

Pour ce qui est maintenant de savoir si une affaire peut être déjudiciarisée, la victime n'a pas le droit de veto et ne peut pas s'opposer à ce que la collectivité assume la peine prononcée. En revanche, les intérêts de la victime sont représentés par le représentant qu'elle choisit, qu'il s'agisse d'une lettre ou d'une victime de substitution, d'un enregistrement magnétoscopique, par intercom, quel que soit l'arrangement qui convient le mieux à la victime, étant donné que le souci premier ici est la sécurité et qu'on veut absolument éviter que la procédure choisie ait pour conséquence de pénaliser une nouvelle fois la victime.

• 1430

La présidente: Merci.

Suzanne.

Mme Susanne Dahlin: Je pourrais peut-être tracer les grandes lignes du modèle utilisé en Colombie-Britannique, parce que nous avons déjà un peu d'expérience dans ce domaine. Pour commencer, je voudrais vous confirmer qu'en Colombie-Britannique, nous faisons effectivement de la déjudiciarisation et que nous utilisons des procédures parallèles. Évidemment, toutes les formules de déjudiciarisation ou autres formules parallèles ne procèdent pas nécessairement sous l'angle de la réparation, mais certaines s'inspirent de ce principe.

Pour ce qui est de que nous appelons les mesures parallèles autorisées—et il existe un programme du ministère public déjà bien implanté en Colombie-Britannique—nous avons catégorisé tous les crimes et les délits afin que les délits mineurs puissent effectivement être déjudiciarisés ou être assujettis à des procédures parallèles. La première chose que nous avons faite avec tous nos sous-traitants, ceux qui sont engagés par nos services correctionnels, c'est que nous leur avons fait subir une formation conduite par la division des services aux victimes pour leur faire parfaitement comprendre les besoins des victimes et leur faire connaître également les différents programmes de services aux victimes qui existent dans notre province afin qu'ils puissent y faire appel. Nous n'exigeons toutefois pas l'intervention des services aux victimes dans le cas des délits mineurs mais, dans le cas des délits majeurs et des crimes, ce que nous appelons les crimes contre la personne, il faut que les services aux victimes interviennent de façon distincte auprès de la victime et de façon indépendante de la procédure afin que lorsque les victimes sont sollicitées, et si elles souhaitent participer, elles puissent le faire en toute connaissance de cause et avec toute l'aide voulue. Nous avons également dans notre politique des principes directeurs beaucoup plus rigides pour les circonstances plus exceptionnelles lorsqu'il y a recours aux mesures parallèles.

La présidente: Bob.

M. Bob Whitman: J'ai travaillé jadis dans le cadre de programmes de mesures parallèles, et l'une des choses qui me pose problème est que, quel que soit le processus mis en place pour traiter les cas de ce genre, il finit tôt ou tard par s'institutionnaliser. J'ai pu constater que les jeunes contrevenants qui passent par ce système le connaissent tellement bien qu'avant même d'y entrer, ils savent comment ils doivent s'y prendre pour s'en sortir. Je me souviens que j'avais repris du service dans le cadre d'un programme—on m'avait demandé de le faire parce que je connaissais bien la question—et j'avais été abasourdi de constater que rien n'avait changé depuis 10 ans. Pour moi, un programme doit absolument être régulièrement réévalué par rapport aux objectifs poursuivis.

Je me le demande parfois. C'est un programme de déjudiciarisation et, d'après les modalités qui le régissent, s'il ne donne pas de bons résultats, le tribunal pénal intervient de nouveau. Nigel pourra peut-être répondre à cette question, mais je connais très peu de causes—s'il en est—qui ont été renvoyées devant le tribunal pénal. En Nouvelle-Écosse, je crois savoir qu'il appartient aux procureurs de décider d'aiguiller certaines affaires vers la déjudiciarisation.

D'après votre expérience, y a-t-il eu beaucoup de causes qui ont été renvoyées parce que le processus ne marchait pas?

M. Nigel Allan: Il y en a eu qui n'ont pas donné les résultats voulus, et ces cas-là nous sont renvoyés. Ils sont répertoriés et renvoyés devant les tribunaux ordinaires.

La présidente: Il faut axer notre discussion sur la déjudiciarisation du point de vue de la victime car nous essayons ici de dresser une liste de solutions ou de suggestions concrètes qui aideront les victimes qui sont en cause ou qui préciseront davantage leur rôle au sein de ce système.

Randy Wickins, puis Peter MacKay.

Le sergent Randy Wickins: Merci, madame la présidente.

Permettez-moi de dire qu'on peut recourir aux méthodes issues de la justice réparatrice à n'importe quel stade du processus. La déjudiciarisation pré-inculpation, initiée par la police, est une formidable occasion que lui octroie la common law. Cela permet de déjudiciariser certains cas, de faire participer les gens touchés par le crime et de trouver des solutions utiles.

La post-inculpation est aussi une de ces formidables occasions... nous nous trouvons maintenant en plein coeur de l'appareil judiciaire. Nous pouvons maintenant collaborer. Nous avons organisé des conférences communautaires, des conférences familiales, des tribunes sur la justice communautaire—quelle que soit l'expression utilisée, nous l'avons fait à Edmonton, qu'il s'agisse de post-inculpation, de pré-plaidoyer, de post-condamnation, de pré-détermination de la peine; à ce stade-là—la post-condamnation, la pré-détermination de la peine—on se rapproche des conseils de détermination de la peine, mais lorsqu'on organise une conférence communautaire, les avantages qui en découlent pour les victimes sont bien supérieurs à la simple imposition d'une peine plus juste.

• 1435

Et cela peut se faire avec les infractions graves. Nous devons changer notre façon de penser et ne pas simplement appliquer ce type de déjudiciarisation douce aux infractions moins graves.

Il y a un mois, nous nous sommes occupés d'une affaire de meurtre. Une jeune femme n'était pas dans le magasin lorsque le vol a eu lieu, mais c'est tout de même elle qui conduisait la voiture dans laquelle le voleur a pris la fuite. C'était une affaire de vol et de meurtre. Cela s'est passé il y a deux ans et au moment où sa peine devait être déterminée, nous avons rassemblé tous ceux qui étaient touchés par ce crime très grave. Tout le monde voulait être là. Personne n'a forcé les victimes et leurs partisans à s'entretenir avec la contrevenante et ses défenseurs. Tous les gens voulaient être là parce qu'ils voulaient tous avoir leur mot à dire, et ils voulaient tous qu'une réponse soit donnée à leurs questions. On avait dépassé le stade du plaidoyer de culpabilité dans le cas de cette jeune femme. Tout le monde a été entendu selon les règles.

Nous avons essayé d'organiser une tribune où les règles étaient justes, où tout le monde jouait franc jeu et où les issues étaient justes. Les victimes ont obtenu une compensation plus juste dans cette situation qu'elles n'en auraient eu au tribunal. C'était loin, bien loin d'être parfait. On ne s'est pas tous embrassé à la fin de la réunion. Ce n'était pas beau à voir. Beaucoup ont pleuré. Mais cela a marqué le début d'un processus de guérison et je crois qu'il est très important de ne pas se contenter simplement d'une condamnation. Le juge avait déjà pris sa décision; avant d'être mis au courant de ce type de méthode, il avait déjà décidé de l'envoyer deux ans en prison. Cette jeune femme n'avait pas de casier judiciaire et n'aurait pas bien survécu en prison. Les victimes n'en auraient rien tiré. Au lieu de cela, nous avons adopté cette méthode, nous n'avons pas apporté la paix dans le monde certes, mais nous avons davantage aidé les victimes à commencer un processus de guérison que ce n'aurait été le cas si cette mesure de rechange n'avait pas été une option offerte par l'appareil judiciaire.

J'exhorte tout le monde à oublier que ce type de justice réparatrice ne peut se faire que pour les infractions mineures. C'est tout ce que je dirais pour l'instant.

La présidente: Peter Mackay.

M. Peter MacKay: Pour revenir là-dessus—et Steve, je ne veux pas que cette réunion porte uniquement sur la justice réparatrice—je crois savoir que cette méthode place la victime au coeur même du processus. Pour revenir à nos moutons, je pense que les victimes veulent plus que toute autre chose décider si elles veulent participer au processus ou non. Lorsqu'il s'agit d'actes violents et de crimes à caractère sexuel, j'ai rencontré beaucoup de cas où les victimes sont très contentes que l'État agisse en leur nom.

Lorsqu'on choisit la voie de la justice réparatrice, des mesures de rechange ou des programmes de déjudiciarisation, je crois que le risque est grand de croire que les victimes veulent jouer un rôle actif. Du point de vue strictement juridique, je crois qu'il faudrait établir certaines lignes directrices ou que le Code criminel soit modifié en conséquence, car c'est une pente très dangereuse.

Je me demande si les décisions prises sont vraiment celles qui conviennent en l'absence de directives pouvant provenir des provinces, compte tenu de l'intervention de la police et même parfois des victimes. Dans le cas des crimes avec violence, je crois qu'on risque fort d'exposer la victime à un traumatisme encore plus grand si on adopte cette voie.

Enfin, ce que je retire de cette discussion, c'est qu'il faut créer un bureau national chargé surtout d'aider les victimes à obtenir les renseignements dont elles ont besoin, mais aussi de les aider à décider du rôle qu'elles voudraient jouer dans le processus.

Pour terminer, madame la présidente—et je l'ai déjà dit—l'enquêteur correctionnel dispose d'un budget légèrement supérieur à un million de dollars. Lorsqu'il sera question des priorités de dépenses du gouvernement, nous, parlementaires, devrons vraiment nous assurer de consacrer un million de dollars à la création d'un bureau d'ombudsman national qui servirait de centre de coordination pour les victimes, qui contribuerait à établir des normes d'éducation et tous ces types de programmes de déjudiciarisation et qui servirait à conscientiser la police, les procureurs, les avocats et les juges.

• 1440

La présidente: Merci.

Kathy.

Mme Kathy Louis: Merci, madame la présidente. Je voulais simplement dire que les cas aiguillés vers la déjudiciarisation sont ceux qui, en fait, mettent en cause un protocole; la victime a son mot à dire. Il y a discussion, il y a consultation, si je peux m'exprimer ainsi.

La présidente: Merci, Kathy.

Michèle Roy.

[Français]

Mme Michèle Roy: Je voudrais aborder deux points. Quand on parle d'une agression qui a été commise et qu'on dit que les victimes sont la personne qui a subi les gestes et ses proches, les personnes qui en ont été affectées, on parle seulement d'une partie de la réalité. Quand une femme est violée, il n'y a pas qu'elle qui est interpellée socialement par cela. Il n'y a pas que cette femme-là qui va dorénavant vivre dans la peur. Quand il y a un meurtrier en série dans une ville, il n'y a pas que les femmes qui sont touchées directement et leurs proches qui sont affectés. Toutes les femmes et tous les enfants de la communauté vont vivre dans la crainte et modifier leur horaire, leur façon de fonctionner, etc.

Quand on demande à la victime et à ses proches leur point de vue sur ce qu'ils attendent en termes de réparation et de guérison, c'est une partie de la réalité. Il y a aussi une responsabilité sociale et un message social qui doit être donné. Quand l'État est interpellé ou réagit dans des situations de violence, c'est pour dire que cela est inacceptable. Quand une femme âgée se fait agresser sur la rue, il n'y a pas que cette femme-là qui va avoir peur dorénavant. Il y a beaucoup d'autres femmes qui sont victimes du climat de terreur et de violence qui s'installe. On doit aussi tenir compte de cette dimension. Si on pense uniquement à s'insérer dans une dynamique de justice privée entre un agresseur et sa victime sans penser à ce que l'État et notre société doivent donner comme message social, c'est inquiétant.

On a parlé à plusieurs reprises d'un bureau centralisé ou d'un endroit où les victimes pourraient avoir accès à de l'information, etc. À prime abord, j'ai beaucoup de difficulté à imaginer comment un tel service pourrait être socialement efficace.

Par exemple, nous produisons des guides pour aider les femmes à comprendre les différentes démarches par lesquelles il faut passer dans le système de justice. Je les ai ici. On a des documents sur la façon de travailler avec les femmes. On les accompagne. On est présentes quand elles comparaissent, quand elles rencontrent le procureur, etc. Tout cela est basé sur une relation personnelle avec elles, sur une relation de confiance qui s'établit, sur une dimension de présence réelle proche. J'imagine mal comment une femme qui est à Chicoutimi pourrait téléphoner à Ottawa pour savoir quand son procès aura lieu. J'imagine mal aussi que la mécanique des rapports puisse se créer de la même façon. J'y reviendrai peut-être plus tard.

[Traduction]

La présidente: D'un autre côté, si elle est à Chicoutimi et que son mari a été tué à Edmonton, il serait peut-être bon d'essayer de rapprocher ces deux instances.

[Français]

Mme Michèle Roy: Oui, il devrait y avoir un lieu où on pourrait lui dire à qui s'adresser dans la région où cela s'est passé, mais il faudrait, selon moi, des services plus directs et plus proches que ceux que pourrait dispenser une instance pancanadienne.

[Traduction]

La présidente: Peter Quinn.

M. Peter Quinn: Pour ma part, ce que je retiens de cette discussion cet après-midi, c'est qu'il faut que les victimes interviennent et participent au processus.

• 1445

Pour ce qui est des mesures de rechange, lorsqu'il s'agit d'infractions relativement mineures, en particulier d'infractions contre les biens, il se peut que la personne veuille simplement récupérer son argent. Les mesures de rechange sont idéales en ce sens, car si quelqu'un brise une fenêtre, la victime veut 200 $ pour réparer sa fenêtre et des mesures de ce genre sont idéales. Parfois, cela va plus loin. Il se peut qu'un bébé ait été en train de dormir derrière cette fenêtre et que la victime ait eu peur qu'il ne meure du fait du verre cassé. Dans ce cas, les programmes dont parlait Randy sont fantastiques.

J'ai animé certains de ces processus et cela a un impact considérable sur le contrevenant parce que, tout d'un coup, il se rend compte des conséquences de ses actes. Cela facilite beaucoup les choses si on demande l'avis de la victime. Je crois que les professionnels du système judiciaire ont trop tendance à présumer. Ils se posent des tas de questions et font des suppositions alors qu'il serait plus simple de demander tout simplement aux gens ce qu'ils pensent.

Les transactions pénales inquiètent les gens, mais il faut dire que les victimes participent à la détermination de la peine en déposant des déclarations de victimes. Cela ne signifie pas que le juge va dire: «Ciel, la victime a dit ça, je vais devoir imposer une peine parce que la victime m'a dit de faire ça». Pour moi, c'est la même chose pour les transactions pénales. Cela permet simplement aux victimes de participer au processus, de les informer des paramètres que doit respecter ce professionnel, car la plupart du temps, lorsqu'on finit par vous demander ce que vous aimeriez en retirer, vous avez beaucoup plus de renseignements à votre disposition, en particulier lorsqu'il s'agit de condamnations à l'emprisonnement avec sursis.

C'est quelque chose que beaucoup de gens recherchent avec les transactions pénales également. Très souvent, les procureurs n'ont tout simplement pas les renseignements voulus à leur disposition lorsque vient le moment de déterminer la peine. Si la peine déterminée est censée être valable, ils ne disposent pas des renseignements précis, des renseignements élémentaires qui leur permettraient d'imposer une peine valable. Lorsque vous parlez de peine valable, pour qui est-elle valable? La société et la victime ou tout simplement la société? Je pense qu'il faut tout simplement en revenir à un système qui vous permette de poser des questions.

La présidente: Merci, Peter.

Priscilla.

Mme Priscilla de Villiers: Je crois que l'observation faite par Michèle Roy était très bonne. La participation des victimes aux méthodes de justice réparatrice m'inquiète beaucoup. Je crois savoir que les femmes dans un certain nombre de collectivités s'y opposent avec force. Ce qui m'inquiète, c'est l'élément de coercition. Nous dressons des obstacles entre les victimes et les contrevenants depuis maintenant 300 ou 400 ans, que sais-je. Je pense que ces obstacles sont très utiles et qu'il faut quelqu'un qui soit impartial et indépendant.

Si la collectivité dans laquelle on habite est petite, je crois que le sentiment de contrainte qui pèse sur la victime est énorme—même s'il ne s'agit que de pressions non formulées—, et je me contente de rapporter ce que j'ai entendu et je voudrais savoir ce que vous en pensez. Si vous refusez d'envisager la déjudiciarisation ou d'autres méthodes, vous risquez en fait de condamner quelqu'un dans une petite collectivité, peut-être même dans une famille, à la prison.

Je crois aussi qu'il est extrêmement difficile dans les cas d'agression sexuelle et de meurtre de faire face au contrevenant, d'avoir cette consultation seul à seul. Je ne suis pas convaincue du bien que cela fait à la victime et ainsi de suite... Je ne rejette pas cette idée. J'exprime simplement certaines des inquiétudes qui ont été soulevées.

Je pense qu'il est tout à fait exceptionnel que les gens qui mènent l'audience soient extrêmement sensibles, que les protocoles mis en place soient extrêmement précis ou que les conditions soient idéales. Ce qui m'inquiète, c'est que j'ai rencontré beaucoup de gens qui voulaient bien faire mais qui étaient extraordinairement maladroits, qui ne comprenaient pas vraiment ce qui était en cause et qui, en fait, faisaient plus de mal que de bien. Nous devons nous rendre compte que cela se produit très souvent—et je ne parle que des infractions graves—alors qu'il faudrait passer par le système juridique en place; il faut donc tenir compte de l'élément social, comme l'a dit Michèle.

Personnellement, je suis très prudente à ce sujet. En discuter ici... trop de questions demeurent sans réponse pour que je sois convaincue de la chose. Je ne suis pas convaincue du tout du sentiment de satisfaction qu'en tirerait vraiment une victime; elle préférerait trouver une solution communautaire qui semble être meilleure que, disons, l'incarcération.

• 1450

Je pense que c'est vraisemblablement cela. Merci.

La présidente: Je vous remercie.

Joanne Marriott-Thorne.

Mme Joanne Marriott-Thorne: Je veux simplement ajouter mon mot à ce qu'ont dit Michèle et Priscilla.

Même si nous sommes tout à fait partisans de la justice réparatrice dans le domaine des services d'aide aux victimes en Nouvelle-Écosse, nous sommes également très inquiets de la différence qui existe entre la théorie et la pratique. Par exemple, en théorie, la justice réparatrice a connu beaucoup de succès en Nouvelle-Zélande et ce système existe depuis déjà un certain nombre d'années. Il y a environ un an, ce pays a procédé à une évaluation du système de justice réparatrice et a constaté que le pourcentage d'intervention et de participation des victimes était très faible. Après avoir fouillé un peu, il a trouvé que très souvent, ce phénomène était attribuable au fait que les victimes n'avaient pas été contactées suffisamment à l'avance pour pouvoir assister aux audiences et que le système n'était pas assez souple pour que la date des audiences soit modifiée de manière à permettre à la victime d'y assister. C'est une simple mise en garde que je fais.

J'ai parlé à un certain nombre de femmes dans le Nord qui m'ont dit qu'elles étaient également d'accord avec le principe, en théorie. Or, dans la pratique, certaines d'entre elles se sentent effectivement contraintes et intimidées et elles estiment qu'elles ont dû se taire car il n'est pas bon d'exprimer ce qu'on pense dans leur collectivité. En tant que personne qui aide les victimes, je sais à quel point j'ai du mal à m'exprimer et à mettre les gens en garde sans être perçue comme quelqu'un qui essaie de freiner ce nouveau processus. C'est ce qui m'inquiète.

Pour ce qui est de la création d'un bureau d'aide aux victimes dans ce pays et du lien qui y serait établi avec la justice réparatrice, il y a également là une différence entre la théorie et la pratique. En l'espèce, il me semble que nous oublions la théorie, qui veut que la résolution à ces problèmes soit de nature communautaire pour que cela donne de bons résultats. La collectivité en question doit prêter suffisamment son appui à ce processus pour que la victime et le contrevenant en tirent quoi que ce soit. Il faut suivre suffisamment de près ce processus en question pour qu'il donne de bons résultats.

Si on envisage la création d'un bureau national d'aide aux victimes pour résoudre ce genre de problèmes, je crois alors qu'on s'écarte déjà du principe et de la théorie.

Je voudrais répéter—et je pense en avoir parlé ce matin—que des services d'aide aux victimes existent dans chaque province et dans chaque territoire de ce pays. En tant que directeurs et gestionnaires des services d'aide aux victimes, nous avons eu l'occasion au cours des deux dernières années de créer un réseau d'échange d'information, d'échange des meilleures méthodes à adopter, mais également d'échange de recommandations.

Il y a eu un homicide dans le Yukon il y a trois semaines. Mon homologue dans le Yukon s'est mis en rapport avec moi et je l'ai renvoyé aux services existants.

Je me demande si nous ne devrions pas examiner d'un peu plus près ceux qui existent déjà et si nous ne devrions pas nous demander comment mieux utiliser ces services avant de commencer à échafauder d'autres projets.

La présidente: Arlène.

[Français]

Mme Arlène Gaudreault: Comme les personnes qui viennent de parler avant moi, je ne suis pas très à l'aise devant l'idée d'une justice de restitution. Comme Canadiens, nous devons nous poser certaines questions sur le système de justice pénale. Quand on parle de la réparation des torts causés aux victimes, on doit se demander ce que font les différentes provinces au plan de l'indemnisation.

• 1455

On a fait beaucoup de compressions dans les programmes d'indemnisation. C'est une façon pour l'État de réparer les torts causés aux victimes. Cependant, quand on parle de réparation des torts causés, on doit penser aux mesures de dédommagement.

J'espère qu'on va aborder la question des mesures de dédommagement parce qu'elles ne sont, à toutes fins pratiques, presque jamais appliquées. Ces sentences-là ne sont jamais mises en application par les juges. Bien sûr, il y a des expériences intéressantes, et vous en avez donné des exemples. D'autres intervenants ont donné des exemples de mesures de conciliation entre les victimes et les agresseurs. Cependant, je pense qu'à l'heure actuelle, ce sont des expériences très ponctuelles.

Je me demande si dans un certain nombre de cas, comme celui qu'a cité la personne qui vient de parler, on n'utilise pas les victimes et on ne les force pas à entrer dans ce processus. Il faut aussi se demander dans quelle mesure les programmes de mesures de rechange et de déjudiciarisation ne sont pas juste une façon de désengorger les prisons et d'épargner de l'argent à l'État dans une période où on éprouve énormément de difficultés financières.

On déjudiciarise allégrement certains délits sans en informer les victimes. On envoie des lettres de mise en demeure, des lettres disant que le dossier est fermé, etc. Au Québec, les mesures de rechange sont orientées vers les agresseurs. Ce sont des mesures pour aider les délinquants à se réintégrer dans la société. Ce sont des travaux communautaires. Il y a cependant très peu de mesures orientées vers les victimes dans notre province.

Cela pose le problème des ressources qui encadrent les mesures de rechange et de la qualité de la formation des professionnels qui travaillent dans ces ressources-là. Je ne sais pas quelle est la situation dans les autres provinces, mais au Québec, actuellement, on donne beaucoup de responsabilités aux ressources communautaires. On leur en demande beaucoup sans leur donner de ressources. Il y a dans le réseau un essoufflement qui se fait sentir chez nous. La situation est peut-être la même à l'extérieur.

Il faut être prudent devant les mesures de rechange et les mesures de déjudiciarisation parce qu'elles pourraient avoir auprès de la population un effet contraire à celui qu'on peut obtenir. Notre système donne l'impression qu'il y a trop de gens dans les prisons, qu'on est trop sévère avec les délinquants et qu'il faut inventer d'autres choses, mais je ne suis pas sûre que les victimes sont informées, qu'elles participent vraiment au processus et qu'elles en retirent vraiment des gains. J'ai l'impression qu'il y a actuellement un danger pour les victimes. Il y a aussi des questions d'éthique que nous allons devoir nous poser.

[Traduction]

La présidente: Je voudrais passer à un tout autre sujet dans quelques instants, mais ne perdons pas de vue le fait qu'un grand nombre de méthodes de rechange sont utilisées au Canada et que certaines d'entre elles sont préconisées en raison des énormes différences culturelles qui existent entre notre culture, la culture majoritaire, et la culture autochtone. Ainsi, Arnold et Kathy—et il est très important de ne pas l'oublier—évoquent une manière de faire la justice au sein de leur collectivité, manière qui correspond à leur culture, aux besoins de leur culture et aux croyances de leur culture. Il est très important de ne pas oublier cet élément.

Arnold parle d'un système qui convient à la culture, aux dix bandes et à leurs nations et il est très important de le reconnaître. Je crois, Kathy, que cela correspond à certains des travaux que vous effectuez également, n'est-ce pas?

Poursuivons. Page 6, aux paragraphes 3 et 4, il est question de protections spéciales qui sont maintenant institutionnalisées au sein de l'appareil judiciaire et en particulier lors du déroulement de la procédure, et qui sont conçues pour protéger les témoins et les victimes dans les procédures relatives à des infractions d'ordre sexuel, à des actes de prostitution et à des actes d'extorsion, en interdisant la publication de détails ou de renseignements signalétiques. Ces ordonnances de non-publication ont pour objectif de protéger les victimes.

• 1500

Deuxièmement, au paragraphe 4, des protections spéciales sont prévues pour permettre aux gens de témoigner, par exemple, derrière un écran ou au moyen d'un système de télévision en circuit fermé.

J'ai regroupé ces deux types de protection non pas parce qu'ils vont de pair, car ce sont en fait deux types de protection différents, mais parce que ce sont des protections spéciales qu'offrent dorénavant noir sur blanc à ces victimes et témoins le Code criminel et la Loi sur la preuve.

J'ai eu une conversation intéressante au déjeuner avec Nigel Allan. Lorsqu'on est le seul procureur présent, Nigel, on se fait apostropher, je suppose. Il était question, dans cette conversation, de ne pas y recourir; vous disiez que la situation était parfois difficile, du point de vue du procureur, lorsque des écrans ou des installations spéciales sont utilisés. Voulez-vous nous dire ce que vous en pensez, maintenant que j'ai fait la moitié du chemin pour vous?

M. Nigel Allan: Oui. Parfois, le recours à ces moyens est absolument nécessaire lorsqu'il est pratiquement impossible à une victime particulièrement vulnérable de témoigner d'une autre façon. L'ennui, c'est que ces moyens sont souvent utilisés comme des béquilles, et qu'on dit aux victimes que ce sont des techniques qui peuvent être utilisées pour rendre le processus un peu moins difficile. Mais certaines exigences président au recours de ces techniques.

Peut-être est-ce parce que je fais ce métier depuis longtemps, mais je préfère toujours qu'un témoin témoigne de façon traditionnelle. Je trouve que l'impact est beaucoup plus percutant et que les témoignages sont beaucoup plus convaincants du point de vue du juge lorsqu'ils sont donnés de façon traditionnelle.

Alors, à juste titre ou non, je préfère toujours, à moins de circonstances impérieuses, créer un rapport face à face avec le témoin et le tribunal.

La présidente: Peter MacKay.

M. Peter MacKay: Madame la présidente, vous vous souvenez que nous avons récemment étudié une mesure législative qui avait pour effet de supprimer tout obstacle matériel dans les salles d'audience pour permettre aux malvoyants ou aux malentendants de témoigner ou de participer davantage au processus en se faisant accompagner d'un interprète.

Je pense qu'il existe une différence subtile mais significative entre les types d'obstacles matériels qui peuvent être utilisés dans ce domaine précis. J'ai déjà vu des témoignages être donnés en circuit fermé et derrière un écran dans des salles d'audience, et l'élément soulevé par Nigel est très important, à mon avis; c'est celui du regard dans une salle d'audience, en particulier dans le cas d'un procès devant jury. La plupart des crimes graves, les crimes avec violence, les agressions sexuelles sont jugés le plus souvent devant jury. Si le témoin est un enfant, par exemple, le processus devient complètement stérile s'il doit témoigner dans une autre pièce, en circuit fermé.

On en a parlé un peu ce matin; on a dit qu'on voulait essayer de garder le tout stérile, dénué de toute émotion dans une salle d'audience. Mais pour que justice soit faite et pour qu'elle soit considérée comme ayant été faite, pour les jurés et les juges qui déterminent les faits, cette émotion est une partie importante du processus—une partie très importante. Là encore, je crois que cela traduit la discrétion offerte à chaque procureur lorsqu'il présente un dossier.

La participation, je suppose, et l'interaction qu'ils peuvent avoir avec une victime ou un témoin... Je ne pense pas qu'on puisse trop en parler dans notre système judiciaire. Là encore, on en revient au volume même des affaires, au temps dont dispose un procureur de la Couronne pour interagir et se préparer à un procès. Si on peut insister sur ce fait...

Lorsque j'entends parler de justice réparatrice, je crois qu'il faudrait surtout parler de compensation réparatrice, qui devrait provenir du gouvernement, et non de justice réparatrice.

La présidente: Cette expression a plu à Gary, et pourrait bien devenir la phrase fétiche de ces audiences.

Allez-y, Joanne.

Mme Joanne Marriott-Thorne: Je voudrais préciser ce que j'ai dit auparavant à propos de la création d'un bureau national. Je suis tout à fait partisane d'un bureau national, mais il faudrait en préciser les moyens d'action ainsi que le rôle de coordination. Je crois que des avantages importants découlent déjà de ce réseau qu'on envisage, mais il n'y a pas de services directs.

• 1505

La présidente: Je l'avais bien compris. Avez-vous une observation à faire à ce sujet?

Mme Joanne Marriott-Thorne: Oui. Pour ce qui est de la sécurité, comme l'a dit Peter, je crois que très souvent, les procureurs de la Couronne passent très peu de temps avec les victimes d'actes criminels. Je pense qu'il leur est très difficile d'évaluer ces questions de sécurité lorsque la victime demande un écran ou quoi que ce soit d'autre. En fait, je reprends les observations faites par Irvin Waller ce matin.

Je ne pense pas que l'appareil judiciaire se soit vraiment penché sur la nécessité d'assurer la sécurité des victimes. J'estime qu'il faudrait songer davantage que nous l'avons fait par le passé aux moyens dont les victimes ont besoin pour se sentir en sécurité dans cet environnement.

La présidente: Steve Sullivan, le centre a-t-il un point de vue sur...?

M. Steve Sullivan: En règle générale, nous sommes en faveur de l'utilisation d'écrans et du recours à la télévision en circuit fermé. Nous les utilisons évidemment au cas par cas. M. Allan et Peter disaient qu'il valait mieux, sur le plan visuel, voir une jeune fille pleurer à la barre, mais cette jeune fille devra ensuite sortir de cette salle d'audience. Si un écran ou une télévision à circuit fermé ou d'autres méthodes l'aident à composer avec le processus, car c'est un processus difficile après tout, alors je pense que nous devrions encourager le recours à ces écrans. Je crois savoir que la Cour suprême les a avalisés.

Il est évident qu'on ne peut pas les utiliser dans chaque cas, mais je pense que c'est une option qui devrait être présentée aux jeunes témoins pour les protéger.

La présidente: Elizabeth, je vais vous donner la parole dans un instant, mais auparavant, je voudrais simplement demander à Lynne Kainz, car je sais qu'elle a déjà fait l'expérience—nous l'avons déjà fait ensemble—du recours aux écrans, comment on prépare les gens à passer devant un tribunal. Leur dites-vous qu'ils ont le droit d'utiliser un écran, leur dites-vous qu'ils peuvent le faire ou laissez-vous au procureur de la Couronne le soin d'en décider? Comment cela marche-t-il?

Mme Lynne Kainz: Nous laissons au procureur de la Couronne le soin d'en décider, mais nous défendons ce droit. Nous sommes en droit d'évaluer les besoins de l'enfant. Il ne faut pas perdre de vue que si un écran ou une télévision à circuit fermé est utilisé, c'est pour obtenir un compte rendu complet et franc. C'est ce qui compte, je crois, dans la poursuite de la justice et de la vérité; il faut pouvoir obtenir un rappel des faits complet et franc.

Nous ne leur disons pas qu'ils peuvent témoigner derrière un écran, mais nous ne manquons pas de faire part de nos inquiétudes au procureur de la Couronne en expliquant les raisons pour lesquelles nous pensons que c'est la seule façon dont nous obtiendrons un compte rendu complet et franc et ensuite, nous laissons au procureur le soin d'en décider.

Très souvent aussi, le thérapeute de l'enfant intervient auprès du procureur.

La présidente: Donc, lorsque vous parlez au procureur, vous pourriez dire: «Écoutez, je ne pense pas que Shaughnessy Cohen va pouvoir donner un bon témoignage car tout ce système l'intimide, à moins qu'elle ne puisse le faire derrière un écran» ou alors l'inverse, «Cette femme a du cran et je crois qu'elle peut le faire, et je ne vais même pas soulever la question de l'écran.» Est-ce ainsi que vous procédez...?

Mme Lynne Kainz: Très souvent, nous n'en avons aucune idée. Un enfant peut sembler être très confiant et peu craintif, et lorsqu'il arrive dans la salle d'audience et qu'il est confronté à l'accusé, il ne dit pas un mot. Alors, on ne sait pas toujours. Il est difficile de prédire comment une personne va réagir.

Mais il est évident que les enfants se mettent à pleurer lorsqu'on leur dit... Lorsqu'on explique le procès à un enfant et qu'on lui dit que le procureur va l'aider à dire au juge ce qui s'est produit et que l'accusé a un avocat qui va l'aider à traverser ce processus, l'enfant se rend compte tout d'un coup que l'accusé sera présent lors des délibérations et il s'écroule et pleure. Les enfants vous diront qu'ils ont peur. Ils vous diront qu'ils ne veulent plus qu'on leur fasse mal, qu'ils ne veulent plus voir l'accusé, qu'ils ne peuvent pas le voir.

On ne peut pas faire abstraction de cela. Ces dispositions existent pour aider les victimes qui sont des enfants à traverser ce processus. On ne leur demande pas souvent de témoigner. Mais je suis d'accord avec la position du ministère public; lorsque l'enfant peut témoigner, il est évident que c'est préférable, mais ce qui m'inquiète, c'est que cet enfant devra sortir de la salle d'audience. Nous ne voulons pas le détruire encore davantage et l'anéantir. Alors, si on peut lui faire dire la vérité devant le tribunal tout en protégeant son bien-être, je pense que nous aurons fait d'une pierre deux coups.

• 1510

La présidente: Elizabeth Sheehy.

Mme Elizabeth Sheehy: Je voulais simplement dire que dans ce contexte, je vois une distinction très nette entre ce qu'on pourrait appeler les droits des victimes et les droits à l'égalité. Si vous vouliez parler des droits à l'égalité des enfants, vous vous inquiéteriez en fait des types de questions qui leur seraient posées, vous vous demanderiez si elles sont appropriées compte tenu de leur âge et de leur degré d'épanouissement et vous essaieriez d'imposer des limites aux tactiques et techniques utilisées lors des contre-interrogatoires et des méthodes de recueil des dépositions au tribunal. Je crois que c'est aussi très important car effectivement, un écran peut permettre à un enfant de témoigner, mais il demeure que l'adulte voit l'enfant, et je sais que c'est également une expérience traumatisante pour l'enfant que de savoir qu'il ne peut pas le voir, mais que lui peut le voir.

Je ne pense pas que ces méthodes suffisent à s'assurer que les enfants peuvent faire leur déposition et qu'elle sera évaluée équitablement d'une façon qui soit proportionnée à leurs droits et à leurs droits à l'égalité dans nos tribunaux.

La présidente: Rick Prashaw.

M. Rick Prashaw: Je suis membre d'un organisme qui prône la justice réparatrice, mais nous disons souvent que le feu est jaune. Lorsque je vois un feu jaune, j'ai tendance à accélérer, même si d'après la loi, je crois qu'on est censé avancer prudemment, et si on ne peut pas le faire, il faut s'arrêter. Je pense que cela demeure une bonne image si nous nous souvenons de ce qu'un feu jaune est censé être.

La justice réparatrice est un feu jaune qui clignote; nous sommes convaincus du bien-fondé de certaines de ces méthodes, nous avons pris connaissance de certaines des histoires d'horreur qui circulent tout en sachant que nous ne devons pas la comparer à l'Utopie, mais à la façon dont justice est faite dans diverses collectivités. Le langage utilisé est important car, pour nous, c'est une justice réparatrice-transformatrice-satisfaisante-réconfortante. Comment réparer le tort que vous avez subi en perdant une personne que vous aimiez? C'est impossible, et certaines victimes nous ont dit à juste titre que le terme «réparatrice» les offusquait profondément lorsqu'il s'agissait d'infractions graves. Donc, le langage utilisé est très important.

Lorsque les gens sont au chômage, sont illettrés ou sont alcooliques et que nous allons réparer cet état de fait, nous cherchons à transformer ces faits. Nous voulons que les choses s'améliorent. C'est la raison pour laquelle nous savons que ce n'est pas tout simplement le Parlement ni la classe politique, mais la communauté tout entière qui doit s'intéresser de près à toutes ces questions.

Je pense sincèrement que, lorsque d'autres participent au processus de décision sans qu'ils soient amenés à prendre des décisions—on ne transforme pas les victimes en preneurs de décisions; il faut en fait les faire participer activement au processus de prise de décisions. Lorsque les victimes font partie de ce processus, on fait appel à une sagesse et à une créativité qui n'existent pas lorsque seuls les intervenants sont présents.

C'est un peu comme le programme Atoskata à Regina qui a été mis sur pied pour ceux qui volaient des Oldsmobile. Les responsables du programme ont cherché à indemniser les victimes, mais ils se sont soudain sentis créatifs lorsqu'ils se sont rendu compte que ces jeunes n'avaient pas de quoi rembourser leurs victimes. Qu'en est-il au juste? Ils n'ont pas d'emploi, ils n'ont pas de métier, ils n'ont pas de profession. Alors, ils ont regroupé des personnes venant du milieu des affaires, du milieu des assurances, des commerçants qui se sont penchés sur cette question dans leur collectivité et ils se sont dit qu'ils allaient enseigner un métier à ces jeunes. Ils verseront une grande partie de l'argent qu'ils vont gagner à leurs victimes et en garderont une infime partie pour se souvenir de ce qu'une dure journée au travail peut produire.

C'est cette situation dont parlaient les autres, où tout le monde sort gagnant lorsqu'on fait appel à cette créativité. On éprouve beaucoup de problèmes parfois avec les programmes de dédommagement parce qu'ils ne sont pas financés adéquatement, mais lorsqu'on rassemble des gens à une table, dans une tribune, on trouve toujours des solutions.

Nous partageons à peu près les mêmes inquiétudes que les autres à propos de la justice réparatrice. Lorsque Peter dit—et c'est une question tellement importante—qu'il faut faire intervenir les victimes surtout si elles le veulent, c'est tout à fait légitime. D'après ce que nous avons entendu, certaines veulent intervenir et d'autres pas. Tout cela change constamment.

Je voudrais revenir au feu jaune. Je dois apprendre cela moi aussi. Je suis censé ralentir lorsque le feu est jaune, regarder de chaque côté et n'avancer que si je peux le faire sans danger.

• 1515

La présidente: Michael, puis-je vous demander ce que la défense pense de ces écrans? Les avocats de la défense ont-ils pu s'y adapter? Êtes-vous d'accord avec ce que Nigel a dit, c'est-à-dire que ces écrans peuvent favoriser tout comme défavoriser le ministère public?

M. Michael Lomer: Mon expérience en la matière est vraiment relativement limitée. C'était la mode lorsqu'ils ont été utilisés les premières fois mais ils ont rapidement disparu, si bien qu'on les voit très rarement ces temps-ci. Je crois que les inquiétudes exprimées par M. Allan et par M. MacKay sont tout à fait légitimes en ce qui concerne la présentation des faits. Le témoignage d'un jeune enfant devant le juge perd de son acuité lorsqu'il est retransmis à distance sur écran et la perd doublement lorsque son témoignage est enregistré sur bande vidéo. Une caméra ne capte pas tout.

S'ils sont moins utilisés maintenant—et là encore, cela n'a rien de scientifique—c'est, je crois, parce que le ministère public estime surtout que les témoignages ne transmettent pas bien les arguments du ministère public devant le juge de façon équitable.

Pour ce qui est du revers de la médaille, la question de la sécurité, que, très franchement, je n'aborde pas du tout en tant qu'avocat pour la défense—c'est quelque chose qui dépasse mon cadre de référence—je commence à me demander comment on peut assurer un juste équilibre entre ces deux questions. D'un côté, pour assurer la sécurité d'un témoin, il faut le soustraire au tribunal ce qui, du point de vue de la défense, m'importe peu. Pour être parfaitement honnête, il n'est pas extrêmement préjudiciable que le témoin soit protégé par un écran. Mais comment bien raconter les faits lorsqu'on choisit cette voie-là? C'est la seule question que je poserais en retour.

La présidente: Colette.

Mme Colette Mandin-Kossowan: Je ne veux pas simplement parler d'écrans. Nous parlions tout à l'heure de justice réparatrice ainsi que d'autres questions.

La présidente: Vous ne subirez pas de sanction disciplinaire.

Mme Colette Mandin-Kossowan: Si nous sommes ici pour discuter du rôle des victimes dans l'appareil judiciaire, je dirais que le dénominateur commun est que les victimes veulent que leurs droits personnels soient protégés. Elles veulent se sentir en sécurité. Elles ont le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité.

Si je suis victime d'actes de violence familiale et que je me sens menacée par le contrevenant, je m'attends à bénéficier d'un certain type de protection tout au long du processus et aussi après que la peine a été déterminée, ce qui semble se produire rarement.

On a beaucoup parlé d'information ce matin...et je trouve cela décourageant. Je suis découragée car lorsqu'un crime est perpétré, deux parties sont en cause. Il y a d'un côté le contrevenant et de l'autre, la victime. Le contrevenant a accès au moindre élément d'information dont il ou elle a besoin alors que la victime doit se battre pour en obtenir. Il suffit de demander à Brenda McDonald à combien s'élèvent ses notes de téléphone et ses envois postaux au cours des deux dernières années—sans parler de moi-même, de Priscilla et de gens comme nous. Tout cela nous coûte très cher.

On me demande ad nauseam pourquoi les victimes veulent ces renseignements. La seule analogie que j'ai pu trouver et qui rend la chose tangible est d'ordre médical. Si on avait un frère atteint d'un cancer qui était incapable pour quelque raison que ce soit de parler, soit parce qu'il a subi un traumatisme, qu'il a perdu la voix ou quoi que ce soit d'autre, qu'il avait besoin de quelqu'un pour défendre ses droits et qu'on devait prendre des décisions en son nom, on voudrait tout savoir sur sa maladie. On voudrait savoir quel est le diagnostic, quelles sont ses chances de survie et quels sont les choix de traitement pour qu'on puisse prendre des décisions en toute connaissance de cause, planifier l'avenir et intégrer le tout à nos vies pour bien comprendre.

Il faut vivre avec les séquelles du crime et ce n'est pas facile. C'est la raison pour laquelle les victimes ont besoin de renseignements. Comment prendre des décisions raisonnables sur son avenir? Tout le déroulement de la procédure judiciaire et ses conséquences, même après la détermination de la peine, ont des répercussions sur tout ce qu'on fait.

Si une audience de libération conditionnelle doit avoir lieu, comme dans le cas de Brenda McDonald, il faut la planifier. Nous avons un emploi, nous avons une vie et nous avons subi un traumatisme. Il faut pouvoir assurer un équilibre et planifier l'avenir.

• 1520

Qu'il s'agisse de justice réparatrice, de condamnation à une peine de prison avec sursis, de transactions pénales ou alors des moyens d'offrir des renseignements, d'obtenir ces droits fondamentaux, des renseignements sur la procédure tout au long de son déroulement—j'espère que l'analogie médicale que je vous ai donnée rend la chose plus concrète et plus facile à comprendre car c'est décourageant de répondre à cette même question des millions de fois sous des formes différentes pour que les gens puissent comprendre. Je suis ici et je me demande toutes les cinq minutes si tout le monde comprend bien. C'est décourageant.

On a aussi beaucoup parlé ce matin de la création d'un bureau d'aide aux victimes et je ne sais pas si nous allons en discuter plus tard. Le travail de conscientisation que je fais—et je vais vous parler de mon expérience personnelle car je peux vous dire combien cela m'a coûté—et le travail que font Priscilla, Brenda et bien d'autres à la table, me coûte beaucoup d'argent à moi et à mes bénévoles. Nous sommes tous bénévoles. Je suis bénévole. Je travaille à plein temps depuis quatre ans. Cela m'a vraisemblablement coûté entre 20 000 $ et 30 000 $ ces trois dernières années simplement pour m'assurer que la cause des victimes était défendue en présentant un éventail de questions diverses. Je sais que de nombreux bénévoles qui travaillent avec moi—nous avons plus d'une vingtaine de bénévoles endurcis à CAVEAT Alberta—ont engagé d'énormes frais également.

Lorsqu'on parle de la création d'un bureau d'aide aux victimes d'actes criminels, on se tourne souvent vers le modèle américain et on examine les limites du service qu'on peut offrir en tant que bénévoles. Nous sommes très limités. Il n'est pas évident d'offrir des renseignements à une victime: cela dépend de l'endroit où elle habite, de l'existence d'un groupe de défense près de chez elle, des bénévoles et de leur temps, des organismes qui n'ont pas de base de financement stable et qui n'ont aucune compétence juridique. Je suis hygiéniste dentaire. Je n'ai aucune expérience juridique. Du fait de mon expérience de l'appareil judiciaire, je peux partager de l'information et aider quelqu'un à trouver un réseau d'information pour les victimes d'actes criminels.

Je crois que les victimes méritent mieux que ce qu'on leur offre. Alors, lorsqu'on parle de la création d'un bureau d'aide aux victimes d'actes criminels... Je pense que Joanne l'a bien exprimé en disant que ce doit être un prestataire de services d'aide aux victimes. Je pense qu'il faut une espèce d'action sociale, comme cela existe aux États-Unis, qui permettra d'alimenter les questions d'aide aux victimes, de participer à l'élaboration de mesures législatives, de défendre la cause des victimes, d'établir un point de référence à l'aide accordée car, au Canada, il n'existe pas de point de référence d'aide ou de défense des victimes; il faudrait aussi que ce bureau assure le financement de cette action, qu'il entreprenne des travaux de recherche universitaire et une bonne analyse de la victimologie, ce qui n'existe pas ici à l'heure actuelle, qu'il partage l'information ainsi recueillie avec les provinces pour qu'il y ait un réseau et une infrastructure quelconques, au cas où quelque chose arriverait à votre famille dans une autre province, comme on l'a dit plus tôt, même si ce bureau n'offrira pas de renseignements directs mais saura exactement où envoyer la victime en question, offrir un centre de ressources et promouvoir la conscientisation du public.

La raison pour laquelle je me suis défoulée ainsi, c'est qu'on ne cesse de donner une douzaine d'incarnations différentes à ce bureau d'aide aux victimes et comme j'ai travaillé dans ce domaine et que je défends la cause des victimes, je crois que c'est ce dont nous avons besoin. Je vous exhorte à créer un bureau de ce type.

Je ne sais pas si nous pouvons nous permettre de créer un bureau d'aide aux victimes d'actes criminels comme celui qui existe aux États-Unis, mais je ne crois pas que notre organisme devrait effectuer des démarches constantes auprès du bureau américain pour obtenir des renseignements. Je pense que nous devrions avoir notre propre bureau qui témoignera de notre expérience ici, au Canada.

La présidente: Merci, Colette.

Irvin, et puis Chuck, je vais vous donner la parole en dernier avant la pause, mais c'est la dernière fois que je le fais.

Irvin.

M. Irvin Waller: Vous nous avez demandé de discuter du rôle et des droits des victimes durant la période préparatoire au procès. Je pense que deux éléments de nature très concrète entrent en jeu ici.

Le premier, c'est qu'il faut trouver une façon de définir concrètement le rôle de la victime à chacun de ces stades et par là, je veux parler de ses intérêts. Un des principes adoptés par le comité fédéral-provincial en 1988 disait ceci:

    Lorsque les intérêts personnels de la victime sont touchés, il faudrait tenir compte de l'opinion ou des inquiétudes exprimées par la victime.

• 1525

Cela rejoint le texte—plus clair, à mon avis—qui figure dans la Déclaration des Nations Unies.

Il me semble que le Code criminel devrait préciser davantage les intérêts des victimes à tous ces stades, lors de la mise en accusation, de l'établissement des dates, du déroulement du procès, de la détermination de la peine—toute cette procédure. Cela devrait être défini.

Nous devrions également envisager très sérieusement d'accorder, dans ce pays, une espèce de droit d'intervention aux victimes à tous ces stades critiques de la procédure pour que leurs intérêts soient défendus. Les accusés sont défendus par un avocat parce que le processus est compliqué et parce que les procureurs du ministère public ne défendront pas nécessairement leurs intérêts—de la même façon, je pense que nous devrions envisager très sérieusement d'offrir des conseils juridiques ainsi que les services d'un avocat aux victimes à tous ces stades différents. On n'aurait peut-être pas besoin de le faire pour les cas de vol à l'étalage contre les grands magasins, mais dans les cas plus graves, comme un assassinat, une agression sexuelle, un vol, des infractions graves perpétrées contre des enfants, je pense que nous devrions envisager sérieusement de le faire.

C'est la principale observation que je voulais faire. Je voudrais en faire une autre à propos de l'affaire Kitty Nowdluk Reynolds. C'est l'affaire où les pouvoirs du système obligeant quelqu'un à assister aux audiences sont devenus si importants. Une femme qui avait été agressée—sexuellement, je crois, mais je n'en suis pas sûr—a passé une semaine dans diverses prisons du pays et a été conduite au tribunal dans le même fourgon cellulaire que le contrevenant. Elle vivait dans une province où il existait un programme d'accueil pour victimes et témoins, mais pour quelque raison que ce soit, la police ne l'avait pas aiguillée vers ces services.

Il me semble que cela illustre le pouvoir incroyable dont l'État dispose sur les victimes à l'heure actuelle. Ce n'est pas le seul cas. Il y en a eu d'autres—des cas de femmes battues—où des femmes ont été condamnées à une peine de prison d'un mois. Si vous regardez les articles du Code criminel qui s'y rapportent, vous constaterez que ces pouvoirs sont énormes. On s'inquiète très peu des victimes.

Lorsque j'ai écouté le débat qui a eu lieu aujourd'hui entre la défense et les procureurs, je me suis dit que si nous devons faire du système judiciaire de ce pays un processus qui soit sensible aux droits des victimes, il faudra alors adopter des mesures plus musclées, des mesures qui donneront un statut aux victimes.

Madame la présidente, vous avez parlé des écrans et de la télévision à circuit fermé. Nous vivons à l'ère de la vidéo. Était-il vraiment nécessaire de transporter Kitty Nowdluk Reynolds de Surrey, en Colombie-Britannique, à l'endroit où le procès avait lieu? Les avocats se servent maintenant régulièrement des systèmes vidéo. Il faut, je crois, trouver un meilleur équilibre entre la nécessité, pour les procureurs, d'avoir un bon témoin, pour la défense, d'avoir un témoin plausible et il ne faut pas oublier la tierce partie en cause: la victime d'un acte criminel dont les intérêts doivent être défendus; or, à l'heure actuelle, ils ne le sont pas, ils ne sont pas protégés et nous devrions y réfléchir sérieusement. Il me semble que la création d'un bureau d'aide aux victimes d'actes criminels se fait attendre depuis trop longtemps et s'il est créé, nous disposerons ainsi d'une instance qui examinera—expérimentera, si vous voulez—certaines de ces nouvelles méthodes pour veiller à ce que leurs intérêts soient protégés.

La présidente: Merci.

Chuck Cadman.

M. Chuck Cadman: Merci, madame la présidente.

Je vais être bref parce que je sais que tout le monde désire s'arrêter un peu.

Pour revenir sur ce que Colette a dit à propos du désir des victimes d'obtenir des renseignements, je crois qu'en gros, lorsque vous devenez victime d'un acte criminel, votre propre vie vous échappe à des degrés divers selon la gravité du crime perpétré. Faire partie du processus, être avisé, recevoir un préavis et obtenir les renseignements dont vous avez besoin vous permet de reprendre un tant soit peu la situation en main. Cela ne signifie pas que vous voulez contrôler le système ou le processus. C'est simplement le désir de reprendre votre vie en main et je crois que c'est ce qui compte en bout de ligne.

La présidente: Merci, Chuck.

Très bien. Nous allons faire une pause-café et nous reviendrons dans 15 minutes. Nous avons rattrapé notre retard.

• 1530




• 1603

Le vice-président (M. John Maloney): Mesdames et messieurs, si vous voulez bien retourner à la table, notre présidente a dû s'absenter quelques minutes et en attendant qu'elle revienne, nous pourrions peut-être commencer à parler des déclarations des victimes. Nous en avons déjà parlé un peu, certains des intervenants l'ont fait, et je crois que nous pourrions en discuter davantage.

Qui veut commencer? Allez-y, Colette.

Mme Colette Mandin-Kossowan: Merci. Ce que je voudrais ajouter à propos des déclarations des victimes, c'est que j'entends très souvent dire que de nombreuses victimes ne veulent pas en faire une, et c'est vrai. Mais je pense qu'il faudrait en examiner les raisons. C'est une question de divulgation, de crainte pour sa sécurité personnelle, d'intimidation, de partage de renseignements personnels. Parfois même, les victimes ne savent pas qu'elles peuvent faire une déclaration. Parfois, elles ratent l'occasion d'en faire une car, en particulier pour les infractions graves et violentes, le traumatisme subi est tellement important qu'il leur faut des mois et parfois des années avant d'atteindre le stade où elles pourraient coucher leurs pensées sur papier ou parler des conséquences qu'un acte criminel a eues sur elles.

Je voulais donc apporter cette précision. J'ai entendu trop souvent dire que les victimes ne veulent pas faire de déclarations. Il y en a qui ne veulent pas en faire, mais il y en a d'autres qui ne peuvent pas en faire, et il faut en tenir compte également.

• 1605

Le vice-président (M. John Maloney): Paul DeVillers.

M. Paul DeVillers: Merci. Pour me préparer à cette table ronde, j'ai organisé une tribune locale dans ma circonscription. Un des participants à cette tribune était juge d'un tribunal provincial. En Ontario, apparemment, la déclaration des victimes se présente sous forme d'un formulaire. Il se plaignait de ce que ce formulaire n'était que rarement rempli, si tant est qu'il le fût jamais. J'ignore si cela s'explique du fait, comme Colette l'a indiqué, que les victimes ne veulent pas remplir de déclarations ou si c'est parce que la police, le ministère public ou ceux qui interviennent au nom des victimes ou qui travaillent avec elles ne les aident pas.

Je me demande si c'est un fait connu. Je voudrais savoir si ceux qui travaillent dans ce domaine l'ont constaté également.

Le vice-président (M. John Maloney): Gary Rosenfeldt.

M. Gary Rosenfeldt: Si ces déclarations ne sont pas toujours remplies, c'est parce qu'elles renferment beaucoup de questions qui n'ont rien à voir avec leur cas. Parfois, il est très difficile de demander aux victimes de remplir un formulaire préétabli. Dans de nombreux cas, il n'y a peut-être pas eu de perte financière; elles ne peuvent pas répondre à la question posée par le formulaire parce que cela ne s'applique pas à leur cas. Les victimes éprouvent du mal à remplir ces déclarations.

Ce qui est décourageant aussi, c'est que les victimes y mettent toutes leurs tripes et que le formulaire est ensuite remis au procureur de la Couronne. Le procureur prend son stylo noir et se met à biffer tout ce qui, à son avis, ne devrait pas être présenté au juge ou au tribunal. On supprime ainsi une bonne partie de ce qu'a fait la victime.

L'envoi de lettres à la Commission nationale des libérations conditionnelles au sujet de la libération conditionnelle du contrevenant pose également des problèmes. Tout ce qu'une victime fait est remis au contrevenant—son adresse, toute lettre qu'elle écrit à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Le contrevenant est tenu d'en avoir copie. Les victimes se trouvent ainsi dans une situation très difficile.

Premièrement, elles s'inquiètent de leur propre sécurité lorsqu'elles doivent présenter une déclaration de ce genre, en particulier devant une commission des libérations conditionnelles. Vous comprendrez aisément pourquoi les victimes s'inquiètent.

Je suis d'accord avec Colette pour dire que la plupart des victimes veulent vraisemblablement présenter des déclarations, mais il leur est très difficile de le faire et elles ne disposent pas toujours des appuis nécessaires.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci, Gary.

Susanne, vous voulez la parole.

Mme Susanne Dahlin: Oui. J'allais dire que la déclaration de la victime devait être à l'origine utilisée lors de la détermination de la peine. On pensait que c'était une bonne chose pour les victimes et ça l'est en général. Cependant, nous avons demandé à nos homologues du gouvernement fédéral de faire des recherches dans ce domaine parce que nous constatons maintenant que certaines déclarations de victimes sont utilisées par la défense pour divulguer des renseignements personnels. Pour cette raison, un certain nombre de victimes, en particulier lorsqu'il s'agit d'agressions sexuelles, hésitent à les remplir. Je crois que ce qui, au départ, était une bonne idée, ne l'est peut-être pas pour tous les types de victimes. Nous aimerions analyser cette procédure.

Le vice-président (M. John Maloney): Brenda McDonald.

Mme Brenda McDonald: Je voudrais dire autre chose à propos de la déclaration des victimes que j'ai remplie pour notre procès. Lorsque j'ai voulu en actualiser une au stade de l'appel, cela m'a été refusé. Mais les trois juges qui étaient là ont fait allusion à la première déclaration que j'avais remplie en disant que, comme ma déclaration et celle de ma soeur ne mentionnaient aucun antécédent d'acte violent chez Ralph Klassen, cela prouvait d'autant plus qu'il n'était pas une personne violente. Lorsque nous avons reçu le formulaire de déclaration des victimes, on nous a dit que nous devions ne citer que les effets psychologiques et financiers que le crime avait eus sur nous. Nous avons été abasourdies lorsque ces juges, au stade de l'appel, ont dit que même dans les déclarations des victimes, il n'était fait mention d'aucun type de violence dans le passé de cet homme et que, par conséquent, nous n'avions aucune preuve qu'il était violent et que la peine serait maintenue. Nous ne savions pas très bien comment remplir ces déclarations et lorsque nous l'avons fait, nous nous sommes demandé si nous n'aurions pas pu ajouter beaucoup d'autres choses sur sa personnalité.

Le vice-président (M. John Maloney): Joanne.

Mme Joanne Marriott-Thorne: Nous sommes fermement convaincus que la déclaration des victimes ne devrait servir qu'à déterminer la peine encourue. Elle ne devrait pas servir de preuve pendant le procès. C'est la raison pour laquelle nous ne déposons de déclarations de victimes, qui le sont à la division des services d'aide aux victimes, qu'une fois la culpabilité établie.

• 1610

Si nous agissons ainsi, c'est parce que la déclaration de victime est rédigée sans aide juridique. Nous craignons beaucoup qu'elle ne porte préjudice aux intérêts de la victime. La victime, qui estime donner suite à un droit qui lui a été accordé, rédige une déclaration de victime avant que la culpabilité de l'accusé n'ait été établie, la remet et ensuite on se sert de cette déclaration pour attaquer sa crédibilité, par exemple. Nous avons donc décidé de ne déposer ces déclarations qu'une fois la culpabilité de l'accusé établie.

Cela dit, ce droit devient souvent vide de sens car le tribunal n'interrompt pas ses travaux pour permettre de déposer la déclaration de victime. Ainsi, une victime prend la peine d'écrire une déclaration, ne la dépose pas à l'avance, parce que nous estimons qu'elle ne devrait pas être utilisée comme preuve pendant le procès—c'est de toute évidence contraire à l'esprit de la loi—et ensuite elle perd son droit.

Telles qu'elles sont rédigées actuellement, les dispositions du Code criminel nous inquiètent beaucoup.

Le vice-président (M. John Maloney): Arlène Gaudreault.

[Français]

Mme Arlène Gaudreault: L'un des problèmes de la déclaration de la victime, comme M. Rosenfeldt l'a mentionné, c'est qu'il arrive souvent que les procureurs n'en fassent pas état auprès du juge ou que le juge n'en prenne pas connaissance. Au lieu d'être un privilège ou un droit pour les victimes, elle devient une difficulté supplémentaire. Elles prennent du temps pour rédiger une telle déclaration et elles y mettent beaucoup d'énergie, mais elle reste dans le dossier du procureur de la Couronne. On croit comprendre qu'avec les amendements au Code criminel sur la détermination de la peine, le juge sera tenu de la prendre en considération. On espère que ce sera le cas et qu'il y aura un suivi sur cette question.

Il faudrait peut-être sensibiliser autant les juges que les procureurs de la Couronne à l'importance de cette déclaration pour les victimes dans le processus de guérison. Il est arrivé que des juges me disent: «Madame Gaudreault, c'est vrai que la déclaration de la victime est un bon outil, mais des victimes d'agression sexuelle, on en a vu beaucoup dans notre pratique et on n'a pas besoin d'une déclaration de la victime pour comprendre les conséquences d'une telle agression.» Je ne dirais pas qu'il y a un manque de sensibilité chez tous les juges et tous les procureurs, mais il y a du travail à faire au niveau de la sensibilisation des juges et des procureurs.

Un des objectifs de la déclaration de la victime était de faire en sorte qu'il y ait plus d'ordonnances de dédommagement qui soient rendues à l'endroit des victimes, puisqu'on avait plus d'information, notamment sur les conséquences financières de l'agression. Il serait bon qu'il y ait une évaluation de cette question. Que je sache, cela n'a pas amené une augmentation du nombre d'ordonnances de dédommagement. Je pense qu'il faudrait revoir cet aspect et encourager les juges à utiliser les renseignements contenus dans les déclarations afin qu'il y ait plus d'ordonnances de dédommagement.

Je ne sais pas si cela se fait dans les autres provinces, mais au Québec, il y a maintenant des ententes qui vont permettre la transmission de la déclaration de la victime au Service correctionnel du Canada. Cela se fait sur une base ponctuelle. Donc, la déclaration de la victime peut être transmise à l'institution pénitentiaire où le détenu est amené.

On peut voir certains avantages à cette façon de faire. J'ai participé à une enquête sur un événement spectaculaire où un ex-détenu avait tué sa conjointe. J'ai aussi une expérience de 10 ans comme commissaire aux libérations conditionnelles. Donc, j'ai souvent vu et lu des dossiers et je sais qu'il y a très peu d'information sur les conséquences à court et à long terme de la victimisation.

• 1615

Donc, la déclaration de la victime est pour le Service correctionnel une façon de savoir ce qui s'est passé pour la victime au plan des conséquences psychologique, financières et sociales.

Maintenant, on peut être en accord sur cette façon de faire parce que cela permet d'évaluer la gravité du délit et de responsabiliser le délinquant, mais je pense qu'il faut faire très attention. Il faut que les victimes sachent qu'on transmet leur déclaration. Il faut peut-être penser à protéger certaines parties du contenu de la déclaration pour assurer la sécurité de la victime. On va aller de plus en plus vers des protocoles de transmission de la déclaration de la victime au Service correctionnel.

Je ne sais pas si cela se fait dans les autres provinces, mais ces échanges ont commencé à se faire chez nous. On prévient maintenant les victimes que leur dossier peut être transmis au Service correctionnel, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Lorsque ces projets avaient été expérimentés dans cinq provinces, le ministère de la Justice du Canada en avait fait une évaluation fort intéressante qui montrait les résistances des intervenants, particulièrement des juges, des procureurs et des policiers, face à cet outil.

Il serait intéressant que le ministère de la Justice, peut-être en collaboration avec le Solliciteur, reprenne cette évaluation pour voir ce que cela donne véritablement au niveau des sentences, par exemple. Est-ce que les victimes sont satisfaites? Dans quelle proportion les déclarations sont-elles utilisées dans les dossiers? Quel est leur contenu? Quels sont les problèmes concrets que rencontrent les victimes? Il serait très utile de faire état de la question à ce moment-ci et de voir comment c'est appliqué dans l'ensemble du système. On pense souvent au système pour les adultes, mais au Québec, dans le système de justice pour les mineurs, la déclaration de la victime n'est pas actuellement en vigueur même si le Code criminel a été modifié en 1988.

Donc, je pense qu'on en fait une utilisation un peu parcimonieuse dans l'ensemble des provinces et qu'il serait souhaitable de faire une évaluation de l'ensemble de cette question.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney): Merci, Arlène.

Peter MacKay.

M. Peter MacKay: Je voulais simplement dire que si je recevais des déclarations de victime dans un bureau de la Couronne, je les cachetais et je m'assurais qu'elles étaient dans le dossier du juge pour qu'il puisse s'en servir si l'accusé en venait à déclarer sa culpabilité et si la défense et l'accusé voulaient que la peine soit déterminée sur place.

D'un autre côté, la défense a de toute façon le droit de demander un rapport présentenciel ou prédécisionnel. Je ne crois pas que le procureur devrait hésiter à demander un temps d'arrêt pour que la déclaration de la victime soit déposée si tel est le désir de la victime. Là encore, il faut que le ministère public le sache. En Nouvelle-Écosse, je crois qu'on remet une copie cachetée de la déclaration au juge.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci.

Peter Quinn.

M. Peter Quinn: Je voudrais me faire l'écho de certains des propos qui ont déjà été tenus à propos des déclarations de victimes. C'est un outil extrêmement précieux, mais beaucoup s'inquiètent de ce que des renseignements soient divulgués ou que ces déclarations soient utilisées avant que la peine ne soit déterminée. Les gens hésitent pour de bonnes raisons.

À ce sujet, il est intéressant de noter qu'en Alberta, lorsque les déclarations des victimes ont été introduites à l'origine, les juges pouvaient étudier les déclarations de victimes. Il a été fort surprenant d'apprendre qu'un tiers des juges ne tenaient pas compte des déclarations de victimes. Heureusement, l'Alberta a changé la loi et ordonne maintenant aux juges de tenir compte des déclarations de victimes. C'est un changement positif. Mais beaucoup s'inquiètent de la divulgation de ces déclarations.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci.

Marvin Bloos.

M. Marvin Bloos: Je crois qu'il est important de comprendre que les déclarations de victimes font partie du Code criminel. Ces déclarations font partie du processus, mais d'un autre côté, le contrevenant a le droit de les voir. Si on fait abstraction de la déclaration de victime, si l'avocat de la défense dit un tas de choses gentilles à propos de l'accusé, le ministère public n'a pas à accepter cela et peut demander des preuves à la défense. Ou alors, si le ministère public dit un tas de choses méchantes à propos de l'accusé et par là même, aggrave l'infraction perpétrée et que la défense n'accepte pas cela, le ministère public doit alors prouver ce qu'il avance. La plupart du temps, le ministère public et la défense s'entendent sur les faits et sur les circonstances atténuantes et aggravantes et le processus se poursuit.

• 1620

Lorsqu'on dépose une déclaration de victime et qu'y figure un certain nombre d'allégations qui n'ont rien à voir avec l'infraction perpétrée—des antécédents ou des allégations sans lien aucun avec les infractions ou agressions perpétrées—on introduit du même coup un problème. Si la défense ne l'accepte pas, que fait-on? Parfois, le ministère public, à juste titre j'estime, biffe les parties de la déclaration qui n'ont rien à voir avec cet aspect de la détermination de la peine. L'accusé a été inculpé d'une infraction donnée et a le droit d'être jugé et puni du fait de cette infraction. Les tribunaux examineront également l'existence d'un éventuel dossier judiciaire, et ainsi de suite. L'accusé n'a peut-être pas été tenu de rendre compte des allégations concernant ces autres questions citées dans la déclaration de victime.

Dans la même veine, l'étape de la détermination de la peine n'est vraisemblablement pas la meilleure étape choisie pour commencer un autre processus permettant d'établir la véracité ou l'inexactitude des faits relatés dans la déclaration de victime. Par exemple, la déclaration peut renfermer de longues descriptions sur les préjudices ou dommages psychologiques subis par la victime. Ces préjudices sont présentés du point de vue de la victime. L'accusé n'est pas tenu de les accepter. Dans la plupart des cas, je suppose qu'il le fait et l'avocat de la défense s'entretient sans doute avec le ministère public et le juge qui décide que cette déclaration sera reçue comme étant le point de vue de la victime.

Disons qu'un des cas dont je parlais ce matin se produit, qu'il y a un concours de crédibilité pour savoir qui croit quoi. Un camp dit que telle chose s'est produite alors que l'autre camp dit que ce n'est pas vrai. À ce stade-ci, on introduit la déclaration de victime qui a été rédigée à un moment donné au cours de la procédure. Que se passe-t-il si cette déclaration diffère de celle donnée à l'origine à la police et diffère de ce que le plaignant ou la victime a dit lors des témoignages? On a un sérieux problème entre les bras. Nous avons maintenant trois versions différentes. De nombreux accusés diront que c'est une preuve supplémentaire qu'ils sont innocents, ils diront que l'autre personne ne dit pas la vérité. Alors l'avocat de la défense demande, à juste titre, la permission de procéder à un contre-interrogatoire de cette troisième version.

Certaines raisons expliquent peut-être qu'il existe trois versions différentes d'un événement, mais peut-être pas. De toute façon, c'est au tribunal de juger.

Ainsi, lorsque les victimes ou les plaignants subissent un contre-interrogatoire ou lorsque la défense cherche à utiliser les déclarations de victimes pour une toute autre raison que celle d'une déclaration au tribunal des conséquences subies par une victime à la suite d'un acte criminel, il y a toujours une raison juridique. L'accusé bénéficie de certains droits. Cette déclaration de victime poursuivra également son chemin. Nous ne devons pas oublier que cet accusé risque de passer beaucoup de temps en prison et, avec cette perspective à l'esprit, dira à tous qu'il n'est pas responsable—c'est en général un homme—de l'infraction dont il est accusé. Les accusés ont donc le droit de se défendre d'après nos textes de loi.

La déclaration de victime sera envoyée au service des libérations conditionnelles. Si elle renferme des allégations qui n'ont pas été filtrées, mon expérience me dit que le service des libérations conditionnelles les acceptera tout simplement au pied de la lettre tout comme il le fait souvent avec les déclarations faites à la police. Il est donc important pour l'accusé de rétablir les faits le plus rapidement possible si cette déclaration renferme des documents ou des renseignements qui sont inexacts ou si elle prétend que l'accusé a perpétré des infractions qui n'ont pas été prouvées, dont il n'a pas été accusé ou qui ne faisaient pas partie du processus.

Je crois qu'il faut conscientiser les deux camps. J'ai entendu dire que la défense ne comprenait pas le point de vue de la victime, mais ceux qui cherchent à aider les victimes doivent les informer du but de cette déclaration. Les gens doivent comprendre la procédure. C'est une procédure très grave, car s'il est condamné, l'accusé subira de très graves conséquences et passera beaucoup de temps en prison. Cela peut détruire des familles entières. Le contrevenant a une famille aussi et doit s'inquiéter de tout ce dont les victimes s'inquiètent également.

• 1625

Lorsqu'il y a confrontation, il y a des camps et chaque camp joue son rôle. Le tribunal décide, en bout de ligne, du résultat et de l'issue. À mon avis, il ne faut pas penser que quelque chose ne va pas lorsqu'un camp joue son rôle et cherche à examiner des renseignements publics transmis en salle d'audience. Je crois qu'il est utile que nous comprenions bien le processus et son déroulement.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci, Marvin.

Michèle Roy.

[Français]

Mme Michèle Roy: Je vais ajouter à ce que monsieur vient de dire un certain nombre d'éléments qui peuvent expliquer pourquoi les déclarations de la victime ne sont souvent pas remplies, sont peu utilisées ou ont peu de poids. En tout cas, les femmes avec qui on travaille craignent souvent ce qu'on va faire de leurs déclarations. Elles craignent que ce qu'elles vont déclarer se retourne contre elles.

Monsieur disait qu'il y a deux ou trois versions du même événement. Selon mon expérience, il est très rare que l'agresseur ait la même version que la victime dans un cas de viol, par exemple. C'est très rare qu'ils s'entendent sur les faits et sur les répercussions de l'agression.

On n'a pas dit que les victimes n'étaient pas au courant de l'utilisation de cette déclaration. Elles n'en sont pas informées. Cela peut être lié, dans certains cas, à l'analphabétisme ou à une difficulté à rédiger des documents ou à produire des documents écrits. Les victimes ne sont pas forcément des personnes très cultivées, qui ont de la facilité à rédiger des documents, etc.

Beaucoup de femmes nous ont dit: «L'obligation de rédiger ce document me place de nouveau dans une situation de victime. J'ai l'impression qu'il faut que je mendie la compassion et la compréhension du système de justice. Je dois mettre tous les détails et dire au système ce qu'on m'a fait, comment j'ai souffert et tout l'impact de l'agression sur moi.»

Dans la démarche qu'elles font pour porter plainte, les femmes tentent de reprendre du pouvoir sur leur vie, de se replacer de nouveau dans une situation où elles veulent vivre et avancer dans la vie. Pour certaines, le fait de porter plainte les remet dans une situation de pauvre victime.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Maloney): Merci, Michèle.

Peter Mancini, vouliez-vous dire quelque chose?

M. Peter Mancini: Merci, monsieur le président. Je ne vais pas m'attarder sur la question. Ce que je voulais dire l'a été par d'autres intervenants, alors je vais vous laisser poursuivre pour ne pas gaspiller de temps.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci, Peter.

Paul, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Paul DeVillers: M. Main disait que la déclaration de victime devait être utilisée exclusivement comme moyen de déterminer la peine et je crois que c'est ce qui se passe en Nouvelle-Écosse. Cela permet, dit-il, de mieux utiliser ces déclarations et les victimes seraient alors assurées que les déclarations faites ne se retourneraient pas contre elles plus tard si elles n'étaient divulguées qu'après condamnation de l'accusé.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci.

Joanne.

Mme Joanne Marriott-Thorne: À moins que quelque chose ne m'échappe, le Code criminel dit bien que ces déclarations doivent être utilisées comme moyen de déterminer la peine. Nous avons vraiment essayé de nous en tenir à cela.

Avant l'adoption du projet de loi C-41, nous avions réussi à les soumettre au tribunal parce que nous n'étions pas un service public d'aide aux victimes. Nous les présentions au tribunal dans une enveloppe cachetée et tout le monde s'accordait pour dire qu'elles ne seraient déposées que si la culpabilité de l'accusé était établie. À ce stade-là, l'enveloppe était décachetée et on en remettait copie au procureur, à l'avocat de la défense et au juge en même temps.

Voilà une autre raison qui explique pourquoi nous sommes convaincus du bien-fondé de la création d'une bureau d'aide aux victimes à l'échelon national. On n'a pas tenu compte des victimes lorsque les dispositions et le libellé du projet de loi C-41 sur les déclarations de victimes ont été modifiés. Une fois le libellé modifié, les déclarations des victimes étaient remises immédiatement au procureur et à l'avocat de la défense. Elles ne pouvaient demeurer dans une enveloppe cachetée.

• 1630

On peut discuter pendant longtemps pour savoir si ce processus était indiqué en premier lieu, mais de toute façon, cela a donné de très bons résultats en Nouvelle-Écosse. La modification du libellé du Code a attiré l'attention sur ce processus et le processus a changé aux dépens des victimes d'actes criminels en Nouvelle-Écosse. Je me répète, mais c'est une des raisons pour lesquelles je pense qu'il faudrait toujours tenir compte du point de vue des victimes lorsqu'on cherche à modifier toute mesure législative ou politique à l'échelon national.

Le vice-président (M. John Maloney): Vous avez raison. Merci.

Chuck Cadman, le dernier mot peut-être.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

Je voudrais faire une observation très rapide à propos des multiples déclarations de victimes. Tout ce que je peux vous dire maintenant, c'est que si je devais rédiger une déclaration de victime aujourd'hui, elle serait très différente de celle que j'ai écrite trois semaines après le meurtre, il y a cinq ans et demi. Tant qu'elle respecte certaines lignes directrices et qu'elle porte sur les répercussions—et je suis d'accord, elle ne devrait pas porter sur ce que, à votre avis, devrait être la peine prononcée ou établir si l'accusé doit bénéficier ou non de la libération conditionnelle; cela n'a rien à voir—tant que la déclaration de victime porte sur les répercussions que le crime a eues sur moi... Je crois que je suis le mieux placé pour décider de mon état psychologique ou pour dire comment je me sens.

Pour passer à un autre sujet, je dirais que la façon dont la déclaration de victime est divulguée varie d'un endroit à l'autre. C'est différent partout. Parfois, elle est lue par le ministère public ou alors le juge décide tout simplement de la lire et de revenir, et parfois elle est lue par la victime. Je pense qu'il appartient à la victime d'en décider. La victime devrait décider de la façon dont elle veut livrer cette déclaration.

Il y a deux raisons à cela, à mon avis. Premièrement, si la victime peut composer avec le contrevenant, dire quelles ont été les répercussions de l'infraction perpétrée sur elle, elle entame ainsi le processus de guérison puisqu'elle peut composer avec cette partie-là, regarder quelqu'un droit dans les yeux et dire: voilà ce que vous avez fait de ma vie. Deuxièmement, vous espérez que vous allez pouvoir susciter chez le contrevenant un peu de remords ou un désir de se réhabiliter. Je pense que c'est d'une importance capitale. Je crois qu'il appartient à la victime de décider au bout du compte comment sa déclaration doit être livrée.

Le vice-président (M. John Maloney): Rosealee Turcotte, on me dit que vous voulez la parole.

Mme Rosealee Turcotte: D'après mon expérience, j'ai constaté que la plupart des victimes veulent effectivement faire une déclaration de victime, mais qu'elles s'inquiètent de la divulgation au contrevenant des renseignements qu'elle renferme.

Dans mon propre cas, j'ai passé plusieurs années à rédiger et à rerédiger ma déclaration de victime et je suis tout à fait convaincue que le juge ne l'a jamais lue. Je ne sais pas si une victime a le droit de demander qu'elle soit lue pour qu'elle figure dans le compte rendu des délibérations, mais si ce n'est pas le cas, je crois qu'il faut que ce droit existe.

J'ai été également soumise à toute une diatribe de la part de l'avocat de la défense sur la raison pour laquelle le juge ne devrait pas tenir compte des préjudices psychologiques dont j'ai souffert avant que la peine ne soit déterminée. J'estime n'avoir parlé que des répercussions psychologiques du crime. Si la défense s'oppose à des renseignements spécifiques sur des événements qui figurent dans une déclaration de victime, fort bien, mais je ne pense pas qu'elle devrait être autorisée à nier l'existence des conséquences psychologiques qu'un acte criminel a sur une victime.

Je suis également d'accord avec Chuck pour dire que la victime devrait décider de la manière dont sa déclaration est livrée. J'ai entendu beaucoup de gens dire qu'ils voulaient la présenter verbalement ou sous quelque autre forme, et je pense que cela a posé beaucoup de problèmes.

Voilà à peu près tout ce que j'avais à dire.

Le vice-président (M. John Maloney): Quelqu'un d'autre veut-il faire une observation avant que nous ne passions à autre chose?

Kathy.

Mme Kathy Louis: Puis-je apporter une précision? Même si tout à l'heure j'ai dit que je ne représentais pas ici la Commission nationale des libérations conditionnelles, je veux tout de même vous signaler que les adresses des victimes ne sont pas communiquées aux contrevenants. Nous protégeons ces renseignements au moyen de la législation sur la protection de la vie privée. Il y a effectivement échange de correspondance entre la victime et la commission, mais nous veillons soigneusement à essayer de protéger ce genre de renseignements. La loi nous oblige à divulguer certains renseignements et c'est là l'essentiel de ce que nous communiquons aux contrevenants.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci, Kathy. Je vous remercie de ces observations.

Allez-y.

M. Bob Whitman: Je voudrais revenir sur une question que nous avons abordée brièvement ou même pas du tout; je veux parler des ordonnances de non-publication. Il y a parfois des cas, je crois, où une interdiction est signifiée sans demander à la victime si elle désire que ce soit le cas ou non. J'ai parfois assisté à des audiences où c'est l'avocat de la défense qui réclame cette ordonnance et on peut se demander si elle ne sert pas à protéger l'accusé plutôt que la victime.

• 1635

Là encore, nous nous sommes demandé tout à l'heure si le juge ne devrait pas demander à la victime si elle veut que le juge impose une ordonnance de non-publication.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci.

Susanne.

Mme Susanne Dahlin: Je suis d'accord et je voudrais ajouter que cela se faisait surtout pour les cas d'agressions sexuelles. Je connais un certain nombre de femmes et d'organisations féministes qui préféreraient maintenant qu'on ne cache pas leur identité... Elles veulent pouvoir dire qu'elles n'ont joué aucun rôle là-dedans et elles sont donc disposées à rendre la chose publique. Je crois qu'il appartient à chaque personne de décider, mais la victime devrait avoir le choix et on devrait lui poser la question.

Le vice-président (M. John Maloney): Joanne, à nouveau.

Mme Joanne Marriott-Thorne: C'est exactement ce qui s'est produit pour les ordonnances de non-publication. Un organe d'information, la radio, par exemple, publiait le nom de l'accusé et un autre organe d'information, un journal, par exemple, dans une très petite collectivité, ne révélait pas le nom de l'accusé mais publiait le lien qui unissait l'accusé et la victime, identifiant du même coup les victimes. Certaines personnes ont subi de très, très graves traumatismes à cause de cela et il ne semble pas y avoir de solution. Ni l'un ni l'autre de ces organes d'information n'avait enfreint l'ordonnance en question.

Je pense qu'il faudrait examiner d'un peu plus près ce que nous pouvons faire à propos de ces ordonnances de non-publication.

Le vice-président (M. John Maloney): Rick Prashaw.

M. Rick Prashaw: Je vais vous raconter trois cas qui se sont produits dans le comté de Genesee et qui illustrent bien ce qu'on pourrait faire, ce qui pourrait marcher. Il s'agit de trois infractions graves: un homicide, une agression et un vol. Je constate certaines choses en lisant le document que j'ai sous les yeux et je connais certaines des personnes qui travaillent dans le comté de Genesee: 220 contacts avec la victime sur une période de 14 mois; 20 visites au domicile de victimes au cours de ces 14 mois; des déclarations de victimes allant de 96 à 226 pages.

J'aurais beaucoup de questions à poser sur ce que ce comté fait, mais il semble en faire une priorité et prendre le tout très au sérieux. Des partenariats se créent entre les bénévoles communautaires, qui sont bien formés, et les professionnels du système. Il ne s'agit donc pas tous de professionnels.

Pour ce qui est des déclarations communautaires, le message que nous voulons transmettre est celui de la dénonciation et de la dissuasion. Parfois, nous oublions que le messager est tout aussi important que le message. Ainsi, dans le cas de certaines de ces méthodes de rechange, on constate qu'un étranger qui est un juge ou un agent de police n'a pas autant de poids qu'une grand-mère ou que quelqu'un qui est happé par le processus et qui parle des répercussions que l'acte en question a eues sur sa vie.

Il existe maintenant des déclarations de victimes faites par la communauté tout entière, où un programme a été mis en place. Cela ne signifie pas pour autant que n'importe qui peut venir dire ce qu'il pense, mais il y a un endroit où, par exemple, dans ce cas, 16 déclarations communautaires... Ces déclarations atteignent l'accusé beaucoup plus que certaines autres personnes. Les gens ont commencé à mettre le doigt sur les énormes répercussions que ces actes ont et pas simplement sur la victime primaire. Ces gens sont les victimes secondaires et la collectivité tout entière a été touchée.

Voilà ce que je voulais dire au comité. C'est une méthode à envisager.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci.

Un dernier mot. Allez-y, Susanne.

Mme Susanne Dahlin: Je dois vous transmettre ce message au nom de mon collègue de l'Île-du-Prince-Édouard qui n'a pas pu être ici aujourd'hui. Dans la collectivité, ils essayent d'être sensibles aux besoins des victimes lorsque, par exemple, le journal publie leur nom en disant qu'ils ont été victimes d'une agression de nature homosexuelle ou quelque chose du genre alors que la collectivité en question ne le savait pas. Cette question ne soulève pas beaucoup de sympathie. Ces gens-là sont doublement victimes: victimes à cause de la publication de leur nom et victimes à cause de l'acte qui a été perpétré contre eux. Je pense qu'il faudrait aussi dans ce cas-là se demander si une ordonnance de non-publication n'est pas nécessaire.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci.

• 1640

Je pense que nous avons discuté bien à fond de cette question. Nous pourrions peut-être passer à un autre sujet qui nous intéresse, celui du dédommagement.

Le Code criminel autorise le versement de dommages-intérêts pour compenser la perte de biens et les dommages pécuniaires, notamment la perte de revenu et autres dépenses. Dans quelle mesure ces dispositions contribuent-elles à compenser le tort causé et devraient-elles être élargies à d'autres domaines? Si le dédommagement n'est pas versé dans les délais prévus, il peut s'ensuivre un jugement civil. Ces dispositions donnent-elles de bons résultats? Les gens y ont-ils recours, etc.

Voilà certaines des questions sur lesquelles nous aimerions avoir votre avis.

Quelqu'un veut-il commencer?

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Pour lancer la conversation, je dirais que je ne pense pas, en règle générale, que le système actuellement en place aide les victimes à être dédommagées.

Si vous êtes procureur de la Couronne, vous pouvez toujours demander un dédommagement et le tribunal peut l'imposer, mais il n'existe pas vraiment de mécanisme solide permettant d'appliquer cette disposition. La même observation vaut pour les pensions alimentaires. Je pense que l'État ou que l'appareil judiciaire en l'espèce peut en faire davantage pour aider les victimes à se remettre ou à être indemnisées.

Ce n'est évidemment pas le cas pour des actes de violence, mais je crois que le tout revêt un aspect symbolique très important. Lorsque quelqu'un est agressé, ses vêtements sont déchirés, ses bijoux sont endommagés ou carrément volés... Je crois que l'État doit en faire davantage pour veiller à ce que ces personnes soient dédommagées. J'irai même jusqu'à dire que le système judiciaire devrait payer la note et demander remboursement par la suite.

J'aimerais savoir ce qu'en pensent les gens autour de la table.

Le vice-président (M. John Maloney): Jusqu'où iriez-vous? Disons que j'ai une montre Rolex de 10 000 $. Voudriez-vous que l'État me rembourse et qu'il essaie ensuite de récupérer cet argent auprès du contrevenant?

M. Peter MacKay: Oui, mais si cela se produisait dans chaque cas... Je pense que, dans une certaine mesure, davantage d'efforts devraient être déployés. On pourrait dire la même chose d'une automobile volée, si elle n'était pas assurée, ou d'une maison détruite par un incendiaire. Je sais qu'on peut citer des tas d'exemples extrêmes qui acculeraient pratiquement notre appareil judiciaire à la faillite s'il devait dédommager tout le monde. Mais je pense que nous pouvons en faire davantage et que nous pourrions peut-être même offrir une aide juridique à ceux qui se porteraient en cour des petites créances ou alors faire des améliorations en ce sens.

Le vice-président (M. John Maloney): D'autres observations?

Joanne.

Mme Joanne Marriott-Thorne: Seulement parce que personne d'autre n'intervient... Je suis responsable, entre autres, de l'indemnisation des victimes d'actes criminels en Nouvelle-Écosse. Je sais qu'un grand nombre de victimes s'inquiètent énormément du fait que le trésor public finance le coût des préjudices personnels qu'elles ont subis. Il n'existe pas encore de bonnes dispositions permettant de récupérer cet argent auprès du contrevenant. Nous y travaillons, mais cela semble très compliqué.

Je crois que les victimes d'actes criminels—et la plupart des gens autour de cette table se sont intéressés aux victimes d'actes de violence et c'est là le but de l'indemnisation. Et c'est là l'une des principales inquiétudes d'une grande partie des victimes d'actes criminels. Pour ce qui est du degré de satisfaction envers l'appareil judiciaire pénal, le fait que le dédommagement n'est pratiquement jamais ordonné et encore moins versé lorsqu'il l'est, cause chez la majorité des victimes d'énormes frustrations.

Le vice-président (M. John Maloney): Peter Mancini.

M. Peter Mancini: Merci, monsieur le président. Je voudrais aborder deux points à ce sujet. Premièrement, d'après mon expérience des salles d'audience, qui est assez vaste côté aide juridique j'en conviens, l'ordonnance de dédommagement est prononcée dans de nombreux cas, mais la réalité veut que le contrevenant dispose de très peu d'argent pour verser ce dédommagement.

• 1645

Quiconque a assisté aux audiences de tribunaux provinciaux au moins sait qu'un bon pourcentage des contrevenants assignés devant les tribunaux sont pauvres, dans une certaine mesure. Il existe cependant des mécanismes et je crois que vous en avez donné un bon exemple. Que se produit-il si on vous vole votre montre Rolex? Qu'arrive-t-il? Je n'ai pas apporté mon code—Peter MacKay, je sais que vous avez le vôtre.

J'ai eu un cas à peu près similaire; le contrevenant, que je représentais, était cocaïnomane. Il était entré par effraction dans la maison de son meilleur ami et y avait volé des bijoux. Il existe une disposition dans le Code criminel, qui m'échappe à l'heure actuelle, qui dit que le dédommagement—un jugement avait été enregistré contre le contrevenant, sachant fort bien qu'il n'avait pas d'argent, mais qu'à l'avenir, il pourrait en avoir et effectivement, à un moment donné, cette personne a hérité, je crois. Le jugement était toujours joint et il a pu dédommager la victime.

Une disposition existe sur le fait financier très réel que de nombreux contrevenants ne peuvent dédommager la victime.

M. Peter MacKay: Il s'agit des articles 738 à 741. C'est similaire à un jugement civil...

M. Peter Mancini: En effet.

M. Peter MacKay: ...qu'on dépose auprès du registraire. Cela peut donner lieu à d'autres poursuites si aucune suite n'est donnée au jugement.

M. Peter Mancini: Donc, pour ce qui est de la cour des petites créances... Il existe une disposition du code qui place ce jugement dans le dossier du contrevenant et qui l'ordonne de payer à une date ultérieure si, pour l'instant, il ne peut le faire.

Le vice-président (M. John Maloney): Est-il important aux yeux des victimes qu'il y ait un dédommagement qu'elles percevront comme partie intégrante du processus de guérison ou que des efforts en ce sens soient faits? Dans quelle mesure est-ce important pour une victime?

Priscilla.

Mme Priscilla de Villiers: Un certain nombre de questions sont en jeu ici. Vu la piètre estime dans laquelle on tient la justice pénale à l'heure actuelle, il existe un certain cynisme généralisé et profond à propos de la véracité de l'ensemble du processus. Je crois qu'un dédommagement, dans certains cas et lorsque c'est indiqué, devrait être versé. Une telle mesure répond à un sens de la justice et de la réparation, mais va complètement à l'encontre du but recherché si cette ordonnance est imposée et qu'aucun effort n'est déployé pour l'appliquer. En fait, cela a l'effet inverse.

Je crois que l'article cité ressemble beaucoup à la situation d'une femme battue.

Cela me semble très pratique; si on pouvait attacher au jugement un addendum sur les ressources disponibles, ce serait excellent. Ainsi, on s'assure que le contrevenant ne va pas mieux s'en sortir financièrement que la victime.

Les actes criminels font subir d'énormes préjudices financiers aux victimes, je dois dire—et ce domaine n'a pas été étudié dans ce pays, mais devrait l'être, à mon avis. Ces préjudices sont énormes et je ne parle pas simplement des choses évidentes. Lorsqu'un dédommagement est envisagé, même s'il ne représente pas, tant s'en faut, la valeur réelle de ce qui a été perdu, je crois que cela a un effet dissuasif très important. Le dédommagement permet de rétablir un peu l'équilibre.

Je crois également qu'à l'heure actuelle, notre appareil judiciaire ne se décharge pas de sa responsabilité à cet égard. Si une ordonnance de ce genre est imposée et qu'aucun effort n'est déployé pour l'appliquer, comment une victime peut-elle obtenir cet argent? La plupart du temps, les victimes ne peuvent pas demander conseil auprès d'un avocat.

• 1650

Deuxièmement, il faut garder à l'esprit l'inertie qui suit la victimisation, la chose étant trop horrible pour même l'envisager—retourner au tribunal—et la plupart des gens ne veulent pas le faire, car dans de nombreux cas, ils ne veulent pas revoir le contrevenant.

Je pense que la responsabilité civile devrait...il devrait y avoir transfert des compétences. Je pense que l'ordonnance devrait être imposée en vertu du Code criminel. Dans la plupart des cas, je crois que si un dédommagement est envisageable, cela devrait certainement faire partie du processus de la détermination de la peine. En fait, il appartiendrait aux tribunaux et au système judiciaire de veiller à ce que cet argent soit versé. Nous avons suffisamment de mal, Dieu sait, à obtenir les versements de pension alimentaire pour nos enfants. Aucune personne civile, personne, aucun citoyen ne pourrait obtenir cet argent à moins qu'on veuille vraiment le verser.

Je pense que c'est en fait un domaine très intéressant. Je n'y connais rien, mais j'aimerais que vous vous intéressiez à la question.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci, Priscilla.

Chuck Cadman.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président. D'après mon expérience, le dédommagement est un des domaines où les programmes de déjudiciarisation semblent être bien plus avancés que les tribunaux. Je travaille avec de jeunes contrevenants à Maple Ridge, en Colombie-Britannique et, en règle générale, une grosse majorité des infractions perpétrées sont des vols de biens, qui se chiffrent à moins de 50 000 $. Pratiquement chaque infraction, chaque programme de déjudiciarisation est assorti d'un élément dédommagement. Cela fait partie du contrat que ces jeunes signent.

La collectivité participe au processus dans la mesure où certains commerçants engagent les jeunes le samedi matin pour balayer le plancher dans un atelier de carrosserie, pour faire quelque chose pour gagner de l'argent et le rendre à leurs victimes. Je crois que les programmes de déjudiciarisation pour jeunes contrevenants sont bien plus avancés que les tribunaux sur certaines de ces questions. Il faudrait se pencher là-dessus, à mon avis.

Le vice-président (M. John Maloney): Peter MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président. Dans cette même veine, et je ne veux pas m'attarder là-dessus, je dirais que je ne me suis pas exprimé à propos du dédommagement comme vous l'avez fait dans l'exemple que vous avez donné.

Je représentais la partie plaignante une fois où quatre jeunes contrevenants avaient mis le feu à un pont ferroviaire provoquant des dommages supérieurs à 100 000 $ pour la province. Dans ce cas, le juge avait prononcé des ordonnances de dédommagement très innovatrices qui obligeaient ces jeunes à payer une partie de ces frais. Je ne crois pas qu'ils aient perdu l'aspect symbolique de la chose de vue car, tout comme pour les programmes de déjudiciarisation ou pour les mesures de rechange, ils ont été obligés d'obtenir des emplois d'été, d'économiser tout argent qu'ils recevaient pour leur anniversaire ou pour Noël et de le donner à la victime qui était, en l'espèce, la province. C'était très important car cela leur montrait qu'ils avaient fait quelque chose de mal et qu'ils devaient réparer le tort qu'ils avaient causé.

Je pense donc que le dédommagement est très important dans le processus de guérison. Je me rends compte que c'est une notion abstraite pour une victime, mais je crois que c'est important, même si la somme remboursée ne représente qu'une partie de la perte subie.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci.

Peter Quinn.

M. Peter Quinn: Pour revenir à ce qu'on disait tout à l'heure à propos de la création d'un bureau d'aide aux victimes, la question du dédommagement en est un parfait exemple.

Vous disiez tout à l'heure, Peter, qu'il existe une disposition qui permet de joindre les ordonnances de dédommagement au jugement, mais s'il s'agit d'un tribunal provincial, il faut que cela se fasse auprès de la Cour du Banc de la Reine. Il faut ensuite saisir le salaire et cela devient très compliqué pour la plupart des gens. Personne n'est là pour vous expliquer quelles étapes vous devez suivre, quelles options sont à votre disposition.

Vous disiez tout à l'heure que cela était vide de sens et que parfois, c'est même pire. Si une personne vous doit 2 000 $, et qu'elle ne les a pas, vous vous heurterez à un mur. Dans ce cas-là, cela ne nous avance à rien. Mais si les gens pouvaient obtenir des conseils sur la manière de déposer ces demandes, cela les aiderait beaucoup.

Le vice-président (M. John Maloney): Devrions-nous nous servir de l'argent qui provient du produit d'actes criminels? Devrions-nous verser cet argent dans le pot, si je puis m'exprimer ainsi? Cela pourrait couvrir la situation dont Peter MacKay parlait lorsque le contrevenant n'a pas suffisamment d'argent pour dédommager la victime, lorsqu'il ou elle ne peut absolument pas payer. Qu'en pensez-vous?

M. Peter Quinn: Je pense que si un dédommagement pécuniaire était prévu pour les actes criminels contre les biens, le gouvernement aurait énormément de mal à dédommager tout le monde. Je pense qu'il vaudrait mieux qu'on explique aux gens certains points de droit simplement pour qu'ils puissent prendre ces décisions eux-mêmes.

• 1655

Le vice-président (M. John Maloney): Allez-y, Steve.

M. Steve Sullivan: Avec le dédommagement, on en revient à parler de justice réparatrice. Cela permet au contrevenant d'assumer la responsabilité de ses actes. Or, si cet argent est tiré des produits d'actes criminels, je pense que vous perdez de vue la raison d'être des ordonnances de dédommagement.

Puisque j'ai la parole, j'aimerais ajouter que ce rapport sera disponible en français demain.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci.

Karen.

Mme Karen O'Hara: Je voudrais aborder la dernière question, le point numéro 7, les provinces et les territoires devraient-ils avoir davantage accès à l'argent provenant des produits du crime pour mieux financer les programmes de services d'aide aux victimes? Oui. Les organismes communautaires qui offrent des services d'aide aux victimes passent vraisemblablement un quart de leur temps à mobiliser des fonds, en organisant des ventes de gâteaux et en lançant d'autres idées originales, et nous en avons assez.

Le vice-président (M. John Maloney): Ce qui nous amène à d'autres questions sur les suramendes compensatoires, et ainsi de suite. Devrions-nous les augmenter ou les mettre dans le pot? Pas «nous», car ce sont les provinces qui sont en cause ici. Avez-vous des observations à faire à ce sujet?

Susanne.

Mme Susanne Dahlin: En fait, il existe deux types de suramendes compensatoires. Nous voudrions que le montant minimum de la suramende compensatoire fédérale soit obligatoire ou alors que ce montant soit forfaitaire. Nous avons le plus faible taux de recouvrement en Colombie-Britannique. Nous obtenons 100 000 $ de la suramende compensatoire fédérale, ce qui n'est vraiment pas beaucoup. Nous aimerions donc que le gouvernement fédéral se penche là-dessus.

Le vice-président (M. John Maloney): Qu'il la rende obligatoire?

Mme Susanne Dahlin: Oui.

Le vice-président (M. John Maloney): Irvin, allez-y.

M. Irvin Waller: Je pense que c'est un domaine où nous pouvons apprendre quelque chose de très positif des États-Unis. Ils se servent des suramendes compensatoires imposées aux sociétés commerciales contrevenantes pour financer toute une série de services d'aide aux victimes. Il me semble qu'il faudrait se pencher là-dessus aussi. Il ne s'agit pas simplement de percevoir les produits du crime, les suramendes compensatoires imposées aux contrevenants moyens, mais de frapper de très grosses amendes les crimes économiques perpétrés par les sociétés commerciales, les gens qui, au fond, ont les moyens de payer.

Comme vous le savez sans doute, le bureau américain d'aide aux victimes d'actes criminels vient de percevoir une amende de 400 millions de dollars de la Daiwa Bank. Je suis sûr que ces gens-là commettent tout autant d'infractions ici qu'aux États-Unis. Il me semble que nos experts juridiques pourraient étudier la question.

Le vice-président (M. John Maloney): Qu'en pensent les autres?

Allez-y, Colette, puis Mme Cohen.

M. Colette Mandin-Kossowan: Ce que j'ai constaté lorsque je défendais les victimes au tribunal, c'est que les suramendes compensatoires imposées par le gouvernement fédéral sont appliquées au petit bonheur la chance et sont le plus souvent annulées, ce qui signifie que le financement des caisses d'aide aux victimes est très inégal.

Je pense que les avantages des suramendes compensatoires, leur canalisation et l'administration des programmes d'aide aux victimes qu'elles financent devraient être enseignés aux juges pour qu'ils puissent constater d'eux-mêmes les avantages qui en découlent et qu'ils soient plus susceptibles de les faire appliquer.

En Alberta, il existe également une suramende provinciale, qui a été adoptée l'été dernier dans le cadre de notre loi sur l'aide aux victimes d'actes criminels et qui prévoit une suramende de 15 p. 100. On ne sait toujours pas combien d'argent nous en tirerons, mais cette suramende pourrait être imposée dans d'autres provinces également.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci.

Y a-t-il d'autres observations? Joanne.

Mme Joanne Marriott-Thorne: À titre d'information, nous avons examiné la chose en Nouvelle-Écosse également. Il existe une suramende provinciale qui s'ajoute à la surtaxe fédérale et entre 1992-1993 et cette année, notre suramende a diminué de 22 p. 100. Je pense que c'est le cas dans la plupart des provinces. Peut-être pas dans toutes, mais dans la majorité d'entre elles.

Là encore, nous devrions songer à modifier les dispositions du Code et demander à nos homologues du gouvernement fédéral de se pencher sur la question et d'essayer de nous aider à savoir pourquoi elle diminue et ce que nous pouvons faire à ce sujet.

Le vice-président (M. John Maloney): Merci, Joanne.

• 1700

Nous sommes arrivés à la fin de nos travaux. Nous avons également peut-être atteint notre plein de discussion. La journée a été longue. Nous vous remercions énormément de vos observations.

J'ai quelques détails administratifs à régler. Si vous le désirez, vous pouvez laisser vos documents sur votre bureau. Cette pièce sera fermée à clé. Dès que nous partirons, elle sera verrouillée jusqu'à demain matin.

Je voudrais également vous dire qu'un déjeuner sera servi demain. Nous siégerons jusqu'à midi ou 12 h 30 demain, mais un déjeuner sera servi, et nous pourrons peut-être en profiter pour y poursuivre nos discussions sans formalité aucune.

Comme Shaughnessy vous l'a dit, vous êtes invités à la réception vins et fromages offerte par la ministre de la Justice, pièce 237-C, de l'autre côté du couloir, où les astronautes étaient.

Comme il n'y a pas d'autres observations ou questions, nous allons maintenant mettre fin à nos travaux et nous les reprendrons demain matin à 9 heures. Je vous remercie d'être venus.