JURI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 13 mai 1999
Le président suppléant (M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.)): Le président va arriver dans quelques minutes. Pour ne pas perdre trop de temps, j'aimerais que nous commencions tout de suite.
J'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue...
Mme Eleni Bakopanos (Ahuntsic, Lib.): Monsieur le président, je voudrais invoquer le Règlement.
Je sais que tous les membres du comité ne sont pas ici aujourd'hui, mais je veux que soit consigné au compte rendu le fait que j'ai été étonnée d'apprendre hier soir aux nouvelles que le rapport de ce comité, qui ne devait pas avoir été rendu public, l'avait été. J'aimerais que lors de la prochaine réunion de ce comité, étant donné que tous les membres du comité ne sont pas ici aujourd'hui, nous voyions comment il se fait qu'un rapport qui était alors confidentiel se soit retrouvé aux nouvelles. Je veux qu'on en prenne note en prévision de la prochaine réunion. On doit étudier sérieusement comment il se fait que nos rapports, qui doivent rester confidentiels jusqu'au moment de leur dépôt à la Chambre, soient rendus publics. Je suppose que c'est l'oeuvre de membres de ce comité, parce que personne d'autre n'a eu de copie du rapport.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Merci. Je prends note de votre rappel au Règlement.
[Traduction]
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Monsieur le président, je tiens à signaler que j'ai été aussi étonné que tout le monde. Un journaliste m'a même téléphoné hier soir à mon bureau à 21 heures et j'ai refusé de lui parler. Quand je suis rentré chez moi et que j'ai mis les nouvelles, j'ai vu notre rapport.
Ce n'est pas nouveau. Notre premier rapport sur les droits des victimes avait fait l'objet de fuites. Cela fait un certain temps que ce genre de choses arrivent et vous devez tous savoir que cette question a été plusieurs fois abordées à la Chambre. Nous devrions peut-être recommencer mais je me demande vraiment à quoi cela servirait. Cela commence vraiment...
Je trouve cela tout aussi choquant que vous.
[Français]
Le président suppléant (M. Jacques Saada): J'en prends note. De toute façon, c'est la prérogative des membres de ce comité que de discuter de cette question à la prochaine occasion. Je prends donc note de tout cela.
J'aimerais entrer dans le vif du sujet et remercier M. Brian MacLeod Rogers, Mme Esther Enkin et M. Daniel Henry de leur présence ici ce matin. Dans quelques secondes, le président va venir me remplacer. Je ne fais donc office que de président suppléant. Je vous souhaite la bienvenue et vous cède la parole.
[Traduction]
M. Daniel Henry (premier conseiller juridique, Société Radio-Canada): Merci beaucoup.
[Français]
monsieur le président.
Je constate que seulement trois membres du comité sont présents. Je me demande si vous avez quorum et si nous pouvons...
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Il y a quorum pour entendre vos témoignages. De plus, votre mémoire, qui n'est pas encore disponible dans les deux langues officielles, le sera bientôt et sera distribué à l'ensemble des membres du comité.
M. Daniel Henry: Il est dans les deux langues officielles.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Il est dans les deux langues officielles?
M. Daniel Henry: Oui.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Merci beaucoup. Il sera donc distribué à tout le monde aujourd'hui même.
M. Daniel Henry: D'accord. Dans ce cas, je vais commencer.
[Traduction]
Je suis avocat au service du contentieux de la Société Radio-Canada. Je suis accompagné aujourd'hui d'Esther Enkin, la journaliste en chef du réseau de radio anglaise de la Société Radio-Canada. Nous représentons les deux réseaux, le français et l'anglais. Nous avons fait le tour du pays pour trouver des exemples illustrant notre propos. Nous avons annexé à notre mémoire de nombreux exemples de problèmes auxquels nous avons dû faire face pour donner une voix aux victimes.
Selon notre interprétation du préambule du projet de loi C-79, ces modifications ont pour but de concrétiser les principes suivants: les victimes et les témoins devraient être traités avec respect et devraient être dérangés le moins possible; leurs avis et leurs préoccupations devraient être pris en compte; ils devraient être informés des décisions qui les touchent directement. C'est dans cet esprit que nous nous adressons à vous.
• 0920
Nous avons deux messages essentiels à vous communiquer.
Premièrement, lorsque les victimes veulent s'adresser publiquement
aux médias, elles devraient avoir le droit de le faire en vertu du
droit de liberté d'expression conféré par la Constitution. Et ce
droit devrait être respecté par les tribunaux.
Cela signifie que les victimes ont le droit d'être consultées à l'avance lorsqu'une ordonnance de non-publication est envisagée, qu'elles ont le droit de demander ou de refuser une telle ordonnance et qu'elles doivent être informées de ce droit, et qu'elles ont le droit de renoncer à la protection d'une ordonnance de non-publication à tout moment sans avoir à en demander la permission à un juge puisque cette interdiction les concerne. Elle est là pour protéger leur identité, et en tant qu'adultes, les victimes devraient avoir le droit de pouvoir dire: «Je ne veux pas de cette ordonnance de non-publication».
Notre deuxième message concerne la nécessité de fixer la durée précise de ces ordonnances de non-publication. Elles devraient comporter une date d'échéance. Il serait logique à nos yeux que cette date corresponde au décès de la personne concernée. Cette ordonnance a pour but de protéger la vie privée de cette personne. Une fois cette personne décédée, elle n'a plus besoin que sa vie privée soit protégée. Constitutionnellement, étant donné qu'une ordonnance de non-publication est une restriction d'une liberté constitutionnelle—le droit de publier librement—, ces ordonnances ne devraient pas durer plus longtemps qu'il n'est nécessaire. Nous estimons qu'elle devient clairement inutile une fois la personne décédée.
Cela nous semble tomber sous le sens. Qui pourrait bien vous poursuivre pour avoir publié le fait qu'une personne, quand elle était vivante, à un moment de son histoire, a eu un problème de ce genre? Radio-Canada a été poursuivie et condamnée pour avoir rapporté non seulement ce qui c'était passé—et je vous le dirai tout à l'heure—mais aussi le contenu d'un rapport de coroner sur le décès de la personne qui donnait les détails de l'agression sexuelle dont elle avait été victime et qui avait entraîné sa mort.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, son agression sexuelle avait plongé une femme dans un tel désespoir qu'après avoir témoigné lors de l'enquête préliminaire, elle s'est rendue en ville—elle habitait à Cambridge Bay et s'est rendue à Yellowknife—pour chercher une aide qu'elle n'a pas trouvée. Elle s'est rendue chez un journaliste parce qu'elle voulait parler mais il n'était pas chez lui. Elle s'est enivrée, elle a été ramassée par la GRC et faute de surveillance adéquate de la cellule dans laquelle elle avait été enfermée pour cuver sa cuite, elle s'est suicidée.
C'était un événement très important qui en disait beaucoup sur les problèmes du système. Radio-Canada a estimé de son devoir de faire un reportage. Le coroner a jugé l'affaire suffisamment importante pour que son décès fasse l'objet d'une enquête.
La question de l'ordonnance de non-publication de son identité après son décès n'a pas été considérée séparément. Il y avait dans cette même affaire plusieurs plaignants. Le procureur a réclamé une ordonnance générale de non-publication pour tous les plaignants et pour tous les témoins, sans aucune considération particulière, et il y en avait beaucoup, chacun ayant ses propres circonstances. Deux juges ont imposé une ordonnance de non-publication pour tous les plaignants. Ce n'est qu'arrivé au niveau du juge de première instance que l'on a tenu compte des circonstances particulières des témoins mais pas des circonstances particulières des plaignants, qu'ils l'aient demandé ou non.
Quand le procès a eu lieu, rien n'a été dit sur le fait que cette plaignante, dont le témoignage provenant de l'enquête préliminaire a été versé au dossier, était maintenant décédée et n'avait pas besoin de bénéficier d'une ordonnance de non-publication.
En théorie, Radio-Canada pourrait être jugée fautive dans la mesure où nous étions présents à ce procès avec un avocat. Notre avocat était là pour dénoncer une demande de la Couronne de procès à huis clos. Radio-Canada a eu gain de cause et le procès s'est fait en public mais il restait les ordonnances de non-publication. C'était les ordonnances habituelles et nous ne les avons pas dénoncées parce que nous n'avions pas encore pris la décision de ce que nous ferions de cette affaire. Nous n'avions pas encore décidé de raconter l'histoire de cette plaignante qui s'était suicidée.
• 0925
Le procès terminé—il a duré assez longtemps—, nous avons
réfléchi à l'angle sous lequel nous raconterions cette affaire et
la décision a été prise de la raconter sous l'angle de l'accès aux
services sociaux offerts aux plaignantes. Notre reportage, comme
vous pourrez le voir à la page 19 de notre mémoire, se terminait
sur les mots suivants:
-
Pour la majorité des victimes de Maurice Cloughley, le système a
fonctionné. Malheureusement, pour l'une d'entre elles, C.K.—
—que nous nommions—
-
—il n'a pas marché. L'an dernier, K. a pris la décision de se
rendre à Yellowknife par avion afin d'obtenir de l'aide mais on l'a
retrouvée morte dans une cellule de dégrisement. K. s'était pendue.
Ces derniers mots nous ont valu d'être poursuivis par la Couronne. Au moment de la radiodiffusion, le procès était terminé et le coupable avait été condamné. La famille ne nous a jamais fait sentir que nous faisions quelque chose que nous n'aurions pas dû faire. Nous pensions rendre un service public parce que l'enquête du coroner était imminente et nous savions qu'elle avait été publiquement annoncée.
Aurions-nous dû nous rendre devant un autre juge dans une autre ville pour demander à ce juge d'annuler l'ordonnance de non- publication concernant la plaignante décédée? Nous avons pensé que ce n'était pas nécessaire parce que nous croyions que cette ordonnance était morte de sa mort naturelle. La Couronne a été d'un avis contraire. La Couronne nous a poursuivis et nous avons été condamnés.
L'enquête du coroner a eu lieu. Nous nous sommes déplacés pour faire un reportage sur cette enquête. La Couronne a dit à tous les journalistes: «Publiez quoi que ce soit du contenu du témoignage sur l'agression sexuelle qu'elle a subie et nous vous poursuivrons.» Radio-Canada ayant déjà publié son identité, nous avons décidé de la publier à nouveau car c'était son histoire que nous racontions. Nous avons publié des reportages justes et précis sur l'enquête du coroner, ce qui nous a valu d'être inculpés. Le tribunal nous a acquittés. Lorsque nous avons rapporté que nous avions été acquittés, nous avons été de nouveau inculpés pour avoir donné l'identité de la personne liée à notre acquittement.
Nous avons donc été inculpés trois fois dans le contexte de cette affaire. La troisième inculpation a finalement été suspendue. Les deux premières—l'inculpation qui nous a valu une condamnation et celle qui nous a valu un acquittement—ont été en appel. Nous voulions faire appel devant la Cour d'appel des Territoires du Nord-Ouest mais la Cour suprême du Canada nous a refusé la permission de le faire. Finalement, le tribunal a décidé de maintenir la condamnation et a ordonné un nouveau procès sur la question de l'enquête du coroner, mais nous ne savons toujours pas quels arguments nous présenterons.
Cette affaire n'est toujours pas réglée. Nous ne pouvons toujours pas vous donner le nom de cette personne. Nous ne pouvons pas raconter publiquement son histoire parce que si nous le faisions, même dans cette enceinte, ce serait une atteinte à l'ordonnance de non-publication selon la décision rendue. Une fois qu'une ordonnance est rendue, elle reste toujours en existence même si la personne est décédée et que cela ne présente aucun intérêt pour elle. Cela défit toute logique et il faut faire quelque chose.
Nous proposons à votre comité des modifications au projet de loi C-79 pour régler ce genre de problème. Nous les proposons à la page 7 de notre mémoire et nous pouvons vous les expliquer si vous le voulez.
Nous proposons que nulle ordonnance ne soit prononcée sans avoir avisé chaque plaignant, victime ou témoin; que nulle ordonnance ne soit prononcée sans avoir donné une chance à chaque plaignant, victime ou témoin, d'indiquer au tribunal s'ils désirent ou non cette ordonnance de non-publication; et que nulle ordonnance ne soit prononcée quand une personne ne le désire pas. Voilà pour les trois premiers.
Aussi, que nulle ordonnance ne demeure en vigueur si la personne protégée renonce à la protection accordée par l'ordonnance, si l'ordonnance est abrogée par un juge ou si la personne dont l'identité est protégée est décédée.
Nous vous donnons 24 exemples. Ils correspondent à un certain nombre de catégories comme par exemple les cas de personnes s'étant adressées aux médias sans faire de demande de levée de l'ordonnance auprès des tribunaux. Sheldon Kennedy est l'exemple d'une personne qui a fait une demande aux tribunaux mais la publication a commencé alors que l'ordonnance était encore en vigueur. Mount Cashel est un exemple de personnes, de victimes témoignant lors d'une enquête télévisée et ensuite après les procès. Des ordonnances de non- publication avaient été prononcées mais ces personnes pouvaient continuer à témoigner.
• 0930
Nous avons à votre disposition des lettres de soutien de
quatre victimes. Nous ne les avons pas encore versées au dossier
mais j'aimerais les distribuer avec la permission de votre comité.
Elles sont en anglais, et nous pouvons vous les fournir, si vous
voulez,
[Français]
en français si c'est nécessaire.
[Traduction]
Le président suppléant (M. Jacques Saada): La tradition veut que ce soit le comité qui prenne la décision d'accepter ou de ne pas accepter un document unilingue. C'est donc au comité de décider.
Mme Eleni Bakopanos: Pourquoi ne pas les déposer lorsque nous en aurons la version française? C'est la procédure dans ce comité.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Très bien. Veuillez nous les remettre tout de suite quand même.
M. Daniel Henry: Je peux vous les laisser sans problème. Puis- je m'y référer pendant la discussion?
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Bien sûr.
M. Daniel Henry: Si vous allez au numéro 5 de la page 7 de la version anglaise,
[Français]
et en français à la page 9,
[Traduction]
il s'agit de l'histoire d'une des victimes de Cesar Lalo, K.S. Nous l'avons simplement identifiée sous le nom de K.S.
Je demanderais au président quoi faire dans cette circonstance. Il nous a envoyé une lettre de soutien dans laquelle il s'identifie. Je ne sais pas si votre comité considérerait problématique que nous vous donnions un document dans lequel cette personne raconte son histoire et donne son nom parce que rendre ce document public pourrait, selon certains, constituer une infraction à l'ordonnance de non-publication qui dure toujours.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Vous ne vous adressez pas à la bonne personne. Je ne suis pas juriste et je ne sais pas quelles pourraient en être les conséquences.
Est-ce que quelqu'un pourrait me conseiller?
M. Daniel Henry: C'est un problème. Je vais vous en laisser une copie et ce sera à vous de décider comment procéder. L'histoire de cette personne est certainement très poignante.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Est-ce que je pourrais vous interrompre une seconde?
[Français]
Je me demande si même le fait de laisser une copie au comité n'est pas déjà une action qu'il faudrait éviter. Je l'ignore et je ne veux pas vous compromettre.
M. Daniel Henry: Il y a une exception dans la loi pour la personne qui donne de l'information dans des circonstances où l'intention est de ne pas rendre publique l'identité de quelqu'un. L'intention est de parler de ce sujet dans un contexte législatif. Alors, dans ce contexte, je pense qu'on peut déposer ce document.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): À mon humble avis, comme votre présentation d'aujourd'hui est publique, le fait de faire allusion à un document qui pourrait être déposé et qui risquerait effectivement de porter préjudice à cette interdiction pourrait nous mettre tous dans une situation un peu délicate.
Est-ce que je peux vous faire une suggestion?
M. Daniel Henry: Oui.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Ne pourriez-vous pas cacher le nom et la signature de cette personne pour tout de suite?
M. Daniel Henry: On ne doit pas voir la lettre. Dans notre dossier, il y a déjà un sommaire de sa position. Il se trouve au numéro 5 dans le document, à la page 9 en français et à la page 7 en anglais. C'est un exemple du problème.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Je ne voudrais pas que vous ou nous soyons victimes de...
M. Daniel Henry: Non, non. C'est pour cette raison que je parle de ce problème maintenant.
[Traduction]
Si nous voulons y faire référence maintenant c'est parce que c'est la propre histoire de cette personne racontée dans ses propres termes par cette personne avec les avantages cités par cette personne d'avoir raconté publiquement son histoire. Tous ses amis sont au courant. La collectivité est au courant parce que son histoire a été diffusée par deux chaînes de télévision. Ce n'est pas un secret. Mais la publication de son identité continue à faire l'objet d'une interdiction.
• 0935
À vous de nous dire si ce qui est arrivé à cette personne vous
intéresse. Pour nous, c'est une illustration du problème. C'est
l'histoire d'une vraie personne.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Pouvez-vous me donner une petite seconde? J'ai besoin de m'informer.
M. Daniel Henry: Absolument.
[Français]
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Je vais faire la chose suivante. Je sais que c'est tout à fait inhabituel et j'espère que personne ne me tirera dessus.
[Traduction]
Simplement, en tant que président de cette réunion, je vais accuser officiellement réception de votre document qui ne sera publié qu'après consultation.
M. Daniel Henry: Très bien. Merci.
M. Chuck Cadman: Monsieur le président, je ne vois pas de raison... Que se passerait-il si cette personne voulait venir elle-même témoigner devant notre comité? Lui dirions-nous que c'est impossible?
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Non, mais là est toute la question.
M. Chuck Cadman: Oui, je comprends. Tant que nous ne publions pas son nom, je suppose que cela ne pose pas de problème, tant que nous ne la nommons pas publiquement ici.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Oui, mais il faut croire que ce nom sera utilisé publiquement par les participants autour de cette table et c'est une réunion publique.
M. Daniel Henry: Non, je suis tout à fait disposé à me référer à cette personne en ne citant que ses initiales, mais je crois qu'il serait utile que vous ayez en main l'histoire de cette personne. Vous devriez avoir son adresse pour pouvoir confirmer la véracité de son histoire; ce n'est pas une invention.
C'est une illustration de l'importance pour notre auditoire que nous puissions faire ce genre d'interviews. Votre collègue vient de dire que si cette personne voulait venir témoigner, il est évident que vous l'autoriseriez parce que vous voudriez entendre son témoignage. Vous voudriez pouvoir le confirmer directement. C'est la même chose pour la télévision.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Je vous en prie, poursuivez. Je crois que pour le moment il n'y a plus de problème.
M. Daniel Henry: Merci.
Donc nous avons des lettres. Il y en a une émanant de cette personne. Au début, elle faisait l'objet d'une interdiction de publication de son identité. Il était agent immobilier et cette interdiction lui convenait très bien. Mais après un certain nombre d'années, il a décidé de rendre son histoire publique et il s'en est d'ailleurs très très bien trouvé. Aujourd'hui, il dit qu'il aurait voulu avoir son mot à dire concernant cette ordonnance de non-publication de son identité. Il estime que la publicité donnée à son histoire lui a permis de reprendre le contrôle sur sa propre vie.
Il dit:
-
L'entrevue s'est très bien passée. Beaucoup de clients m'ont appelé
pour me féliciter de mon courage. Des collègues se sont même
montrés encore plus respectueux de ma personne et de mes efforts
pour réparer des atrocités passées.
Il ajoute:
-
Entendre le récit de l'histoire d'une personne anonyme est une
chose, mais c'en est une tout autre que de pouvoir associer un nom
ou un visage aux stigmates qui sont si difficiles à faire
disparaître. Je suis heureux d'avoir pu me protéger pendant
quelques années, mais je suis tout aussi heureux d'avoir décidé de
révéler mon identité et de mettre un terme à la perpétuation du
mythe selon lequel les coupables, ce sont les victimes. Je ne
savais pas qu'il fallait que je demande à ce que l'interdiction
soit levée. Peut-être que si je l'avais su, je n'aurais pas mis le
journaliste dans une telle situation car ayant subi personnellement
tous les aléas de la procédure juridique, l'idée d'avoir à me
rendre devant un tribunal pour demander la levée de cette
interdiction ne m'aurait pas du tout souri.
C'est K.S.
[Français]
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Si vous me le permettez, je vous demanderai de terminer votre présentation d'ici deux à trois minutes pour que nous puissions passer à la période des questions.
M. Daniel Henry: Absolument.
L'exemple suivant se trouve à la page 16 de notre mémoire, version française, paragraphe 16. C'est un des exemples les plus énormes. Il s'agit de Donna Bouchard. La publication de son nom ne fait plus aujourd'hui l'objet d'une interdiction. Pour cela, il a fallu qu'elle conteste la décision devant les tribunaux, qu'elle retienne les services d'un avocat et qu'elle obtienne l'annulation de l'interdiction de publier son identité, même si au début de la procédure, elle a dit au procureur qu'elle ne voulait pas de cette interdiction. Sa description de la réaction du procureur, dans sa lettre, est intéressante:
-
Sa réaction a été assez cavalière, il a simplement dit: «Ah bon,
nous en reparlerons plus tard».
Elle est très mécontente de la procédure, très mécontente d'avoir eu à retenir les services d'un avocat et très mécontente de ne pas avoir pu décider d'elle-même quand parler de son affaire. Elle est très éloquente dans sa lettre.
Il y a deux autres exemples de personnes qui soutiennent notre position. Une autre victime du nom de Karen Pietkiewicz n'a pas été consultée au moment de l'interdiction. C'est elle qui avait dénoncé une certaine personne. C'est le paragraphe 17 dans notre mémoire. Elle a signalé qu'elle avait été sexuellement agressée par un enseignant d'une école catholique qui commettait ce genre de crime depuis 20 ans.
Elle a dû engager son propre avocat pour faire annuler l'interdiction. Elle était très mécontente de la procédure et très mécontente de ne pas avoir été consultée.
Enfin, je vous ai donné une lettre de Gloria Stefanson, aussi une victime. Elle a été consultée et elle était très contente qu'il n'y ait pas eu d'interdiction dans les circonstances qui la concernaient. Elle a la conviction qu'une victime devrait avoir le choix entre la publication ou la non-publication.
Les gens nous demandent, pourquoi faut-il que vous puissiez identifier la personne? Je voudrais demander à Esther Enkin de vous expliquer brièvement les raisons pour lesquelles nous estimons nécessaire d'identifier la personne.
Mme Esther Enkin (directrice de la rédaction et journaliste principale, Programmation des informations, Réseau de la radio anglaise de Radio-Canada): Je serai très brève.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Je voudrais simplement savoir. Monsieur MacLeod Rogers, allez-vous également faire un exposé?
M. Brian MacLeod Rogers (président, Ad IDEM (Advocates in Defence of Expression in the Media)): Absolument.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Très bien.
Mme Esther Enkin: Je serai très brève.
On nous demande les raisons pour lesquelles nous insistons, et il y en a deux. Il y a la première qui est plus générale et qui concerne le rôle important que les services d'information doivent jouer au niveau des droits et des obligations des citoyens et de leur sensibilisation à ces droits et à ces obligations civiques. La couverture de la vie judiciaire en est un élément important. La souplesse et la transparence devraient nous aider à servir cet objectif.
L'autre élément concerne la crédibilité de nos reportages. C'est tellement important qu'un manuel des politiques et des normes journalistiques à Radio-Canada contient un chapitre sur la participation anonyme. Nous croyons qu'accorder l'anonymat à un participant—c'est-à-dire utiliser leur voix dans le cas de la radio sans donner leur nom, voire en déguisant la voix, ce qui me gène encore plus à cause de l'effet de distorsion; et à la télévision, bien entendu, cela signifie ne pas montrer leur visage—sape la crédibilité du reportage, de la question importante qui est discutée.
Comme je viens de le dire, l'anonymat est pour nous une chose tellement sérieuse que tout un chapitre y est consacré dans le manuel des politiques, et les rédacteurs et les journalistes ne peuvent accorder l'anonymat sans en référer à un supérieur. Je reçois au moins un ou deux appels téléphoniques par jour d'un de mes journalistes ou de mes producteurs pour voir si c'est conforme aux critères.
Pour commencer, il faut qu'une valeur sociale le justifie. Permettez-moi de vous lire un passage:
-
Il arrive que la valeur de l'information (mesurée en termes
d'importance pour le public) qui peut être communiquée par un
participant anonyme l'emporte sur les objections à la publication
de l'identité, et la technique peut être utilisée.
Bien entendu, l'une de ces objections serait la sécurité personnelle ou l'état mental de la personne et c'est un critère pris tout à fait au sérieux. Mais si c'est le cas, il peut même être nécessaire de protéger l'identité de la personne parce qu'elle est en danger. C'est un côté de l'équation.
• 0945
Il y a un deuxième élément à satisfaire: Si leur témoignage
est d'une importance critique pour le public ou pour la sécurité du
public, alors nous accordons cet anonymat.
Si ces conditions ne s'appliquent pas, nous ne l'accordons pas. Si nous ne le faisons pas c'est parce que nous sommes persuadés que l'identité est un élément important de la crédibilité de ce que dit quelqu'un et que le nom et l'identification ont une identité. En fait, même quand nous accordons l'anonymat, le producteur ou le rédacteur doivent connaître et doivent pouvoir fournir le nom, l'adresse et la preuve de la bonne foi de la personne qui apparaît anonymement.
Cela vous donne une idée de l'importance, pour notre crédibilité de radiodiffuseurs et de journalistes, de pouvoir jeter toute la lumière et, pour les participants, de pouvoir être identifiés pour que l'on sache ce qu'ils viennent faire dans l'histoire.
Merci beaucoup.
[Français]
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Merci beaucoup.
Êtes-vous d'accord pour que nous entendions l'autre présentation?
Une voix: Oui
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Monsieur MacLeod Rogers, la parole est à vous.
[Traduction]
M. Brian MacLeod Rogers: Je vous remercie infiniment et je vous remercie de m'avoir invité. Je suis heureux de voir ceux et celles qui ont pu venir ce matin.
Je veux commencer par m'excuser. Bien que j'aie une petite connaissance de la langue française, elle ne m'est pas suffisamment familière pour que je m'y risque devant ce groupe. Et malheureusement, étant donné les délais serrés, aucun membre francophone de notre organisme n'a pu se libérer ni pour être présent ni pour aider à traduire notre mémoire.
J'ai un mémoire. Je ne savais pas jusqu'à ce matin qu'il n'était pas possible de le déposer à moins qu'il ne soit traduit. J'aimerais que vous me donniez l'autorisation pour que je puisse au moins moi-même donner des exemplaires aux membres du comité ici présents.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Merci. Bien entendu, nous nous chargerons de la traduction de notre côté pour nous assurer que ce mémoire sera publié officiellement, mais entre- temps, je vous en prie, ne vous gênez pas.
M. Brian MacLeod Rogers: Merci. Cela pourrait être utile pour les gens qui sont présents.
Deuxièmement, je m'excuse de la précipitation avec laquelle ce mémoire a été préparé. Notre organisme est éparpillé aux quatre coins du Canada et nous n'avons pas pu préparer un mémoire aussi exhaustif et élaboré que nous l'aurions aimé.
Et je m'excuse par anticipation de la possibilité inévitable d'erreurs typographiques dans ce mémoire.
Je tiens également à m'excuser du fait que nous participions aussi tardivement à cet exercice. Je vais vous expliquer dans un instant ce que Ad IDEM est, mais nous n'existions pas lorsque le rapport de votre comité a été déposé à l'automne dernier. Nous sommes un organisme tout nouveau et nous n'avons pas encore pris toutes nos marques. Nous travaillons sur une base purement bénévole. Je suis ici à mes propres frais. Il est évidemment difficile de faire ce que nous aimerions faire chaque fois que les délais sont courts.
Ad IDEM est une association nationale d'avocats qui pratiquent dans le domaine du droit médiatique, représentant la majorité des organismes de médias et leurs journalistes au Canada. Nos membres ont une expérience quotidienne des lois qui touchent la liberté d'expression et influent sur le rôle des journalistes et le contenu de ce que les médias publient sur une base quotidienne.
Un des principaux objectifs de notre association est d'élargir et de renforcer la liberté d'expression de tous les Canadiens, reconnaissant que nombre d'entre eux dans ce pays, en tant qu'auditeurs et que lecteurs, dépendent des médias pour leur fournir des renseignements sur les procédures juridiques et l'administration de la justice, les questions que vous examinez en ce moment. Bien que les prétoires canadiens soient ouverts au public, peu de Canadiens ont le temps ou la possibilité de suivre les myriades de procédures qui ont lieu tous les jours, et les médias doivent les représenter, devenant leurs yeux et leurs oreilles.
De plus, les membres des médias et leurs représentants légaux, les membres d'Ad IDEM, se chargent très souvent de déclencher des procédures pour protéger le principe de transparence dans notre système judiciaire. C'est ainsi, malheureusement, que les choses fonctionnent dans notre pays. Cela peut prendre du temps et être difficile et il n'est pas toujours possible de le faire pour des raisons financières et autres. De notre point de vue, il est hautement souhaitable d'avoir une loi qui réduit au minimum la nécessité du recours à de telles procédures et préserve et protège d'une manière tout à fait claire le système de justice publique du Canada.
• 0950
Je veux qu'il soit clair que notre principal préoccupation au
sujet du projet de loi C-79 porte sur une question très limitée,
une modification bien précise au Code criminel. Nous apprécions que
le comité ait pris tant de temps pour consulter les organisations
de défense des victimes, ainsi que le travail effectué par le
ministère de la Justice; il en a résulté le projet de loi C-79.
Nous reconnaissons qu'il y a des préoccupations très valables auxquelles il faut répondre que les victimes ont un rôle important à jouer dans le processus judiciaire. Mais je tiens à dire que les victimes ne sont pas les seules personnes à être protégées ou touchées par les modifications proposées. On va au-delà de la simple protection des victimes, et c'est ce qui nous préoccupe.
Nous craignons qu'une voix, un élément, ait été omis du processus par inadvertance, soit la voix qui défend le principe fondamental de l'ouverture et de la libre expression comme partie inhérente et essentielle de notre système judiciaire. Nous arrivons tard, mais nous serons cette voix, et nous espérons à l'avenir participer bien plus tôt au processus pour apporter une contribution utile dès le départ.
Je suis un plaideur et les litiges me passionnent. Mais ce qui nous préoccupe notamment dans ces propositions, c'est qu'il y aura de nombreux procès qui risquent de nuire à l'intérêt réel de ce projet de loi et de bafouer particulièrement les droits des victimes—sur lesquels se penche à bon droit le comité—et les empêcher d'avoir ce qu'elles veulent.
Je ne vais pas lire tout le mémoire, que vous avez. Je vais au moins vous présenter les synopsis qui s'y trouvent, puis s'il reste du temps, je parlerai plus particulièrement de certains amendements qui nous intéressent.
La plus grande garantie du fonctionnement efficace du système judiciaire, c'est l'examen public. Sans cela, aucune démocratie ne peut avoir un système judiciaire vraiment intégré à la société et accepté par elle. Ce n'est que par des comptes rendus détaillés de procès réels, chaque jour, que les gens peuvent apprécier et comprendre le système judiciaire. On ne peut y arriver par des dissertations impersonnelles sur les rouages de la justice.
C'est en suivant les procédures à partir du crime initial, avec toute l'horreur qu'il peut receler, en passant par l'enquête, les accusations, les procédures préliminaires, le procès et jusqu'aux appels éventuels, qu'on peut le plus efficacement renseigner et informer le public sur le système judiciaire. Le public peut s'identifier à la victime, comprendre comment le crime s'est produit et suivre toute la procédure pour juger par lui-même de l'efficacité du système.
Il existe déjà des lois très exhaustives sur ce qui peut être publié, et dont la portée est plus grande que dans bien d'autres juridictions. En jetant l'anonymat sur chacune des étapes dont j'ai parlé, on ne fait que rendre les procédures plus étrangères, impersonnelles et difficiles à comprendre. Ceux qui essaieront de suivre une affaire criminelle perdront inévitablement de vue les personnes en cause, les victimes seront dépersonnalisées, et les gens pourront oublier que ceux qui ont été touchés pourraient être leurs voisins, leurs collègues de travail ou d'autres personnes comme eux-mêmes.
• 0955
Il est parfois difficile de respecter ce principe fondamental,
à cause des circonstances d'une affaire particulière ou des effets
de cette affaire sur une personne donnée. Ces principes ne semblent
jamais aussi importants que les faits en cause, qui exigent qu'on
fasse quelque chose. J'ai vu ce genre de situation. Je comprends
qu'on veuille agir. Je comprends les émotions qui sont suscitées.
Pourtant, plus on ignorera de tels principes, plus on les bafouera, plus on empiétera sur eux, plus ils seront érodés, plus il sera facile de le faire de nouveau à l'avenir. Aujourd'hui, nous nous préoccupons des témoins et des victimes, mais demain, il faudra penser à ceux qui ont été accusés et qui sont en fait innocents. On prétendra que les accusés, qui jouissent de la présomption d'innocence, doivent aussi être protégés par une interdiction de publication de leur identité, car autrement, il en seront marqués pour la vie.
Conscients du problème, les tribunaux ont dit que, peu importe les sensibilités d'une personne, la règle à appliquer est la suivante:
-
Même si la publicité de ces procédures peut comporter des
inconvénients pour la personne directement en cause, il est
extrêmement important pour le public que les procédures des cours
de justice soient connues de tous. L'avantage que tire la société
de la publicité de ces procédures fait amplement contrepoids aux
inconvénients que subit l'individu dont les agissements sont ainsi
visés.
Cet arrêt de la Cour suprême du Canada que je viens de citer est antérieur à la charte. Or, étant donné l'existence de la charte, il m'apparaît encore plus important de reconnaître le principe de l'accès aux procédures judiciaires afin que le public puisse savoir, critiquer et avoir des discussions informées sur l'administration de la justice et le déroulement des procédures juridiques. C'est la clé de voûte de toute démocratie et ce fait est maintenant reconnu.
Les médias ont pour mission d'être les yeux et les oreilles du public, comme je l'ai dit plus tôt, afin que grâce aux comptes rendus des médias, ceux qui écoutent et les lecteurs puissent être renseignés au sujet des procédures en cours. La Cour suprême du Canada a reconnu la validité de ce principe depuis l'entrée en vigueur de la charte et nous en faisons état dans notre mémoire.
Il va sans dire que dans certains cas il convient de protéger les victimes et nous ne contestons pas l'opportunité de le faire dans les causes où il est question d'infraction d'ordre sexuel. Or, le pouvoir discrétionnaire d'interdire la publication à la demande non seulement des victimes mais aussi des témoins, et peu importe la nature de l'infraction—pas uniquement les infractions d'ordre sexuel mais aussi toutes infractions au Code criminel—fait problème puisqu'on n'exige pas d'en démontrer la nécessité ou le mal que causerait l'absence de cette interdiction. À mon avis, si l'on n'exige pas que preuve soit fait d'un méfait public précis, le projet de loi ne tient pas suffisamment compte des protections de la charte et des conséquences que pourraient avoir ces atteintes aux droits garantis par la charte.
J'estime aussi qu'on n'a pas accordé suffisamment d'importance au raisonnement soigné du juge en chef Lamer dans l'arrêt unanime qu'il a rédigé au nom de la Cour suprême du Canada dans la cause Dagenais qui portait sur l'interdiction de diffusion dans tout le Canada du film Les Garçons de St-Vincent. Dans cet arrêt, le juge en chef s'est penché sur l'opportunité des ordonnances de non- publication dans le cours de poursuites au criminel et il a rejeté la pratique courante en common law qui subordonnait la liberté d'expression à la garantie d'un procès équitable. Il a énoncé des lignes directrices dont doivent s'inspirer les tribunaux saisis de requêtes de non-publication. Il m'apparaît important d'examiner les propositions de ce projet de loi au regard des motifs énoncés dans cet arrêt.
• 1000
Nous faisons état dans notre mémoire des réserves que nous
avons à l'endroit du projet de loi. Je vais les expliquer
brièvement.
Premièrement, nous nous inquiétons de la définition, ou plutôt de l'absence de définition, du terme «victime».
Deuxièmement, les limites relatives à la publication des renseignements qui permettraient d'identifier les victimes et les témoins nous préoccupent du fait qu'elles sont différentes de celles que l'on trouve dans d'autres lois. Par exemple, dans le projet de loi, il pourrait y avoir ordonnance de non-publication pour tout renseignement qui permettrait—je dis bien qui permettrait—de découvrir l'identité de la victime ou d'un témoin. Par contraste, dans la Loi sur les jeunes contrevenants et dans les modifications à cette loi contenues dans le projet de loi C-68, il est question de tout renseignement de nature à révéler l'identité—c'est un critère beaucoup plus clair.
Troisièmement, nous avons des réserves à l'endroit du critère prévu dans la loi en ce qui a trait au pouvoir discrétionnaire d'interdire la publication ou de protéger l'anonymat d'une personne sur demande. Les témoins, et pas uniquement les victimes, pourront présenter une telle demande peu importe la nature de l'infraction. Nous soutenons, comme nous l'expliquons dans notre mémoire, que le critère imposé n'est pas conforme aux garanties de la charte ni aux motifs de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dagenais.
Permettez-moi de vous donner l'exemple de la protection de témoins qui craindraient les représailles ou l'intimidation ou encore d'autres violences du fait qu'ils ont témoigné. Comment une ordonnance de non-publication aidera-t-elle ces témoins quand l'accusé aura connaissance de leurs témoignages et connaîtra leur identité puisqu'il a le droit de présenter une défense pleine et entière? L'accusé connaîtra l'identité de ces témoins et tous ceux avec qui ils pourront communiquer connaîtront aussi l'identité de ces témoins. Qui allez-vous protéger en imposant une interdiction générale de publication de l'identité du témoin? Il faudrait plutôt garantir à ces gens la protection de l'État contre toute menace de violence ou d'intimidation. L'ordonnance de non-publication ne garantit pas cette protection.
Nous soulignons ensuite qu'il n'existe aucune obligation d'avertir explicitement les médias d'une interdiction de publication qui pourrait les toucher même si c'est prévu dans l'arrêt Dagenais.
Le projet de loi prévoit une interdiction de publication obligatoire—il ne s'agit pas d'une ordonnance de non-publication prononcée à la discrétion d'un tribunal mais bien d'une interdiction obligatoire—de tout renseignement relatif au contenu de la demande et à tout élément de preuve, de renseignements ou d'observations présentées lors d'une audience pour décider si l'ordonnance doit être rendue, audience à laquelle le témoin ou la victime demande et obtient l'interdiction de publication de tout renseignement qui permettrait de découvrir son identité.
Je ne comprends absolument pas pourquoi, si vous interdisez la publication de l'identité de la personne et donc de tout renseignement relatif à la demande et à l'audience, pour décider si l'ordonnance doit être rendue, pourquoi il faut interdire la publication des renseignements sur les motifs de la demande. Cela est contraire à l'objectif visé puisque cela équivaut à cacher les motifs pour lesquels un juge conclut qu'il est opportun et nécessaire d'imposer une telle interdiction. Personne d'autre ne connaîtra ces motifs et personne ne sera en mesure de juger si la décision était fondée et encore moins si la même décision s'impose dans d'autres cas ou dans d'autres causes où ces personnes pourraient elles-mêmes envisager de demander et d'obtenir une telle interdiction.
• 1005
Le dernier argument que nous présentons dans notre mémoire est
lui aussi mentionné dans la décision du juge en chef dans l'affaire
Dagenais, à savoir l'absence d'un droit d'appel dans la loi. Si la
victime ou le témoin n'obtient pas l'ordonnance demandée, ou encore
si l'ordonnance est rendue et que les médias ou d'autres personnes
s'y opposent, le seul recours, à l'heure actuelle, si l'ordonnance
est rendue par un juge d'une cour supérieure, c'est de demander
l'autorisation de se pourvoir en appel directement à la Cour
suprême du Canada. Le juge en chef Lamer, que nous citons dans
notre mémoire, a supplié les assemblées législatives, le Parlement,
de légiférer pour corriger cette lacune qui existe dans la loi
actuellement. Cette lacune persiste. Elle n'est pas corrigée dans
le projet de loi. Cette lacune peut porter préjudice à ceux-là même
que vous voulez protéger, les victimes, aussi bien qu'à d'autres
parties à l'audience d'une telle demande.
Voilà mon exposé. Il va sans dire que je me ferai un plaisir de donner de plus amples détails, mais, vu le peu de temps qui nous est imparti, j'ai cru bon de présenter les points saillants de notre mémoire.
Le président suppléant (M. Jacques Saada): Merci.
Je vous signale que nous devrons aller voter vers 10 h 40. La sonnerie retentira. Celle que nous entendons maintenant signale tout simplement le début des travaux à la Chambre, mais nous serons plus tard convoqués pour un vote.
[Français]
Je vous remercie beaucoup. Si vous le permettez, nous allons maintenant passer aux questions.
Monsieur Cadman, vous avez sept minutes.
[Traduction]
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier les témoins de leur témoignage. Il y a là matière à réflexion. J'aimerais poser très rapidement quelques questions sur le premier exposé surtout, sur l'interdiction de publication dans le but de protéger la victime.
Je comprends bien qu'une personne souhaite parler de son cas et je comprends bien tous les obstacles que crée la loi. Qu'en est- il d'une mère qui aurait été victime d'agression sexuelle et qui voudrait raconter son histoire tout en craignant les conséquences que cela pourrait avoir pour ses enfants? Ce n'est qu'un sujet de réflexion. Nous savons comment agissent les enfants à l'école.
Mme Esther Enkin: C'est un véritable problème et en journalisme, notre code de conduite nous oblige dans tous les cas à demander quels sont les avantages et quels sont les dangers. En vertu de ce projet de loi qui vise à donner aux victimes un certain contrôle sur leur vie, si une femme adulte veut raconter son histoire, alors on peut supposer qu'elle a bien pesé les conséquences pour ses enfants et pour sa famille.
M. Chuck Cadman: C'est à espérer.
Mme Esther Enkin: C'est à espérer. Le code de déontologie des journalistes—et je ne peux parler qu'au nom de la SRC et de ceux qui relèvent de moi, et nous ne vivons pas dans un monde parfait—exige d'eux qu'ils posent la question de savoir ce qui est bien et ce qui est mal. Quand une femme victime d'une agression sexuelle se sent suffisamment en confiance pour vous raconter ce qui lui est arrivé, cette relation de confiance doit être respectée. On peut supposer que le journaliste et le rédacteur en chef en ont parlé avec celle qui veut se raconter.
Mais, en dernière analyse, on part du principe que les adultes sont aptes à prendre des décisions pour elles-mêmes, et dans le cas des parents, pour leurs enfants. C'est un véritable pensez-y bien et la sensibilité... Ce n'est pas parce que nous utilisons le nom de la personne que nous allons exploiter bassement les détails de l'agression. En règle générale, si la crédibilité de notre reportage dépend de la présence du principal intéressé, c'est qu'il y a aussi d'autres enjeux.
Dans le cas survenu dans les Territoires du Nord-Ouest, il s'agissait de savoir quels autres services sociaux étaient offerts aux victimes. Qui les prenaient en charge? Il y avait là des questions de politique sociale et de justice. Souvent ce n'est pas l'agression même ou les détails de l'agression qui nous intéressent ou qui pourraient aider à mieux faire comprendre l'incident. Dans certains cas, c'est à espérer que cela contribue à atténuer l'effet.
M. Chuck Cadman: Je comprends bien ce que vous nous dites mais tous les journalistes n'ont pas le même respect de la déontologie, et c'est ce qui m'inquiète.
M. Daniel Henry: Je me permets d'ajouter que l'expérience que j'ai de ces dossiers—je suis avocat à la SRC depuis 20 ans et on me demande régulièrement ce que l'on peut publier dans certaines circonstances là où il y a ordonnance de non-publication—m'amène à conclure qu'habituellement tout le monde connaît les détails. Les rumeurs circulent rapidement. C'est rarement un secret. Ainsi, souvent les gens s'adressent à nous pour que la vérité puisse être dite publiquement afin de dissiper les rumeurs.
• 1010
Le cas de Donna Bouchard est un exemple parfait. Je vous
invite réellement à lire sa lettre dans laquelle elle dit que la
fille d'un avocat de la poursuite allait à la même école et avait
dit à ses amis quÂelle, Donna Bouchard, était partie à une
procédure judiciaire dans un cas d'agression sexuelle. Les gens se
sont mis à croire qu'elle avait commis l'infraction. Mais c'était
elle la victime. Elle voulait dire aux médias: «Écoutez, je suis la
victime.» Elle a dû s'embaucher un avocat et s'adresser aux
tribunaux pour faire taire la rumeur. Cela l'a grandement aidée.
Il ne s'agit donc pas de révéler l'identité d'une personne qui s'y oppose. Nous disons qu'il s'agit d'adultes et qu'ils devraient pouvoir prendre leurs propres décisions. Et bien franchement, je soupçonne que les procureurs en viendraient rapidement à rencontrer les victimes avant que ne soit prise une ordonnance de non- publication. On pourrait même publier une brochure qui expliquerait quels sont les problèmes, les inconvénients, les droits de renoncer ultérieurement aux privilèges, même quelques années plus tard. La victime saurait que la décision dépend d'elle.
J'ai le sentiment que c'est ce que souhaitent les victimes. Elles veulent reprendre le contrôle de leur vie. Elles ne veulent pas être obligées de demander à un juge la permission de chercher la solution à leurs problèmes.
M. Chuck Cadman: Le cas des victimes décédées me préoccupe encore plus. Je ne voudrais que l'on découvre l'identité d'une victime et qu'on fouille ensuite son passé et qu'on révèle des faits tout à fait étrangers à l'infraction ou à l'agression. Il ne faudrait pas que l'on dise «Non, cette personne n'avait rien d'une sainte et voilà pourquoi», et que l'on se mette à étaler son passé...
Vous dites essentiellement que l'interdiction devrait être levée automatiquement dès le décès. Si nous décidons de ne pas aller jusque là, qui à votre avis devrait avoir le pouvoir de décider si l'interdiction doit être annulée ou pas? Ce droit devrait-il appartenir aux parents, aux proches?
M. Daniel Henry: Non. À notre avis, rendu là il n'y a plus aucun contrôle car tout cela est chose du passé. S'il s'agit en vertu du common law de protéger la réputation de quelqu'un contre le libelle diffamatoire, alors il n'y a aucun moyen de contrôler la réputation d'une personne décédée. Après le décès d'un politicien, par exemple, on écrit toutes sortes de choses sur eux qui ne sont pas nécessairement vraies et des opinions divergentes sont aussi publiées de sorte qu'en définitive ce sont les historiens qui rétablissent la vérité.
Dans un cas comme celui-ci où les allégations portent sur des faits vieux de 20 ans, si la personne n'est pas en politique ou n'occupe pas une charge publique, alors il est fort probable que les faits ne seront jamais publiés. Ils ne le seront que pour les cas comportant des enjeux plus larges. Les médias nÂont nullement besoin de publier... Ce ne sont pas les histoires qui manquent. Ils ne les publient que si cela a une certaine valeur aux yeux de la rédaction.
Dans le cas de cette femme, il y a eu enquête du coroner après sa mort et vous admettrez, je pense, qu'il était important de parler publiquement de ce cas pour que ses amis puissent apprendre les faits et venir témoigner à l'audience. La seule façon de faire toute la lumière sur le cas c'est de savoir qui était la victime.
Il existe de nombreuses raisons liées à l'intérêt public qui nous amènent à vouloir parler de cas semblables. Or, il y a une anomalie sur le plan pratique. Beaucoup de femmes sont agressées sexuellement puis tuées. Tout le monde sait que la victime a été agressée sexuellement. Il s'agit alors de retracer le coupable et les faits entourant l'agression sexuelle sont largement diffusés. Les seuls cas où il n'y a pas de publicité c'est quand une personne devient plaignante.
Supposons qu'il y a décès. S'il y a interdiction de publication des détails de l'agression sexuelle, si l'on veut vraiment raconter l'histoire de cette personne, on peut parler de sa détresse et d'autres faits marquants de sa vie. Toutefois, il serait impossible de raconter toute la vie de la victime.
Qu'arrive-t-il si quelqu'un veut jeter un éclairage sympathique sur la vie de la victime? Supposons que quelqu'un veuille dire dans un article nécrologique: «C'était une merveilleuse personne. Elle a eu des problèmes à une certaine époque de sa vie mais a su les surmonter avec courage. Voilà qui c'était.» Faut-il obtenir la permission du tribunal avant de publier un tel texte? Je pense que non.
M. Chuck Cadman: Ce qui m'inquiète c'est que tous n'ont pas les mêmes réticences. Je ne vois certainement pas de problème dans certains des exemples que vous citez.
Je peux vous parler d'un cas survenu il y a quelques semaines à peine, celui de Reena Virk. Un journaliste a demandé à voir les photos d'autopsie. Là j'avais énormément de difficulté à accepter une telle requête. À quoi cela aurait-il servi? Si les médias veulent décrire de façon réaliste la brutalité d'un crime, ne devraient-ils pas pouvoir se contenter des paroles du pathologiste? Le fait est qu'une jeune fille de 14 ans a été tuée brutalement. C'était un exemple de brutalité. Il n'est pas nécessaire de publier les photos d'autopsie. Je sais bien qu'on n'a pas demandé l'autorisation de les publier mais une fois engagé sur cette pente...
Voilà ce qui m'inquiète.
Monsieur MacLeod Rogers, voulez-vous ajouter autre chose?
M. Brian MacLeod Rogers: Je me contenterai d'ajouter que la définition de «victime» dans le projet de loi élargit la portée de la loi actuelle à tel point qu'elle pourrait englober les personnes décédées—décédées au moment où les accusations sont portées. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais, pour ma part, cela m'apparaît insensé. Il m'apparaît important de savoir qui est la victime, de la rendre bien réelle. C'est un autre aspect troublant qui se rattache aux questions que vous posez, tout en étant bien distinct.
Ainsi, si j'interprète correctement le projet de loi, une personne pourrait être visée par une ordonnance de non-publication même si elle est déjà décédée.
Le président (M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.)): Merci, monsieur Cadman.
Monsieur Saada.
[Français]
M. Jacques Saada: S'il y a une interdiction qui frappe une victime, quand celle-ci n'est pas d'accord, cela signifie qu'on la prive de sa liberté d'expression. Êtes-vous d'accord?
Une voix: Oui.
M. Jacques Saada: Cela en ferait presque doublement une victime. Cela, je peux le comprendre.
Dans votre mémoire, monsieur MacLeod Rogers, vous avez posé un problème ayant trait à la définition de ce qu'on appelle une victime. Autrement dit, cette liberté d'expression dont on parle s'appliquerait à quelqu'un dont on ne connaît pas très bien l'identité. Est-ce qu'il n'y a pas un danger à vouloir restaurer la liberté d'expression à une victime dont on ne sait pas qui elle est?
[Traduction]
M. Brian MacLeod Rogers: Je suis tout à fait d'accord avec vous. La définition de «victime» que l'on retrouve dans le projet de loi est incroyablement imprécise et risque d'ouvrir la porte à des abus. Si nous en faisons une lecture littérale, il n'y a aucune raison de croire qu'elle n'engloberait pas une banque, un dépanneur, une entreprise quelconque, et toute personne, morte ou vivante. Je suis donc d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il y a possibilité d'abus et de contestation au regard de la charte puisque le terme est vague au-delà de tout ce qui est raisonnable.
Je crois aussi que le comité devrait se pencher sur cette question. J'ai proposé un amendement à la définition qui permettrait de corriger le problème.
[Français]
M. Jacques Saada: Merci.
[Traduction]
Lorsqu'une victime est prête à accepter qu'il n'y ait pas d'ordonnance de non-publication, et que le juge décide d'imposer néanmoins l'interdiction—et si dans les circonstances il n'y a aucun doute sur l'identité de la victime—, sur quel motif pourrait s'appuyer le juge pour prononcer l'interdiction? Je crois comprendre—et vous me corrigerez si je me trompe—que le juge peut à l'heure actuelle imposer ou non une interdiction de publication, à sa discrétion. Quel motif aurait le juge d'imposer une telle interdiction à l'encontre des voeux de la victime même? Pourquoi le ferait-il?
M. Daniel Henry: Le juge pourrait souhaiter protéger la victime. Dans le cas de Donna Bouchard, le juge de la Cour provinciale a refusé d'examiner l'opportunité de l'interdiction de publication et l'a maintenue malgré les voeux de la victime. Il a motivé sa décision en disant que si la victime était disposée à parler aux médias, malgré le droit qu'elle avait de le faire, cela pourrait avoir des répercussions sur le droit à un procès équitable des autres parties. Un autre juge a annulé l'interdiction ultérieurement en alléguant présumément que le raisonnement était faux car le droit à un procès équitable est protégé par d'autres moyens et non pas par l'interdiction de divulguer l'identité d'un témoin.
Il y aurait aussi un problème si plusieurs victimes étaient apparentées. Si une victime a le droit de parler, ne risque-t-elle pas de révéler l'identité d'une autre victime? Je comprends cela. La loi doit être claire et je pense qu'elle le serait si elle était modifiée comme nous le proposons. La loi dirait clairement que si une victime a le droit de parler, cela ne lui donne pas le droit d'aller à l'encontre d'une interdiction de publication de l'identité d'une autre personne. J'ai donc le droit de parler—comme nous le faisons dans l'immédiat—sans toutefois enfreindre une interdiction valide existante. C'est un fait qu'un juge voudrait sans doute prendre en considération.
Si vous vous contentez de dire à une personne: «Vous avez le droit de parler», et la loi l'autorise clairement, alors les médias, assujettis à l'interdiction, sauraient qu'ils ne peuvent néanmoins pas publier les propos de cette personne si ces propos devraient permettre de découvrir l'identité d'une autre personne, car cela nous amènerait à enfreindre une autre interdiction. Ainsi, dans la pratique, dans la réalité, une telle règle serait acceptable puisque c'est ce que nous faisons déjà. Chaque fois que des renseignements nous parviennent, nous les analysons pour voir s'il y aurait infraction d'une ordonnance de non-publication et nous tentons de ne pas passer outre aux limites des ordonnances de non-publication.
M. Jacques Saada: Ne pensez pas, à cause de ma question, que je nie ce que vous avez dit, mais j'aimerais comprendre un peu mieux. Je suis un simple citoyen. Je n'ai aucune formation juridique. Disons que je sois la victime. Je demande que soit levée l'interdiction ou je demande qu'il n'y ait pas d'ordonnance de non- publication. Une autre victime dans la même situation pourrait ainsi perdre la possibilité d'obtenir l'ordonnance qu'il ou elle souhaite.
M. Daniel Henry: En effet.
M. Jacques Saada: Je ne peux que m'en remettre à mon jugement pour déterminer quelles limites je dois respecter lorsque je parle à la presse.
Mme Esther Enkin: Non. La presse a des obligations.
M. Daniel Henry: La responsabilité est celle de la presse. Voyez-vous, il ne s'agit pas d'une ordonnance de se taire, mais d'une ordonnance de non-publication. Si nous publions des renseignements qui permettent d'identifier la personne protégée par l'ordonnance, nous commettons une infraction criminelle.
M. Jacques Saada: Je comprends.
M. Daniel Henry: Chaque organisation médiatique a un avocat à qui on fait appel avant d'aller de l'avant. Dans ce genre d'affaire, on est extrêmement prudent. En réalité donc, il n'y a pas de problème. À vrai dire, sur le plan pratique, ce n'est pas un problème.
Mme Esther Enkin: Disons que vous êtes une victime et que vous venez me dire à moi, journaliste: «Je veux vous raconter mon histoire». Si j'écris l'histoire et que je la montre à Dan, mon avocat et qu'il me dise: «Non, vous identifiez ainsi les autres plaignants ou les autres victimes», je ne pourrai pas le publier. Voilà essentiellement comment cela fonctionne.
[Français]
M. Jacques Saada: Merci beaucoup. Merci de votre présentation et de votre patience au début de la réunion.
M. Daniel Henry: Merci.
[Traduction]
Le président: La sonnerie nous convoque au vote. C'est une sonnerie d'une demi-heure et donc nous allons continuer environ 12 minutes encore, au besoin.
Monsieur Lee.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci, monsieur le président.
J'en conclus que tous les témoins exhortent la Chambre à faire une distinction réelle entre les victimes, comme groupe, et les témoins, comme groupe, ce que le projet de loi ne fait pas. Ai-je raison?
M. Brian MacLeod Rogers: C'est certainement le cas dans notre mémoire.
Je ne sais pas ce qu'il en est du vôtre, Dan.
M. Daniel Henry: C'est ni plus ni moins le cas. Nous acceptons que les plaignants dans des affaires d'agression sexuelle doivent avoir le droit d'obtenir une ordonnance si c'est ce qu'ils ou elles veulent. C'est ce «si c'est ce qu'ils ou elles veulent» que nous voulons faire ajouter.
• 1025
En ce qui concerne les témoins, la loi telle que vous la
présentez, comporte une anomalie. Les témoins dans les affaires
d'agression sexuelle, à notre avis, doivent être traités
conformément à tous les critères que vous avez énoncés dans vos
amendements au projet de loi C-79—est-ce nuisible, est-ce
nécessaire, etc.—parce qu'il n'est pas du tout dit qu'un témoin
dans une affaire d'agression sexuelle présente de l'information
délicate. Le témoin peut témoigner qu'il a vu quelqu'un à tel ou
tel endroit. Comme groupe, les témoins devraient se retrouver dans
une même catégorie aux termes du projet de loi C-79. C'est ainsi
que je vois la chose.
Quant aux victimes et aux plaignants dans le cas d'autres infractions, c'est différent et vous les avez placés dans une catégorie distincte vous-mêmes, dans le projet de loi C-79, en disant que les victimes doivent satisfaire aux mêmes critères si l'agression sexuelle n'est pas en cause.
M. Derek Lee: Dois-je accorder une importance à ce terme de «plaignant» que vous avez utilisé parce que certains plaignants sont des victimes et d'autres ne le sont pas?
M. Daniel Henry: Non, je ne reprends que les termes du code. «Plaignant» est le terme utilisé pour désigner une victime d'agression sexuelle et «victime» est le terme utilisé dans le projet de loi C-79 pour toutes les autres infractions. Je pense que j'utilise la bonne terminologie.
M. Derek Lee: Donc faudrait-il utiliser «plaignant» dans notre projet de loi? À votre avis, faut-il que nous fassions une distinction entre ces différentes catégories de parties?
M. Daniel Henry: J'ai l'impression qu'il faut probablement garder le traitement spécial accordé par le Parlement aux plaignants dans les affaires d'agression sexuelle.
M. Derek Lee: Lorsque le plaignant est la victime?
M. Daniel Henry: C'est-à-dire le plaignant comme victime d'une agression sexuelle.
M. Derek Lee: Oui, comme victime. Qu'on ne s'y trompe pas. Notre objectif dans ce projet de loi est de donner aux victimes, comme groupe, un rôle, de reconnaître et de protéger ce groupe.
M. Daniel Henry: Très bien.
M. Derek Lee: Il y a donc une nouvelle dynamique. Nous allons au-delà des témoins et des plaignants. Nous avons un groupe de personnes, victimisées, et donc nous devons organiser les choses un peu de façon à donner une place à chacun. Dites-vous que nous devons être plus précis dans l'utilisation de ces termes?
M. Brian MacLeod Rogers: Il est important de comprendre l'origine du terme «plaignant». Si j'ai bien compris, si l'on utilise ce terme et si son utilisation a été maintenue par la Cour suprême du Canada, c'est que l'agression sexuelle est un crime qui n'est pas toujours déclaré, et on a voulu encourager les victimes à devenir des plaignants et à participer au processus—à se manifester—et la loi impose cette ordonnance obligatoire qui interdit de les identifier.
Dans un deuxième temps, lorsque les victimes avaient moins de 18 ans, elles se voyaient automatiquement accorder la même protection qu'un plaignant, mais uniquement dans les affaires d'agression sexuelle.
On ajoute ici une ordonnance nouvelle tout à fait discrétionnaire dont peuvent se prévaloir non seulement les victimes, comme je l'ai dit, mais également les témoins de toute infraction criminelle. D'après ce que j'ai lu dans le propre rapport du comité, je ne comprends pas pourquoi on inclut les témoins plutôt que de s'en tenir à la définition très générale et très large de victime. Je ne comprends pas pourquoi on a inclus les témoins.
M. Derek Lee: Donc il serait peut-être justifié de mieux définir les deux groupes en question. Je comprends ce que vous dites.
Comme le font sans doute bon nombre d'entre nous autour de cette table et bien des citoyens, j'essaie de comprendre pourquoi il est question ici des témoins.
Vous avez bien fait valoir qu'il y a, aux termes de la Charte, un avantage pour la société à rendre l'information disponible. Par la même occasion, ceux qui réalisent des émissions ou du texte de création ou d'actualité protégés par le droit d'auteur sont poussés, pour des raisons commerciales, je présume, à préparer de la copie ou de l'inventaire actualisé.
Ce qui motive notamment vos institutions, vos groupes et vos associations... Je ne dirais pas que c'est commercial comme tel, mais c'est certainement la nécessité de gagner sa vie. Les vies professionnelles de vos membres, de vos employés, consistent à préparer du texte. Il y a donc une motivation commerciale. Est-ce que chacun des groupes le reconnaît?
M. Brian MacLeod Rogers: Radio-Canada répondra peut-être différemment. Il va sans dire que la question se pose souvent: «Pourquoi les médias s'intéressent-ils à ceci? Est-ce qu'ils sont là pour des raisons purement égoïstes, pour faire de l'argent?» Le fait est que dans notre société—de libre entreprise, non socialiste—c'est ainsi que cela fonctionne.
Les journaux et les diffuseurs privés doivent présenter du texte que les gens liront. C'est indiscutable. L'autre solution... Comme l'aurait dit Churchill, la démocratie, c'est un régime terrible, mais c'est le meilleur régime dont nous disposons. Je dirais qu'en fait, malgré tous ses écueils, notre régime fonctionne plutôt bien lorsque les gens sont poussés et veulent sortir l'information. J'ai très peur de l'autre solution.
M. Derek Lee: Vous n'avez pas à justifier votre position. La charte le fait.
M. Brian MacLeod Rogers: En effet.
M. Derek Lee: Donc il incombe à ceux qui voudraient empiéter sur ce droit dans notre société de se justifier. Cela revient peut- être à nous de la Chambre des communes, qui examinons ce projet de loi, et aux juges qui devront appliquer la loi si nous l'adoptons.
M. Daniel Henry: J'aimerais dire que nous devons reconnaître que ceux qui réalisent des émissions ne le font pas uniquement parce que c'est la seule façon pour eux de faire de l'argent. Ils le font parce que c'est la profession qu'ils ont choisie pensant pouvoir y faire du bien, tout comme vous avez choisi votre profession parce que vous pensiez pouvoir faire du bien, et tout comme les avocats choisissent le droit pour des raisons semblables.
Les journalistes, certainement à Radio-Canada, et je pense, ailleurs, tentent de raconter quelque chose aux gens. Ils essaient d'être le miroir de la société. Voilà de quoi il est question. Le thème de votre projet de loi, c'est donnons une voix aux victimes. Nous parlons essentiellement de la même chose.
Mme Esther Enkin: Je pourrais dire que Radio-Canada n'est pas un réseau commercial et donc m'esquiver, mais je ne le ferai pas. Toute rumeur qui prétend le contraire est fausse. Nous sommes un réseau non commercial, surtout dans le cas de la radio, mais je n'utiliserai pas ce fait pour m'esquiver.
Nous nous conformons à des normes et à des pratiques que nous prenons très au sérieux. Cela dit, vous seriez ahuris par le nombre de reportages auxquels nous renonçons. En fait, si les rédacteurs et les journalistes s'arrachent les cheveux à tous les jours, ce n'est pas parce qu'ils disent: «Mon Dieu, comme j'aimerais pouvoir donner ces détails croustillants ou raconter cette histoire émoustillante». C'est plutôt: «Mon Dieu, je n'ai que 30 minutes» ou «Je n'ai que cinq minutes pendant ce téléjournal. Peut-on me donner plus de temps?»
C'est donc motivé par la popularité d'un produit de ce genre. Une partie du marché peut être axée sur de telles choses, mais la grande majorité de l'actualité et de l'information de grande consommation ne tombe pas dans cette catégorie et on n'est jamais en mal de copie.
M. Derek Lee: Nous souscrivons tous à l'idée d'ouverture préconisée dans la charte. Si on pouvait me dire combien Peter Mansbridge gagne à Radio-Canada, alors vous auriez vraiment fait valoir votre argument.
Des voix: Oh, oh!
Une voix: J'aimerais bien le savoir.
M. Derek Lee: Quoi qu'il en soit, vous proposez aussi que la victime dont il est question dans ce projet de loi puisse, d'une manière quelconque, se soustraire à ces dispositions. Est-ce que vous avez fait une ébauche de ce que précisément...?
Monsieur Henry, je sais que vous avez travaillé sur cette question.
M. Daniel Henry: Oui, c'est à la page 7. Vous n'étiez pas là.
M. Derek Lee: En effet, je suis arrivé en retard.
M. Daniel Henry: C'est à la page 7 de notre mémoire, nous donnons un texte très précis.
M. Derek Lee: Très bien, parfait. Je l'examinerai.
M. Daniel Henry: Ce texte pourrait s'insérer très bien dans votre projet de loi, sans amendement.
Des voix: Oh, oh!
M. Daniel Henry: Je dois avouer que j'ai consulté plusieurs membres de votre comité, de la plupart des partis, avant de comparaître à cette séance. Vous vous en rendrez peut-être compte en discutant entre vous. J'ai été surpris de voir combien on était unanime à reconnaître le bon sens de ce que nous proposons.
• 1035
Si vous lisez les lettres des victimes qui nous appuient, vous
constaterez qu'on s'est dit surpris qu'il faille un projet de loi
pour que le bon sens règne, pour qu'une victime puisse parler si
elle le souhaite. Évidemment, nous savons qu'il doit y avoir des
lois sur presque tout.
M. Derek Lee: Je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur les lacunes dans le processus d'appel. Je ne pense pas que la Cour suprême du Canada s'en réjouisse. En effet, la Cour fait tous les efforts possibles, à l'heure actuelle, pour limiter le nombre d'affaires entendues. Je pense que nous aurons l'occasion, plus tard, d'interroger d'autres témoins sur les raisons pour lesquelles nous n'avons pas prévu de mécanisme à cette fin.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Lee.
J'aimerais remercier les membres du groupe, M. Henry, Mme Enkin et M. MacLeod Rogers, de leur présence ici ce matin, de leurs exposés et de leurs réponses éclairées à nos questions.
J'aimerais dire aux membres du comité et aux observateurs qui sont ici ce matin que nous reprendrons nos travaux, après le vote, dans la salle 536 de l'édifice Wellington. Il nous faut déménager. Je regrette ce contretemps, mais au plaisir de vous revoir là-bas.
Le président: La séance reprend. Nous avons aujourd'hui, de l'Association canadienne des policiers, M. David Griffin; du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, M. Steve Sullivan; et de Mothers Against Drunk Driving, Mmes Susan MacAskill et Joanne Jarvis.
Merci beaucoup d'avoir bien voulu venir témoigner à propos du projet de loi C-79. Veuillez nous faire vos exposés respectifs, et ensuite nous passerons aux questions et réponses.
Mme Susan MacAskill (présidente nationale, (Mothers Against Drunk Driving)): C'est avec plaisir que MADD Canada se trouve à Ottawa ce matin pour présenter nos vues et commentaires sur le projet de loi C-79.
Monsieur le président, permettez-moi de prendre un instant pour présenter à la salle et plus particulièrement aux membres du comité, Mme Carolyn Swinson. Carolyn est la présidente élue de (Mothers Against Drunk Driving) et assumera ses fonctions à notre congrès à la présidence au mois de septembre, cet automne. C'est donc peut-être ma dernière comparution devant le comité. Je tiens à vous remercier des différentes occasions qui m'ont été données de venir vous parler et je sais que vous serez heureux d'accueillir Carolyn lors de nos travaux communs pour mettre en place de nouvelles lois.
Au nom de MADD Canada, nous remercions la ministre d'avoir déposé le projet de loi C-79 à la recommandation du Comité de la justice. Nous savons que nombre de victimes d'actes criminels au Canada sont victimisées de nouveau par le système de justice pénale de notre pays. C'est pourquoi l'adoption de cette nouvelle loi est vue comme étant un pas dans la bonne voie pour tous les Canadiens. Nous sommes particulièrement satisfaites du préambule et des modifications proposées concernant la présentation des déclarations de la victime à la cour.
J'aimerais maintenant vous présenter Joanne Jarvis, la coordonnatrice nationale des services aux victimes à MADD Canada. Joanne a quelques commentaires qu'elle va faire maintenant.
Mme Joanne Jarvis (coordonnatrice nationale pour les services aux victimes, (Mothers Against Drunk Driving)): J'aimerais vous parler brièvement de quelques-uns des services que nous offrons. Vous avez tous en main la trousse d'information qui comprend un résumé de certaines de nos activités dans le cadre de notre travail auprès des victimes.
Nous avons pour mission de mettre fin à la conduite avec facultés affaiblies et de venir en aide aux victimes de ce crime de violence. Et le personnel du bureau national et nos bénévoles travaillent ardemment à accomplir les deux volets de cette mission.
Moi-même ainsi que les bénévoles au niveau local voyons tous les jours des victimes qui doivent faire face à toutes sortes de problèmes à la suite d'un accident qui les a blessées, a blessé un être cher ou a tué un être cher. Et cela à tous les jours. Les victimes se débattent pour obtenir des renseignements sur leur dossier. Elles ne comprennent pas toujours le déroulement des actions en justice et elles déplorent les injustices qui entourent la perte d'un être cher ou les blessures qu'il a subies.
• 1130
Dans toute la mesure du possible, MADD Canada s'efforce
d'offrir aux victimes les moyens dont elles ont besoin pour se
remettre sur pied. Nous savons que la guérison n'est jamais tout à
fait complète. La vie des victimes est changée à tout jamais et
nous ne prétendons pas pouvoir les guérir. Dans toute la mesure du
possible, nous tentons de leur donner la possibilité de guérir un
peu. Nous espérons que, petit à petit, elles parviendront à s'aider
elles-mêmes, et qu'elles s'engageront même à aider d'autres
victimes.
Permettez-moi une analogie. Pour un grand nombre de victimes, de gens ordinaires, la route de la vie est parfois belle et parfois cahoteuse, mais après l'accident, les victimes sont nombreuses à vous dire que la route est complètement défoncée. Un être cher manque à la table. Une personne qu'elles espéraient voir grandir et aller à l'université est maintenant réduite à fonctionner comme un enfant de trois ou de six ans et il faut en prendre soin à la maison. Dans toute la mesure du possible, nous tentons de niveler la route, de combler les trous et d'aider les victimes de notre mieux.
Je vais maintenant rendre la parole à Susan MacAskill.
Mme Susan MacAskill: La perte de vies humaines et les blessures causées par la conduite avec facultés affaiblies, qui est la première cause criminelle de décès et de blessures au Canada, constituent un véritable fléau national. En effet, tous les jours, cinq personnes sont tuées et plus de 125 sont blessées à cause de l'ivresse au volant. Chaque année, des dizaines de milliers de Canadiens sont victimes de la conduite avec facultés affaiblies.
J'aimerais prendre un instant pour vous aider à comprendre que quiconque n'a jamais été victime de l'ivresse au volant n'a la moindre idée de ce que le système peut lui faire.
J'ai connu de nombreuses frustrations lors du procès de l'homme responsable de la mort de mon père. Le régime pénal et les services de police ne communiquaient pas les dates d'audience, ni les accusations portées. Lorsque la sentence devait être prononcée, il nous a fallu demander nous-mêmes, comme famille, la date afin d'être présents à la cour à ce moment-là. Le contrevenant a été incarcéré dans un établissement pénitentiaire fédéral; je n'ai pas participé au processus à temps pour demander à assister à l'audience de libération conditionnelle.
Voilà quelques-uns des problèmes que nous voulons porter à votre attention aujourd'hui. Ces problèmes sont au nombre de nos préoccupations et de celles du Centre d'orientation.
Nous sommes d'accord avec la ministre de la Justice lorsqu'elle dit que le système de justice pénale dépend de la participation des victimes et des témoins d'actes criminels. Nous reconnaissons que l'établissement du Centre d'orientation des victimes permettra de façon générale d'élaborer des politiques et des initiatives législatives à l'égard des victimes et des témoins de crimes.
MADD Canada, en tant que représentant des victimes de la conduite avec facultés affaiblies à l'échelle nationale et qu'organisme fortement engagé à venir en aide aux victimes, se joint au Centre d'orientation des victimes dans ses initiatives, qui revêtent d'ailleurs énormément d'importance pour les victimes.
Comme le précisait le communiqué de la ministre de la Justice sur le projet de loi C-79, l'objectif du Centre d'orientation des victimes est de «veiller à ce que le point de vue de la victime soit toujours considéré lors de l'élaboration de toute nouvelle loi». Nous sommes d'accord avec la ministre: les victimes doivent être entendues et respectées.
Selon MADD Canada, afin que le Centre d'orientation puisse répondre adéquatement aux besoins des victimes et des prestataires de services connexes pour les victimes, un partenariat doit être créé entre le Centre d'orientation des victimes et les groupes nationaux de victimes. Nous suggérons que le Centre d'orientation invite les groupes nationaux de victimes à des assemblées semestrielles afin de discuter de différentes initiatives, d'élaborer des pratiques recommandées et de planifier ensemble l'orientation future des droits des victimes au Canada et des services qui leur sont offerts.
Nous croyons que la ministre de la Justice sera en mesure d'assurer le leadership voulu pour le soutien des victimes d'actes criminels grâce à la mise sur pied du nouveau centre. Nous sommes de plus convaincus que les ressources nécessaires seront engagées en vue d'atteindre les objectifs de cette initiative.
En outre, nous demandons que tous les ministres fédéraux se joignent à la ministre de la Justice pour établir un partenariat dans le cadre duquel les intérêts des victimes d'actes criminels seront considérés dans les initiatives entreprises par leur ministère. Citons à titre d'exemple le solliciteur général et la révision de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le ministre du Revenu et la mise en oeuvre, au sein de son ministère, de mesures relatives au projet de loi C-18 et concernant la formation des fonctionnaires des douanes aux postes frontaliers.
Enfin, ce nouveau centre contribuera de façon significative à la reconnaissance des droits des victimes de tout le pays en raison de l'expertise et de l'expérience qu'il ajoutera au dialogue actuel entre le gouvernement fédéral et les provinces. Il constitue, selon nous, une ressource précieuse en ce qui a trait aux discussions sur les victimes d'actes criminels et leurs droits.
• 1135
Par ailleurs, nous croyons fortement que le Centre
d'orientation des victimes pourra aider les victimes d'actes
criminels à corriger les défauts de la route qui s'étend devant
eux. Nous nous attendons à ce que ce nouveau centre assume un rôle
prépondérant dans le processus fédéral et qu'il favorise la
création de partenariats entre les groupes de victimes et le
gouvernement fédéral.
À cette fin, MADD Canada soumet respectueusement les suggestions suivantes concernant l'établissement du nouveau centre et son fonctionnement. MADD Canada suggère que le Centre d'orientation des victimes se constitue sous forme de ressource d'information pour les victimes d'actes criminels et qu'il soit accessible par tous les ministères et organismes du gouvernement fédéral; qu'il organise des assemblées semestrielles auxquelles assisteront les représentants de groupes nationaux de victimes; qu'il s'établisse à titre de représentant fédéral principal pour prendre part aux discussions entre le gouvernement fédéral et les provinces sur les droits des victimes d'actes criminels.
Au nom de MADD Canada, nous soulignons encore une fois notre engagement à collaborer avec le gouvernement fédéral afin que les victimes de conduite avec facultés affaiblies de même que toutes les victimes d'actes criminels soient traitées dans la dignité et le respect de leur personne et que leurs points de vue soit considéré en tout temps.
Nous tenons à remercier les députés réunis ici aujourd'hui pour les mesures qu'ils ont prises dans le cadre du projet de loi C-79 ainsi que pour leur travail au Comité de la justice. Nous remercions également la ministre de la Justice pour la rapidité avec laquelle la loi a été adoptée à la suite des recommandations du comité.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Sullivan.
M. Steve Sullivan (directeur exécutif, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes): Merci, monsieur le président.
J'ai bien un mémoire au nom du centre de ressources. Malheureusement, nous l'avons terminé hier soir. J'ai consulté CAVEAT et Victimes de violence, pour aider le comité, et je n'ai vraiment terminé le mémoire qu'hier soir. Il n'est donc pas traduit, mais j'en ai des exemplaires à fournir au comité.
Le président: Avons-nous le consentement unanime des membres pour recevoir ce mémoire qui n'est que dans une langue officielle?
M. Derek Lee: Monsieur le président, habituellement, le comité lui-même ne distribue pas officiellement un document unilingue, mais je pense que tous les membres du comité voudront bien le recevoir, si les témoins le leur remettent. Il s'agit simplement, physiquement, de remettre le mémoire aux députés, et à cela, je n'ai pas d'objection.
Le président: Allez-y, monsieur Sullivan. Vous avez la parole.
M. Steve Sullivan: J'ai aussi une copie du mémoire de Priscilla de Villiers, qu'elle m'a demandé de remettre aussi au comité. Il n'est qu'en anglais, et je n'ai qu'un exemplaire, mais je vais le laisser au comité.
Comme vous le savez, Mme de Villiers est hospitalisée à la suite d'une vilaine chute, mais elle m'a télécopié une brève déclaration qu'elle me prie de lire au comité. Je vous citerai ensuite quelques recommandations de notre mémoire.
-
En raison d'un accident, notre président ne peut comparaître en
personne, mais nous avons travaillé de près avec le Centre de
ressources pour les victimes et avec Victimes de violence, pour
discuter des modifications proposées, que nous avons prié Steve
Sullivan de vous lire en notre nom.
-
Il est grand temps que les modifications proposées soient adoptées
pour donner aux victimes le statut dont auparavant on ne parlait
que trop peu. Nos recommandations visent à renforcer les
modifications proposées au Code criminel. Nous nous concentrerons
sur deux questions.
-
D'abord, il faut féliciter le gouvernement de renforcer les
dispositions relatives à la déclaration de la victime. On reconnaît
ainsi le besoin pour la victime de jouer un rôle pratique plutôt
que d'être simplement bénéficiaire d'une protection. C'est la
première étape vers le droit général des victimes à une
participation dans le système judiciaire.
-
Deuxièmement, le changement à la disposition sur la suramende
compensatoire augmentera substantiellement les ressources
disponibles pour que les gouvernements provinciaux répondent aux
besoins des victimes. Jusqu'ici, il y a eu une grande variabilité
d'une province à l'autre dans le niveau de soutien et de service
pour les victimes d'actes criminels. Nous nous attendons maintenant
à ce que des normes soient fixées, moyennant quoi nous pourrons
nous attendre à un soutien uniforme pour les victimes, dans chaque
province et territoire. Cela pourrait bien être le premier grand
défi pour le Centre d'orientation des victimes. Nous recommandons
que soit organisée une conférence d'uniformisation du droit pour
mettre au point des normes acceptables de soutien aux victimes.
Bien que les modifications proposées soient un pas important, il ne
faut pas s'asseoir sur nos lauriers. Par le passé, le problème de
l'aliénation de la victime n'a pas été suffisamment pris au sérieux
par les gouvernements fédéral ou provinciaux. Des études
américaines ont prouvé dans presque tous les cas que les victimes
sont bien plus touchées par la procédure que par l'issue d'un
procès. Le principe de la justice réparatrice, par exemple, repose
sur le besoin de la victime de participer à la procédure. Il nous
reste toutefois à établir l'importance et la valeur de cette
participation dans l'administration de la justice. Il nous faudra
trouver d'autres façons d'atténuer l'aliénation de la victime sans
pour autant compromettre le droit de l'accusé à un procès juste.
-
Les chartes provinciales des droits des victimes étaient destinées
à relever ce défi, mais jusqu'ici, elles ont échoué. Nous vous
exhortons à examiner nos recommandations et à agir rapidement pour
faire adopter le projet de loi qui reconnaît la légitimité des
besoins de la victime, rehausse la protection accordée aux plus
vulnérables des victimes et permettra d'augmenter les revenus dont
on a besoin d'urgence pour assurer un soutien et des services aux
victimes d'actes criminels au Canada.
• 1140
J'ai lu ce texte au nom de Priscilla de Villiers, la
présidente de CAVEAT.
Je vais maintenant vous présenter brièvement les recommandations de notre mémoire.
Pour commencer, permettez-moi de dire que nous appuyons intégralement le projet de loi. Nous apprécions que la ministre ait agi si rapidement en suivant les recommandations du comité, et nous apprécions également le travail et le rapport du comité. Il est encourageant de voir qu'un comité composé de représentants de partis politiques aussi divers puisse travailler de façon concertée à un but commun, comme vous l'avez fait récemment pour le projet de loi C-69. Encore une fois, nous vous félicitons.
Si bon soit-il, ce projet de loi peut encore être amélioré. D'abord, au paragraphe 486(1.2) du Code criminel, soit le paragraphe qui permet à une victime de moins de 14 ans d'être accompagnée dans son témoignage. Le projet de loi C-79 propose en effet de modifier ce paragraphe pour permettre à une personne ayant un handicap mental ou physique d'être ainsi accompagnée, mais l'âge n'a pas été modifié.
Il l'a toutefois été dans les articles qui permettent d'éviter un contre-interrogatoire par l'accusé, par exemple, et en vertu de cet article, une personne peut témoigner en dehors de la salle du tribunal ou derrière un écran, si elle a moins de 18 ans. Nous ne comprenons donc pas pourquoi la disposition relative à une personne de confiance n'a pas été modifiée aussi, afin que les âges soient les mêmes dans ces deux dispositions de protection, pour assurer l'uniformité. Pourquoi une victime d'agression sexuelle de 16 ans ne pourrait-elle pas avoir une personne de confiance pour l'accompagner, mais pourrait témoigner derrière un écran? Nous ne comprenons tout simplement pas. Nous recommandons que cette disposition soit modifiée pour qu'une personne de confiance puisse accompagner un témoin de moins de 18 ans.
Notre deuxième recommandation se rapporte au paragraphe 486(2.3), portant sur le contre-interrogatoire par l'accusé. Le projet de loi fait passer l'âge de moins de 14 ans à moins de 18 ans, et nous appuyons ce changement. Nous demandons toutefois au comité d'éliminer complètement la limite d'âge, ou du moins de permettre un mécanisme par lequel une personne de 18 ans pourrait demander au juge que l'accusé ne la contre-interroge pas personnellement, si on l'estime nécessaire.
Ainsi, une femme de 18, 19 ou 20 ans qui estime ne pas pouvoir fournir un témoignage adéquat si elle est contre-interrogée par l'accusé pourrait demander, par l'intermédiaire du procureur, que le juge refuse à l'accusé cette possibilité, en lui offrant de nommer un avocat pour ce faire, comme on le prévoit dans d'autres dispositions. Cette modification est semblable au contenu d'un projet de loi présenté par la députée bloquiste Pierrette Venne, qui éliminait complètement la limite d'âge. Nous demandons qu'il y ait au moins une certaine discrétion accordée, dans le cas de personnes de plus de 18 ans.
Notre troisième recommandation porte sur le harcèlement criminel ou le harcèlement avec menaces. Les protections contre l'interrogatoire par l'accusé, l'accompagnement par une personne de confiance, le témoignage derrière un écran, ce genre de choses, ne se rapportent pas, à notre avis, à l'infraction de harcèlement. On fait référence à des dispositions relatives à des infractions faisant appel à une violence suggérée, réelle, ou à des menaces, et on a prétendu que dans des cas extrêmes, le harcèlement criminel pourrait relever de ces dispositions. Nous savons toutefois que dans bien des cas, le harcèlement criminel ne comprend pas de violence, ni de menaces de violence, ni d'allégations de violence. Il s'agit simplement d'un harceleur qui donne des coups de fil répétés à sa victime ou qui la suit de manière répétitive. Il n'y a aucune menace de violence.
Pour renforcer les protections accordées aux jeunes victimes de harcèlement, il faut le préciser dans ces dispositions. Dans notre mémoire, nous fournissons un article à cet effet.
Nous félicitons le comité et la ministre pour les modifications apportées à la déclaration de la victime. Il est extrêmement important de donner ce choix aux victimes. C'est l'une des préoccupations que nous avons entendues le plus souvent de la part des victimes, depuis des années.
Nous voudrions toutefois que soit accordé aux victimes qui choisissent de faire une déclaration orale ou écrite de ne pas être contre-interrogées par l'accusé, à ce moment-là. Par exemple, si les parents d'un enfant victime de meurtre choisissent de présenter une déclaration de la victime, ou même s'il s'agit d'une affaire de conduite avec facultés affaiblies ou d'agression sexuelle, si la victime veut faire une déclaration de la victime, nous ne croyons pas que l'accusé doive pouvoir la contre-interroger. C'est une chose rare, mais on permet parfois à l'accusé ou à son avocat de contre-interroger la victime, puisque sa déclaration est essentiellement une preuve dont on tient compte à l'audience de détermination de la peine. Nous avons donc proposé une modification pour protéger les victimes, dans ces cas-là.
• 1145
Nous allons aussi un peu plus loin pour les examens
judiciaires, ou pour les cas se rapportant à l'article 745. Ceux
qui font la demande ne devraient pas, dans ces cas-là, pouvoir
contre-interroger les victimes. L'une des raisons pour laquelle les
familles des victimes de Clifford Olson n'ont pu présenter de
déclaration orale à son audience, c'est qu'il a dit clairement au
juge que si elles le faisaient, il les interrogerait. Nous pensons
que c'est mal, particulièrement lorsqu'il s'agit de personnes qui
ont déjà traversé une procédure judiciaire. La condamnation a été
prononcée, le procès est terminé, il n'y a plus de présomption
d'innocence. Ces protections doivent donc être accordées aux
victimes. La possibilité d'un contre-interrogatoire découragerait
les victimes de présenter ces déclarations.
Notre dernière recommandation se rapporte à la suramende compensatoire. Comme CAVEAT, nous reconnaissons combien il est avantageux pour les victimes que cette suramende devienne automatique. Les provinces pourront ainsi, nous l'espérons, offrir des services adéquats aux victimes, pendant toute la procédure.
Toutefois, cela devrait aussi s'appliquer à la Loi sur les jeunes contrevenants ou à la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. C'est conforme aux principes de ces deux lois: responsabiliser les contrevenants par la prise de mesures offrant des perspectives positives, et encourager la réparation pour les torts causés aux victimes et à la communauté. Tout cela est conforme à l'application d'une suramende compensatoire. Ce n'est pas incompatible avec les déclarations de principe de l'une et l'autre loi prévoyant des suramendes compensatoires automatiques. De plus, une disposition du projet de loi C-79 prévoit une exemption, pour les cas où la suramende causerait un préjudice injustifié.
Voilà nos recommandations. Je le répète, nous appuyons intégralement ce projet de loi et nous apprécions les efforts déployés par le gouvernement et par votre comité à son sujet. Nous serons ravis de travailler avec la ministre à l'avenir, pour la création du centre d'orientation des victimes. Beaucoup de ce que disait MADD se rapportait à certains éléments du centre que nous souhaitons voir un jour.
Je présume que les députés pourraient avoir des questions pour les témoins qui m'ont précédé. Je n'ai pas eu le temps de me préparer, et je dirai simplement au nom du centre des ressources—c'est que nous n'en avons pas discuté avec CAVEAT ou avec les Victimes de violence—que nous comprenons qu'une victime qui veut s'exprimer devrait pouvoir le faire. Il doit y avoir des consultations avec le procureur au sujet d'une interdiction de publication, et si des années plus tard, la victime décide de s'exprimer, une procédure devrait lui en donner la possibilité.
Je suis toutefois préoccupé par les pressions que pourraient exercer les médias. J'ai vu cela de près dans le cas des audiences d'examen judiciaire en vertu de l'article 745 pour Clifford Olson. Tous les médias ne sont pas comme ça, certes, mais il y en a qui sont très agressifs lorsqu'ils veulent parler à une victime, d'autant plus que le crime a un effet sensationnel. Dans l'affaire Olson, certaines familles voulaient s'adresser aux médias, et d'autres pas. Nous étions là notamment pour faciliter les choses entre les médias et les victimes. J'ai eu des discussions vives avec les médias qui voulaient parler à des familles qui ne s'étaient pas encore exprimées. Les médias préfèrent de nouveaux visages, de nouveaux messages.
Je voudrais donc dire cela. Les victimes qui font le choix éclairé de s'exprimer en public devraient pouvoir le faire.
Quant à la victime décédée, à ce moment-ci, sans y avoir réfléchi de manière approfondie, je vous conseille de ne pas faire cette recommandation. Les victimes avec lesquelles nous travaillons et qui veulent une protection en voudraient une même après leur mort, d'après moi. La mère violée qui n'a pas parlé à sa famille de ce qui lui est arrivé ne voudrait probablement pas qu'on le sache, même après son décès. Nous pensons que l'interdiction de publication devrait aussi être offerte à ces victimes.
Mais nous voulons simplement dire que les victimes qui veulent s'exprimer doivent pouvoir le faire. Pour celles qui ne le souhaitent pas, personne ne devrait décider à leur place. Le témoin précédent a parlé de l'enquête d'un coroner. Eh bien, l'histoire de cette femme a été contée. Les questions qui en découlaient ont été posées. On en a parlé à votre comité. Vous ne connaissiez pas son nom, simplement. Je ne pense pas que cela change quoi que ce soit à l'histoire. Je ne pense pas que cela nuise à la capacité du public de réfléchir aux questions soulevées. Vous ignoriez simplement son nom.
Voilà donc pour les commentaires sur le témoignage précédent. Je serai ravi de répondre aux questions du comité.
Le président: Merci, monsieur Sullivan.
Monsieur Griffin.
M. David Griffin (cadre exécutif, Association canadienne des policiers): Merci, monsieur le président. Je m'efforcerai certainement d'être bref.
Je suis David Griffin. Je suis cadre exécutif pour l'Association canadienne des policiers. Je suis ici pour vous faire part de notre appui au projet de loi C-79.
Pour la victime d'un crime, les agents de police sont souvent le premier visage, la première source de réconfort, la première main tendue. Dans bien des provinces et municipalités, ce sont nos membres qui ont la responsabilité d'aider, de soutenir et de renseigner les victimes.
Comme on l'a entendu aujourd'hui, il y a certainement quelques lacunes dans ce système. Souvent, l'échange d'information entre les instances n'est pas aussi fluide qu'il devrait l'être. Nous sommes très sensibles aux frustrations exprimées par les victimes au sujet du système judiciaire. Nous comprenons leur sentiment d'isolement. Nous comprenons qu'elles craignent de ne pas avoir leur place dans le système, qu'elles aient le sentiment que leur point de vue n'a pas été pris en considération comme il se doit ou qu'elles ont été abandonnées par le système, à la recherche de la justice.
Les membres de votre comité ont collaboré, sous la houlette de votre ancienne présidente, feue Mme Shaughnessy Cohen, à la formulation d'un ensemble de recommandations, présenté dans votre rapport: Les droits des victimes—Participer sans entraver. Nous tenons à féliciter les membres du comité pour ce travail. Nous félicitons aussi la ministre de la Justice, qui a réagi très rapidement à ces recommandations en présentant le projet de loi C- 79.
Je suis ici pour vous faire part de notre appui à ce projet de loi ainsi qu'aux recommandations présentées par M. Sullivan au nom du Centre de ressources pour les victimes.
Avant de terminer, j'aimerais dire encore deux choses. La première ne se rapporte pas précisément à ce projet de loi. Nous avons comparu devant le comité il y a quelques semaines au sujet du projet de loi C-284, et j'aimerais profiter de l'occasion pour féliciter les membres du comité, particulièrement M. Saada, ainsi que M. Lowther et M. MacAulay, pour le leadership dont ils ont fait preuve pour régler cette question très importante et arriver à un consensus dont on fera part très bientôt à la Chambre, si nous avons bien compris. Nous apprécions les efforts déployés par les membres du comité à ce sujet.
J'aimerais aussi formuler un commentaire au sujet de la question dont vous avez parlé ce matin, soit la publication. Nous apprécions très sincèrement le rôle joué par les médias dans notre société pour veiller à ce que le système judiciaire soit ouvert, responsable et transparent, et pour que la justice soit rendue d'une manière visible. Il y a toutefois un équilibre délicat entre les droits des particuliers, qui sans l'avoir décidé, se retrouvent aux prises avec un système judiciaire très déconcertant, très complexe, même pour les professionnels qui y travaillent et qui ont parfois du mal à le comprendre.
Je partage l'avis de M. Sullivan, qui vient de prendre la parole, sur la nécessité du consentement éclairé. Il est vrai qu'une victime d'un crime qui choisit de lever l'interdiction de publication devrait avoir le droit de le faire, mais ce droit ne devrait pas avoir priorité sur les droits d'autres personnes qui sont protégées par l'interdiction de publication ou sur le droit de l'accusé à un procès équitable. Nous devons également nous assurer que les intérêts de l'État ne soient pas compromis par une personne qui choisit de lever une ordonnance du tribunal. Nous encourageons donc le comité, dans son étude de la question, d'envisager un processus approprié visant à maintenir un équilibre.
Pour ce qui est de la question d'une partie qui est décédée, je partage encore une fois l'avis de M. Sullivan selon lequel il faut protéger la dignité et la mémoire de l'individu décédé, ainsi que son droit de ne pas être diffamé par une autre personne cherchant à rendre sa propre cause plus crédible.
Ce matin, nous avons discuté de déontologie, et il est vrai que la grande majorité des journalistes ont des normes très élevées, mais nous savons également qu'il y a d'autres journalistes qui travaillent pour la presse sensationnaliste et qui courent après les victimes de crimes afin d'alimenter leurs journaux. Nous ne voulons pas qu'une personne succombe par frustration aux pressions des médias campés devant sa maison pour finalement renoncer à une protection ou à un droit octroyé par le tribunal. Nous devons donc prévoir un processus pour remédier à ce type de situation.
• 1155
Finalement, on semble vouloir ramener cette question aux cas
d'agression sexuelle. J'aimerais dire au comité qu'il y a beaucoup
d'autres infractions qui attaquent la dignité humaine et portent
atteinte à des questions intimes, personnelles ou familiales. On
pourrait parler de la conduite avec facultés affaiblies, de la
violence familiale, du harcèlement criminel, des fraudes et des
crimes commis contre les personnes âgées. Le comité a reconnu qu'il
faut davantage protéger les victimes de ce genre de crimes. Soyez
donc prudents si vous voulez modifier la partie du projet de loi
portant sur ces questions.
En conclusion, j'aimerais remercier le comité de m'avoir donné l'occasion de témoigner, et j'espère que le projet de loi sera adopté rapidement.
Le président: Merci, monsieur Griffin.
Pour cette ronde de questions, chaque député aura droit à sept minutes.
Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: Merci beaucoup, monsieur le président.
Je n'ai pas grand-chose à dire. J'aimerais remercier les témoins de s'être déplacés en même temps afin que nous puissions mener nos travaux rapidement au lieu de les échelonner sur plusieurs semaines.
J'avais une seule question, mais M. Sullivan et M. Griffin y ont déjà répondu. Cela avait rapport à la question dont nous avons discuté ce matin. Que pense MADD de la question dont on a discuté ce matin?
Mme Joanne Jarvis: Concernant l'ordonnance de non-publication?
M. Chuck Cadman: Oui.
Mme Joanne Jarvis: Nous n'avons pas encore dû composer avec une ordonnance de non-publication. C'est peut-être à cause de la nature des crimes impliquant la conduite avec facultés affaiblies. D'après ce qu'elles m'ont dit, les victimes trouvent très difficile d'être en cour et de présenter leur déclaration de victimes. À mon avis, on a bien réglé la question des déclarations de victime. Mais nous n'avons pas beaucoup d'expérience des ordonnances de non- publication.
M. Chuck Cadman: M. Sullivan et M. Griffin ont tous deux recommandé des amendements au projet de loi. Est-ce que votre groupe aimerait également recommander des modifications?
Mme Joanne Jarvis: Nous sommes déçus du fait qu'il n'existe pas encore de normes nationales de pratique, mais nous avons bon espoir qu'elles seront créées un jour. Nous espérons toutefois que les représentants du centre de politique en discuteront avec leurs homologues fédéral et provinciaux, que ce soit au niveau ministériel pour les provinces ou au niveau des directeurs de services aux victimes. Nous espérons qu'on présentera un projet clair de normes minimales de pratique, ce qui fera en sorte que tous les Canadiens auront droit aux mêmes services et auront accès aux mêmes renseignements, peu importe leur province d'origine.
Nous avons encore bon espoir que cela se réalisera. Le comité n'a pas fait de recommandation à cet effet, mais nous espérons que le centre de politique traitera de la question.
M. Chuck Cadman: Je crois que nous attendons tous de voir ce que nous présentera la ministre.
Avant de terminer, j'aimerais publiquement remercier MADD de nous avoir invités, ma femme et moi, à participer à une manifestation silencieuse il y a quelques semaines. Nous avons seulement participé à titre personnel; cela n'avait rien à voir avec nos travaux aujourd'hui. Encore une fois, merci.
Mme Susan MacAskill: Merci.
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.
Le président: Monsieur Lee.
M. Derek Lee: Merci.
J'aimerais également féliciter chacun des groupes de témoins réunis ici aujourd'hui pour leur contribution au processus législatif au nom de divers groupes dans notre société. Ces groupes ont témoigné dans le passé, et je suis heureux de voir qu'ils contribuent à nos travaux législatifs aujourd'hui.
J'ai seulement une question à l'intention du Centre de ressources pour les victimes.
• 1200
Vous dites qu'on devrait inclure les infractions impliquant le
harcèlement. L'objectif visé par cette loi est évidemment de donner
une plus grande voix au chapitre aux victimes. Mais nous devons
également faire en sorte qu'il ne soit pas trop difficile pour une
personne de porter plainte—non pas contre un journal, mais devant
un tribunal. Autrement dit, le processus judiciaire doit être assez
simple d'accès pour qu'un plaignant ne s'embourbe pas dans le
système et se sente victimisé à nouveau.
Les crimes reliés au harcèlement criminel et à d'autres types de harcèlement n'impliquent pas toujours une victime vulnérable, quoique ce soit souvent le cas. Dans des cas de harcèlement, certaines victimes sont capables de se défendre et n'ont pas besoin d'aide ou d'appui. Je ne vais pas vous donner d'exemples concrets, mais il y a des victimes qui sont vulnérables pour différentes raisons, tandis que d'autres ne le sont pas et n'ont pas besoin d'être protégées. Donc, si nous incluons le harcèlement dans le projet de loi, je ne vois pas comment nous pourrons protéger un groupe de victimes qui ne sont pas es perçu comme telles.
Souvent, mais pas toujours, les victimes de harcèlement criminel sont des femmes. Ce n'est pas toujours le cas, mais c'est la grande majorité. Je n'aime pas distinguer entre les sexes, car les hommes, eux aussi, peuvent être vulnérables, mais...
Donc, il nous serait difficile d'inclure un groupe qui n'est pas normalement perçu comme étant vulnérable ou ayant besoin d'être protégé, puisque la Charte ne prévoit des protections que pour des cas spéciaux. Mais il s'agit peut-être ici également d'un cas spécial.
Pouvez-vous nous dire pourquoi on devrait inclure un groupe qui n'est pas perçu comme étant vulnérable?
M. Steve Sullivan: J'ai plusieurs choses à dire. Lorsqu'on parle de vulnérabilité, il est important de se rappeler que les articles en question visent principalement les enfants qui ont moins de 18 ans, ou dans certains cas ont moins de 14 ans. On pourrait donc dire que c'est un groupe de gens qui sont de toute façon quelque peu vulnérables.
De plus, il existe actuellement des dispositions sur la protection des victimes d'agressions sexuelles, mais il y a des victimes qui ne veulent pas de cette protection. Certaines d'entre elles voudront regarder l'accusé droit dans les yeux. Dans ces cas-là, ce n'est pas un problème pour l'accusé de leur poser des questions.
Ce qui importe, c'est que les victimes aient un choix. Les victimes de harcèlement criminel, et ce peut être une fille de 13 ans qui est harcelée par un homme de 45 ans, doivent également avoir ce choix. Cela peut être très intimidant.
De plus, aucune de ces protections n'est automatique. La Couronne peut faire une requête, et le juge en décidera. Il pourrait en outre décider qu'une victime est trop vulnérable, si je peux m'exprimer ainsi, et qu'elle nécessite tel genre de protection, ou qu'elle est assez forte pour faire face à l'accusé.
Beaucoup de victimes de harcèlement n'auront pas besoin de ce genre de protection ou n'en voudront pas; d'autres, en revanche, en voudront. Certaines victimes d'agressions sexuelles en voudront également. Mais il devrait y avoir un choix. Si le juge croit qu'une victime devrait avoir droit à une forme de protection, celle-ci devrait lui être disponible.
Je crois que M. Griffin aimerait ajouter quelques mots.
M. David Griffin: J'aimerais bien.
Hier, par hasard, nous avons comparu devant un comité sénatorial qui étudiait le harcèlement criminel, et j'étais accompagné de deux agents de police qui traitent quotidiennement de cas de harcèlement. De fait, un de ces deux agents est assis dans l'auditoire aujourd'hui.
• 1205
En écoutant ce qu'ils ont raconté hier, j'ai appris que le
harcèlement criminel est souvent précédé d'un passé marqué par la
violence. Dans certains cas, la victime a connu des expériences qui
la rendent plus vulnérable au harcèlement qu'une autre personne qui
se serait prémunie de la protection contenue dans la loi.
Nous avons donc affaire à des crimes d'obsession. Souvent, le harcèlement criminel devient de plus en plus dangereux pour la victime. Les victimes de ce genre de crime sont parfois plus vulnérables que les victimes de crimes commis au hasard.
M. Steve Sullivan: Comme l'ont dit d'autres témoins du ministère, dans des cas de violence extrême, par exemple, on peut appliquer une forme de protection. Ce qu'on dit, nous, c'est qu'il devrait également y avoir une forme de protection pour les victimes qui n'ont pas été menacées de violence, afin qu'elles puissent également jouir d'une protection. Mais pour les cas d'extrême violence, les victimes devraient avoir droit à une forme de protection.
M. Derek Lee: Pour tourner votre exemple à l'envers, et je choisis celui-ci parmi ceux dont on a discuté, prenons le cas d'un homme de 45 ans qui se ferait harceler par une fille de 13 ans. Il incomberait au juge de décider si l'homme aurait droit à une forme quelconque de protection.
M. Steve Sullivan: Si vous voulez être cohérent, toutes les dispositions s'appliqueraient aux jeunes de moins de 18 ans. Donc, l'homme de 45 ans n'aurait pas droit à une forme de protection.
M. Derek Lee: Non, ce que j'essaie de faire, c'est d'inverser les faits dans votre exemple. L'homme de 45 ans n'a peut-être pas vraiment peur de la fille de 13 ans qui le harcèle, mais je suppose qu'il reviendrait au juge d'en décider.
Nos lois doivent toutes être conformes à la Charte. Par conséquent, les dispositions du projet de loi ne peuvent pas être si générales qu'elles pourraient être interprétées comme allant à l'encontre de la Charte. Mais vous nous dites qu'il faudrait prendre ce risque et laisser au juge le soin de déterminer jusqu'où on peut aller pour protéger une victime.
M. Steve Sullivan: Oui, au juge, à la victime et à la Couronne, qui, après tout, a fait la requête. Il y a donc tout un groupe de personnes qui ont voix au chapitre.
M. Derek Lee: Est-ce que l'un ou l'autre d'entre vous aurait quelque chose à dire au sujet de l'absence d'un processus clair d'appel après une interdiction de publication?
M. Steve Sullivan: Les victimes, elles, peuvent demander au tribunal de faire lever l'interdiction de publication, mais c'est un processus assez onéreux. Sheldon Kennedy, par exemple, dont on a parlé un peu plus tôt, est, à ma connaissance, passé par là, mais il avait parlé ouvertement bien avant que l'interdiction de publication ait été levée, et personne n'a été poursuivi. J'ai traité de cas impliquant des victimes d'agressions sexuelles où il y avait une interdiction de publication, et où les victimes elles- mêmes ont décidé d'aller parler aux médias. Dans ces cas-là, il n'y avait pas eu de poursuites.
On pourrait donc dire qu'il y a une règle informelle selon laquelle si la victime parle aux médias et si les médias rapportent ce qu'elle a à dire, il n'y aura pas, à ma connaissance, de poursuites.
Dans le cas dont on a parlé un peu plus tôt, il y a eu poursuite principalement parce que la victime était morte et ne pouvait pas demander qu'il n'y ait aucune poursuite. Puisque le processus est très onéreux, on devrait le simplifier de façon à ce qu'une victime puisse demander, en toute connaissance de cause, de faire lever l'interdiction de publication.
M. Derek Lee: D'accord.
Merci, monsieur le président.
Le président: Puisqu'il n'y a pas d'autres questions, j'aimerais remercier de nouveau les témoins d'avoir comparu devant nous. Il est très important pour notre comité d'entendre de la bouche des témoins ce qu'ils ont vécu de façon tangible et personnelle. Il est très important que nous prenions connaissance de vos expériences.
Monsieur Griffin, à titre d'information, ce comité a fait rapport du projet de loi C-69 à la Chambre, et nous nous attendons à ce qu'il soit adopté demain par consentement unanime. Nous espérons donc que la Chambre reverra le projet de loi au Sénat demain.
M. David Griffin: Excellent. C'est du bon travail.
Le président: Madame MacAskill, merci beaucoup d'être venue devant le comité à plusieurs reprises et de nous avoir parlé des questions que nous avons étudiées. Bonne chance pour l'avenir.
Mme Susan MacAskill: Merci, monsieur Maloney.
Le président: Puisque nous avons terminé nos travaux, la séance est levée.
Merci beaucoup.