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JURI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 22 avril 1999

• 1154

[Traduction]

Le président (M. John Maloney (Erie-Lincoln, Lib.)): La séance est ouverte.

Je souhaite la bienvenue à l'honorable Anne McLellan, ministre de la Justice, et de nouveau à Mme Kane et à M. Roy.

Merci d'être là.

Je crois savoir, madame la ministre, que vous avez des remarques liminaires à faire. Vous avez la parole.

L'honorable Anne McLellan (ministre de la Justice et procureure générale du Canada): En effet.

[Français]

Merci beaucoup, monsieur le président et membres du comité. Je voudrais commencer par vous dire combien j'apprécie le niveau d'effort et de coopération qui entoure la question de la situation de la victime dans le système de justice criminelle au Canada, et plus particulièrement l'intérêt que vous portez à ce projet de loi. Je vous en remercie.

• 1155

[Traduction]

Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, je suis encouragée par la réponse positive qu'a reçue cette mesure législative, autant de la part du grand public, des victimes, des défenseurs des droits des victimes que des députés de tous les partis.

Certains membres du comité ont des préoccupations ou des observations précises à faire sur certains points du projet de loi. J'espère pouvoir y répondre ce matin. Je m'attends aussi à ce que le comité entende des témoins et explore en détail comment ces modifications peuvent répondre à leurs préoccupations.

Les membres du comité connaissent sans doute bien les dispositions de ce projet de loi, car il traduit en langage législatif les recommandations qu'ils ont formulées en octobre dernier. Ces recommandations faisaient suite aux informations que votre comité avait recueillies auprès de victimes de crimes, de défenseurs des droits des victimes, de prestataires de services aux victimes, de membres du barreau et de bien d'autres intéressés.

Je remercie tous les membres du comité de leur profond intérêt et de leur examen attentif de tous les mémoires dans le cadre de leur étude et du rôle des victimes dans le système de justice pénale. Grâce à votre travail, le projet de loi que j'ai déposé assurera un meilleur équilibre entre les divers intérêts présents au sein du système de justice pénale—y compris ceux des victimes de crimes.

Je sais particulièrement gré au Parti réformiste du soutien qu'il a accordé à ces modifications et à ses efforts de sensibilisation à la nécessité de changer les attitudes au sein du système de justice pénale pour le mieux être des victimes de crimes. Toutefois, je tiens à souligner que ce projet de loi n'est pas une déclaration des droits des victimes. Votre comité avait été chargé d'envisager cette possibilité, mais il n'a pas recommandé l'adoption d'une déclaration de ce genre.

Vous avez reconnu que les besoins des victimes relèvent à la fois du palier fédéral et des provinces, mais que ce sont les provinces qui ont la responsabilité principale de dispenser des services et de l'aide, d'assurer l'application de la loi, de porter les accusations et de donner des informations précises aux victimes. Vous avez mis l'accent sur les mesures qui pourraient être prises par le gouvernement fédéral. Le projet de loi C-79 et ses amendements font suite à ces recommandations qui réclamaient des modifications au Code criminel.

Je me dois de commenter des déclarations qui ont été faites pendant le débat en deuxième lecture selon lesquelles d'autres éléments d'une déclaration des droits devraient être inclus dans ce projet de loi et que le fait d'invoquer la compétence des provinces et des territoires n'est qu'une excuse.

Le partage des compétences entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux est une réalité constitutionnelle que nous nous sommes engagés à respecter dans toutes nos lois et politiques. Je suis très sensible au niveau de collaboration et de consultation nécessaire pour bien répondre aux besoins des victimes de crimes.

En outre, en ce qui a trait aux questions de compétence, vous savez sans doute qu'un sous-comité de votre comité examine actuellement la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Vos recommandations concernant le rôle des victimes à l'audience de libération conditionnelle et les informations qu'une victime devrait recevoir au sujet de l'incarcération d'un délinquant feront l'objet d'un examen approfondi dans le cadre de cette étude.

Pour répondre à ceux qui m'ont critiquée pour n'avoir pas inclus les modifications à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition dans le projet de loi C-79, je répondrais que ce serait usurper le rôle du sous-comité chargé d'examiner tous les aspects de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. C'était très clair dans la réponse du gouvernement au rapport Les droits des victimes: Participer sans entraver.

Personne ne devrait donc être étonné de constater que le projet de loi C-79 ne traite que du Code criminel. Je suis responsable du Code criminel, et il me tarde de faire adopter ces modifications.

Je sais que mes fonctionnaires vous ont déjà donné un aperçu du projet de loi. Je serai heureuse de répondre à vos questions, mais je n'ai pas l'intention d'entrer dans les détails de chaque disposition.

Permettez-moi de mettre en relief certaines questions qui ont été soulevées à la deuxième lecture.

Premièrement, on a reproché au gouvernement de n'avoir pas agi assez rapidement et de ne pas avoir donné suite aux engagements qui avaient été pris en 1996. J'ai concrétisé l'engagement qu'avait pris mon prédécesseur, Allan Rock.

• 1200

M. Rock avait appuyé la motion proposant que votre comité soit saisi de la question du rôle des victimes au sein du système de justice pénale. Il a discuté avec ses homologues provinciaux et territoriaux de la nécessité d'une collaboration étroite, puisque le système de justice pénale est une compétence partagée. Un mois après avoir fait cette déclaration, en 1996, il a mis sur pied un groupe de travail fédéral-provincial-territorial. J'ai encouragé la poursuite des travaux de ce groupe de travail, et même son élargissement.

Comme vous le savez sans doute, le rapport intérimaire du groupe de travail, que j'ai présenté aux ministres provinciaux et territoriaux en décembre 1997, a été communiqué à votre comité. Les vues et recommandations intérimaires formulées par ce groupe de travail sont conformes à celles qu'a formulées votre comité.

Vous savez aussi que votre comité a été chargé d'examiner le rôle des victimes au sein du système de justice pénale. Dès que j'ai reçu votre rapport, en octobre, j'ai commencé à rédiger la réponse du gouvernement. Je n'ai pas attendu 150 jours. Cette question est l'une de mes principales priorités, et j'étais impatiente d'aller de l'avant.

On ne peut dire que le projet de loi déposé la semaine dernière aurait dû être présenté beaucoup plus tôt. Si j'avais déposé cette mesure législative il y a un an, je me serais arrogé le rôle de votre comité et, qui plus est, je n'aurais pu bénéficier des fruits de votre travail et du processus de consultation que vous avez mené. Ce projet de loi est un bon projet de loi grâce à votre travail et parce que je n'ai pas recouru à des expédients.

Certains ont exprimé des réserves au sujet de la définition de «victime». C'est une question sur laquelle votre comité s'est penché. La nécessité de préciser le terme «victime» est devenue évidente au cours de la rédaction du projet de loi, car ce mot figure dans les dispositions du code, qui s'appliquent avant la condamnation. Dans le passé, le code employait le mot «plaignant», habituellement pour désigner les victimes d'infractions sexuelles.

Je sais que les victimes ne veulent pas se faire appeler des plaignants. La définition que nous avons proposée n'établit pas qui est ou n'est pas une victime. C'est le bon sens et l'entendement qui nous diront qui sont les victimes. La définition vise seulement à préciser que le mot «victime» tel qu'il est employé dans le Code criminel s'applique aux victimes d'une infraction présumée.

Cette définition s'est avérée nécessaire pour contrer l'argument—pour lequel j'ai très peu de patience—selon lequel il n'y a pas de victime tant qu'il n'y a pas de condamnation. Il peut très bien y avoir une victime même si personne n'a encore été appréhendé, accusé ou condamné. En revanche, il n'y a pas de contrevenant tant qu'il n'y a pas de condamnation. Cette modification devrait résoudre ce problème.

Il est aussi à noter que, aux fins de la déclaration de la victime, la définition de «victime» demeure dans le code, avec une modification petite, mais très importante. «Victime» s'entend d'une personne, plutôt que de la personne, qu'on a blessée ou qui a subi des souffrances physiques ou une perte morale par suite de la perpétration d'une infraction. Lorsque la personne est décédée, malade ou incapable, la «victime» s'entend du conjoint, du parent, de quiconque a la garde de cette personne ou de quiconque a la responsabilité de prendre soin des personnes à la charge de cette personne. Cette définition régit les dispositions sur la déclaration de la victime au moment de la détermination de la peine, aux audiences sur les décisions concernant les contrevenants souffrant de troubles mentaux et aux audiences d'examen judiciaire de l'admissibilité à une libération conditionnelle anticipée.

Pendant le débat en deuxième lecture, on a aussi soulevé la question du bureau des victimes. Dans sa réponse au rapport de votre comité, le gouvernement a indiqué son intention d'établir un centre stratégique pour les victimes, au sein du ministère de la Justice, qui remplirait trois grandes fonctions: coordonner toutes les initiatives fédérales relatives aux victimes et défendre le point de vue des victimes; faciliter et appuyer la création d'un réseau fédéral-provincial-territorial afin que des améliorations d'ensemble soient apportées; et assurer la liaison entre les représentants des divers éléments du système de justice pénale afin de s'assurer que leurs vues sont prises en compte, de discuter des enjeux émergents et de travailler en collaboration. C'est une initiative fédérale tout indiqué et les travaux en ce sens sont déjà en train.

Votre comité a étudié le modèle de l'enquêteur correctionnel—plutôt, une variation de ce modèle qui aurait donné aux victimes de crimes une personne-ressource ou un ombudsman au gouvernement fédéral. Comme l'a fait remarquer votre comité dans son rapport, cette solution permettrait de répondre aux besoins d'information sur les détenus sous responsabilité fédérale, et je suis certaine qu'on explorera cette possibilité dans le cadre de l'examen de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Toutefois, cette mesure n'aurait pas permis de répondre aux préoccupations des victimes sur leur participation à une cause particulière, car seules les provinces peuvent fournir ces réponses. Encore une fois, il ne s'agit pas de nous dérober à nos responsabilités; il s'agit de la réalité constitutionnelle de notre pays.

• 1205

[Français]

En conclusion, je vous encourage à bien examiner ce projet de loi C-79, qui reflète, selon moi, les recommandations de ce comité.

[Traduction]

En terminant, je vous encourage à examiner attentivement les articles du projet de loi et à entendre les témoignages des intéressés. Je crois que vous constaterez que ce projet de loi reflète vos recommandations et que, avec les dispositions actuelles du code, il permettra d'améliorer de façon importante la situation des victimes de crimes.

Je vous assure que le projet de loi C-79 ne constitue pas pour moi l'aboutissement de mon travail. C'est une de mes principales priorités, et ce projet de loi et les initiatives non législatives dont nous traitons dans notre réponse ne constituent que le début d'un processus continu visant à répondre aux préoccupations des victimes de crimes dans nos politiques et nos lois pénales.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie. J'ai bien hâte d'entendre vos observations, vos questions et vos préoccupations.

Comme vous l'avez indiqué, monsieur le président, je suis accompagnée aujourd'hui de Mme Kane et de M. Roy, qui seront aussi heureux de répondre à vos questions.

Le président: Merci, madame la ministre.

Nous commencerons par des périodes de questions de sept minutes.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Merci, monsieur le président.

Merci, madame la ministre, d'avoir pris le temps de venir témoigner...

Mme Anne McLellan: Je vous en prie.

M. Chuck Cadman: ...même s'il a longtemps semblé que nous ne serions pas saisis de ce projet de loi.

J'ai deux ou trois questions à vous poser.

La première est celle que j'ai posée hier à Mme Kane. À votre avis, jusqu'où devrait aller la définition de «victime»? Hier, j'ai parlé de ma préoccupation concernant la personne qui lit un article sur un incident précis, particulièrement haineux, ou qui en entend parler, et qui se sent troublée émotivement au point de tenter de se faire passer pour une victime. C'est ridicule, je sais, mais vous savez jusqu'où certains vont, parfois, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Anne McLellan: Comme je l'ai dit dans mes remarques, nous avons évité de définir le mot «victime». En dernière analyse, si la question est soulevée, ce sera le tribunal qui tranchera. Nous nous en remettons au bon sens, à l'entendement des juges, qui devront peut-être, par exemple, déterminer qui a le droit de présenter une déclaration de victime.

Plutôt que de prévoir une définition qui risquerait d'être trop vaste ou trop restrictive, comme bien d'autres aspects de l'administration de la justice pénale, il est mieux de laisser aux tribunaux le soin de trancher. J'ose croire qu'un juge qui entendrait parler de quelqu'un qui habite dans le quartier, mais qui n'est pas directement lié à la victime, évaluerait la situation et conclurait, en fonction de cette évaluation, que cette personne peut ou non être raisonnablement considérée comme une victime au titre de l'un ou l'autre des articles de ce projet de loi.

Voilà pourquoi nous avons préféré cette approche. Je crois qu'elle sera efficace. Elle a fait ses preuves dans le passé. J'ignore si Catherine ou Yvan sont au courant de problèmes auxquels les tribunaux font face dans l'administration quotidienne des lois existantes concernant les victimes, mais ces problèmes, s'ils existent, sont peu nombreux. Cela témoigne du fait que, dans les situations telles que celle-ci, à mon avis il est préférable de donner un pouvoir discrétionnaire au juge, qui tranchera en fonction de son bon jugement et de sa compréhension des faits de la cause.

Yvan, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Yvan Roy (avocat général principal, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Non.

M. Chuck Cadman: Comprenez-moi bien: je ne veux pas que cela soit élargi. Je sais bien que les tribunaux se réfèrent parfois aux discussions des comités portant sur une loi, pour savoir ce que pensait en fait le Parlement. Je voulais simplement que votre idée à ce sujet soit consignée au compte rendu.

• 1210

Mme Anne McLellan: Je dirais une chose. Dans le projet de loi, à l'article 1, on dit: «victime» S'entend notamment... Comme je le disais, ce n'est pas une définition arrêtée, mais elle comprend la victime d'une infraction présumée.

Avant la condamnation, on n'a que des allégations au sujet d'un crime qui aurait été commis, d'une infraction qui aurait eu lieu. Mais le bon sens nous dit que quelqu'un a souffert d'une blessure, que quelqu'un a été agressé, que la maison de quelqu'un a fait l'objet d'une entrée par effraction et que quelqu'un a été traumatisé. C'est un fait. Par conséquent, il y a de la douleur, de la souffrance, une victime.

C'est une tout autre affaire que de savoir que quelqu'un est accusé, condamné, que c'est ou non un délinquant, parce que dans ce genre de circonstances il y a une victime, pour toute interprétation raisonnable.

M. Chuck Cadman: Ma deuxième question porte sur la recommandation du comité au sujet de la suramende compensatoire. Le comité a recommandé qu'elle s'applique à la loi sur les jeunes contrevenants et, par extension, à la nouvelle Loi sur la justice pour les jeunes. J'aimerais comprendre pourquoi ce n'était pas inclus. Est-ce une omission, est-ce qu'on prévoit en traiter dans la nouvelle loi?

Mme Anne McLellan: En fait, comme vous le savez, nous avons modifié la suramende compensatoire de manière à ce qu'elle soit automatique, désormais, pour les contrevenants adultes. Pour la Loi sur les jeunes contrevenants, il y a des dispositions dans la loi qui la rendent discrétionnaire. Nous avons donc établi une distinction entre les contrevenants adultes et les jeunes, pour cet aspect très important. Les membres du comité le savent sans doute.

On accorde ce pouvoir discrétionnaire dans le système judiciaire pour les jeunes parce que, comme le pensent la plupart d'entre nous, sinon tous, ici, il est important d'avoir une partie distincte du système judiciaire pour les jeunes qui enfreignent la loi. À cette fin, nous avons décidé que les suramendes compensatoires pour les victimes seraient discrétionnaires dans le cas des jeunes contrevenants et qu'elles seraient imposées lorsque le juge pense qu'elles pourraient être utiles.

Nous nous rendons tous compte que pour beaucoup de ces jeunes la suramende compensatoire ne sera pas utile pour la responsabilisation du contrevenant, pour qu'il ait des comptes à rendre. Elle ne contribuera pas à sa resocialisation. Il peut s'agir d'une jeune personne vivant dans de tristes circonstances, au point de vue économique ou émotionnel, selon le cas. Par conséquent, pour le système judiciaire destiné aux adolescents, nous estimions que la suramende devait être facultative.

Bien entendu, dans certains cas, le juge, comme la société, estimera que la suramende est tout à fait appropriée pour un jeune contrevenant. Mais dans d'autres cas, ce sera le contraire, et nous voulions que le tribunal puisse en décider, en reconnaissant qu'à nos yeux le système judiciaire pour les jeunes est fondé sur le principe selon lequel, pour certains aspects importants, les jeunes doivent être traités différemment.

M. Chuck Cadman: Ne diriez-vous pas que, quel que soit l'âge du contrevenant, il y a tout de même une victime et que le contrevenant a des obligations envers elle?

Mme Anne McLellan: Oh, je n'en disconviens pas. En fait, c'est pourquoi dans notre nouvelle loi sur le système de justice pour les jeunes on insiste sur l'élaboration de stratégies qui donnent un rôle plus important aux victimes, pour aider les jeunes à prendre la responsabilité de leurs actes, comme les cercles de détermination de la peine, les groupes de consultation familiaux, les comités de justice pour adolescents et les programmes de déjudiciarisation dans la collectivité, qui peuvent ou non faire participer les victimes, à leur gré.

Je crois fermement que les jeunes contrevenants doivent particulièrement arriver à comprendre le tort qu'ils ont causé, puisqu'ils sont ainsi mieux disposés pour une réelle réinsertion sociale. S'ils comprennent le tort qu'ils ont causé à quelqu'un, et si on s'attend à ce qu'ils y remédient, ils seront moins susceptibles de rester sur le chemin de la criminalité.

• 1215

Il faut garder à l'esprit que les victimes des jeunes contrevenants ont accès aux fonds et services offerts aux victimes par les provinces. Les provinces ne font pas de distinction entre les victimes de jeunes contrevenants ou de contrevenants adultes. Ce bassin de ressources créé par les suramendes compensatoires, auxquelles s'ajoutent les ressources qu'y consacrent les provinces—elles le font toutes, je crois—est offert à toutes les victimes d'actes criminels.

Je comprends votre question, mais nous avons choisi d'établir une distinction: la suramende est automatique pour les contrevenants adultes et facultative pour les jeunes contrevenants.

Le président: Merci, monsieur Cadman.

[Français]

Monsieur Bellehumeur.

M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): Merci beaucoup, madame la ministre, de votre exposé. Comme vous le savez, le Bloc québécois n'a pas vraiment de réserves face au projet de loi en tant que tel; il répond même à certaines interrogations que nous formulons depuis 1993.

Je m'interroge beaucoup plus au sujet du Centre stratégique pour les victimes d'actes criminels. C'est une question que vous avez abordée, mais que vous n'avez pas approfondie, pas plus que dans votre communiqué du 15 avril 1999. Vous y aviez indiqué que le nouveau centre serait également chargé de gérer, de coordonner et d'augmenter les initiatives fédérales liées aux victimes, et vous répétez à peu près la même chose aujourd'hui.

Ma question est fort simple: qu'est-ce que vous avez en tête?

[Traduction]

Mme Anne McLellan: Pour commencer, en parlant du Centre stratégique pour les victimes, il faut garder à l'esprit que nous n'en sommes qu'au début de l'élaboration de son mandat et de son plan de travail. Mais je comprends bien le fait que la principale responsabilité envers les victimes incombe aux provinces, qui doivent fournir les services aux victimes dans presque tous les cas.

Toutefois, lorsque vous et votre sous-comité examinez la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, vous pourriez tenir compte du rôle de la victime et des services, s'il y en a, qui peuvent être nécessaires pendant la libération conditionnelle. Comme mon collègue, Lawrence MacAulay, j'ai hâte de voir quels conseils vous lui donnerez, ainsi qu'au gouvernement du Canada, à ce sujet, qui est clairement de compétence fédérale.

Manifestement, l'administration du système de justice pénale, du Code criminel, relève des provinces. Tant que nous comprendrons les compétences de chacun et que nous les respecterons, il nous sera plus facile de déterminer le mandat du Centre stratégique pour les victimes, et, pour mes fonctionnaires, d'en préparer le plan de travail.

La grande priorité au sujet du centre, c'est de veiller à ce que les politiques, les programmes et les lois fédérales tiennent compte du point de vue de la victime.

Ainsi, actuellement, à mon ministère, il y a un service de la politique d'égalité des sexes qui examine quels effets inattendus sur les deux sexes peuvent avoir les mesures prises par le gouvernement fédéral. À mes yeux, le Centre stratégique pour les victimes donnerait à mes collègues, dans la préparation des lois et des politiques de compétence fédérale, le même genre de conseils et d'importance, de manière que nous ne compliquions pas involontairement la vie des victimes par nos politiques et nos lois, ni par les programmes mis sur pied ou offerts par d'autres ministères. À mon avis, c'est une fonction clé.

Pour ce qui est de la recherche, vous savez comme moi que la recherche sur les victimes est un nouveau domaine de recherche. C'est relativement nouveau et nous voulons travailler avec les provinces. D'ailleurs, je n'ai pas vraiment entendu d'objections de leur part. Nous pouvons collaborer pour nous assurer d'en connaître davantage sur le rôle de la victime et sur l'incidence des actes criminels sur les victimes, dans notre société.

Ensuite, nous rassemblerons les résultats de ces recherches, et dans certains cas nous les faciliterons et les partagerons. Chacun d'entre nous, de son côté et selon pour ses compétences particulières, pourra concrétiser les résultats de la recherche dans ses politiques, programmes et services. Cela incomberait surtout aux provinces; je serais la première à le reconnaître.

Le centre aurait aussi un rôle à jouer en créant un réseau des organisations nationales pour les victimes, qui transcenderait les frontières provinciales. Il y a des organisations nationales qui représentent les victimes, peu importe où elles se trouvent, puis il y a des sections provinciales de certaines de ces organisations, qui travaillent plus étroitement avec les gouvernements provinciaux, de manière plus directe, sur les services ou les lacunes dans les services aux victimes.

Le gouvernement fédéral peut jouer un rôle important. En fait, nous sommes probablement le seul gouvernement qui peut permettre à ces organisations nationales de se rassembler en réseau pour soulever des questions d'intérêt pour les gouvernements fédéral et provinciaux, qui pourront ensuite être traitées par nos collègues du gouvernement fédéral ou des provinces, aux réunions des ministres de la Justice ou des solliciteurs généraux, quel que soit le cas.

C'est très clair pour moi: les provinces ont une compétence principale, mais le gouvernement fédéral a un rôle à jouer. Notre centre stratégique travaillera avec les victimes, les provinces et d'autres, au sujet de notre rôle dans tout ce qui touche les victimes.

Je n'ai pas envie d'envahir les plates-bandes provinciales et je n'aurais pas non plus les ressources pour le faire. En fait, à ce sujet, permettez-moi de dire que ce n'est que grâce à un accord avec le gouvernement fédéral que les suramendes compensatoires... Même si les suramendes compensatoires sont imposées en vertu du Code criminel, nous avons offert les outils nécessaires pour que ces ressources, si limitées soient-elles actuellement, soient confiées aux provinces. Nous n'en tirerons rien.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Madame la ministre, je ne remets aucunement en cause la juridiction du fédéral, ni le rôle que doit jouer le gouvernement fédéral face au Code criminel ou face à la législation qui relève de sa compétence. Je m'interroge plutôt sur l'opportunité de créer ce Centre stratégique pour les victimes d'actes criminels. Compte tenu de tout ce que vous venez de nous dire, madame la ministre, il serait inquiétant que cela ne se produise pas. S'il n'y a pas, dans chacun des ministères, la volonté de faire participer entre autres les victimes alors que des études nous démontrent l'importance de cette démarche, il y a un problème.

Je ne comprends pas qu'il faille cette espèce de grand vérificateur judiciaire pour que les volontés politiques s'exercent dans ce projet de loi que nous adoptons. Finalement, vous me dites qu'il y aura un grand bureau dirigé par un grand surveillant, où l'on examinera la loi proposée pour s'assurer qu'on tient compte du point de vue des victimes et que ces dernières auront leur mot à dire sur cette loi ou sur des façons de faire nouvelles qu'on voudra mettre à leur disposition.

Au bout de la ligne, la glace est tellement mince quant au Centre stratégique pour les victimes qu'on risque d'empiéter sur les juridictions provinciales. C'est trop mince. J'écoutais les députés du Parti réformiste débattre un peu plus tôt de la définition du mot «victime». Il faut regarder la définition de «victime» dans les lois provinciales pour comprendre ce que vous voulez dire, vous. La glace est tellement mince que votre centre sera l'occasion, madame la ministre, pour le ministère de la Justice fédéral d'empiéter, qu'on le veuille ou non, dans des domaines de compétence provinciale. Nous serons encore à couteaux tirés.

Les provinces qui ont déjà des bureaux, comme le Québec, seront encore une fois pénalisées au niveau de leurs budgets parce que vous accorderez la priorité aux provinces qui n'ont rien fait à ce chapitre, comme vous l'avez fait dans le cadre de la Loi sur les jeunes contrevenants. Pendant des années, vous avez donné la priorité aux provinces qui n'appliquaient pas la loi et qui investissaient dans le béton plutôt que dans la prévention. Le Québec avait choisi d'investir dans la prévention. De toute évidence, selon les renseignements que vous m'avez transmis, ce centre stratégique, qui n'est pas justifié, vous donnera encore l'occasion d'intervenir dans des champs qui ne vous regardent pas.

[Traduction]

Mme Anne McLellan: Tout ce que je peux faire, monsieur Bellehumeur, c'est de vous assurer que je n'ai pas envie d'usurper les compétences provinciales. En fait, je suis de ceux qui s'efforcent de respecter les compétences provinciales. Vous et moi pouvons n'être pas d'accord sur l'opportunité d'avoir un centre stratégique pour les victimes au sein du ministère de la Justice. Je pense que le besoin existe et que le comité l'a constaté aussi.

• 1220

Ce que je peux vous dire, c'est que je ferai tout mon possible, et que je dirai à mes fonctionnaires de faire tout leur possible, pour nous assurer de travailler de manière complémentaire avec les provinces, en respectant nos compétences respectives.

J'ai encore une chose à dire, monsieur Bellehumeur. Je ne veux pas nous lancer dans un débat, mais j'ai eu l'occasion de parler aux représentants de groupes de victimes du Québec et à des victimes, à titre personnel. Ils ont demandé avec vigueur que le gouvernement fédéral ait un rôle renforcé et qu'un bureau des victimes soit créé, parce qu'ils estiment que le gouvernement fédéral doit jouer un rôle important, particulièrement quand le bureau des victimes du Québec ne répond pas actuellement à leurs besoins.

Évidemment, dans notre domaine de compétence, nous adoptons des lois pour lesquelles les bureaux des victimes provinciaux n'ont pas nécessairement leur mot à dire. On nous demande de veiller à ce que, dans notre loi, on prévoie qu'au sein du gouvernement fédéral quelqu'un tiendra compte des questions se rapportant aux victimes. Je ne crois pas que cela soit déraisonnable, et je l'offrirai volontiers aux victimes.

Le président: Monsieur Bellehumeur, il faut passer au suivant. Vous pourrez continuer au deuxième tour.

Monsieur Peter Mancini.

M. Peter Mancini (Sydney—Victoria, NPD): Merci, monsieur le président.

Merci, madame la ministre, de venir au comité, et merci pour vos félicitations au sujet du travail du comité qui a mené au rapport.

C'est intéressant. Dans cette étude, la définition du mot «victime» devient de plus en plus importante, et pour moi aussi. J'en ai parlé dans mes observations, hier. L'interprétation qu'on donnera de ce mot est importante. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

Pour commencer—le personnel pourra peut-être m'aider à ce sujet—j'ai une question à poser sur le pouvoir discrétionnaire accordé à l'agent de police qui procède à une mise en liberté après une arrestation. Le comité recommande que l'on tienne compte de la sécurité de la victime en cas de remise en liberté. Nous demandons donc au policier de déterminer qui est la victime au moment de l'arrestation, au moment où l'infraction est commise. À mes yeux, la définition du mot «victime» est donc assez importante. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. Nous pourrions en reparler en comité.

J'ai deux autres questions. La première se rapporte à la suramende. Je me demande s'il est possible d'évaluer les recettes que cela générera, recettes destinées aux services offerts par les provinces. Comme je l'ai dit dans mes commentaires, le bureau du procureur, dont la province a la responsabilité, a besoin d'argent.

Deuxièmement, je comprends que pour les suramendes compensatoires, un pouvoir discrétionnaire est accordé pour tenir compte des cas où cela représenterait une difficulté excessive. Je veux simplement avoir des éclaircissements.

Mme Anne McLellan: En effet, même si elle est imposée automatiquement, il reviendrait aux contrevenants adultes de prouver que cela représente une difficulté excessive. Autrement, la suramende est imposée automatiquement.

M. Peter Mancini: Bien. C'est l'éclaircissement dont j'avais besoin.

J'avais une autre question sur les revenus tirés de la suramende compensatoire. J'aimerais savoir aussi si on a songé au pouvoir discrétionnaire accordé aux policiers qui doivent déterminer, au moment de l'arrestation, qui est la victime.

Mme Anne McLellan: Je vais commencer par la dernière question, puis je laisserai Catherine ou Yvan répondre à la première.

Pour ce qui est de la suramende compensatoire, la suramende actuelle a été appliquée de manière sporadique et non uniforme d'un bout à l'autre du pays. Même lorsqu'elle était imposée, la perception par les provinces—puisque c'est une responsabilité provinciale—a aussi été sporadique et en fonction des besoins, comme le reconnaîtront bien des provinces.

Avec la nouvelle disposition sur la suramende compensatoire, si les provinces choisissent d'agir avec diligence, comme elles le font pour la perception des amendes, par exemple, qui sont imposées au moment du prononcé de la sentence, il est possible que les provinces jouissent d'une augmentation substantielle de ces fonds.

D'ailleurs, nous avons fait une étude préliminaire pour évaluer ces revenus. Je n'ai pas les chiffres avec moi aujourd'hui, mais Catherine ou Yvan pourront probablement vous renseigner. C'est une augmentation remarquable des ressources potentielles qui seraient affectées directement aux provinces et aux territoires et qui, d'après nos accords avec eux, financeraient les services aux victimes. Si j'ai bien compris, les provinces et les territoires ne peuvent utiliser ces fonds à d'autres fins; ils doivent être consacrés aux services aux victimes.

• 1225

C'est l'un des changements demandés par les provinces, qui savaient que les dispositions actuelles n'étaient pas efficaces. Nous avons donc créé l'imposition automatique. Mais les provinces reconnaissent aussi qu'il leur incombe de les percevoir.

Elles bougent; elles bougent de bien des façons. D'ailleurs, nous avons facilité ces choses avec le projet de loi C-51, que vous avez étudié il y a quelque temps. Par exemple, si quelqu'un demande le renouvellement de son permis de conduire et a des amendes à payer, le permis ne lui sera accordé qu'une fois payées ces amendes. De plus en plus de provinces adoptent des mesures de ce genre. C'est à elles de le faire, mais de plus en plus de provinces prennent des mesures de ce genre pour percevoir les amendes imposées par le système judiciaire. La suramende compensatoire serait certainement perçue exactement de la même façon.

M. Yvan Roy: En fait, madame la ministre, la capacité de l'État de percevoir ces amendes a été accrue, non seulement en attendant que le contrevenant vienne renouveler son permis de conduire, mais aussi parce que la loi actuelle permet désormais de suspendre le permis de conduire jusqu'à ce que l'amende soit payée. Cela va beaucoup aider les provinces à percevoir ces amendes et les suramendes compensatoires.

Catherine peut peut-être vous donner le chiffre que nous avons calculé. Il est assorti de toutes sortes de mises en garde, mais je vais la laisser vous en parler.

Mme Catherine Kane (avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): J'ai oublié d'apporter mon tableau, mais je peux vous le présenter à la prochaine séance du comité.

Nos statisticiens ont examiné les données sur les condamnations que nous pouvons obtenir actuellement des tribunaux provinciaux et de certains tribunaux supérieurs. Nous n'avons pas de données complètes, car les diverses provinces n'offrent pas les mêmes données. Ils ont ensuite présumé que certaines suramendes resteraient impayées, que pour certains contrevenants il s'agirait d'une difficulté excessive, et ils ont imposé les minimums obligatoires prévus dans la nouvelle loi, et au niveau national on estime pouvoir percevoir 12 millions de dollars. Mais comme l'a dit la ministre, il faudra pour cela que les provinces consacrent certains efforts à la perception des suramendes, sans se fier au paiement volontaire.

Et dans diverses provinces tout dépend évidemment du taux de condamnation, mais il y en a trois qui me viennent à l'esprit: l'Ontario, où nous estimons le montant à 5 millions de dollars, la Colombie-Britannique, 1,5 million de dollars, et l'Alberta, 1 million de dollars. Je répète que je serai heureuse d'apporter la prochaine fois le tableau où figure une ventilation de ces montants.

M. Peter Mancini: Cela ne pose pas de problème. Je pourrai communiquer avec vous personnellement.

Mme Catherine Kane: Certainement.

M. Yvan Roy: Voulez-vous que j'essaie de répondre à votre première question?

Vous vous souvenez qu'il y a quelques années à peine, le Parlement a modifié le Code criminel à quelques reprises pour donner à la police le pouvoir de libérer quelqu'un, après une arrestation, sans que la personne ait à passer devant un juge de paix pour qu'il fixe les conditions de sa libération. Une telle modification visait essentiellement à bénéficier au contrevenant, en ce sens qu'il n'aurait pas à passer la nuit en prison pour une vétille, car lorsque quelqu'un comparaît devant un juge, dans certains cas du moins, c'est automatique. C'est seulement pour qu'il puisse imposer des conditions très précises prévues dans le code.

Évidemment, à toute action il y a une réaction. Il s'agit ici d'une réaction à ce pouvoir donné à la police, c'est-à-dire qu'on veut s'assurer qu'ils tiendront compte au moins de la situation de la victime. Lorsqu'on parle de ce contexte, en particulier dans le cas de violence familiale, il est important que les policiers pensent aux gens laissés derrière lorsqu'ils libèrent la personne arrêtée. On veut s'assurer qu'ils imposent les bonnes conditions, pour que la personne libérée n'embête pas les victimes.

Vous avez demandé quelle sera l'ampleur du pouvoir discrétionnaire accordé à cet égard. Je pense que pour le savoir nous devrons attendre de voir ce qui se passera dans la pratique au cours des prochains mois. Soyons cependant bien conscients qu'il s'agit seulement d'une décision prise par les policiers à ce moment-là. Si la personne n'est pas satisfaite des conditions, elle pourra demander au juge de modifier ces conditions, si elles sont trop générales ou si elles portent sur un trop grand nombre de personnes.

Prenons un exemple extrême; si les policiers disaient que la personne ne doit pas vivre dans la ville de Toronto, cela pourrait être quelque peu exagéré, parce que les résidents de Toronto ne sont pas tous victimes de l'infraction en question, quelle qu'elle soit. La personne aurait alors la possibilité, dès le lendemain, de demander à un juge de changer cette condition.

• 1230

Il est important d'accorder une certaine souplesse, afin qu'on puisse adopter une approche raisonnable, mais il existe des mécanismes permettant de corriger les erreurs commises par des policiers qui exagéreraient pour ce qui est des conditions imposées.

Il serait difficile d'essayer de trouver une règle qui serait plus rigide que celle-là. Vous le savez aussi bien que moi, parce que vous avez l'expérience des tribunaux. La règle proposée donne une certaine latitude aux tribunaux et à la police, et je pense que le système fonctionnera très peu de temps après l'adoption du projet de loi, s'il est adopté.

M. Peter Mancini: Très bien, merci.

Le président: Merci, monsieur Mancini.

Monsieur Peter MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président. Je tiens moi aussi à remercier la ministre de comparaître devant le comité. Nous aimons toujours l'entendre.

Mme Anne McLellan: C'est un plaisir pour moi d'être ici, monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: J'en suis persuadé.

Mme Anne McLellan: C'est toujours le cas.

M. Peter MacKay: Je veux aussi remercier les fonctionnaires qui vous accompagnent. Ils nous ont aidés énormément. Leur témoignage d'hier a permis de clarifier un certain nombre de choses.

Je veux poser quelques questions très précises. Je ne veux pas prolonger indûment cette discussion ou ce débat sur la question du centre stratégique, mais je suis très heureux de vous avoir entendue, dans vos observations, reconnaître que la victimisation commence immédiatement au moment de l'incident, de l'acte criminel; c'est l'acte même qui fait une victime.

D'après mon expérience avec des victimes et aussi comme député, je sais que les frustrations commencent presque immédiatement, et les victimes subissent des épreuves dès le début, et aussi à long terme.

Je ne veux pas me lancer dans un débat sur des questions de compétence comme celui que vous avez eu avec M. Bellehumeur au sujet de l'intrusion dans un domaine de compétence provinciale, mais je crois fermement qu'un bureau central avec un ombudsman ou un commissaire qui pourrait aider une victime à obtenir les renseignements qu'elle demande... peut-être simplement en la mettant en contact avec le procureur de la Couronne concerné, ou encore avec le bureau local des services aux victimes ou avec le ministère provincial...

Vous avez mentionné dans vos observations que ce service serait fondé sur le modèle de celui de l'enquêteur correctionnel, et je pense que c'est le modèle à suivre, sur le plan de l'équité et du budget.

Je ne veux en rien dénigrer l'initiative d'un centre stratégique, parce que c'est certainement un objectif louable, mais un tel bureau central permettrait à mon avis de simplifier le système.

Une grande partie de ce que ressentent les victimes—et nous l'avons entendu dire à la table ronde—vient du sentiment qu'elles ont de se heurter à ce système colossal alors qu'elles sont dans un état très émotionnel et qu'elles éprouvent une frustration extrême, parce qu'elles ne peuvent pas obtenir de réponses précises. S'il y avait un bureau auquel elles pourraient s'adresser et où on pourrait même les envoyer, cela contribuerait beaucoup à réaliser certains des objectifs visés par cette mesure législative.

Je n'hésite pas, je le répète, à vous féliciter pour les efforts que vous avez très sincèrement mis à préparer cette mesure. Ils sont grandement appréciés par tous. J'estime cependant qu'un bureau central, un ombudsman, avec un mandat aussi précis, permettrait d'accomplir davantage.

Mme Anne McLellan: Je réfléchirai certainement aux observations que vous avez faites. C'est certainement quelque chose qui devrait retenir l'attention du comité—peut-être dans le cadre des travaux du sous-comité qui examine la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, parce que c'est de là que le modèle du bureau de l'enquêteur provient.

J'ai expliqué les raisons pour lesquelles nous avons choisi de ne pas adopter complètement ce modèle pour notre bureau d'aide aux victimes. Permettez-moi d'ajouter ceci. Je répète que nous commençons à peine à travailler avec ces victimes, avec des défenseurs des droits des victimes et d'autres, qui comprennent mieux ce domaine et en savent davantage, pour déterminer le mandat qu'aura en fin de compte ce bureau. Nous en apprendrons encore plus au fur et à mesure que nous avancerons. Il y a peut-être certains rôles légitimes que le gouvernement fédéral pourrait jouer dans ce bureau d'aide aux victimes et auxquels nous n'avons pas encore pensé, mais qui deviendront peut-être évidents d'ici six mois ou un an.

Nous devons donc commencer, sinon en petit, du moins d'une manière responsable, en travaillant avec tous les groupes intéressés pour élaborer le bon mandat en fonction de ce que nous comprenons actuellement, en fonction des conditions actuelles, ainsi que notre rôle. Nous devons commencer par assurer ces services, cette aide aux victimes, et nous verrons ensuite ce qu'il y a lieu de faire plus tard.

• 1235

Je ne tiens pas à tout prix à un modèle particulier. Nous pourrons décider dans 18 mois que nous avons besoin de ressources supplémentaires et qu'il faut modifier le mandat et le plan de travail du centre, parce que nous aurons découvert d'autres secteurs dans lesquels le gouvernement fédéral a un rôle véritable et légitime à jouer. Je ne rejette pas d'emblée votre suggestion. Je dis seulement que nous devons travailler d'une manière responsable et accélérer le plus possible la création de notre centre pour qu'il puisse commencer à s'occuper des priorités identifiées par le comité dans son rapport, et nous verrons ensuite s'il y a lieu de faire autre chose.

M. Peter MacKay: Je vous remercie de votre réponse, et je sais exactement où vous voulez en venir, mais quand je pense à la création d'un nouvel organisme au sein du système de justice pénale et à l'idée de donner la priorité aux services les plus nécessaires, je pense à la formule qui serait la plus utile. Un modèle comme ce centre stratégique, qui assurera une surveillance continue, une coordination et un service de liaison...

Mais un bureau auquel on aurait accès surtout—et je pense que ce serait le cas—au moyen d'un numéro 800, par exemple...

Mme Anne McLellan: Je ne pense pas qu'on puisse douter qu'une fois fonctionnel, le bureau sera utilisé. De fait, nous constaterons probablement très rapidement qu'il y a une demande extraordinaire pour toutes sortes de services, des services d'orientation, d'aide, ou peut-être, comme vous le dites, qu'on appellera simplement un numéro 800 pour demander comment avoir accès au bureau provincial des services aux victimes.

En dépit de ce que certains pourraient prétendre, il est juste de dire, je pense, que partout où nous sommes allés—et particulièrement dans la province de Québec, je dois le dire, la province de Jacques—nous avons entendu des victimes affirmer qu'on ne répondait pas bien à une grande partie de leurs besoins. Elles estimaient que le gouvernement fédéral avait un rôle légitime à jouer, qu'il devait créer une sorte d'organisme qui leur fournirait un moyen de faire valoir certaines de leurs préoccupations dont on ne s'occupe pas actuellement, d'après elles.

J'ai été frappée de voir à quel point un si grand nombre de victimes estimaient absolument nécessaire la création d'un bureau fédéral d'aide aux victimes, et je pense que c'est pourquoi le comité a formulé ses recommandations à cet égard: nous avions entendu cela partout. Nous prévoyons donc que ce bureau sera utilisé par un grand nombre de personnes qui ont été victimes de crimes.

M. Peter MacKay: Puis-je poser encore quelques très brèves questions?

Le président: Elles devront être très brèves, et les réponses aussi.

M. Peter MacKay: J'ai obtenu hier une grande partie de ce que je m'attendais à obtenir au sujet de ces questions.

Au nouveau paragraphe 486(1.1), on mentionne des infractions précises au Code criminel, comme celles prévues à l'article 271, et l'on parle de «... l'utilisation... de violence...». Certains ont dit craindre l'exclusion possible de situations de harcèlement criminel, dans lesquelles il n'y a pas toujours de violence comme telle.

En ce qui concerne le paragraphe suivant, on a dit craindre une autre omission possible, parce qu'on y laisse l'âge de 14 ans comme âge maximal à partir duquel quelqu'un peut être accompagné pendant son témoignage d'une personne de confiance. Je sais que le pouvoir discrétionnaire demeure, mais il me semble que cela peut être une anomalie de ne pas faire passer cette limite à 18 ans également.

Dans le nouveau paragraphe 486(2.3), pourquoi fixe-t-on une limite d'âge pour qu'une personne soit exemptée par un juge d'un contre-interrogatoire fait par l'accusé?

Je me demande si le ministère examine encore au moins ces questions.

Mme Anne McLellan: Je vais demander à Catherine et à Yvan de répondre à ces questions, mais en ce qui concerne votre première question au sujet du harcèlement criminel, nous estimons que c'est inclus dans cette mesure, au nouveau paragraphe 486(1.1).

M. Peter MacKay: Parce qu'on a inclus la violence?

• 1240

Mme Anne McLellan: Oui, c'est inclus en effet.

Pour ce qui est de l'âge, avant de laisser Yvan et Catherine répondre précisément à vos questions, je tiens à préciser, comme vous le savez probablement, que nous examinons tous les articles du code où est mentionné un âge à partir duquel les dispositions commencent à s'appliquer ou cessent de l'être. Nous faisons cet examen de concert avec les provinces et les territoires, qui ont des préoccupations très spécifiques.

On a décidé que, puisqu'il y a différents âges pour différentes choses, il était préférable d'examiner toute la question pour voir s'il ne serait pas possible d'harmoniser davantage certaines de ces dispositions. Assurons-nous que dans le cas où l'âge est fixé à 14 ans alors que dans un autre cas il est fixé à 18 ans, la raison d'être de ces distinctions est encore pertinente. Nous avons donc entrepris ce travail.

Voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Catherine Kane: Je n'ai rien à ajouter à cela.

En ce qui concerne votre question sur le contre-interrogatoire des poursuivants par l'accusé et de la raison pour laquelle il y a une limite d'âge, c'est une question que votre comité a examinée, et, comme vous le savez, il y a eu un projet de loi d'initiative parlementaire proposé par Mme Pierrette Venne afin justement d'enlever toute mention d'un âge dans le code. Le comité a recommandé qu'on fasse passer l'âge à 18 ans, étant donné que ce serait une limite plus justifiable.

Lorsqu'on brime le droit d'un accusé à une réplique et à une défense complète, y compris le droit de se défendre lui-même, il faut pouvoir justifier une telle restriction. Si nous songions à présenter un amendement donnant ce droit à toute victime ou à tout témoin, nous devrions penser à inclure dans le Code criminel des critères que le juge appliquerait. Il s'agirait d'une décision prise dans chaque cas en fonction des circonstances, au lieu d'une protection presque automatique pour les victimes et les témoins jusqu'à un certain âge.

D'après ma grande expérience de travail auprès des victimes d'agressions sexuelles, je sais qu'elles ne veulent pas en général qu'on présume qu'elles sont vulnérables ou qu'elles ont besoin de cette protection. Plusieurs sont disposées à subir les rigueurs du contre-interrogatoire et sont capables de le faire. Cependant, on reconnaît que les jeunes victimes ont besoin de cette protection. Si elles n'en veulent pas, c'est à elles de décider, et la disposition ne s'appliquera pas, mais nous devons au moins offrir cette protection jusqu'à l'âge de 18 ans.

M. Peter MacKay: Je sais qu'il y a aussi d'autres mesures de protection. On peut utiliser des écrans, par exemple, ou parfois des caméras de télévision en circuit fermé.

Mme Catherine Kane: En effet.

M. Peter MacKay: Très bien. Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur McKay.

Monsieur John McKay.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je l'ai dit en privé et en public, c'est un splendide projet de loi, et vous avez fait un travail formidable.

J'ai parlé hier soir avec le juge Cory, celui-là même qui a dit que la Charte était le moyen utilisé par les tribunaux pour dialoguer avec le Parlement. Je lui ai dit qu'il me semblait que c'était surtout un monologue plutôt qu'un dialogue. Je lui ai dit également qu'un sentiment de frustration règne au sein du comité, que nous nous sentons «constipés par la Charte», pour utiliser la fameuse expression de M. MacKay.

Mme Anne McLellan: C'est bien dit, en véritable procureur.

Des voix: Oh, oh!

M. John McKay: Je remarque que le préambule a une page et demie de long. C'est un long préambule, de quelque point de vue que l'on se place.

Je remarque dans le troisième paragraphe que vous avez fait une nuance, la meilleure à laquelle on pourrait s'attendre de n'importe qui, en ce qui concerne le conflit entre les droits des accusés et ceux des victimes de violence ou des témoins d'infractions.

Je me demande si, dans votre travail de rédaction et de réflexion au ministère, vous avez consciemment décidé que pour élargir le dialogue en quelque sorte entre le Parlement et les juges de la Cour suprême, vous ne pouviez pas à certains égards saisir dans le texte même de la loi l'intention du Parlement, mais que vous aviez besoin de pouvoir dire d'une autre façon que telle est l'intention du Parlement.

Cela représente-t-il une tendance à laquelle nous pourrons nous attendre? Y avez-vous consciemment réfléchi, ou est-ce davantage accidentel?

Mme Anne McLellan: Nous ne pensons pas que ce soit une décision inconsciente.

Des voix: Oh, oh!

M. John McKay: Très bien, c'est parfait.

• 1245

Mme Anne McLellan: C'est de fait une question très intéressante.

Je vous le dis très honnêtement, il y a un débat à ce sujet—pas dans notre ministère, parce que nous utilisons très souvent des préambules. Nous nous demandons si cela convient dans tel ou tel projet de loi, mais j'avoue que j'ai entendu un peu partout des discussions où on se demandait si c'est une bonne chose d'inclure des préambules dans une mesure législative, et que la réponse soit oui ou non, on essaie de déterminer pourquoi. La question est soulevée lorsqu'on modifie la Loi sur l'immigration ou la Loi sur la citoyenneté, ou d'autres lois de cette nature.

Je pense que les préambules peuvent être très utiles, en partie pour la raison que vous avez soulignée. Les différents articles des lois doivent être rédigés ou devraient être rédigés avec une grande précision, si c'est possible. Dans un préambule, on peut donner à un tribunal, ou à la population même...

Il faut le rédiger de manière à ce que—et j'espère que c'est le cas ici—les gens puissent dire après l'avoir lu: «Je ne comprends peut-être pas absolument tout, mais j'ai une assez bonne idée, d'après ce préambule, que vous me dites que les victimes comptent dans le système de justice pénale et que nous nous assurerons qu'elles puissent se faire entendre, et qu'on les traite avec respect, dignité et compassion.» De fait, ces trois mots figurent dans le préambule. C'est un message qu'il est très utile d'envoyer aux tribunaux.

Les tribunaux les utilisent. Nous savons que ces préambules sont utilisés, en particulier depuis la Charte, mais pas seulement depuis la Charte. Même avant la Charte, nos tribunaux se référaient déjà au préambule de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, par exemple lorsqu'il s'agissait de la répartition des pouvoirs.

Les tribunaux utilisent donc les préambules des lois. Cela leur donne un contexte et cela nous donne à tous, législateurs, un contexte qui nous est utile. En effet, c'est une approche peut-être plus nuancée, plus intégrée, plus holistique pour résoudre nos problèmes de législateurs, et également pour exposer nos objectifs d'une façon générale et la façon dont nous espérons les atteindre.

Les tribunaux se réfèrent à la loi, et s'il subsiste une certaine ambiguïté, une certaine confusion—mais lorsque le comité aura terminé il ne devrait pas rester de confusion—ils peuvent tenter de supprimer cette ambiguïté en se référant au préambule. C'est très utile.

De plus en plus dans notre pays, en matière de jurisprudence constitutionnelle, entre autres, les tribunaux se réfèrent aux préambules pour avoir une meilleure idée des intentions des auteurs.

Personnellement, c'est un outil que j'apprécie. Cela peut être important, et c'est la raison pour laquelle cette disposition est là.

M. John McKay: Il a fait une observation intéressante; il a dit que le Parlement voulait pousser jusqu'à la limite.

Mme Anne McLellan: Et il ne s'est pas trompé en choisissant de s'adresser à ces membres-là du comité, n'est-ce pas?

M. John McKay: Tout à fait.

Mme Anne McLellan: C'est une observation intéressante que le juge Cory a faite. En effet, un dialogue existe entre les législateurs et les juges, et en particulier ceux de la Cour suprême du Canada. D'après de récentes études et d'autres travaux, dont certains remontent à il y a tout juste deux semaines, ce dialogue semble très positif.

M. John McKay: Exactement.

Mme Anne McLellan: Et il mérite d'être encouragé, et c'est la raison pour laquelle le juge Cory a dit: «Vous êtes les législateurs, vous avez un rôle à jouer, ne soyez pas timides.»

Nous devons respecter ce que le tribunal a dit. Dans certains cas, les tribunaux peuvent nous guider dans la rédaction des lois, nous aider à atteindre nos objectifs, ceux de la Charte, etc. C'est tout à fait justifié. Toutefois, au bout du compte, c'est à nous de décider comment nous utilisons ces conseils.

En fait, le dialogue entre les juges et les législateurs s'affirme de plus en plus. Il doit respecter certaines formes, et, dans l'ensemble, c'est par leurs décisions que les juges interviennent. De notre côté, nous nous exprimons par les lois que nous adoptons. C'est tout à fait justifié, c'est très positif.

M. John McKay: Merci.

Le président: Merci, monsieur McKay.

Nous allons commencer des tours de trois minutes, étant bien entendu que nous ne pouvons pas dépasser 13 h 15. Je vous demanderais donc de poser des questions courtes, et peut-être également de donner des réponses courtes.

Mme Anne McLellan: Les réponses également, oui.

Le président: Monsieur Reynolds.

M. John Reynolds (West-Vancouver—Sunshine Coast, Réf.): Monsieur le président, ce sera très court; au nom de mon parti, je veux seulement dire que j'apprécie le travail accompli par mes collègues de Surrey et d'Abbotsford. Comme la ministre l'a dit au départ, ce projet de loi est un excellent début. C'est tout ce que j'avais à dire.

Mme Anne McLellan: Merci.

Le président: Merci, monsieur Reynolds.

Peter MacKay.

• 1250

M. Peter MacKay: Voilà qui fut fort bien dit. Je n'ai pas l'intention de prolonger le supplice de la ministre aux mains du comité, mais je dois lui dire que j'ai reconnu son accent de la Nouvelle-Écosse.

Mme Anne McLellan: Oh, non!

M. Peter MacKay: Je l'ai entendu reprendre son souffle.

Je félicite les auteurs de cette loi pour le libellé, et je pense en particulier à des expressions comme «directement ou indirectement», qui suppriment toute ambiguïté en ce qui concerne les contacts en cas d'ordonnance de libération.

J'aimerais revenir rapidement sur une question que j'ai déjà posée hier; on envisage des ordonnances de restitution, dans cette loi ou dans d'autres lois, pour dédommager la victime pour les pertes qu'elle a véritablement subies. Personne ne peut la dédommager sur le plan émotif, mais si on prend l'exemple de vêtements, de bijoux ou de biens qui ont été endommagés ou volés, est-ce qu'on a envisagé des ordonnances de restitution? Est-ce que c'est toujours prévu?

Mme Anne McLellan: Oui, effectivement.

Catherine, vous voulez répondre?

Mme Catherine Kane: Oui, peut-être pourrais-je répondre.

En 1995, les dispositions du Code criminel en ce qui concerne la détermination de la peine ont été élargies. Toutefois, des dispositions de restitution existaient déjà dans notre code depuis 1953. Qu'on les invoque ou pas, cela dépend de la pratique des tribunaux, mais la restitution est une option. Une ordonnance peut être faite pour forcer la personne responsable à verser un dédommagement quelconque à la victime. Il ne s'agit pas d'un dédommagement pour souffrances et douleurs subies; cela se limite aux dépenses faites, mais il peut s'agir de dépenses faites pour un traitement de réadaptation, ou encore pour embaucher une aide familiale, un assistant, etc. À l'exception du prix de la douleur, toutes les dépenses peuvent faire l'objet d'une ordonnance de restitution.

D'autres amendements ont été adoptés pour préciser certaines situations. Par exemple, si une femme doit fuir son foyer à cause d'une situation de violence domestique, si elle doit aller s'établir ailleurs, ces dépenses-là sont également remboursables aux termes d'une ordonnance de restitution.

Les sommes en cause ne sont pas limitées, mais évidemment le juge tient compte de la possibilité de payer du contrevenant dans une certaine mesure. Si ce n'était pas le cas, la victime pourrait être très frustrée lorsqu'elle essaie d'obtenir l'application de l'ordonnance. En effet, l'application de l'ordonnance est la responsabilité de la victime. L'ordonnance est appliquée exactement comme une décision civile, et par conséquent, pour certaines victimes, c'est une justice à guichet unique. Si elles obtiennent une ordonnance de restitution, elles peuvent la soumettre également à la cour supérieure de la province et la faire exécuter comme s'il s'agissait d'une ordonnance d'un tribunal civil.

M. Peter MacKay: Oui, je connaissais cette procédure, et celle-ci est, je crois, plus récente. C'est seulement depuis cinq ou six ans qu'on peut déposer un jugement au bureau du protonotaire et le faire enregistrer, presque comme si c'était un privilège sur une personne.

Toutefois, le versement du dédommagement continue à m'inquiéter—je n'irais pas jusqu'à dire que je suis sceptique—et je m'interroge sur le versement non seulement de ces dédommagements, mais également de la nouvelle suramende compensatoire. Je ne peux m'empêcher de penser aux compétences respectives. Cela dépendra de la diligence des provinces. Exactement comme pour les allocations d'entretien des enfants, ce sera comme essayer de tirer du sang d'une pierre. Les provinces disposent d'un certain nombre de bâtons et de massues, mais, très souvent, ce ne sera pas une petite affaire de tirer de l'argent de ces contrevenants, simplement parce qu'ils n'ont pas d'argent.

Mme Catherine Kane: Vous avez parfaitement raison quand vous parlez de tirer du sang d'une pierre; c'est souvent le problème avec les ordonnances de restitution. Certains de nos collègues provinciaux nous ont dit qu'ils voulaient trouver de meilleurs moyens de faire respecter ces ordonnances, quelque chose qui donne au moins aux victimes autant de chances que s'il s'agissait d'un jugement civil.

Dans les dispositions de restitution, il n'y a pas de modèle d'application dans le domaine criminel. Comme vous le savez peut-être, la première loi sur les victimes, en 1988, ne contenait pas de dispositions d'application. Ces dispositions n'ont jamais été proclamées parce que, à l'époque, les provinces craignaient qu'il n'y ait plus d'inconvénients que d'avantages à confier la perception de ces dédommagements à la province au nom des victimes.

Toutefois, le mécanisme prévu au civil existe depuis plus longtemps que l'amendement sur la détermination de la peine. Ce mécanisme figure dans le code depuis les amendements de 1953, et les ordonnances de restitution sont appliquées grâce au mécanisme d'application du domaine civil.

En ce qui concerne les suramendes, la plupart de nos collègues provinciaux reconnaissent maintenant qu'avec les nouveaux amendements ils auront intérêt à augmenter leurs efforts sur le plan de la perception, puisque cela fera augmenter leurs recettes d'une façon significative. S'ils n'augmentent pas leurs recettes grâce à une intensification de la perception des suramendes, leurs services aux victimes en souffriront, et on sait qu'ils sont déterminés à améliorer ces services aux victimes.

• 1255

Le président: Merci, monsieur MacKay.

Monsieur Jacques Saada.

[Français]

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): On a parlé de moi comme du Québécois de garde autour de la table. Je me sens parfaitement à l'aise, tout à fait à l'aise, face à ce projet de loi, y compris la création du centre. Je n'ai vraiment aucune réserve, et cela pour plusieurs raisons.

[Traduction]

Pour commencer, de nombreux organismes fédéraux sont organisés dans des secteurs où la compétence est en commun ou partagée. Par exemple, l'éducation relève de la compétence provinciale.

[Français]

On a un secrétariat à l'éducation qui n'est pas contesté par les provinces et qui leur est aussi très utile. On pourrait aussi parler de l'organisme qui s'occupe des personnes handicapées. Je ne crois pas que les provinces se plaignent de quelque façon de son existence. On pourrait parler de très nombreux autres organismes.

Ce n'est pas la création du centre qui est délicate sur le plan du respect des compétences, mais beaucoup plus le mandat qu'on définira pour ce centre. Nous devrons le définir de façon très soigneuse, et je n'ai aucune raison de croire qu'on ne le fera pas. La sensibilité très légitime aux prérogatives des provinces ne doit pas se traduire par un dogme qui nous paralyse. À cet égard, je pense qu'il n'y a aucun problème et je suis tout à fait heureux du projet de loi.

Mme Anne McLellan: Merci.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Saada.

Derek Lee.

M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je voulais seulement faire une observation. Il semble que mon collègue ait cité une observation d'un juge de la Cour suprême du Canada, une observation faite pendant une conversation privée. Il s'agit d'une remarque assez innocente, mais il ne faudrait pas que ce comité prenne l'habitude d'enregistrer des observations tirées de conversations privées avec des membres de la communauté judiciaire. C'est un domaine où la plus grande prudence s'impose.

Je suis sûr que Son Honneur comprendra ce qui s'est produit ici, mais notre président doit faire preuve de vigilance, tout comme nous tous d'ailleurs. Ce genre de chose pourrait empêcher les législateurs et les organismes judiciaires d'échanger des idées à l'amiable lors de manifestations publiques.

Je regrette donc que cela se soit produit, mais je veux parler du préambule. Madame la ministre, c'est un bon préambule, mais je ne peux pas lui donner un A plus.

M. Chuck Cadman: Le contraire serait surprenant.

M. John McKay: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Derek Lee: Monsieur McKay, vous avez une observation à faire officiellement?

M. John McKay: Je viens de la faire.

M. Derek Lee: Merci.

Dans ce projet de loi, il y a un certain nombre de compromis à considérer...

Mme Anne McLellan: Oui, et à accepter.

M. Derek Lee: ...entre les victimes, les témoins, les accusés et le public. Un de ces éléments surgit en ce qui concerne l'ordonnance de non-publication.

En ce qui concerne cette ordonnance de non-publication, le ministère a dressé un catalogue assez satisfaisant des critères qu'un juge utiliserait pour déterminer si une telle ordonnance est justifiée. Toutefois, lorsque la Constitution prévoit un droit fondamental, quand on sort du sac un autre type de privilège, immanquablement le droit l'emportera sur le privilège à cause de la présence de ce droit fondamental, noir sur blanc. Je pense ici à la liberté de presse ou à la liberté d'expression.

Je suis conscient, en acceptant cette prémisse, que le préambule et l'article, considérés ensemble, constituent une masse critique suffisante dans l'opinion du Parlement pour que la liberté de presse soit mise sur une voie de garage lorsque la protection des victimes est en cause. Toutefois, je ne suis pas certain que nous l'ayons suffisamment précisé. Nous avons soulevé la question dans le préambule, nous avons fait une liste des critères dans l'article, mais nous n'avons pas pondéré. Nous n'avons pas expliqué les choses comme nous les voyons.

• 1300

Comme nous ne l'avons pas fait, je me demande si un tribunal pourra vraiment comprendre la volonté du Parlement. Si pour déterminer ce compromis entre la liberté de la presse et la protection des victimes le tribunal se tourne vers le Parlement, j'ai l'impression qu'il risque de ne rien trouver de bien clair de ce côté-là. À mon avis, cela pourrait être amélioré.

Mme Anne McLellan: Les opinions du comité sur la façon d'améliorer cela m'intéressent au plus haut point.

Vous soulevez une question importante, une question dont les tribunaux ont d'ailleurs déjà discuté dans le cadre de la jurisprudence de la Charte: le compromis entre le droit à un procès équitable, par exemple, et le droit à une audience équitable et publique.

Contrairement aux tribunaux américains, peut-être—mais il est toujours dangereux de généraliser—nos tribunaux ont bien mieux tenu compte de valeurs autres que la liberté de la presse. Ils ont réussi à reconnaître que d'autres valeurs méritent, au minimum, d'être considérées à part égale. C'est en fin de compte au tribunal de trouver le point d'équilibre, de déterminer quelles sont les valeurs qui l'emportent lorsqu'il s'agit de décider, par exemple, de siéger en public ou à huis clos, mais je sais que vous parlez, vous, des ordonnances de non-publication.

Comme nous l'avons déjà fait dans d'autres dispositions du Code criminel, et comme nous essayons de le préciser encore plus ici, voici ce que nous essayons de faire: dans certains cas au moins le tribunal doit tenir compte de la valeur de la victime du crime et des répercussions que la publication aurait sur cette victime. Tout cela est dans la balance. Il s'agit d'un ensemble de valeurs.

Le message que nous envoyons aux tribunaux, c'est qu'ils doivent considérer cela très sérieusement, tout comme ils considèrent sérieusement le droit des accusés à un procès équitable et le droit du public, y compris les médias, à jeter un regard sur notre système judiciaire.

Comme c'est déjà le cas aujourd'hui, les tribunaux seront appelés à considérer ces facteurs dans chaque situation, et pour déterminer ces valeurs ils s'inspireront des indications que nous leur donnons, mais qui ne sont pas forcément déterminantes. J'imagine que dans chaque cas, sur la base de tous les faits, les tribunaux se demanderont comment ils peuvent concilier les différentes valeurs. En fin de compte, ils prendront une décision: non-publication ou publication.

M. Derek Lee: Et vous pensez que l'énoncé leur donne des indications suffisantes?

Mme Anne McLellan: Je le pense, mais cela dit, je garde l'esprit ouvert, et si les membres du comité pensent que cela peut être rédigé différemment, si cela les préoccupe vraiment, je suis prête à les écouter. Si vous pensez que ces dispositions, qui commencent au paragraphe 486(4.1), pourraient être plus claires pour mieux rendre cet esprit d'équilibre que nous essayons d'exprimer, je suis tout à fait prête à examiner cela.

M. Derek Lee: Ce qui m'ennuie, c'est la chose suivante: si dans ce cas-là nous n'accordons pas un droit particulier à la victime en ce qui concerne les ordonnances de non-publication, et s'il s'agit de choisir entre cette petite marge accordée à la victime et un droit défini en vertu de la Charte, la victime sera perdante systématiquement. Comment cette petite marge de protection peut-elle l'emporter face à un droit fondamental, un droit défini dans la Charte, qui donne à un journal ou à un journaliste le droit de publier?

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Mme Anne McLellan: M. Roy a quelque chose à dire.

M. Yvan Roy: Vous comprenez, monsieur Lee, dans ce paragraphe 486(4.7), ce que nous avons essayé de faire, c'est de montrer le plus clairement possible que la victime a le droit de protéger sa vie privée, et que ce droit est un droit constitutionnel.

Mme Anne McLellan: À l'article 7.

M. Yvan Roy: Oui, à l'article 7 et à l'article 8 de la Charte.

C'est donc là que cet esprit d'équilibre dont il est question dans le préambule se retrouve dans la loi. La victime a le droit de protéger sa vie privée, et il faut trouver un point d'équilibre entre ce droit-là, le droit de la presse et celui de l'accusé. Pour ce faire, on fait appel aux critères énumérés dans le projet de paragraphe 486(4.7).

Comme la ministre vous l'a dit, s'il y a un meilleur moyen d'exprimer cela, nous serions enchantés d'écouter les discussions de ce comité.

M. Derek Lee: Je comprends, et je vous en remercie. Dans ce cas, je vais essayer de concrétiser cette idée un peu plus tard dans notre étude du projet de loi.

Mme Anne McLellan: Merci, Derek.

Le président: Merci, monsieur Lee.

Mme Anne McLellan: Monsieur Lee, excusez-moi. Je n'aurais pas dû vous appeler Derek; c'est beaucoup trop familier.

Le président: Nous vous remercions infiniment d'être venue témoigner.

Mme Anne McLellan: Je vous remercie. Cela a été un plaisir pour moi, et je le dis en toute sincérité. C'est toujours un plaisir de venir vous rencontrer.

Je vous remercie encore pour tout le travail que vous accomplissez. Je sais que c'est un des comités les plus occupés de la Chambre des communes, sinon le plus occupé, et je vous remercie tous pour la diligence et l'efficacité dont vous faites preuve, et en particulier pour l'attention que vous portez à notre projet de loi.

Merci beaucoup.

Le président: Merci.

J'aimerais seulement annoncer aux membres du comité que notre ébauche de rapport sur la conduite avec facultés affaiblies sera distribuée dans vos bureaux vendredi, et que d'autre part le calendrier pour l'étude du budget a changé. Le solliciteur général ne comparaîtra plus jeudi de la semaine prochaine, mais plutôt mercredi de la semaine prochaine.

M. John McKay: Monsieur le président, pendant que nous sommes encore enregistrés, j'aimerais dire que M. Lee a eu parfaitement raison de faire cette mise en garde, et je présente mes excuses au juge Cory pour tout embarras que j'ai pu lui causer par inadvertance.

Maintenant, j'ai autre chose à dire, mais sans enregistrement.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Merci.

La séance est levée.