JURI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 16 février 1999
Le président (M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.)): La séance est ouverte.
Trois groupes comparaissent ce matin: de Mothers Against Drunk Driving, Tony Carvalho et Susan MacAskill—heureux de vous revoir—ainsi que Robert Solomon; du Conseil sur l'usage abusif de la drogue, M. Fred Burford et M. John Bates et, de l'Association canadienne des automobilistes, Rosalinda Weisbrod. Il y a une autre dame également dont je n'ai pas le nom.
Mme Elly Meister (vice-présidente, Affaires publiques et communications, Association canadienne des automobilistes): Je m'appelle Elly Meister.
Le président: Merci, Elly.
• 0945
Je vais demander à chacun des groupes de faire un exposé d'une
durée maximum de 10 minutes, au bout desquelles j'interromprai le
témoin pour donner la parole au groupe suivant. Puis nous passerons
aux questions des membres du comité selon un système de roulement.
Je demande aux représentants de Mothers Against Drunk Driving de débuter la séance ce matin.
M. Tony Carvalho (directeur-général, Mothers Against Drunk Driving): Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je m'appelle Tony Carvalho et je suis directeur général de l'organisme Mothers Against Drunk Driving. Je suis accompagné d'une personne que vous connaissez peut-être, notre présidente nationale, Susan MacAskill. Le directeur des politiques juridiques de MADD Canada, M. Solomon, est présent également. Il est professeur, doyen adjoint de la Faculté de droit de l'Université de Western Ontario et l'un des principaux experts de notre pays en matière de conduite avec facultés affaiblies.
J'aimerais également signaler la présence de John Bates, l'un des fondateurs de MADD Canada. Je suis heureux d'être accompagné par un ami lors de notre comparution d'aujourd'hui. John appuie nos recommandations en tant que membre du conseil d'administration. Néanmoins, il est ici aujourd'hui en tant que représentant du Conseil sur l'usage abusif de la drogue, et même si nos deux organismes ne font pas exactement les mêmes recommandations, il y a beaucoup de points communs entre nos deux positions.
MADD Canada se réjouit de pouvoir participer à l'étude du comité sur la législation relative à la conduite avec facultés affaiblies et, en fin de compte, de collaborer avec le Comité de la justice et le gouvernement fédéral en vue d'apporter les modifications qui s'imposent au Code criminel.
Nous ne pouvons pas feindre d'ignorer que, tous les jours, des Canadiens sont tués et blessés lors d'accidents dus à l'alcool au volant. Nous ne devons pas tolérer la conduite avec facultés affaiblies. Nous ne devons pas faire preuve de complaisance face à l'application de nos lois. Il faut faire quelque chose car une seule victime, c'est déjà une de trop.
MADD Canada comparaît devant le comité aujourd'hui pour rappeler aux législateurs du pays qu'il y a des milliers de victimes dans tout le Canada et des milliers d'autres Canadiens qui ont été tués et qui ne sont plus là pour nous demander de faire quelque chose pour lutter contre ce crime inadmissible, l'acte criminel que constitue la conduite avec facultés affaiblies. Et nous pouvons faire quelque chose. L'objectif essentiel de MADD Canada est de sauver des vies. Nous sommes ici aujourd'hui pour contribuer à mettre fin aux décès qui se produisent tous les jours sur nos routes à cause de l'alcool au volant. Les 400 000 partisans et plus qui offrent un appui financier et les millions d'autres qui offrent un appui moral à MADD Canada sont déterminés à mettre fin à la conduite avec facultés affaiblies et à venir en aide aux victimes de ce crime très grave.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, le fait que tous les jours, en moyenne, 4,5 personnes perdent la vie et 125 autres sont grièvement blessées par suite d'accidents attribuables à l'alcool représentent notre fléau national. La conduite avec facultés affaiblies est la première cause criminelle de décès et de blessures dans notre pays. C'est un acte criminel qui touche des centaines de milliers de Canadiens. MADD Canada est venu témoigner à Ottawa pour vous dire encore une fois que nous devons agir maintenant pour mettre fin à ces drames de la route qui font tant de victimes au Canada.
Je ne vais pas énumérer les statistiques relatives au nombre de personnes qui prennent le volant en état d'ébriété, au nombre de gens accusés ou reconnus coupables ou à la durée des peines d'emprisonnement infligées aux chauffards qui tuent des gens. Ces données se trouvent dans notre mémoire et je suis certain que nous en discuterons pendant la période de questions et réponses.
Je n'ai pas l'intention de parler de statistiques, je veux parler de personnes humaines.
En octobre 1997, j'étais à Ottawa pour parler avec des députés et rencontrer la ministre de la Justice et sa secrétaire parlementaire, Eleni Bakopanos. À l'époque, j'ai dit que j'étais déjà venu à Ottawa l'année précédente pour demander au gouvernement d'agir, et qu'entre-temps, plus de 1 400 Canadiens avaient perdu la vie et que je ne voulais pas revenir pour déplorer 1 400 décès de plus. Or, 16 mois se sont écoulés depuis ma dernière visite sur la Colline parlementaire et au cours de cette période, plus de 1 900 personnes ont perdu la vie. Malheureusement, avant que les discussions ne soient terminées, il y aura encore d'autres victimes et nous le savons tous.
Vous vous souvenez sans doute que MADD Canada a publié, en octobre 1997, les résultats d'un sondage national. Il en est ressorti que les Canadiens sont fermement convaincus que la conduite avec facultés affaiblies est un vrai problème pour notre pays et que le gouvernement devrait faire davantage pour y remédier. La grande majorité des déclarants, soit 94 p. 100, estiment que la conduite avec facultés affaiblies est un problème que le gouvernement se doit d'éliminer. Selon trois Canadiens sur quatre, soit 75 p. 100 des personnes consultées, l'intervention actuelle des gouvernements fédéral et provinciaux est insuffisante pour réduire la conduite avec facultés affaiblies.
Le sondage d'opinion publique effectué dernièrement par la Fondation de recherches sur les blessures de la route révèle que la grande majorité des Canadiens considèrent la conduite avec facultés affaiblies comme un problème grave auquel il faut remédier. Selon cet organisme, 88 p. 100 des Canadiens sont d'avis que l'alcool au volant constitue aujourd'hui un problème extrêmement grave ou grave. L'énorme majorité de Canadiens sont conscients du problème et souhaitent que l'on prenne des mesures pour lutter contre la conduite avec facultés affaiblies.
• 0950
En janvier 1998, MADD Canada, en collaboration avec des
intervenants à l'échelle nationale, et notamment des représentants
de l'industrie, a tenu un forum pour discuter des moyens les plus
efficaces de faire apporter les modifications nécessaires à la
législation du Canada en matière de conduite avec facultés
affaiblies. Il importe que votre comité prenne note du consensus
qui a été atteint lors de cette réunion. L'objet précis de cette
rencontre était d'examiner des modifications éventuelles au Code
criminel susceptibles de réduire le nombre de victimes dues à la
conduite avec facultés affaiblies. Après avoir participé à ce
forum, je peux vous dire qu'il existe un consensus dans notre pays
sur un grand nombre de points concernant la conduite avec facultés
affaiblies. Dans la liste de nos recommandations, nous tenons
compte des travaux du groupe qui s'est réuni en janvier dernier.
À la suite de cette réunion, MADD Canada a examiné la documentation de recherche disponible sur la sécurité routière et les études juridiques relatives à la conduite avec facultés affaiblies. Les représentants de notre organisme ont assisté à des réunions dans tout le pays, dans le but d'arriver à un consensus et de perfectionner les arguments et les recommandations en vue de faire modifier nos lois fédérales. MADD Canada a fait part de ses conclusions et a collaboré avec tous les intervenants à l'échelle nationale, dont la Fondation de recherches sur les blessures de la route, l'Association canadienne des policiers, la Fondation de la recherche sur la toxicomanie et l'Association des brasseurs du Canada.
Pendant toute l'année 1998, MADD Canada a tenu des rencontres et échangé ses idées et ses conclusions avec de nombreux groupes de défense des victimes, des organismes responsables de la sécurité routière, des forces de police et des organismes à vocation juridique et sociale. Les 23 organismes figurant sur la liste qui vous a été distribuée ce matin sont des groupes nationaux que nous avons consultés et qui appuient en principe les recommandations qui se trouvent dans notre mémoire. Les 80 organismes énumérés sur la liste ci-jointe sont des membres du Conseil communautaire de l'Ontario sur la conduite avec facultés affaiblies (CCOCFA) qui, par le truchement de cet organisme, ont appuyé nos 11 recommandations.
Le mémoire présenté par MADD Canada et les 11 recommandations qu'il renferme sont le fruit du travail effectué au cours des 18 derniers mois. Il s'agit à notre avis d'un mémoire axé sur des solutions. Nous nous présentons au Comité de la justice et des droits de la personne dans l'espoir que le gouvernement fédéral prendra les mesures qui s'imposent et modifiera le Code criminel, de façon à ce que nos dispositions législatives concernant la conduite avec facultés affaiblies soient appliquées de façon plus efficace.
Je voudrais maintenant vous présenter notre présidente, Susan MacAskill.
Mme Susan MacAskill (présidente nationale, Mothers Against Drunk Driving): Merci, Tony.
Je suis heureuse d'être à Ottawa aujourd'hui et de comparaître à nouveau devant votre comité. En juin dernier, j'ai déjà témoigné pour discuter de la question des droits des victimes, et je tiens à féliciter le comité de son rapport sur cette question. Nous attendons impatiemment le nouveau projet de loi de la ministre.
L'objectif de MADD Canada est de sauver des vies. Notre organisme national compte 30 sections locales et plus de 400 000 donateurs dans tout le pays. En 1998, MADD Canada a envoyé une brochure par la poste à 4,5 millions de Canadiens, en vue de les sensibiliser aux dangers de l'alcool au volant. Nous avons distribué plus de 4 millions de rubans rouges dans le cadre de notre campagne de sensibilisation du public visant à rappeler aux Canadiens de ne pas boire avant de prendre le volant pendant toute la saison des Fêtes. Nos membres communiquent avec les Canadiens de tous les coins de notre grand pays pour les aider à surmonter la douleur et l'horreur dont est responsable la conduite avec facultés affaiblies.
En fait, l'existence même d'un organisme comme le nôtre est un bien triste constat pour notre société. Imaginez un groupe de bénévoles qui se constitue pour aider les victimes, leur famille et leurs amis qui doivent faire face à la perte d'une mère, ou d'un père, comme dans mon cas, ou d'un frère, une soeur ou encore un enfant. Pourquoi ce groupe de bénévoles se constitue-t-il? Souvent, parce que les gens qui le composent ont été directement touchés par une tragédie due à l'alcool au volant. Nous craignons que ce crime horrible ne fasse encore plus de victimes et ne bouleverse à tout jamais d'autres vies humaines. Nous sommes des bénévoles qui veulent simplement mettre fin à cet acte criminel entièrement évitable.
L'un des privilèges dont jouit la présidente de MADD Canada est de voyager dans toutes les régions du pays pour rendre visite à nos partisans et à nos sections locales. Que je me trouve à Kelowna, Lethbridge, Toronto, Port Colborne, St. John's ou dans ma province natale de Nouvelle-Écosse, le problème de l'alcool au volant est grave. J'ai personnellement rencontré des milliers de gens qui ont été directement touchés par ce drame et qui souhaitent que l'on fasse quelque chose pour y remédier.
Je vous dis tout cela pour vous faire comprendre que nous abordons l'acte criminel qu'est la conduite avec facultés affaiblies sous divers angles. Il est dramatique qu'une personne innocente perde la vie, et il est inadmissible que nos forces de l'ordre ne puissent ni appréhender ni accuser un criminel.
• 0955
Il est frustrant que notre système judiciaire fasse revivre
toute l'horreur de drame aux victimes et ne prenne pas les mesures
qui s'imposent à l'égard de l'auteur de l'acte criminel, lequel
n'est jamais condamné à une peine en rapport avec la gravité de son
acte.
Nous considérons sous de nombreux angles différents l'acte criminel qu'est la conduite avec facultés affaiblies, et c'est pourquoi MADD Canada préconise une stratégie globale pour résoudre le problème de l'alcool au volant. Je vous demande de prendre le temps d'examiner notre stratégie globale. Dans la documentation que nous vous avons remise, vous trouverez le bulletin dont je parle, et vous verrez que la législation fédérale n'est qu'un volet de notre lutte contre la conduite avec facultés affaiblies.
Cela dit, je voudrais conclure en disant que modifier la législation fédérale est un volet absolument essentiel de la lutte contre l'alcool au volant. Les membres et partisans de MADD Canada comptent sur vous, nos représentants élus, pour prendre les mesures qui s'imposent. Nous voulons que le gouvernement fédéral prenne l'initiative dans ce dossier très important qui touche tant de Canadiens.
Comme nous le disons dans notre mémoire, aucune mesure à elle seule ne permettra de réduire l'alcool au volant. Il faut agir sur plusieurs fronts à la fois. Nos bénévoles continueront de faire tout leur possible pour faire bouger les choses, et nous espérons sincèrement que vous ferez votre part dans cette lutte pour sauver des vies et assurer la sécurité des Canadiens sur nos routes.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Carvalho, je dois maintenant donner la parole aux représentants du Conseil sur l'usage abusif de la drogue.
Monsieur Bates.
M. John Bates (membre du conseil d'administration, Conseil sur l'usage abusif de la drogue): Merci beaucoup de nous avoir invités à témoigner aujourd'hui.
Permettez-moi tout d'abord de vous présenter notre organisme. Le Conseil sur l'usage abusif de la drogue a été créé en 1969 par un groupe de dirigeants d'entreprises inquiets face à l'utilisation croissante de drogues illicites chez les jeunes.
En fait, le coup d'envoi a été donné par Murray Koffler, directeur général de Shoppers Drug Mart. L'actuel président du conseil d'administration est Frank Buckley, bien connu pour le slogan du sirop contre la toux: «Mauvais au goût, mais ça marche». Cela l'a mené assez loin.
Fred Burford, le président actuel, nous accompagne aujourd'hui.
Je ne vais pas lire les deux premières pages de notre mémoire, mais je vous dirai simplement qu'il est désormais évident, même aux yeux du moindre observateur, que les efforts visant à résoudre le problème ont donné très peu de résultats concrets depuis 17 ans que je m'occupe de cette question.
J'ajoute que nous appuyons sans réserve les observations de MADD Canada. Comment ne pas être d'accord avec ces déclarations?
Voici le problème. Selon les chiffres les plus récents publiés par le ministère des Transports de l'Ontario, le pourcentage de décès de conducteurs aux facultés affaiblies est à peu près le même qu'en 1988. Selon une autre étude récente du ministère de la Santé, il semble que plus de répondants affirment aujourd'hui avoir conduit avec des facultés affaiblies que ce n'était le cas il y a 10 ans.
Où en sommes-nous arrivés? Pas très loin. Pour quelle raison? Nous n'avons pas fait ce qu'il fallait. Nous avons dit que nous allions organiser une nouvelle campagne de sensibilisation du public. À ma connaissance, c'est bien le seul acte criminel contre lequel on essaie de lutter au moyen d'une campagne de sensibilisation. Nous viendrait-il à l'idée de dire que nul ne laisserait un ami commettre un vol de banque en présumant que cela aurait un effet sur le nombre de banques cambriolées? Bien sûr que non. Alors, pourquoi continuons-nous de miser sur ces campagnes et de nous demander pourquoi elles ne donnent aucun résultat?
On a beaucoup parlé des fameux irréductibles conducteurs aux facultés affaiblies. Je pense qu'il faudrait changer de disque. Même si ces gens-là sont très dangereux, ils ne sont pas très nombreux. Si nous nous concentrons sur le cas des irréductibles buveurs qui prennent le volant, nous risquons de passer à côté de ce qui est vraiment essentiel, à savoir que personne ne devrait prendre le volant après avoir consommé de l'alcool.
Je pense également que vous en avez plus qu'assez d'entendre parler de l'anti-démarreur alcoométrique. Nous sommes en faveur de ce dispositif de verrouillage du système de démarrage, et en réalité, personne, à ma connaissance, n'a encore été tué par un conducteur aux facultés affaiblies dont la voiture est équipée d'un anti-démarreur. Que nous faut-il savoir de plus sur ce dispositif, et pourquoi ne l'utilisons-nous pas, ou du moins ne commençons-nous pas à l'utiliser dès à présent?
D'autres témoins vous ont déjà parlé de l'anti-démarreur; nous en traitons dans notre mémoire. Permettez-moi toutefois de vous dire une chose: nous ne nous attendons pas à ce que le gouvernement se précipite sur cette solution et installe de tels dispositifs dans toutes les voitures. Ce que nous disons, c'est qu'il faudrait en installer dans le véhicule des personnes reconnues coupables et dont le taux d'alcoolémie est d'au moins 0,165, ou des récidivistes. Nous vous demandons de constituer un groupe de travail chargé d'examiner l'utilisation possible du dispositif. Mais par tous les dieux, faisons quelque chose. Si nous demandons la création d'un groupe de travail, c'est à cause du vieux dicton selon lequel seul un sot vérifie la profondeur de l'eau avec les deux pieds.
• 1000
Ce que nous souhaitons véritablement, c'est d'en arriver à un
taux maximum de O,02, autrement dit, la tolérance zéro. Où en
serons-nous, dans 10 ans d'ici, si l'on maintient le taux
d'alcoolémie actuellement admissible? Sans doute nulle part. Cela
n'émanera pas, en fait, d'un grand dictum du gouvernement, mais
plutôt de la volonté exprimée par les usagers de la route
eux-mêmes. Et cette position est tout à fait défendable.
D'abord, notre message est ambigu. Nous disons aux gens d'éviter l'alcool au volant, mais la loi le tolère implicitement. Comment peut-on débattre d'un taux admissible de 0,08, 0,05 ou d'un taux aussi faible soit-il, puis convaincre les gens d'éviter toute consommation d'alcool? Nous leur disons, allez-y et buvez, mais ne dépassez pas le taux de 0,08. C'est absurde. C'est un message ambigu.
Cette position se défend, et elle n'est même pas exagérée, en réalité. Les deux premières étapes de l'immatriculation progressive exigent la tolérance zéro. Pourquoi ne pas faire la même chose pour toutes les étapes? Nous demandons aux conducteurs désignés de ne pas boire; pourquoi ne pas faire de même pour tous les conducteurs? Nous sommes en parfaite contradiction. Nous demandons aux conducteurs désignés de ne consommer aucun alcool, mais tous les autres peuvent avoir un taux d'alcoolémie pouvant aller jusqu'à 0,08. C'est totalement absurde.
Tous les conducteurs n'ayant pas l'âge légal pour boire doivent s'abstenir de consommer de l'alcool. Les pilotes d'avion ne doivent consommer aucun alcool 24 heures avant tout vol. Combien d'entre nous accepteraient que le pilote de l'avion dans lequel on voyage ait un taux d'alcoolémie d'au moins 0,08 avant de décoller? Personne, cela va de soi. Les conducteurs d'autobus scolaires ne doivent consommer aucun alcool. Pourquoi pas tous les conducteurs? La Suède a déjà adopté ce taux. Pourquoi pas nous?
En Amérique du Nord, les conducteurs de gros camions semi-remorques sur longue distance et les chauffeurs d'autobus interurbains sont soumis aux règles les plus rigoureuses qui soient. Un conducteur ayant un taux de moins de 0,02 p. 100 d'alcool ne fera l'objet d'aucune mesure. Un conducteur ayant un taux entre 0,02 et 0,04 fera l'objet d'une évaluation. En fait, les camionneurs grands-routiers sont les conducteurs les plus sûrs et les plus sobres qu'on puisse trouver sur les routes. Je ne vais pas entrer dans tous les détails à leur sujet.
Toutefois, la meilleure raison d'imposer la tolérance zéro est sans doute la synergie qui existe entre l'alcool et de nombreux médicaments—et cela me ramène à l'irréductible buveur au volant. Nous pensons que ce qu'il fait est mal, mais nous ne savons pas combien de gens ont consommé, par exemple, 10 milligrammes de Valium ou un autre produit semblable et bu deux bières. Leurs facultés sont tout aussi affaiblies que s'ils avaient bu cinq bières mais l'alcootest ne pourra pas le déceler. Ces conducteurs aux facultés affaiblis échappent souvent à l'attention des policiers sur les lieux. Ils constituent peut-être le groupe le plus sérieux, nous n'en savons rien. Manifestement, il faut faire une étude approfondie sur cette question.
Pour conclure sur ce point—et j'ai presque terminé mon intervention—je dirai que cela fausse les statistiques sur la conduite avec facultés affaiblies, lesquelles sont beaucoup plus élevées que nous ne le pensons.
Le Dr Robert Dupont est sans aucun doute la plus grande sommité au monde pour ce qui est des effets des intoxicants, y compris l'alcool. Membre de l'American Psychiatric Association, il est professeur clinique de psychiatrie à la Faculté de médecine de Georgetown et professeur agrégé invité à l'École de médecine de Harvard. Il a représenté les États-Unis lors de cinq réunions consécutives de la Commission des stupéfiants de l'Organisation des Nations unies et a été président de la section sur l'usage abusif des drogues et de l'alcool de l'Association mondiale de psychiatrie. Je pourrais continuer d'énumérer ses titres, mais les compétences et l'expérience du Dr Dupont sont si vastes que je m'en tiendrai là.
Il n'y va pas par quatre chemins quand il affirme qu'aucun taux d'alcoolémie ne saurait être assez bas pour conduire une voiture. Voici ce qu'il a déclaré à ce sujet:
-
La présente croisade contre l'alcool au volant permettra un jour de
tirer une autre conclusion importante qu'on retrouve dans le
rapport de l'Académie nationale des sciences. Le taux d'alcool dans
le cerveau d'un conducteur d'automobile ne saurait être assez bas,
et bien des conducteurs ivres et dangereux sont des «buveurs
mondains» et non des [soi-disant] «alcooliques» [ou buveurs
invétérés]. Ce n'est que lorsque ce fait sera admis que nous aurons
vraiment commencé à éduquer la population sur les dangers et le
pouvoir destructeur de l'alcool. Nous conclurons alors que notre
objectif n'est pas seulement d'empêcher les conducteurs en état
d'ébriété de prendre la route, mais aussi toute personne présentant
le moindre taux d'alcool dans le cerveau.
Il parle ensuite de la dépendance:
-
...la solution raisonnable au problème réside dans le principe
selon lequel tout taux d'alcoolémie mesurable après consommation
est incompatible avec une conduite prudente.
-
Si vous buvez, ne prenez pas le volant et, si vous prenez le
volant, ne buvez pas. Tout autre argument pour imposer des lois et
des normes sociales concernant l'alcool au volant est
scientifiquement...
Il affirme que tout autre principe est scientifiquement et moralement indéfendable.
• 1005
Je laisse à Fred le soin de terminer notre exposé.
Le président: Monsieur Burford, il vous reste environ deux minutes.
M. Fred Burford (président, Conseil sur l'usage abusif de la drogue): Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs.
De toute évidence, on associe étroitement la conduite avec facultés affaiblies à l'alcool. Toutefois, l'affaiblissement des facultés peut être causé également par l'usage de drogues illicites telles que la marijuana et les hallucinogènes, les médicaments d'ordonnance comme la codéine, le Valium et autres et les médicaments en vente libre, comme le Gravol. Je m'inquiète principalement du fait que la marijuana est en cause dans la conduite avec facultés affaiblies.
Je ne vais pas traiter de tous ces médicaments et drogues, mais vous trouverez à l'Annexe A l'extrait d'un rapport de l'Organisation mondiale de la santé. L'Annexe B renferme un article au sujet d'une étude effectuée au Maryland selon laquelle, sur le nombre de conducteurs aux facultés affaiblies en cause, 18,3 p. 100 n'avaient consommé que de la marijuana. L'Annexe C renvoie à une étude effectuée auprès d'automobilistes en Californie; il en ressort que l'affaiblissement des facultés de 10 à 15 p. 100 des conducteurs était causé uniquement par la consommation de marijuana. Il y a également un article sur un accident d'automobile survenu à Toronto en 1990 et qui a fait six victimes; or, la conductrice n'avait consommé que de la marijuana.
L'enquête effectuée en 1997 par la Fondation de la recherche sur la toxicomanie auprès d'étudiants ontariens a révélé l'existence d'une corrélation vraiment surprenante. Parmi les étudiants qui ont consommé du cannabis en 1997, 94,5 p. 100 ont également fait usage d'alcool. C'est une corrélation surprenante qui souligne la synergie dont parlait John plus tôt.
Le moment est venu de prendre des mesures énergiques et radicales, comme l'a dit John en formulant nos recommandations. Il va sans dire que nous appuyons fortement la position adoptée par MADD Canada. Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Burford.
Le prochain témoin est Mme Meister, de la CAA.
Mme Elly Meister: Bonjour, mesdames et messieurs. Je m'appelle Elly Meister et je suis vice-présidente des Affaires publiques et des communications à l'Association canadienne des automobilistes, dont le siège social se trouve ici, à Ottawa. Je suis accompagnée aujourd'hui de Rosalinda Weisbrod, directrice de la Sécurité routière et de Jody Ciufo, notre directeur des Relations publiques et gouvernementales, qui est ici à titre d'observateur. Nous sommes heureux de participer à vos délibérations d'aujourd'hui et nous avons soumis un mémoire à l'attention du comité.
Depuis une vingtaine d'années, nous avons fait des progrès encourageants en vue de réduire la conduite avec facultés affaiblies au Canada. Grâce à des modifications législatives, à des initiatives d'application et des programmes de sensibilisation, des milliers de gens qui auraient pu perdre la vie sur nos routes sont encore vivants aujourd'hui. Toutefois, la conduite avec facultés affaiblies reste la principale cause de décès due à un acte criminel dans notre pays. Tous les jours, près de cinq personnes vont perdre la vie parce que quelqu'un a décidé de prendre le volant en état d'ébriété.
Depuis 1985, année où le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a modifié pour la dernière fois les dispositions du Code criminel relatives à la conduite avec facultés affaiblies, les conducteurs en état d'ébriété ont fait 14 000 victimes de plus et blessé près d'un million de gens. Chaque fois qu'un conducteur aux facultés affaiblies crée une statistique, il s'ensuit des tragédies humaines innombrables pour ceux qui déplorent la perte d'une mère, d'un frère, d'une soeur, d'un fils ou d'un ami.
La conduite avec facultés affaiblies n'est pas un accident. C'est un acte criminel que l'on peut prévenir.
La conduite avec facultés affaiblies coûte chaque année à la société des dizaines de millions de dollars en frais judiciaires, en mesures de réadaptation, en manque à gagner de rémunération, en soins de santé et en problèmes sociaux. En tant que l'un des organismes qui a parrainé le sondage national sur la conduite en état d'ébriété effectué dernièrement par la Fondation de recherches sur les blessures de la route, nous avons été sidérés par les résultats: en effet, il y a tous les ans au Canada 12,5 millions de cas de conduite en état d'ébriété. Comme on le signale dans l'étude, la fréquence de l'alcool au volant prouve bien qu'il faut renforcer l'effet dissuasif général de la loi.
• 1010
Au nom de ses quatre millions de membres, l'Association
canadienne des automobilistes appuie les mesures prises par le
gouvernement fédéral pour modifier le Code criminel et renforcer
l'effet dissuasif de la loi en matière de conduite en état
d'ébriété, ainsi que pour imposer des sanctions plus sévères en cas
d'infraction et prévenir plus efficacement les cas de récidive chez
les conducteurs aux facultés affaiblies.
Grâce aux sondages que nous faisons auprès de nos membres, nous savons que ces derniers considèrent la conduite avec facultés affaiblies comme la plus grande menace pour leur sécurité personnelle. Lors d'un sondage récent, 97 p. 100 de nos membres ont dit que la conduite avec facultés affaiblies représente la plus grande menace pour la sécurité sur la route. Aux deuxième et troisième rangs venaient la conduite agressive et l'état de la route, avec 88 p. 100 et 62 p. 100 des réponses respectivement.
Ayant à coeur l'intérêt supérieur de nos membres et de tous les Canadiens, nous vous remercions de nous permettre de proposer des modifications au Code criminel en vue d'accroître la sécurité de nos membres et de tous les usagers de la route.
Nos recommandations se fondent sur les principes selon lesquels la conduite avec facultés affaiblies est une tragédie humaine dévastatrice que l'on peut prévenir; la peine doit refléter la gravité de l'acte criminel que constitue la conduite en état d'ébriété; la police et les tribunaux doivent être en mesure d'appliquer et de gérer la loi; on doit respecter les droits de la personne et la conduite est un privilège et non un droit.
Les résultats des recherches montrent une distinction claire entre les buveurs mondains responsables et une toute petite minorité de buveurs invétérés qui prennent le volant et sont à l'origine de la majorité des collisions, des blessures et des décès. Ce groupe de buveurs invétérés a tendance à posséder des taux d'alcoolémie beaucoup plus élevés que les autres conducteurs et à faire un plus grand nombre de victimes. Les recommandations de la CAA concernant les mesures de dissuasion visent particulièrement le premier groupe, qui réagit bien aux initiatives de sensibilisation publique, tandis que les recommandations portant sur le buveur invétéré qui prend le volant mettent l'accent davantage sur l'imposition de sanctions plus sévères et le recours à des méthodes nouvelles pour empêcher ce groupe de récidiver.
Voici nos recommandations particulières: la conduite avec facultés affaiblies par la consommation d'alcool ou de drogues devrait être considérée comme la même infraction aux termes du Code criminel, et toutes les dispositions relatives aux tests et aux peines devraient s'appliquer de la même façon. La loi devrait être modifiée au besoin pour déceler les propriétés diverses des drogues et de l'alcool. Il faudrait faire respecter la limite actuelle du taux d'alcoolémie, et non pas la réduire, car il est peu probable qu'une telle mesure dissuade les buveurs invétérés qui prennent le volant. En outre, une limite plus faible sera difficile à déceler et à appliquer, et cette mesure n'a pas l'appui de la population, pas plus qu'il n'y a de preuves quant à son incidence mesurable sur la sécurité. Même s'il est possible de constater un affaiblissement des facultés lorsque le taux d'alcoolémie est aussi faible que 50 milligrammes pour 100 millilitres, tous les conducteurs ne sont pas intoxiqués à ce taux.
Ces conclusions ont été confirmées par l'étude préparée par la Fondation de recherches sur les blessures de la route, laquelle visait à évaluer l'incidence éventuelle de la réduction du taux d'alcoolémie légal à 50 milligrammes pour 100 millilitres au Canada. En outre, rares sont les membres de la CAA qui sont favorables à la réduction du taux légal. La CAA s'inquiète des conséquences imprévues, sur le plan du respect ou de l'application de la loi, si la majorité des gens s'opposent à cette mesure. Des taux d'alcoolémie plus élevés devraient entraîner des sanctions plus sévères parce que les conducteurs dont le taux d'alcoolémie est élevé causent un plus grand nombre de collisions et font plus de victimes que les autres.
Aux termes des lois actuelles, les peines imposées aux conducteurs reconnus coupables de conduite avec facultés affaiblies sont fonction de la gravité de la blessure et du nombre de condamnations antérieures. Autrement dit, la loi traite de la même façon un délinquant primaire qui présente un taux d'alcoolémie de 81 mg pour 100 ml et le conducteur dont le TA atteint 200 mg pour 100 ml.
La CAA estime que le taux d'alcoolémie est un facteur clé de la détermination de la peine étant donné que plus le conducteur a consommé d'alcool, plus le risque qu'il présente est grand. Les chauffeurs de poids lourds devraient être limités à un TA de 0,00 et faire l'objet de sanctions plus sévères en cas de conduite avec facultés affaiblies par l'alcool ou la drogue, dans le but de refléter le danger associé aux collisions avec de gros camions.
L'évaluation et le traitement obligatoires doivent être ajoutés aux dispositions relatives aux peines déjà prévues dans le Code criminel, notamment les amendes, l'incarcération et le retrait du permis de conduire, afin d'identifier les buveurs invétérés qui prennent le volant et prendre les mesures nécessaires à leur égard. La CAA recommande qu'on ajoute à ces dispositions l'évaluation obligatoire pour tous ceux qui commettent une infraction pour la première fois et le traitement obligatoire de ceux qui sont reconnus comme étant alcoolodépendants, outre les autres sanctions imposées par le tribunal.
• 1015
Il faudrait inclure dans le Code criminel des sanctions non
traditionnelles; par exemple, la surveillance électronique, la
détention à domicile et des dispositifs technologiques de
prévention, comme le dispositif de verrouillage du système de
démarrage.
Ces mesures sont nécessaires étant donné le nombre élevé de récidivistes, le ralentissement de la tendance à la baisse du nombre de conducteurs en état d'ébriété, et les problèmes d'application liés au retrait de permis de conduire. L'alcool au volant est un problème que nous devons envisager sous un nouvel angle.
Toute collision causant des blessures devrait constituer un motif raisonnable et probable pour procéder à des analyses de sang, d'haleine ou d'autres liquides organiques. On devrait par ailleurs imposer des peines plus sévères aux personnes refusant de se soumettre à un alcootest ou à une analyse visant à déterminer la consommation de drogue.
Compte tenu de la politique de la CAA qui prévoit des sanctions de plus en plus sévères, il importe que le Code criminel renferme une disposition selon laquelle le refus de se soumettre à un test en vue de déterminer le taux d'alcool ou de drogue constitue un acte criminel passible des sanctions les plus strictes.
Pour conclure, j'invite le comité à faire tout son possible pour s'assurer que des modifications efficaces sont apportées au Code criminel du Canada en ce qui a trait à la conduite avec facultés affaiblies. Ce fléau a déjà fait beaucoup trop de victimes sur nos routes et ce, depuis beaucoup trop longtemps.
Vous pouvez avoir une influence importante sur l'alcool au volant dans notre pays. Vous pouvez nous aider à débarrasser nos routes d'un problème grave et d'un criminel qui fait des victimes au hasard et sans prévenir: le conducteur en état d'ébriété.
Je vous remercie.
Le vice-président (M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)): Merci beaucoup. Je félicite tous les témoins d'avoir respecté le délai qui leur était imposé; vos mémoires sont consignés dans nos dossiers et feront partie du compte rendu du comité, lequel en tiendra compte dans ses délibérations.
Pour le premier tour de questions, nous aurons sept minutes et nous commençons par M. Harris.
M. Dick Harris (Prince George—Bulkley Valley, Réf.): Merci. Moi aussi je tiens à vous remercier de vos excellents exposés, et surtout de certaines remarques que vous avez faites. La conduite avec facultés affaiblies n'est pas un accident, c'est un acte criminel très grave.
Je suis parfois perplexe lorsque j'entends parler, dans les médias, d'une collision due à un chauffard en état d'ébriété et que l'on parle d'accident. Ce n'est pas un accident, c'est un acte criminel.
Je voudrais me concentrer sur deux ou trois points, car nous avons beaucoup de questions à poser aujourd'hui.
Tous les témoins que nous avons entendus depuis le début de nos délibérations semblent être partagés sur la question de la réduction du taux d'alcoolémie admissible. L'Association canadienne des policiers, par exemple, s'est dite en faveur de cette initiative lorsqu'elle a comparu devant le comité. Par contre, l'Association canadienne des chefs de police était d'avis contraire, et, dans tous les témoignages que nous avons reçus, on s'est dit une fois pour, une fois contre. Il en va de même aujourd'hui.
Je vais peut-être poser la question en premier aux représentants de MADD Canada. Je sais que dans le cadre de votre politique nationale, si j'ai bien compris, vous recommandez un TA admissible de 0,05, et pourtant, je crois vous avoir entendu demander aujourd'hui qu'on applique la limite encore plus sévère, soit 0,08. Y a-t-il là contradiction avec votre politique nationale, ou y a-t-il d'autres raisons que vous pouvez nous expliquer?
M. Tony Carvalho: Il n'y a pas de contradiction à nos yeux. Nous avons l'impression que le taux actuel de 0,08 n'est pas vraiment respecté. Il faut essayer d'être pragmatique sur ce point. Il faut d'abord faire respecter le taux de 0,08. Si on adopte un taux de 0,05 et que l'on n'apporte aucun autre changement, c'est en fait un taux de 0,08 qui sera en vigueur.
Il faut commencer par appliquer à la lettre la limite de 0,08. Vous pourriez descendre à zéro et personne ne niera que, si vous interdisiez l'alcool, cela sauverait sans doute davantage de vies, mais il faut voir les choses du point de vue pratique. Il faut d'abord que la limite de 0,08 soit appliquée.
Rien nous empêche de revenir à 0,05 si cela ne suffit pas, mais il faudrait commencer par faire appliquer rigoureusement la limite de 0,08.
M. Robert Solomon (directeur, Politiques juridiques, Mothers Against Drunk Driving): Étant donné les obstacles juridiques et administratifs qui s'opposent à une application efficace du Code criminel, la limite de 0,08 n'est pas appliquée. Si vous examinez les sondages réalisés auprès des services de police, vous verrez que le tiers des policiers reconnaissent qu'ils s'abstiennent souvent ou fréquemment de porter des accusations criminelles ou en vertu de la loi provinciale contre un conducteur soupçonné de conduite avec facultés affaiblies; 42 p. 100 d'entre eux reconnaissent qu'ils s'abstiennent parfois ou fréquemment de porter des accusations criminelles, même s'ils avaient de bonnes raisons de le faire, et de se contenter plutôt d'une accusation en vertu de la loi provinciale.
M. Dick Harris: Monsieur Solomon, si vous me permettez de vous interrompre, je comprends ce que vous dites étant donné que nous avons entendu ce témoignage. Le problème semble venir du niveau de tolérance des instruments utilisés. Ils présentent une marge d'erreur que les avocats de la défense qui s'enrichissent grâce à la conduite avec facultés affaiblies exploitent avec succès.
Vous avez raison, les policiers portent rarement d'accusations à moins d'un taux de 0,10. Vu qu'on semble laisser une marge de 0,02 avant d'intenter des poursuites, comment pouvons-nous faire appliquer un taux de 0,08 si ce n'est en fixant la limite à 0,05 ou 0,06, en laissant une marge de tolérance de 0,02 et en disant qu'avec un taux de 0,08, vous dépassez la marge de tolérance et vous allez être poursuivi?
M. Robert Solomon: Je crois qu'il y a deux réponses à cette question. La première est que la technologie nouvelle permet de contester le principe voulant que la marge d'exactitude des ivressomètres est de moins de 0,01. En deuxième lieu, les policiers ajoutent simplement une marge supplémentaire de 0,01. Il n'y a aucune raison de ne pas pouvoir obtenir une condamnation à 0,09 et c'est ce qui se passe dans de nombreuses provinces.
Je ne crois pas que le principal problème se situe là. À mon avis, la principale raison pour laquelle les policiers ne portent pas d'accusations est qu'il faut 2,6 heures pour porter une seule accusation. Il y a 10 ans, j'ai fait une étude avec Evelyn Vingilis d'où il ressortait que la police se plaignait surtout qu'il fallait trop de temps pour porter une accusation de conduite avec facultés affaiblies. Cela prenait alors 2,3 heures.
M. Dick Harris: Je le comprends, mais il faut voir cet argument également sous un autre angle. Il faut trop de temps pour porter une accusation dont on n'est pas certain de l'aboutissement, et c'est là que se situe le problème.
Les avocats de la défense du pays ont trouvé le moyen de tirer leurs clients d'affaire en invoquant des subtilités juridiques et les policiers deviennent tout à fait dégoûtés du système pénal. Ils se disent qu'à moins d'obtenir un taux de 0,10, il ne vaut pas la peine de porter des accusations, parce qu'un avocat habile va exonérer l'accusé. Tel est le découragement qui règne chez les policiers.
S'il était possible de faire appliquer la limite de 0,08—et il est certain qu'à ce taux d'alcoolémie une personne a ses facultés affaiblies et ne devrait pas se trouver derrière un volant—comment faire appliquer la limite de 0,08 étant donné les arguments que les avocats de la défense ont invoqués jusqu'ici?
M. Robert Solomon: Je donnerais deux réponses à votre question. Premièrement, nous pouvons obtenir des condamnations en dessous de 0,10 et il faut insister là-dessus. De nouvelles technologies ont fait leur apparition. Le principal problème est qu'il faut rationaliser l'application du Code criminel. Voilà pourquoi nous avons demandé l'éthyloscopie en numérique mobile, des tests obligatoires de coordination des mouvements, la prolongation du temps limite pour les tests, l'utilisation de détecteurs d'alcool passifs et plusieurs autres stratégies qui raccourciront le processus afin que la police n'ait pas à y consacrer 2,6 heures et qu'elle puisse appliquer la loi plus efficacement.
Si après avoir rationalisé le système de justice pénale nous n'obtenons toujours pas les résultats souhaités et si la nouvelle technologie ne nous permet toujours pas de faire appliquer la limite de 0,08 ou un niveau très proche, MADD estimera sans doute alors que la seule façon de faire appliquer rigoureusement la limite de 0,08 est d'abaisser le niveau à 0,05. Mais je crois qu'il serait logique de commencer par rationaliser le processus.
Le vice-président (M. Paul DeVillers): Merci.
Votre temps de parole est expiré, monsieur Harris. Vous pourrez poser d'autres questions quand nous ferons notre deuxième tour de table.
[Français]
Monsieur Brien, je vous accorde sept minutes.
M. Pierre Brien (Témiscamingue, BQ): Lors de leurs présentations, la plupart des témoins qui ont comparu ce matin ont proposé différentes façons de renforcer les sanctions, notamment en apportant des modifications au Code criminel.
• 1025
Je me préoccupe du fait qu'on a observé
au cours des dernières années
un nombre croissant de délits de fuite lors
d'accidents impliquant des conducteurs censés être en
état d'ébriété, ce qui rend la preuve tout à fait
différente.
Je crains qu'en renforçant les sanctions et en faisant abstraction de la question des délits de fuite, on risque d'augmenter l'incidence de ce comportement et de faire en sorte que les conducteurs auront de plus en plus souvent le réflexe de quitter les lieux de l'accident, créant ainsi d'autres problèmes parce qu'ils auront négligé de porter assistance aux gens qu'ils auront blessés, s'ils ne sont pas déjà décédés. Aucun des mémoires qu'on nous a présentés ce matin ne parle des délits de fuite. J'aimerais savoir si vous vous êtes penchés sur cette question.
[Traduction]
M. Tony Carvalho: Pour ce qui est changements que nous recommandons d'apporter au Code criminel à cet égard—et je crois que nous en avons tous parlé—des sanctions très sévères doivent être imposées en cas de délit de fuite. Quelqu'un qui prend la fuite le fait après avoir calculé les risques. Il faut que les gens se rendent compte qu'ils s'exposent aux peines les plus sévères s'ils quittent les lieux de l'accident. Cela contribuera à les en dissuader. Vous ne pouvez pas prévoir des sanctions plus sévères sans modifier également les dispositions concernant le délit de fuite.
M. Robert Solomon: Je suis d'accord avec vous. Depuis le resserrement de la loi, en 1985, lors de la dernière série de révisions au niveau fédéral, il y a eu une augmentation importante des délits de fuite. Je suis d'accord avec vous pour dire que si nous changeons les dispositions concernant la conduite avec facultés affaiblies, il faudra veiller à ce qu'il ne soit pas tentant, pour le conducteur qui cause un accident en état d'ébriété, de prendre la fuite. Je suis d'accord avec vous.
[Français]
M. Pierre Brien: Ma deuxième question porte sur la cinquième recommandation du groupe MADD, Mothers Against Drunk Driving, et sur la septième recommandation de l'Association automobile canadienne, qui nous proposent de permettre à la police d'ordonner à tout conducteur impliqué dans un accident ayant causé des lésions corporelles de subir un test au moyen d'un dispositif de dépistage agréé.
Pourquoi n'est-il pas possible à l'heure actuelle qu'un policier ordonne à un conducteur de passer un test s'il a eu un accident? Quelle modification proposez-vous à cet égard?
[Traduction]
M. Robert Solomon: Pour le moment, vous devez avoir un doute raisonnable que le chauffeur a de l'alcool dans le sang pour exiger qu'il se soumette à l'ivressomètre sur place. Le problème est qu'en cas d'accident, le chauffeur est amené à l'hôpital et ne se trouve plus sur le bord de la route. Le policier qui se présente ne peut pas, du moins dans certaines provinces, exiger qu'il subisse le test. Les tribunaux ne le permettront pas parce que cela n'a pas lieu sur le bord de la route. Pour exiger le prélèvement d'un échantillon d'haleine ou de sang, le policier doit avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu'une infraction a été commise. Dans certaines circonstances, la police ne peut pas invoquer cette raison.
Je voudrais vous citer deux cas qui vous montreront pourquoi les policiers sont découragés. Le fait est que nos lois visant la conduite avec facultés affaiblies n'ont pas donné les résultats escomptés. Elles ont été mises en place en 1985 pour faire en sorte que ceux qui tuent quelqu'un parce qu'ils conduisent en état d'ivresse soient plus sévèrement punis. Ces lois sont sans effet et je vais vous citer des chiffres.
• 1030
Je voudrais vous décrire le sentiment de découragement que
cela cause. Le premier cas est celui d'une jeune femme dont la
camionnette a percuté de front une petite voiture, tuant quatre
jeunes gens de 19 ans et blessant un cinquième. Elle a été emmenée
à l'hôpital. La police l'y a suivie et a demandé qu'un échantillon
de sang soit prélevé. Le juge a dit que le policier n'avait pas de
motif raisonnable et probable pour exiger une analyse sanguine.
Cette femme a été acquittée de toutes les accusations de conduite
avec facultés affaiblies qui pesaient contre elle et de toutes les
autres accusations criminelles. Même si son taux d'alcoolémie
indiquait qu'elle était en état d'ivresse, elle a échappé à toute
sanction pénale.
Je voudrais vous citer le cas Swinson. M. et Mme Swinson font partie de notre conseil d'administration.
Le vice-président (M. Paul DeVillers): Monsieur Solomon, il reste 30 secondes pour ce tour.
M. Robert Solomon: Ce sont là de graves problèmes. Voilà pourquoi il faudrait que l'accident suffise pour exiger un prélèvement immédiat.
L'autre observation que je voudrais faire est celle qui pourrait venir à l'esprit d'une personne cynique et désabusée, ce que je ne suis pas, en examinant les statistiques, à savoir que la loi ne vous interdit pas de boire, de conduire et de tuer à moins que vous soyez pauvre, très stupide ou que vous n'écrasiez quelqu'un d'important.
Chaque année, 1 680 décès résultent de la conduite avec facultés affaiblies. Dans environ la moitié des cas, soit 800, le conducteur meurt et aucune accusation n'est donc portée. Il y a environ 800 cas de conduite avec facultés affaiblies causant la mort. Le nombre total d'accusations est de 130 sur 800. Le taux de condamnation, du moins en Ontario, est de moins de 45 p. 100. Si nous prenons la conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles, il y a 74 000 cas de ce genre par an. Mille deux cents accusations sont portées. J'ai les statistiques exactes. C'est très alarmant.
Le vice-président (M. Paul DeVillers): Merci, monsieur Solomon. Pourriez-vous fournir ces statistiques au comité, s'il vous plaît? Nous obtenons des données contradictoires.
Je vais maintenant donner la parole à M. MacKay pour un tour de sept minutes.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, P.C.): Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier tous nos témoins et les féliciter d'accorder à cette question une attention aussi prioritaire et d'avoir réitéré ce qu'ils nous ont déjà dit par le passé.
Une des questions que je voudrais poser me ramène à un sujet abordé tout à l'heure. C'est à propos des avocats pour qui la loi sur la conduite avec facultés affaiblies représente un secteur d'activité en pleine expansion. J'ai encore beaucoup d'amis qui exercent le droit et qui aimeraient beaucoup que des changements soient apportés parce que cela va entraîner inévitablement de nouvelles contestations judiciaires.
Je devrais peut-être adresser ma question à M. Solomon pour ce qui est des répercussions de la Charte et n'hésitez pas à aborder les recommandations qui sont formulées ici. Pour ce qui est des répercussions de la Charte, la plus évidente est celle que vous avez déjà mentionnée à savoir les tests que les policiers font au bord de la route. Comme vous le savez, à une certaine époque les policiers pouvaient exiger un test de sobriété sur place et c'était une preuve admissible devant les tribunaux. À l'heure actuelle, si une fois qu'on lui a fait connaître ses droits, l'intéressé se porte volontaire pour se soumettre au test de sobriété, la preuve n'est pas admissible et peut seulement être invoquée comme l'une des raisons d'administrer l'alcootest.
Étant donné que la Charte est omniprésente à Ottawa, je voudrais savoir quelles en sont les conséquences et ce que les tribunaux pourraient faire grâce à certains de ces changements.
M. Robert Solomon: Je vous remercie de votre question. Nos recommandations se fondent sur environ sept ou huit mois de travail avec deux de mes collègues, dont l'un est un expert du droit constitutionnel et professeur de droit constitutionnel et l'autre un ancien avocat de la Couronne et professeur de droit de la preuve et de droit pénal.
Nous avons formulé nos propositions en étant parfaitement conscients de la Charte et après avoir procédé à des analyses juridiques détaillées quant aux conséquences probables de la Charte.
• 1035
Mais permettez-moi de citer brièvement une cause. Le juge Cory
a déclaré, dans l'affaire Galaske c. O'Donnell:
-
Conduire un véhicule automobile n'est ni un droit naturel ni un
droit constitutionnel. Il s'agit d'une activité qui tient à la
possession d'un permis et qui est assujettie à certaines
conditions, dont la démonstration d'un niveau minimal d'habileté et
de connaissances en matière de conduite.
Les avocats de la défense vous diront que la conduite est une liberté aux termes de l'article 7. Ils disent des choses très curieuses. Je les instruis, mais je ne suis pas responsable de ce qu'ils racontent après avoir quitté la faculté de droit. Si vous vous reportez aux jugements de la Cour d'appel de l'Alberta, la Cour d'appel du Manitoba, la Cour d'appel de la Saskatchewan, la Cour d'appel du Yukon, la Cour d'appel de l'Ontario et la Cour d'appel du Québec, chacune d'elles a déclaré que conduire un véhicule n'était pas une liberté au sens de l'article 7 de la Charte.
Cause après cause, la Cour suprême du Canada a dit que conduire un véhicule est une activité très réglementée et qu'un alcootest administré sur place, par exemple, ne va pas à l'encontre de l'article 8 concernant les fouilles et saisies abusives, étant donné que celui qui conduit une automobile ne peut pas vraiment s'attendre à ce que sa vie privée soit respectée.
Dans l'affaire R. c. M.(M.R.), dans laquelle un étudiant soupçonné de posséder de la marijuana avait été fouillé dans une école, la Cour suprême du Canada a déclaré que nous devions interpréter la Charte de façon raisonnable et que l'école étant un milieu réglementé, l'interprétation de la Charte devait en tenir compte.
Il faut que les avocats de la Couronne et le gouvernement fédéral conteste un grand nombre de ces arguments avancés par les avocats de la défense, car la plupart d'entre eux sont sans fondement. Nous devrions faire en sorte de montrer et d'expliquer aux tribunaux que la sécurité routière est essentielle pour l'intérêt public, ce qu'ils ont déjà reconnu dans bien des cas.
M. Peter MacKay: Nous reconnaissons tous qu'il y a déjà des présomptions dont la Couronne peut se prévaloir et je suppose que des arguments similaires ont déjà été invoqués contre ces présomptions. J'ai l'impression que tout le monde autour de cette table reconnaît l'importance cruciale de cette question et la nécessité de protéger les gens qui circulent sur les routes.
Comme je l'ai déjà dit ici, un certain juge avait coutume de dire qu'un conducteur en état d'ébriété était aussi dangereux qu'un individu armé d'un pistolet chargé qui viserait chaque conducteur arrivant dans sa direction. Si la possibilité de sauver des vies n'est pas un motif d'exception suffisant dans bien des circonstances, je ne vois pas pourquoi nous avons une Charte si nous ne l'utilisons pas à bon escient.
J'aurais une ou deux questions précises à poser aux représentants de MADD. Nous avons parlé un peu du libellé utilisé dans le Code criminel. Professeur Solomon, vous avez souligné l'insuffisance du libellé de la loi en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies.
Les membres de votre groupe—et ma question s'adresse à tous—seraient-ils pour l'insertion dans le Code criminel des mots «homicide au moyen d'un véhicule»? J'ai l'impression que c'est une connotation qui manque lorsqu'on parle de conduite avec facultés affaiblies.
M. John Bates: Cette expression est utilisée aux États-Unis et je ne vois pas pourquoi nous ne l'utilisons pas ici.
M. Peter MacKay: Je voudrais poser une question à Mme MacAskill, ma collègue de Nouvelle-Écosse. En Alberta, on se sert plus régulièrement de l'anti-démarreur et il semble que cela ait des effets positifs. Dans une économie plus pauvre comme celle de la Nouvelle-Écosse et des provinces des Maritimes en général, dans quelle mesure l'obligation d'équiper son automobile d'un anti-démarreur dissuaderait un conducteur qui n'aura sans doute même pas les moyens de payer une amende de 1 000 $ et encore moins d'installer un de ces dispositifs?
Mme Susan MacAskill: C'est une bonne question, Peter. À l'heure actuelle, la Nouvelle-Écosse étudie un projet de loi concernant la conduite avec facultés affaiblies et c'est l'une des questions examinées.
Nous avons fait des recherches intensives en ce qui concerne les mesures dissuasives, et l'anti-démarreur est l'un des principaux moyens de dissuasion qui devraient faire partie de la peine imposée, selon les antécédents du contrevenant.
Je sais que M. Solomon a des arguments convaincants qui pourraient peut-être répondre à votre question.
M. Robert Solomon: Il ne fait aucun doute que l'anti-démarreur donne des résultats. Les preuves en ce sens abondent aux États-Unis et en Alberta.
Je crois très important d'inscrire ce dispositif dans la législation fédérale afin d'adopter des mesures uniformes à l'échelle du pays. L'une des principales raisons pour laquelle le public ne comprend pas la nécessité des lois contre la conduite en état d'ébriété est le manque d'uniformité des mesures d'une province à l'autre. C'est un domaine dans lequel je pense qu'il faudrait une loi fédérale. Il faudrait inscrire dans le Code criminel qu'un juge peut ordonner le placement d'un dispositif de verrouillage du démarreur dans le véhicule d'un conducteur qui est un buveur invétéré. Je sais que cela coûte cher, mais si une personne qui a commis une infraction pénale et qui a mis en danger la vie d'autrui n'a pas les moyens de se payer un anti-démarreur, je dois faire passer la sécurité routière avant ses intérêts.
M. Peter MacKay: Pourriez-vous y joindre un incitatif quelconque, par exemple, une suspension du permis de conduire d'un an en l'absence d'anti-démarreur ou de six ou neuf mois si l'on installe ce dispositif? Pensez-vous que cela donnerait des résultats?
M. Robert Solomon: Je sais que ce système fonctionne en Alberta dans le cadre de la loi provinciale.
Je serais contre. Il ne faudrait pas faire de concession. La peine imposée devrait tenir compte de la gravité de l'acte. Après avoir commis un acte criminel, vous ne devriez pas être autorisé à mettre la vie d'autrui en danger. Il ne s'agit pas d'offrir le choix. Il faudrait vous imposer une peine et, s'il y a lieu, vous obliger à utiliser un anti-démarreur sans que ce soit négociable.
M. Tony Carvalho: Cela nous ramène au fait que les personnes qui disposent de moyens financiers auraient une peine moins lourde que celles qui auraient plus de difficulté à assumer ce coût.
M. John Bates: Telle est notre position. L'anti-démarreur doit s'ajouter à toute autre peine imposée. C'est une des raisons pour lesquelles nous demandons qu'un comité étudie cette question. Nous ignorons de combien de ces dispositifs on aura besoin. S'agit-il de 30 000? D'où viendront-ils? Pouvons-nous les fabriquer et résoudre certains problèmes? Nous savons que l'anti-démarreur fonctionne et qu'il sauve des vies, mais nous ignorons s'il est possible, en pratique, d'appliquer cette méthode. Je crois qu'il faudra commencer par l'établir.
M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président. Je ne veux pas monopoliser tout notre temps.
Le président: Merci, monsieur MacKay.
Monsieur Solomon, vous avez mentionné un certain nombre de cas. Pourriez-vous nous communiquer la liste de ces cas, de même que tout autre cas justifiant vos arguments?
M. Robert Solomon: Certainement. Je suis prêt à vous fournir tous les renseignements que vous voudrez. Nous pouvons certainement vous communiquer les détails de ces deux cas tragiques, le cas Wooley et le cas Swinson.
Le président: Merci.
M. Fred Burford: Le professeur se tiendra à la disposition du comité pour l'aider à s'acquitter de sa tâche.
Le président: Merci.
Monsieur McKay.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Dans le mémoire de MADD, il est question de prolonger le temps limite de deux heures pour le test au moyen de l'ivressomètre ou d'un appareil de détection approuvé. Je ne comprends pas votre raisonnement étant donné que la police s'est plaint qu'il fallait beaucoup trop de temps pour traiter ces dossiers. Pour quelle raison voudriez-vous prolonger le délai?
M. Robert Solomon: D'après ce que nous a dit la police, surtout lors des accidents causant des blessures et des décès, sa première priorité est de porter secours aux victimes. Souvent, elle n'a pas le temps de s'occuper de l'application de la loi. C'est pourquoi elle nous a dit que le délai de deux heures prévu pour exiger un test au moyen d'un appareil de détection approuvé ou d'un ivressomètre l'empêchait parfois de porter des accusations criminelles. Si le conducteur en état d'ébriété est emmené immédiatement à l'hôpital, il faut parfois deux heures à la police pour le retrouver. Le temps qu'elle fasse sa demande et que le conducteur exerce son droit de consulter un avocat, les deux heures peuvent être écoulées. Il est arrivé que des individus qui ont tué ou blesse des gens sous l'influence de l'alcool n'aient pas fait l'objet d'accusations criminelles. Voilà pourquoi nous voulons prolonger ce délai de deux heures, à la fois pour la demande et la présentation.
Les avocats de la défense vous diront que cela poserait des difficultés indues pour l'accusé, mais je ne suis pas du tout d'accord, pour deux raisons. D'abord, la police a tout intérêt à exiger un prélèvement d'haleine le plus tôt possible étant donné que, plus elle attend, plus le taux d'alcoolémie du suspect diminue. La police n'a donc aucun intérêt à faire traîner les choses.
• 1045
En deuxième lieu, le Code criminel prévoit que le policier
doit exiger ce test le plus tôt possible. Pour le moment, la limite
de deux heures sert les intérêts des individus qui causent des
décès et des blessures. Ce sont eux qui échappent à la justice
grâce au délai de deux heures et voilà pourquoi nous proposons de
le prolonger.
M. John McKay: Éclairez-moi. Si je suis un policier sur les lieux d'un accident, qu'est-ce qui empêche de commencer immédiatement à compter les deux heures?
M. Robert Solomon: Le problème est que le conducteur peut demander d'être conduit aussitôt à l'hôpital. Il part en ambulance et vous ne pouvez pas le rattraper avant son arrivée à l'hôpital.
M. John McKay: Ce problème persistera de toute façon, n'est-ce pas?
M. Robert Solomon: Oui.
M. John McKay: Par conséquent, si vous commencez à compter les deux heures dès que vous exigez le test sur les lieux de l'accident, peu importe à quel moment vous rattrapez le conducteur.
M. Robert Solomon: Le problème est qu'il y a en fait deux limites de temps importantes. C'est très compliqué, j'en suis désolé. Il y a un délai pour demander le test et je crois que c'est prévu à l'article 258—je mélange toujours les paragraphes—qui contient une disposition déterminative. Si vous dépassez ce délai, vous pouvez toujours produire l'analyse de l'haleine, mais vous n'avez plus l'avantage de la présomption que prévoit l'article 258, je crois, ce qui veut dire que la Couronne...
M. John McKay: Doit en faire la preuve.
M. Robert Solomon: ...doit en faire la preuve. Elle doit faire témoigner un toxicologue. Vous savez que l'autre partie va faire comparaître un expert. Vu tout ce que cela exige, d'après ce que m'ont dit les procureurs de la Couronne, lorsqu'il s'agit d'un simple cas de conduite avec facultés affaiblies ou de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des blessures légères, s'il faut faire comparaître un toxicologue, ils ne se donnent pas la peine de poursuivre.
M. John McKay: Pourriez-vous alors invoquer l'autre article...?
M. Robert Solomon: D'après ce que m'ont dit les policiers, la limite imposée pour demander le test ainsi que la présomption permettent à certains individus de s'en tirer impunément.
M. John McKay: D'accord.
M. Robert Solomon: C'est assez technique. Je suis désolé que ce soit aussi complexe.
Mme Susan MacAskill: Monsieur McKay, je peux vous dire que cette question me décourage énormément. Dans ma situation personnelle, il s'est écoulé trois heures et l'homme qui a tué mon père avait une alcoolémie de 0,196. C'est la concentration d'alcool qu'il avait dans son sang trois heures après l'accident. Le certificat de décès de mon père indique qu'il est mort de pneumonie après avoir été débranché des appareils qui maintenaient ses fonctions vitales.
Il est extrêmement important pour les victimes que justice soit faite et que des accusations de conduite avec facultés affaiblies soient portées. Et s'il faut pour cela prolonger le temps limite à trois heures, c'est une demande raisonnable d'après les recherches que nous avons faites.
M. John McKay: Ce n'est pas tant cette demande qui nous préoccupe, mais plutôt le découragement dont la police nous a fait part. Voilà pourquoi votre réponse m'a éclairé.
Ma deuxième question s'adresse à l'Association automobile canadienne et concerne le fait que, selon les témoignages que nous avons reçus, le problème est causé 65 p. 100 par 1 p. 100 des conducteurs. Comment centrer notre attention sur ces personnes? Comment les rejoindre? Elles semblent n'avoir aucun respect pour la loi. Je constate que vous recommandez d'inclure des sanctions non traditionnelles dans le Code criminel: une surveillance électronique, l'interdiction de sortir, des dispositifs de prévention et des anti-démarreurs. Ces mesures s'adressent-elles à ces conducteurs?
Mme Elly Meister: Je vais laisser Rosalinda répondre étant donné qu'elle a étudié cette question de façon approfondie.
Rosalinda, voudriez-vous répondre?
Mme Rosalinda Weisbrod (directrice, Sécurité routière, Association canadienne des automobilistes): Je crois qu'il s'agit plutôt du fait qu'on ne peut pas traiter les gens qui récidivent constamment, qui conduisent avec un taux d'alcoolémie élevé, de la même façon que le conducteur plus conscient de ses responsabilités ou la personne qui conduit avec une alcoolémie de 0,08. Avec des sanctions échelonnées, en fonction de l'alcoolémie, vous reconnaissez que la conduite avec facultés affaiblies est un crime, mais qu'elle cause plus de décès et de blessures lorsque le taux d'alcoolémie atteint un haut niveau. Vous devez traiter ce conducteur beaucoup plus sévèrement que celui qui a une alcoolémie de 0,08 car il apprend jamais. Des accusations sont portées contre lui sans que cela ne change rien. Il récidive constamment. Il faut donc prendre davantage de mesures contre ces personnes.
M. John McKay: C'est plutôt l'échelonnement que les peines comme telles qui permettrait, selon vous, de s'attaquer à ce 1 p. 100 de conducteurs.
Mme Rosalinda Weisbrod: Oui. Vous pourriez intégrer les anti-démarreurs en disant que toute personne dont le taux d'alcoolémie atteint 0,117 ou 0,200 devrait être obligée d'avoir un anti-démarreur dans son automobile. Cela pourrait être inclus dans la loi, mais il faudrait examiner la question afin de prendre toutes ces sanctions différentes contre les récidivistes.
Le président: Merci, monsieur McKay.
Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): J'ai seulement une brève question à poser à l'ensemble de nos témoins.
Certaines personnes nous ont parlé du consentement tacite. Je me demande ce que vous en pensez. Par «consentement tacite», je veux dire que lorsque vous recevez un permis de conduire, vous consentez du même coup à être examiné, arrêté pour qu'on vérifie votre sobriété, etc.
M. John Bates: Ce consentement tacite existe déjà. Le professeur Solomon est sans doute mieux en mesure de vous répondre que moi, mais si vous avez une automobile, vous êtes responsable de ce qu'il advient à cette automobile et de ce qu'elle fait. Avant que le programme RIDE aille devant la Cour suprême, où il a gagné deux fois, nous avons contacté le ministère des Transports de l'Ontario pour demander si l'on ne pourrait pas inscrire au verso de nos permis un message disant: «En détenant un permis de conduire j'accepte qu'un policier me soumette à l'ivressomètre.» Toutefois, l'arrêt de la Cour suprême a confirmé que la police avait ce droit de toute façon.
M. Robert Solomon: Conduire est certainement une activité réglementée assujettie à l'obtention d'un permis si bien que le consentement tacite est un principe qui s'applique au niveau provincial étant donné que la province, qui réglemente les permis, peut aussi les enlever. Mais pour ce qui est du Code criminel...
M. Chuck Cadman: Je regrette, j'aurais dû m'expliquer; c'est là que je voulais en venir.
M. Robert Solomon: ...nos tribunaux vont sans doute exiger, étant donné qu'il s'agit des pouvoirs coercitifs de l'État et du droit pénal, que nous satisfaisions aux exigences de la Charte.
Ces exigences de la Charte devraient tenir compte du caractère très réglementé de la conduite automobile et de l'intérêt supérieur du public dans la sécurité routière. Par conséquent, le principe du consentement implicite ne pose aucun problème au niveau provincial pour ce qui est de l'octroi des permis. Je crois que les tribunaux seront d'accord. Au niveau fédéral, vous ne pouvez sans doute pas faire valoir qu'il s'agit d'une activité assujettie à l'obtention d'un permis; par conséquent, tout policier peut arrêter un conducteur, en tout temps, et exiger une analyse sanguine qui pourra servir de preuve dans une cause pénale.
Telle est la répartition entre la réglementation provinciale... et le Code criminel. Je crois que nous pouvons réaliser beaucoup de progrès, sur le plan de la Charte, au niveau du Code criminel fédéral.
Le président: Merci, monsieur Cadman.
Monsieur Saada.
[Français]
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Merci, monsieur le président.
En fait,
[Traduction]
Je suis certain que tous mes collègues ne savent plus trop à quoi s'en tenir étant donné qu'ils doivent prendre des décisions pour modifier la loi et qu'ils reçoivent pour ce faire des recommandations contradictoires. Nous essayons tous d'aborder la question de bonne foi.
Je voudrais revenir sur la question des limites. Certains ont parlé d'une tolérance zéro. D'autres ont préconisé de maintenir la limite telle qu'elle est et de la faire appliquer. D'autres encore ont proposé de l'abaisser. Je ne pense pas qu'il y ait là une seule vérité, mais plusieurs. Comme vous l'avez dit, ce modèle existe déjà dans certaines provinces et peut donner des résultats dans certaines circonstances. Je ne crois pas qu'il pourrait être appliqué de façon générale.
Je voudrais revenir sur l'argument de M. McKay. Ce chiffre m'a vraiment frappé, à savoir que 1 % de récidivistes sont responsables de 65 p. 100 des accidents. D'après les témoins, les programmes de traitement sont sans effet sur ces gens-là. Ils sont insensibles à la publicité et aux campagnes de sensibilisation. Ils contournent la loi. Lorsqu'ils n'ont plus de permis, ils demandent à quelqu'un de louer une voiture pour eux. Par conséquent, si vous leur imposez un anti-démarreur, ils trouveront une échappatoire. Ils reprendront le volant et nous aurons toujours 1 400 personnes tuées chaque année.
• 1055
Je n'ai rien vu, dans vos mémoires, qui s'adressait
spécifiquement à ce groupe de gens. Ces dispositions pourraient
s'appliquer à eux, mais elles ne les visent pas expressément. Si
vous ne visez pas ce groupe en particulier, j'ai l'impression que
vous ne vous attaquiez pas au coeur du problème. Pourriez-vous
m'éclairer davantage?
M. Tony Carvalho: Si nous pouvons rendre les lois plus efficaces et rationaliser le processus, nous viserons ces personnes. Nous voulons mettre un terme à la conduite avec facultés affaiblies. Nous savons que c'est une minorité de gens qui causent la majorité des accidents, mais il reste quand même environ 600 personnes par an qui sont tuées par des buveurs occasionnels. Nous ne pouvons pas les laisser faire sous prétexte qu'ils ne sont pas... Nous avons besoin...
M. Jacques Saada: Comprenez-moi bien. Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que je pourrais être satisfait en ce qui concerne la première partie, la sensibilisation et le reste, mais pas en ce qui concerne les récidivistes.
M. Tony Carvalho: D'accord. J'aurais une ou deux choses à mentionner. Premièrement, il y a ce mythe concernant les récidivistes. Vous avez dit que 1 p. 100 des conducteurs causaient les deux tiers des blessures; en fait, ce n'est pas vrai. Les accidents de la route font 74 000 blessés. Disons que certains font plusieurs victimes et nous avons donc 60 000 collisions causant des blessures. Sur un total de 15 millions de conducteurs qui ont leur permis de conduire au Canada—j'espère ne pas me tromper—60 000 accidents représentent un pourcentage de 0,04 p. 100. Si vous prenez le nombre de décès, et il peut y avoir des décès multiples, 15 millions de conducteurs divisé par 1 500 décès représente un pourcentage de 0,01 p. 100. Je ne pense donc pas que ce chiffre soit vraiment utile. Les récidivistes sont surreprésentés de façon disproportionnée et il faut rationaliser la loi pour les attraper. Cela me paraît important.
J'ai un tableau, que je voudrais distribuer, indiquant que 62 p. 100 des conducteurs mortellement blessés ont un taux d'alcoolémie supérieur à 0,15 tandis que 38 p. 100 se situent en dessous. Mais il faut comprendre que ceux dont le taux d'alcoolémie est supérieur à 0,15 p. 100 ne sont pas tous des buveurs invétérés.
Je travaille dans un campus universitaire et je sais que dans les universités et les collèges les jeunes boivent beaucoup de façon occasionnelle. Un grand nombre de conducteurs dont le taux d'alcoolémie dépasse 0,15 qui se retrouvent dans nos statistiques ne sont pas des buveurs invétérés. Cela comprend le jeune qui veut se saouler cinq fois par an et qui, lorsqu'il est ivre, prend le volant avec un taux d'alcoolémie supérieur à 0,15 et cause un grave accident.
Je crois donc que si l'on centre son attention sur les buveurs invétérés, qui posent un grave problème, on oublie qu'il y a aussi un grand nombre de gros buveurs épisodiques, les étudiants des collèges et des universités, le capitaine de l'équipe de hockey universitaire qui boit 10 bouteilles de bière pour célébrer la victoire et qui se tue sur la route.
En deuxième lieu, je crois important que les stratégies visant à rationaliser l'application de la loi aient un effet dissuasif. La Fondation de recherches sur les blessures de la route a estimé qu'un cas de conduite avec facultés affaiblies sur 445 faisait l'objet d'une accusation. Si nous pouvons rationaliser l'application de la loi et augmenter le pourcentage d'accusations, c'est sur ceux qui boivent et conduisent le plus que cela produira le plus d'effet.
Nous recommandons des mesures qui amélioreront la situation en ce qui concerne les buveurs invétérés. Nous voulons une évaluation obligatoire, au niveau fédéral, pour une première infraction. Par conséquent, si vous êtes alcoolique, nous ne voulons pas attendre votre troisième ou votre quatrième condamnation; nous ne voulons pas attendre que vous tuiez ou blessiez quelqu'un. Nous voulons que vous soyez évalué après votre première condamnation pour conduite avec facultés affaiblies. Si vous avez un problème face à l'alcool, nous voulons que vous suiviez un traitement. Si vous avez une alcoolémie élevée et un problème d'alcoolisme, nous voulons que votre automobile soit équipée d'un anti-démarreur.
Un certain nombre de nos stratégies visent donc les buveurs invétérés, mais je tiens à ce que nous ne traitions pas l'alcoolique de 45 ans qui a le nez rouge comme le diable en personne, car nous passerions à côté d'une partie importante du problème. Voilà le genre de mesures qui produiront beaucoup d'effets, même sur les gros buveurs.
Le président: Merci, monsieur Solomon.
Monsieur Murray.
M. Ian Murray (Lanark—Carleton, Lib.): Merci, monsieur le président. Je dois signaler à nos témoins que je ne fais pas habituellement partie de ce comité. Je me réjouis toutefois d'être ici pour cette discussion importante.
J'aimerais une leçon d'histoire. En écoutant le professeur Solomon, j'ai eu l'impression que nous étions peut-être les victimes de la technologie moderne en ce sens que toutes ces condamnations ou absences de condamnation attribuables à l'utilisation de l'ivressomètre aux limites de temps semblent avoir permis à bien des gens de s'en tirer impunément.
Par le passé, la conduite avec facultés affaiblies était déjà un crime, que je sache. Avant l'invention de l'ivressomètre, vous deviez marcher sur la ligne médiane pour que la police juge si vos facultés étaient affaiblies ou non. J'ignore quel était le taux de condamnation. Mais je voudrais seulement savoir si la loi a changé à tel point que les vieilles méthodes utilisées pour établir si un conducteur était en état d'ivresse n'existent plus et que nous nous fions uniquement à la technologie et à l'alcootest?
M. Robert Solomon: L'un des principaux sujets de plainte des policiers est qu'il leur est difficile d'obtenir une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies, si vous avez conduit un véhicule alors que vous n'étiez pas en mesure de le faire. Ils trouvent décourageant que les juges ont tendance à ne pas accepter leurs preuves. Cela pose donc un problème en ce sens que si nous comptons uniquement sur les observations des policiers, nous perdrons de nombreuses occasions de porter des accusations.
La limite de 0,08 a été imposée parce qu'il était difficile d'obtenir des condamnations pour conduite avec facultés affaiblies. Certaines de nos propositions sont très importantes. La première consiste à modifier le Code criminel pour autoriser la police à se servir de détecteurs d'alcool passifs. Le policier pourra ainsi établir rapidement que vous avez bu. Cela l'aidera à repérer plus efficacement les gens dans le cadre des programmes RIDE.
Des études américaines indiquent que la police laisse passer 50 p. 100 des conducteurs en état d'ébriété lorsqu'elle se fie seulement à des indices visuels. Les détecteurs d'alcool passifs lui seront donc utiles.
Nous voulons également que le Parlement légifère pour obliger les gens à se soumettre à un test de coordination des mouvements et nous voulons que ce test soit enregistré sur cassette-vidéo. Encore une fois, c'est une recommandation qui provient, dans une large mesure, des services de police. Ces deux propositions contribueront à augmenter le taux de condamnation si vous ne disposez pas, sur place, d'un appareil de détection ou d'un ivressomètre et si vous devez vous fier à vos seules observations. C'est changement devraient améliorer la situation.
Le président: Merci, monsieur Murray.
Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président. La plupart de ces propositions contribueront certainement à mieux sensibiliser le public. Nous le devons à MADD et dans une certaine mesure à l'Association des brasseurs ainsi qu'à l'Association canadienne des automobilistes. MADD a certainement beaucoup fait pour promouvoir ce genre de mesure. Le public est certainement plus sensibilisé au problème. Cela dit, tout changement législatif que nous apporterons, surtout en ce qui concerne le traitement obligatoire, aura des effets négligeables à moins que le gouvernement n'y investisse les ressources financières voulues.
Il y a toutes sortes de façons de décrire la situation, mais nous avons entendu le point de vue de l'Association canadienne des policiers et des membres des services de police. Ils font face à de sérieuses contraintes budgétaires. L'exemple le plus flagrant est sans doute le traitement obligatoire. Il est facile pour un juge d'ordonner un traitement, mais lorsque l'accusé quitte le tribunal, il n'existe aucun programme à sa disposition, surtout dans les régions rurales. Un centre de traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie vient de fermer ses portes dans ma circonscription et il n'y a plus aucun établissement de ce genre dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres.
Les programmes de désintoxication de 28 jours ont été ramenés à 21 jours. Je vous invite tous à dire combien il est important de consacrer les ressources nécessaires à ces mesures. C'est sans doute pure coïncidence si je soulève cette question le jour du budget.
M. John McKay: C'est une question de champ de compétence.
M. Peter MacKay: Certainement. C'est une question de champ de compétence, mais pour que ces programmes de traitement obligatoire que vous préconisez soient mis en place, il faut de l'argent.
M. John Bates: La période d'attente pour qu'un alcoolique puisse bénéficier d'un traitement utile, de 21 ou 28jours, est de plusieurs mois. On peut dire effectivement que lorsque ces personnes sortent du tribunal qui les a reconnues coupables et condamnées à suivre une cure de désintoxication, où vont-elles pouvoir la suivre? Vous avez parfaitement raison. Elles peuvent subir un sevrage à l'hôpital ou ailleurs, ce qui est à peu près inutile, ou s'adresser aux alcooliques anonymes, ce qui donnera ou non des résultats. C'est parfois efficace, mais pas toujours. Par contre, pour aller dans un établissement de traitement comme Bellwood ou suivre un traitement du même genre, qui est excellent, cela peut prendre des mois et c'est souvent très coûteux. Mais vous avez parfaitement raison. C'est là une grosse lacune. Si vous ne pouvez pas obtenir de traitement, pourquoi vous l'imposer?
M. Peter MacKay: Qu'en est-il du financement privé de...
Le président: Monsieur MacKay, vous avez demandé à tous les témoins de faire connaître leur opinion. Voulez-vous qu'ils le fassent tous?
M. Peter MacKay: Oui, certainement.
Le président: La CAA.
Mme Rosalinda Weisbrod: Nous sommes également entièrement d'accord et voilà pourquoi il est absolument nécessaire que tous les niveaux de gouvernement se penchent ensemble sur la question. Nous devons tous nous engager. Nous savons qu'il s'agit d'un problème grave. Si nous le réglons à un niveau, comment faire en sorte de pouvoir le régler au niveau suivant? Le gouvernement fédéral ne peut donc pas agir seul. Il doit travailler en collaboration avec les gouvernements provinciaux et municipaux. Nous devons trouver un moyen de relier ensemble les différentes mesures.
Le président: Merci.
MADD.
M. Tony Carvalho: Comme vous l'avez dit, les parties prenantes sont nombreuses et je crois que la plupart d'entre elles, qu'elles soient gouvernementales ou non gouvernementales, bénéficieraient de mesures de ce genre. Je ne peux pas parler en leur nom, mais étant donné ce que la conduite en état d'ivresse coûte cher aux compagnies d'assurance, si vous prenez ce genre de programme... Encore une fois, je ne peux pas parler en leur nom, mais je suis certain qu'elles seraient prêtes à participer, dans une certaine mesure, à ce genre de programme.
M. Robert Solomon: Il faut d'abord bien préciser aux juges qu'ils ont le pouvoir d'autoriser des évaluations et un traitement et cela obligera à modifier le Code criminel. C'est la première étape.
La deuxième étape consiste à veiller à ce que les ressources requises soient disponibles. Nous pouvons vous dire que MADD va frapper aux portes de vos homologues provinciaux pour veiller à ce que ce soit le cas.
Du point de vue juridique, je ne suis pas tellement inquiet. Si une personne fait l'objet d'une ordonnance de traitement et qu'il n'y a pas de traitement disponible, elle ne viole pas intentionnellement les conditions de sa probation du moment qu'elle fait un effort raisonnable. Je conviens de l'importance des ressources. Mais il nous faut d'abord un Code criminel qui donnera aux juges du pays les outils dont ils ont besoin pour que les conducteurs alcooliques soient évalués et obtiennent le traitement dont ils ont besoin, faute de quoi ils ne récupéreront pas leur permis.
Le président: Merci, monsieur MacKay.
Madame Bakopanos.
Mme Eleni Bakopanos (Ahuntsic, Lib.): Merci. J'ai deux questions que je poserai à M. Solomon, l'expert juridique.
Lorsque l'Association canadienne des policiers a comparu devant le comité, elle a beaucoup parlé de peines minimales. Par exemple, dans le cas d'un accident causant des lésions corporelles, elle a suggéré une peine minimale de cinq ans et une peine maximale de 10 ans pour les récidivistes. Dans le cas d'un accident causant la mort, elle suggère une peine minimale de sept ans et une peine maximale de 10 ans pour les récidivistes. Elle recommande donc des peines minimales.
Avez-vous une opinion à ce sujet, monsieur Solomon, ou quelqu'un d'autre?
M. Robert Solomon: Personnellement, si vous me demandez si une personne qui boit, qui prend le volant et qui tue quelqu'un mérite une peine sévère, je répondrais sans doute par l'affirmative. Quant à savoir si ce sera suffisant si nous ne rationalisons pas le système pour veiller à attraper les contrevenants, je répondrais non. Plus la peine maximale sera lourde, plus ces causes seront contestées, plus il est probable que les juges et les jurys ne condamneront pas et que l'avocat freinera la procédure autant qu'il le pourra, demandera un procès avec jury et passera d'une instance judiciaire à l'autre.
Par conséquent, du point de vue de la justice, je crois que les peines plus sévères sont justifiées. Mais je ne pense pas qu'elles suffiront à améliorer la situation. Nous devons augmenter la probabilité d'appréhension des coupables plutôt que les peines infligées au terme du processus.
Une chose que je trouve sidérante—je viens de faire une étude statistique en Ontario—est que certains contrevenants qui cumulent quatre, cinq ou six condamnations, sont toujours condamnés comme si c'était leur première infraction. J'aurais cru qu'une première infraction ne pouvait être commise qu'une fois. Il semble que j'ai tort, mais il y a des raisons à cela.
M. Jacques Saada: C'est un peu comme la virginité.
M. Robert Solomon: Oui, c'est comme certaines autres choses qui sont censées n'arriver qu'une fois.
M. Jacques Saada: Je ne pensais pas que vous alliez m'entendre.
M. Robert Solomon: Je peux vous expliquer l'une des raisons à cela. Nous ne prenons pas les empreintes digitales et la photographie des conducteurs accusés de conduite avec facultés affaiblies aux termes de la Loi sur le casier judiciaire. Il est donc difficile de confirmer au moyen des empreintes digitales qu'il s'agit de la même personne. Un accusé va plaider coupable comme si c'était sa première comparution avant que la Couronne n'ait la possibilité de vérifier.
Finalement, la Couronne profite du fait qu'elle peut demander une peine plus lourde pour un récidiviste pour négocier un plaidoyer. C'est ainsi qu'un grand nombre de récidivistes sont condamnés d'une fois à l'autre comme s'il s'agissait de leur première infraction. Faut-il accroître la peine maximale? Je l'ignore. Nous ne pouvons même pas condamner actuellement les récidivistes.
Mme Eleni Bakopanos: Monsieur Solomon, ma question ne porte pas sur la peine maximale, mais sur la peine minimale. Je ne pense pas que vous y ayez répondu.
M. Robert Solomon: Si vous imposez une lourde peine minimale obligatoire, l'intéressé va se battre et s'y opposer. Comme il sait qu'il s'expose à faire cinq ans de prison, il va dépenser chaque sou qu'il pourra trouver pour l'éviter. Le problème sera le même.
Mme Eleni Bakopanos: C'est là que je vois une objection. Les tribunaux vont consacrer davantage de temps à ces questions et j'ignore si cela va résoudre le problème.
Le président: Quelqu'un d'autre a-t-il une réponse?
M. John Bates: J'ajouterais seulement que si la peine minimale est sévère, ce sera la fin du plaidoyer de culpabilité. Cela va engorger les tribunaux de façon incroyable.
Mme Eleni Bakopanos: C'est ce que je crains.
M. John Bates: Si les gens savent qu'ils vont faire cinq ans de prison, ils vont se battre jusqu'au bout. Le système judiciaire n'y résistera pas.
Mme Eleni Bakopanos: Je voudrais dire quelques mots au sujet des statistiques, si vous le permettez. Je m'adresse de nouveau à M. Solomon, car c'est lui qui a cité des chiffres autres que ceux que le comité a obtenus.
Je crois qu'il nous faudrait vos sources, monsieur Solomon...
M. Robert Solomon: Certainement.
Mme Eleni Bakopanos: ...étant donné que les statistiques obtenues par notre personnel de recherche ne confirment pas ce que vous nous avez dit aujourd'hui. Je tiens à être certaine que nous...
M. Robert Solomon: Au sujet de...?
Mme Eleni Bakopanos: L'abaissement de la limite et les taux de condamnation.
M. Robert Solomon: Très bien.
Mme Eleni Bakopanos: Merci.
Le président: Merci, monsieur Solomon.
Avant de terminer, a-t-on d'autres questions rapides à poser? Monsieur Harris.
M. Dick Harris: Merci.
Si nous n'acceptons pas une peine minimale pour les chauffards ivres qui tuent, étant donné que les peines qui leur ont été imposées jusqu'ici se trouvent au bas de l'échelle de zéro à 14 ans actuellement prévue, comment allons-nous amener les juges à prononcer des sentences qui tiendront compte de la gravité du crime?
M. John Bates: Me permettez-vous de répondre en partie à cette question?
Lorsque nous avons commencé, il y a 17 ans, la personne qui a tué Casey Frane, le fils de June Callwood, a eu son permis suspendu pendant 90 jours et une amende de 500 $. Nous avons fait beaucoup de progrès pour ce qui est de convaincre les juges d'imposer des peines plus sévères. À l'heure actuelle, la peine maximale pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort est d'environ huit ans ou huit ans et demi d'emprisonnement. Nous sommes donc en bonne voie.
M. Dick Harris: Mais la majorité des peines se situent entre zéro et deux ans et demi. C'est le cas pour la majorité des peines imposées. Une peine de six ans et demi est supérieure à la norme.
M. John Bates: C'est exact, mais nous avons eu un maximum. Je crois qu'il était de huit ans et demi. Nous sommes bien loin de la suspension du permis pour 90 jours et de l'amende de 500 $.
M. Dick Harris: Je suis d'accord.
M. Tony Carvalho: Nous en avons discuté chez nous et à l'extérieur. C'est une question très difficile.
Comme l'a dit le professeur Solomon, sur le plan de la justice, nous sommes d'accord avec le principe d'une peine minimale. Mais quelle sera cette peine minimale? Elle doit être conforme aux principes de justice. En même temps, il y a un seuil qui vous permet d'éviter les problèmes soulevés par le professeur Solomon à savoir que cela va engorger les tribunaux et que tout le monde va s'y opposer. Je ne sais pas exactement où se situe ce seuil.
M. Dick Harris: Un jour, j'ai demandé à un juge pourquoi il n'avait pas imposé une peine plus sévère à un accusé. Il m'a dit que ses collègues et lui-même voulaient surtout éviter que la cause n'aille en appel. C'est vraiment abdiquer, mais comment y remédier?
M. Robert Solomon: Si le Parlement entreprend une réforme fondamentale du Code criminel pour rationaliser le système, je crois que cela fera comprendre à la magistrature que la conduite en état d'ébriété est un acte criminel grave.
• 1115
Je suis d'accord avec Tony pour dire que nous ne sommes pas
opposés aux peines minimales, mais que si vous imposez
automatiquement une peine de cinq ans pour la conduite avec
facultés affaiblies causant des lésions corporelles, ce minimum va
entraîner des contestations judiciaires, etc. Nous devons donc
veiller à ce que ces peines minimales n'aillent pas à l'encontre du
but visé. Je crois que les peines proposées par la police
donneraient des résultats négatifs parce qu'elles sont trop
sévères.
M. Dick Harris: Je ne parle pas seulement de peines minimales, mais aussi des précédents...
Le président: Monsieur Harris, je vais devoir vous couper la parole.
Quelqu'un va poser une brève question de ce côté-là, après quoi nous lèverons la séance.
M. John McKay: Votre neuvième recommandation préconise de modifier l'alinéa 553c) du Code criminel de façon à ce que ces causes soient jugées uniquement par la cour provinciale. Pour quelle raison? Pour une question de compétence?
M. Robert Solomon: Selon le système actuel, si la Couronne estime que le cas justifie une peine de plus de six mois d'emprisonnement, elle doit procéder par mise en accusation. Si c'est le cas, cela confère à l'accusé le droit d'être jugé par une instance supérieure et il y aura une audience préliminaire, ce qui coûte très cher et qui représente un deuxième procès et il peut y avoir un procès avec jury. Par conséquent, si la Couronne veut une peine plus lourde, elle est coincée.
M. John McKay: D'accord, merci.
Le président: Merci, monsieur John McKay.
Monsieur Burford.
M. Fred Burford: Monsieur le président, si j'ai bien compris, on nous demande ce que nous pensons d'une peine minimale? Ces commentaires ne traduisent pas nos opinions à tous. Je crois qu'il faudrait étudier la question de la peine minimale afin d'essayer de surmonter les problèmes potentiels signalés par Robert Solomon.
D'autre part, il faudrait étudier la question du taux d'alcoolémie. Après tout, la limite est de 0,02 en Suède depuis plusieurs années. Pourquoi ne pas demander aux Suédois comment ils ont réglé tous les problèmes décrits autour de cette table?
Je suis convaincu qu'il faudrait étudier la question de la peine minimale de même que la situation en Suède pour voir comment ce pays a surmonté les énormes obstacles dont on a parlé ici.
Le président: Merci, monsieur Burford.
Monsieur Peter MacKay.
M. Peter MacKay: M. Carvalho avait une observation à formuler.
M. Tony Carvalho: Pourrais-je faire deux brefs commentaires?
Le président: Très rapidement.
M. Tony Carvalho: D'une part, nous savons qu'il faut aborder la question de façon globale, car cela ne se limite pas à des changements au Code criminel ou aux mesures que le gouvernement fédéral pourrait prendre. Je crois toutefois que les changements à apporter au Code criminel sont absolument essentiels pour résoudre ce problème.
J'aimerais terminer, très rapidement, sur une note personnelle. En 1990, nous avons été frappés, ma femme et moi par un chauffard ivre. Ma femme a failli mourir et nous avons perdu notre bébé, Matthew. Je sais qu'un jour je reverrai mon fils et je voudrais lui dire que, lorsque nous avons eu l'occasion d'apporter un changement pour sauver des millions de vies et des milliers de blessés, nous nous en sommes prévalus. Je crois que nous pouvons le faire. Cette occasion s'offre à nous et il serait honteux de la gaspiller.
Le président: Merci, monsieur Carvalho.
Voilà qui termine notre audience. Merci beaucoup. Vos témoignages nous ont été très utiles et vous avez certainement apporté une contribution positive aux délibérations de notre comité.
Je demanderais aux membres du comité d'attendre quelques minutes. Nous devons examiner le rapport du comité directeur.
[Note de la rédaction: La séance se poursuit à huis clos]