Je suis très heureux d'avoir l'occasion de m'adresser à votre comité au sujet de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Aujourd'hui, j'aborderai la question de savoir si un tribunal des langues officielles devrait être créé et, le cas échéant, comment il devrait être établi.
Ma présentation comprend trois volets principaux. Tout d'abord, je ferai un survol des raisons qui motivent la création d'un tribunal des langues officielles. Deuxièmement, j'examinerai les possibilités de conception institutionnelle de la relation entre le commissaire et un tribunal des langues officielles. Troisièmement, j'aborderai certaines questions relatives au fonctionnement d'un tribunal des langues officielles.
Permettez-moi de commencer par les raisons qui motivent la création d'un tribunal des langues officielles.
Comme les membres du Comité le savent très bien, les recours judiciaires prévus par la Loi sur les langues officielles sont multiples, surtout à partir de l'article 77. Étant donné l'existence de ces options de recours judiciaires, on peut se demander pourquoi on pourrait penser qu'un tribunal des langues officielles serait une bonne idée. Permettez-moi de suggérer trois raisons possibles.
La première raison est liée à la séparation des pouvoirs. Le libellé du paragraphe 77(4) accorde à la Cour fédérale un vaste pouvoir discrétionnaire en matière de réparation. En fait, le libellé se fait l'écho de celui du paragraphe 24(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Toutefois, la Cour fédérale a cité les motifs de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation) pour souligner qu'il existe des limites à la séparation des pouvoirs quant à la mesure dans laquelle une cour fédérale, ou même un tribunal, peut exercer sa compétence en matière de réparation.
Aujourd'hui, je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si le tribunal s'est montré réticent à utiliser toute la gamme des recours dont il dispose, même si je sais que la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada croit que c'est le cas.
Le point que je fais valoir, c'est que les considérations liées à la séparation des pouvoirs limitent, en principe, les recours qu'un tribunal peut ordonner. En revanche, les tribunaux administratifs ne sont pas limités par de telles considérations. Ils sont donc comparativement plus libres d'ordonner la prise de mesures de réparation qui sont, selon ma collègue Cristie Ford, prospectives, ouvertes et sujettes à une révision et à une élaboration continues.
Par conséquent, je suis d'accord avec la recommandation de la FCFA selon laquelle toute disposition précisant les pouvoirs en matière de réparation du tribunal des langues officielles proposé comprenne une liste non exhaustive de recours possibles, y compris ceux qui permettent une surveillance continue appropriée. C'est la première raison qui motive la création d'un tribunal des langues officielles, et cette raison se fonde sur des préoccupations relatives à la séparation des pouvoirs.
Permettez-moi d'aborder la deuxième raison qui motive la création d'un tribunal des langues officielles. Les plaignants qui envisagent de saisir la Cour fédérale d'une instance peuvent être confrontés à des problèmes d'accessibilité auxquels il n'aurait pas à faire face devant un tribunal des langues officielles bien conçu et bien financé. En effet, un tribunal des langues officielles calqué sur les tribunaux des droits de la personne dans les provinces et à l'échelon fédéral aurait des procédures plus simples et fournirait de l'aide aux plaignants qui souhaiteraient lui présenter des demandes de règlement.
Les préoccupations liées à l'accessibilité justifient depuis longtemps la création de tribunaux des droits de la personne et, bien que l'on se demande toujours si ces tribunaux ont tenu leur promesse d'une plus grande accessibilité, je pense qu'il est généralement reconnu qu'ils sont plus accessibles que les autres tribunaux. Il y a lieu de croire que ce serait également le cas d'un tribunal des langues officielles, et la deuxième raison qui motive la création d'un tribunal des langues officielles se fonde donc sur des questions d'accessibilité.
Troisièmement, un tribunal des langues officielles aurait probablement une plus grande expertise dans le règlement des différends en vertu d'une loi sur les langues officielles révisée que la Cour fédérale. La source de cet avantage relatif potentiel serait double. Tout d'abord, dans le cadre d'une loi sur les langues officielles révisée, le Parlement pourrait préciser que les membres des tribunaux des langues officielles doivent posséder une expertise particulière en matière d'interprétation et d'application de la Loi sur les langues officielles. Deuxièmement, une fois établi, un tribunal des langues officielles, par l'entremise d'expositions répétées à des différends en vertu Loi sur les langues officielles, pourrait acquérir une expertise liée à l'application et à l'interprétation de ses dispositions.
Voilà donc trois raisons qui motivent la création d'un tribunal des langues officielles, malgré le fait qu'il existe des recours judiciaires en vertu de la Loi sur les langues officielles.
Permettez-moi maintenant d'aborder la question des relations possibles entre le commissaire et un tribunal des langues officielles.
En général, il y a deux types de relations entre les commissions et les tribunaux des droits de la personne au Canada, et ils peuvent servir de modèles pour structurer la relation entre le commissaire et un tribunal des langues officielles.
Dans le premier modèle, une commission des droits de la personne contrôle l'accès à un tribunal des droits de la personne. Elle mène des enquêtes et tente de régler des plaintes, elle décide si les plaintes doivent être renvoyées à un tribunal aux fins d'arbitrage et une fois qu'une plainte est devant un tribunal, elle peut offrir son aide à un demandeur, représenter ce dernier ou représenter l'intérêt public.
Les critiques affirment qu'une commission, dans ce modèle, occupe des rôles potentiellement contradictoires. En effet, une perception de rôles conflictuels peut émerger, car à l'étape de l'enquête, la commission se veut neutre, mais si la plainte est portée devant un tribunal et que la commission participe à l'arbitrage, elle devra adopter une position.
Dans le même ordre d'idée, il y a une autre critique selon laquelle ce genre de commission s'acquitterait de ses fonctions de façon inappropriée, surtout dans des contextes où les systèmes de protection des droits de la personne sont sous-financés. Les critiques soutiennent que des commissions ont, par exemple, menacé de créer des retards pour pousser des plaignants à accepter un certain règlement de leur différend. Les critiques reprochent également à ce modèle de consacrer des ressources disproportionnées au traitement de plaintes individuelles et de détourner les ressources et l'attention des commissions des questions systémiques.
C'est une première relation possible entre le commissaire et le tribunal des langues officielles, une relation dans laquelle le commissaire assumerait les fonctions de gardien de l'accès que remplit une commission des droits de la personne dans le premier modèle de relations entre une commission des droits de la personne et un tribunal des droits de la personne.
Dans le deuxième modèle, qui est celui actuellement en vigueur en Ontario, les plaignants ont directement accès à un tribunal des droits de la personne et le tribunal lui-même traite la demande, offre des services de médiation et statue sur le fond du litige. Dans ce modèle, la commission:
... n’a plus pour fonction de recevoir les plaintes, de les traiter, de fournir des services de médiation et, si elle le juge approprié, de renvoyer les plaintes au Tribunal. Désormais, la Commission a pour mandat d’élaborer des politiques, de diffuser de l’information et de promouvoir la conformité au Code... Elle a en outre maintenu [dans le cadre du modèle ontarien révisé] son pouvoir de déposer des requêtes auprès du Tribunal et d’intervenir dans des requêtes devant celui-ci.
Ce modèle répond aux préoccupations liées aux rôles contradictoires dont il a été question plus tôt, puisque la commission n'assumerait plus de fonctions liées au contrôle de l'accès, au règlement de différends et aux enquêtes. De plus, dans certaines administrations, le modèle d'accès direct a permis de réduire considérablement les temps d'attente.
Néanmoins, le modèle d'accès direct a fait l'objet de certaines critiques. Par exemple, Dominique Clément soutient qu'en « Colombie-Britannique, le Tribunal des droits de la personne passe plus de temps à examiner les plaintes de congédiements qu'à statuer sur le fond des plaintes relatives aux droits de la personne. »
De plus, comme les tribunaux ne mènent pas d'enquête et n'assurent pas la représentation des plaignants, les modèles d'accès direct sont perçus comme étant moins accessibles.
Ce sont donc les deux types de modèles qui pourraient servir à structurer la relation entre le commissaire et un potentiel tribunal des langues officielles.
Permettez-moi maintenant d'aborder quelques questions opérationnelles. Dans le cadre du deuxième modèle, le commissaire se concentrerait évidemment sur des préoccupations systémiques plutôt que sur des plaintes individuelles et n'assumerait pas de fonctions liées aux enquêtes ou au contrôle de l'accès, bien qu'il pourrait conserver le pouvoir de participer à une audience du tribunal pour faire valoir des arguments d'intérêt public.
Si ce modèle était adopté, il faudrait mobiliser suffisamment de ressources pour que les demandeurs puissent présenter des plaintes éclairées et compétentes devant le tribunal. Il y a des modèles qui fournissent ce type de soutien, que ce soit par l'intermédiaire de cliniques ou de centres de soutien.
Si un tribunal était créé, puisqu'un tribunal serait chargé d'interpréter et d'appliquer une loi quasi constitutionnelle, le tribunal des langues officielles devrait être à l'abri de toute suggestion voulant qu'il soit soumis à une influence partisane. Il serait donc important de prévoir, pour les nominations, des critères clairs en matière d'expertise, des mesures liées à l’inamovibilité pendant la durée du mandat et peut-être même des protections en cas de renouvellement du mandat.
Enfin, j'aimerais proposer qu'une loi sur les langues officielles révisée contienne une disposition permettant de mener un examen de la loi trois ans après son entrée en vigueur. Une disposition semblable figurait dans le Code des droits de la personne de l'Ontario lors de la révision de ce code.
De la même façon, tout simplement parce que l'entrée en vigueur d'une nouvelle LLO entraînera d'importants changements systémiques, il serait utile d'avoir des intervenants et des experts en mesure d'évaluer si la LLO révisée a atteint ou non ses objectifs législatifs.
Voilà donc quelques réflexions sur la création d'un tribunal des langues officielles, certaines raisons liées à sa création, des enjeux liés à la conception institutionnelle et quelques questions d'ordre opérationnel.
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Merci de l'invitation. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer au sein de votre comité.
Je vais d'abord dire un mot sur notre institut de recherche, pour ceux et celles qui ne le connaissent pas.
L'Institut a été fondé en 2002. De 2003 à 2012, il a été dirigé par M. Rodrigue Landry, que plusieurs d'entre vous connaissent sûrement. J'en ai ensuite pris la direction en 2012, mais je suis à l'Institut depuis 2003. J'y suis donc depuis les débuts de ses activités.
L'Institut a été créé grâce à un fonds reçu de Patrimoine canadien, selon l'entente conclue à l'époque par le ministre Stéphane Dion avec l'Université de Moncton. Voilà pour la petite histoire de l'Institut.
Je vais simplement rappeler la mission. L'Institut veut promouvoir une plus grande connaissance de la situation des minorités de langue officielle du Canada et une meilleure compréhension des enjeux prioritaires qui les concernent. À cet effet, l'Institut s'engage à réaliser, en collaboration avec ses partenaires, les travaux de recherche pertinents pouvant appuyer les divers intervenants des minorités de langue officielle et les artisans des politiques publiques en matière linguistique.
Pour ma part, je suis sociologue de formation et je m'intéresse principalement au développement et à l'épanouissement des communautés.
La volonté du gouvernement canadien de moderniser la Loi sur les langues officielles et de consulter les Canadiens et les Canadiennes à cette fin constitue une occasion à saisir pour réfléchir à la loi idéale qui permettrait de répondre aux besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire. C'est une occasion où nous pouvons faire preuve d'imagination tout en ayant conscience des défis à relever.
En étant optimiste, je vois au moins trois scénarios pour l'avenir des communautés en situation minoritaire et pour l'avenir des langues officielles. D'une part, je vois des communautés qui s'épanouissent dans leur langue, ce qui entraîne un renversement des tendances assimilationnistes. Ensuite, je vois une plus grande reconnaissance des communautés et de leur autonomie, notamment de leur capacité à décider de leur avenir. Enfin, je vois une meilleure mise en œuvre et un meilleur respect de la Loi sur les langues officielles.
Je vois aussi au moins deux dangers devant nous.
Premièrement, le gouvernement investit des montants importants dans le domaine des langues officielles, notamment dans le plan d'action quinquennal sur les langues officielles, mais sans se donner des outils d'analyse rigoureux pour bien cerner les besoins des communautés et pour bien évaluer l'effet de ces investissements sur les communautés. Le gouvernement tient beaucoup de consultations, principalement auprès des organismes, mais il investit peu dans la recherche pour appuyer les politiques publiques en langues officielles.
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles, le commissaire aux langues officielles, votre comité et, maintenant, la ministre mènent présentement ou ont mené récemment des consultations sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. J'étais à Moncton, le 12 mars dernier, pour le premier forum organisé par la ministre Mélanie Joly. La grande majorité des intervenants et des intervenantes étaient des dirigeants ou des présidents d'organismes qui répétaient des messages qu'ils avaient déjà eu l'occasion d'exprimer dans d'autres instances.
Les consultations que mène le gouvernement pour moderniser la Loi sur les langues officielles ou pour élaborer le Plan d'action sur les langues officielles constituent une bonne pratique. Cependant, ces consultations devraient inclure davantage les citoyens et les citoyennes qui ne sont pas nécessairement membres d'organismes.
De plus, il faudrait que l'élaboration du Plan d'action ou la modernisation de la Loi sur les langues officielles s'appuient sur la recherche. Cela demande d'élaborer un plan de recherche qui puisse produire des connaissances pertinentes eu égard aux objectifs de la Loi. Ne pas le faire accroît le risque de produire des politiques linguistiques qui résultent uniquement ou surtout d'un arbitrage des différents intérêts des organismes. Donc, selon moi, il faudrait accroître davantage les relations de collaboration entre le milieu de la recherche et le gouvernement.
Un deuxième danger potentiel est le manque de leadership des élus et des dirigeants des agences gouvernementales assujetties à la Loi sur les langues officielles. Ce leadership est essentiel au respect de la Loi et il envoie un message clair concernant l'importance des droits linguistiques et des obligations gouvernementales.
Lors du premier forum sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, qui s'est tenu à Moncton le 12 mars dernier, Me Michel Bastarache a souligné l'importance de rendre visibles les actions du gouvernement en matière de langues officielles, ainsi que l'importance symbolique qu'on doit accorder à la dualité linguistique. Promouvoir la dualité linguistique passe par des gestes symboliques qui rehaussent le statut du fait minoritaire. Lorsqu'ils sont posés par des dirigeants et des élus, ils envoient un message fort à l'ensemble de la population et ils contribuent à légitimer la langue en situation minoritaire et la dualité.
Je vais maintenant aborder la question de la relation entre le gouvernement canadien et les communautés de langue officielle en situation minoritaire, puis je vais dire un mot sur l'effectivité de la Loi sur les langues officielles et, enfin, sur le besoin de préciser la partie VII de cette loi.
Je vais aborder le premier point. Les relations entre le gouvernement et les communautés de langue officielle en situation minoritaire ont beaucoup évolué depuis l'adoption de la première mouture de la Loi sur les langues officielles. Ces deux interlocuteurs ont établi une forme de collaboration, voire un partenariat, pour mettre en œuvre la Loi sur les langues officielles, notamment les mesures qui découlent de la partie VII de la Loi. Je crois que la mise en œuvre de la Loi ne peut pas se faire sans un partenariat étroit entre le gouvernement et les communautés, et ce partenariat devrait être mentionné dans la Loi.
Selon moi, le partenariat va plus loin que le simple fait de consulter les communautés. Dans le projet de loi sur les langues officielles qu'a proposé la Fédération des communautés francophones et acadienne, la FCFA, le 5 mars dernier, elle a inclus l'obligation pour le gouvernement d'élaborer un plan de développement quinquennal pour les langues officielles. Il serait bien de mentionner cette obligation dans la prochaine mouture de la Loi. Je crois que ce plan devrait être élaboré de concert avec les communautés et leurs représentants. Nous devrions tendre vers une élaboration conjointe du plan de développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire, car les organismes et partenaires communautaires participent activement à la réalisation du plan d'action. Sinon, il y a un risque que les organismes deviennent de simples exécutants pour le gouvernement.
Si nous voulons établir un réel partenariat entre les communautés et le gouvernement, cela suppose de reconnaître une certaine autonomie et les capacités des communautés en matière de prise de décisions collectives, de gouvernance et de développement. C'est ainsi, selon moi, que nous pourrons traduire davantage le principe des services élaborés par et pour les communautés directement concernées dans la Loi sur les langues officielles.
Le deuxième point traite de la mise en œuvre et de l'effectivité de la Loi. Plusieurs intervenants et intervenantes l'ont mentionné, un des défis importants de la Loi sur les langues officielles concerne sa mise en œuvre. Plusieurs intervenants croient que la Loi doit avoir plus de mordant.
Ce que nous enseignent entre autres les 50 ans de mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles, c'est la difficulté pour certaines institutions de respecter la Loi. Cela peut résulter d'un manque de volonté, mais cela peut aussi découler d'une mauvaise compréhension des dynamiques linguistiques qui se créent dans un contexte minoritaire.
Pour mettre en place une offre active de services dans les deux langues officielles, cela suppose d'apporter des changements organisationnels, de changer des dynamiques et des cultures de travail, des perceptions, des attitudes, des croyances, et ainsi de suite.
L'approche coercitive a ses limites. On peut obtenir de meilleurs résultats si les personnes adoptent un comportement non pas parce qu'elles sont contraintes de le faire, mais parce qu'elles ont intériorisé les normes de ces comportements. La contrainte et les sanctions demeurent nécessaires, mais elles ne suffisent pas. Une loi qui aurait plus de mordant, mais qui ne s'appuierait pas sur une compréhension des dynamiques sociolinguistiques en milieu de travail ou dans l'organisation des services, ne suffirait pas. Il faut aussi une loi qui a un cerveau, si vous me permettez cette métaphore biologique. La mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles exige une certaine expertise, en gestion notamment, afin de comprendre ce qui favorise les changements organisationnels.
Le gouvernement canadien doit améliorer son savoir-faire dans la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles et il doit mieux accompagner les ministères et les agences qui doivent mettre en œuvre la Loi en leur fournissant les ressources et l'expertise nécessaires.
Les difficultés liées au respect de la Loi soulèvent la question de son effectivité. Une loi est dite effective lorsqu'elle produit l'effet voulu. Le gouvernement a intérêt à se pencher sur les défis de l'effectivité de la Loi sur les langues officielles et à s'interroger sur les conditions qui augmentent son effectivité. On a peut-être sous-estimé les dynamiques sociolinguistiques qui favorisent l'usage de la langue dominante et empêchent ainsi le plein respect de la Loi sur les langues officielles dans un contexte minoritaire, ainsi que les ressources financières, humaines et matérielles nécessaires pour faire respecter la Loi.
Plusieurs facteurs contribuent à l'effectivité d'une loi. Je vais en mentionner quelques-uns.
Il y a d'abord les conditions à considérer sur le plan juridique. Il faut s'appuyer sur ce que dit la Loi: il faut savoir quels sont ses objectifs et ce qu'elle prescrit ou interdit, de même qu'il faut prendre en considération la reconnaissance de droits et la nature obligatoire de la Loi. Il y a aussi la clarté et la précision. Plus la Loi est précise, moins elle laisse de place à l'interprétation. La cohérence interne de la Loi est importante, mais sa cohérence externe relativement aux autres lois l'est aussi. La jurisprudence aussi est déterminante: en plus de renforcer le respect de la Loi, les décisions des tribunaux permettent de préciser son sens. Les recours possibles prévus dans la Loi contribuent aussi à son effectivité. Y en a-t-il? Si oui, de quels types sont-ils? S'agit-il de recours judiciaires, de plaintes au commissaire, de plaintes aux institutions concernées? Quel est le pouvoir du commissaire? Quelle est la dimension contraignante des recours existants?
Il y a aussi les conditions liées à la mise en œuvre de la Loi. Cela renvoie au leadership des dirigeants, dont j'ai parlé rapidement: l'engagement doit venir d'en haut. Cela renvoie aussi aux activités d'information et d'éducation qui visent à faire connaître et comprendre la Loi. Cela renvoie à l'existence de règlements qui précisent la mise en œuvre concrète de la Loi. Cela renvoie à des directives internes, de même qu'à l'allocation de ressources financières, humaines et matérielles et à la formation linguistique quand c'est nécessaire. Cela renvoie également aux ressources accordées au commissaire, à la formation de comités administratifs — on parlait d'un tribunal juste avant —, à la désignation de champions, de coordonnateurs et de responsables dans la mise en œuvre de la Loi. Cela renvoie aux compétences et aux capacités organisationnelles, c'est-à-dire à la prise en compte de la langue dans la gestion du travail et des services.
Par ailleurs, il y a des conditions sociales qui contribuent à l'effectivité de la loi. Ces dernières renvoient aux contextes social, politique, économique et culturel, aux attitudes et perceptions des personnes, à la légitimité perçue par les personnes qui doivent appliquer, faire respecter et respecter la Loi, ainsi qu'à l'action des groupes d'intérêts favorables ou défavorables aux langues officielles.
Pour accroître l'effectivité d'une loi comme la Loi sur les langues officielles, il faut adopter une approche globale qui prenne en compte l'ensemble de ces dimensions.
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C'est parfait, c'est merveilleux dans ce beau Canada.
Monsieur Kong, je suis diplômé de la Faculté de droit de l'Université de Moncton depuis belle lurette. Mon professeur de droit constitutionnel était M. Pierre Foucher, que vous connaissez peut-être. Je faisais partie de ces étudiants pour qui le droit constitutionnel était une plaie. Maintenant que je me trouve au Parlement du Canada, je constate que c'est le parapluie protecteur des droits de tous les Canadiens, de toute la mosaïque canadienne et de toutes les autres lois.
Dans la question que je vais vous poser, je ne dis pas que je suis pour ou contre un tribunal administratif. Cela dit, deux commissaires aux langues officielles ont dit à notre comité qu'un tel tribunal administratif n'était pas si important. Selon eux, ce qui importait beaucoup plus, c'était d'avoir une loi claire, précise et qui ne laisse aucune ambiguïté. Plus on a une loi claire, précise, qui a du mordant et qui ne laisse aucune ambiguïté, moins on a besoin d'un tribunal administratif. Je voudrais juste connaître votre réflexion là-dessus.
Vous le savez comme moi, historiquement, dans les pays du Commonwealth, on a délégué des affaires à des tribunaux administratifs afin de désengorger les cours de justice. On a créé en parallèle ce monde de tribunaux administratifs pour permettre à certains secteurs de traiter de choses dites spécialisées. Au départ, c'était pour désengorger nos cours de justice.
Ces commissaires aux langues officielles ont fait cette réflexion: en créant un tel tribunal administratif, on enverrait ceux et celles qui veulent faire respecter leurs droits linguistiques perdre leur temps dans des procédures longues et souvent onéreuses.
J'aimerais connaître votre pensée à ce sujet. Vaut-il mieux avoir un tribunal administratif ou une loi claire et précise, ou encore une combinaison des deux?
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Diolch yn fawr iawn. Merci beaucoup.
J'aurais adoré être en personne à Ottawa, mais je ne le pouvais pas aujourd'hui. Je suis désolée.
Je vous remercie de me donner l'occasion de participer à votre discussion. Vos travaux sont très intéressants. En effet, vous examinez une loi que vous avez adoptée en 1969, et je travaille sur une loi que nous avons, au pays de Galles, depuis sept ans.
J'aimerais commencer par vous donner un aperçu de la situation du pays de Galles et vous parler de quelques enjeux qui, selon moi, intéresseront votre comité et de certains des enjeux que j'ai traités à titre de commissaire.
Je suis maintenant commissaire depuis sept ans. La loi fixe la durée d'une nomination à ce poste à sept ans, et cette période se terminera la semaine prochaine. Je réfléchis donc réellement sur les sept ans pendant lesquels j'ai occupé mon rôle. Je ne peux pas être reconduite dans mes fonctions et c'est pourquoi, à la fin de la semaine prochaine, je quitterai mes fonctions et une autre personne me remplacera à titre de commissaire.
En ce qui concerne le poste que j'occupe au pays de Galles, j'ai été nommée en vertu de la Welsh Language Measure de 2011, une loi du pays de Galles qui s'appuie sur des lois précédentes. En effet, nous avions adopté des lois sur la langue du pays de Galles en 1942 et en 1967. J'aimerais seulement souligner que ces lois ont été adoptées précisément pour donner aux gens les droits nécessaires pour utiliser leur langue dans le système judiciaire et les tribunaux. Au pays de Galles, les premiers droits liés à l'utilisation de la langue dans un contexte public ont été accordés pour la présentation de preuves devant un tribunal ou la comparution devant un tribunal.
En 1993, une législation de Westminster a affirmé l’égalité du gallois et de l’anglais au pays de Galles. Toutefois, elle ne lui a pas donné un statut de langue officielle; il a fallu attendre une loi adoptée en 2011, qui a fait trois choses précises. Premièrement, elle a conféré au gallois le statut de langue officielle au pays de Galles pour la première fois depuis 1536. Elle a aussi créé mon rôle de commissaire à la langue, dont je parlerai un peu plus dans quelques minutes, car c'est un rôle hybride. Elle a également mis sur pied un régime exhaustif qui impose des normes aux organismes du secteur public du pays de Galles. En effet, une série d'obligations juridiques très précises ont été imposées aux organismes du secteur public, et j'en parlerai un peu plus tard.
Tout d'abord, au pays de Galles, une série de normes sont imposées à divers domaines au sein du secteur public. Cela semble complexe, mais nous avons essentiellement imposé, dans un premier cas, des normes au gouvernement, aux autorités locales et à nos parcs nationaux. Nous avons également imposé des normes à nos services de police, à l'éducation après l'âge de 16 ans, ce qui comprend les universités, au secteur de la santé du pays de Galles, ainsi qu'à nos grands organismes nationaux, par exemple notre musée national et nos organismes environnementaux. Au cours des sept dernières années, nous sommes passés par une série de processus qui ont imposé des obligations juridiques à ces organismes.
L'ensemble des normes imposées à un organisme peut être divisé en cinq catégories de normes. Nous avons d'abord des normes liées à la prestation de services et à la communication avec le public. Nous avons ensuite des normes liées au fonctionnement interne des organismes, c'est-à-dire la façon dont on gère la main-d'oeuvre et les droits accordés aux travailleurs au sein de l'organisme. Nous avons aussi des normes liées à l'élaboration de politiques par l'organisme. Nous avons des normes liées à la promotion de la langue par l'organisme. Enfin, on exige que les organismes fournissent des preuves selon lesquelles leurs activités respectent ces normes.
Un organisme normal, comme le gouvernement du pays de Galles, aurait un barème d'environ 100 normes à respecter, divisées entre ces cinq familles. Dans le cadre de mes fonctions de commissaire, je dois réglementer ces normes.
Les plaintes de non-conformité et les enquêtes connexes me sont adressées. Lorsque j'apprends, grâce à nos activités de surveillance, qu'un organisme ne respecte pas les normes, je peux intervenir et en exiger le respect. J'ai des pouvoirs de contrainte extrêmement solides en matière de conformité.
J'ai également les pouvoirs nécessaires pour entreprendre des enquêtes sans qu'une plainte m'ait été présentée. C'est davantage un rôle d'ombudsman. Si je suis au courant de problèmes ou que je soupçonne qu'il y en a, je peux mener des enquêtes. Ces enquêtes peuvent se traduire par des mesures juridiques qui peuvent donner lieu, dans le pire des cas, à des amendes ou au renvoi du dossier à un tribunal supérieur. Je peux avoir recours à de solides processus en tant qu'autorité réglementaire.
De plus, ma fonction de réglementation s'accompagne d'une fonction de promotion. Le poste de commissaire est hybride — très hybride, de toute évidence. Il y a manifestement deux côtés à la médaille: la réglementation et la promotion de la langue.
La promotion de la langue comporte toute une gamme d'activités, de la sensibilisation aux campagnes d'information. De plus, une activité que je considère comme importante et influente dans ma façon de travailler consiste à mener des enquêtes ou des recherches dans certains domaines politiques où j'estime que des mesures doivent être prises pour améliorer la qualité du service ou de l'expérience pour l'usager, et pour conseiller le gouvernement dans ces domaines.
Conformément à notre loi, si je recommande au gouvernement ou à un organisme national de prendre des mesures en matière d'élaboration de politiques, il est tenu de l'envisager et de répondre dans un contexte officiel. Il n'est pas tenu d'y donner suite, mais il doit certainement y répondre.
J'ai pu constater que cette fonction influente de promotion de politiques est très utile, surtout dans les domaines de la santé, des services sociaux et de l'éducation. Nous avons aussi entamé une étude sur l'expérience des prisonniers dans le système carcéral et leur capacité à parler le gallois lorsqu'ils sont internés ou emprisonnés. Nous avons également collaboré très étroitement avec des organismes du domaine de la santé mentale pour examiner les services offerts. Nous nous sommes aussi servis de ces pouvoirs en urbanisme municipal et national.
Comme je l'ai dit, cela s'est révélé très utile de pair avec ma fonction réglementaire. Ce sont deux côtés à une même médaille; j'estime qu'il est très utile de les avoir regroupés.
L'avenir nous réserve de grands défis. Je dirais que nous continuerons d'élaborer des politiques, mais il ne fait aucun doute que de nouvelles formes de communication et de technologie s'avèrent être à la fois un défi et une occasion pour donner suite aux exigences relatives à l'élaboration de médias bilingues et pour le faire avec efficacité. Nous avons remarqué que certains organismes ont... Le secteur bancaire a notamment perdu du terrain dans sa transition des services bancaires offerts en personne vers des services numériques. Nous avons également travaillé très fort avec ce secteur.
Je suppose que c'est ma dernière observation. Les banques ne sont pas visées par la loi, mais, grâce à ma fonction de promotion, je peux également communiquer avec ces organismes.
Au cours des sept dernières années, je me suis réjouie de cette dualité fonctionnelle, et je vois que les deux fonctionnent très bien ensemble.
Je vais dire une toute dernière chose. En tant que responsable de la réglementation, je dois rendre des comptes à un tribunal des langues qui peut essentiellement intervenir si l'on avance que j'agis d'une manière illégale, déraisonnable ou non proportionnelle. Nous avons un tribunal des langues, mais c'est le dernier recours contre mes activités. Je pense qu'il s'est révélé utile. Il n'a heureusement pas été très actif. Il y a eu peu de plaintes relatives à la façon dont j'assume mes fonctions, mais il est là pour surveiller mes activités.
J'espère que cela vous donne une idée de notre position au pays de Galles, et il y a peut-être des leçons à en tirer. Votre loi est très récente, et il y a peut-être des leçons utiles pour vous alors que vous examinez les fonctions de votre personne responsable et la loi à ce stade-ci.
D'entrée de jeu, nous avons un très petit pays. Il compte environ trois millions et demi de personnes, dont une proportion d'environ 20 % de personnes qui parlent gallois. Donc, le cinquième de la population parle gallois, ce qui est une donnée démographique intéressante, car chez les jeunes âgés de 3 à 18 ans, environ 50 % d'entre eux parlent gallois grâce au système d'éducation.
Nous avons un programme d'immersion à certains endroits au pays de Galles et des cours de gallois dans les écoles intermédiaires. Nous avons de plus en plus de jeunes qui parlent gallois et une population âgée qui se meurt qui a pu apprendre la langue à la maison. La croissance observée est sans aucun doute chez les jeunes qui apprennent la langue dans le système d'éducation.
Quand on regarde une carte du pays de Galles, on constate que depuis longtemps, les régions où le gallois est parlé se trouvent surtout sur la côte Ouest, qui fait face à l'Irlande, la côte la plus loin de l'Angleterre. C'est depuis très longtemps l'endroit où l'usage du gallois est répandu.
Sur le plan économique, c'est une région pauvre. C'est une région agricole qui souffre de l'émigration. En effet, des personnes, des jeunes, s'en vont. Nous perdons les communautés de la région qui parlent traditionnellement le gallois. C'est plutôt dans les villes que la proportion de locuteurs augmente compte tenu de leur profil. Il y a Cardiff, où je me trouve en ce moment, ainsi que des endroits comme Swansea et de grandes villes industrielles dans la partie orientale du pays de Galles, près de la frontière avec l'Angleterre.
Nous avons une démographie de croissance en évolution dans les régions où la langue n'a pas été naturellement parlée à la maison, depuis un ou deux siècles dans certaines régions. Nous avons une nouvelle population de locuteurs. Notre plus grand défi consiste à faire en sorte que ces personnes continuent de parler le gallois lorsqu'elles sortent du système d'éducation. Nous déployons beaucoup d'efforts pour qu'elles puissent obtenir des emplois pour lesquels le gallois est considéré comme une compétence, comme un atout.
Une évolution démographique est en cours, et l'éducation est essentielle pour nous, moi y compris. La mise en place d'un marché du travail gallois ou bilingue est un autre élément clé pour permettre à ces jeunes de continuer de parler la langue.
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Madame la commissaire, merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui par vidéoconférence.
Je vois que c'est quand même une jeune institution. Elle existe depuis sept ans. Tout d'abord, je vous remercie de vos services en tant que commissaire. J'ai cru comprendre que c'était bientôt la fin de votre mandat. Je suis certain que vos services ont été bien appréciés. On sait combien le travail de commissaire est ardu et très important à la fois, surtout en ce qui a trait aux langues officielles. Je pense que le gallois est maintenant une langue officielle au Royaume-Uni.
Je vous présente une situation ici, au Canada, pour vous expliquer notre réflexion sur le besoin d'avoir un tribunal administratif qui aurait un rôle différent du vôtre. Je vous donne un exemple.
En 2014, il y a eu des événements sur la Colline du Parlement et la GRC a dû intervenir d'une manière plus importante. Un tireur a fait feu sur la Colline. Certains citoyens n'ont pas eu de services en français à ce moment-là. Des plaintes ont été faites au sujet de la Gendarmerie royale du Canada, la GRC.
Nous sommes en 2019. Le commissaire a accepté d'étudier ces plaintes et a fait trois recommandations très simples: premièrement, évaluer les compétences linguistiques des gens qui travaillent pour la GRC sur la Colline; deuxièmement, mettre en place un processus d'intervention pour informer les agents des obligations linguistiques; troisièmement, avoir un processus d'acceptation des plaintes, c'est-à-dire déterminer la manière dont on reçoit et traite les plaintes qui sont déposées directement à la GRC.
Le rapport du commissaire a été fait à peu près en 2015. Il n'y a eu aucune action de la part de la GRC sur la Colline à la suite de ces trois recommandations. Le commissaire a même fait un suivi et, encore une fois, il n'y a eu aucune réponse. On est rendu en 2019 et aucune des trois recommandations, qui sont assez simples, à mon avis, n'a été suivie.
Alors, on se retrouve devant des agences récalcitrantes. Quel serait votre rôle? Que pourriez-vous faire que le commissaire au Canada ne peut pas faire? Il peut faire des recommandations, mais il n'y a pas de conséquences.