LANG Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des langues officielles
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 13 avril 2016
[Enregistrement électronique]
[Français]
Bienvenue à cette séance du Comité permanent des langues officielles. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude sur le Bureau de la traduction.
Nous accueillons Mme Linda Cardinal, professeure titulaire à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa, et, à titre personnel, M. Jean Delisle, professeur émérite de l’Université d’Ottawa.
Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux.
Nous allons procéder de la façon suivante dans la première heure: ensemble, vous disposez d'une dizaine de minutes pour faire vos présentations, ensuite nous allons passer à une période de questions et de commentaires de la part des membres du Comité.
Nous vous écoutons.
Merci beaucoup, monsieur le président et chers députés.
Je vous remercie de m'avoir invitée à vous faire part de mes réflexions sur la présente controverse autour du déploiement de l'outil Portage au sein de la fonction publique fédérale. Je me réjouis d’être devant vous aujourd’hui, car le débat au sujet de l’outil Portage me permettra de soulever des enjeux qui vont bien au-delà du déploiement de cet outil, mais que cet outil a permis de cristalliser hors de toute attente.
Je dirai d’entrée de jeu qu’il y a péril en la demeure, et vous comprendrez que la demeure dont je parle est la fonction publique fédérale, en particulier le Bureau de la traduction du Canada, ou BT. Qui dit péril dit obligation d’agir rapidement.
Le débat lancé dans le cadre du déploiement de l’outil Portage nous a fait prendre conscience que les choses n’allaient pas bien pour les langues officielles au sein de la fonction publique fédérale, en particulier pour ce qui est de la visibilité du français.
Mon propos sera le suivant: il faut revoir le rôle des technologies langagières et mieux comprendre leur impact sur la dualité linguistique. Il faut aussi revoir le Bureau de la traduction, afin de lui donner les moyens de ses ambitions et de renverser la tendance à la déqualification des professionnels de la traduction. Il faut revenir sur la décision de déployer l’outil Portage.
J’aimerais d’abord vous parler de mon expérience à titre d’ancienne membre du groupe de travail sur les transformations gouvernementales au sein du gouvernement canadien, qui avait été mis sur pied à l'époque par le Conseil du Trésor, en 1998-1999, car cette expérience va servir à situer mon propos dans son contexte.
En 1998, le gouvernement canadien avait entamé des transformations gouvernementales en vue de régler ses problèmes de déficit budgétaire. Il a procédé à la révision de ses programmes et des façons d’assurer la prestation des services au public, provoquant en fin de compte une remise en cause fondamentale de l’étendue de l’intervention étatique au sein de la société canadienne.
Parmi les transformations gouvernementales à l’époque, mentionnons la création de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, de l’Agence Parcs Canada, du Centre de services aux entreprises du Canada ou encore de la Commission canadienne du tourisme. Il y a aussi eu, à l'époque, la privatisation de sociétés comme Petro-Canada, Air Canada, les aéroports, le CN et NavCan.
L’utilisation accrue des technologies de l’information dans l’organisation des services publics devait servir à favoriser une meilleure prestation des services au public. L’intégration des nouvelles technologies devait servir à jeter les bases d’un gouvernement plus près des citoyens et plus efficace, tout en permettant de faire des économies d’échelle.
En 1998, après avoir dénoncé les transformations gouvernementales, le commissaire aux langues officielles de l’époque, M. Victor Goldbloom, demandait la mise sur pied d’un groupe de travail. Le gouvernement canadien accepta la recommandation du commissaire aux langues officielles et mandata le Conseil du Trésor pour créer le groupe de travail dont j’ai fait partie pour étudier l’incidence des transformations gouvernementales sur la dualité linguistique, en particulier au regard de la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
Forts de notre mandat, nous avons constaté, à l'époque, une lassitude à l’égard des minorités de langue officielle, confirmé les inquiétudes du commissaire aux langues officielles, vu très concrètement l’impact négatif des transformations gouvernementales sur les minorités de langue officielle et proposé des correctifs pour corriger la situation. Entre autres, dans ses recommandations, le rapport du groupe de travail demandait au Conseil du Trésor de faire rapport sur les effets des transformations gouvernementales sur les langues officielles, de mettre en place un mécanisme de consultation avec les minorités de langue officielle dans le cadre de l’examen de ces transformations et de voir à ce que les institutions assujetties à la Loi sur les langues officielles fassent l’objet d’une sensibilisation continue.
Malheureusement, à l’époque, le Bureau de la traduction n’a pas fait partie des enjeux soulevés par le groupe de travail. Je constate aujourd’hui que les difficultés du Bureau de la traduction commencent aussi vers cette époque. Elles vont s’accroître sous l’ancien gouvernement, qui ne va pas hésiter à faire des compressions dans les effectifs et à privatiser les services en appui aux langues officielles au sein de la fonction publique fédérale. Il n'y a qu'à penser à la privatisation des cours de langue. On peut d’ailleurs présumer que c'était la privatisation des cours de français.
Depuis les travaux du groupe de travail, il y a eu la publication du Plan d’action pour les langues officielles en 2003, qui comprenait certaines mesures pour promouvoir la recherche sur les technologies langagières. Le plan d’action constituait, à l’époque, un nouvel outil pour permettre au gouvernement de s’acquitter de ses obligations en vue du développement et de l’épanouissement des minorités de langue officielle au Canada. Or, depuis, nous avons dorénavant une vision appauvrie des langues officielles. Celle-ci repose aujourd'hui sur une logique utilitaire qui subordonne l’intérêt public à l’intérêt privé. J'en donnerai quelques exemples.
Dans Objectif 2020, on explique qu’il faut innover en matière de technologie et outiller les fonctionnaires grâce à des outils technologiques. Or en 2016, les médias révélaient que, depuis 2010, 400 postes avaient été abolis au Bureau de la traduction. De plus, on apprend que, d’ici 2017-2018, 140 autres postes seraient abolis au Bureau de la traduction. On est en droit de se demander si outiller les fonctionnaires vise réellement à encourager l’utilisation des deux langues officielles ou si on n’est pas en voie de fermer le Bureau de la traduction de façon graduelle.
Venons-en à l’outil Portage. Non seulement je crains que le déploiement de l’outil Portage n'aille à l’encontre de la Loi sur les langues officielles, mais il me paraît révéler une méconnaissance des enjeux de la traduction. D’un côté, on juge la traduction importante, puisque l'on veut déployer un outil qui serve à tous. De l'autre, on dévalorise la fonction de traducteur et le savoir spécialisé qui lui est inhérent. On semble croire que la traduction est à la portée de tous, alors qu’il y a des exigences inhérentes au métier de traducteur que seuls les traducteurs maîtrisent. Si j’osais un parallèle, je le ferais entre le journalisme et les médias sociaux. Sur Twitter ou dans Facebook, tout le monde peut s’improviser journaliste. Or, on sait très bien que le métier de journaliste est exigeant, qu’il nécessite travail, réflexion et savoir écrire. Les 140 caractères de Twitter ne remplaceront jamais le travail d’enquête journalistique, ni les textes d’analyse ou les grands éditoriaux.
L’outil Portage donne un signal inquiétant en matière de langues officielles. Si les fonctionnaires ont besoin d’un tel outil, c’est parce qu’ils ne sont pas en mesure de maîtriser suffisamment le français pour écrire un courriel et rédiger une communication interne. Qu’est-il arrivé à la promotion de la dualité linguistique à l’intérieur de la fonction publique fédérale? Je lance cette question en raison de la situation d’asymétrie qui caractérise les deux langues officielles au sein de la fonction publique. Après 10 ans de gouvernement conservateur, qu’en est-il de la situation du français au sein de la fonction publique? Qu’en est-il de la partie V de la Loi sur les langues officielles et du droit des fonctionnaires de travailler dans la langue officielle de leur choix?
Je propose deux recommandations afin de formaliser mes propos et de vous inviter à l’action.
Ma première recommandation est la suivante: que le gouvernement du Canada annule la décision de déployer l’outil Portage.
Certes, cette recommandation n’est pas originale, mais elle est nécessaire. Je me joins à plusieurs autres acteurs au sein du milieu de la traduction et des langues officielles pour réclamer un renversement de la situation. Le nouveau gouvernement n’a pas à être prisonnier des décisions du gouvernement précédent, surtout en ce qui concerne la dualité linguistique.
Ma deuxième recommandation est la suivante: que le gouvernement du Canada mette en place un groupe de travail sur la situation des langues officielles au sein de la fonction publique et que ce groupe de travail accorde une attention particulière au rôle des technologies langagières dans la promotion de la dualité linguistique, à la situation au Bureau de la traduction et à l’incidence de la privatisation des services, comme les cours de français, sur les langues officielles.
Ma recommandation est ambitieuse, mais elle s’avère nécessaire. Un groupe de travail sur la situation des langues officielles au sein de la fonction publique devrait impérativement réaffirmer les droits linguistiques des fonctionnaires francophones ainsi que le droit des francophones de recevoir leurs communications dans une langue française qui ne soit pas la langue d’une machine, comme le soulignait récemment mon collègue Jean Delisle dans le quotidien Le Droit.
Je suis d’accord avec mon collègue Jean Delisle: le respect des droits linguistiques exige que l’on tienne compte du caractère idiomatique du français et que l'on refuse d’en faire une langue robotisée. Dans un contexte d’asymétrie comme celui de la fonction publique fédérale où le français est une langue de traduction — 85 % des documents en français sont des documents traduits —, on ne peut pas rester indifférent devant le déploiement d’un outil qui risque de réduire le français à une langue bâtarde.
Une façon de repenser le statut du français au sein de la fonction publique serait d’encourager la rédaction de textes originaux en français, afin de contrer l’asymétrie et que l'on reconnaisse le droit des fonctionnaires francophones de rédiger leurs documents, leurs messages, leurs notes et leurs présentations en français.
Merci de votre attention. Je répondrai à vos questions tout à l'heure.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous afin de participer au débat entourant le Bureau de la traduction. J'espère apporter un point de vue pertinent, à défaut d'être original.
J’ai été moi-même traducteur au Secrétariat d'État, au début de ma carrière, et je viens de terminer un ouvrage sur les 100 premières années d'existence du Bureau de la traduction. L’ouvrage s’intitule Les douaniers des langues: grandeur et misère de la traduction à Ottawa, 1867-1967.
En 1984, j’ai publié un historique du Bureau à l’occasion de son 50e anniversaire. C'est sur cette expérience d'une quarantaine d'années consacrées à l'enseignement et à l'histoire de la traduction que s'appuie mon témoignage.
Nous savons tous que le Canada est un grand pays traducteur. La traduction est inscrite, pour ainsi dire, dans l’ADN du pays, même si bon nombre de Canadiens la considèrent comme le mal nécessaire de la Confédération. Si c’est le cas, il faut en dire autant du bilinguisme officiel, car traduction et bilinguisme officiel sont indissociables. Loin d'être un sous-produit du bilinguisme, la traduction en est une manifestation concrète.
Que faut-il penser du logiciel de traduction automatique Portage? La technologie moderne accomplit des merveilles, mais encore faut-il qu’elle soit utilisée à bon escient. Au sujet du logiciel Portage, il faut faire la distinction entre son accessibilité à l’ensemble des fonctionnaires fédéraux et son utilisation par les traducteurs professionnels.
Commençons par les fonctionnaires fédéraux.
Dans l’état actuel de leur développement, les logiciels de traduction automatique comme Google Traduction ou Portage présentent certains risques en raison de leur caractère imprévisible et peu fiable, et de l’absence de balises claires concernant leur utilisation par les fonctionnaires fédéraux. Les trois grandes associations de traducteurs au pays, celles de l'Ontario, du Québec et du Nouveau-Brunswick, ont exprimé de vives inquiétudes en ce qui concerne ce logiciel. Je crois savoir que même les services informatiques du gouvernement n’ont pas recommandé de l’utiliser pour l’échange de courriels. Si Portage se généralisait, cela marquerait un retour à l’époque où la traduction était confiée à des secrétaires bilingues non préparées pour exécuter cette tâche.
On sait que, depuis plusieurs années déjà, des fonctionnaires utilisent Google Traduction, qui donne des résultats qui ne sont pas toujours heureux. Je donne des exemples concrets de courriels de ce genre dans mon mémoire.
Les langues officielles au Canada sont le français et l'anglais. La langue machine n'est pas une langue officielle; la langue good enough, non plus. Pour qui cette langue serait-elle acceptable?
Des erreurs produites par le logiciel Portage pourraient avoir des conséquences légales, étant donné que les deux langues ont une égale valeur au sens de la loi. Ces erreurs risquent de discréditer le Bureau de la traduction et de ternir l'image du Canada.
Il m’apparaît peu réaliste de croire que la traduction machine peut améliorer les communications entre les fonctionnaires et les encourager à travailler dans leur langue. Qu’est-ce qui les empêche actuellement de travailler dans leur langue?
Un fonctionnaire unilingue, incapable de lire un message dans sa forme d'origine, pourra être induit en erreur par une traduction machine non révisée. Or, si toute traduction produite par Portage doit être révisée, il faudra un nombre considérable de réviseurs bilingues, ce qui occasionnera donc des coûts supplémentaires. Fait-on vraiment des économies? Qui seront ces réviseurs? Quelles compétences exigera-t-on d’eux? Voilà des questions auxquelles il faudra répondre à un certain moment.
Qu'en est-il des traducteurs professionnels? Depuis plus d’un siècle, les traducteurs fédéraux forment un groupe de spécialistes de la langue et de la traduction. Ils ont fait d’Ottawa la capitale de l’excellence en matière de traduction et d’interprétation. Ils sont notamment à l’origine de la professionnalisation du métier au cours des années 1920 et ils sont les pionniers de son enseignement durant les années 1930.
Les législateurs de trois provinces ont accordé le titre réservé de traducteur agréé aux traducteurs membres des associations professionnelles de ces provinces. Un statut professionnel leur a donc été reconnu. Les traducteurs jouent un rôle essentiel dans le respect de la dualité linguistique canadienne et exercent une profession à forte valeur symbolique. Ils sont considérés, par beaucoup de députés, ministres, sénateurs, comme le ciment de l'unité nationale. Des dizaines et des dizaines de témoignages vont dans ce sens.
Ce dont ils se plaignent, c'est le fait qu'on ne respecte pas leur statut professionnel. On leur dit non seulement ce qu'ils doivent faire, mais aussi comment ils doivent le faire. Or, le choix des procédés doit demeurer la prérogative de professionnels. Qu'ils soient fonctionnaires ne change rien à l'affaire. Dit-on aux comptables comment exécuter leur travail?
Les traducteurs fédéraux sont loin d'être réfractaires aux nouvelles technologies, mais ils sont très conscients que ces nouveaux outils, en particulier Portage, risquent d'avoir des effets néfastes sur la langue, la traduction et la profession de traducteur. Ils veulent bien utiliser la machine, mais ils ne veulent pas qu'on les transforme eux-mêmes en machines.
Venons-en maintenant au Bureau de la traduction, qui semble être à une croisée des chemins.
La Loi sur le Bureau de la traduction, adoptée en 1934, impose à cet organisme d'effectuer et de réviser toutes les traductions de tous les ministères et organismes de l'État. Durant les années consécutives à l'adoption de la Loi sur les langues officielles, le Bureau a connu un essor spectaculaire. Il a élargi la gamme des services offerts aux fonctionnaires et à l'ensemble de la population canadienne. Il a même acquis, en 1974, le droit de regard en ce qui concerne la normalisation linguistique au sein de l'administration fédérale.
On peut affirmer qu'en tant qu'organisme public, le Bureau de la traduction a fait preuve de dynamisme et de leadership, et qu'il a su innover au cours des 50 dernières années. Une liste impressionnante de ces innovations est d'ailleurs contenue dans mon mémoire.
Il incombe au Bureau de la traduction de produire des traductions de qualité, mais la loi ne dit pas que cela doit se faire au plus bas coût possible. La qualité a un prix. Il est faux de prétendre que la traduction coûte cher.
Historiquement, le budget du Bureau a toujours représenté moins de 1 % du budget global des dépenses nationales, lequel s'élève actuellement à 296 milliards de dollars. Est-ce que la comptabilité coûte cher? Est-ce que les experts-conseils coûtent cher? On pose rarement la question en ces termes, mais lorsque vient le temps de discuter de la traduction, immédiatement survient l'aspect financier.
Depuis une dizaine d'années, il y a une volonté très nette de réduire le plus possible les dépenses liées à la traduction. On évoque même une réduction de l'effectif du Bureau de l'ordre de 60 %. Au cours des trois dernières années seulement, on a cherché à réaliser des économies de 50 millions de dollars, notamment grâce aux nouvelles technologies. Est-ce un hasard si cette réduction de coûts coïncide avec l'intention de mettre en place un logiciel de traduction automatique, comme cela devait se faire le 1er avril?
Il faut redonner au Bureau de la traduction le contrôle de l'ensemble de la traduction au sein de la fonction publique fédérale, en conformité avec la loi qui le régit depuis 1934. Sinon, on risque de revenir au système anarchique qui régnait avant sa création. Je crois même qu'on en est rendu là. Je pourrai répondre à cette question si vous me la posez tout à l'heure. Je pourrai vous dire ce qui fait qu'on se retrouve actuellement dans le système anarchique qu'on a voulu éviter en 1934.
En outre, le Bureau est un organisme public et, en tant que tel, il a une mission qui n'est pas celle d'une entreprise privée de traduction. Je pourrai aussi vous expliquer cela davantage tout à l'heure.
Je peux me tromper — quoique j'en doute —, mais j'ai l'impression que l'on cherche à démanteler le Bureau de la traduction. Plusieurs indices me portent à le croire: le Bureau ne recrute plus de candidats; son effectif est en baisse constante; depuis quatre ans, il n'offre plus de stages, et même le programme de stages Traduca n'est plus financé. Est-ce qu'on prévoit ne plus avoir besoin d'autant de traducteurs?
En plus de disposer d'excellents interprètes qui accomplissent quotidiennement des prodiges de communication, le Bureau avait à son service une équipe de terminologues qui ont littéralement inventé cette nouvelle profession, et à qui l'on doit des réalisations remarquables saluées dans le monde entier. Or, le nombre de terminologues a considérablement diminué, au point où la composante terminologie du Bureau est presque en voie d’extinction. Cela représente une importante perte d’expertise, tout aussi importante que la perte des traducteurs techniques et scientifiques qui doivent prendre leur retraite ou qu'on met à la porte.
Il m’apparaît que le statut d'organisme de service spécial — ou OSS — du Bureau, qui date de 1995, l’empêche d’accomplir pleinement la mission qu’on attend d’un organisme public en matière d’innovation, de formation et de terminologie. Comme dans tous les domaines, quand on n’innove pas, on régresse. Compte tenu de son histoire intimement liée à l’évolution du Canada bilingue, le Bureau de la traduction me fait penser à un édifice patrimonial que des promoteurs voudraient démolir au nom d’impératifs financiers.
Pour conclure, je dirai que la traduction est un excellent baromètre qui nous renseigne sur le statut relatif, le poids et la vitalité d’une langue officielle par rapport à l’autre. La première langue qui risque de subir les effets néfastes des traductions machines est le français, et c'est la principale langue vers laquelle on traduit. Il y a eu 325 millions de mots traduits vers le français contre à peine 23 millions vers l'anglais au cours du dernier exercice. Les francophones au pays n’accepteront jamais que leur langue soit ravalée au rang de charabia technologique pour des raisons d’économie et de productivité.
Je vous remercie. Je suis disposé à répondre à toutes vos questions.
Merci beaucoup de votre présentation, monsieur Delisle.
Merci, madame Cardinal.
Comme nous sommes un peu en retard, nous allons entamer immédiatement la première ronde de questions de six minutes par participant.
Nous allons commencer par John Nater.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leurs discours.
Comme vous pouvez l'entendre, le français n'est pas ma langue maternelle. Je suis des cours de français, mais je n'ai pas le vocabulaire pour parler couramment en français. Donc, Google Traduction est mon meilleur ami. Je l'utilise souvent. C'est une aide pour moi et c'est une aide pour mes collègues. J'ai travaillé comme fonctionnaire au Conseil du Trésor pendant deux ans et j'aurais aimé avoir un outil de traduction.
[Traduction]
À mon avis, tous les outils qui peuvent contribuer à promouvoir le bilinguisme sont utiles, surtout pour ceux d'entre nous qui n'ont pas pu profiter de programmes d’immersion en français ou d'occasions d'utiliser notre seconde langue officielle pendant l'enfance et qui ont dû trouver d'autres façons de l'utiliser.
Nous avons entendu quelques témoins s'opposer à des outils comme celui-ci, et cela me préoccupe un peu. Cet outil ne remplacera jamais les traducteurs ou les professionnels de la traduction. J'en conviens tout à fait. Notre bureau a eu recours aux services du Bureau de la traduction. J'ai également utilisé ses services dans le cadre de mon emploi de fonctionnaire, et ils sont de qualité exceptionnelle. Je n'ai aucun commentaire négatif à cet égard.
J'aimerais me concentrer sur deux ou trois choses mentionnées par Mme Cardinal.
Vous avez établi une bonne comparaison avec les médias sociaux, mais j'en tire une conclusion différente. Oui, il y a des différences entre les médias sociaux et le journalisme, mais ces différences vont de pair. À notre avis, l'utilisation des médias sociaux comme outils journalistiques est comparable à l'utilisation que pourrait faire la fonction publique des outils de traduction professionnels qu'elle appuie.
À votre avis, un outil de traduction automatique pourrait-il être utilisé par les fonctionnaires dans leurs activités quotidiennes ou dans leur vie professionnelle?
[Français]
Je vous remercie de votre question.
Je n'ai pas dit qu'il fallait être contre tous les outils. Dans la vie, on utilise beaucoup d'outils, que ce soit pour laver ses vêtements, pour faire son ménage ou pour lire. Vous avez vous-même une tablette électronique. La technologie fait partie de notre vie. Personne ici ne dit qu'il faut retourner à l'âge de pierre; même à cette époque, on a développé des outils. L'outil fait partie de nous, nous ne pouvons pas nous en passer, mais tout dépend du contexte dans lequel on inscrit l'outil, parce qu'un outil n'est pas neutre. En ce moment, l'outil proposé l'est dans une approche utilitaire des langues officielles, qui vise à graduellement se défaire des traducteurs, remplacer les traducteurs.
Même si les médias sociaux donnent envie aux gens de devenir journalistes, ce domaine n'est pas en train de remplacer le métier de journaliste. Ce n'est pas parce que j'utilise un outil pour faire ma comptabilité qu'il n'y aura plus de comptables du jour au lendemain. Ce n'est pas parce que je suis versée dans le droit que cela fait de moi un avocat. On peut faire des parallèles ad infinitum avec les professions et on va toujours revenir à la même chose, c'est-à-dire que les outils ne sont pas là pour remplacer les gens, les professionnels, ils sont là pour aider à faire le travail.
C'est sûr que, dans l'histoire, des outils ont fait en sorte que des entreprises ont eu moins besoin d'ouvriers, entre autres.
Je ne suis pas ici pour faire l'histoire de la technologie, mais dans le cas présent, il faut voir aussi le contexte et la finalité qui guident les outils. Ensuite, il faut voir comment une politique dans ce domaine interagit avec la Loi sur les langues officielles. Dans ce cas, j'ai l'impression que l'interaction coince, c'est-à-dire que certains éléments ne vont pas ensemble. On veut utiliser un outil à des fins utilitaires dans un cadre de promotion des langues officielles, alors que l'objectif des langues officielles est de favoriser l'épanouissement et le développement, de favoriser l'utilisation des langues officielles, notamment. On n'est pas dans ce cas de figure.
[Traduction]
J'accepte votre argument, mais — en fait, je ne l'accepte pas. Je ne pense pas qu'on tente de faire valoir que les traducteurs professionnels deviendront inutiles. Au contraire, les traducteurs professionnels doivent jouer un rôle essentiel dans le domaine de la traduction.
Un outil de traduction automatique ne sera jamais utilisé pour traduire des documents officiels ou juridiques, mais il s'agit d'un outil essentiel, à mon avis, surtout — et encore une fois, je félicite le ministre Brison d'encourager la présence accrue des jeunes de la génération du millénaire dans la fonction publique.
Un outil de traduction automatique, un outil en ligne ou un logiciel de traduction, à mon avis, fait la promotion de la langue française ou des deux langues officielles. Je ne dis pas qu'il n'y a aucun défi. Par exemple, lorsque j'utilise Google Translate, j'ai de la difficulté avec la traduction obtenue, mais ce que je dis, c'est qu'il est essentiel d'avoir la possibilité d'utiliser un outil qui traduit de petits textes. Nous ne déplorons pas la perte des appareils télégraphiques et nous évoluons de la même façon dans ce cas-ci. Un outil en ligne comme celui-ci est essentiel.
J'aimerais toutefois aborder un autre sujet. Vous avez soulevé l'idée selon laquelle un tel outil pourrait enfreindre la Loi sur les langues officielles. J'aimerais que vous approfondissiez ce commentaire. De quelle façon l'utilisation d'un outil de traduction en ligne, d'un outil en ligne ou d'un logiciel de traduction comme celui-ci enfreint-elle la Loi sur les langues officielles, surtout lorsque cet outil n'est pas nécessairement utilisé pour traduire des documents officiels?
[Français]
Veuillez donner une réponse très courte, madame Cardinal, puisque nous avons excédé le temps de parole.
Alors je répondrai très rapidement.
Je pense qu'on devrait donner des outils aux traducteurs pour les aider à faire leur travail. Ce que vous dites va à l'encontre des données probantes qui montrent qu'il y a sans arrêt une baisse de l'effectif au sein du Bureau de la traduction.
En ce qui concerne le travail interne, ce n'est pas anodin. Les courriels courts, ce n'est pas anodin. Vous êtes tous sur vos iPhone, vous pouvez vous envoyer des trentaines, des quarantaines, des cinquantaines de courriels par jour. Écrire tous ces courriels en français, ou en tout cas en faire une partie en français, c'est quand même beaucoup de travail.
Comme dernier point, je pense qu'il y a un problème par rapport à la Loi sur les langues officielles. Dans la Loi ou en vertu des langues officielles, le français et l'anglais doivent être traités à égalité. Une langue machine et une langue idiomatique ne sont pas à égalité. Il y a une asymétrie du français et de l'anglais, et c'est là tout le problème du français dans la fonction publique fédérale. Vous allez accroître cette asymétrie, vous n'allez pas contribuer à la réduire.
Je vous remercie, madame Cardinal.
Passons au suivant.
Monsieur Lefebvre, je pense que vous allez partager votre temps de parole.
Oui, je vais le partager avec M. Fergus.
Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui.
Vous faites quelques constats forts avec le titre de votre mémoire: « La dualité linguistique au péril de la logique utilitaire au sein de la fonction publique fédérale ».
Monsieur Delisle, vous avez dit: « Les francophones au pays n'accepteront jamais que leur langue soit ravalée au rang de charabia technologique pour des raisons d'économie et de productivité. » Ce sont des mots forts.
Vous avez également dit que, à votre avis, la présente technologie visait à remplacer des humains.
Sur quoi vous basez-vous pour faire cette déclaration? Est-ce un fait ou est-ce que vous présumez cela? D'où découle ce commentaire?
D'accord.
J'ai dit cela lors d'un échange avec M. Paul Gaboury au journal Le Droit. Quand on voit la baisse de l'effectif au sein du Bureau de la traduction depuis plusieurs années, on ne peut pas ne pas se poser la question: est-ce pour remplacer des humains? Il y a des humains derrière les outils. Est-ce qu'on utilise les outils uniquement pour remplacer des traducteurs?
Encore une fois, je reviens à l'idée que tout le monde pense que c'est important, la traduction. C'est pour cela qu'on veut des outils. En même temps, pourquoi un outil de traduction sert-il à remplacer des traducteurs, alors qu'un outil de comptabilité ne sert pas à remplacer un comptable?
Selon vous, à quelle fin devrait servir cet outil de traduction? Quel est le but ultime de cet outil?
Un outil de traduction sert à aider le traducteur. Les outils qu'on utilise ne devraient pas avoir un statut officiel pour remplacer le travail de traduction et transformer les traducteurs en postéditeurs.
Il faut protéger la profession de traducteur. M. Delisle peut aussi vous en parler. C'est l'image du Canada qui est en jeu. Il ne faut pas oublier que la langue n'est pas économique; la langue est politique, la langue sert à l'unité de ce pays. Si on commence à tripatouiller, pour des raisons utilitaires, dans les enjeux de langues officielles, c'est l'unité du pays qui sera en jeu. Ce n'est pas à cause du Québec, c'est parce que le français et l'anglais sont les deux langues officielles du pays. Je n'ai pas à vous convaincre.
Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter quelque chose.
Tout dépend de la façon dont on utilise cet outil. Monsieur l'utilise pour comprendre certains textes. Cela ne me pose aucun problème. C'est problématique à partir du moment où on utilise le logiciel pour communiquer des messages ou pour faire des traductions professionnelles publiées.
Vous avez ici la Fiche de départ de l'employé de la fonction publique. Il y a une partie qui a été traduite en français par la machine. On peut lire: « L'achèvement de la “émis” des composantes de ce formulaire ». Comprenez-vous quelque chose? Le formulaire est imprimé en anglais d'un côté et en français de l'autre.
C'est cela que nous voulons dénoncer, c'est-à-dire l'emploi de la machine pour publier des textes.
Voilà pourquoi je vous demandais quel était le but de l'outil, à votre avis, et si l'outil était utilisé pour faire des communications externes.
Je crois que M. Fergus va maintenant poursuivre.
Juste avant, j'aimerais vous demander, monsieur Delisle, de déposer auprès du greffier le document auquel vous venez de faire référence.
Monsieur Fergus, vous avez la parole.
Je remercie les témoins d'être venus nous rencontrer.
Je suis tout à fait d'accord avec votre analyse de base et ce que vous proposez dans vos deux essais. C'est peut-être parce que j'ai grandi dans la banlieue de l'Ouest de Montréal. J'étais le seul Noir dans un quartier de Blancs. J'étais le seul anglophone parmi plusieurs francophones. Je suis donc très sensible à la question des minorités.
Ce que j'aime de votre contribution à ce débat, c'est que vous posez la question: à quoi servent les outils, à quoi sert la traduction? Pour moi, cela sert à s'assurer que les fonctionnaires anglophones ou francophones auront le droit de s'exprimer et de se faire comprendre dans leur langue. Alors, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous sur vos recommandations, mais je le suis en bonne partie.
Monsieur Delisle, vous avez mentionné que la technologie moderne accomplissait des merveilles, encore fallait-il qu'elle soit utilisée à bon escient. Je pense que vous avez tout à fait raison. Quel type de balises faut-il? Je maintiens que c'est important d'utiliser cet outil comme un outil pour la compréhension et non pour la traduction. On sait bien que si on commence à faire cela, les francophones vont commencer à écrire des messages en anglais.
Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Une de mes recommandations, c'est que l'on suspende, pour l'instant et jusqu'à nouvel ordre, le projet de déploiement du logiciel pour qu'on examine un peu les conséquences que cela pourrait avoir et comment les fonctionnaires pourraient l'utiliser. Si c'est pour lire un message et pour comprendre un texte, il n'y pas de problème, mais si c'est pour publier des choses, cela devient problématique. Il faudrait établir des balises pour faire réviser les textes par des personnes compétentes.
Il est important de mentionner que cela s'applique non seulement aux communications officielles, mais également aux communications informelles.
Absolument.
Il faut en quelque sorte qu'un guide du bon usage des technologies soit élaboré. C'est ce que je pense à ce sujet.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie aussi nos invités qui ont fait des présentations très intéressantes. C'est un débat qui découle d'une controverse sur l'utilisation de cet outil.
On a dit qu'il pourrait servir à rédiger de courts textes et même à faire la promotion des langues officielles. D'ailleurs, on mentionne encore qu'il pourrait être utile pour faire la promotion des langues officielles.
J'ai posé la question à tous les autres invités, à savoir s'il y a eu des études de risque en ce qui concerne l'utilisation de l'outil Portage ou de Google Traduction par les fonctionnaires relativement au respect des langues officielles. On parle, entre autres, des sections IV et V. Vous êtes des experts à ce sujet. Existe-t-il des études de risque à cet égard? S'il n'y en a pas, comment peut-on expliquer l'empressement de vouloir déployer cet outil alors que les libéraux se sont fait élire en disant qu'ils allaient maintenant respecter la science? Il est effectivement très important de baser nos décisions sur la science. Donc, si nous prenons nos décisions en nous basant sur la science, attendons les études scientifiques ou faisons ces études.
Qui pourrait les faire à ce sujet?
Je vous remercie de votre question, monsieur Choquette.
Les données probantes sont fondamentales si on veut faire des politiques publiques qui peuvent servir le bien commun. Généralement, dans le domaine des langues officielles, il n'y a pas d'analyse qu'on pourrait appeler « différenciée selon la langue », notamment en aval et non seulement en amont. Souvent, on regarde des choses et, une fois que la catastrophe a eu lieu, on étudie pourquoi elle est arrivée alors qu'on aurait pu la prévenir.
Dans ce cas-ci, je pense qu'on se trouve dans un cas de figure où il aurait fallu une lentille linguistique, une lentille de langue officielle, pour s'assurer que cet outil n'allait pas avoir un effet néfaste sur la promotion des langues officielles, même si c'est pour un travail de rédaction de courriels.
Au gouvernement fédéral, en ce moment, il y a ce qu'on appelle « un filtre ». À la suite de l'arrêt dans l'affaire Desrochers, le gouvernement s'est donné un filtre pour s'assurer que ses programmes, notamment en ce qui a trait à l'épanouissement et au développement des minorités de langue officielle, n'affectent pas de façon défavorable ces minorités. C'est qu'on a appelé « un filtre ».
Les fonctionnaires doivent passer les programmes au test de ce filtre. Personnellement, je trouve que, dans la fonction publique fédérale, pour tout programme, il ne faut pas seulement qu'il y ait un filtre. Il faudrait faire une analyse différenciée selon la langue, comme on le fait avec l'analyse différenciée selon le sexe, c'est-à-dire s'assurer que les programmes et les politiques du gouvernement sont compatibles et ne vont pas à l'encontre de la promotion des langues officielles. Ce serait tout à fait utile pour l'ensemble de la fonction publique fédérale, mais dans ce cas présent, cela aurait été fondamental qu'il y ait ce genre de travail au préalable. Les langues officielles sont une question trop délicate pour commencer à tripatouiller là-dedans.
Monsieur Delisle, j'aimerais revenir à ce que vous mentionniez concernant la mission du Bureau de la traduction
Depuis plusieurs années, non seulement y a-t-il une attrition au chapitre de l'effectif, mais en plus, on n'engage plus de nouveaux traducteurs. Il n'y a même plus de stagiaires qui sont acceptés au Bureau de la traduction.
J'aimerais vous entendre sur les conséquences en ce qui concerne la mission première du Bureau de la traduction. Vous avez rédigé de nombreux articles ce sujet. Vous êtes un spécialiste. J'aimerais vous entendre sur cette question.
Je vous remercie beaucoup de votre question, qui est vraiment au coeur du débat. Elle va me permettre de résumer mon mémoire qui est beaucoup plus long que la présentation que j'ai faite.
Mon diagnostic actuel est que le Bureau est dans une situation bancale, c'est-à-dire qu'il est à la fois une entreprise privée — ou bien il aime se définir ainsi — et un service public. En tant que service public, il doit assurer la traduction de textes qui ont une cote de sécurité, donc qui sont plus ou moins confidentiels. Il doit de plus assurer la mise à jour de la terminologie — on a une banque de terminologie comme Termium, qui est un fleuron du Bureau — et il doit assurer l'interprétation parlementaire. À ce sujet, on sait qu'il n'y a que deux programmes d'interprétation qui sont offerts au pays, l'un à l'Université d'Ottawa, et l'autre, depuis tout récemment, à l'Université York, au Collège Glendon. Ces deux programmes sont financés abondamment par le gouvernement fédéral. Supprimez le financement et aucune université n'aura les moyens d'offrir un programme de formation d'interprètes de conférence, puisque c'est un programme qui attire sept, huit, neuf ou dix candidats dans les meilleures années. Pour une université, ce n'est pas rentable. Les responsabilités du Bureau que je viens d'énumérer font partie selon moi de la mission du gouvernement et de celle du Bureau lui-même.
Un autre aspect relatif à cette mission est la formation de la relève. Il a été mentionné lundi dernier que les traducteurs techniques quittent le marché du travail une fois parvenus à l'âge de la retraite et qu'il n'y a pas de relève. C'est grave. On sait que le Bureau n'offre plus de stages aux étudiants depuis au moins quatre ans. En tant qu'entreprise privée, son objectif est de réaliser la traduction au meilleur coût possible. Qu'est-ce que le Bureau a fait pour y arriver? Il a réduit le recrutement, comme le fait n'importe quelle grande entreprise qui veut rationaliser sa productivité. Le service de terminologie a subi des coupes. Il s'y fait actuellement à peu près 10 % de la terminologie qui s'y faisait à une certaine époque. On n'offre plus de stages pour former la relève. Plusieurs domaines sont donc touchés.
De plus, il s'est développé une situation anarchique au sein de la fonction publique fédérale en ce qui a trait à la traduction. Il y a des services fantômes dans les ministères où des gens font de la traduction alors qu'ils ne sont pas censés en faire. D'autres portent le titre de conseillers linguistiques alors qu'ils sont en fait des traducteurs. Ils ne sont pas non plus à leur place. La traduction se fait dans tous les ministères et elle ne semble pas être coordonnée comme elle devrait l'être selon la Loi sur le Bureau de la traduction.
À mon avis, le logiciel Portage constitue plutôt un symptôme que la cause de la situation trouble que vit actuellement le Bureau de la traduction. En 1934, pourquoi a-t-on a créé le Bureau de la traduction? On l'a créé parce que la situation était aussi anarchique que celle qu'on vit actuellement. Le ministre et secrétaire d'État de l'époque, M. Caan, avait très bien dit qu'il fallait créer un bureau pour coordonner la traduction dans l'ensemble de la fonction publique et pour éviter le développement désordonné de la traduction. Le mot « désordonné » est celui qu'il a utilisé. J'ai l'impression qu'on revit actuellement ce même développement désordonné. C'est mon point de vue à ce sujet.
Merci, monsieur Delisle.
Comme le temps file, Mme Lapointe aura la parole pendant deux minutes. Elle sera suivie de M. Arseneault pour deux autres minutes.
Merci, monsieur le président.
Je remercie beaucoup les témoins d'être ici parmi nous aujourd'hui. J'apprécie vos analyses qui semblent franchement très justes et je suis certaine que vous avez pris le temps de préparer vos positions à ce sujet.
Plus tôt cette semaine, nous avons reçu des gens du Centre de recherche en technologies langagières. Vous connaissez sûrement M. Barabé et M. Bernardi. Ils nous ont mis en garde contre le logiciel Portage et ont suggéré que si des fonctionnaires devaient l'utiliser, il faudrait les informer du fait qu'il s'agit d'un outil pour favoriser la compréhension et non d'un outil de traduction ou de communication. J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet.
Ils nous ont aussi appris que les fonctionnaires utilisent déjà grandement Google Translate. Dans le cas de ce logiciel, dès qu'un texte est soumis pour la traduction, il n'appartient plus à personne et se retrouve sur d'autres serveurs. J'aimerais savoir également ce que vous pensez de cela.
Je suis tout à fait d'accord avec vous. Émettre un avis indiquant que la traduction a été faite par une machine pour qu'elle ne soit pas diffusée était une bonne idée. Vous avez raison. Les traductions de Google Traduction appartiennent à Google. L'avantage de l'outil Portage est qu'il sera sur un serveur canadien. Dans le cas de textes du gouvernement, il est tout à fait raisonnable de penser qu'il faudrait que l'information reste au pays. J'étais tout à fait favorable à cela. En fait, je ne suis pas opposé en principe à l'outil Portage, mais je m'oppose à son utilisation. Je ne veux pas revenir là-dessus.
Je crois qu'il me reste encore du temps.
Madame Cardinal, vous disiez qu'il n'y avait plus de cours de français pour les fonctionnaires. Vous avez mentionné que le français écopait. Avez-vous des chiffres pour appuyer cet énoncé?
J'ai dit que les médias nous ont appris cela. On a annoncé, il y a quelques années, la privatisation de l'enseignement des langues. Comme je le disais, on peut présumer que les cours de français sont ceux qui ont été privatisés parce qu'on sait que c'est une langue officielle, mais la seconde langue officielle .
Non, mais vous allez trouver cela partout dans les médias. Cela a été rapporté, il y a quelques années, quand l'ancien gouvernement l'a fait. La privatisation d'une dimension des langues officielles au sein de la fonction publique a été la source d'une grande tristesse.
Madame Cardinal et monsieur Delisle, je vous remercie de votre présence parmi nous.
Je suis du Nouveau-Brunswick, qui est la seule province officiellement bilingue au Canada. Je suis extrêmement sensible à tout ce que vous nous avez dit aujourd'hui et à tout ce que vous nous avez souligné. Je le vis chez moi. Nous avons les mêmes préoccupations.
Madame Cardinal, un peu plus tôt, mon collègue, M. Nater, vous a posé une question relative à la loi et vous n'avez pas eu le temps d'y répondre. Vous avez mentionné que l'outil Portage pouvait contrevenir à la Loi sur les langues officielles. Pouvez-vous préciser votre réponse à ce sujet?
En fait, j'ai un doute. Je me dépêchais de répondre parce que nous sommes pressés par le temps. Je dis qu'il faut voir l'interaction entre les politiques qu'on adopte et la Loi sur les langues officielles. Il faut s'assurer que cela répond toujours aux objectifs de la Loi sur les langues officielles. Dans ce cas, j'ai dit que quelque chose clochait. Je ne suis pas convaincue que cela permet de renforcer le droit des francophones de pouvoir communiquer dans la langue officielle de leur choix ou que cela permet aux fonctionnaires de travailler dans la langue officielle de leur choix. Il faut essayer d'analyser une proposition, comme l'outil Portage, à lumière de son interaction avec la Loi sur les langues officielles. Je n'ai pas l'impression que c'est un exercice qui a été fait et, s'il a été fait, il faudrait le refaire.
Aucune recherche n'a été faite à ce sujet. Je pense que vous devriez peut-être retourner à l'arrêt dans la cause DesRochers, qui a donné lieu au filtre dont je parlais un peu plus tôt. Dans l'affaire DesRochers, on retrouve l'idée que les communications doivent être de qualité égale. Quand on a affaire à une langue robot et à une langue idiomatique, on n'est pas dans un rapport d'égalité. Cela ne fait que renforcer l'asymétrie des langues officielles.
Merci beaucoup, monsieur Arseneault.
Nous sommes un peu bousculés par le temps parce qu'il y a deux autres groupes qui doivent comparaître après vous.
Je vous remercie énormément tous les deux de vos excellentes présentations.
Nous allons prendre une pause de quelques minutes pour laisser aux autres témoins le temps de prendre place parmi nous.
À l'ordre, s'il vous plaît.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons l'étude sur le Bureau de la traduction.
Nous recevons Mme Sylviane Lanthier, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, ou FCFA, et Mme Suzanne Bossé, qui en est la directrice générale.
Mesdames, je vous souhaite la bienvenue.
Nous recevons aussi Mme Maryse Benhoff, vice-présidente de l'Association de l'industrie de la langue, ou AILIA.
Je vous souhaite à toutes la bienvenue. Vous disposez de dix minutes pour faire votre présentation. Par la suite, nous passerons à la période de questions et de commentaires.
Nous commençons avec vous, madame Lanthier.
Monsieur le président, membres du comité, je tiens à vous remercier d'avoir invité à nouveau la FCFA à comparaître devant vous aujourd'hui. Sachant qu'il s'agit de la deuxième invitation que vous nous faites en deux mois, je suis très encouragée par la volonté de ce comité d'être à l'écoute des communautés francophones et acadienne.
Comme plusieurs autres intervenants en matière de dualité linguistique, nous avons suivi de près le dossier du Bureau de la traduction et du système automatisé Portage. Pour la FCFA, cet enjeu s'inscrit dans un contexte beaucoup plus large, soit celui d'une érosion généralisée des capacités des institutions fédérales en matière de communications dans les deux langues officielles. Cet affaiblissement s'est accentué depuis les compressions dans le cadre de la lutte au déficit, en 2011-2012.
Dans la foulée de l'examen stratégique et fonctionnel des dépenses, la Fédération a d'ailleurs été parmi les premiers intervenants à s'inquiéter de l'impact cumulatif des compressions budgétaires sur les capacités de l'appareil fédéral de s'acquitter de ses obligations linguistiques. À l'automne 2012, le commissaire aux langues officielles déclarait avoir reçu une série de plaintes relatives aux compressions et que des fonctionnaires craignaient, dans la foulée de celles-ci, de perdre leur droit de travailler dans la langue officielle de leur choix.
Bon an, mal an, la FCFA transige avec une vingtaine d'institutions fédérales. Nous sommes donc bien placés pour constater cette perte de capacités des institutions fédérales. Au cours de la dernière année, la Fédération a déposé trois plaintes concernant des communications en anglais seulement ou des traductions fautives. II y a de quoi demeurer perplexe, par exemple, lorsque dans un document officiel destiné au grand public, un ministère nous parle d'un « modèle de réseau en rayon de bagnole ». Il y a de quoi rire jaune. Quand on consulte la version anglaise, on comprend qu'on a cherché à traduire hub and spoke model, ce qu'on appelle en bon français un « réseau en étoile ».
Dans un contexte ou plusieurs institutions fédérales ont vu une perte de ressources et où 31 % des emplois au Bureau de la traduction ont disparu, on ne saurait se surprendre qu'on tourne souvent les coins ronds dans l'appareil fédéral en ce qui a trait aux communications dans les deux langues officielles. Cela ne change rien, cependant, aux obligations linguistiques des institutions, et c'est là que nous partageons les préoccupations de plusieurs intervenants relativement à l'outil Portage.
Quand on s'attarde à l'ensemble des témoignages faits devant votre comité, deux choses nous sautent aux yeux: il y a un manque de clarté quant au problème que le Bureau de la traduction essaie de régler ainsi qu'une confusion en ce qui a trait à l'utilisation qu'on veut faire de cet outil. Si, tel que le Bureau de la traduction l'indique, cet outil doit servir uniquement à des échanges informels entre fonctionnaires, il y a un risque de porter atteinte à la partie V de la Loi sur les langues officielles et au droit des fonctionnaires de travailler dans la langue officielle de leur choix.
Si mon collègue de langue anglaise m'envoie un courriel et que la traduction est bancale au point que j'ai du mal à comprendre ce qu'il cherche à me dire, je vais peut-être lui répondre en anglais pour m'assurer simplement d'être bien comprise. Si, tel que le craint l'Association des traducteurs et interprètes de l'Ontario, la fonction publique en vient à faire une utilisation beaucoup plus large de ce nouvel outil de traduction automatisé, il s'agira dans ce cas d'une infraction à la partie IV de la Loi sur les langues officielles. D'une façon ou d'une autre, puisque la grande majorité des traductions se font de l'anglais vers le français, ce seront les francophones, citoyens ou fonctionnaires, qui en souffriront.
Dans une lettre adressée à la ministre Foote, la Corporation des traducteurs, traductrices, terminologues et interprètes du Nouveau-Brunswick déclarait que le déploiement de Portage, quel que soit l'usage que l'on se propose d'en faire, constitue un dangereux précédent. La FCFA est du même avis. II y a de fortes chances que l'implantation de l'outil Portage soit perçue, au sein de la fonction publique, comme une légitimation des systèmes de traduction automatisée comme moyens parfaitement acceptables d'assurer des communications dans les deux langues officielles.
Dans sa présentation devant ce comité, la présidente-directrice générale du Bureau de la traduction a fait un lien direct entre le grand nombre de recherches qui se font sur Google Traduction dans la fonction publique et l'importance d'offrir un outil pour garantir, à tout le moins, que le contenu traduit reste derrière le pare-feu du gouvernement du Canada. Nous nous demandons quel message on cherche ici à lancer.
L'intention du Bureau de la traduction est-elle de dire que puisque les fonctionnaires se servent déjà abondamment de systèmes de traduction automatisée, il faut accepter ce fait accompli et leur donner un système canadien? Si c'est le cas, c'est partir d'une fausse prémisse pour régler le problème. II faut plutôt commencer par se demander pourquoi, justement, il y a tant de recherches sur Google Traduction et d'autres systèmes similaires. Selon nous, trois facteurs contribuent à cet état de fait.
J'ai parlé plus haut de l'érosion des ressources au sein de l'appareil fédéral. Les compressions effectuées au cours des dernières années font en sorte que les institutions fédérales doivent s'acquitter d'une variété d'obligations avec des ressources réduites.
Parallèlement, les compressions au Bureau de la traduction ont eu pour conséquence d'affaiblir ses ressources internes. A cet égard, le témoignage des représentants de I'Association canadienne des employés professionnels devant le comité, avant-hier, était assez saisissant.
Je note au passage que les compressions budgétaires de 2011-2012 ont aussi eu pour effet de réduire la capacité du Bureau de la traduction d'offrir des stages. La fin du programme Traduca, survenu presque au même moment, a d'ailleurs limité encore plus les possibilités de stages en traduction. Traduca, qui était financé à même la feuille de route pour la dualité linguistique 2008-2013 et géré par la Fédération de la jeunesse canadienne-française, a permis de créer 344 stages en trois ans. L'impact de cela pour les étudiants, c'est la disparition de débouchés, et l'impact pour le Bureau de la traduction, c'est la disparition d'une relève.
Le deuxième facteur est le suivant: en plus d'un manque de compréhension chez certains fonctionnaires en ce qui a trait aux obligations linguistiques des institutions fédérales, plusieurs ne sont pas conscients des limites des systèmes de traduction automatisée. II n'est pas difficile de concevoir qu'un unilingue anglophone, qui ne peut vérifier la qualité d'une traduction, croie sincèrement avoir trouvé un outil très performant, surtout si personne ne lui dit le contraire.
Cela revient a un problème identifié par la FCFA dans un mémoire présenté en 2009 à I'occasion du 40 e anniversaire de l'adoption de la Loi sur les langues officielles. En l'absence d'une coordination centrale qui viserait une compréhension et une application cohérentes de la loi d'un bout à l'autre de l'appareil fédéral, les institutions fédérales sont souvent laissées à elles-mêmes pour déterminer comment elles s'acquitteront de leurs obligations linguistiques. A titre d'exemple, le commissaire aux langues officielles a lui-même déclaré, en janvier, que dans le cadre de l'exercice de lutte au déficit en 2011-2012, le secrétariat du Conseil du Trésor n'a fourni aucune orientation aux institutions fédérales sur leur obligation d'analyser et d'atténuer les répercussions négatives potentielles sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Je résume donc: compressions budgétaires, manque de compréhension et absence d'une coordination centrale. Si on additionne ces trois facteurs, on obtient, comme le dirait sans doute Google Traduction, un « orage parfait ». Je le répète, comme la majorité des traductions se font de l'anglais vers le français, ce sont les francophones qui en font les frais.
Nous savons que la ministre Foote a reporté la mise en application de l'outil Portage et nous en sommes très heureux. C'est une belle occasion de prendre des mesures pour aller à la source du problème en ce qui a trait à I'érosion des communications dans les deux langues officielles au sein de l'appareil fédéral. Je termine donc avec ces recommandations.
Premièrement, comme je l'ai indiqué plus haut, il semble y avoir une confusion quant à I'utilisation que l'on prévoit faire de l'outil Portage. Nous recommandons que le gouvernement commence par identifier clairement le problème à régler et les besoins en matière d'appui aux communications dans les deux langues officielles.
Deuxièmement, il nous semble que le contexte se prête très bien à une révision complète des outils et des pratiques en matière de traduction au sein de l'appareil fédéral, y compris tout ce qui se fait sur le plan de la sensibilisation et de la formation sur les obligations linguistiques et les communications dans les deux langues officielles.
Troisièmement, il est essentiel que tous les fonctionnaires, peu importe leur lieu de travail ou leur langue de travail, aient une formation sur les obligations linguistiques et sur les outils appropriés pour s'acquitter de ces obligations.
Quatrièmement, les témoignages de nombreux intervenants brossent le portrait d'un Bureau de la traduction en crise. Cela laisse planer un doute important sur les capacités de celui-ci à jouer adéquatement, à moyen et à long terme, son rôle d'appui à I'ensemble de l'appareil fédéral. Sachant que plusieurs institutions fédérales transigent avec des entreprises privées pour la traduction, nous recommandons que le gouvernement mène une étude sur l'efficience et l'efficacité des deux modèles, soit celui secteur public et celui du secteur privé.
Enfin, et je ne peux trop insister là-dessus, on s'éviterait bien des problèmes, en matière de respect des obligations linguistiques, si le gouvernement désignait au sein de l'appareil fédéral quelqu'un ou une organisation responsable de veiller à la bonne compréhension de ces obligations et à I'application cohérente de la Loi sur les langues officielles.
Je vous remercie.
Merci beaucoup, madame Lanthier.
Nous allons maintenant entendre Mme Benhoff, de l'Association de l'industrie de la langue.
[Traduction]
Merci d'avoir invité l'AILIA, l'Association de l'industrie de la langue, à donner son avis dans le cadre de ces discussions importantes. Permettez-moi de vous parler brièvement de l'AILIA.
L'organisme a été créé en 2003, et sa mission est d'accroître la visibilité de l'industrie de la langue, d'en faire la promotion et de la défendre, d'accroître sa compétitivité, d'agir à titre de porte-parole pour l'industrie, de diffuser l'information et d'appuyer des normes élevées sur le plan de la qualité, par exemple l'élaboration de la norme nationale CGSP 131.10. Tous les membres de notre conseil sont des bénévoles.
Lorsque nous avons reçu l'invitation à comparaître devant votre Comité, nous avons demandé à tous les membres de l'AILIA de formuler des réponses à quelques questions, et je vous présenterai ces réponses aujourd'hui.
Voici les questions. Quel a été l'impact de la traduction automatique sur votre entreprise, sur le marché et sur le Bureau de la traduction? Pouvez-vous décrire votre expérience de travail avec le Bureau de la traduction? Les commentaires qui suivront sont une combinaison des réponses à toutes ces questions.
Tout d'abord, nous avons recensé des croyances erronées selon lesquelles la traduction automatique avec postédition pouvait donner des résultats comparables à ceux obtenus par la traduction professionnelle. On croit de plus en plus, dans l'industrie, que la traduction automatique avec postédition produit des résultats comparables à ceux des traducteurs professionnels ou qu'on peut utiliser des outils de mémoire de traduction à cette fin, ce qui est faux. Les clients sont prêts à se lancer dans cette aventure technologique à risque élevé sans s'informer. Peu importe la façon dont on l'utilise ou dont on la perçoit, la traduction automatique demeure une technologie à risque élevé pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, ce processus ne fait intervenir aucune activité de traduction ou de communication réelle. La façon dont la population interprète le terme « traduction automatique » et son fonctionnement est complètement erronée. Comme nous le savons, la traduction automatique repose uniquement sur la correspondance statistique. Cet outil ne fait pas appel aux compétences des humains en matière de compréhension et de connaissances langagières ou pour confirmer le sens. Par conséquent, les outils de traduction automatique génèrent toutes sortes d'erreurs imprévues et des traductions sans queue ni tête qui peuvent parfois contenir des propos offensants.
Nous avons constaté qu'il y a un manque de compréhension à l'égard des conséquences réelles de la postédition. En effet, dans les activités de postédition, des gens révisent et tentent d'améliorer le produit brut livré par l'outil de traduction automatique, une tâche extrêmement complexe en raison des erreurs imprévues et des traductions qui n'ont aucun sens, ce qu'on ne verrait jamais dans le travail d'un traducteur humain. L'industrie doit faire face au manque de compréhension flagrant de la population en ce qui concerne le temps requis pour les activités de postédition découlant de l'usage non contrôlé d'un outil de traduction automatique.
Dans le cadre de ces discussions, nous avons entendu parler des activités de pré-édition et de postédition requises pour pouvoir utiliser la traduction automatique. Les gens ne comprennent pas cela — même un grand nombre de traducteurs d'expérience dans l'industrie ne le comprennent pas. Autrement dit, les activités de postédition sont très différentes des activités de révision professionnelle. C'est un type de travail pour lequel il n'existe pratiquement aucune formation. Ce type de travail est tellement différent qu'on élabore actuellement une norme ISO à cet égard, et j'en ai fourni un exemplaire au greffier, afin qu'il puisse le distribuer. Le processus est à l'étape DIS. Je ne peux pas vous fournir la norme. Vous pouvez seulement consulter le lien.
Sa description est intéressante. La partie sur le traitement des données préalable à la production indique qu'il faut tout d'abord déterminer si le contenu dans la langue de départ convient à la traduction automatique, qui diffère beaucoup des autres outils. Puisque les activités de postédition qui seront effectuées par la suite, en combinaison avec l'efficacité de la traduction automatique, dépendent du système de traduction automatique, de la combinaison de langues, et du domaine, du style et du contenu de la langue de départ, ces activités sont très complexes, et c'est ce que je tente de démontrer. En effet, une norme de 20 pages sera publiée à cet égard.
Elle précise en outre que les exigences liées aux activités de postédition doivent être recensées, documentées et communiquées aux postéditeurs au début du projet. Les postéditeurs doivent connaître le niveau d'utilité estimé du produit de la traduction automatique.
Des indications doivent également être fournies au postéditeur pour qu'il soit en mesure de distinguer les parties produites par la traduction automatique des traductions venant d'autres sources. L'utilisation de la traduction automatique pure et brute suit donc un processus très différent.
Nous avons recueilli de nombreux commentaires.
Nous avons constaté que les demandes de postédition qui se trouvent sur le marché nécessitent souvent une retraduction complète. Notre expérience la plus récente démontre que cela se produit surtout parce que la plus grande partie des produits fournie par la traduction automatique est inutile. Les experts doivent intervenir dès le début du processus, c'est-à-dire qu'ils doivent utiliser l'outil, le programmer et l'alimenter en information, ce qui signifie qu'il faut maintenant expliquer aux clients que ce type de traduction n'est pas plus rapide ou moins dispendieux, et ce n'est pas une tâche facile. C'est un fardeau nécessaire dans l'industrie en général.
Au bout du compte, nous nous retrouvons avec un processus présentant un risque élevé, mais qui offre peu de gains en efficacité lorsqu'on a besoin d'une vraie traduction.
L'erreur stratégique la plus souvent commise, c'est qu'on utilise les experts langagiers à la fin du processus, où ils doivent trouver et corriger les erreurs et les contresens produits par l'outil de traduction automatique.
Nous comprenons parfaitement les défis liés à la hausse presque exponentielle des besoins en traduction et en communications multilingues dans l'ensemble de la société et du gouvernement. Toutefois, nous croyons fermement que l'utilisation directe de la traduction automatique par des employés du gouvernement du Canada qui ne sont pas des experts langagiers, sans avoir recours aux experts langagiers pour superviser ou vérifier les résultats ou sans adopter de politiques strictes pour empêcher le partage ou la diffusion des produits de la traduction automatique, présente des risques inacceptables qui dépasseraient les avantages et l'utilité qu'on espère en tirer. La traduction automatique n'élimine pas complètement ces risques.
Que pouvons-nous dire au sujet des outils de traduction automatique utilisés par la population?
Ces outils devraient être utilisés seulement pour obtenir une traduction sommaire, du type fourni depuis longtemps par Google. Lorsqu'une personne obtient l'idée essentielle d'un texte qu'elle ne comprend pas, cela ne signifie pas que cette traduction sera aussi utile que le pense la personne. Cela peut l'aider à déterminer, par exemple, si le texte doit être traduit, si elle en a besoin ou si le texte est pertinent. Encore une fois, il peut s'agir d'une idée fausse. En effet, il se peut qu'on ne parvienne pas à comprendre suffisamment le contenu, même avec l'aide d'un outil de traduction automatique.
L'outil mis au point par le Bureau de la traduction est susceptible d'être mal utilisé et il peut entraîner de fausses interprétations. L'industrie ne le connaît pratiquement pas. J'ai dû demander à être invitée à une démonstration.
D'après ce que j'ai vu, c'est essentiellement un outil de base. Il n'offre aucune capacité bitexte et aucune analyse préliminaire du contenu. Au mieux, il fournit seulement des correspondances statistiques comme celles utilisées par Google. L'outil peut réussir à donner une idée du contenu, mais comment pouvons-nous affirmer que les fonctionnaires n'utiliseront pas cet outil dans leurs communications?
Nous avons tous entendu parler des unités fantômes qui existent un peu partout au sein du gouvernement fédéral. Si ces unités ne se conforment pas aux lois en vigueur, comment pouvons-nous affirmer qu'elles s'en tiendront à l'usage prévu une fois qu'elles auront cet outil?
Dans le cas de la traduction automatique, l'image ou le message reçu par la population, c'est que ce type de traduction est maintenant approuvé par le gouvernement.
Passons maintenant à nos recommandations. La première vise l'éducation: il faut d'abord éduquer les parlementaires, les fonctionnaires et les employés du gouvernement fédéral. Il faut poursuivre cet effort dans tous les documents qui se trouvent sur le site Web du Bureau de la traduction. Nous présumons que cet outil est là pour rester. Il faut les éduquer sur la philosophie, le concept et les utilisations qui seront faites, au bout du compte, des outils de traduction automatique. Il faut les éduquer au sujet de la profession de traducteur et de réviseur et sur la postédition. Il faut également éduquer le Bureau de la traduction sur le respect du public visé, sur les gains et les risques, et sur la façon de créer un accès sans provoquer le chaos.
Il faut également informer la population. Nous devons déterminer la valeur que nous accordons à notre patrimoine linguistique et la qualité de la langue que nous souhaitons utiliser pour communiquer avec nos citoyens.
Nous sommes convaincus que toute stratégie du gouvernement du Canada qui consiste à imposer l'utilisation du produit de la postédition des textes issus des outils de traduction automatique est une stratégie dangereuse qui risque de transformer une expertise de renommée mondiale accumulée au fil des décennies en production de masse de piètre qualité indigne du fier patrimoine culturel du Canada, de son gouvernement, de ses citoyens et de sa position enviable parmi les pays développés.
Cela pourrait entraîner la destruction graduelle d'un secteur économique prospère du Canada et toucher des milliers d'emplois hautement spécialisés. Ce secteur pourrait ensuite être remplacé par une industrie à valeur peu élevée aux emplois peu rémunérés qui sera probablement ensuite transplantée dans d'autres pays où les salaires reflètent les piètres conditions de vie.
Pour corriger le tir, utilisez les experts langagiers au début du processus. Comme nous l'avons entendu, les outils destinés aux communications véritables doivent être confiés aux traducteurs professionnels. Ainsi, il faut utiliser les experts langagiers au début du processus et leur donner le contrôle, car ils seront en mesure d'analyser le contenu et de prendre des décisions optimales avant de lancer le processus.
Eh bien, vous avez tout cela par écrit... c'est comme vous voulez. Je peux m'arrêter ici, et le reste des recommandations...
Merci. Nous pourrions passer aux questions et aux commentaires, et vous serez peut-être en mesure d'inclure le reste de votre exposé dans vos réponses à certaines des questions.
[Français]
Merci beaucoup.
Nous allons passer immédiatement à la période des questions, en commençant par Mme Boucher.
Madame Boucher, allez-vous utiliser les six minutes au complet?
Merci, monsieur le président.
Les témoins ont dit beaucoup de choses et beaucoup de questions reviennent, mais il y a différentes réalités à considérer.
Il y a la réalité des fonctionnaires, qui ont des documents volumineux à traduire et qui doivent les traduire dans un français impeccable. Il y a aussi notre réalité de parlementaires. Quand il y a des débats et que, au gouvernement, il faut rédiger des discours, habituellement, on reçoit des textes de la part de la machine gouvernementale.
J'ai vécu de telles situations quand j'étais à l'époque secrétaire parlementaire, que ce soit pour les langues officielles ou pour la condition féminine. On recevait souvent des documents cinq minutes avant de se présenter à la Chambre. Tout était en anglais. Que pouvait-on faire? On utilisait donc Google Traduction. On essayait de savoir en gros ce que voulait dire le texte. Par la suite, on corrigeait au meilleur de nos connaissances. C'est la réalité que nous vivons.
Je me pose donc la question suivante. Les gens qui sont venus nous parler de l'outil Portage ont dit que ce n'était pas pour produire des documents qu'on pouvait partager avec tout le monde. Par conséquent, quelle serait la meilleure façon de faire et la façon la plus efficace de gagner du temps, autant pour l'appareil gouvernemental que pour les parlementaires que nous sommes? Tout va rapidement. Nous avons tous des tablettes, nous recevons des documents, nous échangeons des choses et parfois nous n'écrivons pas très bien en français. C'est un problème qu'on voit souvent.
Comment peut-on traduire un document de façon à ce qu'il soit excellent, si d'abord et avant tout on écrit mal dans une langue?
Madame Lanthier et madame Bossé, quelle serait selon vous la meilleure façon de faire et celle qui serait la plus efficace afin de protéger notre langue, soit le français, compte tenu de l'avènement des médias sociaux et de la rapidité avec laquelle nous devons souvent travailler ici, au Parlement?
C'est une bonne question, parce que vous ramenez le problème au niveau de la personne qui reçoit de la documentation dans une langue, qui veut la comprendre et qui veut continuer à faire son travail. Ce que nous avons compris de l'intention de l'outil Portage, c'est que c'est un logiciel de communication non officielle qui doit permettre de résoudre des problèmes de ce genre. La question que nous nous posons est la suivante: est-ce que l'utilisation de ce logiciel entraîne une résolution de problèmes de cette nature ou s'il n'amène pas d'autres types de problème où des francophones vont finir par fonctionner en anglais à l'aide d'un logiciel de traduction plutôt que de fonctionner en français? Est-ce qu'on résout ou non un problème de langue officielle à ce moment-là? Nous avons abordé le problème de cette façon plutôt que de la façon dont vous nous le présentez, donc un peu plus sur le plan philosophique ou de l'impact.
Je n'ai pas de solution idéale pour vous, mais je pense que, dans la façon d'examiner ce problème, nous devons nous demander si les deux langues officielles sont bien servies et si les relations avec le public seront bien servies. Sommes-nous en train de créer un précédent avec lequel nous aurons de la difficulté à composer par la suite? Le logiciel ne sera peut-être pas seulement utilisé pour des communications non officielles dans le futur. Ce qui nous semble évident à ce moment-ci, c'est que quelque chose a été mis en place, ou aurait pu l'être, et soulève toutes sortes de questions. Il n'est pas nécessairement facile d'y répondre, mais il faut vraiment prendre le temps de se poser des questions sur cette utilisation et revenir à la source du problème, c'est-à-dire de se demander comment il se fait que cela a été mis en place. Quel problème tentait-on de résoudre? Est-on est en train de résoudre les problèmes de la meilleure façon?
J'ai fait quelques cours de gestion aux HEC et j'ai retenu une chose de mon cours de management: la pire décision qu'on peut prendre pour régler un problème, c'est une décision qui cause un problème plus grave que celui qu'on voulait régler au départ.
Mme Sylvie Boucher: C'est vrai.
Mme Sylviane Lanthier: En somme, c'est peut-être cela qu'on est en train de se poser comme question, à savoir si on crée d'autres problèmes plus graves que celui qu'on voulait régler? Je ne suis pas une fonctionnaire et je ne vis pas cette situation au quotidien, mais je pense que l'utilisation des deux langues officielles et le droit des fonctionnaires de la fonction publique d'utiliser la langue de leur choix sont vraiment quelque chose d'important.
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leurs bonnes présentations.
Je ne veux pas parler pour les autres, mais je crois que, de ce côté-ci, nous voyons que c'est un outil qui peut aider la compréhension, mais ce n'est absolument pas un outil pour la communication au sein du gouvernement.
Madame Lanthier, est-ce que vous envisagez un rôle quelconque pour l'outil Portage au sein du gouvernement?
Envisagez-vous, pour l'outil Portage, un rôle moins important que pour la communication, comme peut-être pour la compréhension à l'interne au sein du gouvernement?
En ce moment, d'après les informations que nous avons et d'après ce que nous comprenons, nous ne croyons pas qu'il soit très louable d'envisager un très grand rôle pour cet outil et nous pensons qu'il faut faire attention à ce sujet. Nous avons tendance à être d'accord avec les gens qui pensent qu'il n'y a rien comme un être humain pour traduire ce qu'un autre être humain essaie de communiquer et que la machine n'arrivera pas nécessairement au même résultat. En fait, dans la façon d'envisager l'avenir de cet outil, je pense qu'il faut faire attention à ce qu'on va en faire et, encore une fois, pour bien le comprendre, il faudrait revenir à la question de savoir quels étaient les besoins auxquels on essayait de répondre et quel était le problème qu'on essayait de régler. Est-ce que c'était la meilleure façon de le faire? Il ne faut pas oublier qu'il y a un environnement où il y a eu un effritement, au cours des dernières années, de la capacité fédérale en matière de bilinguisme. Cela fait aussi partie du problème.
[Traduction]
Madame Benhoff, vous avez parlé d'un document de normalisation de 20 pages sur lequel vous travaillez. Pouvez-vous nous en parler très brièvement? Pouvez-vous nous parler de la progression de ce projet et de ce que vous tentez d'accomplir avec ce document?
Les normes ISO répondent manifestement au marché, et les experts se réunissent pour créer des normes pour le marché. La traduction automatique existe depuis de nombreuses années, et la postédition est une réalité. L'industrie doit maintenant se structurer afin de mettre en oeuvre des pratiques exemplaires. C'est l'objectif de la norme sur la postédition.
Elle contribuera à orienter de nombreuses entreprises ou organismes gouvernementaux, et peut-être des législatures, quant à la meilleure façon de mener les activités liées à la postédition. Ce qui est intéressant, c'est que la norme élimine la traduction sommaire. Elle élimine aussi la postédition de piètre qualité. Tout ce qui ne produit pas un travail de qualité aussi élevée que celui produit par un traducteur professionnel sera exclu de la norme.
Je pose la question, car lors des préparatifs de lancement de l'outil, c'est-à-dire l'outil de traduction automatique que nous étudions aujourd'hui, aucun guide de l'utilisateur ou guide des normes ne l'accompagnait. Votre expérience ou la façon dont vous normalisez votre pratique pourrait nous éclairer sur la façon de faire au privé.
Merci.
[Français]
Madame Lanthier et madame Bossé, la FCFA a exprimé des inquiétudes en ce qui a trait à à l'introduction de l'outil. Vous avez indiqué que l'érosion en matière de langues officielles est déjà perceptible dans les documents du gouvernement. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets à ce sujet?
Oui, mais y en-a-t-il d'autres? Une des choses qu'on nous a dites, c'est que l'outil n'est pas là vraiment pour traduire des expressions. Chacun, dans son coin de pays, a ses propres expressions. Dans la région de mon collègue, il y en a plusieurs.
De façon générale, est-ce qu'il y a d'autres exemples?
Il n'y a qu'à lire les rapports du commissaire aux langues officielles qui ont été publiés au cours des dernières années. En 2013-2014, le commissaire a présenté une allocution devant un comité sénatorial dans laquelle il a parlé de cette érosion. Il a mentionné une érosion subtile du bilinguisme dans la fonction publique à cause du transfert de bureaux fédéraux à partir de régions bilingues vers des régions unilingues. Il a parlé de la réduction des niveaux de compétences linguistiques requis pour les postes bilingues. Il a mentionné la pression exercée sur les fonctionnaires pour produire des documents uniquement en anglais et de la tendance à offrir un nombre insuffisant de programmes de formation en français.
Ce sont des facteurs qui ont été soulignés par le commissaire aux langues officielles. Dans une autre publication produite par le commissariat, en 2016, il est mentionné que, durant la période des coupes budgétaires de 2011-2012, le Conseil du Trésor n'avait pas formulé de directives à l'intention des fonctionnaires chargés d'analyser l'administration de ces coupes et le processus à suivre afin qu'ils tiennent compte de l'effet possible des compressions sur les langues officielles. Cela a également été consigné par écrit.
De notre côté, au cours de la dernière année, nous avons reçu des documents rédigés uniquement en anglais. Nous avons déposé des plaintes auprès du commissaire aux langues officielles. À deux reprises, lors d'appels téléphoniques à des bureaux ministériels, on nous a répondu uniquement en anglais. Nous avons aussi trouvé des traductions inacceptables sur les sites Web de certains ministères. Ce sont des exemples de situations qui se sont produites récemment.
Merci, monsieur le président.
Madame Lanthier, vous avez mentionné les rapports du commissaire aux langues officielles. Si j'ai bien compris, vous avez aussi présenté un mémoire en 2009 dans lequel vous parlez d'un manque de coordination et du fait qu'aucune autorité ne serait responsable de l'application des langues officielles.
Cela m'amène à mieux comprendre pourquoi le Bureau de la traduction semble souffrir, comme on le constate présentement, d'une érosion en matière de langues officielles. Les situations décrites par le commissaire parlent d'elles-mêmes.
J'ai demandé aux hauts fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien s'ils songeaient à établir une meilleure coordination ou à désigner une autorité responsable au chapitre de l'application des langues officielles. Ils semblaient dire que cela n'était pas nécessaire.
Pourquoi, d'après vous, est-il si important d'avoir une autorité distincte responsable de l'application des langues officielles et en quoi cela aurait-il une influence sur le Bureau de la traduction?
Cela permettrait d'assurer une certaine coordination et de faire en sorte qu'à l'intérieur de l'ensemble de la fonction publique, il y ait une cohérence, une cohésion et des plans d'action qui répondraient à des objectifs clairs pour tout le monde. Nous pourrions aussi être mieux en mesure de vérifier ce qui est fait ou non. Nous disons depuis longtemps qu'il serait important qu'une autorité fédérale, peut-être le Conseil du Trésor, obtienne un mandat clair à cet égard.
Il faut aussi se rappeler que le ministère du Patrimoine canadien a lui-même un mandat assez clair et un rôle très important à jouer en appui à la partie VII de Loi sur les langues officielles. Le ministère a également un mandat de coordination horizontale de ce qui se fait dans l'ensemble des ministères et des institutions provinciales visées par la Loi sur les langues officielles. C'est un rôle extrêmement important que joue ou que devrait jouer le ministère du Patrimoine canadien.
Avez-vous eu l'occasion de soumettre cette recommandation à la ministre du Patrimoine canadien et, si oui, quelle a été sa réponse?
En fait, le mémoire présenté par la FCFA en 2009 l'a été dans le cadre du 40e anniversaire de l'adoption de la Loi sur les langues officielles. De 2009 jusqu'aux élections de l'automne dernier, nous n'avons pas cessé de demander au gouvernement de nommer une autorité responsable de l'application de la loi.
À l'heure actuelle, comme Mme Lanthier l'a dit, Patrimoine canadien a un rôle important à jouer. C'est le cas également pour Justice Canada et le Conseil du Trésor. Ce sont les trois institutions fédérales responsables de l'application de la Loi sur les langues officielles. Chacune d'elles joue un rôle précis selon les différentes parties de la loi.
Cependant, aucun de ces ministres, en vertu de son mandat respectif, n'a l'autorité de dire à ses collègues ce qu'ils doivent faire dans leur ministère ou de leur demander de s'assurer de l'application de la loi. C'est cette autorité que nous réclamons, ou du moins que nous réclamions jusqu'à l'automne. On nous répondait qu il n'existait pas de telle autorité.
Disons que cette autorité relevait auparavant du Bureau du Conseil privé, autrement dit, du bureau du premier ministre.
Je me permettrai d'ajouter que nous avons l'intention de le faire. Nous pensons qu'il doit y avoir une meilleure compréhension de la Loi sur les langues officielles, de ce qu'elle veut dire et de la façon dont elle pourrait mieux être mise en application au sein de l'appareil gouvernemental.
Merci, monsieur le président.
Revenons au Bureau de la traduction.
Madame Lanthier, vous avez beaucoup parlé de l'importance de la relève. Depuis quatre ans, il n'y a pas eu d'embauche au Bureau de la traduction. Les gens qui partent ne transmettent donc pas leur expertise à ceux qui arrivent. Cela pose donc vraiment problème. De plus, on ne compte pas engager de personnel au cours des prochaines années.
Quelle serait votre recommandation à cet égard? Quelles sont vos remarques par rapport à l'importance pour les jeunes d'avoir justement accès à des emplois de qualité au Bureau de la traduction et à de l'expertise?
Pour nous, il est important de penser qu'il peut y avoir une relève en traduction au pays et en particulier au sein du gouvernement canadien. Il y a tellement de besoins au sein de l'appareil fédéral pour qu'on puisse vraiment communiquer avec les Canadiens et les Canadiennes dans les deux langues.
Au cours des dernières années, il y a eu un changement. Il a fallu faire des appels d'offres auprès du secteur privé. Le Bureau de la traduction fait concurrence à des firmes privées qui font de la traduction. Cela peut avoir toutes sortes de répercussions qui ne sont pas nécessairement celles qu'on recherchait au départ.
Concurrencer le secteur privé est peut-être bon, mais ce ne l'est peut-être pas. Cela affaiblit peut-être la propre capacité interne au sein du gouvernement de fournir un service qui est important. Cela fait partie des choses qui devraient selon nous être analysées.
Merci, monsieur Choquette.
Nous allons passer à Mme Lapointe, qui va partager son temps avec M. Arseneault.
Merci, monsieur le président.
Bonjour mesdames, je suis heureuse de vous rencontrer.
On a beaucoup parlé des outils de traduction. J'aimerais vous entendre au sujet de Google Traduction, que plusieurs personnes utilisent.
Saviez-vous que les données sont gardées à l'extérieur du pays? Ne voyez-vous pas un avantage à ce qu'on utilise l'outil Portage puisque les données resteraient à l'intérieur du Canada?
J'aime votre recommandation d'offrir de la formation obligatoire en ce qui concerne les obligations en matière de langues officielles. Je trouve cela intéressant. Cela permettrait de s'assurer que tout le monde comprenne bien quelles sont leurs obligations.
Si on utilisait l'outil de traduction Portage, il pourrait y a voir un avis indiquant que c'est un outil de compréhension et non un outil de traduction. Comment voyez-vous cela?
J'ai abordé trois volets.
Pour répondre à votre première question, soit celle du pare-feu, on comprend tout à fait le problème qu'il y a relativement à cette question. Devrait-on utiliser un avertissement qui indiquerait: « Attention, danger » quand on utilise...
Un député: C'est comme pour les arachides.
Mme Sylviane Lanthier: C'est ça. On pourrait être allergiques.
C'est intéressant comme piste de solution, mais en même temps, elle constituerait une espèce d'admission qu'il y a un problème à cet égard. Je n'ai donc pas de réponses précises à vous donner parce qu'il faudrait vraiment qu'on y réfléchisse.
Quand on fait ce genre de choses, va-t-on dans le sens de la mise en oeuvre de la Loi sur les langues officielles? C'est notre préoccupation. Va-t-on dans le sens de respecter la capacité des gens dans la fonction publique de travailler dans la langue de leur choix?
Je pense que cela doit être analysé à partir de critères bien concrets qui permettent de savoir si la Loi sur les langues officielles est mise en application et si on respecte les droits des fonctionnaires.
Vous avez parlé de formation obligatoire. À votre avis, tous les fonctionnaires, soit ceux qui le sont présentement et ceux qui le seront plus tard, devraient-ils recevoir une formation pour s'assurer de bien comprendre quelles sont leurs obligations en matière de langues officielles?
Oui, nous pensons que tous les fonctionnaires devraient suivre une formation concernant les obligations du gouvernement fédéral en matière de langues officielles. Ils pourront ainsi comprendre ce que cela veut dire pour leur ministère, ce que cela veut dire pour eux, ce que cela veut dire pour leurs collègues et développer ainsi des comportements ou des façons de travailler harmonieuses et respectueuses qui permettent de solutionner des problèmes au jour le jour plus facilement.
[Traduction]
Je crois qu'il s'agit d'une occasion fantastique. Cette situation a explosé dans les médias et tout le monde est au courant. On sensibilisera les fonctionnaires, et cela se transmettra aux échelons moins élevés. La multiplication des activités liées à la sensibilisation de tous quant au travail du traducteur, à celui du réviseur et au type de documents et leurs usages et limites offre à notre pays une excellente occasion de s'attaquer à l'objet de nos plaintes.
C'est ce que je pense.
[Français]
Ma question s'adresse à Mme Bossé ou à Mme Lanthier.
On fait souvent allusion aux obligations en matière de langues officielles.
Savez-vous s'il y a eu une étude ou un avis juridique sur l'outil Portage en ce qui a trait au respect des droits et obligations en matière de langues officielles?
Pour notre part, nous n'avons pas entendu parler d'un avis juridique à ce sujet. Comme l'a dit le commissaire aux langues officielles depuis quelques années, il y a une érosion des outils en matière de langues officielles. Que ce soit lié au Conseil du Trésor ou à une autre entité, les programmes de formation subissent une érosion. En outre, avec le renouvellement de la fonction publique — en effet, qu'on le veuille ou non, depuis 2012, surtout dans la foulée des compressions budgétaires, la fonction publique s'est beaucoup renouvelée —, on est en présence d'une relève qui n'a ni la formation, ni les outils ou ni même de sensibilisation à ce sujet. En ce sens, nos recommandations sur la formation et la sensibilisation sont importantes.
Le français est une langue riche et pleine de nuances. C'est pourquoi, sur le site Web d'un ministère aussi important que celui de l'Immigration, on ne veut pas lire « nouveaux arrivés » plutôt que « nouveaux arrivants ». Le terme « nouveaux arrivés » était pourtant celui qui était employé récemment sur le site Web d'Immigration Canada. Il y avait d'autres termes de ce genre. Que ce soit pour le citoyen, la personne que l'on accueille, le fonctionnaire qui travaille dans cette langue ou, comme l'a dit madame, le pays tout entier, je crois que la langue française mérite tout à fait que l'on y porte attention.
Merci, monsieur Arseneault. C'était une excellente question.
Je vais demander au greffier de la poser aux avocats de Justice Canada de façon à ce que nous obtenions une réponse.
Comme je vous le disais, nous sommes un peu limités par le temps. Nous allons donc passer à la motion que M. Vandal a déposée.
Le greffier me dit que vous l'avez reçue lundi. Elle se lit comme suit:
Que le Comité entreprenne une étude visant à examiner La Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018, ainsi que la Feuille de route pour la dualité linguistique canadienne 2008-2013, surtout au sujet de leurs impacts sur les communautés francophones et anglophones en situation minoritaire au Canada; que le comité identifie des initiatives et opportunités pour le prochain plan sur les langues officielles afin d’appuyer et encourager l'épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada, tout en favorisant la pleine reconnaissance du français et de l’anglais dans la société canadienne; et que le comité fasse rapport de ses conclusions à la Chambre.
Monsieur Vandal, vous avez la parole.
Je crois qu'il est temps que nous soyons proactifs pour ce qui est de la préparation du prochain plan sur les langues officielles. Je crois que nous devons aussi évaluer les deux précédentes feuilles de route.
Du bon travail a sans doute été accompli, mais ce n'est pas parfait. Il est important de consulter les communautés de langue officielle en situation minoritaire, discuter avec elles, les écouter et noter leurs recommandations.
Je propose donc que nous commencions ce processus au mois de juin, que nous tenions des consultations et, peut-être, que nous visitions des communautés en situation minoritaire. Le président du comité et moi-même allons travailler ensemble en vue d'établir un horaire pour juin ou septembre.
Je veux être certain de bien comprendre.
La motion dit ceci: « Que le Comité entreprenne une étude visant à examiner la Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018, [...] »
Monsieur Vandal, la feuille de route n'est pas complètement terminée. Il reste encore deux années. L'objectif que nous visons est d'analyser ce qui s'est fait depuis les trois dernières années dans le cadre de la feuille de route qui est déjà en place. La feuille de route n'est pas terminée. Elle est encore en cours. Vous voulez que le Comité analyse ce qui se fait actuellement. J'essaie de comprendre le sens de votre motion.
Il y a deux feuilles de route.
La première allait de 2008 à 2013, soit sur une période de cinq ans. La présente feuille de route n'est pas terminée, mais je suis sûr que nous pouvons obtenir de l'information pertinente à ce sujet. Le but est d'être proactifs et de nous préparer pour la prochaine.
D'accord.
Je n'étais pas ici au cours des dernières années où la feuille de route 2008-2013 était en place. Il y a sûrement des députés autour de la table qui étaient ici.
Monsieur Choquette, vous avez siégé à ce comité au cours des quatre dernières années, n'est-ce pas?
Une étude a-t-elle été faite sur la feuille de route 2008-2013 par le Comité permanent des langues officielles?
Un rapport du comité a-t-il été présenté depuis les trois dernières années concernant la feuille de route 2008-2013?
On ne refera pas quelque chose qui a déjà été fait. Sauf erreur, la motion demande au Comité de faire une analyse de la feuille de route 2008-2013 alors qu'une telle analyse a déjà été faite en 2012.
Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais poser la question à Mmes Lanthier et Bossé, de la FCFA.
Vous a-t-on questionnées au sujet de la feuille de route 2008-2013?
Une évaluation a été faite à la fois par Patrimoine canadien et par tous les ministères impliqués dans la feuille de route 2008-2013. Effectivement, nous avons déjà comparu une fois devant le Comité à ce sujet.
Je ne suis pas contre le fait que le Comité fasse des analyses et des études, mais je ne veux pas qu'il refasse quelque chose qui a déjà été fait.
Je propose que nous analysions tous ensemble le dernier rapport sur la feuille de route 2008-2013 et que nous commencions l'analyse de la feuille de route actuelle en prévision du dépôt d'une feuille de route 2018-2023.
Dans un premier temps, on pourrait vous envoyer le document sur l'examen qui a été fait en novembre 2012.
Monsieur le président, je dois dire que cela m'intéresse vraiment, étant donné que la dernière étude sur la feuille de route a été faite en 2012. Nous sommes en 2016. Il y en a qui en ont fait état à la Chambre aujourd'hui.
J'aimerais savoir où en est l'élaboration à ce sujet et quels sont les démarches qui ont été faites et celles qui devraient être faites. Je trouve que la proposition de mon collègue est très intéressante, car elle nous permettrait de savoir ce qui a été fait et ce qui ne l'a pas été. Certes, nous pouvons commencer à partir de 2012. Ce qui est proposé est intéressant, compte tenu de ce que nous avons entendu de la part des témoins qui ont comparu devant le Comité, à savoir, disons-le ainsi, qu'on a beaucoup fermé la valve concernant la traduction au cours des dernières années. Cela m'intéresse. Je suis en faveur de la motion. Nous pouvons partir de 2012, mais étudions la feuille de route.
Je suis aussi en faveur de la motion.
Il m'importe peu que nous passions moins de temps sur la feuille de route 2008-2013, comme M. Généreux l'a mentionné, étant donné qu'elle a déjà été analysée. Nous pourrions passer plus rapidement sur cette partie. Par contre, j'aimerais que nous fixions une limite de temps à cette étude. Il n'est pas nécessaire que nous passions un an là-dessus. C'est un peu ce que M. Généreux voulait exprimer. Il faut se donner une limite de temps. M. Vandal pourrait peut-être nous donner un aperçu de la limite de temps qu'il voudrait assortir à cette motion.
Je vais faire rapidement un petit aparté.
Je sais qu'il était prévu que Mme Achimov revienne devant le Comité pour nous parler du Bureau de la traduction. À la dernière rencontre, on a dit que ce n'était pas nécessaire. Par contre, je me demandais si nous pourrions recevoir la ministre Judy Foote ou des hauts fonctionnaires du ministère des Services publics et de l'Approvisionnement, étant donné que c'est ce ministère qui s'occupe du Bureau de la traduction. Il serait intéressant de recevoir l'un d'entre eux ou tous ces fonctionnaires. Je sais qu'il pourrait être difficile de recevoir la ministre, mais nous pourrions peut-être recevoir des hauts fonctionnaires pour savoir ce qui est envisagé pour le Bureau de la traduction. C'est ce que je propose, mais j'en reparlerai plus tard. Je voulais juste vous lancer l'idée.
J'aimerais que nous revenions à la motion.
Il faut déterminer le nombre de séances que nous devrions tenir relativement à cette motion.
Monsieur Vandal, avez-vous une idée à ce sujet?
Selon moi, nous pourrions commencer le processus avant l'été prochain, le poursuivre au cours de l'automne et produire un rapport avant Noël. Concernant le nombre de séances nécessaires pour accomplir ce travail, pourriez-vous nous donner un chiffre réaliste? Nous pourrions nous consulter à cet égard.
Simplement à titre indicatif, nous avions prévu cinq séances pour le Bureau de la traduction.
Pourrions-nous également opter pour cinq séances dans le cas de la feuille de route?
Monsieur le président, je crois qu'il en faut beaucoup plus. Je crois que l'idée de mon collègue est que nous produisions un rapport, que nous le soumettions à Patrimoine canadien et ainsi de suite.
Nous avions parlé d'un budget de voyage pour le comité.
Selon ce que je comprends de la motion, il s'agit du corpus touchant les déplacements.
Monsieur le président, en fait, il s'agit de plus de cinq séances, en plus des déplacements.
Je suis d'accord avec mon collègue. Je pense que nous disposons d'une marge de manoeuvre à ce sujet. Si nous terminons plus tôt ce que nous avons à faire, nous pourrons passer à autre chose. En outre, si une question urgente se présente, nous pourrons interrompre cette étude.
Je ne suis pas du tout contre la motion, mais je ne suis pas non plus le genre de personne qui aime faire 28 fois la même chose. Nous faisons des rapports à n'en plus finir, mais personne ne les lit. Pourrions-nous commencer par les lire et en discuter par la suite?
Un rapport a été publié pour la période de 2008 à 2013. Pourrions-nous l'obtenir et le lire? Nous pourrions ensuite revenir ici pour en discuter plutôt que de tenir séance après séance. Si nous voulons revoir certains points sur lesquels nous ne sommes pas d'accord, nous pourrons le faire à ce moment-là.
Par contre, pour revenir à ce que disait M. Lefebvre, comme la feuille de route est une question extrêmement importante, il faudrait y consacrer plus de cinq séances.
D'après ce que je comprends, tout le monde est d'accord pour adopter la motion et consulter le rapport de 2012. Nous allons donc demander au greffier de nous le faire parvenir. Vous aurez le temps d'en prendre connaissance rapidement. Nous entamerons alors cette prochaine étude, qui est liée à la motion de M. Vandal.
Est-ce que cela vous convient?
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