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JURI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 17 mars 1998

• 1538

[Traduction]

La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): La séance reprend et nous étudions toujours le projet de loi S-5, Loi modifiant diverses lois relativement aux personnes handicapées et à d'autres matières.

Nous accueillons aujourd'hui, de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire, Raffath Sayeed, président; Diane Richler, vice-présidente, et Gail St-Croix, présidente du Comité consultatif sur l'autonomie sociale. Je vous souhaite à tous la bienvenue. J'ai déjà passé beaucoup de temps avec certains d'entre vous et je suis heureuse de vous accueillir à nouveau.

M. Raffath Sayeed (président, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Merci, madame la présidente. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de témoigner devant vous.

J'aimerais nous présenter à nouveau. Nous représentons une association qui regroupe environ 40 000 personnes habitant les divers territoires et provinces de notre pays. Nous chapeautons 400 associations locales et, en ce qui me concerne, je suis très fier et très heureux d'avoir été appelé à occuper les fonctions de président au cours des quelques prochaines années. Je présenterai Gail de façon plus formelle; quant à Diane, vous la connaissez.

Ce qui s'est passé la semaine dernière en Alberta rend notre témoignage d'autant plus important et d'autant plus pertinent pour vous, qui êtes les chefs de file de notre pays et qui, par le passé, avez pris les mesures qui ont cimenté l'unité nationale. J'espère que vous me pardonnerez si je dis que ce ciment se fendille et que nous avons besoin d'un nouveau leadership pour que notre unité soit maintenue et pour que nous puissions continuer à faire valoir devant vous les revendications des personnes les plus vulnérables de notre société.

• 1540

Étant donné que je suis père de deux enfants handicapés—et je dois dire que lorsque je me suis intéressé à cette cause et que j'ai défendu les droits des handicapés à l'échelle communautaire, j'étais célibataire et le fait d'avoir un enfant, puis un autre, qui a un défi un peu plus grand à relever que le premier, est peut-être le signe de quelque intervention divine—étant donné que je suis un citoyen ordinaire, un médecin de famille qui pratique à Lloydminster, et qui a pratiqué auparavant dans des petites villes de l'Alberta et de la Saskatchewan, je sais tout à fait ce qui se passe dans les petites villes du Canada. J'ai endossé un costume parce que, je présume, cela convient au genre d'exposé que je suis venu faire devant vous aujourd'hui, mais j'aurais préféré venir en pull et vous parler comme beaucoup de mes collègues le font.

Je peux difficilement exprimer la peur qui m'a envahi suite à ce qui s'est passé la semaine dernière en Alberta et qui a poussé ma femme, qui revenait de Red Deer, en Alberta, à m'appeler sur son téléphone cellulaire pour me dire «Est-ce que tu sais ce qui s'est passé en Alberta? On va utiliser la clause de dérogation contre les handicapés.»

Heureusement, la population s'est insurgée et s'est montrée à la hauteur de la situation en faisant valoir qu'au Canada, la démocratie n'a pas de prix, que la démocratie, telle que nous l'entendons tous, inclut les membres les plus vulnérables de notre société tout comme ceux qui sont les plus forts. Dans les 12 heures qui ont suivi, la population de l'Alberta a lavé cet affront que l'on a fait à la démocratie.

Cela met en lumière la fragilité des droits de la personne dans notre pays aujourd'hui. Cela met en lumière la fragilité de la démocratie. Les mots de John F. Kennedy me reviennent en mémoire: dans son allocution inaugurale, il a dit que les droits de l'homme ne procèdent pas de la générosité de l'État, mais qu'il faut y voir la main de Dieu. J'aimerais rappeler cela à mes concitoyens.

À titre de président de l'ACIC, ma préoccupation, à propos des mesures qui étaient proposées, dépassait les questions particulières d'indemnisation des personnes qui avaient été victimes de mauvais traitements au sein d'institutions albertaines. Il est impossible de nier la responsabilité du gouvernement de l'Alberta dans les atrocités qui ont été commises dans ces institutions. Toutefois, c'est la tentative d'empêcher les handicapés de faire valoir les droits énoncés dans la Charte des droits et libertés qui était répréhensible et qui a été la cause de la peur qui m'a envahi, moi, les Canadiens qui souffrent d'un handicap ainsi que leurs familles.

Comme le premier ministre l'a déclaré dans l'allocution qu'il a prononcée, il y a quelques semaines, à New York, devant des leaders du milieu des affaires, la solidité et la stabilité de notre économie ne dépendent pas seulement des contraintes budgétaires que nous nous imposons, mais également de la fermeté de nos structures sociales et politiques. Une semaine plus tard, on introduisait en Alberta le projet de loi et la clause de dérogation. Le premier ministre, M. Klein, aurait pu contribuer au démantèlement de notre infrastructure nationale et sociale. La semaine dernière, c'est la solidité même de notre fédération qui était en danger.

Si la Charte ne protège pas les gens qui souffrent d'un handicap et tous les autres qui ont été marginalisés, c'est le tissu de notre société qui se relâchera. La Charte offre un recours légal aux gens dont les droits ont été bafoués, mais c'est également un texte fondamental car il exprime les valeurs que nous respectons collectivement en tant que société. Suggérer que, pour des raisons de coût, les droits énoncés dans la Charte puissent être écartés, c'est s'attaquer aux principes fondamentaux qui nous définissent en tant que nation. C'est s'attaquer à la démocratie. C'est s'attaquer au fondement de la démocratie qui reconnaît la souveraineté de tous les citoyens, sans exception.

Ces événements m'ont convaincu que les droits des handicapés sont très fragiles et, ce qui est plus important, cela a prouvé de façon indéniable que les Canadiens non seulement chérissent les droits et libertés qui sont enchâssés dans notre Charte, mais qu'ils les considèrent comme des droits inaliénables. Que le tollé qui s'est élevé soit venu de toute la population, pas seulement de ceux dont la famille comprend quelqu'un qui souffre d'un handicap, en dit long sur le fait que, en tant que société, nous croyons que les droits de la personne ne peuvent être mesurés à l'aune des coûts.

• 1545

Parfois, cela me hérisse lorsque j'entends des gens dire que nous sommes un groupe d'intérêts spéciaux. Nous qui nous battons au nom des handicapés, pour que règne l'équité dans la société canadienne, nous ne défendons pas des intérêts spéciaux. Pour moi, c'est comme si, d'un côté, il y avait des gens qui demandent du champagne et, de l'autre, des gens qui demandent de l'eau. C'est la seule différence.

C'est une chose que j'aimerais souligner. Cela nous contrarie, moi et mon association, lorsqu'on dit que nous sommes un groupe d'intérêts spéciaux.

Le message que les Albertains ont transmis à leur gouvernement et à tous les gouvernements du pays est qu'ils s'attendent à ce que ces droits soient respectés et mis de l'avant par toutes les administrations publiques. Cela fait 24 ans que je vis au Canada et j'ai évolué, je crois, à peu près dans tous les milieux de la société canadienne.

Je porte un peu de vert aujourd'hui pour montrer qu'il y a aussi un peu d'Irlandais en moi.

La présidente: Mes collègues ont bien de la chance de me voir au travail aujourd'hui. Cela va être encore plus dur demain.

M. Raffath Sayeed: J'ai également fait partie d'un comité qui a fait le tour de l'Alberta, un comité qui s'appelait le Tolerance and Understanding Committee et qui a été créé il y a un certain nombre d'années, en 1983, suite à certaines déclarations d'un enseignant du centre de l'Alberta dont je ne donnerai pas le nom.

J'ai présidé la Commission des droits de la personne de l'Alberta. J'ai été entraîneur de l'équipe de hockey locale, etc. Le seul sport que je n'ai pas pratiqué, c'est le curling.

Voilà donc quels sont mes antécédents.

Les leçons que nous pouvons tirer des événements qui se sont produits la semaine dernière doivent nous rester à l'esprit alors que nous examinons les modifications que l'on se propose d'apporter à la Loi canadienne sur les droits de la personne. En tant qu'ancien président de la Commission des droits de la personne, je peux vous garantir que la loi en la matière a ses limites. L'idée que nous nous faisons des droits de la personne a beaucoup évolué depuis l'entrée en vigueur de notre Charte, il n'y a pas si longtemps. Même si beaucoup d'entre nous continuons de penser que les droits de la personne ont trait à des droits politiques et civiques, l'expérience canadienne a démontré qu'une vision plus large des droits de la personne se fonde sur la promotion de l'égalité économique et sociale.

L'ardeur qui nous pousse à forger les outils et les mécanismes nécessaires pour faire valoir les droits des handicapés ne doit pas nous faire oublier qu'il ne faut pas créer involontairement des systèmes qui isolent et excluent et, dans certains cas, sont propices à l'adoption d'une approche à deux vitesses en ce qui concerne les droits des Canadiens.

Vous êtes tous au courant de l'étude entreprise par le groupe de travail sur les handicapés, présidé par un de vos collègues, Andy Scott. C'est une initiative de votre gouvernement que nous avons beaucoup appréciée. À mon avis, cela a produit une information qui a beaucoup de valeur et dont vous, et tous les Canadiens, pourraient tirer avantage.

Pour respecter le cadre que constituent les droits de la personne, il faut prendre les handicapés en considération lorsqu'on conçoit et qu'on met en place des systèmes économiques, sociaux et politiques, et non créer une série de politiques et de systèmes parallèles ou distincts. La Loi canadienne sur les droits de la personne, l'outil qui permet essentiellement de faire respecter ces droits, fournit un bon exemple des risques et de la complexité inhérents à l'élaboration d'instruments de politiques conçus pour contrer l'exclusion sociale et économique.

Comme nous l'avons noté dans notre mémoire sur la question, nous estimons qu'il est critique d'inclure dans la Loi canadienne sur les droits de la personne des dispositions garantissant que les mesures destinées à prévenir la discrimination généralisée ne sont pas annulées par une quelconque obligation d'accommodement.

Les leçons que nous pouvons tirer de l'application des dispositions relatives aux droits de la personne d'un bout à l'autre du pays nous amènent à craindre que l'inclusion de l'obligation d'accommodement réduise l'importance de l'obligation d'éliminer la discrimination généralisée en accordant la priorité à la satisfaction des besoins individuels plutôt qu'à l'instauration de systèmes s'appliquant à tous. Notre association a évolué et aujourd'hui, nous sommes convaincus que si l'on essaie de régler ce problème en mettant l'accent sur les besoins individuels, on ne fait qu'y apporter une solution temporaire. C'est un problème généralisé qu'il faut régler, et l'obligation de tenir compte des situations individuelles peut être un des éléments d'une solution qui reste aléatoire.

L'expérience nous a appris que ce n'est pas nécessairement la nature du handicap d'une personne qui l'empêche de participer, mais plutôt les structures et les politiques qui lui sont imposées sur les lieux de travail et au sein de la collectivité.

J'aimerais maintenant vous présenter quelqu'un qui joue un rôle très important au sein de notre équipe, une jeune femme très éloquente qui est aussi une amie, Gail St-Croix; elle a quelques mots à vous dire.

Mme Gail St-Croix (présidente, Comité consultatif sur l'autonomie sociale, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Je vais vous dire ce que cela représente pour des gens qui ont beaucoup de mal à communiquer d'avoir un ami dans une salle de tribunal. Bien des fois, dans une salle de tribunal, on les voit perplexes. Ils comprennent ce qui se passe, mais c'est dur pour eux de répondre aux questions qu'on leur pose. Ils ont vraiment besoin d'un ami qui les appuie et qui les aide à communiquer ce qu'ils ont à dire.

• 1550

Par exemple, si quelqu'un utilise ses mains ou fait appel à ses émotions pour communiquer, la cour ne va pas comprendre. Cela peut dire oui, mais cela peut également dire non. Il faut qu'il y ait quelqu'un qui traduise pour la cour.

J'ai seulement une ou deux choses à ajouter. D'abord, je veux vous parler de cette femme qui s'est rendue au commissariat de police; elle était handicapée et elle venait de se faire violer. Elle est allée au commissariat faire une déclaration. À cause de son handicap, elle souffrait de troubles nerveux et elle riait beaucoup; parce qu'elle riait, on ne l'a pas crue. Au commissariat, on n'a pas cru qu'elle avait été violée et par conséquent, rien n'a été fait.

Souvent, les handicapés, notamment ceux qui ont de la difficulté à communiquer, se perdent dans le système judiciaire. Il est urgent de faire quelque chose, je pense, sinon la situation va s'aggraver et échapper à notre contrôle.

Merci.

M. Raffath Sayeed: Ainsi donc, il s'agissait d'un viol et le problème a été ignoré encore une fois parce que la victime avait du mal à communiquer.

La Charte n'est pas seulement un instrument qui permet de plaider en faveur de la protection de certains droits, mais c'est également le fondement de la reconnaissance de droits économiques et sociaux essentiels. Aucun texte législatif ne devrait affaiblir la portée de ces droits. La Loi sur la preuve au Canada ainsi que le Code criminel ont été élaborés sans que l'on considère inclure dans leur application les citoyens qui souffrent d'un handicap. Il faut maintenant que nous trouvions des méthodes pour adapter ces instruments et nous assurer que le processus judiciaire est accessible à ces citoyens. Encore une fois, le défi que nous avons à relever, c'est de faciliter l'inclusion de ces citoyens et non de créer des systèmes parallèles ou distincts qui, éventuellement, ne pourront pas fonctionner.

La Charte est l'expression fondamentale d'un ensemble de valeurs communément acceptées au sein de notre société. La véracité de cette déclaration a été mise à l'épreuve la semaine dernière, et je suis sûr que même le premier ministre, M. Klein, reconnaîtra la profondeur de l'attachement des Canadiens à ces principes et à ces droits fondamentaux. Il est essentiel de ne pas dégrader ces droits en adoptant des dispositions qui limitent nos obligations en tant que société pour une question de coût.

D'après ce que nous avons pu constater au Canada et à l'étranger, les systèmes sociaux et économiques qui ne permettent pas la participation équitable de tous les secteurs de la société aboutissent à des pertes de productivité et à l'instabilité sociale et politique. Dans une étude effectuée par la Banque interaméricaine de développement, les pertes économiques subies par la société à cause de l'exclusion des handicapés ont été chiffrées à plus de 700 milliards de dollars.

Nous avons la responsabilité de tirer des leçons de l'histoire et, dans certains cas, de nos erreurs. Nous devons veiller à respecter les droits de ceux qui, par le passé, ont été victimes de nos administrations publiques et de nos structures sociales et à tirer profit des leçons que nous avons pu apprendre, en essayant de favoriser une participation équitable au sein de nos collectivités.

Plus précisément, nous vous conseillons vivement d'apporter des amendements au projet de loi S-5 afin d'assurer que ce texte ne dilue pas l'obligation d'éliminer la discrimination généralisée; ne limite pas l'obligation de répondre aux besoins des individus en donnant une interprétation étroite de ce que l'on entend par santé, sécurité et coût; garantit le droit de témoigner aux personnes qui ont des difficultés à communiquer; et établit le protocole à suivre pour faire enquête et engager des poursuites lorsqu'il s'agit d'une affaire impliquant des gens qui ont des besoins particuliers en matière de communication.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup.

Monsieur Hilstrom, avez-vous des questions à poser?

M. Howard Hilstrom (Selkirk—Interlake, Réf.): Oui, j'aimerais faire une observation et poser également une question.

• 1555

Sans aucun doute, la réaction de la population à ce qui s'est passé en Alberta et à ce que l'on a tenté de faire en invoquant la clause de dérogation a été excellente. Par ailleurs, d'après ce que je peux voir, on n'utilise certainement jamais au Manitoba l'expression «groupe d'intérêts spéciaux». En tout cas, c'est une chose que je n'approuve absolument pas.

La question que je me pose à propos des employeurs et des lieux de travail, en ce qui a trait à la santé et la sécurité, est la suivante: disons qu'un employeur est d'avis qu'un employé ne devrait pas faire tel ou tel travail et que l'employé ne partage pas cette opinion, pensez-vous qu'il devrait y avoir une disposition permettant de demander, par exemple, à la Direction générale de la santé et de la sécurité du Manitoba ou à un comité de la santé et de la sécurité de trancher? Comment cela pourrait-il fonctionner?

M. Raffath Sayeed: C'est effectivement un mécanisme auquel on pourrait avoir recours. Il faudrait quelqu'un qui soit neutre, qui n'ait aucun compte à régler, qui soit bien placé pour faciliter une entente ou un compromis. Je ne sais pas si c'est un rôle que pourrait assumer la Direction générale de la santé et de la sécurité du Manitoba.

Là encore, l'emploi du mot «santé» me hérisse, parce que trop longtemps, les handicapés ont été catégorisés selon un système qui sépare les gens en bonne santé de ceux qui sont malades.

Bref, c'est un mécanisme que l'on pourrait considérer, je pense. C'est une sorte d'arbitrage que vous suggérez et je crois que c'est une bonne idée.

Diane travaille au sein de l'association depuis 25 ans. De temps en temps, je me repose sur elle et je lui demande son aide. Je suis impliqué depuis 1976, mais elle, elle l'est depuis plus longtemps que moi.

Mme Diane Richler (vice-présidente, Association canadienne pour l'intégration communautaire): Une des réserves que nous avons formulées, je pense, dans notre mémoire, à propos des lignes directrices qui ont été utilisées en Ontario, c'est que, traditionnellement, on a adopté une attitude paternaliste dans les milieux de travail. Souvent, les handicapés sont prêts à prendre certains risques, mais les gens qui sont autour d'eux décident que c'est impossible. En général, je pense, nous sommes en faveur de laisser l'intéressé déterminer si les risques en question sont effectivement trop grands pour qu'il puisse les assumer.

S'il y avait un arbitre impartial, je crois, étant donné notre expérience dans d'autres situations, que nous souhaiterions voir un peu quel genre de système serait mis en place. Par exemple, dans le secteur de l'enseignement, quand on décide d'instaurer des tribunaux d'arbitrage qui sont censés être indépendants, souvent, les gens que l'on nomme pour y siéger sont très peu enclins à admettre que les handicapés peuvent eux-mêmes déterminer s'ils sont dans une position désavantageuse.

Je pense donc qu'il faudrait procéder prudemment en la matière.

M. Howard Hilstrom: Merci. C'était les premières questions que je voulais poser.

La présidente: Merci, monsieur Hilstrom. Madame.

[Français]

Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ): D'abord, je m'excuse d'être arrivée un petit peu en retard et d'avoir raté le début de votre exposé. Je pourrai toutefois rattraper le temps perdu en lisant votre texte.

J'ai quand même écouté attentivement ce que vous avez dit et j'aurais envie de vous poser une question. Je crois comprendre que, comme tout le monde, vous semblez juger que dans l'ensemble, le projet de loi S-5 est un pas dans la bonne direction. Vous avez cité à la fin de votre exposé quatre inquiétudes principales. Laquelle de ces inquiétudes vous apparaît la plus sérieuse et quels amendements pourriez-vous nous proposer?

[Traduction]

M. Raffath Sayeed: En ce qui concerne la Loi sur la preuve du Canada, je pense que ce qui nous préoccupe le plus, c'est ceci.

• 1600

Un grand nombre des gens que nous défendons ont de la difficulté à communiquer. On peut aisément ne pas les comprendre, comme l'a fait remarquer Gail lorsqu'elle a cité le cas de la jeune femme qui avait été violée et qui souffrait de troubles nerveux. On n'a pas compris qu'elle ne plaisantait absolument pas lorsqu'elle disait avoir été violée. À titre de médecin et de défenseur des droits des handicapés dans la petite collectivité où j'habite, j'ai eu l'occasion, à un moment donné, de traiter plus de 35 personnes handicapées. Je peux vous assurer que les moyens de communication que ces personnes emploient sont inconnus de la majorité des gens.

Donc, même si nous ne voulons pas établir un système séparé pour cela, nous souhaitions que le rapport... et cela peut être fait; ce n'est pas impossible et c'est également plus rentable.

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Merci.

M. Raffath Sayeed: Étant donné que vous m'avez demandé quelle était la priorité numéro un...

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Peut-être avez-vous aussi certaines priorités.

M. Raffath Sayeed: ... la priorité numéro deux—vous m'avez donné l'occasion de le mentionner—serait l'obligation de tenir compte des besoins des individus. Je pense que l'on doit accorder à cela une attention particulière parce que, comme vous le savez, c'est un jugement de la Cour suprême dans l'affaire Christie c. Central Alberta Dairy Pool, de Red Deer, qui a ouvert la voie à ce genre de disposition. C'est à la Commission des droits de la personne de l'Alberta qu'on le doit. Il est si facile de modifier et de diluer la portée d'une telle disposition. Il faut qu'il y ait des lignes directrices strictes, et en l'occurrence, je vous renvoie aux lignes directrices de l'Ontario. Nous estimons que les règlements devraient peut-être également être inclus dans la loi et non faire éventuellement l'objet d'interprétations. Les lignes directrices de l'Ontario sont très bien faites et nous les appuyons.

La présidente: Merci.

Monsieur Maloney.

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Dans votre huitième recommandation, vous suggérez que l'article concernant la nouvelle infraction d'exploitation sexuelle—impliquant une personne handicapée en situation de dépendance—soit réexaminé dans cinq ans. Estimez-vous que cet article est nécessaire à l'heure actuelle? Si oui, pourquoi voulez-vous qu'il soit réexaminé dans cinq ans? Pourriez-vous nous dire pour quelle raison vous recommandez cela?

M. Raffath Sayeed: Encore une fois, nous ne sommes pas en faveur d'un prétendu statut spécial ni des groupes d'intérêts spéciaux, mais je pense qu'il faut examiner cette disposition et voir s'il n'est pas possible de l'intégrer à la législation générale. Nous croyons que cette disposition est nécessaire à l'heure actuelle parce qu'elle est nouvelle. Il n'y a jamais eu quelque chose de semblable auparavant.

Voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Diane Richler: Parmi les gens qui souffrent d'un handicap intellectuel, le nombre des victimes de voies de fait et d'agression sexuelle est incroyablement élevé. À cause de lacunes dans la Loi sur la preuve du Canada et dans l'ensemble de la procédure de recours, il est devenu très fréquent qu'aucune accusation ne soit portée, même lorsqu'il est reconnu qu'un acte criminel a été commis. Il y a eu un cas en Nouvelle-Écosse, il y a plusieurs années, où un homme a avoué, au cours d'une émission de télévision diffusée par une chaîne nationale, qu'il était l'auteur d'une agression sexuelle; pourtant, aucune accusation n'a été portée contre lui parce que la police estimait que, la victime ne pouvant témoigner en cour—elle ne pouvait pas prêter serment... Bref, aucune accusation n'a été portée. On a donc vu une tendance se dessiner dans tout le système judiciaire, et c'est ainsi que bon nombre d'actes criminels n'ont jamais été contestés.

C'est la raison pour laquelle nous acceptons l'idée d'imposer des normes plus élevées afin d'assurer la protection des personnes concernées. Nous pensons que si ces prescriptions sont respectées pendant une période de, disons, cinq ans, avec un peu de chance, il sera possible de ne plus faire de différence dans le texte législatif...

• 1605

M. Raffath Sayeed: De ne plus avoir de catégorie spéciale.

Mme Diane Richler: C'est la raison pour laquelle, à regret, nous acceptons que cela fasse partie des modifications, même si nous estimons que cette disposition devrait être réexaminée de façon à ne pas perpétuer constamment dans notre système judiciaire l'idée qu'il existe deux catégories de citoyens à qui s'appliquent des normes différentes.

M. Raffath Sayeed: Oui. Dans l'état actuel des choses, nous sommes en faveur de cette disposition, mais, comme vous le savez après avoir entendu mes remarques liminaires, nous ne voulons pas d'un système séparé. Il n'y a aucune différence entre un acte criminel dont est victime une personne «normale» et un acte criminel dont est victime une personne handicapée. Toutefois, lorsque cette disposition aura pris un caractère plus général... et c'est ce que nous espérons. Nous estimons qu'après cinq ans, il serait peut-être opportun de voir comment les choses fonctionnent.

Diane a cité un cas, et j'en connais d'autres pas loin de chez moi, notamment celui d'un jeune homme maltraité par ses proches, mais dont le témoignage n'a pas été retenu par la police. La police a été impliquée, mais n'a pas pu recueillir de preuve. L'attitude de ce jeune homme indique à ceux d'entre nous qui le connaissons et qui savent comment il se comporte d'habitude que quelque chose de grave se passe dans cette famille. Cela fait de nombreuses années que cela dure. Récemment, par le biais de notre association, nous avons fait rouvrir le dossier et nous incitons la police à intervenir.

M. John Maloney: Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci.

Monsieur McKay.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Sur le même thème, l'inclusion dans ces amendements du nouvel article 153.1, à titre de modification du Code criminel...

Plus j'entends les membres de cette communauté parler du problème que, selon eux, cette disposition est censée résoudre, c'est-à-dire les agressions sexuelles de plus en plus fréquentes dont font état les handicapés, moins je pense que cette prescription offre la solution qui convient. Cela semble en effet instituer un système paternaliste, c'est-à-dire créer une catégorie spéciale d'actes criminels qui concernent les handicapés.

Selon moi, la véritable question qui se pose est celle du consentement que peut donner la personne impliquée dans cette activité sexuelle. La législation ne devrait-elle pas mettre l'accent sur le consentement de la personne qui souffre d'un handicap, et non viser à déterminer si elle a été invitée, engagée ou incitée ou encore de quel handicap elle souffre? La véritable question qui se pose n'est-elle pas celle du consentement?

M. Raffath Sayeed: Parlez-vous du consentement donné à une personne...

M. John McKay: Du consentement donné par la personne qui souffre d'un handicap.

M. Raffath Sayeed: Par exemple, consentir à une activité sexuelle?

M. John McKay: Oui.

M. Raffath Sayeed: Je ne pense pas que dans la plupart des cas, on puisse parler de consentement. En réalité, je crois que c'est d'abus que nous parlons. Qui interprète le consentement?

M. John McKay: Voilà, c'est ce que je veux dire.

M. Raffath Sayeed: La plupart du temps, il n'y a pas consentement. Ce qui se passe immédiatement avant et après démontre qu'il n'y a pas eu consentement.

Encore une fois, notre société comprend très mal la situation dans laquelle se trouvent les handicapés, notamment ceux qui sont censés souffrir d'un handicap intellectuel. Gail a passé un certain temps dans une institution, et je pense qu'elle est mieux placée pour vous répondre.

• 1610

Mme Gail St-Croix:

[Note de la rédaction: Inaudible]... à cause du simple fait que nous sommes connus au sein de la société... beaucoup de handicapés qui sont placés dans des institutions ou dans des foyers d'accueil ou qui bénéficient de services parallèles deviennent très vulnérables. La sexualité est une chose parfois inconnue pour eux, et dans bien des cas, ils ignorent tout de l'amour. Vous cherchez quelqu'un qui va vous aimer, qui va s'occuper de vous, et ce n'est que plus tard dans la vie que vous allez vraiment comprendre quelle est la différence.

J'ai connu tout cela. J'ai subi des agressions sexuelles, des mauvais traitements, et plusieurs fois, j'ai essayé de le faire savoir, mais on ne m'a jamais crue, sauf lorsqu'il y a eu quelqu'un pour appuyer mes dires, quelqu'un qui a déclaré, oui, cela lui est bel et bien arrivé. Et il n'y a pas beaucoup de gens qui sont prêts à faire cela pour quelqu'un d'autre. Si vous pouvez mettre tout cela par écrit, peut-être avez-vous une chance d'être cru.

Je viens de vous parler de cette jeune femme qui s'est adressée à la police; elle a déclaré qu'elle avait été violée. Nous ne savons pas s'il lui est arrivé autre chose, tout simplement parce que la police n'a pas cherché à en savoir plus. Personne n'a cherché à savoir ce qui a pu lui arriver d'autre, une fois la porte refermée sur elle.

Alors, oui, les handicapés sont vulnérables. Mais ils essaient de trouver de l'aide pour parvenir à une solution et faire en sorte que d'autres handicapés ne subissent pas la même chose.

M. John McKay: Alors, si j'entends bien ce que la communauté des handicapés veut dire, lorsque vous entrez dans un commissariat de police ou que vous vous présentez devant un tribunal, vous voulez que l'on vous croie.

Mme Gail St-Croix: Oui.

M. John McKay: C'est relativement simple. Que ce soit au commissariat ou au tribunal, on en arrive toujours à se demander si la personne qui souffre d'un handicap a consenti à l'activité...

Mme Gail St-Croix: Dans beaucoup de cas, aucun...

M. John McKay: ... et dans beaucoup de cas, c'est non, et c'est de cela dont il est question. Est-ce que l'article 153.1 qui est proposé fait valoir cette position? Je ne suis pas du tout sûr que ce soit le cas.

M. Raffath Sayeed: C'est utile; cela va dans le bon sens.

M. John McKay: Comment cela? Cela crée une toute nouvelle catégorie d'infraction, et je ne suis pas convaincu que ce soit le sens dans lequel vous voulez qu'on aille, que cela réponde à ce que vous souhaitez.

Mme Diane Richler: Dans le cas des enfants, par exemple, lorsqu'on a reconnu leur vulnérabilité, on a chargé les professionnels de la santé et les gens qui fournissent des services sociaux de signaler le cas aux autorités lorsqu'ils soupçonnaient qu'un enfant était victime de mauvais traitements. Au Canada, on s'est aperçu que, lorsque certaines personnes étaient chargées ainsi de la preuve, cela les a sensibiliser davantage à la gravité des actes en question.

M. John McKay: Pourquoi ne pas envisager l'inversion de la charge de la preuve? Pourquoi ne pas dire tout simplement que dans le cas d'une personne qui souffre d'un handicap physique ou mental, on doit présumer qu'elle dit la vérité? C'est une présomption réfutable, mais cela reste une présomption—inversons la charge de la preuve. Choisissons cette solution au lieu de créer une nouvelle catégorie d'infraction.

M. Raffath Sayeed: Nous ne sommes pas avocats et je ne veux pas préjuger de ce que feraient des avocats ou des jurés, mais cela ne va-t-il pas à l'encontre du principe fondamental voulant que l'on est innocent jusqu'à ce que l'on soit reconnu coupable?

M. John McKay: C'est un point intéressant. Vous avancez un argument valable, mais l'inversion de la charge de la preuve est employée dans d'autres contextes.

M. Raffath Sayeed: Je sais... s'il y a une disposition à cet effet. Essentiellement, comme vous l'avez très justement dit, nous voulons faire admettre que les handicapés disent la vérité, quelle que soit la façon dont ils la communiquent. Dans certains cas, cela peut même être sans qu'ils disent quoi que ce soit. Par exemple, dans le cas du jeune homme dont je vous ai parlé, il y a quelque chose de grave qui se passe depuis longtemps, et il le fait savoir à sa manière.

• 1615

M. John McKay: Oui, je comprends cela.

M. Raffath Sayeed: Parfois, à cause de ce qui leur est arrivé, ils arrêtent de parler. Ils se renferment—même si, auparavant, ils pouvaient communiquer de façon normale.

Donc, nous sommes en faveur de cette disposition. C'est à vous, les législateurs, de trouver peut-être un moyen de traduire ce que nous disons par une disposition qui appuie notre point de vue.

La présidente: Madame St-Croix.

Mme Gail St-Croix: Il y a autre chose dont vous devriez toujours vous souvenir: il suffit de regarder les gens. Rien qu'en les regardant, vous pouvez savoir s'ils souffrent. Vous pouvez savoir s'ils sont malades. Vous pouvez savoir s'ils souffrent physiquement. Vous pouvez également savoir s'ils ont un problème d'ordre émotionnel.

Dans bien des cas, cela dit tout. Ce qu'ils essaient de communiquer n'est pas facile à exprimer pour qui que ce soit, et pour les handicapés, avouer qu'ils ont été violés ou qu'ils sont victimes de mauvais traitements, cela exige beaucoup. Cela requiert beaucoup d'énergie. C'est une expérience très traumatique et cela les fait beaucoup souffrir. Mais vous avez là la preuve que vous recherchez.

M. Raffath Sayeed: Juste pour appuyer ce qu'elle vient de dire, je peux vous donner l'exemple d'une de mes patientes. Cette femme m'a été envoyée parce qu'elle s'attaquait à tout le monde. Les employés de l'institution se sont plaints en me disant que c'était très dur pour eux et pour les autres pensionnaires. J'ai demandé si quelqu'un s'était inquiété de savoir si cette femme était malade. Nous avons fait un test tout simple. Nous avons analysé son urine: effectivement, elle avait une infection urinaire. C'était sa façon à elle de laisser savoir qu'elle était malade. Nous avons traité cette infection.

Il n'était pas nécessaire de lui donner des tranquillisants pour régler son problème, parce qu'il n'y en avait pas—elle était tout simplement malade. Mais la société, en règle générale, ne comprend pas cela. Que faisons-nous? Nous bourrons les gens de médicaments. Nous avons cessé de les contrôler en les attachant. Maintenant, nous les contrôlons à coup de produits chimiques. Nous leur donnons du Valium et d'autres médicaments connus qui sont censés être meilleurs que le Valium de nos jours.

Je parle à titre de médecin. Cela m'est égal si l'on cite mes propos. Ce sont des choses qui arrivent.

C'est pour souligner ce qu'a dit Gail.

Mme Gail St-Croix: Ces choses-là arrivent. Cela m'est arrivé, à moi, dans l'institution où j'ai été placée alors que j'avais environ huit ou neuf ans. Dans bien des cas, si nous laissions paraître nos émotions ou si nous faisions quelque chose qui sortait de l'ordinaire et que le personnel n'arrivait pas à nous contrôler sur le plan émotif, que faisait-on? On nous donnait des comprimés pour nous faire dormir pendant quatre ou cinq heures. Au réveil, nous ne savions même pas pourquoi on nous avait endormis.

M. Raffath Sayeed: Pour répondre précisément à votre question, c'est probablement un pas dans la bonne direction, mais vous avez sans doute raison, cela ne va pas assez loin. Peut-être que ce n'est pas la façon de régler complètement le problème.

M. John McKay: Ou alors c'est un pas dans la mauvaise direction.

Mme Diane Richler: Je pense que pour nous, ce qui a une importance critique, c'est que des handicapés subissent des mauvais traitements et qu'à l'heure actuelle, on ne fait rien pour que cela cesse.

M. John McKay: Je comprends cela.

Mme Diane Richler: Nous demandons que l'on prenne deux ou trois initiatives: mettre en place un protocole de façon à s'assurer que non seulement dans les tribunaux, mais dans tout le système judiciaire pénal, les gens qui expriment leur souffrance de manière différente soient entendus, et veiller à ce qu'éventuellement, les handicapés bénéficient des mêmes protections. À l'heure actuelle, nous sommes dans une situation où aucune accusation n'est portée.

Peut-être y a-t-il différentes manières de procéder, mais tel est l'objectif. Comme l'a dit le docteur Sayeed, c'est au comité de décider quelle est la meilleure façon de faire.

La présidente: Merci, monsieur McKay.

Monsieur Hilstrom, avez-vous une question à poser?

M. Howard Hilstrom: Oui, une dernière chose.

Est-ce que la question de la communication est suffisamment prise en compte dans ce projet de loi, dans le contexte des tribunaux correctionnels, du système judiciaire dans son ensemble? Normalement, ce sera le procureur de la Couronne qui décidera si des poursuites doivent être intentées, et il ne faut pas que la question de la communication se limite aux échanges entre les victimes et les simples policiers, parce que ce genre d'affaire est renvoyée à un niveau supérieur, vous le savez bien.

En ce qui a trait à la question du consentement dans le contexte du droit criminel, dans toute affaire, il y a évidemment des droits à protéger de part et d'autre. Ce qui est important dans tout cela, ce dont on doit absolument tenir compte dans tout texte législatif, c'est que la possibilité de communiquer, verbalement ou par tout autre moyen, est essentielle pour que les droits de quiconque comparaît devant les tribunaux soient respectés.

À votre avis, est-ce que les dispositions que l'on propose sont suffisantes en ce qui a trait à la communication?

M. Raffath Sayeed: Non, ce n'est pas suffisant.

M. Howard Hilstrom: Avez-vous des suggestions à ce propos?

• 1620

Laissez.

Mme Diane Richler: Deux suggestions précises. Premièrement, permettre aux gens qui ne peuvent prêter serment ou qui communiquent de façon différente de témoigner devant les tribunaux. Deuxièmement, mettre en place un mécanisme qui s'enclenche même avant que le procureur de la Couronne n'intervienne, dès que la police est impliquée, et qui permettrait de s'assurer que le système judiciaire pénal, dans son ensemble n'est pas discriminatoire à l'endroit des gens qui peuvent avoir du mal à communiquer.

M. Howard Hilstrom: C'est parfait. C'est un peu comme les lois du Manitoba qui s'inspirent du principe de tolérance zéro et qui permettent de porter plus facilement une affaire devant les tribunaux.

La présidente: Merci, monsieur Hilstrom.

Pour conclure, j'aimerais vous signaler que, dans le cadre d'un forum national, on va bientôt entreprendre un examen approfondi de la législation dans l'optique du rôle des victimes et de la façon dont les victimes sont traitées dans le système judiciaire pénal. Nous allons certainement ajouter votre association à la liste de celles à qui nous allons demander de présenter des mémoires. Peut-être souhaiterez-vous, ainsi que d'autres groupes avec lesquels vous êtes associés, nous parler, de façon plus générale, dans ce contexte-là, du traitement réservé aux victimes qui sont handicapées.

M. Raffath Sayeed: Merci.

La présidente: Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir témoigner devant nous. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous allons suspendre la séance pour quelques minutes pendant que les témoins suivants se préparent.

M. Raffath Sayeed: Pourrais-je juste faire une observation?

La présidente: Bien sûr.

M. Raffath Sayeed: Je vois que suite à notre témoignage, on se parle à voix basse autour de la table et j'en déduis que ma tâche est loin d'être finie. J'ai été bénévole, au début. Cela démontre que l'on s'intéresse aux questions qui ont été soulevées. C'est dans ce but que nous sommes venus à Ottawa; nous avons en quelque sorte pris congé pour venir ici, de façon à ce que vous, les législateurs, sachiez quels sont nos besoins et nos aspirations.

La présidente: Je peux vous dire que si vous avez éveillé l'intérêt de M. McKay et de M. Lee, c'est quelque chose qui parfois rend nerveux le personnel du ministère de la Justice.

Nous allons suspendre la séance pour une minute.

• 1622




• 1634

La présidente: La séance reprend.

Je dois dire que depuis que je siège au comité, c'est la première fois que je préside alors que le FAEJ fait partie des témoins. Je vous souhaite donc la bienvenue.

Nous avons des copies de vos mémoires au comité du Sénat à propos de ce projet de loi, mais d'après ce que nous avons pu comprendre, vous n'avez pas comparu devant ce comité et nous tenions à ce que vous veniez ici dire en personne quelles sont les questions qui vous préoccupent et si vous êtes ou non, en faveur de ce texte législatif. Vous avez donc la parole et ensuite, nous vous poserons quelques questions.

• 1635

Mme Joan Dawkins (coprésidente, Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes (FAEJ)): Merci, madame la présidente.

Pour commencer, je tiens à remercier le comité de nous avoir donné la possibilité de comparaître et de commenter le mémoire que nous avons transmis au Sénat et dont vous avez reçu copie, je suis heureuse de le constater. Nous en avons également apporté quelques exemplaires supplémentaires et, si quelqu'un n'a pas ce document, nous pouvons lui en donner un tout de suite.

Je m'appelle Joan Dawkins. Je fais partie du FAEJ à titre bénévole et à l'heure actuelle, j'occupe les fonctions de présidente exécutive du comité juridique national et de membre du conseil d'administration. Je suis accompagnée de Carissima Mathen, avocate-conseil auprès du FAEJ. Nous allons vous présenter un bref exposé cet après-midi, en nous concentrant sur les articles 2 et 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et en laissant de côté les autres amendements proposés dans le cadre du projet de loi S-5.

Le FAEJ est un organisme national à but non lucratif, créé en 1985, dont l'objectif est d'assurer aux femmes et aux jeunes filles canadiennes un traitement égal, notamment dans les secteurs de la justice et de l'enseignement. Le FAEJ a été appelé à témoigner dans plus de 100 affaires portées devant les tribunaux canadiens et quelque 27 fois devant la Cour suprême du Canada—de fait, je présume que cela passera à 28 fois demain, étant donné que nous allons encore une fois intervenir devant cette instance.

Le FAEJ a également été impliqué dans la réforme du droit et a comparu plusieurs fois devant des comités de la Chambre et du Sénat, et c'est la raison pour laquelle, bien évidemment, nous sommes ici aujourd'hui.

Comme on nous l'a demandé, nous allons limiter nos observations préliminaires à environ 15 minutes et nous serons ensuite à la disposition des membres du comité s'ils ont des observations à faire ou des questions à poser.

Mme Mathen va commencer en présentant les réserves du FAEJ à propos de l'obligation d'accommodement que l'on se propose d'inclure dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je poursuivrai en faisant un bref exposé sur la notion de «contrainte excessive» et sur la façon dont cela a été, est et peut être interprété à l'avenir sur le plan législatif et par les instances judiciaires. Nous allons défendre le point de vue du FAEJ, à savoir que ces modifications, telles qu'elles sont énoncées, peuvent être préjudiciables aux droits des groupes-mêmes qu'ils sont censés protéger. À notre avis, ce sont des sujets qui peuvent être pleins d'embûches, et nous voulons les signaler au comité aujourd'hui dans l'espoir qu'on pourra régler les problèmes avant que le projet de loi soit adopté.

Sur ce, je passe la parole à Mme Mathen.

Mme Carissima Mathen (avocate-conseil, Fonds d'action et d'éducation juridique pour les femmes (FAEJ)): Merci. Comme Joan l'a dit, notre exposé sera axé sur l'inclusion de la notion d'accommodement dans l'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et sur la codification de la défense fondée sur la contrainte excessive dans l'article 15.

À notre avis, ces modifications, même si elles procèdent d'une bonne intention, n'ouvrent pas la voie à une amélioration de la situation. De fait, le FAEJ craint qu'elles aient un impact négatif sur les Canadiens qui sont victimes de discrimination.

J'aimerais commencer en soulignant à quel point la législation sur les droits de la personne est importante au Canada pour préserver le tissu social de notre pays. On a pu dire que cette législation avait un caractère quasiment constitutionnel. C'est parce qu'elle a pour but d'éliminer la discrimination et d'y remédier, ce qui a été jugé essentiel à la préservation non seulement du type de société auquel nous aspirons tous, mais en bout de ligne, de la démocratie elle-même.

Un des objectifs fondamentaux de tout texte législatif portant sur les droits de la personne—ce qui, soit dit en passant, est aussi la mission du FAEJ—est la promotion de l'égalité. Le FAEJ défend une vision de l'égalité qui n'est ni abstraite ni théorique, mais qui se fonde plutôt sur un fait reconnu, à savoir que l'inégalité est largement répandue au Canada.

Le FAEJ est convaincu que l'on peut atteindre l'égalité en adoptant des lois qui se traduisent, pour les personnes les plus désavantagées, par des bénéfices fondamentaux et matériels. C'est ce que l'on appelle l'«égalité matérielle».

À notre avis, l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne est de promouvoir l'égalité matérielle, mais les modifications proposées dans le projet de loi S-5 auront des effets néfastes sur les handicapés et sur d'autres groupes victimes de discrimination au Canada.

Je suis sûre que la plupart des membres du comité savent à quel point le désavantage subi par les handicapés est grand. Leur histoire est marquée par l'exclusion, la marginalisation et la dépréciation sociale. Nous savons qu'ils sont moins instruits, qu'ils ont moins de chances de trouver un emploi et qu'ils jouissent de ressources financières moindres que les personnes qui ne souffrent pas d'un handicap. Les femmes handicapées font face à encore plus d'obstacles et sont plus susceptibles, notamment, d'être victimes de violence.

De l'avis du FAEJ, on ne peut justifier ni expliquer des actes discriminatoires à l'endroit de personnes handicapées, en invoquant la déficience dont peut souffrir un individu ou l'idée que les handicapés, en général, sont inférieurs. Comme dans le cas de la race et du sexe, si l'on réduit le handicap à quelque chose de purement biologique, on donne du véritable processus qui mène à l'exclusion de ces personnes de la société une idée complètement fausse.

• 1640

Le FAEJ considère tout handicap uniquement comme une des multiples facettes de l'expérience humaine. Ce qui devrait nous préoccuper, c'est que notre société ne s'est pas dotée des moyens nécessaires pour prendre en compte les besoins et les aspirations des handicapés, et l'on ne devrait pas, au contraire, prétendre que ce sont ces derniers qui ne savent pas comment s'adapter à une société où règne l'inégalité.

Tout comme à un moment donné, on pensait que la race et le sexe indiquaient naturellement à quel degré de la hiérarchie appartenaient les gens, aujourd'hui, nombreux sont ceux qui présument que le fait d'être doté de capacités différentes justifie un traitement divergent. Nous craignons que cette façon d'envisager les choses soit confortée et non remise en cause par l'inclusion de la notion d'accommodement dans l'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Pour que les choses soient bien claires, le passage pertinent de l'article 2 est celui-ci:

    [...] tous les individus [ont le droit] à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, etc. [...]

Nous attirons également l'attention du comité sur le passage suivant tiré du préambule du projet de loi S-5:

    Attendu [...] qu'il est particulièrement important de satisfaire les besoins des personnes handicapées pour leur permettre de participer pleinement à la société canadienne;

Le FAEJ craint que la modification que l'on se propose d'apporter à l'article 2 ne se traduise par une application moins rigoureuse des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Même si le FAEJ se rend compte que les modifications sont motivées par le désir de promouvoir plus vigoureusement les droits de la personne, nous ne pouvons faire autrement que de conclure que le nouvel article peut éventuellement se solder par un recul en la matière. J'ai deux raisons à donner pour appuyer cette conclusion.

Premièrement, l'énoncé proposé de l'article 2 et du préambule présente l'accommodement des besoins des individus comme une fin en soi plutôt que comme un moyen de parvenir à l'égalité matérielle. Nous ne pensons pas que c'est en se concentrant uniquement sur l'obligation d'accommoder les besoins des individus que l'on va garantir que les handicapés vont effectivement jouir de cette égalité. Il est important de reconnaître que même si le principe de l'accommodement peut avoir des applications positives, essentiellement, c'est un concept limitatif. Le statu quo fait partie des éléments donnés. Une fois que l'on introduit la notion d'accommodement, l'accent n'est plus mis sur la personne qui a fait l'objet d'une discrimination, mais sur l'individu ou l'entité qui a adopté des pratiques discriminatoires. Ce qui est alors en cause, c'est l'envergure des mesures que doit prendre cet individu ou cette entité pour remédier aux actes discriminatoires.

Pour les handicapés, l'égalité signifie avoir le droit de contribuer à une société dont ils font partie intégrante. Ce qui est requis est une approche qui nous permet de repenser les principes fondamentaux. Il faut que nous soyons prêts à rejeter l'exclusion qui découle de l'application des normes et des valeurs de la majorité, et non simplement à faire des accommodements pour ceux qui, semble-t-il, ne peuvent se couler dans le même moule. Nous devons remettre en question l'idée largement répandue voulant que les gens soient exactement semblables sur le plan des capacités. Il faut accepter et lancer le processus qui nous permettra de démanteler les nombreuses barrières—structurelles, institutionnelles et attitudinales—qui font des différences de capacité le désavantage que nous appelons une déficience.

La seconde réserve que nous inspire l'article 2 tel qu'il est énoncé c'est que, même si l'on mentionne dans le préambule la notion d'accommodement en l'alliant aux besoins particuliers des handicapés, dans le nouvel article 2, l'application de ce concept est élargie pour couvrir tous les motifs de discrimination illicites en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous trouvons très troublante cette application élargie.

D'un point de vue historique, la théorie de l'accommodement des besoins individuels a été développée dans des cas de discrimination sur les lieux de travail fondée sur la religion. Plus récemment, la Cour suprême s'est penchée sur cette notion dans des affaires où l'on invoquait les dispositions de la Charte concernant les handicaps. Toutefois, autant que nous le sachions, la notion d'accommodement des besoins individuels n'a pas été appliquée dans la même mesure à des cas de discrimination fondée sur d'autres motifs, par exemple, la race ou le sexe. Cela nous inquiète donc que l'on envisage la possibilité de faire jouer l'accommodement des besoins individuels, y compris la contrainte excessive que l'on peut invoquer pour s'en délier, dans les cas de discrimination fondée sur ces motifs.

Nous tenons à souligner que nous n'appuyons pas l'application aux différents motifs illicites de discrimination de normes différentes pour les justifier. Cela créerait une hiérarchie dans le cadre de laquelle certains motifs exigeraient une protection plus grande que d'autres. Le FAEJ ne peut accepter une telle dérogation au principe d'égalité. Nous sommes convaincus que tous les motifs de discrimination illicites ont une même importance, car ils ont leur origine dans des caractéristiques individuelles qui font partie intégrante de l'identité de la personne humaine à laquelle elles s'appliquent. Par conséquent, la question ne peut être résolue en sélectionnant certains motifs de discrimination illicites—par exemple, les handicaps—et en les soumettant à une épreuve différente.

Pour conclure, le FAEJ estime qu'inclure la notion d'accommodement des besoins individuels dans l'article 2 a de sérieuses conséquences et que cela pourrait miner l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par conséquent, le FAEJ demande respectueusement au comité de rejeter cette modification telle qu'elle est énoncée.

Joan.

• 1645

Mme Joan Dawkins: Je vais poursuivre notre exposé en parlant de l'article 2 qui, dans sa mouture actuelle, comprend une référence à l'accommodement des besoins individuels et je passerai ensuite à la question de la contrainte excessive.

Il va sans dire qu'un certain nombre de groupes au Canada— parmi eux, d'ailleurs, des associations de handicapés importantes et respectées—appuient l'inclusion de la notion d'accommodement des besoins individuels dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous respectons et nous comprenons leur position, et les pouvoirs publics, dans leur sagesse, peuvent décider d'inclure cette notion sous la forme qui est proposée dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

En l'occurrence, ce qui nous préoccupe c'est la façon dont il faut considérer ce qui est maintenant connu sous le nom de moyen de défense tiré de la contrainte excessive. De mon point de vue—et je vais l'expliquer très simplement parce que c'est ainsi que je raisonne le mieux—ce dont on parle en principe dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, c'est d'égalité et d'inclusion ou encore de non-discrimination.

Donc, au départ, il est dit dans ce texte que nous sommes tous couverts par ces dispositions. Ensuite, les choses étant ce qu'elles sont, il y a des cas où, dans certaines professions ou dans le cadre de la prestation de certains services, il faut accoler certaines conditions au principe fondamental voulant que nous soyons tous couverts. La loi définit des exigences professionnelles normales; elle définit par exemple des motifs justifiables.

Toutefois, il est ensuite stipulé dans la loi que l'on ne va pas permettre à tout le monde d'invoquer une justification. On ne peut le faire et restreindre ainsi l'application du principe fondamental que si l'on peut démontrer que l'on a essayé d'accommoder les besoins d'individus qui, autrement, auraient été exclus.

Ainsi donc, nous avons pris le principe fondamental et nous l'avons restreint par le biais des motifs justifiables. Nous le resserrons maintenant d'un cran en introduisant la notion d'accommodement des besoins individuels. Nous allons le resserrer d'un autre cran en limitant le sens que l'on doit donner à la notion d'accommodement. En l'occurrence, on entend par accommodement toutes les mesures jugées appropriées compte tenu de la santé, de la sécurité et des coûts. Ces mots sont lourds de conséquences.

Jamais au Canada, à notre connaissance, on n'a inclus dans un système garantissant les droits de la personne la notion d'accommodement des besoins individuels sans intégrer également, pour faire l'équilibre, une disposition portant sur la contrainte excessive qui peut en découler—je déteste le mot «défense». Il n'y a donc aucun précédent et l'on n'a jamais prévu que des mesures devaient être prises pour respecter pleinement un droit sans évoquer, pour faire l'équilibre, certaines contraintes que cela entraîne.

Du point de vue historique, ce qu'il faut entendre par contrainte excessive a été source de grande confusion, une confusion qui, à mon avis, a deux causes différentes. Premièrement, dans la législation relative aux droits de la personne, on a fait une distinction entre la discrimination directe et celle qui découle d'un quelconque effet défavorable. Je pense qu'il y a un aspect de ce projet de loi que l'on peut appuyer, c'est le fait qu'il élimine cette distinction et que l'on n'a plus besoin de s'en préoccuper. Au paragraphe 15(8) du projet de loi, il est stipulé que cette disposition s'applique quel que soit le genre de discrimination qui est en cause. Ainsi donc, c'est une source de confusion qui disparaît.

Néanmoins, ce qui a également porté à confusion, c'est l'interprétation donnée par les instances judiciaires canadiennes de la notion d'adaptation raisonnable, soit les accommodements qui peuvent être faits sans que cela entraîne des contraintes excessives. On a fait valoir un tas de facteurs différents, séparément ou combinés, ce qui a amené les instances judiciaires à statuer qu'il n'était pas nécessaire de faire des accommodements pour satisfaire les besoins de certains individus. À l'heure actuelle, ces décisions démontrent que ce que l'on entend ou ce que l'on doit entendre par «contrainte excessive» porte beaucoup à confusion.

Le projet de loi représente un pas dans la bonne direction, car on a essayé d'y apporter des précisions à ce sujet en mentionnant la santé, la sécurité et le coût. Je vais mettre de côté la santé et la sécurité parce que je ne pense pas que ces considérations appellent les mêmes commentaires. Nous pouvons concevoir qu'il faille faire entrer en ligne de compte, d'une manière ou d'une autre, des considérations qui ont trait à la santé et à la sécurité. Nous partageons tout à fait le point de vue de l'ACIC dont les représentants ont témoigné avant nous, en vous demandant d'évaluer ces considérations dans l'optique de l'inclusion de tous les intéressés. Il faut partir du principe que l'objectif fondamental de la loi est ce que l'on doit chercher à atteindre. On ne peut se montrer paternaliste ni traiter cela comme une considération dérisoire. Il faut faire preuve de beaucoup de prudence lorsqu'on invoque des considérations ayant trait à la santé et à la sécurité afin de limiter les accommodements que l'on serait autrement en droit d'exiger.

• 1650

Vous verrez dans notre mémoire que nous suggérons de modifier cette expression et de parler de «risque sérieux» en matière de santé et de sécurité. Ce serait un moyen de préciser que la loi ne fait pas allusion à des préoccupations dérisoires en matière de santé et de sécurité, mais qu'il doit s'agir de considérations sérieuses.

Par ailleurs, l'énoncé de la loi doit préciser clairement que lorsqu'on invoque des considérations ayant trait à la santé et à la sécurité pour refuser d'accommoder des besoins individuels, il faut se placer du point de vue des personnes qui requièrent ces accommodements et pas seulement du point de vue de ceux qui ont la charge de les fournir.

Il est peut-être nécessaire d'inclure des précisions à ce sujet dans la loi. Si vous conservez la mention d'une contrainte excessive, il peut s'avérer utile d'apporter ce genre d'amendement. Mais à mon avis, il faut faire attention aux mots que l'on emploie.

Passons maintenant à ce qui a trait aux coûts. Le FAEJ est convaincu que faire entrer la notion de «coûts» dans cette analyse, c'est inviter les parties concernées à donner un prix à l'égalité. C'est une question de principe, nous ne pouvons pas donner un prix à l'égalité, particulièrement lorsque cela n'est assorti d'aucune contrainte. Du point de vue de l'entité dont on exige des accommodements, si la notion de contrainte excessive est mesurée à l'aune des coûts, cela peut prendre des proportions insoupçonnées. Si l'on inclut cette considération dans l'article en question, dans la définition de ce que l'on entend par contrainte excessive, cela équivaut à inviter ceux qui sont dans l'obligation d'apporter des accommodements à trouver une excuse pour ne pas le faire.

À qui s'appliquent les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne? Elles s'appliquent aux pouvoirs publics, à titre d'employeur et de prestataire de services. Elles s'appliquent aux grandes entreprises nationales et multinationales. Elles s'appliquent, pas en totalité, mais dans une large mesure, à de grandes firmes qui sont mieux placées pour répondre aux véritables besoins des gens qui travaillent en matière d'égalité.

Dans ce contexte, le FAEJ ne peut que vous exhorter à supprimer le mot «coûts» dans cet article. Je sais que d'autres témoins vous diront que je suis folle de vous demander cela. Je ne pense pas. Il peut y avoir des employeurs ou des prestataires de services qui tomberont sous le coup des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne et qui seront en droit de faire valoir que cette disposition causera la perte de leur entreprise ou détruira ce qu'ils essaient de faire, parce que les coûts que cela représente les empêcheront effectivement de fonctionner.

Il est très facile de prévoir dans un autre article, là où cela n'affecte pas toute la question des accommodements, les circonstances très rares où le coût devrait entrer en ligne de compte. Ou alors, comme nous le suggérons, on devrait instaurer des mécanismes pour s'assurer que les entreprises en question ont les ressources nécessaires pour apporter les accommodements requis. Quoi qu'il en soit, c'est sur la question des coûts que nous avons les réserves les plus sérieuses.

Au cours de vos consultations, il se peut que l'on vous dise que nos inquiétudes à propos de la signification de la notion de contrainte excessive sont vraiment prématurées, étant donné que la loi prévoit la promulgation de règlements où l'on définira l'interprétation que l'on doit donner à l'avenir de la notion de contrainte excessive.

Sur ce point, je serai très brève.

Tout d'abord, nous sommes convaincues que toutes les explications nécessaires sur l'interprétation de la loi devraient être incorporées à la loi elle-même. Nous devons nous assurer de ne pas employer dans la loi des mots dont l'interprétation peut être très large sous prétexte du processus qui permettra d'en préciser le sens sera lancé plus tard.

Deuxièmement, la procédure prévue dans le projet de loi S-5, tel qu'il est libellé actuellement, ne permet pas de s'attendre à des consultations approfondies à propos de ses règlements. On y parle de «consultation». On confie à la Commission canadienne des droits de la personne la responsabilité de préparer un rapport suite à des consultations. Toutefois, les délais sont extrêmement courts.

Une fois que les consultations ont eu lieu, il n'est plus possible de réagir. Personne n'a la possibilité d'examiner les règlements. De fait, le gouverneur en conseil peut émettre des règlements, même avant que la Commission canadienne des droits de la personne ait publié son rapport, dans les six mois suivant l'adoption du projet de loi. Je peux vous dire, étant donné le genre de consultations que mène le FAEJ avant de plaider une cause et parce que j'y ai participé, que six mois n'est pas une période assez longue pour mener à bien un processus de consultation sérieux et rédiger des rapports.

• 1655

À notre avis, il est difficile de formuler des règlements, et cela ne répondra pas aux préoccupations dont avons fait état aujourd'hui devant vous. De fait, nous en sommes pratiquement arrivées à la conclusion qu'il faudrait plutôt charger la Commission canadienne des droits de la personne de donner une définition de ces mots—s'il faut que cette responsabilité soit confiée à qui que ce soit. Nous avons également des réserves à propos du processus qui est prévu pour promulguer des règlements.

En conclusion, et c'est également là-dessus que se termine notre mémoire, nous tenons absolument à faire valoir qu'il est essentiel de supprimer le mot «coûts» dans l'énumération des facteurs de la contrainte excessive qui pourrait limiter l'accommodement des besoins individuels. Ainsi se termine pour le moment notre intervention; nous sommes prêtes à répondre à vos questions.

J'allais ajouter... J'étais assise là-bas, dans le coin, et j'avais bonne envie de répondre à la question de M. McKay à propos du Code criminel, même si nous n'avons rien dit à ce sujet dans notre exposé. J'ai une petite observation à faire que vous pourriez juger utile.

Je ne parle pas au nom du FAEJ, car je n'ai pas discuté de cela avec notre association. C'est juste mon opinion.

Je pense qu'en réalité, deux questions distinctes se posent. Il y a celle du consentement lorsque vous avez affaire à des gens qui souffrent de handicaps ou à propos de qui, pour une raison ou pour une autre, parce qu'ils ont de la difficulté à communiquer, par exemple, il est difficile de savoir s'ils ont donné leur consentement ou non. Je pense que c'est un problème que l'on devrait régler. Je ne sais si l'on devrait inverser la charge de la preuve. À mon avis, c'est dangereux, mais je pense que l'on devrait chercher à régler le problème.

Quoi qu'il en soit, de mon point de vue, l'article 153.1 porte sur la relation entre la personne qui est coupable de l'acte criminel et sa victime. On cherche à définir dans cet article une infraction qui est fondamentalement différente, étant donné la situation de dépendance, la vulnérabilité de la victime. Ce sont les gens qui sont dans une situation d'autorité ou de confiance qui sont visés.

À mes yeux, il s'agit d'une infraction qui entre dans une catégorie bien particulière. Lorsque vous abusez de la confiance de personnes qui vous ont été confiées et qui dépendent de vous pour leur donner ce qui est essentiel à leur survie, je pense que cela donne une toute autre dimension à l'infraction elle-même.

Donc, selon moi, si l'on veut tenir compte des besoins des handicapés victimes de mauvais traitements, il faut tenir compte des deux considérations. Il faut régler la question du consentement, mais je crois qu'il faut aussi—et je n'ai pas examiné l'article 153.1 d'assez près pour voir s'il y a quelque chose à ce sujet—prendre en compte la relation entre les deux personnes.

M. John McKay: Mais il semble que pour l'association qui a comparu avant vous, ce qui est stipulé dans cet article ne correspond pas à ce qu'elle souhaite que le texte législatif permette d'accomplir.

Mme Joan Dawkins: Vous avez sans doute raison, je pense.

M. John McKay: Oui.

Mme Joan Dawkins: Je vous demande pardon, c'était un aparté.

La présidente: Ce n'est pas grave. Je voudrais vous faire remarquer que le comité se trouve aux prises, dans ce projet de loi, avec des dispositions du Code criminel. Nous devons commencer par en saisir le contenu; ensuite, il faut redéfinir ce que l'on entend par voies de fait dans ces circonstances. C'est une difficulté que nous sommes loin d'avoir résolue et nous sommes heureux de pouvoir compter sur vos lumières.

Avez-vous des remarques ou des questions à formuler, monsieur Hilstrom?

M. Howard Hilstrom: Oui.

Effectivement, par exemple, dans le cas de relations sexuelles avec une personne de moins de 14 ans, on trouve des dispositions dans le Code à l'intention des personnes qui doivent recourir à ces articles particuliers afin d'assurer que leurs droits et leur protection sont reconnus. Vous laissez entendre, Joan, si je comprends bien, que vous aimeriez que le mot «coûts» soit supprimé, mais je suis sûr que vous ne voulez pas dire qu'il n'y a pas de coûts afférents à une législation quelle qu'elle soit. Les lois, en général, portent sur des détails pratiques: s'agit-il de quelque chose de réaliste et quels sont les coûts qui y sont liés?

Si par conséquent on reconnaît qu'il y a en fait des coûts, que ce soit spécifié dans le projet de loi ou non, et le but ultime recherché—et je ne pense pas que quiconque soit contre l'intégration totale de tous les gens dans la société canadienne— s'agit-il d'une situation où la société tout entière devrait assumer ces coûts d'accommodement, comme dans la Loi canadienne sur la santé? Avez-vous des commentaires ou des réponses?

Mme Joan Dawkins: À titre personnel, je suis d'avis qu'il devrait y avoir plus de programmes globaux financés par des fonds publics pour aider les employeurs et les prestataires de services et faire en sorte que la société soit plus ouverte à l'intégration. En réalité, il s'agit d'un besoin et d'un problème social, et je crois donc qu'il devrait exister, au niveau provincial et au niveau fédéral, un plus grand nombre de programmes généraux qui favoriseraient l'intégration.

• 1700

M. Howard Hilstrom: Pouvez-vous répondre clairement par oui ou par non: Pensez-vous que ce devrait être la société dans son ensemble, comme dans le cas des soins de santé, qui garantit à chacun ce droit? Devrait-il en être de même que pour les soins de santé, et les coûts devraient-ils être assumés à même les recettes générales du gouvernement ou est-ce un cas où les coûts devraient être imputés à la personne qui a le devoir d'accommoder les besoins en question?

S'agit-il vraiment d'une question trop importante pour qu'on y réponde aujourd'hui?

Mme Joan Dawkins: Je vais tâcher de faire de mon mieux.

Je pense qu'il faut combiner plusieurs choses. L'accommodement peut être une chose très simple et très directe, et nous devrions tous, en tant qu'employeurs, prestataires de services, simples citoyens, assumer une partie de la responsabilité, dans la mesure où cela ne nous paralyse pas. Je suis donc d'avis que nous avons tous et chacun une part de responsabilité en la matière et que nous devons compter sur les employeurs et les prestataires de services pour répondre aussi aux besoins des individus.

Quand cela n'est pas possible, compte tenu de la nature excessive des coûts, parce que cela paralyserait une entreprise, par exemple, la mettrait en mauvaise posture ou qu'elle ferait banqueroute si elle devait satisfaire aux besoins des individus, la société devrait alors apporter une aide. Plutôt que de dire vous n'êtes pas suffisamment important pour qu'on vous vienne en aide ou vous n'êtes pas suffisamment important pour qu'on essaie de vous intégrer, je pense que nous devons dire, en tant que société, qu'il s'agit d'une chose tellement fondamentale que nous devons y contribuer. Mais il s'agit d'une réponse beaucoup plus politique que...

M. Howard Hilstrom: Je ne pense pas que ce soit du tout politique. Ma question n'a aucun caractère politique, car je crois en la nécessité de l'intégration totale des gens. Un grand nombre de personnes handicapées sont venues me voir dans ma circonscription pour promouvoir leur cause et faire du lobbying.

Par conséquent, si c'est notre objectif, et c'est bien ce que nous visons, l'intégration totale—et il ne vous revient peut-être pas nécessairement de prendre position en la matière—le coût pour une entreprise... Une entreprise, vous le savez, cherchera toujours d'avoir les coûts les moins élevés possibles, et par conséquent, il y aura toujours des entreprises qui seront contre cette loi quand elles prendront en compte leurs résultats financiers...

Mme Joan Dawkins: Oui.

M. Howard Hilstrom: ... et je ne dis rien d'autre. En tant que société, si nous voulons et décidons de garantir l'intégration totale, ne devrions-nous pas envisager la chose comme un droit à l'accommodement financé par le gouvernement fédéral?

Mme Joan Dawkins: Tout à fait, du moins dans le cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les entités couvertes par cette loi, un grand nombre d'entre elles, me semble-t-il, devraient être des leaders en la matière et être tenues d'accommodement totalement et entièrement les besoins des intéressés.

Le gouvernement fédéral lui-même est un acteur clé parmi ceux qui sont couverts par cette mesure législative, et il me semble que nous méritons, au Canada, que le gouvernement fasse preuve d'un leadership déterminé. Si son action n'est pas ferme, si on fait figurer le mot «coûts» et que l'on ne s'occupe pas de dire ce qu'il signifie, si l'on ne précise pas qu'en quelque sorte, on vous pousse dans vos derniers retranchements, je crois que le facteur «coût» sera utilisé je ne sais combien de fois contre l'intégration des individus quels que soient leurs besoins en matière d'accommodement.

M. Howard Hilstrom: Je vous remercie, madame la présidente.

Mme Carissima Mathen: Toujours dans la même veine, je pense que l'on est tous d'accord que la loi n'est pas l'instrument unique susceptible de garantir la pleine intégration; c'est évident. Il y a un grand nombre d'autres problèmes d'ordre structurel et éducatif qui concernent les personnes souffrant de graves handicaps, qui sont susceptibles de les empêcher d'avoir accès au monde du travail et qui ne peuvent pas être réglés par des employeurs, individuellement. Il y a donc des problèmes plus vastes que ceux que peut traiter la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais je pense que la cette loi est en soi un outil important.

La présidente: Je vous remercie.

Madame.

[Français]

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Nous avons entendu plusieurs témoins aujourd'hui et je voudrais parler avec vous du nouvel article 153.1, qui propose l'ajout d'un nouvel acte criminel, à savoir que toute personne en situation d'autorité est coupable d'un acte criminel si elle invite, engage ou incite quelqu'un à avoir des actes de nature sexuelle.

• 1705

C'est quelque chose de nouveau. J'ai l'impression que vous trouvez que cet article est intéressant, si j'ai bien compris, et qu'il pourrait même représenter un plus. Par contre, on a entendu des témoins qui demandaient que ce nouvel article soit révisé dans deux ans pour s'assurer qu'il est toujours utile ou nécessaire. Alors, je me sens un peu mêlée et un peu confuse. Peut-être pourriez-vous préciser en quoi vous le trouvez essentiel. À vue de nez, ça m'apparaît un bon article.

[Traduction]

Mme Joan Dawkins: J'ai aussi beaucoup de difficulté à imaginer ce que l'on saura dans cinq ans et que l'on ne sait pas aujourd'hui et qui aboutirait à un changement de cet article. Il se peut que ce délai nous permette de voir si le libellé de cet article répond aux besoins que nous pensons satisfaire.

Quand j'ai lu cet article, quelqu'un a parlé de sa formulation et de la difficulté de cerner ce qu'il signifie effectivement. Il se peut ou non, que dans cinq ans il s'avérera avoir parfaitement rempli sa fonction. En ce sens, il pourrait être justifié d'y revenir et de l'examiner. Si je ne me trompe pas sur la raison pour laquelle je crois qu'il est inclus, je ne pense pas que son utilité disparaîtra.

[Français]

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Merci.

[Traduction]

La présidente: Monsieur McKay.

M. John McKay: J'aimerais simplement entendre vos commentaires à propos de cette curieuse disposition qui se trouve au paragraphe 15(3):

    Le gouverneur en conseil peut, par règlements, déterminer les critères d'évaluation d'une contrainte excessive.

Compte tenu de l'économie de la loi et du fait que l'on ne va peut-être pas conserver le concept soumis à l'origine, cela me paraît un article plutôt curieux. Pourquoi devrait-on laisser les membres du Cabinet, en bras de chemise, par une chaude journée de juillet, décider ce que constitue une contrainte excessive? Pouvez- vous trouver des parallèles dans une autre loi? Connaissez-vous une autre mesure législative où l'on trouve une disposition semblable?

Mme Carissima Mathen: Il y a l'ancienne Loi sur l'équité en matière d'emploi de l'Ontario, qui était accompagnée d'un assez grand nombre de règlements adoptés après la loi. Les règlements furent connus relativement tôt après l'adoption de la loi et ils définissaient certains des termes qui étaient dans la loi elle- même; et je pense que l'on pourrait trouver un parallèle dans la Loi sur l'immigration et certains de ses règlements, qui contiennent en fait la substance des dispositions. Ces règlements ont été émis plus tard.

M. John McKay: Quand on en fait la lecture et qu'on en reconnaît l'importance, ce paragraphe d'une ligne et demie constitue en fait l'âme de cette mesure législative.

Mme Carissima Mathen: C'est exact.

M. John McKay: Le reste peut faire l'objet d'une intéressante conversation, mais ne sert pas à grand-chose d'autre.

Mme Carissima Mathen: Il s'agit effectivement d'un fantastique pouvoir discrétionnaire; cela ne fait aucun doute.

M. John McKay: Je me demandais si c'était aussi votre opinion.

Deuxièmement chose: la façon dont vous envisagez les coûts. Vous souhaitez que l'on conserve la référence à la santé et la sécurité dans le texte, mais vous voudriez que l'on parle des coûts ailleurs. Je me demande si ce n'est pas tout ou rien. Si nous parlons de ce qu'on entend par accommodement, il devient également nécessaire de situer les coûts ainsi que la santé et la sécurité sur un même plan. Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire quand vous déclarez que la question des coûts doit être dissociée du concept de contrainte excessive et traitée dans un autre contexte. Je ne vois pas comment cela peut se faire.

• 1710

Mme Joan Dawkins: Je n'ai peut-être pas été parfaitement claire à ce sujet, mais je ne pense pas qu'il soit véritablement très utile d'inclure l'un ou l'autre de ces trois mots si l'on ne précise pas mieux ce qu'ils signifient. Je ne pense pas qu'il soit possible de simplement inclure les mots «santé et sécurité» et de laisser à la discrétion des futurs décisionnaires le soin de décider quel est le sens qu'on doit leur donner. Il vaut mieux clarifier ce que l'on essaie de faire.

Je vais encore une fois séparer la question de la santé et de la sécurité de celle des coûts car je suis d'avis que les principes qui s'appliqueraient à l'analyse des deux concepts sont tout à fait différents. J'imagine que ce que l'on veut dire au sujet de la santé et de la sécurité, c'est que les risques et les craintes en la matière doivent être suffisamment graves pour justifier l'abandon de l'objectif de la loi, à savoir l'intégration. Pour en arriver à cette conclusion et dire que les considérations touchant la santé et la sécurité sont assez importantes pour qu'on laisse de côté le principe de base, qui est que tout le monde devrait être intégré, il faut aller plus loin. Ces deux mots ne sont guère utiles.

M. John McKay: Mais tant et aussi longtemps que l'économie de la loi repose sur le fait qu'il y a un plaignant contre un employeur, par exemple, n'est-il pas nécessaire d'inclure le facteur coût dans cette équation, dans la mesure où il y a un «moyen de défense» basé sur la contrainte excessive? Si on place cela sur un plan philosophique différent et si on dit qu'il s'agit d'une responsabilité sociale, je peux comprendre votre argument, mais tant et aussi longtemps que l'économie de la loi repose sur le fait qu'il y a une partie plaignante et un défendeur, n'est-il pas nécessaire de conserver la référence aux coûts?

Mme Joan Dawkins: Dans son principe, la question des coûts est foncièrement différente des questions de santé et de sécurité, lesquelles peuvent très bien être intégrées dans la notion globale de contrainte excessive.

S'il n'en tenait qu'à moi, je traiterais les coûts comme une exception particulière dans un autre article de la loi, et non dans le contexte de la définition de la contrainte excessive. Je n'encouragerais aucune des personnes qui sont tenues de satisfaire aux besoins des individus d'utiliser les coûts comme moyen de défense. J'en ferais une exception particulière ailleurs dans la loi, et je la rendrais extraordinairement rigoureuse. Je ferais en sorte qu'elle ne puisse être un recours que dans les cas où les coûts sont tellement élevés qu'ils entraîneraient d'énormes difficultés ou je ferais mienne la suggestion qu'en tant que société, nous devons mettre en place des programmes pour couvrir ces coûts. Mais je pense qu'il est nécessaire que les coûts soient traités d'une façon foncièrement différente...

M. John McKay: Abstraction faite de la jurisprudence élaborée avec le temps, qui parle du caractère raisonnable des mesures qui affectent un employeur.

Mme Joan Dawkins: Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, en l'occurrence, c'est que la jurisprudence est fondée, en tout cas au Canada, sur des lois provinciales en matière de droits de la personne qui s'appliquent surtout aux petits propriétaires, à ceux qui ont un petit commerce au coin de la rue. Dans ces cas là, la question des coûts se pose d'une manière foncièrement différente que lorsqu'il est question des obligations du gouvernement fédéral, des grandes compagnies aériennes ou d'organismes de grande envergure.

Je considère par conséquent que la jurisprudence s'est développée en fonction de situations qui sont couvertes par cette loi beaucoup moins fréquemment—celle du petit employeur qui est confronté à ses cinq, sept ou 12 employés. Ces situations peuvent être traitées comme des exceptions. Mais je ne veux pas qu'on mette un prix au droit fondamental d'être intégrés dans la société. Inclure le mot «coûts» dans ce texte, c'est encourager des conflits d'ordre financier. Qui possède suffisamment d'argent pour mener le combat? Ce n'est pas le plaignant. Ce genre d'argument sera avancé par les gens qui possèdent les atouts financiers ou économiques nécessaires.

Mme Carissima Mathen: Il est important de tenir compte de la nature de l'employeur, car si l'on veut tenter une analogie avec la législation, les politiques ou les actions gouvernementales qui sont censées contrevenir à la Charte, la justification par les coûts est un test beaucoup plus rigoureux. Il est utile d'en tenir compte dans la présente analyse.

M. John McKay: Donc, vous voulez inclure dans cette loi le concept de coût que l'on trouve dans la Charte, plutôt que celui qui a été élaboré au cours des ans dans la législation sur les droits de la personne. Faut-il changer de concept?

• 1715

Mme Joan Dawkins: Oui, c'est cela, probablement, et la raison en est qu'en prenant cette initiative, en choisissant d'inclure ces nouvelles dispositions, nous avons la possibilité de redéfinir ce que signifie pouvoir compter sur des accommodements, et nous pouvons le faire dans le contexte de la Loi canadienne sur les droits de la personne et ne pas être limités par la jurisprudence élaborée au niveau provincial. C'est ce que nous disons. On peut parvenir en principe à quelque chose de mieux que ce qui est offert actuellement au niveau provincial.

Cela ne veut pas dire pour autant que les mesures provinciales soient erronées. Ce sur quoi elles portent est tout à fait différent de ce à quoi nous avons affaire en l'occurrence. La portée de la Loi canadienne sur les droits de la personne est différente; les entités auxquelles elle s'applique sont passablement différentes.

M. John McKay: Je me rends compte que les employeurs en tant que tels... et je ne peux pas imaginer—comment pourrais-je dire cela?—qu'un employeur soit «victime» de ce changement. Mais vous parlez des compagnies aériennes, vous parlez de...

Mme Joan Dawkins: Des banques.

M. John McKay: ... des banques. Ce sont des grandes organisations, essentiellement...

Mme Joan Dawkins: Personnellement, je ne vais pas me faire beaucoup de souci pour les banques.

La présidente: À votre avis, est-ce nous devrions subventionner Air Canada et les banques?

Mme Joan Dawkins: Oui. Ce serait en plein...

La présidente: Vous allez faire grimper M. Hilstrom aux rideaux.

M. John McKay: On connaît ça.

Des voix: Oh, oh !

La présidente: Monsieur Hilstrom.

M. Howard Hilstrom: J'aimerais intervenir. Vous avez déformé ce que j'ai dit. Je vous demande si, de votre point de vue, il s'agissait d'une solution de rechange viable. Vous êtes des professionnels, votre association regroupe des avocats, entre autres, et je pense qu'il était juste de vous poser ce genre de question. Je ne veux pas que vous en veniez à dire que je suis en faveur d'un financement du même ordre que pour les soins de santé. Je vous posais une question et...

Mme Joan Dawkins: Non, et je suis désolée si...

M. Howard Hilstrom: ...je voulais une réponse que vous ne m'avez pas donnée. J'accepte que vous ne répondiez pas, c'est votre droit.

Mme Joan Dawkins: Je m'excuse si j'ai laissé entendre que vous défendiez un point de vue alors que ce n'était pas le cas. Ce n'était certes pas mon intention. C'est uniquement parce que vous avez mentionné cette possibilité.

La présidente: Ne vous inquiétez pas, madame Dawkins, je voulais juste savoir si le Parti réformiste était prêt à subventionner les banques. C'est moi qui ai lancé cela, pas vous.

M. John McKay: Quelle espiègle vous faites, madame la présidente.

La présidente: Merci de votre exposé. Nous avons été très heureux de vous entendre et nous allons voir ce que nous pouvons faire à partir de là.

Mme Joan Dawkins: Merci encore de nous avoir invitées.

La présidente: La séance est levée.