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JURI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 11 février 1999

• 0940

[Traduction]

Le président (M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.)): La séance est ouverte.

Nos témoins de ce matin sont Edmond O'Neill et Ravi Prithipaul, du Conseil canadien des avocats de la défense, Mike Neville, de la Criminal Lawyers Association of Ontario, et Andrejs Berzins, du ministère du Procureur général.

Messieurs, je vous prie de limiter vos exposés à 10 minutes chacun, après quoi, nous passerons aux questions des membres du comité.

Est-ce que l'un d'entre vous veut commencer—monsieur O'Neill, peut-être?

M. Edmond J. O'Neill (président, Conseil canadien des avocats de la défense): Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs.

À titre de présentation, M. Prithipaul et moi-même représentons le Conseil canadien des avocats de la défense.

Je dirai d'emblée qu'en tant qu'avocats et en tant que citoyens, nous nous préoccupons du problème de la conduite avec facultés affaiblies dans ce pays. Nous ne défendons pas la conduite avec des facultés affaiblies et nous ne sommes pas venus ici aujourd'hui pour vous demander d'adopter des lois moins sévères ou d'imposer des peines moins lourdes. Notre objectif, et ce que nous vous demandons ici, c'est l'équité—l'équité dans la détection des conducteurs aux facultés affaiblies, l'équité dans la poursuite de leurs infractions et l'équité dans les peines imposées à ceux qui sont condamnés pour conduite avec facultés affaiblies.

Avant que M. Prithipaul entre dans les détails, je voudrais formuler une remarque et vous faire une mise en garde.

Tout d'abord, je me demande véritablement pourquoi on débat actuellement de ces propositions de changements à la loi, car nous n'avons pas l'impression que la conduite avec facultés affaiblies soit en augmentation. Au contraire, nous savons par expérience que le nombre des accusations de conduite avec facultés affaiblies est en diminution, et que la loi actuelle a bien l'effet recherché. J'ajouterai que les taux de condamnation pour ces infractions sont très élevés. La plupart des accusations donnent lieu à des plaidoyers de culpabilité, et la majorité de ceux qui subissent un procès sont condamnés. Par ailleurs, les peines sont effectivement très lourdes.

Nous considérons que la loi répond aux préoccupations qui ont été soulevées. C'est une loi sévère, et nous ne voyons donc pas la nécessité urgente d'apporter des modifications à un régime qui facilite déjà la détection des conducteurs aux facultés affaiblies et qui favorise les poursuites grâce à toute une gamme de raccourcis en matière de preuve.

Il est toujours tentant de considérer la justice pénale comme un outil d'intervention pour imposer de vastes changements sociaux, mais je considère avec respect que le droit pénal est un instrument très frustrant, et de surcroît, inefficace. Tout le monde a reconnu que la conduite avec facultés affaiblies est un problème de comportement qui a des implications sociétales et personnelles. Nous considérons qu'il serait préférable de consacrer l'énergie et les ressources disponibles dans ce domaine à la prévention de la conduite avec facultés affaiblies par l'éducation, par la sensibilisation et, finalement, par l'isolement des phénomènes fondamentaux qui sont à l'origine du recours aux drogues illicites et de la consommation excessive d'alcool.

Deuxièmement, à titre de mise en garde, nous craignons avant tout que vous ne légifériez ou que vous envisagiez des changements à la législation actuelle en vous fondant sur des statistiques produites par des groupes d'intérêts formés de professionnels, qui ont un mandat bien précis à réaliser. Nous craignons avant tout que dans le but de vous faire adopter des lois plus sévères, certains groupes d'intérêts ne produisent des statistiques inexactes et trompeuses. Nous contestons l'origine des renseignements fournis par ces groupes. Cette information est-elle corroborée? Est-ce qu'elle résiste à l'analyse critique? Je vous demande donc simplement d'être très attentifs et de ne pas accepter tout ce que vous soumettront les témoins qui vont comparaître devant vous.

Je demande également à ce comité de se méfier des comparaisons avec les législations étrangères, car à notre avis, ces comparaisons n'ont aucune valeur pour qui n'a pas une connaissance approfondie et une parfaite compréhension des deux régimes juridiques.

Voilà donc ma mise en garde, et sur ces remarques d'ordre général, je vais maintenant laisser à M. Prithipaul le soin de vous fournir des détails. Je vous remercie.

M. Ravi Prithipaul (avocat, Conseil canadien des avocats de la défense): M. O'Neill et moi-même avons préparé des documents qui ont été distribués à certains membres de votre comité.

Je voudrais dire d'emblée que j'aimerais faire mon intervention en français, si vous me le permettez, à l'intention des membres du comité qui parlent français.

[Français]

Le Conseil canadien des avocats de la défense compte parmi ses membres des avocats francophones et bilingues. Ce n'est pas par manque de sensibilité que nous avons préparé nos mémoires en anglais, mais plutôt en raison de contraintes de temps. M. O'Neill et moi n'avons terminé la rédaction de notre mémoire qu'hier après-midi. Nous nous excusons de nous présenter ici sans pouvoir vous en remettre la version française. Nous vous offrons toutefois de faire traduire les documents que nous vous avons présentés à nos frais.

• 0945

Cela dit, j'invite les députés qui voudront me poser des questions en français à le faire. Si vous me le permettez, j'aimerais toutefois vous livrer ma présentation orale en anglais.

[Traduction]

M. O'Neill a parlé des trois grandes étapes de la procédure pénale dans le domaine qui nous occupe, à savoir la détection, la poursuite et la détermination de la peine. Notre mémoire aborde lui aussi chacun de ces trois thèmes. Il y a eu consensus entre les membres de notre conseil pour considérer que la loi, qui existe pratiquement sous sa forme actuelle depuis 15 à 20 ans, offre une structure viable pour l'appréhension et la détection des conducteurs aux facultés affaiblies par l'alcool et les drogues.

Il faut toujours se rappeler que le droit pénal s'applique dans les limites de nos structures constitutionnelles. Nous autres, avocats criminalistes, nous plaisons à nous représenter la Charte tout au sommet de l'édifice de la justice pénale. Les mesures qui s'appliquent actuellement doivent entrer dans les limites du champ couvert par la Charte. Les intérêts en opposition sont l'équité envers l'accusé, l'exactitude des analyses de sang et d'haleine ainsi que les exigences normales des enquêtes policières. Il arrive que ces différents intérêts entrent en conflit mais pour l'essentiel, ils doivent s'équilibrer dans le cadre législatif actuel. Pour reprendre les propos de M. O'Neill, nous nous interrogeons donc sur la nécessité de changements, en particulier de changements d'une portée aussi vaste, alors que le système a bien fonctionné jusqu'à maintenant, et qu'il assure un assez bon équilibre entre ces intérêts opposés.

Je ne veux pas paraître condescendant, ni remettre tout en question, mais je pense qu'il est utile de faire remarquer d'emblée qu'il existe actuellement une différence entre deux types d'infractions visés par le Code criminel. L'infraction de conduite avec facultés affaiblies est définie à l'alinéa 253.a); nous le signalons dans nos documents. Quant à l'alinéa 253.b), il est de nature plus technique, puisqu'il définit l'infraction de la conduite d'un véhicule à moteur avec un taux d'alcool dépassant la limite légale.

Contrairement à ce qu'on a pu dire à ce comité—du moins, nous le craignons, l'infraction de conduite avec facultés affaiblies n'est pas une infraction au sens technique. On la prouve généralement par l'observation de personnes qui ont conduit un véhicule à moteur et, bien sûr, si ces personnes montrent des signes de manque de sobriété, elles risquent fort de se faire condamner. Généralement, c'est aussi simple que cela. La plus technique des deux infractions, c'est-à-dire celle où le taux d'alcoolémie dépasse 0,08, se prête sans doute davantage au contrôle ou à la contestation devant les tribunaux, précisément parce qu'elle nécessite des preuves exactes d'un point de vue technique et scientifique.

Chacun comprend que la justice pénale est gérée par des humains. Les humains font des erreurs, et ces erreurs entraînent parfois des procédures de test inexactes ou fautives. Voilà le genre d'arguments que nous avançons pour contester l'infraction de l'alcoolémie dépassant 0,08 gramme, mais ils ne limitent en rien les chances de la Couronne d'obtenir gain de cause sur une accusation de conduite avec facultés affaiblies.

Nous considérons que l'infraction qui constitue un tort en soi, c'est-à-dire l'infraction de conduite avec facultés affaiblies, ne se prête généralement pas à des arguments de défense de nature technique. À notre avis, il n'y a pas lieu de modifier les définitions de la conduite avec facultés affaiblies par une alcoolémie de plus de 0,08 gramme, telles que ces définitions figurent actuellement dans la loi. En principe, nous ne sommes pas opposés à des appareils de mesure plus précis. Au contraire, nous les accueillerons très volontiers. Comme l'a suggéré M. O'Neill, notre mission ne consiste pas à contester sans fondement des résultats inexacts. Au contraire, en tant qu'avocats de la défense, nous serions très heureux de pouvoir dire à nos clients que les procédures de test sont relativement exactes, que la technologie est précise et que les chances d'obtenir gain de cause dans une contestation sont relativement faibles.

• 0950

Évidemment, la technologie est en constante évolution. Nous tenons à être informés de la façon dont s'appliquent les nouvelles technologies mises en oeuvre. Nous nous souvenons qu'il y a plusieurs années, les ivressomètres de modèle ALERT 3JA étaient régulièrement modifiés par le fabricant après avoir été approuvés par le Parlement, et les modifications faussaient les résultats. Le comité responsable des alcootests était au courant de ces changements, mais il ne les a révélés au public et au Barreau qu'après coup. Voilà donc une mise en garde.

Nous accueillons favorablement les progrès de la technologie, en particulier lorsqu'ils facilitent la détection et les mesures, mais ils doivent s'accompagner d'un certain niveau de transparence et d'ouverture.

Nous avons lu des mémoires présentés au comité à propos d'un type d'alcootest appelé AST pour alcohol screening tests. Nous voulons simplement indiquer qu'il n'y a pas lieu de modifier la législation actuelle, car elle confère déjà à la police une certaine souplesse; du reste, les tribunaux ont déjà interprété ces dispositions et ont indiqué aux policiers et aux responsables de l'application de la loi comment elles peuvent être utilisées.

Nous nous préoccupons de l'équité envers l'accusé. Nous voulons que lorsqu'on utilise ces appareils, on s'en serve d'une façon qui, tout d'abord, garantisse l'exactitude des mesures, et qui respecte les droits de la personne.

M. O'Neill a également signalé que la structure législative actuelle accorde à la Couronne certains raccourcis en matière de preuves et de procédures. Je voudrais insister sur ces deux éléments.

La législation actuelle confère à la Couronne un nombre considérable d'avantages en matière de preuves et de procédures—pour reprendre une formule chère aux avocats de la défense. Je pratique en Alberta. D'après ce que me disent mes collègues de la Couronne, je n'ai pas l'impression qu'il leur soit bien difficile de prouver ces infractions. Au contraire, les poursuites sont tout à fait courantes et souvent couronnées de succès.

J'ai lu les mémoires présentés au comité à propos des peines. Nous considérons actuellement que les gens sont déjà assez sévèrement punis. Nous nous opposons en particulier à un recours plus fréquent aux peines minimales obligatoires, en particulier lorsqu'elles portent atteinte au privilège de la conduite. Par ailleurs, nous nous opposons à toute augmentation du recours à l'emprisonnement pour atteindre les objectifs de réduction de la conduite avec facultés affaiblies.

Comme nous l'indiquons dans nos documents, il est essentiel de considérer que la conduite avec facultés affaiblies est, par sa nature même, une infraction tout à fait particulière parmi celles qui figurent dans le Code criminel, puisqu'elle est commise à un moment où l'aptitude de la personne en cause à prendre des décisions bien informées et rationnelles se trouve réduite. Évidemment, l'individu à jeun ne tolère pas l'idée de conduire après avoir consommé de l'alcool. Malheureusement, la consommation d'alcool, qui est socialement acceptée dans une certaine mesure, a aussi pour effet d'altérer le jugement, et c'est après avoir consommé de l'alcool que l'individu est le plus faible et fait les plus mauvais choix.

Je ne prétends pas que cette réalité doit nécessairement atténuer la sévérité du droit pénal dans ce domaine, mais je considère respectueusement que ce comité devrait être sensible aux besoins des gens qui doivent conduire pour leur travail et pour gagner leur vie.

En Alberta, nous avons de très nombreux clients qui sont accusés dans des localités rurales, qui n'ont pas accès au transport en commun et qui, pour gagner leur vie, ont absolument besoin de conduire et de rester mobiles. C'est particulièrement vrai dans les régions dont l'économie est axée sur les ressources, mais je suppose qu'il en va de même dans d'autres parties du pays. Les peines minimales obligatoires privent le juge de la possibilité d'atténuer la sévérité de la loi dans ce domaine.

• 0955

Notre province a un programme très efficace concernant les systèmes d'interrupteur d'allumage, qui empêchent l'individu de conduire pendant la durée de sa suspension de permis pour une infraction liée à la consommation d'alcool. Mais ce programme ne devrait pas être réservé à ceux qui en ont les moyens. Le système coûte cher. Si le comité envisage des changements, il ne devrait pas oublier que les Canadiens considèrent la possibilité de conduire comme une liberté fondamentale, et non pas simplement comme un privilège.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Prithipaul.

Monsieur Neville, vous avez environ dix minutes.

M. Mike J. Neville (directeur régional et vice-président du Comité de la législation, Criminal Lawyers Association of Ontario): Merci, monsieur le président.

Je voudrais tout d'abord dire quelques mots sur l'alcool dans notre société. Sa consommation, comme nous le savons tous, est aussi ancienne que l'espèce humaine. Il est difficile d'imaginer un événement important, qu'il soit d'ordre social, politique, athlétique, culturel ou de bienfaisance, où on ne sert pas de l'alcool. Les journaux et les médias électroniques sont plein d'annonces publicitaires vantant la consommation d'alcool.

Le gouvernement actuel de l'Ontario, pendant sa campagne électorale de 1995, a fait figurer sur sa plate-forme électorale la privatisation de certains organismes gouvernementaux, et surtout de la Régie des alcools de l'Ontario. Si celle-ci n'a pas été privatisée, c'est certainement parce qu'au cours du dernier exercice financier, elle a rapporté au gouvernement de l'Ontario quelque 760 millions de dollars de recettes.

Il est un fait que du moins au niveau subliminal, on fait preuve d'une certaine hypocrisie lorsque d'un côté on profite grandement d'un avantage économique—c'est le cas du gouvernement et de l'industrie privée—en vendant de l'alcool et en favorisant sa consommation, et que de l'autre, on s'en prend aux consommateurs de façon indue et, peut-être injuste.

Dans le domaine des sanctions et des mesures dissuasives, l'absence d'uniformité d'une province à l'autre pose certainement une difficulté d'ordre pratique. Prenons l'exemple de la situation actuelle en Ontario. Au cours des dernières années, on a introduit en Ontario ce qu'on appelle des suspensions administratives du permis de conduire—et je crois que des mesures semblables existent dans au moins trois autres provinces.

Cela signifie que pour toute accusation d'infraction en matière de conduite, de l'infraction la plus grave, comme les facultés affaiblies ayant causé la mort, jusqu'à la plus anodine, comme le fait de ne pas obtempérer à l'ordre d'un policier, le prévenu se voit automatiquement imposer une suspension de permis de 90 jours, contrairement à la présomption d'innocence. Pendant ces 90 jours, les seuls motifs d'appel auprès d'une commission de révision sont l'erreur d'identification, qui ne se produit pratiquement jamais, et l'impossibilité de fournir un échantillon pour des raisons médicales.

J'ai eu personnellement connaissance de dossiers où une personne avait été arrêtée, accusée et lors de sa première comparution au tribunal, après révision du dossier par le procureur de la Couronne, on avait décidé que cette personne ne pourrait sans doute pas être condamnée, et l'accusation avait été levée. La personne a néanmoins dû subir une suspension de permis de 90 jours. Dans l'affaire Horsefield, actuellement devant la Cour d'appel, où l'on conteste la constitutionnalité de ce programme, l'accusation avait été retirée avant le procès, mais le prévenu a néanmoins été l'objet d'une suspension de permis.

Plus récemment, depuis l'automne 1998 en Ontario, les conséquences—et les conséquences réelles, sur un plan pratique, sont celles qui concernent la possibilité de conduire—ont été considérablement aggravées. La première condamnation entraîne une suspension d'un an. À la deuxième condamnation, la suspension passe à trois ans et à la troisième condamnation, elle est d'une durée indéterminée, le permis ne pouvant pas être rétabli avant dix ans. Il est difficile d'imaginer des mesures plus sévères.

Même à la première condamnation, avant de récupérer son permis de conduire, le conducteur doit obligatoirement suivre à ses frais—pour environ 475 $—un cours de huit heures, faute de quoi il ne pourra pas récupérer son permis de conduire, même au bout d'un an. Lors d'une deuxième condamnation ou d'une condamnation ultérieure, ce cours est de seize heures—huit heures d'éducation et huit heures de conseils sur la toxicomanie, à défaut de quoi le conducteur ne peut récupérer son permis.

• 1000

Ce qu'il importe de bien comprendre, c'est que ce régime s'applique même si la culpabilité n'est établie que pour le défaut d'obtempérer à un ordre du policier. Le comité doit savoir que pour enclencher ce genre d'enquête ou de condamnation, il suffit que le policier ait des motifs raisonnables de soupçonner la présence d'alcool. Par définition, le policier n'a même pas, en l'occurrence, à croire que les facultés du conducteur sont affaiblies.

En fait, on accuse souvent de ce genre de délits des gens dont les véhicules n'ont pas bougé d'un pouce. Ils se sont faits intercepter, si je puis dire, alors qu'ils entraient dans leur véhicule, dans un lieu public. L'agent de police, dans l'exercice de ses pouvoirs d'intervention au hasard, réclame un échantillon qui se révèle insatisfaisant, pour des raisons qui ne sembleront peut-être pas acceptables à un juge. Même si le véhicule n'a pas été mis en marche, ces sanctions s'appliquent néanmoins.

Du point de vue constitutionnel, l'intervention policière auprès d'un citoyen doit normalement se fonder sur des motifs raisonnables de croire qu'un délit a été commis. Le policier peut également décider d'intervenir pour ce qu'on appelle un motif précis, c'est-à-dire pour une raison subjective fondée sur des motifs raisonnables. Dans ce domaine, il n'est pas nécessaire d'avoir de cause. Le policier peut intervenir auprès d'un citoyen sans raison et sans violer la Constitution par une simple interpellation au hasard conformément aux dispositions du Code de la route. Notre droit a reconnu cette intervention la plus faible, non normalisée, auprès du citoyen.

En fait, nous croyons que le refus de se prêter à un test ALERT lorsque la demande ne se fonde que sur une odeur ne devrait plus être un délit et ne devrait être considéré que comme un motif d'exiger un alcootest complet.

Du point de vue financier, une personne reconnue coupable d'avoir refusé de subir un test ALERT ou qui n'a pas été en mesure de le faire, en l'absence de toute preuve d'ébriété, voit son tarif d'assurance augmenter d'environ 250 p. 100 pour au moins trois ans. En Ontario du moins, le tarif d'assurance double car vous devez aller à ce qu'on appelle «l'établissement», et l'on ajoute à cela des frais supplémentaires de 50 p. 100. Donc, le conducteur moyen qui paie 1 000 $ par an pour assurer son véhicule doit, s'il est accusé d'un délit aussi mineur, si l'on peut dire, qu'un refus de se prêter au test, payer 2 500 $ par an pendant au moins trois ans à compter de l'année qui suit la suspension.

Les coûts sociaux sont importants, surtout lorsqu'il s'agit de condamnations à tort motivées par un trop grand zèle dans l'application de la loi. Ceux qui perdent leur gagne-pain ont souvent des personnes à charge, qu'il s'agisse d'un conjoint, d'enfants ou des deux, ils sont propriétaires et exploitants d'entreprises et ont des employés qui dépendent d'eux. Tous ces problèmes peuvent leur être imposés alors qu'ils ne sont même pas en état d'ébriété.

Comme l'ont dit mes collègues, le droit pénal est, dans la plupart des domaines, un bien mauvais moyen d'effectuer des changements sociaux. Quand j'étais jeune—et je ne dirai pas à quand cela remonte—l'idée de boire avec excès et de conduire ne faisait sourciller personne. Les gens racontaient comment ils s'étaient rendus chez eux malgré leur état. Mais je vois que tout cela a changé, maintenant que mes enfants sont à peu près adultes. À l'école, on a enseigné à mes enfants à refuser la drogue, à ne pas conduire en état d'ébriété, etc. Je soumets respectueusement que l'attitude de la société à l'égard de la conduite en état d'ébriété a changé du tout au tout par rapport à ce qu'elle était ne serait-ce qu'il y a vingt ans.

Il faut également se rappeler qu'il s'agit d'une loi pénale qui est régie par la Charte, une charte qui vise à nous protéger tous, quel que soit notre statut à titre de citoyen. Ce type d'activité policière peut ouvrir la voie à une discrimination contre les minorités puisque les policiers peuvent intervenir comme bon leur semble auprès de qui ils veulent.

• 1005

Enfin, puisqu'il s'agit d'une loi pénale, il faudrait appliquer la norme de la présomption d'innocence et de la preuve au-delà de tout doute raisonnable par des moyens constitutionnellement équitables. Les politiques de tolérance zéro et l'absence de pouvoirs discrétionnaires sont souvent les causes d'injustice. Je soumets respectueusement au comité, au nom de notre association, que si l'on souhaite apporter des changements, il faudrait le faire de façon très prudente. Comme nous le disons dans notre mémoire, la société est en train de changer. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Il faudrait éviter de sacrifier des principes fondamentaux sur l'autel de l'opportunisme, surtout compte tenu de ce que l'alcool est un élément important de nos normes sociales.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Neville.

Monsieur Berzins, vous disposez d'environ dix minutes.

[Français]

M. Andrejs Berzins (témoignage à titre personnel): Bonjour, membres du comité.

[Traduction]

Je suis bien heureux de pouvoir m'adresser à vous. Permettez-moi de me présenter. Je m'appelle Andrejs Berzins et je suis le procureur local. Je suis procureur en chef pour la région d'Ottawa.

Tout d'abord, je tiens à signaler que je n'exprimerai que mon opinion personnelle. Je ne représente ni la province de l'Ontario, ni le ministère du Procureur général. J'ai demandé à vous rencontrer pour vous dire quelques mots et vous faire part de mon opinion personnelle. Cette question me tient fort à coeur, tout comme ce qui se fait de nos jours dans les tribunaux pénaux d'Ottawa et d'ailleurs en Ontario.

Je ne ferai pas d'observations sur les sanctions et sur la détermination des peines. Je sais que le comité étudie à fond cette question, mais j'aimerais aborder le sujet sous un autre angle. Je vais vous parler de la façon dont les dossiers de conduite en état d'ébriété sont traités tous les jours dans les tribunaux pénaux. Je ne parlerai qu'à partir de renseignements de première main. Je crois savoir que le traitement de ces dossiers varie au Canada. Les méthodes varient selon les provinces et il n'y a donc pas d'uniformité. Je puis toutefois vous expliquer comment cela se fait dans ma ville et dans d'autres grands centres de l'Ontario.

Le problème, c'est que le droit applicable à la conduite en état d'ébriété est devenu incroyablement complexe. Il faut prendre des mesures pour le simplifier. J'avais pensé présenter au comité des résumés de certains dossiers de conduite en état d'ébriété ou de dossiers d'alcootest, mais je me suis rendu compte que mes bras n'auraient pas été suffisamment forts pour faire le trajet du tribunal jusqu'ici. J'aurais voulu vous démontrer à quel point un domaine de la loi qui était supposé être simple et fondé sur le bon sens est devenu ridiculement complexe.

Ce n'est plus la vérité que l'on cherche dans un procès. Les procès sont maintenant une épreuve servant à déterminer si les policiers ont respecté la lettre complexe de la loi. Il ne s'agit plus de déterminer si l'accusé a conduit son véhicule en état d'ébriété ou non, mais plutôt de voir comment on pourrait exclure et supprimer la preuve d'ébriété de l'alcootest. C'est à cela que servent surtout les procès.

Chaque semaine produit son lot de contestations de la Charte et de nouveaux problèmes. Je vais vous expliquer un phénomène que nous appelons la défense de la semaine. Lorsqu'un avocat de la défense réussit à gagner une cause à Toronto, par exemple, il diffuse la décision sur Internet ou dans une banque de données. Ces arguments sont diffusés dans toute la province et continuent d'être valables tant que la Cour d'appel ne les invalide pas. Nous essayons donc de suivre de près ces «défenses de la semaine».

J'estime pour ma part que la Charte a été banalisée. À l'origine, elle était supposée être un document important de notre Constitution. J'estime qu'elle est appliquée n'importe comment par les tribunaux dans les cas de conduite en état d'ébriété. Les exigences imposées aux policiers—l'obligation de mettre tous les points sur les i—ne sont pas réalistes. Ce dont les tribunaux ne semblent pas se rendre compte, c'est que les policiers répondent à des urgences, qu'ils doivent parfois accommoder des intérêts opposés, entre autres les besoins des victimes, et qu'il est trop facile à un avocat de la défense astucieux d'examiner les notes d'un agent et d'y trouver des lacunes six mois ou un an plus tard.

• 1010

Les agents de police deviennent frustrés par leur expérience des tribunaux. Ils nous disent que souvent, ils ne prennent pas la peine d'appliquer les lois sur la conduite avec facultés affaiblies. Ils préfèrent asseoir les conducteurs à l'arrière de leur voiture de patrouille et les ramener chez eux car ils savent ce qui se produira en cour. On nous a dit récemment qu'à cause des nouveaux formulaires qui doivent être remplis, un agent doit parfois leur consacrer jusqu'à quatre heures.

Il existe un argument de défense que l'on appelle «preuve contraire». C'est un argument très populaire. L'accusé déclare n'avoir consommé que deux ou trois bières—et ce, en dépit de ce que révèle l'alcootest. Il demande à un ami de confirmer son témoignage. Le toxicologue vient ensuite à la barre et déclare que si c'était vrai, l'alcootest révélerait un taux inférieur à .08. C'est un argument utilisé fréquemment en défense, même s'il n'existe aucune preuve que l'équipement ait été défectueux. Le fait est que le taux d'alcoolémie de l'accusé était relativement faible et que celui-ci ne montrait peut-être pas des signes physiques importants d'ébriété. Le témoignage de l'accusé contredit celui de l'alcootest, et le juge a un doute raisonnable.

Je recommande donc que la seule preuve contraire qui puisse réfuter une présomption soit un témoignage direct montrant que l'appareil a mal fonctionné ou que le test a été mal administré.

Pourquoi en est-il ainsi? Pourquoi les procès pour conduite avec facultés affaiblies sont-ils devenus à certains endroits des parties d'échecs pour avocats? Nous avons de bons juges, et je ne les critique pas. Les juges qui rendent ces décisions sont souvent très compétents, mais ils estiment être liés par la jurisprudence des autres tribunaux et par d'autres décisions. Ils veulent respecter les précédents et appliquer la loi telle qu'elle est actuellement.

En outre, la conduite avec facultés affaiblies est devenue une véritable vache à lait pour les avocats de la défense. C'est absolument vrai. De nos jours, les Perry Mason ne défendent pas des gens accusés de meurtre, car cela ne rapporte pas suffisamment; ces gars-là sont confiés à l'aide juridique. Nos Perry Mason représentent des conducteurs en état d'ébriété. C'est pourquoi nous avons maintenant des avocats de la défense très compétents qui peuvent présenter des arguments extrêmement efficaces et qui peuvent remporter de nombreuses victoires dans des procès de conduite avec facultés affaiblies au criminel. Voilà la réalité.

Deuxièmement, cela s'explique par le fait que les personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies devant les tribunaux ne sont pas des criminels comme les autres. Ce sont des gens qui pourraient être vos voisins, des gens de toutes les couches de la société. Les juges voient que ces personnes risquent de perdre leur permis de conduire si elles sont condamnées; elles ont versé des honoraires élevés à leurs avocats, et ce ne sont pas des criminels au sens habituel du terme. Je suis persuadé que l'on accorde beaucoup de sympathie à une personne qui a retenu à grands frais les services d'un avocat de la défense, qui risque de perdre son permis de conduire et de voir ses assurances modifiées.

Je vais vous donner un exemple du genre de décisions dont je parle. Cela s'est produit à Ottawa, il n'y a pas très longtemps.

• 1015

Sous le régime de l'article 258 du Code, pour être recevables en preuve, tous les échantillons d'haleine doivent avoir été fournis directement par l'accusé dans un instrument approuvé. On prend deux échantillons. Dans une affaire, à Ottawa, le technicien d'alcootest a indiqué, pour le premier échantillon, que l'équipement avait bien fonctionné et que l'accusé avait fourni l'échantillon directement dans l'ivressomètre. Pour le deuxième échantillon, il a oublié d'utiliser le mot «directement». À la fin de l'interrogatoire par le procureur, la défense s'est opposée à ce que les échantillons soient reçus en preuve parce que le technicien n'avait pas utilisé le mot «directement». Nous avons interjeté appel de cette affaire, mais la décision n'a pas été renversée parce que le technicien avait oublié d'utiliser le mot.

J'ai examiné tout récemment la transcription d'une autre affaire qui portait sur les motifs raisonnables. Si un agent interpelle un citoyen parce qu'il a un doute raisonnable de ce que la personne a consommé de l'alcool, il ne peut utiliser qu'un appareil d'alcootest portatif. Pour arrêter ce citoyen et l'amener au poste de police subir un test d'ivressomètre, il doit avoir des motifs raisonnables. Dans cette affaire, le policier en patrouille suivait, la nuit, un véhicule qui zigzaguait d'une voie à l'autre de la route et dont le conducteur n'utilisait pas le clignotant pour signaler un changement de voie. Après avoir été interpellé par le policier, le conducteur a bondi hors de son véhicule et a couru dans un champ. L'agent l'a poursuivi et a fini par le rattraper. Il l'a ramené et a détecté une odeur d'alcool dans son haleine. Le conducteur a déclaré avoir consommé une ou deux bières. Il a glissé, est tombé sur l'herbe à deux reprises et semblait manquer d'équilibre. L'accusation a été rejetée. Le résultat de l'alcootest, qui était très élevé, a été jugé irrecevable parce que l'agent de police n'avait agi qu'à partir d'un doute raisonnable et aurait dû utiliser l'ivressomètre portatif plutôt que d'amener le conducteur au poste pour subir un alcootest complet.

Nos tribunaux rendent de telles décisions à cause d'une application irréaliste de la loi.

Je fais cinq recommandations. Je ne les ai pas beaucoup élaborées. Je prie également vos collègues francophones de m'excuser, car je n'ai pas eu l'occasion de les faire traduire ce matin. Je puis toutefois vous en fournir des exemplaires.

La première recommandation, c'est qu'il faudrait demander au ministère de la Justice de faire un examen approfondi des dispositions afin de simplifier le droit et les procédures dans ce domaine. Il faudrait que les poursuites soient plus efficaces et plus susceptibles de faire ressortir la vérité de façon équitable mais rapide. Évidemment, toute modification devra être conforme aux dispositions de la Charte des droits. En outre—et cette observation s'applique à tout le travail du comité—vous devez tenir compte des effets pratiques de toutes les modifications que vous proposez. Par exemple, si vous proposez des modifications aux amendes, vous devrez étudier quels seront les effets de cette mesure sur le régime des poursuites et sur les tribunaux pénaux.

À l'heure actuelle, à Ottawa, les affaires relatives à la conduite avec facultés affaiblies représentent environ le tiers du travail du tribunal pénal. Vous semble-t-il normal que le tribunal pénal provincial consacre un tiers de son temps à des affaires de conduite avec facultés affaiblies, compte tenu de tous les autres dossiers criminels, entre autres les agressions contre les enfants, la violence familiale, les meurtres, etc.?

J'ai déjà mentionné la deuxième recommandation dans mes observations sur la preuve contraire.

Ma troisième recommandation, c'est que les policiers sur place devraient être dotés d'un appareil portatif, et que les résultats obtenus au moyen de ces appareils devraient être recevables en cour. Autrement dit, les voitures de patrouille devraient être dotées d'une version portative des ivressomètres que l'on trouve maintenant dans les postes de police. Les agents devraient avoir le droit d'exiger un échantillon d'haleine à partir d'un doute raisonnable, et les résultats devraient être recevables en cour.

• 1020

Pour comprendre cette modification, il faut comprendre les normes. Je recommande que la limite légale soit réduite de 80 milligrammes à 50 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang. Si vous voulez en faire personnellement l'expérience, vous constaterez qu'il faut boire beaucoup d'alcool pour dépasser les 80 milligrammes. À mon avis, cette limite est trop élevée.

Enfin, les policiers m'ont informé de ce qu'il leur est très difficile d'obtenir des analyses lorsqu'ils soupçonnent qu'une personne a consommé de la drogue plutôt que de l'alcool. Il existe là une lacune qui doit être comblée. Lorsqu'un agent de police intercepte un conducteur qui lui semble être sous l'influence de drogue plutôt que d'alcool, cet agent devrait avoir le droit d'exiger un échantillon de sang, comme il a maintenant le droit, dans le cas de l'alcool, de réclamer un échantillon d'haleine.

Merci beaucoup. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président: Merci, monsieur Berzins.

Nous allons commencer un tour de table de sept minutes en commençant par M. Harris.

[Français]

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Je comprends très bien les contraintes qui sont imposées à tous les participants. Je les remercie d'ailleurs de faire l'effort de nous présenter le fruit de leur travail. Cependant, de façon non exceptionnelle, on est saisis, autour de cette table, de documents qui sont exclusivement en anglais. Je comprends très bien les contraintes, et mes commentaires ne sont surtout pas destinés aux témoins qui présentent ces documents. J'aimerais plutôt parler du fonctionnement même de notre commission. Je souhaiterais sincèrement qu'on examine la possibilité d'avoir ces textes-là en français et en anglais pour que nous ayons tous une chance égale, peu importe notre parti, d'avoir accès aux mêmes renseignements afin qu'on puisse y réfléchir de la même façon.

Je sais que c'est un problème compliqué, mais je vous le soumets parce que ça fait plusieurs fois qu'on n'a pas de textes en français, très souvent pour des raisons de temps. Il est clair que ce n'est pas la faute des gens, qui ont très peu de temps pour les préparer. J'aimerais vraiment qu'on se penche là-dessus et qu'on cherche une solution.

[Traduction]

Le président: Merci. Le comité de direction se réunira mardi, puis nous ferons rapport de nos discussions au reste du comité. La question s'est posée de nouveau cette semaine. Nous en discuterons et nous rendrons peut-être une décision. Je ne sais pas s'il faudrait aller jusqu'à dire que si les documents ne sont pas dans les deux langues officielles, nous ne pouvons pas entendre le témoin. Je ne sais s'il faut aller jusque là.

M. Jacques Saada: Comprenez-moi bien. Je vais le dire en anglais, monsieur le président, afin que ce soit bien clair. Loin de moi l'idée d'être un extrémiste de quelque façon que ce soit. Je crois toutefois que tous les membres du comité, qu'ils soient unilingues français ou anglais, doivent à tout le moins pouvoir consulter les mêmes documents pour participer aux discussions de la même façon.

Le président: Je comprends. Je ne crois pas que nous devrions en débattre aujourd'hui. Nous en discuterons mardi et nous préparerons un document à ce sujet. Merci.

Monsieur Harris.

M. Dick Harris (Prince George—Bulkley Valley, Réf.): Merci, monsieur le président.

Je veux remercier nos témoins de leurs exposés.

Monsieur O'Neill, je comprends votre position et celle du groupe que vous représentez. Je dois toutefois contester votre remarque, lorsque vous dites que le comité doit comprendre qu'un grand nombre de groupes d'intérêts spéciaux viendront témoigner devant nous et nous présenter peut-être des renseignements inexacts ou trompeurs. Si vous croyez que c'est le cas, si vous estimez que votre groupe doit être considéré comme un groupe d'intérêt spécial, pourquoi ces mêmes soupçons ne s'appliqueraient-ils pas à votre organisme?

M. Edmond O'Neill: Monsieur Harris, ce n'était qu'une mise en garde. Nous devons toujours faire attention à ce qui nous est présenté et examiner tous les témoignages. Je ne vous demande pas de me croire sur parole. Les recherches sont éloquentes. Les statistiques sont produites par des organismes objectifs. Étudiez-les. Comparez nos observations à celles de M. Berzins. Les condamnations sont très nombreuses. Il n'y a pas d'impunité. Tout cela est très contrôlé. Les taux de condamnation sont élevés, et je ne suis pas le seul à le dire.

• 1025

M. Dick Harris: Vous avez dit précédemment que le nombre des accusations de conduite avec facultés affaiblies a diminué, et les statistiques le prouvent. Toutefois, d'après les statistiques que nous ont fournies un certain nombre d'organismes et de groupes d'intérêts et de témoins crédibles, il semble que pour chaque accusation qui donne lieu à une poursuite, il peut y avoir jusqu'à 2 000 violations qui ne donnent pas lieu à des accusations.

Par conséquent, la diminution du nombre des accusations de conduite avec facultés affaiblies est-elle due à une sensibilisation accrue contre la conduite dans cet état jointe à la position plus rigoureuse adoptée au cours des vingt dernières années contre cette conduite? Faut-il ajouter à cela le fait que nos policiers sont si frustrés par la façon dont les tribunaux traitent les accusations de conduite avec facultés affaiblies qu'ils font preuve d'une clémence extrême lorsqu'ils interceptent un conducteur qu'ils soupçonnent de conduire avec des facultés affaiblies, sont-ils si frustrés pour la plupart qu'ils ne portent plus d'accusations car ils savent qu'une fois devant le tribunal, ils seront opposés à des avocats très futés qui, comme l'a fait remarquer M. Berzins, se spécialisent, avec beaucoup de succès et pour leur plus grand profit, dans la défense des personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies? La diminution du nombre des accusations pourrait-elle être due en partie à cette frustration?

M. Edmond O'Neill: Sauf votre respect, d'après mon expérience, les policiers portent des accusations lorsqu'ils ont pour cela des motifs. Les policiers ne laissent pas les gens s'en tirer impunément parce qu'ils sont frustrés; c'est un mythe.

Je puis vous assurer que je jouis d'une assez bonne réputation à Edmonton, où se trouve mon étude, et que je perds de nombreux cas de conduite avec facultés affaiblies. Et je conteste, car la plupart de ces cas...

M. Dick Harris: J'en suis fort aise. Nous avons entendu l'autre jour les représentants de l'Association des policiers qui se sont dits très frustrés du traitement qu'ils subissent tous les jours devant les tribunaux.

L'un des témoins nous a dit, et cela a été corroboré par ses collègues, que le degré de frustration est si élevé que très souvent, les policiers ne portent pas d'accusations, car ils savent que les tribunaux sont surchargés à ce moment-là, parce que certains avocats de la défense excellent dans ce genre... Ils portent beaucoup moins d'accusations qu'on pourrait le souhaiter en raison de leur frustration envers le système.

M. Edmond O'Neill: Ce n'est pas du tout le cas. Je soumets respectueusement, monsieur, que mon témoignage va directement à l'encontre du leur.

M. Dick Harris: Je suis également un peu troublé par votre attitude envers le crime que constitue la conduite avec facultés affaiblies. En fait, dans votre témoignage, vous n'avez jamais mentionné qu'il s'agit d'un crime, alors que vous avez dit à plusieurs reprises qu'il s'agit d'un problème de comportement, d'un problème sociologique.

En fait, la conduite avec facultés affaiblies est le crime le plus meurtrier au Canada. Ce crime tue deux ou trois fois plus de gens que le meurtre. Je suis étonné de voir qu'il ne s'agit pour vous, du moins d'après ce que vous dites, que l'un des maux de la société plutôt que du crime qui tue 1 400 ou 1 500 personnes par année, en blesse des dizaines de milliers d'autres et coûte à notre régime d'assurance-maladie de l'Ontario—et ce sont, je crois, les derniers chiffres—quelque 600 millions de dollars par année, sans compter les coûts d'assurance, les coûts d'indemnisation et les frais juridiques, les coûts des tribunaux. Ne croyez-vous pas qu'il s'agit d'un crime grave au Canada?

M. Edmond O'Neill: Je suis désolé d'avoir mal exprimé mon opinion, monsieur Harris. Il s'agit bel et bien d'un crime.

Je n'ai pas dit que la conduite avec facultés affaiblies était un problème sociologique, c'est l'abus d'alcool qui est un problème sociologique, et ce problème est la cause de la conduite en état d'ébriété, qui est un crime.

Je suis désolé de m'être mal exprimé, mais il ne fait aucun doute que c'est un crime, et je n'ai rien contre les mesures législatives actuelles dans ce domaine. Nos lois peuvent être appliquées et, par conséquent, la majorité des accusés sont condamnés. Cela ne fait aucun doute.

• 1030

M. Dick Harris: Il me semble qu'il existe de très nombreux problèmes dans le traitement des cas de conduite avec facultés affaiblies dans le système de justice pénale. Comme M. Berzins l'a fait remarquer, il existe un nombre incroyable d'échappatoires. Ce que nous voulons faire, le but de tout ce travail, c'est de réagir à ce que réclament les Canadiens parce qu'il est inacceptable que la conduite avec facultés affaiblies tue 1 500 personnes par année sur nos routes et en blesse des dizaines de milliers d'autres. Nous devons nous attaquer à ce problème. S'il faut appliquer des mesures de dissuasion plus rigoureuses, par exemple au moyen d'amendes, eh bien, nous devons l'envisager. Il faut régler le problème du système judiciaire et éliminer les échappatoires de la loi. Il faut éviter que les personnes dont il a été légalement prouvé qu'elles étaient en état d'ébriété au moyen d'instruments approuvés puissent s'en tirer impunément pour des considérations d'ordre technique.

Monsieur Berzins, je vais vous donner l'occasion de nous parler de nouveau des problèmes qui existent dans le système judiciaire.

M. Andrejs Berzins: J'insiste sur ce que j'ai dit, c'est-à-dire que les dossiers de conduite avec facultés affaiblies représentent un tiers de tout le travail du tribunal pénal de mon ressort. J'ai dit dans mon mémoire qu'il est urgent de simplifier le droit dans ce domaine.

Par contre, il y a du bon dans tout. L'une des tendances positives que j'ai constatées, au cours de ma carrière de procureur, c'est que de moins en moins de jeunes sont accusés de conduite avec facultés affaiblies. Il semble que les jeunes commencent tout doucement à comprendre le message. En général, les conducteurs qui se présentent devant les tribunaux appartiennent davantage à notre groupe d'âge.

M. Dick Harris: D'accord.

Le président: Monsieur Brien?

[Français]

M. Pierre Brien (Témiscamingue, BQ): M. Berzins nous disait que le tiers des causes qu'il défend portent sur des cas d'alcool au volant et que nombre d'elles sont perdues. Avez-vous déterminé le nombre de causes que vous avez gagnées et perdues devant les tribunaux?

M. Andrejs Berzins: Si vous me le permettez, je m'exprimerai en anglais parce que je maîtrise mieux cette langue.

[Traduction]

Pour ce qui est du taux de condamnations, nous estimons qu'environ la moitié des personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies de notre région plaident coupables. Parmi les autres accusés qui contestent devant le tribunal, environ la moitié est condamnée et l'autre moitié acquittée. J'ai été informé par une autre source qu'en Ontario, le taux de condamnations dans les dossiers contestés de conduite avec facultés affaiblies était d'environ 40 p. 100. Cela dépend entièrement du tribunal. Cela dépend entièrement de l'avocat de la défense, dans une certaine mesure, du juge et peut-être, dans une mesure moindre, des témoignages. Le principal facteur pour déterminer les possibilités de condamnation est probablement l'habilité de l'avocat de la défense.

[Français]

M. Pierre Brien: Vous avez fait allusion à la sympathie que pouvaient éprouver les juges face aux accusés. Est-ce qu'il y aurait également une éducation à faire auprès des juges, qui ne considèrent peut-être pas que ce genre d'infraction est aussi grave que le considère le législateur ou la loi? Est-ce qu'il y a encore là un écart? À ce que je sache, les juges ne sont pas nécessairement jeunes. Vous dites que la loi a eu des conséquences majeures chez les jeunes conducteurs. Est-ce qu'il y a un problème d'éducation au niveau des juges?

[Traduction]

M. Andrejs Berzins: Pour ce qui est de la sensibilisation des juges, je tiens à répéter que nous avons de très bons juges et que, de plus en plus, nous avons des juges très qualifiés.

• 1035

D'après mes observations personnelles, en tout cas, ce qui se produit, c'est qu'on finit par devenir insensible jusqu'à un certain point. Un juge qui voit défiler tous les jours devant lui des conducteurs accusés de conduite avec facultés affaiblies, des gens qui viennent généralement de toutes les couches de la société, peut développer une tendance à ne pas prendre très au sérieux l'accusation s'il n'y a pas eu d'accident ou de décès.

C'est très troublant, je dirais même choquant, dans les cas où une personne a été tuée. Les parents sont dans la salle et suivent le procès, et tous les autres cas de conduite avec facultés affaiblies dans lesquels il n'y a pas eu de décès sont traités par le juge qui doit appliquer la loi de la même façon, qu'il y ait eu victime ou non.

L'une des expériences les plus bouleversantes, dans une salle de tribunal, est d'observer les parents d'une victime tuée par un conducteur aux facultés affaiblies lorsque la discussion porte sur la violation des droits de la personne arrêtée sur les lieux, qui a été amenée au poste de police et dont les échantillons d'haleine dépassaient de loin la limite légale. Ce qu'on essaie d'établir, c'est si les droits de cette personne ont été violés de quelque façon que ce soit—si les policiers avaient des motifs suffisants et s'il aurait fallu appliquer l'alcootest sur place.

Je sais que mes collègues ne seront pas d'accord avec moi, mais c'est la réalité.

[Français]

M. Pierre Brien: Messieurs Neville et O'Neill, depuis le début de nos audiences, on entend dire que de nombreux accidents de la route causant des décès et des blessures sont imputables à des personnes qui conduisent avec des facultés affaiblies et, dans de nombreux cas, à des récidivistes, des gens qui ont déjà été accusés de conduite en état d'ébriété par le passé.

Il semble que, malgré la sévérité des sanctions et tous les efforts de prévention, un problème majeur subsiste chez une certaine clientèle. Que nous suggérez-vous de faire face à ces récidivistes? Si vous étiez des législateurs comme nous, que feriez-vous face à ce problème manifeste chez une clientèle particulière?

[Traduction]

M. Mike Neville: Permettez-moi de répondre à votre question par une autre question. Si l'on accepte que ces buveurs impénitents sont, d'une façon générale, des alcooliques et si l'on considère que l'alcoolisme est reconnue comme une maladie, une maladie traitable dans une certaine mesure, peut-on m'expliquer pourquoi la province de l'Ontario est l'une des seules à refuser d'appliquer les dispositions du Code criminel en matière de libération aux fins d'une cure de désintoxication? L'Ontario a clairement indiqué qu'on avait pris cette décision parce que ces dispositions n'étaient pas suffisamment dissuasives et n'envoyaient pas le bon message. Ces dispositions ne sont pas appliquées même si elles existent depuis dix ou quinze ans dans le Code criminel.

Je m'écarte peut-être de votre question, mais je soumets respectueusement que les propos de M. Berzins constituent en fait une forme subtile d'outrage au tribunal. Je trouve outrageante l'idée que les juges... Il dit d'une part que ce sont de bons juges, mais d'autre part, s'agit-il des mêmes juges qui permettent ces arguments indûment complexes de défense? Ces choses-là sont incompatibles. Les principes de droit et les dispositions constitutionnelles qu'appliquent ces juges dans les affaires de conduite avec facultés affaiblies sont les mêmes qu'ils appliquent dans les cas de meurtre ou d'autres violations du Code criminel—il n'existe pas de différence.

M. Berzins dit par exemple que la preuve contraire ne devrait pas être fondée sur le témoignage de l'accusé. Depuis quand le témoignage de l'accusé n'a-t-il aucun poids dans les plateaux de la justice? Doit-on décider de la culpabilité ou de l'innocence du prévenu sur la parole d'un agent de police qui déclare avoir bien utilisé les instruments? Propose-t-on sérieusement qu'un accusé soit en mesure de prouver, six ou huit mois après les faits, qu'une machine des services policiers fonctionnait parfaitement au moment des événements? Allons-nous créer un domaine du droit où l'on fera fi de la parole de l'accusé?

• 1040

Si vous voulez des anecdotes, je puis vous mentionner un certain nombre de cas dans lesquels chaque membre de votre comité entretiendrait un doute raisonnable après avoir entendu le témoignage des témoins de la défense—des personnes honnêtes et crédibles—sur ce qu'avait consommé l'accusé. Dans ces cas, il y avait eu des vérifications objectives, et pourtant, les résultats des alcootests ne correspondaient en rien au témoignage de la défense.

Si nous voulons faire fi de cela, pourquoi ne pas déclarer tout simplement un régime de responsabilité absolue et oublier qu'il s'agit de droit criminel? On dit qu'il y a toutes sortes de violations techniques à la Charte, mais depuis quand les policiers sont-ils incapables de déterminer les motifs raisonnables et probables?

Ce n'est pas l'accusé qui prend des notes, c'est le policier. Je trouve intéressant qu'un policier, six mois plus tard, au procès, puisse témoigner de toutes sortes de symptômes d'ébriété qui ne se trouvent pas dans les notes détaillées qu'il a prises, des notes dans lesquelles on mentionne les vêtements que portait l'accusé, mais aucun symptôme d'ébriété. Ne s'agit-il pas d'un sujet légitime de contre-interrogatoire? Je crois que oui, et cela se fait dans tous les cas.

Ce que l'on propose ici, c'est de rejeter tout le droit criminel. Je puis vous dire ce qui se produira, si le comité décide de recommander une telle chose. Il y aura une autre contestation judiciaire sous le régime de la Constitution, et le gouvernement ne gagnera pas la cause.

Le président: Merci, monsieur Neville.

Monsieur Mancini.

M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.): Il ne va pas y résister.

M. Peter Mancini (Sydney—Victoria, NPD): C'est bien ce que je crains.

J'aimerais revenir aux derniers points soulevés par M. Neville et je poserai ma première question directement à M. Berzins. Je vais vous donner l'occasion de préciser votre déclaration. Vous avez dit, au départ, qu'il s'agit d'une simple accusation criminelle de conduite avec facultés affaiblies et que la Charte a compliqué les choses en rendant possibles toutes ces défenses qui enrichissent les avocats.

Vous ne voudriez certainement pas faire croire à notre comité que la Charte des droits et libertés ne s'applique qu'à certains articles du Code criminel et non, de façon égale, à tous les articles de ce Code, n'est-ce pas?

M. Andrejs Berzins: Pas du tout.

M. Peter Mancini: Les contestations et les arguments de défense sous le régime de la Charte devraient s'appliquer également à toutes les personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies, de la même façon qu'ils s'appliquent aux personnes accusées de meurtre, d'agression sexuelle, de trahison ou de toute autre violation du Code. Les mêmes protections s'appliqueraient à tous les accusés, n'est-ce pas?

M. Andrejs Berzins: Absolument.

M. Peter Mancini: Deuxièmement, M. Neville a mentionné que vous avez dit, dans votre témoignage, que la preuve contraire devrait être modifiée. Je veux vous demander des précisions à ce sujet, car d'après ce que je comprends, il ne serait même pas nécessaire d'avoir un juge; tout ce qui est nécessaire, c'est un technicien qui puisse déclarer que tout était parfait, qu'il n'est pas nécessaire d'entendre l'accusé et que la machine permet d'établir la culpabilité. Le seul rôle qui resterait au juge consisterait à déterminer la peine à imposer. Il n'aurait plus à examiner les faits. Il ne serait plus nécessaire d'avoir un juge chargé d'établir ce qui est vrai, ce qui s'est réellement produit. Ce n'est pas ce que vous proposez, n'est-ce pas?

M. Andrejs Berzins: Non. Mais permettez-moi de préciser mon idée. Il faut de toute évidence que soit reconnu le bon fonctionnement de l'appareil. D'après les experts, le taux de précision de l'appareil, s'il est bien utilisé, est très élevé. Ce que j'essaie de vous expliquer, monsieur Mancini, c'est qu'un accusé se défend fréquemment en déclarant que, quels que soient les résultats de l'analyse, il n'a consommé que trois bières et que ses amis peuvent en témoigner.

Comment peut-on faire un contre-interrogatoire dans un tel cas? Un buveur endurci ne manifeste pas nécessairement de grands symptômes d'ébriété. La présomption peut donc se trouver déplacés, mais il faut prouver au tribunal que l'équipement n'a pas été bien utilisé. Il existe de nombreux motifs de contre-interrogatoire pour ce qui est de savoir si l'équipement a été bien utilisé.

• 1045

M. Peter Mancini: Ce que vous dites, c'est qu'il faudrait accorder davantage de poids aux témoignages de l'agent de police et du technicien qu'à ceux de l'accusé et des témoins de la défense?

M. Andrejs Berzins: C'est exact.

M. Peter Mancini: J'ai une question à poser à M. O'Neill et à M. Prithipaul. Cette question porte sur les dispositions en matière de libération à des fins de cure de désintoxication.

D'après l'expérience que j'ai des tribunaux, cet article est généralement invoqué après une troisième ou une quatrième condamnation. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, mais il me semble que la cure de désintoxication devrait être effectuée après la première condamnation. De nos jours, compte tenu de toute l'information dont nous disposons, les gens savent qu'il ne faut pas conduire lorsqu'on a bu. Lorsque quelqu'un commet ce crime, sachant que son permis de conduire peut être suspendu, sachant l'opinion que la société en a et sachant qu'il est possible de tuer quelqu'un, cela doit bien montrer qu'il est temps pour lui de subir une cure de désintoxication.

En cas de récidive, il faut appliquer des peines plus rigoureuses, si la cure de désintoxication n'a pas donné de résultats, et aller jusqu'à... Comme dans toutes les autres affaires criminelles, on impose des peines moins lourdes la première fois, mais si le nombre des délits augmente, il faut montrer à l'accusé à un moment donné qu'il a dépassé les bornes.

J'ai l'impression que nous faisons les choses à l'envers. Au départ, nous imposons des amendes et une incarcération de deux semaines. À la troisième condamnation, on déclare que l'accusé a besoin d'une cure de désintoxication. Ne devrions-nous pas procéder à l'inverse?

M. Ravi Prithipaul: Pour répondre à cela, si vous me le permettez, je dirai qu'hier matin, je me trouvais à la Cour provinciale d'Edmonton où je représentais une cliente—une femme qui élève seule ses trois enfants—et qui était accusée de conduite avec facultés affaiblies. Les résultats de l'alcootest étaient très élevés. On lui a imposé une peine pour ce premier délit. Le juge était suffisamment inquiet des résultats de l'alcootest et du style de vie qu'elle semble mener pour imposer une probation, ce qui est une peine inhabituelle lors d'un premier délit. Cette femme prenait déjà des mesures pour corriger la situation. Elle participait aux réunions des Alcooliques Anonymes deux fois la semaine. Néanmoins, le juge a jugé bon d'assortir l'amende d'une période de probation. J'ajouterai que, comme cela se fait automatiquement dans notre province, son permis de conduire est suspendu pour un an et il lui est interdit de conduire pendant trois mois.

Pour répondre à votre question, oui, nous faisons parfois les choses à rebours. Toutefois, le problème, pour les avocats de la défense, c'est que lorsque nous demandons une libération à des fins de cure de désintoxication, il faut prouver, même si cela n'est pas exigé par le Code, que la personne a besoin d'une telle cure. Il est souvent difficile de respecter ce critère lorsque l'accusé n'a pas commis d'autres délits.

Il s'agissait là d'un cas exceptionnel. D'après notre expérience—et je ne pourrais vous fournir de statistiques à ce sujet—la plupart des personnes qui commettent le délit de conduite avec facultés affaiblies ne récidivent pas.

M. Harris a dit que, dans notre mémoire, nous ne considérons pas la conduite avec facultés affaiblies comme un crime. Au paragraphe 7 de notre mémoire, à la première page, nous reconnaissons clairement le caractère moralement inacceptable et le danger inhérent de la conduite avec facultés affaiblies.

Malgré tout le respect que je lui dois, je nie catégoriquement que nous banalisons la gravité de ce délit. Dans de nombreux cas, la libération à des fins de cure de désintoxication est le moyen idéal d'éviter la récidive à long terme. Toutefois, les gens doivent vouloir aller chercher de l'aide. Il faut faire la distinction entre les gens qui conduisent en état d'ébriété une fois et ne le feront plus jamais, ces gens pour qui il serait redondant de prescrire une cure de désintoxication, et ceux qui sont susceptibles de récidive. La libération à des fins de cure de désintoxication ne s'appliquera vraiment qu'à cette dernière catégorie de délinquants.

M. Andrejs Berzins: Puis-faire une observation?

Le président: Soyez bref, s'il vous plaît, monsieur Berzins.

M. Andrejs Berzins: Oui, je ferai une observation sur la question de la cure de désintoxication et sur les raisons pour lesquelles ces dispositions ne sont pas appliquées.

• 1050

Le problème, c'est que les dispositions relatives aux cures de désintoxication du Code criminel, à titre de peine, s'appliquent de façon conjointe à une libération conditionnelle. La seule façon d'imposer une cure de désintoxication à une personne jugée coupable de conduite avec facultés affaiblies, c'est de lui imposer une libération conditionnelle. Les tribunaux estiment, à juste titre, que la libération conditionnelle ne peut s'appliquer à la conduite avec facultés affaiblies parce qu'il n'y a pas de condamnation. Les dispositions relatives aux cures de désintoxication seraient appliquées de façon plus fréquente si elles pouvaient faire partie de la peine imposée à une personne condamnée.

Le problème, c'est que je ne suis pas sûr que la province puisse trouver les installations où les gens pourront suivre le traitement curatif. C'est également un problème.

M. Peter Mancini: Monsieur le président, j'ai une demande à faire. J'ignore si le personnel peut s'en occuper, mais vu certaines déclarations qui ont été faites, je voudrais obtenir deux séries de statistiques. La première porterait sur les taux de récidive des personnes accusées. La deuxième—beaucoup plus difficile, et je comprendrais que l'on ne puisse pas l'obtenir—étant donné qu'on nous a dit que c'est une vache à lait pour les avocats de la défense, ce serait des données statistiques sur le nombre de personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies qui comparaissent devant les tribunaux accompagnées d'un avocat, comparativement au nombre de celles qui ne sont pas accompagnées d'un avocat.

Le président: Nous tâcherons de vous obtenir ces données, monsieur Mancini.

M. Peter Mancini: Merci.

Le président: Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Je voudrais également... Je ne crois pas, du moins pas en Nouvelle-Écosse, que l'aide juridique soit offerte aux conducteurs aux facultés affaiblies à moins qu'il n'y ait acte criminel...

M. Peter Mancini: C'est pour cela que je demande ces statistiques. Vous avez raison: nous avions tant de gens qui se présentaient chez nous parce qu'ils ne pouvaient pas se payer un avocat. C'est pourquoi je me demande s'il ne s'agit pas d'une vache à lait et si cela explique que l'aide juridique ait dû fermer ses portes et refuser d'offrir ses services.

M. Peter MacKay: Nous parlerons de cette question aujourd'hui lorsque nos témoins seront partis.

Je voudrais d'abord remercier l'ensemble de nos invités. Votre témoignage est extrêmement utile et révélateur. Vous êtes manifestement au coeur de la mêlée, dans les tranchées. C'est vous qui assurez la mise en oeuvre des lois concernées.

Je voudrais faire deux ou trois observations avant de poser quelques questions.

Je pense que personne dans cette salle, et encore moins parmi nos témoins invités, ne réfute le bien-fondé d'examiner ce problème particulier. On a cité des statistiques relativement au carnage sur les routes et au coût en vies humaines et en lésions. Ce qui donne à notre comité l'obligation d'agir. Donc, dès le départ, je dois dire que nous ne pouvons pas nous permettre de laisser les lois inchangées. Nous devons chercher ce qu'il faut changer.

À partir de là, que faire? M. Neville a parlé, à juste titre, de la nécessité de maintenir les présomptions et de respecter les principes de droit criminel relatifs au doute raisonnable. Cela ne va pas disparaître. Toutefois, pour ce qui est de la Charte, si M. O'Neill estime que le droit criminel est souvent un instrument contondant, je trouve, moi, que la Charte est devenue un bistouri entre les mains de certains avocats de la défense. Je ne peux pas m'empêcher de voir les choses de mon point de vue, celui du procureur, et de dire que j'ai vu des exemples de situations dont a parlé M. Berzins, où il semble que le recours à des subtilités judiciaires a causé certaines formes d'injustice. Il y a tout autant d'exemples du point de vue opposé.

Les changements qui pourraient ou devraient résulter de nos délibérations me préoccupent parce qu'ils sont susceptibles de créer un engorgement encore plus marqué des causes devant les tribunaux. Tout changement, toute modification des lois actuelles, entraînera de nouvelles contestations, en vertu de la Charte ou d'autres arguments.

C'est pourquoi j'aimerais connaître votre réaction à l'idée que certains articles du Code criminel portant sur la conduite avec facultés affaiblies deviennent des infractions à sphère de compétence absolue. Autrement dit, les infractions qui n'entraînent pas une peine d'incarcération supérieure à cinq ans seraient traitées par les tribunaux provinciaux. Elles relèveraient de la compétence absolue de ces tribunaux, sans enquête préliminaire. Je pense que ce serait un moyen d'éviter au moins certains des retards qui deviennent systématiques pour ce type de défense pénale.

M. Andrejs Berzins: Je voudrais dire quelque chose.

• 1055

Avec tout le respect que je vous dois, je pense que cette proposition aurait bien peu d'effet. Le fait est que, de toute façon, pour la vaste majorité des infractions, le procureur a recours à la déclaration de culpabilité par procédure sommaire et, même lorsqu'il y a une victime dont la mort a été causée par un conducteur en état d'ébriété et qu'il s'agit d'un acte criminel, la cause est jugée par la Cour provinciale. Je pense donc que toute modification quant au choix du tribunal compétent ne sera d'aucun effet.

Je tiens à bien préciser une chose. Les amendements que nous proposons, ou du moins que je propose, devront être examinés très soigneusement par le ministère de la Justice, pour s'assurer qu'ils sont conformes à la Charte et qu'ils peuvent soutenir toute contestation axée sur la Charte. Je pense que cela est très important. Cela dit, je le répète, il est très vrai que toute modification des peines pourrait avoir une incidence draconienne sur les tribunaux, en raison du nombre de causes.

M. Peter MacKay: J'en conclus que le recours à des conséquences plus graves aurait, selon vous, l'effet dissuasif souhaité.

M. Andrejs Berzins: J'ai dit que je n'avais pas l'intention de parler de la détermination de la peine. Ma préoccupation porte sur les procès. Pour ce qui est de la détermination de la peine, je pense que les dispositions actuelles concernant les délinquants primaires sont adéquates. Ce sont mes vues personnelles. Pour les récidivistes, je pense que la situation est plus problématique.

M. Peter MacKay: Monsieur Neville, que pensez-vous de l'idée d'en faire une sphère de compétence absolue?

M. Mike Neville: Je pense que M. Berzins a raison, monsieur MacKay. La vaste majorité des causes sont, en fait, jugées à la division provinciale. Même dans certains des cas où il y a lésions corporelles ou décès, l'accusé choisit souvent le procès au premier niveau pour des raisons de coût. Souvent, les questions examinées ne sont pas du type qui intéresse les jurys. Ce sont souvent des questions juridiques portant sur le lien de causalité ou sur des violations de la Charte et ne sauraient relever d'un jury. Donc, si l'on estime que la division provinciale a, en matière de droit pénal, une meilleure expérience de ce genre d'affaires, et c'est souvent le cas parce qu'elle en traite un grand nombre, le choix des accusés se porte sur cette division dans la plupart des cas.

Permettez-moi de vous faire une proposition au sujet du volume et des causes en attente de jugement. Selon moi, et selon la plupart des avocats de la défense que je connais, ce qui a fait considérablement augmenter le nombre des procès pour ce type d'infractions, c'est le fait que les suspensions—en tout cas en Ontario—soient passées de trois mois à un an pour une première infraction. Il y a également l'absence du pouvoir discrétionnaire d'autoriser le maintien du permis de conduire pour des fins d'emploi. Il est absolument indéniable que la quantité de travail a augmenté considérablement pour les avocats. Lorsqu'il s'agissait de choisir entre des frais judiciaires et une suspension de trois mois, certaines personnes étaient prêtes à marcher, prendre un taxi, faire du covoiturage ou à recourir à d'autres moyens de transport. Par contre, lorsqu'on a parlé d'une suspension d'un an—et maintenant on envisage trois ans—il est simplement devenu économiquement essentiel de se défendre devant les tribunaux.

Rappelons-nous que la Charte n'est entrée en vigueur qu'en avril 1982. À mesure que la jurisprudence issue de la Charte s'est élaborée, des motifs de défense se sont constitués et il y a eu encouragement à se défendre, vu les conséquences. C'est ce qui explique qu'il y ait tant de procès. C'est très simple. C'est la loi de l'offre et de la demande qui s'exprime de cette façon.

S'il y avait moyen d'accorder des privilèges sporadiques de conduite automobile afin que soient réduites les difficultés économiques subies par les personnes à charge, bien plus que par l'accusé lui-même, je crois franchement que le nombre de procès diminuerait. Les gens se défendent parce que, lorsqu'on en arrive à des questions essentielles comme mettre du pain sur la table, ils ne peuvent pas faire autrement.

M. Peter MacKay: Pour ce qui est de l'utilisation de la preuve recueillie sur place, autrement dit des preuves raisonnables qu'un policier doit obtenir, je me souviens qu'au début des années 80 on avait modifié la loi de façon à interdire aux policiers d'exiger la tenue d'un test de sobriété. Il faut désormais que cela soit volontaire. Sans nous lancer dans une discussion sur les carences des juges, des procureurs ou des agents de police en matière d'interprétation de ces initiatives, que penseriez-vous d'une mesure législative qui accorderait aux agents de police le droit d'exiger un test de sobriété, sans droit de refus, de la même façon que pour l'ivressomètre? Cela ne permettrait-il pas aux policiers d'être plus objectifs—je pense personnellement que oui—et d'éviter entièrement que soient portées des accusations si la personne en cause passe ce test de sobriété avec succès?

• 1100

M. Mike Neville: Tout d'abord, la capacité ou le droit des policiers de demander que ces tests soient faits a été maintenu. Ce que la jurisprudence actuelle ne permet pas, c'est l'utilisation des résultats en preuve, en cas d'accusation, simplement parce que le suspect n'a pas eu droit à la présence d'un avocat pendant le test. L'utilisation des tests de sobriété se fait au moment de l'interception sur la route, et il faut concilier les droits issus de la Charte en vertu de l'article 10b) et cette question.

Le fait est que, si l'on peut se servir d'appareils de mesure sur simple soupçon raisonnable de la présence d'alcool, et si les instruments sont calibrés de façon à déclencher un constat d'échec au niveau approximatif de 100 milligrammes, la nécessité de recourir à des tests de sobriété au lieu d'interception est pratiquement superflue. Si, simplement à l'odorat, il existe une suspicion raisonnable et si l'appareil est utilisé et qu'il présente un constat d'échec, cela entraîne l'obligation pour la police de s'acquitter de beaucoup d'autres obligations, à savoir l'arrestation en bonne et due forme, l'exigence d'un test d'ivressomètre, etc.

Il est franchement difficile d'imaginer une norme d'intervention plus faible que l'odorat pour les policiers, si l'on considère que cette norme leur ouvre droit à l'exercice de tous les autres pouvoirs à leur disposition. Ils n'ont pas à se poser des questions alambiquées pour savoir si le suspect avait les yeux croisés ou non, ou s'il titubait ou non. S'il y a une odeur et s'il y a constat d'échec, le suspect est arrêté.

M. Peter MacKay: Cela nous ramène à l'écart marqué...

Le président: Désolé, je dois vous interrompre, monsieur.

Monsieur Alcock.

M. Reg Alcock: Merci, monsieur le président.

Permettez-moi de dresser le contexte; je poserai ensuite quelques questions.

Il est terrible qu'une personne agisse de façon irresponsable et tue ou blesse quelqu'un d'autre. Je n'arrive pas à imaginer la rage que j'éprouverais si un conducteur rendu irresponsable par la consommation d'alcool, de drogues ou de toute autre substance écrasait l'un de mes enfants. Il y a là un contenu émotif énorme. Mais je m'inquiète toujours de nous voir parler de la loi et des droits lorsque cette charge émotive est sous-jacente.

Quelques informations personnelles. Je suis le fils d'un policier et j'ai été élevé dans le foyer d'un policier. Pendant un certain temps, nous avons habité dans une caserne. À table, depuis l'âge où j'ai pu les comprendre jusqu'à ce je quitte le foyer paternel, vers l'âge de 20 ans, j'ai entendu des histoires d'avocats véreux et de juges incompétents. Je me suis marié il y a quelques années et, tous les dimanches soirs, je rencontre ma famille étendue, dont une personne qui est mariée à un agent de police. Donc, 20 ans plus tard, je me fais encore raconter des histoires d'avocats véreux et de juges incompétents. Très franchement, je ne vois pas au juste comment le monde a changé. J'entends parler de cela tout le temps.

Je crains qu'il n'y ait dans tout cela un défaut caché. En Grande-Bretagne, on a examiné toute la question des condamnations injustifiées, notamment dans le cas des crimes très graves. Pour exprimer ce concept, les Britanniques ont inventé l'expression «corruption pour cause noble», qui signifie que l'on croit que l'aboutissement représente une noble chose pour la collectivité, et qu'il est bon de réduire le nombre de personnes qui agissent de façon irresponsable et qui commettent des actes terriblement répréhensibles dans nos collectivités.

Mais je pense qu'il faut être très prudent. M. Harris, posant sa question, s'est servi d'un chiffre. Il a dit que, pour chaque accusation, il existe 2 000 infractions. Si c'est vrai, examinons un peu les statistiques. J'aime bien les chiffres, et je me suis donc livré à un petit calcul. Cela signifie que chaque homme, femme et enfant au Canada a commis cette infraction 6,7 fois chaque année. Je pense que cela rend l'argument tout à fait fallacieux.

M. MacKay—pas que je veuille trop souvent être associé à ce que dit M. MacKay, mais il lui arrive de dire des choses que je trouve utiles—a parlé du bistouri entre les mains de l'avocat de la défense, de toute cette volonté que l'on peut avoir de se servir de la loi pour favoriser son point de vue. Si notre comité réussit à trouver un moyen d'intervenir pour que la loi fonctionne, pour que nous puissions tous—avocats de la défense, qui ont également des enfants qui conduisent dans ces localités, juges, policiers et tous les autres—empêcher de nuire ceux qui agissent de façon irresponsable, je pense que ce serait une bonne chose. Si nous réussissons à trouver des mécanismes pour faire cela, pour améliorer la situation des gens, pour dire à ceux qui ont fait la preuve qu'ils sont incapables de se conduire de façon responsable qu'ils ne pourront plus agir librement dans nos collectivités, je suis en faveur à 100 p.100.

• 1105

J'ai une question pour M. Berzins, qui a fait cette recommandation. Je n'ai jamais subi d'alcootest, mais je crois que des membres du comité ont l'intention de souffler dans le ballon après avoir pris quelques verres, pour bien comprendre comment tout cela fonctionne. Je dois dire que je ne bois pas, si bien que mes facultés seront passablement affaiblies après deux verres de vin. Mais pour autant que je comprenne, une personne qui boit deux ou trois verres de vin pendant un repas n'atteint qu'un taux de 0,05.

Je crois savoir également que d'après les statistiques, 0,3 p. 100 des Canadiens de plus de 16 ans qui conduisent sont condamnés chaque année, peu importe le degré de la condamnation. Si tel est bien le cas, en réduisant les droits de tous les Canadiens, nous allons faire courir un risque à tous ceux qui mènent une vie normale, agissent de façon responsable, conduisent leur voiture, prennent quelques verres de vin avec leur repas et ne commettent jamais rien d'irresponsable. C'est bien cela?

Vous dites que les Canadiens vont perdre leurs droits quand ils seront interceptés, et n'importe qui pourra tomber dans ce filet si nous l'élargissons de façon à faciliter... Je m'intéresse assez à cette question des arguments de défense extrêmement efficaces. Je croyais que nous avions une police très efficace et une accusation également très efficace. J'espère que les trois éléments seront très efficaces. Pour moi, l'efficacité n'a rien de négatif. Je me préoccupe, de façon générale, de toute modification du symbole que représente ce taux de 0,08 pour des raisons psychologiques, alors qu'on devrait aborder le problème uniquement en fonction des statistiques.

Voilà mon dernier argument. Dans ces statistiques, qui proviennent de Statistique Canada, on voit qu'on peut soumettre n'importe qui à l'alcootest, même si la personne mentionnée dans votre anecdote n'y a pas été soumise, je suppose; on voit que 35 p. 100 des 16 117 conducteurs qui ont subi des blessures mortelles et qui ont été soumis à l'alcootest avaient des facultés affaiblies, et moins de 8 p. 100 d'entre eux n'avaient pas d'alcool dans le sang, ou n'avaient qu'une alcoolémie de 0,01 à 0,08, ou quel que soit le seuil appliqué. De toute façon, vous savez ce que je veux dire. Donc, si on passe à 0,05, nous allons faire tomber sous le coup de la loi une partie de ceux qui, jusqu'à maintenant, avaient moins de 0,08. Donc, 2 p. 100 d'entre eux vont passer de la catégorie de ceux qui ont de l'alcool dans le sang, mais n'ont pas les facultés affaiblies, à la catégorie des facultés affaiblies. Ils devraient représenter environ 20 personnes par an.

Je me demande si cela vaut la peine de faire courir un risque à tous les gens qui se contentent de mener leur vie de façon responsable et de jouir de la vie comme nous aimons tous le faire—sauf peut-être les députés.

M. Andrejs Berzins: Je crois que vous avez tort de supposer qu'en buvant deux verres de vin lors d'un repas, on va dépasser 0,05. Ce n'est pas vrai. Celui qui boit deux verres de vin à table est bien en deçà de 0,05.

M. Reg Alcock: Est-ce que l'individu moyen a des facultés affaiblies à 0,08?

Mme Eleni Bakopanos (Ahuntsic, Lib.): Cela dépend du poids et du sexe.

M. Andrejs Berzins: D'après les spécialistes, le niveau des réflexes s'en trouve affecté.

M. Reg Alcock: Les facultés sont-elles affaiblies? Est-ce que l'aptitude à fonctionner normalement s'en trouve affectée?

M. Andrejs Berzins: Si les réflexes sont affectés, les facultés sont affaiblies. C'est exactement la signification des facultés affaiblies...

M. Reg Alcock: Une trop grande consommation de viande rouge va aussi altérer les réflexes.

M. Andrejs Berzins: Excusez-moi?

Le président: Laissons M. Berzins répondre à la question.

M. Andrejs Berzins: Les études prouvent que chez une personne normale, un taux de 0,08 affaiblit nettement certaines aptitudes, notamment les réflexes.

Je recommande que la limite légale soit fixée à 0,05 parce que tant qu'on la garde à 0,08, on fait la promotion de l'idée selon laquelle la consommation abusive d'alcool n'est pas interdite. Croyez-moi, il faut boire beaucoup pour dépasser 0,08. Et tant qu'on conserve une norme aussi élevée, on envoie le mauvais message, à savoir qu'il n'est pas interdit de boire beaucoup, tant qu'on ne dépasse pas cette limite. Si on abaisse la norme, le message auquel le public devra se conformer, c'est de boire éventuellement un ou deux verres, mais pas plus.

M. Reg Alcock: Mais le public semble...

Le président: Une dernière question, monsieur Alcock.

M. Reg Alcock: Je voudrais poser cette dernière question aux membres du groupe.

• 1110

Comme il s'agit de trouver les bons outils d'intervention, si l'on veut—et je suppose que les trois autres membres du groupe se préoccupent de défense, compte tenu de la façon dont cette séance est organisée—existe-t-il, d'après votre expérience, des éléments qui nous permettent d'identifier et d'écarter dès le début les personnes qui n'ont pas été touchées par le système actuel?

M. Mike Neville: Je vais encore une fois prendre l'exemple de l'Ontario. Selon les dispositions concernant les contrôles routiers, les programmes RIDE et les mesures de ce genre, les alcootests sont normalement calibrés pour indiquer une mise en garde à 50 milligrammes et un test positif à 100 milligrammes. Aux termes de la législation sur la circulation routière, si un conducteur intercepté lors d'un contrôle à l'improviste ou dans le cadre du programme RIDE reçoit une mise en garde—c'est-à-dire s'il a de 50 à 100 milligrammes—on lui impose automatiquement une suspension de 12 heures. Voilà votre mécanisme. De façon générale, sa voiture est remorquée, et on confisque immédiatement son permis de conduire. Il y a donc déjà un mécanisme en place pour le cas où ce genre de conducteur a affaire à la police: on peut effectivement le retirer de la circulation et lui imposer les sanctions connexes s'il décide de conduire de nouveau avant un délai de 12 heures. Les dispositions sont déjà en vigueur.

Le problème, comme je l'ai dit dans ma déclaration d'ouverture, c'est l'absence d'uniformité, car je ne suis pas certain que les mêmes dispositions existent dans toutes les autres provinces.

M. Ravi Prithipaul: Elles existent en Alberta. Si vous me permettez d'intervenir, il existe des mécanismes semblables de suspension temporaire et d'immobilisation du véhicule du conducteur.

Le président: Merci.

Nous allons passer maintenant à M. Cadman pour le deuxième tour. De ce côté, est-ce que M. Harris ou M. Brien ont des questions? Excusez-moi, c'est d'abord M. Saada.

[Français]

M. Jacques Saada: J'ai posé une question à plusieurs reprises à d'autres témoins avant vous. J'essaie de trouver une solution, mais, honnêtement, je ne l'ai pas encore trouvée. Je vais vous la poser.

Il est évident que, si les chiffres qu'on nous donne régulièrement sont justifiés, le problème de la conduite avec facultés affaiblies est surtout le problème d'un petit noyau dur de personnes qui sont en général des récidivistes et qui sont responsables d'une majorité substantielle des accidents. Les chiffres que j'avais lus à cet égard indiquaient que 1 p. 100 des personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies étaient responsables des deux tiers des accidents qui se produisent.

Quand on parle de sensibilisation, on ne parle pas des récidivistes; on parle de la grande majorité des cas, notamment de celui d'un père ou d'une mère de famille qui a eu un problème une fois, qui est tombé dans l'excès une fois et pour qui, très souvent, le simple fait de passer par le processus de l'accusation et du procès est déjà totalement dissuasif. Donc, ce n'est pas là qu'on doit chercher à apporter des correctifs.

Ceux qui composent le 1 p. 100 qui reste ont déjà résisté à des mesures coercitives imposées par la loi, qu'il s'agisse de mesures administratives ou judiciaires, qu'il s'agisse de mesures fédérales ou provinciales, et ont récidivé. Les mesures de sensibilisation n'ont donc rien donné dans leur cas et on cherche actuellement à voir comment réaménager la loi, le cas échéant, et à voir qui fait bien son travail et qui ne le fait pas, mais en oubliant un point fondamental. Ce n'est pas l'ensemble du système qui a un problème; le problème, c'est qu'il y a 1 400 morts sur les routes et que la plupart de ces 1 400 morts, quand il y a responsabilité en matière de conduite avec facultés affaiblies, sont le fait d'un petit noyau qu'on ne touche ni par la sensibilisation ni par les mesures judiciaires. Par conséquent, l'augmentation de la pénalité ou de sa sévérité ne règle rien.

Qu'est-ce qu'on fait face à ce 1 p. 100? À mon avis, en tout respect, la réduction de 0,08 à 0,05 ne me paraît pas très pertinente. En effet, beaucoup de témoins ont illustré le fait que plus la limite d'alcoolémie permise est faible, plus les juges ont tendance à tenir compte de la marge d'erreur possible. Donc, cela ne règle rien.

• 1115

Donc, ma question est entière. Qu'est-ce qu'on peut faire, de façon spécifique, pour toucher ce noyau dur, qui est à la fois insensible aux campagnes de sensibilisation et à la dissuasion inhérente à la sévérité des peines?

[Traduction]

M. Mike Neville: En toute franchise, je ne suis pas certain que cet individu soit bien différent d'un récidiviste ordinaire. Il y a des récidivistes qui sont des artistes du cambriolage, et il y a des récidivistes de l'agression sexuelle. Il se trouve que leur forme de criminalité est différente. Je ne pense pas que la législation sur le permis de conduire puisse y changer grand-chose. Souvent, ces individus vont conduire sans permis, sans assurance, alors qu'ils sont sous le coup d'une interdiction ou d'une suspension. Ils vont demander à une connaissance de leur louer une voiture ou ils vont même en voler une.

Je crois qu'il faut accepter qu'une certaine proportion de la population va commettre ce genre de crime. Le recours ultime prévu dans notre législation, c'est l'isolement pour la plus longue période possible. Si l'incarcération est la seule solution pour soustraire certains individus à ce genre de tentation, on ne saurait l'éviter.

M. Andrejs Berzins: Si vous me permettez de faire un commentaire, il est vrai que les récidivistes posent un problème et représentent une proportion importante des cas que nous rencontrons. Ce sont manifestement des alcooliques qui posent un problème très sérieux. Ce que je dis, c'est que la sanction ou la sentence appropriée dans leur cas devrait être soit une longue période d'emprisonnement qui les isolerait de la société, comme dit M. Neville, soit une cure intensive de désintoxication dans un institut spécialisé.

Je crois que c'est du dernier élément que nous manquons le plus. Comme vous le savez, ces cures de désintoxication intensive coûtent très cher et sont difficiles à obtenir, et l'individu moyen n'y a pas accès. Il serait donc utile qu'on en organise davantage et qu'on puisse donner le choix, par exemple, entre la cure et l'emprisonnement.

Le président: Merci.

Monsieur Harris, êtes-vous prêt?

M. Dick Harris: Oui. Merci.

Je voudrais revenir sur la quatrième rubrique de votre document, monsieur Berzins, où il est question de passer de 80 à 50 milligrammes. Est-ce que vous pouvez nous parler des motifs qui sous-tendent cette demande? C'est l'un des éléments qui se dégagent de cet exercice.

M. Andrejs Berzins: La question de la limite légale revêt pratiquement un caractère international, car l'usage varie d'un pays à l'autre. Dans la majorité des États américains, la limite est de 0,1 milligramme. C'est un peu plus élevé que chez nous. Mais les groupes de pression sont très actifs. MADD, par exemple, fait pression pour porter la limite à 0,08 milligramme dans différents États. En revanche, je crois savoir que dans certains pays scandinaves l'alcool est tout simplement interdit. En France, je crois que la limite est à 0,04, et qu'elle est à 0,05 dans d'autres pays.

Je fais cette proposition d'après mes observations personnelles, parce que, à en juger par les situations où j'ai vu des personnes boire avant de se soumettre à l'alcootest, je sais qu'il faut boire beaucoup pour atteindre 0,08 milligramme et malgré cela, loin de déconseiller la consommation excessive, nous semblons l'encourager. Les gens semblent considérer qu'on peut prendre quelques verres tout en restant en deçà de la limite légale. À mon avis, ce genre de croyance favorise la consommation excessive. Pour moi, la loi ne devrait pas aller dans ce sens, car en fait elle autorise la conduite après une consommation excessive d'alcool; c'est ce qui est prévu actuellement.

M. Dick Harris: Merci.

• 1120

Le président: Merci.

Ensuite, je vois sur ma liste le nom de Mme Bakopanos.

Mme Eleni Bakopanos: Merci.

Je voudrais poser mes questions à M. Neville. Tout d'abord, vous n'êtes pas le premier témoin à comparaître devant le comité qui considère que les taxes sur l'alcool sont une véritable vache à lait—pour reprendre la formule que vous appliquez à un autre groupe. Je ne suis pas d'accord avec vous, et j'affirme que les coûts des soins de santé—une autre catégorie de coûts accessoires pour le gouvernement—dépassent ce que le gouvernement peut retirer des taxes sur les boissons alcooliques.

On peut bien citer des chiffres, si vous voulez, mais je trouve ce genre de déclaration péremptoire quelque peu irresponsable. Vous n'êtes pourtant pas le premier témoin à dire cela. Les gouvernements doivent assumer bien d'autres coûts, pour les gens qui ne vont pas travailler, pour les gens qui meurent sur les autoroutes, etc.

Vous dites que la tolérance zéro serait un principe inacceptable, en vous fondant sur le fait qu'il faut laisser les idées évoluer dans la société, et tant que la société ne considérera pas—sauf erreur de ma part, c'est la façon dont j'interprète vos propos—que personne n'est autorisé à boire, la tolérance zéro ne sera pas applicable.

Est-ce que je vous ai bien compris?

M. Mike Neville: J'ai dit, je crois, que si l'on combine une politique de tolérance zéro avec une absence presque totale de pouvoirs discrétionnaires du juge, on crée presque inévitablement des injustices. Si les juges n'ont aucune latitude en matière de détermination de la sentence, par exemple, et que tous les délinquants sans exception font l'objet de poursuites, c'est-à-dire si l'on applique la tolérance zéro, on va créer des injustices, non seulement dans ce domaine, mais aussi dans tous les autres. C'est un principe universel.

Mme Eleni Bakopanos: Vous ne croyez pas que la tolérance zéro devrait s'appliquer, au départ, à ces jeunes conducteurs qui commencent à boire, pour que le message éducatif ait un effet quelconque? D'autres témoins nous ont dit—j'ai oublié de quel groupe il s'agit—qu'il y a une bonne et une mauvaise nouvelles: les jeunes qui boivent sont moins nombreux, mais ceux qui boivent causent des accidents.

Je considère le problème dans la perspective des adolescents, des jeunes, et je pense qu'il faut leur appliquer la tolérance zéro. En revanche, pour les alcooliques, je suis pour l'essentiel d'accord avec vous, à savoir qu'il faut opter pour une approche holistique. C'est aussi ce qu'ont dit d'autres témoins. Un simple changement de la loi ne résoudra pas le problème, mais je reste favorable à une telle solution pour la jeune génération, pour les conducteurs débutants.

M. Mike Neville: J'aimerais vous donner deux réponses. Je dirai pour ma propre défense qu'en ce qui concerne les taxes on fait preuve d'incohérence si, d'un côté, on fait la promotion de l'alcool dont on retire des avantages importants et que, de l'autre, on se montre intraitable avec ceux qui en consomment.

Mais surtout, en ce qui concerne votre deuxième argument, nous avons en Ontario une version particulière de la tolérance zéro pour les conducteurs débutants. Si l'un d'entre eux donne un alcootest positif et qu'il appartient à une certaine catégorie d'âge, il perd son permis de conduire. Nous avons donc en Ontario une version particulière de la formule que vous préconisez pour le conducteur débutant.

Mme Eleni Bakopanos: Oui.

M. Mike Neville: Mais encore une fois, c'est une question d'uniformité entre les provinces.

Mme Eleni Bakopanos: Est-ce que l'Ontario obtient des résultats positifs?

M. Mike Neville: Excusez-moi, je ne peux pas vous répondre d'un point de vue statistique. Peut-être que quelqu'un du ministère de M. Berzins ou du ministère des Transports de l'Ontario pourra vous le dire.

Mme Eleni Bakopanos: Merci beaucoup.

Le président: Monsieur Mancini.

M. Peter Mancini: Je voudrais poser une brève question concernant cette réduction de la limite à 0,05. Des témoins nous ont fait l'historique de la limite à 0,08 et ont parlé des premiers alcootests imposés en Angleterre en 1950. Ils ont aussi parlé de l'étude de Grand Rapids en 1964. Compte tenu de votre recommandation, j'aimerais savoir si vous connaissez ces données historiques.

M. Andrejs Berzins: Non, je ne les connais pas.

M. Peter Mancini: Dans ce cas, c'est tout.

Le président: Merci.

Monsieur DeVillers.

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président.

M. Mancini a demandé des statistiques à nos attachés de recherche, et je crois qu'il serait utile, pour le comité, de connaître exactement le nombre des personnes qui, une fois accusées, sont condamnées, soit après un plaidoyer de culpabilité, soit dans le cadre d'un procès. Selon M. Berzins, cette catégorie représenterait environ 75 p. 100 du total. Je crois qu'il a dit qu'il y avait 50 p. 100 de plaidoyers de culpabilité et 50 p. 100 de condamnations chez ceux qui subissent un procès. Si je me souviens bien, l'Association canadienne des policiers nous a donné un chiffre d'environ 96 p. 100. Je crois qu'il serait utile au comité de tirer tout cela au clair dès le départ.

• 1125

Ma question concerne la première recommandation de M. Berzins: il demande que les poursuites soient plus efficaces, qu'elles aient davantage de chances de révéler la vérité grâce à une procédure équitable et rapide. Quels que soient les chiffres réels, que ce soit 75 ou 96 p. 100, ou quelque autre pourcentage, j'ai l'impression, d'après votre recommandation, qu'à votre avis il n'y a pas de vérité ni d'équité à moins d'un taux de condamnation de 100 p. 100. C'est l'impression que m'ont faite vos propos. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.

M. Andrejs Berzins: Évidemment, je ne préconise pas un taux de condamnation de 100 p. 100. Ce ne serait ni réaliste, ni raisonnable.

Ce que je veux dire, c'est que dans la grande majorité des cas de conduite avec facultés affaiblies, tous les intervenants, que ce soit le juge, l'avocat de la défense, l'accusé ou le substitut du procureur, savent parfaitement que l'indication donnée par l'alcootest dépassait la limite légale. C'est tout à fait clair. Il ne s'agit donc pas de savoir si l'accusé a conduit après avoir dépassé la limite légale, mais au contraire de déterminer comment on va pouvoir exclure ce fait ou empêcher qu'il ne soit soumis au tribunal. Voilà sur quoi porte la procédure dans la grande majorité des cas de conduite avec facultés affaiblies.

Je reconnais qu'il existe certainement des cas de conduite avec facultés affaiblies où la personne n'a pas dépassé la limite légale, que ces cas doivent faire l'objet d'un procès et, au besoin, donner lieu à un acquittement. Je parle ici des situations où les résultats de l'alcootest sont parfaitement connus.

M. Paul DeVillers: L'élément suivant de votre première recommandation concerne la Charte; vous dites que tout projet de modification devrait être conforme à la Charte des droits et que ses conséquences pratiques pour la police... Je déduis de cette affirmation que la Charte constitue plus ou moins un exercice théorique et qu'elle ne devrait avoir aucune conséquence pratique.

M. Andrejs Berzins: Non. Voici ce que j'ai voulu dire: si l'on modifie la loi, par exemple, et si on fixe la limite à 0,05 au lieu de 0,08, comme je l'ai demandé, il va y avoir une forte augmentation du nombre des cas soumis aux tribunaux, ce qui ne sera pas sans conséquences pour la police du point de vue des taux d'appréhension et des comparutions devant les tribunaux, et on va avoir besoin d'un plus grand nombre de juges et de substituts du procureur. Je dis donc simplement que les modifications recommandées doivent être étudiées en consultation étroite avec les provinces, qui sont responsables de l'administration de la justice, de façon qu'on puisse en prévoir les conséquences pratiques pour les tribunaux.

Comme l'a dit M. Neville, la suspension obligatoire du permis pendant un an en Ontario a eu des conséquences considérables pour les tribunaux, et elle s'est répercutée également sur les autres poursuites.

M. Paul DeVillers: Merci.

Le président: Peter MacKay.

M. Peter MacKay: Si je comprends bien M. Berzins, bien que la loi soit devenue très complexe, il est toujours possible de la simplifier par une modification législative. On nous dit dans l'ensemble qu'il reste encore une certaine latitude dans ce domaine. Mais de mon point de vue personnel, il faut se préoccuper davantage de l'imputabilité que des conséquences du changement.

Et pour cela je vais poser la question suivante à M. Prithipaul—nous avons déjà été dans la même classe: il semble qu'on puisse peut-être intervenir de façon plus énergique pour exiger des alcooliques qu'ils se soumettent à un traitement et reconnaissent l'existence d'un problème. Il y aura toujours ces buveurs invétérés qui seront prêts, comme l'a dit M. Neville, à voler une voiture ou à en louer une sous un faux nom pour conduire sans permis. C'est un problème chronique. Sans vouloir trop insister sur ce point, c'est un peu comme le problème des divorcés récalcitrants. On ne peut pas le résoudre par la voie législative.

• 1130

Mais je me demande si on ne pourrait pas recourir davantage à des mesures incitatives. Le mantra des Alcooliques Anonymes, c'est que la reconnaissance de l'existence d'un problème est le premier pas vers sa solution. Comment réagissez-vous, compte tenu des implications de la Charte, à la formule du traitement obligatoire dès la première infraction? Pour ceux qui continuent de conduire après avoir bu et à qui il faut imposer constamment des sentences plus lourdes, ne pourrait-on pas envisager des mesures incitatives, non pas au niveau de la détermination de la sentence, mais par exemple en rétablissant le privilège de la conduite automobile pour ceux qui participent à des programmes publics d'éducation, qui suivent avec succès un certain nombre d'heures de traitement et qui prennent des mesures positives?

Contrairement à vous, monsieur Neville, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une liberté publique. Je crois que le permis de conduire doit toujours être considéré comme un privilège. Du moins, c'est ainsi que je le considère.

En tout cas, voilà ce à quoi je vous demande de répondre.

M. Ravi Prithipaul: Ce que vous proposez n'est pas contestable en principe. Mais comme je l'ai dit, il faut reconnaître que la motivation doit toujours venir de l'intérieur. À mon avis, si le comité envisage un changement comme celui dont vous parlez, il faudrait consulter les conseillers professionnels, ceux qui ont une expérience de ce genre de problèmes, pour leur demander quelles seront les conséquences pratiques du changement. J'ai l'impression qu'il est impossible de faire changer les alcooliques impénitents s'ils ne reconnaissent pas eux-mêmes qu'ils ont un problème.

Je donne simplement mon point de vue d'avocat en fonction de mes rapports avec mes clients. Je m'inspire de ma propre expérience, mais je me méfie de l'imposition de changements trop radicaux.

Par ailleurs, je ne sais pas de quelles mesures positives vous parlez, mais l'octroi du permis de conduire relève évidemment de la compétence provinciale. Si vous envisagez de restituer ultérieurement le permis de conduire, il va falloir obtenir la coopération des provinces.

Je peux vous dire que dans une certaine mesure le programme d'interrupteur d'allumage en vigueur en Alberta fonctionne selon le même principe. Pour l'information du comité, il s'agit d'un dispositif qu'on adapte à l'allumage du véhicule. Il est disponible pour les contrevenants albertains après l'expiration de l'interdiction imposée par le juge. Le contrevenant qui fait l'objet d'une suspension de trois mois à la première infraction peut faire une demande à la commission de contrôle des permis de conduire pour faire installer ce dispositif sur sa voiture à ses frais. S'il recommence à conduire après avoir bu, la commission a le pouvoir de prolonger l'utilisation obligatoire du dispositif.

Alors ce que je dis, c'est que dans une certaine mesure les provinces ont déjà trouvé le moyen de se pencher sur le mécanisme que vous proposez.

M. Peter MacKay: Je suppose que cela revient toujours à la question des ressources disponibles.

On a parlé des revenus tirés de la vente d'alcool et dit qu'il y a un soupçon d'hypocrisie pour ce qui est de l'argent disponible à dépenser.

Je sais qu'en Nouvelle-Écosse, ainsi que dans le cas auquel a fait allusion M. Berzins, ces programmes ne sont pas disponibles. Il est très facile pour un juge de dire: pendant votre période de probation, vous devrez suivre un programme de réadaptation pour les alcooliques. Dans les régions rurales, ces programmes n'existent pas parfois, ou sont très limités, ou la personne doit conduire pour s'y rendre. C'est le comble de l'ironie.

En fin de compte, il s'agit des priorités du gouvernement. Si le gouvernement veut mettre l'accent sur ce genre de mesures de réadaptation, il faut que l'argent soit disponible pour le faire.

Selon votre expérience, quelle est la disponibilité de ces programmes dans vos provinces?

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M. Mike Neville: Je peux vous donner un exemple concret, monsieur MacKay. De façon générale, en Ontario, la cure de désintoxication pour ceux qui ont un problème de conduite en état d'ébriété ou tout simplement un problème d'alcoolisme était d'une durée de 28 jours et se terminait par une période de suivi qui pouvait durer jusqu'à deux ans. Pour des raisons purement financières, le programme résidentiel de 28 jours est maintenant d'une durée de 21 jours. La quatrième semaine se fait maintenant sur une base externe. Pourquoi? Pas besoin de vous faire un dessin. C'est une question de coût.

M. Peter MacKay: Ils viennent juste de fermer ce service dans ma circonscription.

M. Mike Neville: Voilà.

M. Peter MacKay: Ils ont fermé leurs portes complètement.

M. Mike Neville: Avec tout le respect que je vous dois, comme M. Berzins l'a dit, l'approche holistique doit comprendre les provinces au plan de l'application de la loi. Les dépenses en soins de santé, les soins de santé eux-mêmes, et l'application du code de la route sont toutes des questions de compétence provinciale, et les provinces ont également leur mot à dire.

Pour ce qui est de la question que vous avez posée à M. Prithipaul, les nouvelles dispositions en Ontario pour l'éducation et le traitement post-condamnation sont en effet exactement ce que vous demandez. Autrefois, le permis était rétabli automatiquement après 12 mois sans que rien se fasse; il arrivait tout simplement par la poste. Maintenant, un délinquant primaire doit fournir la confirmation qu'il a suivi un programme éducatif d'une durée de huit heures, et cette confirmation est remise à la fin du programme. Le programme éducatif porte sur les méfaits de la conduite en état d'ébriété. Si vous êtes un délinquant secondaire ou un récidiviste, il s'agit d'un programme d'une durée de 16 heures, qui comprend huit heures d'éducation et huit heures de counselling ou de soins médicaux.

M. Peter MacKay: C'est administré par la province.

M. Mike Neville: Le programme est administré par la province, et ils avertissent le ministère si vous avez terminé le nombre d'heures requises, et quand vous l'avez fait, selon votre statut. Pas de permis si vous ne suivez pas le programme, et l'utilisateur doit payer.

M. Peter MacKay: Alors voilà en partie la différence.

M. Mike Neville: En Ontario, cela a été mis en vigueur en octobre 1998.

M. Peter MacKay: Donc, cela vient rejoindre ce que vous avez dit à propos de l'écart entre les diverses provinces.

M. Mike Neville: Oui.

M. Peter MacKay: Merci.

Le président: Monsieur Grose, avez-vous une question?

M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci. Je serai très bref, comme d'habitude.

Je suis très inquiet, et pas seulement pendant cette réunion ici aujourd'hui, de voir que nous nous dirigeons doucement vers cette notion que le vrai problème se situe au niveau de ce un pour cent de buveurs invétérés délinquants. Puisque je connais plus que vaguement la consommation d'alcool, je constate que la plupart des alcooliques invétérés, mais pas tous, glissent tôt ou tard dans les marges de la société. Alors pour les fins qui nous intéressent, oublions-les. Ils ne peuvent probablement pas se payer de voiture de toute façon. Ils ne peuvent pas fonctionner dans la société; alors pourquoi auraient-ils besoin d'une voiture?

Soyons honnêtes. Assistez à une réception bien ordinaire sur la Colline, et si vous ne buvez pas, observez les autres. Ils boivent trop pour pouvoir conduire, mais ils le font quand même. Allez à une soirée bénéfice où l'on sert de l'alcool, et vous verrez que les gens boivent trop, puis prennent le volant, mais ils sont là pour une bonne cause. Voilà des gens qui, par inadvertance, vont prendre le volant et tuer quelqu'un en rentrant à la maison. C'est tragique non seulement pour la personne tuée, mais également pour celle qui a tué. Il ou elle a beaucoup à perdre. Je pense que nous devons mettre l'accent sur cela.

Cessons de revenir constamment sur le cas des alcooliques invétérés, qui sont un problème tout à fait différent. Ils constituent un problème pour la société qui se situe bien au-delà de la conduite d'un véhicule. Ne tombons pas dans ce piège. Il faut nous s'examiner nous-mêmes, parce que nous faisons partie de ces délinquants. Merci.

Le président: Y a-t-il des commentaires sur la remarque de M. Grose?

M. Andrejs Berzins: Je suis tout à fait d'accord avec M. Grose. Ce qu'il dit a beaucoup de mérite.

Le président: Merci.

Y a-t-il d'autres questions avant que je lève la séance?

Puisqu'il n'y en a pas, je tiens à dire que j'ai beaucoup apprécié la présence de nos intervenants ici ce matin. Ce fut une longue matinée, mais elle a certainement été très productive pour nous. Il ne fait aucun doute que vos témoignages ont été très importants pour nos délibérations. Je vous remercie beaucoup d'être venus.

La séance est levée.