:
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Monsieur le président, honorables membres du Comité, bonjour.
Je témoigne afin de vous présenter les grandes lignes du Budget principal des dépenses du Commissariat aux langues officielles et de faire le point sur un éventuel sommet fédéral-provincial-territorial.
Je suis accompagné aujourd'hui de mes trois commissaires adjoints, Ghislaine Saikaley, Pierre Leduc et Éric Trépanier, ainsi que de mon avocate générale, Pascale Giguère.
Pour s'acquitter de son mandat, le Commissariat disposera d'un budget total de 21,7 millions de dollars pour l'exercice 2019-2020. De ce montant, 15,1 millions de dollars sont consacrés à la masse salariale, ce qui représente environ 70 % du budget principal des dépenses. De plus, une somme de 4,3 millions de dollars sera accordée aux dépenses de fonctionnement, ce qui équivaut à environ 20 % du budget principal des dépenses. La dernière portion du budget sera consacrée aux avantages sociaux des employés. Il s'agit d'un crédit législatif qui représente environ 2,3 millions de dollars, soit 10 % du budget principal des dépenses.
Ces sommes servent à appuyer le mandat du Commissariat, qui est réalisé par l'intermédiaire de ses deux programmes, soit ceux de la protection des droits liés aux langues officielles et de l'avancement du français et de l'anglais dans la société canadienne, lesquels sont appuyés par les services internes. À part le crédit législatif dont j'ai parlé plus tôt, le budget de 2019-2020 demeure sensiblement le même que celui de l'an passé
Le programme de la protection inclut les activités d'enquête, de vérification et d'autres activités touchant la conformité, ainsi que les services juridiques. Les dépenses prévues en 2019-2020 pour ce programme s'élèvent à 7,6 millions de dollars, soit 35 % du budget total. Les dépenses prévues pour le programme de l'avancement en 2019-2020 s'élèvent à 7,2 millions de dollars, soit 33 % du budget total, tandis que les dépenses prévues pour le secteur des services internes s'élèvent à 6,9 millions de dollars, soit 32 % du budget total
[Français]
Nous sommes soucieux d'utiliser les fonds publics avec la plus grande probité qui soit. C'est pourquoi nous nous sommes dotés d'une culture d'amélioration continue. Certaines mesures ont déjà été mises en place, comme un investissement continu dans la gestion de l'information et de la technologie de l'information afin d'optimiser l'efficacité des processus d'affaires. Nous continuerons à être rigoureux dans la gestion du budget durant la prochaine année, en fonction des priorités que j'établirai.
Nul doute que si on augmentait notre budget, nous pourrions régler plus rapidement certains dossiers d'enquête. De plus, nous serions en mesure de conduire davantage de recherches, d'études et de vérifications, car celles-ci sont souvent mises de côté, surtout si nous avons besoin de consacrer nos ressources à répondre aux plaintes et à effectuer des suivis aux enquêtes que nous menons.
Comme ombudsman, je dois orienter mes ressources vers l'exécution des deux programmes de mon mandat, dont j'ai parlé plus tôt. En effet, les plaintes se sont multipliées depuis 2012, et leur nombre est passé de près de 400 ou 500 à plus de 1 000 cette année.
Pour l'instant, par suite dles améliorations que nous avons mises en place afin de gérer nos dossiers de plaintes, je suis persuadé que mon équipe et moi pouvons continuer d'accomplir notre mandat selon l'enveloppe budgétaire actuelle. Par contre, si la tendance se maintient, il est clair que nous allons devoir considérer une demande de fonds supplémentaires.
Si vous me le permettez, j'aimerais reprendre la discussion que nous avons eue ici en décembre dernier. En 2018, les communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au Canada ont connu de nombreux revers en raison des compressions budgétaires et des décisions qui ont affaibli le statut de nos langues officielles, malgré les 50 ans révolus de la Loi sur les langues officielles. Il va sans dire que ces événements m'ont ébranlé. En effet, je ne m'attendais pas à devoir me prononcer publiquement sur de tels reculs en 2018, à l'aube du 50e anniversaire de la Loi.
Hélas, les droits linguistiques des Canadiens demeurent bafoués. Par exemple, voter dans la langue officielle de son choix n'est pas toujours possible, même s'il s'agit d'un droit fondamental. Dans bon nombre de cas, on peine encore à obtenir des services dans la langue officielle de son choix là où la Loi le prescrit.
[Traduction]
Compte tenu de la situation actuelle et du fait que la Loi sur les langues officielles s'apprête à souligner son 50e anniversaire, il est temps que le gouvernement prenne les mesures nécessaires pour établir un dialogue avec les provinces et les territoires, en tenant un sommet fédéral-territorial-provincial, par exemple, afin de se pencher sur l'avenir de la dualité linguistique et des communautés de langue officielle et d'en arriver à des solutions concrètes et durables.
Le gouvernement fédéral a déjà entrepris certaines démarches positives en matière de langues officielles. Par exemple, il a annoncé son intention de moderniser la Loi et a récemment amorcé des discussions nationales sur les langues officielles et le bilinguisme. Il a aussi entrepris la mise en oeuvre du Plan d'action pour les langues officielles 2018-2023, intitulé Investir dans notre avenir, lequel prévoit un financement important pour les communautés de langue officielle. À la lumière de ces démarches positives, je vois une occasion pour le premier ministre d'exercer un leadership politique afin de réaffirmer la dualité linguistique partout au pays.
Afin de conférer un sens à la dualité linguistique et de faire en sorte que cette dernière nous unisse, il faut rendre aux langues officielles du Canada la place qui leur revient. Sans un appui solide aux communautés de langue officielle en situation minoritaire des quatre coins du pays, notre dualité linguistique est vouée à l'échec et le contrat social qui nous unit sera affaibli.
Comme vous le savez, la Loi relève du secteur fédéral. Par contre, la façon dont les Canadiens vivent dans leur langue dépend en grande partie des secteurs provincial et municipal, comme lorsque les gens sont à l'école, au travail, en ligne, dans leurs loisirs ou simplement en train de commander un café. Comment alors assurer la présence de nos deux langues dans ces espaces publics, où le pouvoir de la législation fédérale est limité? Il s'agit d'une question qui pourrait faire l'objet de discussions lors d'un sommet.
Je l'ai répété à plusieurs reprises: les langues officielles, c'est l'affaire de tous.
[Français]
Je tiens à ajouter que les provinces et les territoires ont aussi un rôle déterminant à jouer dans la protection des communautés de langues officielles en situation minoritaire pour veiller à ce que la dualité linguistique reste à l'ordre du jour. Ils doivent reconnaître la contribution économique et culturelle des communautés de langues officielles en milieu minoritaire, partout au Canada.
En matière de résultats concrets, je crois qu'un sommet fédéral-provincial-territorial pourrait servir à sensibiliser les joueurs clés et à renouveler leur engagement envers la dualité linguistique. C'est en investissant dans l'avenir, dans les jeunes et dans ces communautés que nous assurerons la pérennité et la vitalité des langues officielles au Canada.
Somme toute, nous devons demeurer vigilants afin d'éviter que les instances fédérales et provinciales prennent des mesures qui fragilisent les communautés de langues officielles en situation minoritaire. Nous devons bâtir ces communautés et non causer leur perte. Ainsi, nous avons besoin de leaders dans tous les ordres de gouvernement pour que cela devienne une réalité.
Je vous remercie de votre attention.
Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, que je vous invite à poser dans la langue officielle de votre choix.
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Monsieur le président, mesdames et messieurs membres du Comité, j'aimerais commencer par vous remercier de l'invitation à discuter avec vous de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. C'est un honneur et un privilège pour moi de me retrouver parmi vous aujourd'hui.
Je suis Stéphanie Chouinard. Depuis janvier 2017, je suis professeure adjointe au Collège militaire royal du Canada, à Kingston, et depuis 2018, à l'Université Queen's, où j'enseigne la science politique, in both official languages.
Le Collège militaire royal de Kingston et celui de Saint-Jean — monsieur Rioux, je ne vous oublie pas — sont les seules institutions postsecondaires au pays qui sont assujetties à la Loi sur les langues officielles. C'est donc dire que la mise en œuvre de la Loi fait partie de mon quotidien et que j'en vois les réussites, parfois aussi les difficultés, voire certains ratés dans mon milieu de travail.
Néanmoins, le but de mon intervention aujourd'hui ne sera pas de vous entretenir du rapport parfois difficile des Forces armées canadiennes avec ses obligations linguistiques, mais plutôt de vous parler de la façon que mon expertise de recherche peut fournir un éclairage dans une éventuelle refonte de la Loi sur les langues officielles.
Mon expertise de recherche porte sur le rapport entre le droit et les minorités. Je suis une politologue spécialisée dans le domaine des droits linguistiques, ce qui n'est pas aussi étrange qu'il y paraît à première vue. Je m'intéresse essentiellement aux retombées et aux angles morts des droits linguistiques du point de vue sociopolitique.
La grande question qui guide mes recherches depuis les dernières années est la suivante: dans quelle mesure le judiciaire s'est-il démontré apte ou non à répondre aux doléances des minorités, notamment des minorités de langue officielle au pays? Quelles ont été les avancées mais aussi les limites des droits linguistiques, dont la Loi sur les langues officielles, à répondre aux revendications des Canadiens et des Canadiennes appartenant aux communautés de langue officielle en situation minoritaire?
À cet effet, j'ai étudié de façon approfondie la jurisprudence en matière de droits linguistiques au Canada ainsi que ses effets sur les politiques publiques. L'un de mes principaux constats, c'est qu'on commence à arriver au bout de la logique interprétative du régime des droits linguistiques canadien. Cela vaut autant pour la Loi sur les langues officielles que pour les articles 16 à 23 de la Charte.
Le texte de ces lois et l'interprétation qui en a été faite par les juges, aussi libérale et généreuse a-t-elle déjà été, n'arrivent plus à répondre aux aspirations des minorités de langue officielle au pays, aspirations qui se traduisent en demande à la fois d'autonomie et d'habilitation des communautés, mais aussi en une profonde volonté de participation à la vie de l'État. Alors que les communautés de langue officielle en situation minoritaire, surtout les francophones, se sont résolument tournées vers les tribunaux dans les dernières années afin d'obtenir gain de cause, la Loi sur les langues officielles et son interprétation par la Cour fédérale n'ont simplement pas répondu aux attentes.
L'une des raisons est certainement, comme l'a souligné l'arrêt Gascon, le problème de la mise en œuvre effective de la Loi, surtout au regard de la partie VII. Une autre raison, à mon avis, a trait, d'une part, à la résistance notoire du Commissariat aux langues officielles à ester en justice depuis que le législateur lui en a octroyé le pouvoir en 1988 et, d'autre part, au fait c'est la Cour fédérale qui a le mandat d'entendre ces causes.
J'aimerais donc aujourd'hui plaider pour une révision du mandat du Commissariat aux langues officielles ainsi que pour la création d'un tribunal administratif chargé d'entendre les causes portant sur les allégations de non-respect de la Loi.
Comme vous le savez probablement, le pouvoir de contrainte a toujours manqué au Commissariat aux langues officielles. À sa création en 1969, on avait imaginé le poste de commissaire comme un ombudsman, c'est-à-dire comme ayant surtout un caractère persuasif, tout comme le reste de la Loi l'était à l'époque, par ailleurs.
Aucun recours juridique n'était prévu dans la première mouture de la Loi. Le législateur a en partie remédié à cette lacune en 1988. Le projet de loi C-72 ne prévoyait toujours pas de pouvoirs d'ordonnance pour le commissaire, ce qui veut dire que les résultats d'une enquête démontrant un manquement à la Loi sur les langues officielles pouvaient rester lettre morte, mais il garantissait toutefois un caractère exécutoire à certaines parties de la Loi. Ce caractère exécutoire a été bonifié en 2005 avec le projet de loi S-3, mais, comme on le sait maintenant, il n'a pas eu les effets escomptés.
À partir de 1988, le rôle d'ombudsman du Commissariat aux langues officielles était assorti d'un rôle de police, en quelque sorte, et la Cour fédérale se voyait, pour sa part, octroyer le rôle de sanctionner les manquements à la Loi. Même si certains articles de la Loi sur les langues officielles pouvaient dès lors donner lieu à un recours judiciaire une fois une plainte déposée au Commissariat, cette possibilité était toujours considérée comme étant de dernier ressort.
En 1988, le commissaire à l'époque, D'Iberville Fortier, s'était lui-même montré très peu enthousiaste à l'idée de prendre le chemin des tribunaux, un pouvoir discrétionnaire somme toute peu clarifié par la Loi, et cette tradition s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui. Rares sont les causes où le Commissariat a décidé d'ester en justice lui-même, préférant demander le statut d'intervenant dans des causes intentées par des individus ou des groupes de la société civile devant la Cour fédérale.
Or déjà, en 1988, des voix se faisaient entendre pour non seulement rendre exécutoire toute la Loi sur les langues officielles, mais aussi pour réclamer la mise sur pied d'un tribunal administratif des droits linguistiques. C'était notamment le cas de la Fédération des francophones hors Québec, aujourd'hui la FCFA. Cette fédération réclame toujours la création d'un tel tribunal, si je me fie au projet de loi qu'elle a publié il y a quelques semaines.
Les raisons sont assez simples. Un tel tribunal serait plus facile d'accès aux Canadiens que la Cour fédérale. Il y aurait plus de sanctions pour manquement direct à la Loi plutôt que des décisions portant sur des grands principes de droit, ce qu'on retrouve plus souvent en Cour fédérale. Une telle modification donnerait, à mon avis, un sens renouvelé à la Loi sur les langues officielles, tant pour les Canadiens et les Canadiennes que pour les institutions politiques qui doivent la respecter. Les uns pourraient enfin obtenir des ordonnances pour les manquements à la Loi, et les autres auraient enfin un incitatif tangible pour s'engager à respecter des langues officielles, incitatifs qui semblent de toute évidence manquer dans le système actuel, qui préconise la carotte au bâton, à en croire les nombreux mauvais élèves qu'on retrouve année après année dans les rapports d'enquête du Commissariat, dont certains ont été mentionnés tout à l'heure.
Il existe déjà un régime linguistique dans le monde où il y a à la fois un commissariat et un tribunal administratif linguistique, et c'est au pays de Galles. Les deux entités ont été créées par le Welsh Language Measure, une loi adoptée à Cardiff en 2011 qui visait à remplacer le Welsh Language Board. Ce commissariat a vu le jour en 2012 et le tribunal a été mis sur pied en 2015. Je sais que Mme la commissaire Meri Huws a été invitée à témoigner devant ce comité, il y a quelques jours. J'espère que je ne suis pas en train de briser le décorum parlementaire. On peut mentionner une personne qui n'est pas dans la salle, n'est-ce pas?
Mme Huws a témoigné devant vous à la fin du mois de mars. Vous avez notamment discuté de la différence entre son rôle et celui du Commissariat aux langues officielles du Canada, et de la place du tribunal des langues qui existe à Cardiff. Je ne sais pas si cette rencontre avec elle vous a permis de vous faire une idée, mais j'aimerais pour ma part vous inviter à prendre ce modèle en contre-exemple. Le rôle du commissariat à la langue galloise est à la fois d'enquêter et de sanctionner. La commissaire Huws est à la fois juge et partie, lorsqu'elle doit enquêter à la suite de plaintes reçues de la population.
Le tribunal, pour sa part, a le rôle d'entendre les appels des décisions du commissariat. Les individus ou entreprises sanctionnés par la commissaire pour non-respect du statut de la langue galloise peuvent donc faire appel de ses décisions devant le tribunal. En d'autres mots, le tribunal n'est pas chargé de voir à ce que les violations au Welsh Language Measure soient punies, mais plutôt de surveiller les actions du commissariat qui est responsable des punitions.
Je vous invite à ne pas émuler cet exemple. Non seulement il dédouble le rôle du commissaire, un dédoublement qui pose déjà des difficultés en ce moment au Canada, comme les 30 dernières années nous l'ont démontré, mais il a favorisé l'antagonisme de certaines parties de la société civile galloise envers le poste de commissaire en impliquant, par la création de ce tribunal, qu'une surveillance du commissariat est nécessaire pour éviter des débordements. Aucun agent du Parlement du Canada ne se fait surveiller de telle sorte.
L'expérience du pays de Galles indique, selon moi, qu'il serait plus sage de laisser un tribunal, une entité considérée neutre du point de vue des langues officielles, ordonner des sanctions à la suite des enquêtes du Commissariat. Ainsi, le commissaire aux langues officielles du Canada garderait son rôle d'ombudsman et d'enquêteur, et le rôle punitif serait octroyé au tribunal administratif mis en place pour entendre les causes portant sur les différentes parties de la Loi sur les langues officielles qui sont exécutoires. Un rôle de cour d'appel des décisions du tribunal administratif pourrait certainement être octroyé à la Cour fédérale.
Il va de soi que le mandat du Commissariat devrait aussi être révisé afin de préciser quand le commissaire aux langues officielles se doit d'ester en justice et de présenter son dossier de preuve au tribunal, plutôt que de laisser cette décision à la discrétion du commissaire. Une refonte de la Loi sur les langues officielles pourrait ainsi donner un nouveau souffle au Commissariat dans ses rôles de promotion et d'enquête, et lui imposer une présence devant les tribunaux pour veiller à ce que les preuves et les connaissances diverses qu'il détient en matière de langues officielles, notamment en matière de plaintes récurrentes et de problèmes systémiques, soient utiles au tribunal dont la création est proposée.
Je vous remercie. Je cède la parole à mon collègue, M. Jedwab.
Je vous remercie de m'avoir invité. C'est avec grand plaisir que je vous présente mes observations et mes recommandations au sujet de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Je vais commencer en énonçant une série de principes et en donnant notre vision de l'état actuel des langues officielles.
Je suis très fier de faire partie de la communauté des personnes bilingues au Canada. Nous sommes un peu plus de 6,2 millions. Mon épouse, mes quatre enfants et moi faisons fièrement partie de cette communauté de personnes bilingues et nous cherchons d'autres membres. Nous invitons à bras ouverts tous ceux et celles qui souhaitent en faire partie.
Depuis les années 1970, il est clair que le Canada traverse une révolution démographique. C'est largement attribuable à l'immigration, mais aussi aux changements au chapitre du taux de natalité. Le pays dans lequel nous habitons présentement ne ressemble pas exactement à ce qu'il était dans les années 1970. Je le sais puisque j'y étais. Je me souviens de la composition du pays. Il y a eu une évolution assez importante.
Il y a eu aussi une évolution dans le discours et dans les politiques pour ce qui est des questions de bilinguisme. Je me rappelle que, après l'adoption de la Loi sur les langues officielles, on a mis en place en 1971 la politique multiculturelle du Canada. J'imagine que certains d'entre vous s'en souviennent également. On a toujours parlé de la politique multiculturelle en la situant dans un cadre bilingue. Puis on a évolué et, dans les années 1980, le discours a porté plutôt sur la diversité multiculturelle qui s'inscrit dans la dualité linguistique ou dans les deux langues officielles, et moins dans le bilinguisme.
[Traduction]
Nous ne parlons du multiculturalisme pas tant au sein du cadre bilingue que dans le contexte de la dualité linguistique ou de la prédominance de deux langues officielles. Nous avons observé à cet égard une évolution, laquelle découle en grande partie d'une levée de boucliers contre les changements démographiques, ou de la répartition inégale des francophones et des anglophones et du degré de bilinguisme résultant de cette inégalité.
[Français]
Un peu plus de 80 % de notre population... Pardonnez-moi, je donne probablement des cauchemars aux interprètes quand je passe d'une langue à l'autre. Je suis désolé, mais c'est comme cela que...
:
Je suis habitué à parler très vite. Je vais essayer de ralentir.
[Traduction]
La majorité du pays, soit légèrement plus de 80 % de la population, est unilingue et ne peut s'exprimer dans les deux langues officielles. Certains citoyens sont peut-être bilingues ou trilingues dans d'autres langues, mais selon notre compréhension officielle du bilinguisme, la vaste majorité de la population est unilingue.
Ce sont les 18 % de la population qui sont bilingues qui reçoivent le plus d'attention. C'est la masse critique que nous voudrions élargir au moyen de divers programmes, de lois et de mécanismes et de programmes de mise en application des politiques afin d'apporter des changements, notamment dans le système d'éducation, un domaine qui, nous le savons, relève des provinces.
Nous savons également que la population bilingue se concentre principalement au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick; ici encore, il ne s'agit pas d'une population importante, si on compare la population du Nouveau-Brunswick à celle de provinces plus vastes. La population bilingue se concentre beaucoup dans la ceinture bilingue, un terme que vous avez certainement déjà entendu. Je peux vous assurer, pour suivre les tendances démographiques, que la situation n'a pas beaucoup évolué au fil des ans. Ma ceinture a pris de l'expansion avec les années, mais pas la ceinture bilingue.
Si le Canada peut se qualifier aujourd'hui de pays bilingue, comme il aime le faire, c'est en grande partie en raison de la concentration de personnes bilingues dans ces trois provinces, et plus précisément dans la région que je viens d'énumérer. Au mieux, nous pouvons nous qualifier de bilingues du point de vue du droit, mais pas dans les faits, compte tenu du pourcentage de personnes bilingues.
En fait, paradoxalement, le Québec, ma province d'origine, peut être davantage considéré comme bilingue dans les faits, mais pas du point de vue du droit en raison des lois en place. Cela peut sembler quelque peu contre-intuitif, mais cette situation est le résultat, d'une part, de la répartition géographique des communautés linguistiques au pays et, d'autre part, de la prédominance de l'anglais en Amérique du Nord.
[Français]
Malgré les défis associés à l'expansion du nombre et du pourcentage de gens qui sont bilingues, cela demeure quand même un objectif extrêmement important. Il faut s'assurer que les mesures sont en place au maximum pour, justement, tenter d'améliorer notre pourcentage et d'élargir le nombre de gens qui sont capables de parler les deux langues officielles.
Cela est important non seulement pour notre politique en matière de langues officielles, mais aussi pour répondre aux besoins des gens issus des minorités de langue officielle. La dualité linguistique a justement ces deux objectifs: d'une part, élargir la masse critique des gens qui sont capables de parler les deux langues et, d'autre part, assurer la vitalité et la continuité des personnes qui s'identifient aux minorités de langue officielle.
Les deux objectifs sont interreliés ou interconnectés dans la mesure où, pour les gens qui appartiennent et s'identifient aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, c'est important, s'ils veulent être capables au maximum d'avoir des interactions dans leur langue première, d'avoir une masse critique de gens qui parlent l'autre langue comme deuxième langue.
L'un des endroits qui, dans mon esprit, sont les plus importants afin de réaliser les objectifs en matière de langues officielles et d'assurer la vitalité ou la continuité de la langue des gens issus de communautés de langue officielle en situation minoritaire, c'est le milieu de travail. Il va falloir, justement, avoir plus de personnes dans les milieux de travail qui sont capables de parler les deux langues, afin de permettre aux membres des minorités linguistiques d'avoir des interactions dans leur langue première.
[Traduction]
Voilà pourquoi j'indique à titre d'exemple — et il en existe de nombreux — que les deux objectifs sont interconnectés, même si nous les considérons peut-être distincts à un certain égard en raison de la manière dont les lois, les politiques et les programmes sont offerts, formulés et mis en oeuvre.
Permettez-moi de traiter brièvement de trois autres points. En ce qui concerne l'opinion publique et le message, nous sommes tous très sensibles aux sondages d'opinion publique. Nous assistons à des combats de sondages d'opinion sur la position des Canadiens quant au bilinguisme et aux minorités linguistiques. Selon moi, il est crucial que nous soyons très clairs et sans ambiguïté quant à nos engagements dans notre message, un message que nous transmettons par l'entremise non seulement de nos dirigeants et de nos élus, mais aussi de nos lois.
Je dirais qu'il est très important de rappeler aux Canadiens que la dualité linguistique constitue une proposition fondatrice qui est fondamentale pour notre pays, sa continuité et sa cohésion.
La dualité linguistique est aussi un élément fondamental de divers programmes. Prenons le multiculturalisme canadien, par exemple. Nous devons nous rappeler que le multiculturalisme canadien se situe dans le contexte des deux langues officielles. Je pense que c'est quelque chose qui doit être explicitement indiqué dans la loi sur le multiculturalisme pour qu'il ne subsiste aucune ambiguïté à ce sujet. J'entrerai davantage dans les détails au cours de la période de questions si on m'interroge sur ce point.
[Français]
Ce n'est pas seulement un besoin d'offrir des services aux communautés de langue officielle en situation de minorité. C'est une responsabilité collective de la part des citoyens du Canada relativement aux minorités de langue officielle. Parfois, on a l'impression que cela leur est offert, mais ce devrait être très clair que c'est la responsabilité de nos leaders, et que cela doit être inscrit très clairement dans nos lois et dans nos politiques.
[Traduction]
Cela fait également partie de notre message. Les lois et les autres documents stratégiques pertinents doivent faire savoir que la dualité linguistique et le soutien aux communautés de langue officielle en situation minoritaire constituent un engagement historique exécutoire dans notre pays. S'ils ne le font pas, certains politiciens ou grands pontes pourraient faire remarquer qu'il y a plus de mandarinophones et d'italianophones que de francophones dans certaines grandes provinces, comme vous l'avez peut-être entendu de la bouche d'un des dirigeants de la province voisine de la mienne, l'Ontario. Si cela se produisait, je pense que cela transgresserait la responsabilité et l'engagement qu'a notre pays à l'égard des minorités linguistiques.
Le libellé relatif aux mesures positives, dont j'ai parlé au sujet du soutien à la vitalité des communautés...
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Merci, monsieur le président.
Bonjour à vous deux, monsieur Jedwab et madame Chouinard. Je suis très heureux que vous soyez ici.
Madame Chouinard, je pense que c'est la première fois que vous vous présentez devant le Comité. Vous avez dit que c'était un honneur et un privilège d'être ici. Je suis content de vous avoir donné cet honneur et ce privilège, puisque c'est mon bureau qui vous a invitée. J'ai constaté toute votre expertise au cours de la dernière année.
Je voulais vous entendre au sujet du tribunal administratif. Vous en avez parlé durant votre présentation, mais j'ai quelques questions précises.
Avant cela, monsieur Jedwab, je veux vous dire que j'ai bien aimé ce que vous avez dit à la fin de votre allocution d'ouverture sur les propositions fondamentales du pays, c'est-à-dire les deux peuples fondateurs et le multiculturalisme ambiant dans lequel nous vivons. Il ne faut jamais oublier cette proposition fondamentale. J'abonde à 100 % dans cette vision du pays.
Madame Chouinard, j'ai détecté, dans vos propos, une contradiction qui n'en est peut-être pas une. Je voulais que vous rectifiiez ou précisiez vos propos. Vous avez dit que, depuis l'enchâssement de la Charte, il y a eu une interprétation libérale et généreuse de la Cour suprême en ce qui a trait aux droits linguistiques. Par ailleurs, vous avez dit que la Loi sur les langues officielles et la Cour fédérale n'ont pas fourni les résultats espérés.
Personnellement, j'y vois une contradiction. Pouvez-vous donner des précisions à cet égard, s'il vous plaît?
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Au début de tout, je pensais que la porte de sortie pour optimiser les droits linguistiques était le tribunal administratif. Nous avons entendu ici le seul commissaire provincial aux langues officielles, soit celui du Nouveau-Brunswick. Il témoignait avec M. Boileau, de l'Ontario. Ils nous disaient qu'ils n'étaient pas friands d'un tribunal administratif, parce que toute la lourdeur d'un tel tribunal repose sur le justiciable, soit celui qui veut faire reconnaître ses droits. Un tribunal, cela demande des avocats. Certains vont dire que ce n'est pas nécessairement le cas, mais cela demande de la préparation, c'est compliqué et c'est long. Les gens abandonnent. Cela les dissuade de le faire.
Comme vous le disiez tantôt, on a entendu la commissaire du pays de Galles. C'était un vent de fraîcheur incroyable.
Voici le fond de ma pensée, qui m'amène à ma question.
Premièrement, je pense que le tribunal administratif en soi n'est pas la solution, mais qu'il fait partie de la solution. J'aimerais renchérir sur ce que nous ont dit les commissaires M. Michel Carrier, du Nouveau-Brunswick, et M. Boileau: il faut d'abord que la Loi soit claire et sujette à si peu de discrétion ou d'interprétation que cela ne mène pas à des débats juridiques à la Cour fédérale ou ailleurs. Il faut donc renforcer cette loi, lui donner du mordant et la rendre plus claire.
Deuxièmement, j'ai bien aimé cette commissaire du pays de Galles, qui nous disait que seulement 13 de ses décisions avaient été portées devant le tribunal. Chaque fois, la seule personne qui peut se servir du tribunal administratif, c'est la société qui représente l'État. Ce n'est jamais le justiciable qui doit recourir à des avocats et se taper de longs délais pour se rendre devant le tribunal.
Dites-moi ce que vous pensez de ce qui suit. Au-delà de son rôle d'enquêteur, devrait-on aussi donner au Commissariat le pouvoir de rendre des décisions et de sanctionner, au moyen d'un service indépendant, qui pourrait s'appeler le service du contentieux, ou peu importe? Ensuite, on laisserait la société d'État, ou toute personne qui ne respecterait pas les droits linguistiques, se rendre au tribunal administratif.
Qu'en pensez-vous? Premièrement, on clarifierait la Loi; deuxièmement, on créerait un tribunal administratif qui ressemblerait un peu à celui qu'on retrouve au pays de Galles.