LANG Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des langues officielles
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 30 octobre 2018
[Enregistrement électronique]
[Français]
La séance se poursuit de façon publique.
Conformément à l'article 108(3) du Règlement, nous commençons la séance d'information sur la Loi sur les langues officielles et le règlement qui en découle.
Chers amis, le juge Bastarache n'est pas encore arrivé. Nous allons peut-être créer un précédent, mais, vu les circonstances, je vais vous lire la présentation qu'il devait nous livrer. Quand il arrivera, nous nous permettrons de lui poser des questions relativement à cette présentation.
Présentation au Comité des langues officielles de la Chambre des communes, Ottawa, le 30 octobre 2018
Je crois qu'il y a trois manières d'aborder le sujet. On peut d'abord considérer les cas qui ont été présentés devant les tribunaux et certaines analyses du Commissaire aux langues officielles pour identifier ce qui pourrait faire défaut dans la loi actuelle. On pourrait aussi examiner la portée de la loi à la lumière des attentes du public et des principes mis de l'avant par le gouvernement, et identifier les domaines où il y a lieu de créer de nouveaux droits ou de nouvelles obligations. Une troisième voie consisterait à évaluer la qualité de la mise en oeuvre de la loi et de voir si les carences pourraient être corrigées par des amendements législatifs.
Vous savez que j'ai affirmé devant le Comité des langues officielles du Sénat que je pense qu'il y a un nombre limité de domaines qui pourraient être traités de façon législative et que beaucoup de problèmes sont dus à une application inefficace de la loi. Je souligne en passant qu'il est très difficile de lire la loi et de se faire une idée de sa portée sans tenir compte des décisions judiciaires qui en ont précisé le sens et la portée, surtout quand elle a surtout pour objet de mettre en oeuvre certaines dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Par exemple, qu'est-ce qu'une école « équivalente », un service « d'égale qualité », « un nombre suffisant »? La loi peut suggérer des critères mais ceux-là doivent à leur tour être définis.
Une difficulté de base vient du fait que la perception des gens impliqués n'est pas la même. Je vous donne pour exemple l'article 23 de la Charte. Pour le justiciable, il est question de la reconnaissance d'un droit. Pour son avocat il est question d'une obligation gouvernementale. Très souvent, pour le gouvernement il s'agit d'un problème parce que la revendication est vue comme étant politique plus que juridique.
Dans le domaine de l'éducation, le domaine névralgique s'il en est un, une décision de 2016 de la Cour suprême de Colombie Britannique remet en cause bon nombre de ce que la minorité linguistique croit être un acquis. Cette décision a été largement entérinée par la Cour d'appel. La juge Russell s'est référée aux décisions de la Cour suprême du Canada qui ont reconnu et précisé les droits, mais en a fourni une application surprenante, affirmant implicitement qu'il faut faire le minimum parce que l'assimilation est de toute manière inévitable. Elle était d'avis que les nombres seraient suffisants pour justifier le droit à une école si cela était justifié au plan des coûts (cost effective). La justification serait établie si une école de langue anglaise devrait être mise en place pour le même nombre d'élèves anglophones. Le besoin d'effectuer une comparaison était accepté, mais la comparaison ne se ferait que si une école anglophone similaire était présente dans l'aire de service.
La Cour suprême du Canada avait pourtant déjà décidé que les représentants de la minorité linguistique étaient mieux en mesure de déterminer quand une école était nécessaire et où elle devait être située. Elle avait dit que les normes applicables à la majorité n'étaient pas acceptables. La juge Russell a cependant affirmé qu'il ne fallait pas porter trop attention à l'opinion des parents parce qu'ils n'étaient pas objectifs. Ce à quoi il fallait faire référence, c'est au concept hypothétique du ‘parent raisonnable’. Cette cause portait surtout sur le droit à des établissements physiques comparables à ceux de la majorité. Mais la juge était d'avis que le mot ‘établissement’ se référait plutôt à une ‘expérience éducative équivalente’ qu'à un immeuble. Cette ‘expérience éducative’ serait analysée en fonction de plusieurs facteurs, la qualité et la localisation des immeubles au plan physique n'étant que deux parmi d'autres. En réalité, la déférence au jugement du Conseil scolaire de la minorité serait minime. La juge a fait ce constat en affirmant que la décision du Conseil scolaire francophone ne peut être acceptée si elle va créer des obligations qui ne sont pas pratiques pour le gouvernement (that are inconvenient), compte tenu du fait que le gouvernement est responsable de nombreux autres bénéfices sociaux. Ceci signifie que les considérations financières s'étendent bien au-delà de celles qui sont applicables au domaine de l'éducation. L'obligation de considérer les erreurs et les injustices du passé est oubliée.
La juge a aussi affirmé qu'il ne serait pas pratique de considérer le besoin d'équivalence pour toutes les écoles de la minorité, et qu'il serait inacceptable de créer de nouvelles écoles simplement pour empêcher la minorité d'inscrire ses enfants dans les écoles de la majorité. L'équivalence, selon elle, c'est un seuil à franchir, le droit étant celui de faire respecter une règle de proportionnalité.
Toutes ces expressions et ces catégories semblent bien artificielles au parent qui veut simplement un établissement correct pour l'éducation de ses enfants. Il y avait une abondante preuve d'expert sur l'attachement culturel, les liens communautaires, le rôle des écoles comme lieux de rassemblement pour la minorité, mais la juge a conclu que la preuve sociolinguistique n'était pas utile. Même l'opinion des enseignants et des autres membres du personnel de l'école de la minorité n'était pas acceptée parce que, selon la juge, elle ne semblait pas authentique (did not have the hallmark of authenticity). Elle a conclu ce chapitre en affirmant que la création d'une école, après tout, ce n'est pas apporter une réponse à un problème social (a social ill).
Je m'arrête ici, car M. le juge vient d'arriver.
Je regrette sincèrement mon retard. Mon agenda indiquait 10 h 45 et je l'ai cru. En voulant me dépêcher, je me suis rendu à la Chambre des communes, plutôt qu'ici.
Il n'y a aucun problème. Nous vous souhaitons la bienvenue.
Nous avons pris l'initiative de commencer à lire votre texte, afin de gagner un peu de temps.
Je ne sais pas si vous voulez en reprendre la lecture ou la poursuivre. Après tout, c'est votre texte.
J'étais rendu à la page 7. Mme la greffière va vous indiquer où nous en étions dans le document.
Cela nous fait extrêmement plaisir de vous accueillir ce matin, monsieur le juge, pour discuter d'un sujet aussi important que celui-là.
Merci.
Je vais poursuivre la présentation.
Évidemment, nous parlions de cette décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. La juge dans ce cas a commencé la présentation de son jugement en disant que l'article 23 ne devrait pas s'appliquer, puisque l'assimilation est inévitable en Colombie-Britannique. Autrement, on ne fait que retarder l'inévitable, et tant qu'à retarder l'inévitable, il est préférable d'interpréter la loi de façon très restrictive. C'est là qu'elle a commencé à faire la présentation dont vous avez lu le résumé.
À mon avis, ce qui est encore plus surprenant dans cette cause, c'est la décision de la juge d'appliquer l'article 1 de la Charte au droit à des établissements scolaires. Comme vous le savez, l'article 1 est celui qui permet de suspendre l'application d'un droit. Selon la juge, comme il peut y avoir des objets publics qui s'imposent au gouvernement en même temps que le devoir de mettre en oeuvre l'article 23, il peut y avoir des cas où les droits découlant de l'article 23 doivent être refusés. C'est une question de priorité, dit-elle.
En fait, la juge a appliqué l'article 1 dans certains cas. Selon ce que j'ai compris de la décision, l'objet public dont elle a tenu compte, c'est la nécessité de protéger le système de paiement en capital pour la construction d'écoles en général. À mon avis, si le système n'est pas suffisant pour permettre la construction des écoles obligatoires selon l'article 23, c'est le système lui-même qui est inconstitutionnel.
Il est vrai que l'éducation est de compétence provinciale, mais n'oubliez pas que c'est le gouvernement fédéral qui a fait adopter, dans les trois territoires, des lois sur les langues officielles et sur l'éducation dans la langue minoritaire. Il est aussi important de souligner que Patrimoine canadien finance une très grande partie de l'enseignement dans la langue minoritaire dans toutes les provinces et tous les territoires.
Depuis des années, les représentants de la minorité se plaignent du fait que certaines provinces ne respectent pas les ententes et divertissent les fonds vers d'autres objets, et que le gouvernement ne fait rien pour corriger la situation. J'ai rencontré moi-même la ministre responsable, qui m'a dit ne pas vouloir de conflit avec les provinces.
Après l'échec de la tentative de la sénatrice Maria Chaput pour corriger le problème de l'application incohérente de l'article 20 de la Charte, cet article qui prévoit le droit à des services quand la demande est suffisante ou importante, la Société franco-manitobaine a intenté une poursuite en Cour fédérale, dénonçant en particulier la formule utilisée pour déterminer les nombres suffisants pour justifier le droit aux services fédéraux dans la langue officielle minoritaire sur le plan provincial. La SFM fait valoir que le Règlement sur les langues officielles adopte une définition indûment restrictive du mot « francophone », définition qui exclut entre autres des personnes compétentes pour demander un service en français, des personnes s'identifiant comme étant francophones, des personnes reconnues par la communauté minoritaire comme y appartenant et des personnes plus aptes à utiliser un service en langue française si l'offre est faite de manière active.
Nous avons appris que le Conseil du Trésor avait proposé des modifications au Règlement sur les langues officielles, il y a cinq jours. Je n'ai pas eu le loisir ou l'occasion d'étudier toutes les modifications, mais j'ai lu les cinq pages sur le calcul de la population, et l'on continue de parler des membres de la minorité et de la demande de services. Pourquoi est-ce important? C'est parce que, dans la Charte, il est question d'une demande de services en français en dehors du Québec. Il n'est pas question d'une demande formulée par la minorité linguistique. On présume donc que seuls les membres de la minorité linguistique vont demander des services en français à l'extérieur du Québec, et l'on ne tient pas compte du fait que la demande est toujours faible quand le gouvernement ne fait pas une offre active. On définit l'offre en fonction de critères objectifs. Par exemple, on va dire que, dans une communauté qui compte moins de 500 personnes, on va offrir les services en français si au moins 5 % de la population demande des services dans la langue minoritaire. Or, comment faire une demande si le service n'est pas offert?
On avait toujours critiqué le fait qu'il n'y ait pas de critères qualificatifs. Mme Chaput avait exigé qu'on tienne compte, par exemple, de la vitalité de la communauté avant de retirer un service. On a donc ajouté un critère qualitatif: quand l'aire de service d'un bureau régional compte moins de 500 habitants et qu'il y a au moins un établissement scolaire de la minorité à l'intérieur de l'aire de service, on va offrir le service en français. Or, ce n'est pas ce que demandaient les minorités. Elles demandaient qu'on se défasse des critères objectifs pour les remplacer par des critères qui tiennent compte de la vitalité de la communauté. Elles voulaient qu'on détermine s'il y a, par exemple, des services sociaux offerts en français, des maisons pour personnes âgées francophones, des églises qui desservent la population francophone ou encore, bien évidemment, des écoles francophones.
Bien entendu, dans le nouveau Règlement sur les langues officielles, il y a des pages et des pages sur les services aux voyageurs, les services de sauvetage, les services d'immigration, les services d'aéronautique, les services à bord de trains et de traversiers. Je vous jure qu'aucun employé du ministère ne pourrait répondre à vos questions sans se reporter au document. C'est tellement compliqué et tellement détaillé que personne ne peut apprendre cela par coeur. La population devrait pouvoir savoir à quels services elle a droit, et s'il faut que les gens consultent chaque fois un spécialiste pour savoir s'ils ont droit à un service donné, je ne sais pas comment cela pourra jamais fonctionner. C'est le reproche que je fais.
Je ne sais pas ce qui est prévu relativement aux services aériens. Si vous achetez un billet d'avion ici au comptoir d'Air Canada, vous serez servis en français. Si vous prenez un vol direct pour Vancouver — j'y vais toutes les deux semaines —, un service en français sera offert à bord, mais si l'avion fait escale à Regina, aucun service en français ne sera offert. Il faut se rendre d'un aéroport bilingue à un autre aéroport bilingue pour que cela compte. Y a-t-il une vraie logique à cela? Je ne le sais pas.
Il y a un autre problème: il n'y avait pas de services bilingues dans certaines capitales provinciales, comme Fredericton et Regina. J'ai comparu devant un certain comité et j'ai dit aux membres de ce comité que, si l'on croit vraiment qu'il y a un bilinguisme national, il devrait exister au moins dans les capitales provinciales. Au Nouveau-Brunswick, il y avait moins de services fédéraux en français que de services provinciaux en français. Je rappelle qu'il s'agit d'une province officiellement bilingue. J'ai trouvé illogique que le fédéral offre moins de services en français que le gouvernement provincial.
L'ancien Règlement sur les langues officielles avait été adopté sans aucune consultation de la population et n'avait fait l'objet d'aucune révision ou consultation depuis 1992. Selon la SFM, l'incompatibilité des seuils avec l'article 20 de la Charte se constate à deux niveaux. Premièrement, les seuils varient de façon manifestement arbitraire. On dit que c'est 5 000 habitants pour une aire de service et 500 habitants pour un village. J'ai rencontré les quatre fonctionnaires qui ont établi cela et je leur ai demandé comment on en était arrivé à ces chiffres. Je leur ai demandé si une étude scientifique avait établi des critères quelconques. Ils m'ont répondu que non, que c'étaient juste de beaux chiffres. On peut constater toutes ces règles arbitraires simplement en lisant le Règlement sur les langues officielles. Il n'y a qu'à penser à l'exemple que je vous ai mentionné au sujet de l'aviation. J'ai demandé à ces quatre fonctionnaires comment on justifiait cela et en quoi c'était fondé sur les principes fédéraux en matière de bilinguisme et d'accès aux services. Ils n'ont jamais pu me répondre, puisqu'il n'y avait jamais eu d'études et que cela avait été décidé entre eux. Deuxièmement, le gouvernement n'a déposé aucune preuve que c'est basé sur quelque critère fondé sur la rationalité du service. À son avis, c'était juste une question de proportionnalité.
Quand on adopte des lois, il y a toutes sortes de difficultés liées à leur interprétation. Par exemple, peut-on savoir si la loi s'applique quand on dit la « demande »? De quelle demande parle-t-on? Qui fait cette demande? Où cette demande s'applique-t-elle? Parle-t-on de la demande pour un service offert ou de la demande pour un service offert de façon active? Ce problème n'a jamais été résolu dans le contexte de l'article 20 de la Charte.
Depuis, il y a eu deux jugements de la Cour suprême du Canada dans lesquels on a interprété ainsi l'obligation gouvernementale: pour qu'il y ait une égalité dans l'accès aux services, il faut qu'il y ait une offre active.
Comme je l'ai dit, on commence à définir la communauté comme étant la communauté minoritaire. Dans l'arrêt Beaulac, la Cour suprême a fait face au même problème. Elle a statué qu'on avait droit à un procès dans sa langue, mais quelle est-elle, cette langue? La Cour a décidé que c'était au justiciable de choisir la langue qu'il voulait utiliser et que la seule restriction était qu'il soit capable de communiquer avec les avocats. Selon l'arrêt Beaulac, si l'avocat plaide en français, le justiciable doit parler suffisamment cette langue pour discuter avec lui. Si c'est là la philosophie de la Cour suprême, comment se fait-il qu'on propose un règlement contraire pour ce qui est des services généraux?
Pour tout résumer, la première méthode, cette fameuse méthode qu'on retrouve dans le Règlement sur les langues officielles, départage la population en compartiments étanches: les francophones et les anglophones. Or ce sont seulement les francophones minoritaires qui entrent dans la catégorie « francophones ». Si un anglophone est parfaitement bilingue, il ne compte pas.
Il y a une autre difficulté, bien que je ne l'aie pas mise dans mon texte. Comme vous le savez, il y a énormément de mariages mixtes à l'extérieur du Québec. Il y a toutes sortes d'expressions pour désigner ces mariages, mais le principe est le même: un francophone est marié à une anglophone ou l'inverse. Supposons que la mère soit anglophone et que le couple envoie ses enfants à l'école d'immersion ou à l'école francophone, comme ces gens sont en droit de le faire. Il s'agit d'enfants parfaitement bilingues, or, d'après le Règlement sur les langues officielles, aucun d'eux n'est considéré comme un francophone. Pourquoi? C'est parce que le test consiste à déterminer quelle est la langue parlée le plus souvent à la maison.
Il se trouve que, indépendamment de la langue, les enfants parlent plus souvent à leur mère qu'à leur père. Si la mère est anglophone, même si elle est bilingue, ses enfants vont lui parler le plus souvent en anglais. Tous ces gens ne comptent pas dans la définition de francophones.
Cela n'a pas l'air d'un gros problème quand il est question d'une seule famille, mais au Manitoba, plus de 60 % des personnes francophones sont mariées avec un ou une anglophone. Cela commence à faire beaucoup de personnes qui ne comptent pas.
Il y a une question que je me pose, et je sais que les gens de la justice vont débattre avec moi indéfiniment pour tenter de déterminer ce qui est prévu dans la loi et si cela s'applique. Indépendamment des discours juridiques, quelle est la philosophie à la base des langues officielles? Veut-on vraiment définir le Canada comme un pays dont les institutions fédérales sont bilingues? Si c'est le cas, pourquoi essaie-t-on de rendre tout si difficile et si compliqué? Pourquoi essayer de prendre des raccourcis? Est-ce juste pour économiser de l'argent? Est-ce parce qu'on a peur d'être obligé d'avoir beaucoup trop de fonctionnaires bilingues?
L'autre sujet dont je n'ai pas eu le temps de parler est le critère de qualité égale. Si on embauche des anglophones et qu'on leur fait suivre des cours de langue, pendant tout le temps qu'ils suivront ces cours, le service sera forcément inégal. Même s'ils finissent leurs cours de langue et qu'ils deviennent vraiment bilingues, mon expérience personnelle me dit qu'au moins une fois sur deux, ils changeront d'emploi, et tout sera à recommencer. On aura toujours un service inférieur.
Il y a plusieurs années, des études sociologiques ont été réalisées en Nouvelle-Écosse par M. Rodrigue Landry. Il s'agit d'un expert qui a témoigné dans nombre de causes. Il s'est penché sur la question des comptoirs de service en Nouvelle-Écosse. M. Landry a trouvé que lorsqu'il y avait une affiche au-dessus du comptoir indiquant un service bilingue, environ 25 % des francophones allaient demander un service en français. Lorsqu'il y avait un comptoir francophone et un comptoir anglophone, ce pourcentage doublait. Lorsqu'un Acadien de la Nouvelle-Écosse donnait le service d'un côté et que, de l'autre côté, c'était un anglophone, ce pourcentage doublait encore.
Cela veut dire que la perception est terriblement importante. Si on a l'impression qu'on recevra un service inférieur, si on est trop pressé et qu'on veut juste que cela aille vite, par exemple si l'on veut obtenir son permis de conduire sans avoir de débat sur les langues officielles, c'est ainsi que cela se passe. On offre un service inférieur. Par la suite, on dit que, puisqu'il n'y a pas de demande, on réduit les services. Il y a quelque chose d'illogique dans la façon de mettre en oeuvre la loi.
C'est la raison pour laquelle je dis dans ma présentation que, même si on modifie la Loi sur les langues officielles et qu'on y ajoute une autre définition, on va se battre au sujet de la signification des mots dans cette définition. Ces histoires ne finissent jamais.
Le gros du problème réside dans la volonté politique de vraiment mettre en oeuvre les lois.
Personnellement, je voyage deux semaines par mois, parce que je m'occupe de l'affaire des femmes membres de la GRC qui ont subi du harcèlement sexuel. La majorité des cas que je traite sont à Vancouver, alors j'y vais très souvent. Quand je prends l'avion, c'est rare que le service en français soit de qualité égale, comparativement à celui en anglais. Cela fait pourtant 50 ans qu'Air Canada est obligée de donner un service en français. Qu'est-ce que le service en français? C'est une personne qui lit une petite carte sans comprendre ce qu'elle lit et qui a de la difficulté à prononcer les mots. Parfois c'est correct, d'autres fois ce ne l'est pas. À mon avis, cela veut dire qu'on ne croit pas à la politique du service égal.
Le commissaire actuel et ses prédécesseurs ont dénoncé Air Canada au moins 50 fois au cours des années, vous le savez comme moi, et cela n'a jamais rien changé. À présent, des gens disent qu'on devrait réviser cela et que le commissaire devrait pouvoir imposer des amendes. Dans le cas d'Air Canada, quelle sorte d'amende faudra-t-il pour la faire réagir? Une amende de 500 $ semble ridicule. Même une amende de 5 000 $ est ridicule. Pour ces grandes institutions, pareil montant correspond à de l'argent de poche. Il faut autre chose que des amendes.
Je vous ai donné cet exemple de l'article 20, mais un autre m'a vraiment troublé. J'ai représenté une organisation du Québec qui s'occupe de questions environnementales. Elle m'a demandé de lancer une poursuite contre l'Office national de l'énergie relativement aux audiences publiques tenues à Montréal au sujet du projet Énergie Est. Croyez-le ou non, les audiences publiques à Montréal avaient eu lieu en anglais et tous les documents de TransCanada avaient été présentés en anglais. Pourquoi? C'est parce que l'Office national de l'énergie est un organisme judiciaire. C'est ce que m'ont dit le vice-président et les gens responsables des affaires juridiques quand je les ai rencontrés. Voilà qui est surprenant, parce que l'Office ne rend pas de décisions, mais formule des recommandations.
Ensuite, les représentants de l'Office national de l'énergie ont dit que la consultation du public était prévue par la loi et devait obligatoirement se faire. Selon eux, si c'est prévu par la loi, cela fait partie du processus judiciaire de l'Office, et donc la partie III de la Loi sur les langues officielles s'applique. La partie III prévoit que, dans un procès, un citoyen peut présenter sa preuve dans la langue de son choix. L'Office a dit que l'entreprise TransCanada pouvait se comparer à quelqu'un qui présenterait une preuve dans un procès et qu'elle pouvait le faire dans la langue de son choix. J'ai rétorqué que, même si c'était vrai, l'Office national de l'énergie pourrait au moins faire traduire les documents dont il allait se servir pour prendre sa décision. On m'a répondu que non, ce n'était pas sa responsabilité. L'Office a refusé de le faire. Finalement, on a négocié avec TransCanada, qui a produit volontairement la traduction. Toutefois, ce n'était pas une traduction officielle et elle est arrivée trois mois après les textes déposés en anglais.
Alors, pour ce qui est du service égal, on est encore passé à côté.
L'autre domaine qui me préoccupe, évidemment, c'est le domaine judiciaire. C'est compliqué, parce que l'administration de la justice est de compétence provinciale et non fédérale. L'administration de la justice est de compétence fédérale pour les tribunaux fédéraux. Ces derniers peuvent indirectement contrôler la procédure en matière criminelle, parce qu'ils ont la compétence en ce qui concerne le Code criminel.
Ce qu'on a prévu, c'est le droit pour un justiciable de demander un procès dans sa langue en première instance dans une affaire criminelle. Or, que fait-on des procédures préliminaires, des motions, des comparutions et du dépôt des actes de procédure? Rien de cela n'est prévu. Ensuite, si l'on gagne ou si l'on perd son procès et que la cause est portée en appel, on n'a plus droit à un procès en appel dans sa langue.
Je sais que c'est compliqué, mais il faut se demander ce qu'on veut, au juste, dans le domaine judiciaire, et quelle est la politique fédérale là-dessus.
Une autre difficulté s'est présentée lors d'une poursuite intentée à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Je ne me souviens pas si cela a été réglé. Un justiciable a demandé un procès en français. Je crois que c'était un procès avec jury. En tout cas, c'était un procès criminel. On a assigné la cause à un juge anglophone qui avait suivi des cours de langue à Québec. Tout au long du procès, le prévenu et son avocat se sont dit que le juge ne comprenait pas vraiment ce qu'ils disaient. Ils ont eu des difficultés tout au long du procès. En fin de compte, l'accusé a été condamné. Il a ensuite demandé l'annulation du procès au motif que le juge ne comprenait pas suffisamment la langue.
Cela veut dire, d'après moi, qu'il faut faire comme les Européens et avoir des mécanismes de contrôle de la qualité de la langue avant qu'un juge puisse siéger. Cependant, on nous sert de drôles d'arguments de toutes sortes. Par exemple, on dit que cela fait partie de l'indépendance judiciaire. C'est absolument faux, à mon avis.
La dernière chose qu'il faudrait examiner, bien que je n'aie peut-être pas le temps d'en parler ici, ce sont les pouvoirs du commissaire aux langues officielles. Le Commissariat aux langues officielles est une institution qui existe depuis longtemps. Comme vous le savez, des modifications apportées ont permis au commissaire d'intenter des poursuites à la Cour fédérale et de participer à d'autres poursuites à titre d'intervenant, mais lui-même n'a pas de pouvoir de sanction. Quand il examine quelque chose et qu'il considère qu'on a contrevenu à la Loi sur les langues officielles, tout ce qu'il peut faire, c'est rédiger un rapport à ce sujet. De temps en temps, il peut aussi soumettre des rapports directement au Parlement, lorsqu'il y a des problèmes systémiques relativement à certaines activités.
Des gens ont dit qu'il faudrait donner au commissaire un pouvoir de sanction. D'autres ont dit qu'on devrait faire comme à la Commission canadienne des droits de la personne, où la Commission et un tribunal administratif se partagent la tâche. Il y a toutes sortes de solutions, mais on n'en a jamais cherché.
Je crois qu'on devrait vraiment examiner la question. Personnellement, je ne crois pas que le système actuel soit efficace. Je ne présenterais jamais une plainte au commissaire aux langues officielles, parce que je considère vraiment que cela ne servirait pas à grand-chose. Si je formulais une plainte chaque fois que je prenais un avion d'Air Canada et que je ne comprenais pas les annonces faites en français, qu'est-ce qu'il ferait, au juste? Je ne le sais pas. C'est la réalité.
Évidemment, il y a des cas plus flagrants où il faut demander une enquête et fouiller les faits. Cela dit, entendre dire que c'est la seule méthode pour mettre en oeuvre la Loi sur les langues officielles, c'est difficile à accepter.
Ma conclusion est très simple. On a mis énormément de temps avant de créer et de mettre en oeuvre les droits linguistiques au Canada. On a mis bien du temps à reconnaître que ce sont des droits fondamentaux dont le fondement réside dans les valeurs que nous chérissons comme nation. À mon avis, nous ne pouvons pas continuer à résister à l'application de ces droits, comme si cela avait pour effet d'enlever quelque chose aux membres de la majorité.
Merci.
Merci beaucoup, monsieur le juge. C'est extrêmement éclairant.
Nous sommes en train de vérifier si nous pouvons continuer la séance jusqu'à 11 heures. Est-ce qu'il y en a pour qui cela pose problème? J'essaie de répartir le temps le plus équitablement possible.
Je vais devoir me rendre dans une autre salle, mais c'est juste à côté. Nous pouvons donc continuer jusqu'à 10 h 57.
D'accord. Nous allons essayer d'allouer environ cinq minutes par intervention.
Ne perdons pas de temps et commençons immédiatement par M. Clarke.
Merci, monsieur le président.
Monsieur le juge, c'est un honneur de vous recevoir à ce comité, compte tenu de l'ampleur de vos connaissances quant aux langues officielles.
De manière éloquente, vous avez abordé pratiquement tous les sujets sur lesquels j'aurais aimé vous poser des questions. Toutefois, vous m'avez rendu perplexe à certains égards.
Par exemple, vous avez dit que c'était vraiment la volonté politique qui manquait, et je crois que c'est exact. Peu importe le parti au pouvoir, cela dure depuis 50 ans. Toutefois, vous dites que, même si on modifiait la Loi sur les langues officielles, on débattrait encore de la signification des mots.
Somme toute, croyez-vous que nous devons procéder à la modernisation de la Loi ou écartez-vous complètement cette option?
Je pense que certaines choses doivent être changées dans la Loi elle-même. On pourrait aussi y insérer certains éléments qui découlent de décisions des tribunaux, par exemple la nécessité de faire de l'offre active. En outre, on pourrait probablement arriver à une meilleure définition des obligations du Conseil du Trésor pour ce qui est du contrôle interne. C'est le Conseil du Trésor qui doit superviser la mise en oeuvre de la Loi chez les fonctionnaires et dans l'administration. Pour sa part, Patrimoine canadien s'occupe de l'application de la Loi à l'extérieur du gouvernement, de même qu'au sein des autres gouvernements et des groupes minoritaires. Je ne crois pas qu'il faille changer cela de façon à ce qu'une seule entité soit responsable de tout. Je crois que le partage actuel de la responsabilité est logique. Je ne sais pas comment on pourrait changer la Loi pour permettre à Patrimoine canadien, dans les cas où ces entités ne respecteraient pas les ententes, de retenir les fonds ou de prendre d'autres mesures.
En ce qui concerne les Territoires du Nord-Ouest, je crois que le fédéral assure 95 % de leur financement. Il doit donc avoir un certain contrôle sur la façon dont ils font les choses. Je ne sais pas si vous le savez, mais la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest a rendu une décision, il y a trois ans. C'est la juge en chef de l'Alberta, Mme Mary Moreau, qui siégeait. Elle a déterminé que ces gens ne respectaient pratiquement aucun des articles de la Loi sur les langues officielles. Il s'agissait d'un très long jugement, très détaillé. À la fin, elle a même ordonné qu'on crée un comité gouvernemental et que la population soit consultée pour qu'un plan de travail soit établi en vue de corriger ces lacunes.
Dans le domaine judiciaire, je pense que le gouvernement doit réfléchir correctement pour déterminer ce qu'il veut. Veut-on limiter l'application de la Loi sur les langues officielles aux procès en première instance en matière criminelle? Même si on ne voulait faire que cela, on pourrait se demander s'il faut obliger les juges à publier leurs jugements dans la langue du prévenu. Pour le moment, ils ne sont pas tenus de le faire. On pourrait aussi obliger la Cour fédérale à publier sur Internet toutes ses décisions dans les deux langues officielles simultanément. Présentement, elle les publie dans une langue et les publie dans l'autre langue plus tard, ou pas du tout si on juge que la décision n'a pas un caractère fondamental ou quelque chose du genre.
Je ne me souviens pas exactement de toutes les règles internes, mais je crois qu'il faut déterminer, domaine par domaine, quels changements précis devraient être apportés.
Vous avez aussi abordé les modifications apportées au Règlement sur les langues officielles. Vous avez parlé un peu du caractère quantitatif du calcul, comparativement à l'aspect qualitatif. Je considérais que le fait d'intégrer pour la première fois des éléments qualitatifs était une bonne nouvelle, mais vous semblez dire que ce n'est pas suffisant.
Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
Ce n'est pas suffisant parce que l'article 4 proposé prévoit encore que la population à desservir se compose des gens qui font partie de la catégorie des francophones hors Québec, et on entend par là toute personne qui est culturellement francophone, pour qui le français est la première langue apprise, encore comprise et parlée à la maison la plupart du temps. Or ce n'est pas ce que dit la Charte. Celle-ci dit que les services doivent être offerts quand il y a une demande; elle ne précise pas qui en fait la demande.
Pourquoi veut-on que les enfants au Canada fréquentent des écoles d'immersion pour apprendre le français, si c'est pour leur dire ensuite qu'ils ne demandent jamais de services en français et qu'ils ne comptent pas? S'ils veulent demander des services en français, c'est leur droit.
En fait, c'est ni l'un ni l'autre. Il s'agit ici de définir l'ensemble des personnes dont on tient compte. Certaines parties du Règlement sur les langues officielles déterminent combien de ces personnes doivent faire une demande pour que le service soit offert. Ensuite, on divise cela selon que l'aire de service compte 1 million de personnes, moins de 500 000 ou moins de 5 000. Par la suite, il y a d'autres critères.
Bonjour, monsieur Bastarache.
Est-ce qu'on doit vous appeler « maître Bastarache », étant donné que vous êtes revenu à la pratique, ou doit-on dire « Votre Seigneurie »?
Maître Bastarache, je vais être bref et partager mon temps de parole avec mon ami M. Samson, pour laisser la chance à tous mes collègues de vous poser une question.
Ma question est naïve. En peu de temps, vous avez expliqué tous les défis auxquels font face les minorités linguistiques au Canada, eu égard à la Loi sur les langues officielles. Tous ces défis émanent du niveau politique. Selon l'esprit de la Loi, il y a cette envie d'arriver à des résultats concrets. Selon ce que j'ai compris, la Loi est claire, mais la volonté politique de l'appliquer n'est pas tout à fait au rendez-vous.
Selon vous, quelle serait la chose la plus importante à étudier ou à faire dans cet exercice en vue de modifier la Loi?
Je crois que ce serait l'article 20 de la Charte, où il est question de services au public. Cela comprendrait différentes choses. Il faudrait qu'il y ait une obligation de faire une offre active et de donner un service d'égale qualité.
Je vais vous donner un exemple. La dernière fois qu'on a modifié la Loi sur les langues officielles, c'était pour rendre obligatoire l'application de la partie VII. Cette partie énonce que le gouvernement a l'obligation de prendre des mesures pour le développement et la protection des minorités. Qui contrôle cela? Qu'est-ce que cela veut dire?
J'ai toujours dit que, si l'on veut offrir un service d'égale qualité, il faut, dès le début du processus de planification, tenir compte du fait qu'il y a deux communautés à desservir. En ce moment, on fait un programme en anglais, on en discute en anglais, on établit les paramètres en anglais, on envoie cela au Bureau de la traduction, et voilà, on a le programme en français. C'est impossible de s'y prendre ainsi, puisque les communautés n'ont pas les mêmes besoins.
Dans l'élaboration d'un nouveau programme, il faudrait pouvoir dire qu'il va ressembler à ceci pour les anglophones et à cela pour les francophones. La Cour suprême a déjà confirmé que c'était la seule façon d'établir un service d'égale qualité. Un service d'égale qualité ne veut pas dire que c'est exactement le même service, mais que la communauté en tire le même bénéfice, compte tenu de ses propres conditions. Si on faisait cela, je crois qu'il y aurait beaucoup moins de plaintes. En ce moment, on élabore des programmes, puis on distribue des documents qu'on a fait traduire en français. Les gens disent que cela ne sert à rien chez eux, puis ils déposent des plaintes.
Un système basé sur les plaintes n'est jamais efficace, surtout que cela prend du temps et de l'argent. Rappelez-vous que le Programme de contestation judiciaire promis il y a deux ans n'est pas encore en place.
C'est un plaisir de vous revoir.
Votre première profession est celle d'avocat. Ensuite, vous avez aspiré à être juge à la Cour suprême et vous avez réussi cette tâche. Maintenant, vous revenez en tant qu'avocat. Vous avez donc une vue d'ensemble, ce qui est très intéressant. Votre témoignage est extrêmement important pour nous qui nous penchons sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Je vais essayer de poser des questions rapides, parce que le temps passe vite.
Vous avez toujours été en faveur du bilinguisme des juges de la Cour suprême, et j'imagine que c'est toujours le cas.
Dans les deux dernières années, on a eu la preuve que c'était possible. On a nommé deux juges bilingues, un de l'Ouest et un de Terre-Neuve-et-Labrador.
D'accord.
Vous avez toujours parlé de la création de tribunaux administratifs, et vous l'avez fait encore aujourd'hui. Jusqu'à quel point est-ce important? Comment peut-on faire cela rapidement?
Il faudrait faire une étude détaillée pour savoir comment cela pourrait s'appliquer dans le domaine, mais c'est certainement une des possibilités. Certains pensent qu'il suffirait que le commissaire ait des pouvoirs de sanction et qu'il ait recours plus souvent à la Cour fédérale. Le problème est que, si l'on fait appel aux tribunaux, cela prendra deux ans et coûtera 100 000 $. Les communautés sont toujours à court d'argent pour porter leurs causes devant les tribunaux. C'est pour cela que le Programme de contestation judiciaire est important. Normalement, les tribunaux administratifs sont censés être plus rapides et coûter moins cher.
Vous avez fait référence à l'arrêt Beaulac, décision que vous avez vous-même rédigée avec vos collègues juges. Vous y dites ceci:
Les droits linguistiques doivent dans tous les cas recevoir une interprétation fondée sur leur objet, d'une façon compatible avec le maintien et l'épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada.
Y a-t-il lieu d'ajouter un article dans la Loi sur les langues officielles qui codifie ce principe?
Vous l'avez dit. Maintenant, il reste à déterminer comment on va le faire.
Ce sont des principes généraux. La plupart du temps, les principes généraux se retrouvent plutôt dans le préambule d'une loi, lorsqu'on définit ses objets, et tout cela. Je n'y ai jamais vraiment pensé.
Le cas de M. Beaulac est intéressant. Il s'agit d'un francophone du Québec vivant et travaillant en Colombie-Britannique. Évidemment, il y travaillait en anglais. Il a demandé à être jugé en français, étant donné qu'il est francophone. La cour lui a demandé, puisqu'il comprenait l'anglais, pourquoi il faudrait se donner la peine de trouver un juge bilingue, des services de greffiers bilingues, et ainsi de suite. C'était là le gros du problème.
On a ordonné un quatrième procès. La question était de savoir si ce procès devait être annulé en raison de ce que les anglophones de la Colombie-Britannique considéraient être une irrégularité de procédure. Nous avons dit que ce n'était pas une irrégularité de procédure, mais qu'il s'agissait d'un droit fondamental, et que s'il fallait un quatrième procès, alors il y en aurait un quatrième. C'était la seule façon d'arrêter la chose.
On a annoncé des modifications aux critères énoncés dans le Règlement sur les langues officielles en ce qui a trait aux services offerts au public. Entre autres, il est question de la possibilité d’ajouter 600 bureaux bilingues.
Cela répond-il vraiment au problème de l'offre de services au public dans les deux langues?
C'est sûr que, s'il y a plus de bureaux, cela va être mieux, mais il faut que les critères pour ouvrir ou fermer des bureaux soient bien clairs.
La raison de la poursuite déposée par la SFM au Manitoba était la formule de calcul établie par le gouvernement fédéral. Il fallait 500 personnes qui parlent français. Il était aussi question de 2 % ou de 5 %, je ne le sais plus trop. Selon cette formule, s'il y en avait 498, les services pouvaient être réduits l'année suivante, alors que tous les fonctionnaires bilingues étaient sur place. C'est ce qu'on a fait à certains endroits.
Les changements proposés tiennent compte de la vitalité d'une communauté. Par exemple, on prend en considération le nombre d'écoles.
Oui. On a ajouté aux critères la présence d'un établissement scolaire. Cela devrait améliorer grandement les choses.
Maître Bastarache, merci beaucoup d'être parmi nous aujourd'hui.
Je me rappelle très bien votre présence en comité lorsque nous avons étudié la modification visant à ce que les juges de la Cour suprême soient bilingues, de manière à assurer l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Je suis content que vous rappeliez à notre comité l'importance de modifier la Loi sur les langues officielles pour nous assurer que tous les juges à la Cour suprême sont bilingues et que tout le monde a accès à la justice.
Selon votre présentation, il y a trois manières d'aborder la modification de la Loi. Tout d'abord, on peut considérer les cas des tribunaux. J'y reviendrai plus tard. On peut également tenir compte des attentes du public. Cela concerne entre autres l'article 20 de la Charte, qui traite des services au public. Enfin, on peut évaluer la qualité de la mise en oeuvre de la Loi, bien sûr.
Nous avons parlé un peu du commissaire aux langues officielles. C'est notre chien de garde de la dualité linguistique, du moins le souhaitons-nous.
Récemment, en Colombie-Britannique, la Cour fédérale a rendu une décision au sujet de la fameuse partie VII de la Loi sur les langues officielles, qui traite de l'engagement du fédéral et qui n'est assortie d'aucun règlement. Selon cette décision, la partie VII ne voudrait plus rien dire, car on ne définit pas clairement ce qui pourrait constituer une mesure positive. En d'autres mots, si les mesures ne nuisent pas, ce n'est pas un problème. Il n'y a pas vraiment d'engagement de la part du gouvernement.
C'est pire que cela.
Des représentants du ministère de la Justice ont comparu devant le Comité permanent des langues officielles du Sénat et ils ont dit que le fait de retirer des services à une minorité n'était pas contraire à la partie VII, pourvu que, dans l'ensemble des activités du gouvernement, on fasse des choses importantes pour promouvoir les minorités. Cela veut dire qu'on ne contreviendrait jamais à la partie VII, puisque le gouvernement fait toujours des choses positives quelque part.
Selon moi, cela démontrait vraiment qu'on n'avait pas l'intention, du moins au ministère de la Justice, de donner vie à la partie VII.
Comment pourrait-on moderniser la partie VII de la Loi sur les langues officielles? Il est vrai que les mesures positives n'ont jamais été définies. Il reste que la décision, même si elle fait présentement l'objet d'un appel, a des conséquences très graves. Par exemple, dans son rapport préliminaire sur Netflix, qui a été rendu public récemment, le commissaire aux langues officielles conclut qu'il y a des mesures positives étant donné que le gouvernement a un plan pour les langues officielles. C'est un peu comme ce que vous avez expliqué. Comme il y a des mesures, on se fout un peu de l'entente concernant Netflix.
Quels éléments pourrait-on améliorer? Que pourriez-vous suggérer entre autres pour que la partie VII veuille dire quelque chose et qu'elle se concrétise dans le quotidien des communautés?
Je crois que cela se ferait par l'entremise du Règlement sur les langues officielles, étant donné que c'est par celui-ci que se fait la mise en oeuvre. Évidemment, on doit préciser à l'intérieur du Règlement comment interpréter la Loi sur les langues officielles. À mon avis, la première chose à faire serait de définir ce qu'est une mesure positive et quel contrôle doit être exercé sur les organismes gouvernementaux qui ont le devoir d'adopter des mesures positives.
Selon moi, la toute première étape d'une mesure positive est de tenir compte des conséquences qu'ont sur les communautés minoritaires toutes les décisions qui sont prises et tous les programmes qui sont mis en oeuvre. C'est en amont qu'on doit considérer ces choses. On ne doit pas attendre qu'elles soient faites pour ensuite se demander s'il faut faire autre chose pour corriger les erreurs. Il faut éviter les erreurs dès le départ. Quand il y a un programme dans un ministère, qu'il s'agisse de développement économique ou d'autre chose, la mesure positive consiste à étudier les répercussions positives qu'aura ce programme sur la communauté et s'assurer que des éléments du programme vont répondre aux besoins particuliers de cette communauté.
D'ailleurs, un rapport du commissaire aux langues officielles mentionnait qu'on avait effectué des compressions partout, dans tous les programmes, sans réfléchir aux conséquences que cela aurait sur les services dans les communautés de langue officielle, et que cela constituait une entrave à la Loi.
Au sein du Conseil du Trésor, lorsqu'on prépare un budget, est-ce qu'on ne devrait pas s'assurer d'y intégrer une lentille spéciale pour les langues officielles?
Oui, je crois que c'est déjà la responsabilité du Conseil du Trésor. En effet, lorsque des obligations particulières sont créées, il doit s'assurer que les divers ministères et organismes obéissent à la Loi.
Merci, monsieur Choquette.
Je vous demanderais de diviser votre temps de parole, mesdames Fortier et Lambropoulos.
Madame Lambropoulos, vous avez la parole.
[Traduction]
Je vous remercie de témoigner aujourd'hui.
La minorité anglophone n'a, de toute évidence, pas été évoquée une seule fois; je vais donc poser des questions à ce sujet. Au Québec, il y a une langue officielle, laquelle est considérée comme la norme. C'est une disposition à laquelle le gouvernement provincial tient mordicus.
En ce qui concerne l'article 45, vous avez indiqué que les gens devraient avoir accès aux services fédéraux, provinciaux et municipaux, ainsi qu'à l'éducation dans les deux langues. Nous avons évidemment moins de pouvoir dans ces derniers domaines, mais comment notre gouvernement pourrait-il s'y prendre pour négocier avec d'autres gouvernements afin de tenter de les convaincre d'accorder ces droits aux anglophones du Québec?
Il peut le faire de deux manières, notamment en négociant avec le gouvernement provincial pour créer des domaines où on offre des services fédéraux et provinciaux au même endroit. Il serait ainsi plus facile de donner accès à certains programmes provinciaux en anglais.
En outre, lorsqu'il est question de la minorité, il faudrait tenter d'assurer l'accès aux services fédéraux dans la langue des gens plutôt que tenter de faire intervenir le gouvernement fédéral dans des domaines qui relèvent en réalité de la sphère de compétences provinciales, car cela prolonge tout le temps le conflit.
En un certain sens, tout dépend de la volonté politique des deux gouvernements d'agir ensemble. Il me semble que le gouvernement provincial du Québec est disposé à coordonner certains services quand la population en profite vraiment. Quand j'ai rencontré des gens du Québec l'an dernier, ils ont insisté principalement sur l'accès aux services de santé et aux aînés. Ils perdent du terrain dans ces domaines, mais quand ils s'adressent au gouvernement fédéral à ce sujet, ce dernier leur répond qu'il a les mains liées, car ce n'est pas de son champ de compétence.
J'ai parlé à des organismes fédéraux en effectuant des appels pour les électeurs. Très souvent, le problème est exactement le même que celui que vous avez soulevé à propos d'Air Canada. Divers organismes fédéraux du Québec emploient des francophones, qui parlent un anglais très hésitant, si seulement ils parlent anglais. Ils s'excusent et me demandent si je parle français. Je leur réponds que oui, mais que d'autres ne parlent pas français et n'ont ainsi pas accès au service.
Il est certainement possible d'améliorer les choses de notre côté. Le commissaire a un rôle substantiel à jouer à cet égard également. Quand nous avons abordé la question la semaine dernière, je ne sais pas comment...
Il lui est très difficile d'intervenir à propos de la qualité des services en anglais dans les domaines de compétences provinciales. Même en vertu des lois provinciales, quand il y a un droit au service, cela signifie le droit à un service de qualité égale.
J'ignore si vous le savez, mais l'association du Barreau du Québec a intenté une poursuite contre le gouvernement du Québec au sujet de la qualité du Code de procédure civile. J'ai donné un avis juridique à cette association. On n'est pas obligé d'agir, mais si on le fait, il faut que ce soit en assurant une qualité égale, sinon, on ne fournit pas l'accès.
Dans le cas du code de procédure, il faut agir en vertu de l'article 133 de la Constitution. Même s'il n'y a rien, si une loi est adoptée pour conférer un droit quelconque aux anglophones, ce droit doit être de valeur égale. La version anglaise doit être assez bonne pour que les gens n'aient pas à consulter la version française pour comprendre leurs droits.
[Français]
Ce sera rapide.
Maître Bastarache, merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. C'est une première rencontre avec vous durant laquelle nous sommes heureux de faire appel à votre expertise.
Au cours des 50 dernières années, il y a eu beaucoup de travail, et un grand nombre d'éléments en sont ressortis. Nous en sommes aujourd'hui à moderniser la Loi et, pour ma part, je me tourne vers l'avenir. Le gouvernement va offrir ses services de façon numérique. Or, en lisant le projet de loi, je constate qu'on y parle beaucoup de bureaux et d'agences, mais pas de l'offre numérique de services.
Croyez-vous qu'il faudrait inscrire dans la version modernisée de la Loi une façon de protéger les langues officielles qui tienne compte du fait que le gouvernement va être de plus en plus appelé à offrir des services en français et en anglais de façon numérique partout au pays?
Je ne suis pas au courant de ce qui a été fait ni de ce qui va se faire. On m'a souvent dit que le fait de se tourner vers une offre numérique de services n'allait pas diminuer l'accès à ces services dans les deux langues. Je crois que l'obligation de publication dans les deux langues s'applique au numérique. Normalement, cela devrait se faire simultanément.
Ce qui est compliqué, par contre, c'est que tout notre système repose sur un bilinguisme institutionnel, et non sur un bilinguisme personnel. Or, la population de langue française diminue en proportion au Canada. Il faut donc résister à l'idée que le Canada est une société multiculturelle où tout est uniforme. On ne peut oublier l'histoire, pas plus qu'on ne peut oublier le fait qu'il n'y a que deux langues officielles.
À mon avis, ce n'est pas le nombre qui doit justifier l'offre de services en français. Cela s'appuie plutôt sur des principes fondamentaux qui ont été établis lorsqu'il a été décidé que notre pays serait bilingue à certains niveaux. Même si le gouvernement peut être encouragé à faire mieux, je crois que ce sera de plus en plus difficile, tout simplement parce qu'il n'y a pas assez de personnes qui sont bilingues sur le plan personnel.
Merci beaucoup, monsieur le juge.
Au nom de tous mes collègues, j'aimerais vous remercier sincèrement de votre présence, de votre présentation de ce matin, de vos commentaires et de vos réponses aux questions. Sachez que notre comité vous en est grandement reconnaissant.
Si jamais nous voulions continuer cette discussion avec vous, pourrions-nous vous inviter de nouveau?
Je suis disponible et je suis bien déterminé à vous aider dans la mesure du possible et à vous faire part un peu de mon expérience. Je tiens cependant à vous répéter que je ne représente personne d'autre que moi-même, ici.
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