Merci de la présentation, monsieur le président.
[Français]
Le principal mandat de Transports Canada est de faire reconnaître mondialement le système de transports du Canada comme étant sûr, sécuritaire, efficace et respectueux de l'environnement. À cette fin, Transports Canada s'engage à proposer et à mettre en place des lois, des règlements, des normes et des politiques. Ces efforts visent à contribuer à une économie canadienne forte et concurrentielle. À cet égard, j'aimerais mettre l'accent sur le mandat de Transports Canada en ce qui a trait au secteur aérien et à ses responsabilités concernant la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada, ou LPPCAC.
Dans le cadre de ma comparution devant vous aujourd'hui, je voulais vous donner quelques renseignements supplémentaires concernant le contexte dans lequel nous réalisons notre analyse des politiques pour le secteur aérien du Canada.
[Traduction]
Je pense que nous pouvons tous convenir qu'une économie canadienne forte est étroitement liée à un secteur des transports qui fonctionne bien. Les transports offrent une mobilité aux gens et facilitent la livraison des biens au pays comme à l'étranger.
Au Canada, le secteur du transport aérien met l'accent sur le transport à haute vitesse des passagers et des biens de grande valeur et d'utilité sur de longues distances. Au Canada, environ 770 transporteurs aériens exploitent des services aériens nationaux et internationaux, ainsi que 245 exploitants privés.
Dans les années 1990, le Canada a mis en oeuvre une politique de l'utilisateur-payeur qui est orientée par les forces du marché en ce qui a trait à l'utilisation et au développement des services aériens et des infrastructures. Le gouvernement considérait ce système comme la meilleure façon de permettre aux compagnies aériennes et aux aéroports de s'adapter, d'innover, de rester concurrentiels et de servir le public de la façon la plus efficace et la plus rentable possible.
Par conséquent, les lignes aériennes, les aéroports et le fournisseur de services de navigation du Canada, NavCanada, fonctionnent selon des principes commerciaux et doivent recouvrer les coûts de fonctionnement et les investissements en capitaux auprès des utilisateurs par l'intermédiaire de différents droits et frais afin de demeurer économiquement viables.
[Français]
Le contexte opérationnel dans lequel les lignes aériennes exécutent leurs activités entraîne des coûts considérables associés à la sûreté et à la sécurité dans les airs et au sol. La démocratisation de l'industrie aérienne a rendu notre système d'aviation plus complexe en raison du nombre croissant de passagers transportés et du nombre d'avions circulant dans nos cieux.
De façon générale, les lignes aériennes ont vu leur rendement diminuer — revenu par passager-kilomètre — en raison de la concurrence soutenue et de la pression des consommateurs pour des tarifs aériens toujours plus bas. Par conséquent, la tendance actuelle dans le secteur aérien est à la recherche par les lignes aériennes de nouvelles sources de revenus provenant des passagers afin de demeurer économiquement viables. Conformément au rapport annuel de 2016 de l'Association du transport aérien international, ou IATA, l'évolution générale des marges de profit pour les lignes aériennes se situe entre des déficits opérationnels chroniques et des marges de profit limitées, soit entre 1 et 8 % pour les meilleures années.
[Traduction]
Air Canada est le plus grand transporteur aérien et le plus important fournisseur de services passagers réguliers en provenance et à destination du Canada. Avec Jazz et d'autres transporteurs régionaux, qui font des vols en son nom, Air Canada assure environ 1 579 vols réguliers par jour vers 193 destinations directes sur cinq continents, transportant ainsi environ 41 millions de passagers par année. Air Canada emploie plus de 30 000 employés dans I'ensemble du pays, et son siège social est situé à Montréal.
Air Canada est une ancienne société d'État — originalement fondée en 1936 sous le nom des Lignes aériennes Trans-Canada puis renommée Air Canada en 1965. Air Canada a été privatisée en 1988 conformément à la LPPCAC. À l'époque, le gouvernement a choisi d'imposer certaines obligations à Air Canada, par exemple le maintien de l'emplacement de son siège social et de l'endroit où l'entretien des aéronefs est effectué ainsi que certaines dispositions concernant ses lois et ses clauses de prorogation, pour n'en nommer que quelques-unes. Le est responsable de l'application de la LPPCAC.
L'article 10 de la LPPCAC stipule qu'Air Canada est assujettie à la Loi sur les langues officielles, la LLO, et que le transporteur est donc considéré comme une institution fédérale conformément à la LLO. Air Canada est le seul transporteur aérien assujetti à des obligations en vertu de la LLO. La compagnie est assujettie à la LLO depuis 1969, y compris la partie IV couvrant les communications avec le public et la prestation de services, la partie V couvrant la langue de travail, la partie VI couvrant la participation des Canadiens d'expression française et d'expression anglaise, et la partie VII couvrant la promotion du français et de l'anglais.
Les autres transporteurs aériens canadiens d'importance, tels que WestJet, Air Transat, Porter et Sunwing, ne sont pas assujettis aux mêmes obligations qu'Air Canada en vertu de la LPPCAC et de la LLO. Tous les transporteurs aériens canadiens doivent cependant fournir des instructions de sécurité à leurs passagers en anglais et en français en vertu du Règlement de l'aviation canadien, conformément à la Loi sur l'aéronautique, dont le est également responsable.
Il convient de noter qu'Air Canada ne reçoit aucun financement direct ou indirect du gouvernement fédéral pour ses programmes de formation linguistique, les évaluations linguistiques de ses employés ou ses activités de communication. Le transporteur affecte tout de même des ressources importantes — financières et humaines — au développement et au maintien de ses programmes linguistiques et de ses outils internes pour respecter ses obligations en vertu de la LLO.
Comme les représentants d'Air Canada l'ont expliqué lors de récentes délibérations de votre comité, les difficultés auxquelles le transporteur est confronté par rapport à ses obligations linguistiques sont liées à la quantité de candidats bilingues au moment du recrutement et à la répartition du personnel bilingue dans un environnement opérationnel en constante évolution.
[Français]
Air Canada vous a présenté en mars dernier plusieurs mesures qu'elle a mises en oeuvre, en plus de décrire les partenariats qu'elle a établis dans l'ensemble des collectivités au pays en ce qui a trait à ses obligations linguistiques. Malgré les difficultés auxquelles est confrontée Air Canada en ce qui concerne les communications et les services en français, nous pouvons convenir qu'Air Canada a fait des efforts concrets quant à son engagement en matière de langues officielles.
[Traduction]
Je voulais également souligner le travail qui est fait pour appuyer l'engagement du à l’égard de l’amélioration de l'expérience du voyageur à titre d'élément de sa stratégie Transports 2030. Transports Canada et le ministre ont mené pendant 18 mois de vastes consultations dans le cadre du processus d'examen de la Loi sur les transports au Canada. Ainsi, plus de 300 intervenants canadiens des transports et du commerce ont été entendus, dont les provinces et les territoires, sur la façon de procéder pour que le système de transports national continue de soutenir la compétitivité du Canada sur la scène internationale, le commerce et notre prospérité.
De nombreux Canadiens dans des collectivités, grandes et petites, de l'ensemble du pays ont fait part de leurs préoccupations au sujet de notre système de transports. Ils se sont dits déçus de l'expérience vécue lors de leurs déplacements en avion. Or, le s'est engagé à améliorer cette expérience.
[Français]
À l'appui de cet engagement, le ministre a récemment déposé le projet de loi C-49, la Loi sur la modernisation des transports, qui est la première étape des efforts déployés pour améliorer l'expérience du voyageur, comprenant par exemple des nouvelles mesures relatives aux droits des passagers aériens, un assouplissement des règles sur la propriété internationale, ainsi qu'une approche transparente et simplifiée pour les demandes de coentreprise des transporteurs aériens canadiens.
[Traduction]
Les changements proposés favoriseraient une plus grande concurrence, mais ils visent également à offrir aux Canadiens un meilleur service afin d'améliorer l'expérience vécue par les voyageurs.
Dans mon introduction, j'ai parlé du mandat de Transports Canada. Je tiens à préciser que le ministère s'attend à ce que tous les organismes fédéraux sous sa responsabilité s'assurent que les obligations en matière de langues officielles décrites dans la LLO sont respectées. Air Canada ne fait pas figure d'exception. Nous croyons que le transporteur continue de progresser en vue d'atteindre cet objectif.
À Transports Canada, en partenariat avec nos homologues de Patrimoine canadien, du Secrétariat du Conseil du Trésor et du ministère de la Justice, nous suivons avec attention les délibérations de votre comité sur certaines questions complexes qu'il doit étudier. Nous sommes impatients de recevoir vos recommandations par rapport à ces questions importantes.
Je serai ravie de répondre aux questions des membres de votre comité.
[Français]
Merci.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour à tous et à toutes.
Je suis très heureux et très honoré de l'invitation à venir vous adresser la parole aujourd'hui pour discuter avec vous de la question plus précise du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada. Je sais que c'est une question qui vous a beaucoup occupés ces derniers temps.
Comme l'a mentionné le président, je vais faire une courte présentation d'une dizaine de minutes en français.
[Traduction]
Je répondrai avec plaisir en anglais ou en français à toutes vos questions concernant mon exposé. Je vais donc m’empresser de vous communiquer ce que je souhaite dire aujourd’hui.
[Français]
D'abord, je vous propose un très court exposé sur ce que je voudrais transmettre comme message aujourd'hui.
J'ai pris connaissance de vos délibérations et de vos commentaires, ainsi que des échanges que vous avez eus avec certains experts. À mon sens, il y a trois questions en jeu en ce qui a trait au bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada.
La première question est celle de savoir s'il est souhaitable que chacun des juges à la Cour suprême du Canada ait une maîtrise suffisante des deux langues officielles. En d'autres termes, est-ce qu'un niveau de compétence avancé dans les deux langues devrait faire partie des conditions d'admissibilité à une nomination à la Cour suprême du Canada? Je réponds oui à cette question. Je pense que cette exigence de qualification est très importante et probablement essentielle.
Si nous répondons oui à la question, il faut se demander comment mettre en oeuvre cet objectif. La deuxième question est donc celle de savoir s'il est souhaitable de procéder par voie législative, c'est-à-dire en insérant cette exigence dans un texte législatif ou encore en modifiant une loi existante du Parlement. Contrairement aux experts que vous avez entendus jusqu'à présent, je pense que non. À mon avis, les avantages politiques d'une telle initiative seraient moins importants que les risques juridiques qui en découleraient. De plus, l'engagement formel du premier ministre dans sa forme actuelle, celle que nous connaissons et qui a été utilisée dans le dernier processus, me semble suffisant pour réaliser l'objectif du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada.
Évidemment, vous pouvez ne pas être d'accord avec moi. Le cas échéant, il faut se demander si une proposition législative, que ce soit une loi ou une modification à un texte législatif actuel, qui imposerait le bilinguisme comme condition préalable à une nomination à la Cour suprême du Canada, constituerait une modification constitutionnelle. Si tel était le cas, cette modification serait assujettie à des exigences de consentement à la fois du Parlement et des législatures provinciales, comme vous le savez. À cette question — s'agit-il d'une modification constitutionnelle si vous l'insérez dans une loi —, je réponds également oui selon toute probabilité, encore une fois à la différence des experts que vous avez entendus.
Permettez-moi d'expliquer, de manière assez succincte, un peu plus ce que j'entends quant à chacun de ces éléments.
Tout d'abord, j'estime souhaitable que tous les juges à la Cour suprême du Canada aient une maîtrise suffisante des deux langues officielles. Un niveau de compétence avancé dans les deux langues officielles devrait faire partie des compétences requises pour être admissible à une nomination à la Cour suprême du Canada. Afin d'arriver à cette conclusion, il faut comprendre le fonctionnement de la Cour et la nature du travail de ces juges.
On a beaucoup parlé devant vous des erreurs pouvant survenir dans la traduction simultanée ou l'interprétation des présentations orales faites devant la Cour, mais ce n'est qu'un aspect de la question. Beaucoup d'autres éléments du travail des juges à la Cour suprême du Canada requièrent une compétence linguistique en français et en anglais. J'en évoque cinq en rafale; cela vous donnera une idée plus claire de ce que je veux dire.
Premièrement, les juges doivent lire et interpréter les textes législatifs qui sont rédigés dans les deux langues officielles, et pas les moindres: le Code criminel, la Loi de l'impôt sur le revenu, la Loi sur le divorce et la Constitution elle-même. On me dira que puisque ces textes sont écrits dans les deux langues officielles, il suffit de comprendre l'une des deux versions. C'est faux, puisque toutes les règles d'interprétation exigent que l'on comprenne les deux versions pour être en mesure d'en tirer le sens commun lorsqu'il y a une ambiguïté. Il est donc indispensable de lire les deux versions.
Deuxièmement, les juges doivent lire et comprendre les jugements des instances inférieures, qui sont souvent rédigés dans une seule langue. J'entends non seulement le jugement qui est porté en appel devant la Cour, mais aussi la jurisprudence pertinente, qui peut être rédigée seulement en français ou seulement en anglais.
Troisièmement, les juges doivent aussi lire et comprendre les présentations écrites des parties dans la langue dans laquelle elles sont rédigées, pas seulement les présentations orales faites à l'audience. Comme vous le savez probablement, ces mémoires ne sont pas traduits par la Cour. Beaucoup de documents sont traduits à l'intérieur de la structure de la Cour suprême du Canada, mais les mémoires des parties ne le sont pas.
Quatrièmement, il faut tenir compte d'un élément plus diffus: les juges doivent pouvoir participer aux discussions tenues au sein de la Cour quant au jugement à rendre. La présence d'un juge unilingue fera en sorte que la conversation se déroulera probablement dans la langue de ce juge-là, pratiquement uniquement en anglais.
Cinquièmement — et c'est un point important également —, les juges doivent pouvoir comprendre les deux versions des jugements que la Cour elle-même rend, et ce, afin d'être en mesure d'évaluer la qualité et l'exactitude de la traduction des jugements rendus. Bref, le bilinguisme est une composante absolument essentielle du travail des juges.
Cela dit, il faut admettre que la Cour peut fonctionner de manière juste et efficace, même sans obligation de bilinguisme. Elle le fait avec grand succès depuis des décennies. Cela fonctionne parce que les services d'interprétation et de traduction sur la Colline et à la Cour elle-même sont excellents — il s'agit en effet de gens très talentueux —, mais surtout parce que c'est une cour collégiale. Ils sont neuf autour de la table, et la collaboration entre les juges permet d'éviter les risques d'incompréhension et de malentendu. Cela se fait évidemment sur une base continue. Selon moi, il n'y a pas de risque réel qu'un jugement soit fondé sur une mauvaise compréhension du français ou de l'anglais. Il est très peu probable que cela se produise. Si vous le désirez, nous en parlerons plus tard.
Toutefois, il faut admettre que cette situation n'est pas optimale. À mon avis, les juges doivent idéalement pouvoir accéder à tous les textes, discussions et représentations sans intermédiaire, qu'il s'agisse d'un interprète, d'un traducteur ou d'un recherchiste. Dans le cas contraire, la Cour est forcée de faire des compromis, des arrangements. Ce n'est pas une situation optimale. Je dirais même qu'à mon avis, le bilinguisme relève de la compétence opérationnelle, c'est-à dire du travail des juges, au même titre que leur connaissance du droit. Nous pourrons y revenir plus tard. Il y aura sans doute des questions sur l'importante portée symbolique de la présence des deux langues et de la connaissance du bilinguisme à la Cour.
Je vais néanmoins passer à mon deuxième point.
Une fois établie la prémisse voulant que les candidats doivent être bilingues pour être admissibles à une nomination à la Cour suprême, comment peut-on appliquer ce principe?
J'ai dit plus tôt qu'il n'était pas souhaitable d'inscrire cela dans la loi, à mon avis, et que l'engagement du premier ministre suffisait.
Dans le cadre du processus de nomination à la Cour suprême, à l'automne 2016, le premier ministre s'est engagé formellement à faire du bilinguisme une qualification essentielle. On sait que cet engagement a conduit à la nomination du juge Rowe, dont la connaissance du français est, à mon avis, largement suffisante pour lui permettre de s'acquitter des responsabilités dont je viens de faire état.
Que gagne-t-on de plus en intégrant cette exigence à une loi plutôt qu'en se fondant sur l'engagement formel du premier ministre?
Il y a d'abord un gain symbolique, qui n'est pas négligeable. Il s'agit d'un geste qui marque l'importance égale des deux langues officielles. Il y a un gain que je qualifierais de stratégique, qui n'est pas négligeable non plus, étant donné qu'un texte législatif est plus difficile à défaire qu'un engagement politique. Cela dit, comme vous êtes tous juristes, dans un sens, vous savez qu'une loi ordinaire peut être répudiée tout autant qu'un engagement politique quand on est prêt à payer le prix politique qui vient avec ce changement législatif.
Je m'interroge sur le risque découlant de l'insertion dans la loi d'une telle exigence parce qu'un texte législatif impose des conditions qui déterminent la légalité, au sens strict du terme, d'une nomination. Ce n'est probablement pas le cas d'un engagement politique. Toutefois, quand une exigence est insérée dans une loi, on peut exiger qu'elle soit respectée en vertu de la loi.
Par voie de conséquence, si une loi impose le bilinguisme comme condition de nomination, toute nomination d'un juge à la Cour suprême est susceptible d'être contestée devant les tribunaux. Quelqu'un pourrait en effet alléguer une violation de cette exigence et avancer que, le juge n'étant pas suffisamment bilingue, selon lui, cette nomination devrait être défaite. C'est d'autant plus vrai — et je sais que cette question vous préoccupe — que le bilinguisme n'est pas une notion binaire. On n'est pas bilingue ou unilingue: on est plus ou moins bilingue. Je suis très bilingue. Certains le sont plus que moi et d'autres le sont moins. Ce n'est donc pas un critère facile à gérer devant les tribunaux, une fois le principe établi. On pourra parler plus tard de la manière dont on pourrait le tester. Quoi qu'il en soit, je suis d'avis que ce ne serait pas une très bonne idée de faire figurer ce critère dans la loi.
C'est une contestation qui comporte un risque bien réel — et nous avons à ce sujet des exemples récents — et qui serait embarrassante pour la magistrature, je crois, humiliante pour le juge concerné, complexe, imprévisible sur les plans factuel et juridique et susceptible d'affaiblir la Cour suprême elle-même. Chaque fois que l'on conteste ces nominations, l'autorité dont la Cour jouit risque d'être affaiblie.
Bref, à mon avis, le gain apporté par l'insertion de cette condition dans une loi serait symbolique et cette stratégie n'en vaut pas la peine.
Je termine par quelques mots sur une question plus fondamentale, qui appelle des débats plus compliqués. Je l'ai dit, mais vous ne serez peut-être pas d'accord avec moi et vous irez peut-être dans le sens contraire. Vous voudrez peut-être insérer un changement qui contiendrait l'exigence du bilinguisme à la Cour suprême dans une loi ordinaire.
Qu'arriverait-il, si vous alliez de l'avant? J'ai l'intime conviction qu'on n'échapperait pas à une contestation constitutionnelle de cette loi ordinaire. Quelqu'un porterait cette question devant les tribunaux. On voudrait savoir si l'exigence du bilinguisme requiert une modification de nature constitutionnelle ou non.
Cela m'amène à mon troisième point. À mon avis, si le Parlement choisissait d'adopter un tel texte législatif, il est à peu près certain que la loi serait contestée devant les tribunaux et, selon moi, il est probable qu'elle serait invalidée. L'imposition d'une telle condition nécessite probablement une modification à la Constitution qui exige l'accord non seulement du Parlement, mais de toutes les provinces. Je vous explique en quelques mots pourquoi.
Certains experts qui ont comparu devant vous ont affirmé — j'ai été assez étonné de cela, et je le dis en tout respect — qu'ils étaient certains à 100 % que cette initiative n'exigeait pas de modification de nature constitutionnelle. Avec égard, c'est un avis que je ne partage pas. La certitude, dans ce champ, est hors de portée. On est dans les balbutiements de la jurisprudence sur les modifications à la Constitution. Je pense qu'on n'est pas en mesure d'assurer avec certitude qu'une modification n'est pas requise.
La préoccupation que j'exprime ne constitue ni une prudence excessive ou une frilosité, comme le disait l'un des experts, ni un prétexte pour s'opposer au bilinguisme, que je juge par ailleurs souhaitable à la Cour suprême. Il existe, en fait, des raisons précises et solides de croire qu'un tel changement ne peut être fait sans les accords que je viens d'évoquer.
Cela s'exprime très simplement. Dans la Constitution, il y a une procédure de modification. L'un des textes importants pour nos fins est l'alinéa 41d) de la Loi constitutionnelle de 1982. Ce texte prévoit que la modification de la Constitution au chapitre de la composition de la Cour suprême exige l'accord du Parlement et de toutes les provinces. Il faut se demander ce que veut dire la composition de la Cour suprême.
Il se trouve qu'on a déjà un jugement sur cette question, celui découlant du renvoi sur la Cour suprême relatif à ce que l'on appelle l'affaire Nadon. Je cite le paragraphe 105 de cet avis de la Cour. La question est de savoir ce qu'est la composition de la Cour et s'il faut l'appui unanime du Parlement et des provinces. Qu'est-ce que la composition de la Cour? Voici ce qui est dit:
Les conditions de nomination générales et les conditions de nomination particulières pour le Québec sont des aspects de la composition de la Cour.
On ne peut pas être plus clair que cela. Pour dire qu'une modification à la Constitution n'est pas requise pour réaliser l'objectif dont on parle ici ce matin, il faut faire fi de ce langage ou, en tous les cas, l'interpréter de façon à en évacuer les éléments importants. La Cour continue:
En conséquence, toute modification importante portant sur ces conditions de nomination constitue une modification de la Constitution portant sur la composition de la Cour suprême du Canada et entraîne l'application de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982.
Il s'agit de la règle de l'unanimité.
Je ne vais pas aller trop loin parce que je veux vous laisser tout le temps pour les questions. Néanmoins, je pense que Sébastien Grammond a présenté un argument intéressant qui restreint de manière assez significative ce qu'on doit entendre par les termes ou le langage de la Cour suprême ici. Je dirais malgré tout que l'avis de la Cour ne comporte aucune restriction aux qualifications. Il est donc certain que cette loi sera contestée sur le fondement du texte que je viens de lire.
Qu'est-ce qu'une modification importante aux conditions de nomination? À mon avis, les conditions générales de nomination, qui sont déjà dans les articles 4, 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême — le fait d'être un juge ou membre du Barreau depuis 10 ans et les conditions particulières pour les juges qui viennent du Québec — sont clairement enchâssées. Le bilinguisme n'en fait pas partie.
En terminant, j'ajouterais deux choses. Tout d'abord, l'ajout de conditions peut être une modification. Ce n'est pas parce qu'on ajoute plutôt que de retrancher qu'on n'est pas en présence d'une modification des conditions d'admissibilité à une nomination. Évidemment, si l'on faisait, par exemple, disparaître l'exigence de trois juges issus du Québec à la Cour, on aurait besoin d'une modification de nature constitutionnelle car on aurait retranché une condition de nomination.
Toutefois, si l'on décidait, pour obtenir l'égalité des sexes sur le banc de la Cour suprême, d'imposer un minimum de quatre juges féminins et de quatre juges masculins, à mon avis, on serait en présence d'une modification importante de la composition de la Cour suprême et cela exigerait le processus de modification dont je parlais.
Il est donc important de voir que d'ajouter des mots ou des termes constitue possiblement une modification qui exige l'appui du fédéral et des provinces.
J'ajoute — c'est le dernier élément que je voulais souligner — qu'il y a quelque chose de paradoxal dans l'affirmation qu'une modification à la Constitution n'est pas requise. Ce qui anime la volonté d'inclure l'exigence du bilinguisme dans le texte de la loi, c'est l'importance du bilinguisme pour la légitimité de la Cour, son intégrité politique et sa capacité de fonctionner.
On ne peut pas dire qu'il est absolument fondamental que les juges de la Cour suprême soient bilingues et dire en même temps que ce n'est pas une modification importante à la composition de la Cour suprême. Je pense que ces deux arguments ne peuvent pas être évoqués en même temps.
En somme, je pense qu'il est essentiel d'exiger le bilinguisme. Je pense que cela peut très bien se faire par un engagement politique comme celui qu'on connaît maintenant, mais il me semble dangereux de le faire par voie législative pour les raisons que j'ai exposées. Je pense qu'on est ici en présence d'une manifestation de ce qui préoccupait Montesquieu quand il écrivait « le mieux est le mortel ennemi du bien ».
[Traduction]
Laissez les choses comme elles sont.
[Français]
Je pense que tout le monde s'en portera beaucoup mieux.
Merci.
:
Monsieur Jutras, malheureusement, c'est tout le temps dont je dispose. Je pourrais discuter avec vous pendant des heures, c'est un dossier qui me passionne. Nous aurions pu parler des conditions essentielles et non essentielles à une modification de la Constitution, mais je n'en ai pas le temps présentement.
Je vais donc déposer ma motion. J'en ai déjà fait préavis le vendredi 26 mai 2017. Elle va comme suit:
Que le Comité, avant de présenter son rapport à la Chambre sur la nomination de Madeleine Meilleur, invite les personnes suivantes afin de mieux comprendre le processus de nomination du Commissaire aux langues officielles :
1. La présidente de la FCFA;
3. Le responsable du processus de sélection de Boyden;
4. Le sous-ministre de Patrimoine canadien;
8. Sous-ministre de la Justice;
9. La dirigeante principale des ressources humaines du Secrétariat du Conseil du Trésor;
10. La sous-secrétaire du cabinet du Bureau du Conseil privé (BCP).
Si je dépose cette motion, c'est que, comme vous le savez, le Comité permanent des langues officielles doit prendre une décision au sujet de la nomination de Madeleine Meilleur, qui a été proposée par le gouvernement comme future commissaire aux langues officielles. Par conséquent, notre décision doit être prise à la suite d'une grande réflexion, avec une grande transparence, et il faut nous assurer que nous n'allons pas commettre une erreur très grave en appuyant la nomination de Madeleine Meilleur au poste de commissaire aux langues officielles.
Madeleine Meilleur s'est présentée devant nous lors de notre dernière réunion, et nous lui avons posé quelques questions. Les réponses que nous avons reçues nous préoccupent beaucoup, parce qu'il semble y avoir des contradictions dans ce qu'elle a révélé. Par exemple, elle a dit qu'elle n'était plus membre du Parti libéral depuis quelque temps. La dernière réponse qu'elle nous a envoyée fait état d'avril 2017. C'est récent comme date, c'est comme si c'était hier. Nous pouvons même nous demander depuis quelle date, en avril 2017, elle n'en est plus membre.
Une voix: Le 7 avril.
M. François Choquette: Bon, c'était le 7. Voilà.
Il y a autre chose. Nous avons parlé de la dernière fois qu'elle a rencontré le . Sa réponse était également assez nébuleuse, nous ne savions pas exactement quoi en penser. À cet égard, nous avons eu une réponse. J'avais cru comprendre qu'elle avait rencontré le premier ministre durant la campagne électorale. J'ai peut-être mal compris. C'est pour cela que nous nous sommes demandé si c'était à l'occasion d'une activité de financement. Lorsqu'elle nous a donné sa réponse, elle a plutôt mentionné que c'était lors d'un événement qui a eu lieu en 2014, si ma mémoire est bonne. Alors, je me pose de sérieuses questions au sujet de la comparution de Madeleine Meilleur.
Comme vous le savez, il y a présentement une controverse qui n'a pas de cesse. Chaque jour qui passe, un nouvel élément s'ajoute, un nouveau groupe ajoute sa voix à celles de ceux qui s'interrogent au sujet de la nomination de Madeleine Meilleur. Récemment encore, la FCFA a rencontré tous ses membres qui ont demandé ce qui se passait en ce qui concerne cette nomination. Les membres de la FCFA n'ont pas réussi à s'entendre unanimement sur le choix de Madeleine Meilleur. Il y a donc une division en ce qui touche le processus suivi qui soulève beaucoup d'interrogations.
Encore récemment, le Quebec Community Groups Network, ou QCGN, a également envoyé une lettre pour mentionner qu'il s'interrogeait beaucoup quant au processus de nomination. Est-ce que Mme Meilleur va être assez éloignée du premier ministre, assez éloignée du gouvernement, pour pouvoir prendre des décisions de manière impartiale et équitable? J'ai de gros doutes à cet égard.
Tout cela, c'est sans mentionner la sortie dans les médias de M. Michel Doucet. Je crois que vous avez tous eu connaissance de cette sortie dans les médias et que vous êtes tous tombés en bas de votre chaise, tout comme moi.
M. Doucet s'est fait dire, après avoir suivi tout le processus, que si on n'est pas assez près du gouvernement libéral, il n'y a aucune chance d'être nommé commissaire aux langues officielles. C'est plus que scandaleux. C'est absolument incroyable d'entendre cela.
Nous parlons d'un poste de la plus haute importance au sein du gouvernement, et des plus hautes instances du gouvernement. Nous apprenons qu'il faut être près de la garde rapprochée du pour espérer y accéder. Il faut rencontrer Gerald Butts et Katie Telford pour obtenir le poste de commissaire aux langues officielles. Il y a un bris de confiance relativement au processus. Ce processus est mis en doute, non seulement par les partis de l'opposition — ce ne sont pas seulement les partis de l'opposition qui le mettent en doute —, mais également...