LANG Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des langues officielles
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 11 avril 2016
[Enregistrement électronique]
[Français]
La séance est maintenant ouverte.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous allons poursuivre notre étude sur le Bureau de la traduction.
Aujourd'hui, nous recevons Mme Louise Brunette, professeure à l'Université du Québec en Outaouais.
Bienvenue parmi nous, madame Brunette.
Nous allons ensuite entendre un autre groupe de témoins.
Madame Brunette, vous avez 10 minutes pour faire votre présentation. Ensuite, les membres du Comité vous poseront des questions.
Merci, monsieur le président.
Je ne suis pas une personne très procédurière, alors vous me pardonnerez si j'oublie de vous appeler M. le député, Mme la députée ou M. le président. Cela pourrait arriver.
J'aimerais commencer par vous dresser une brève biographie de moi-même, pour justifier ma comparution devant vous aujourd'hui.
Je sais que cela ne paraît pas, mais j'ai pas loin de 50 ans d'expérience en traduction. J'ai commencé très jeune, soit à l'âge de 25 ans, comme praticienne de la traduction dans des domaines aussi variés que les banques, le chauffage et les médias. Donc, j'ai une bonne idée de ce que peut être une pratique vraiment intensive et variée de la traduction.
J'ai exercé le métier comme traductrice, comme terminologue et comme gestionnaire de services de traduction, ce qui me donne une bonne vue de l'ensemble de la pratique de la profession.
Après 30 ans de cette diversité dans la pratique, j'ai décidé d'aller faire un doctorat, parce que je voulais être entendue quand je parlais, et j'enseigne depuis ce temps. J'enseigne notamment la traduction, qui est la base, ainsi que la révision, qui est le contrôle de la qualité en traduction. Cela m'a amené à la traduction automatique. J'ai aussi enseigné la traduction automatique et la postédition, dont je vais vous parler ultérieurement.
Je vais laisser à d'autres le soin d'aborder les questions politiques et sociolinguistiques. Je n'aborderai pas cela du tout; ce n'est pas mon but aujourd'hui. Mon but est plutôt de réhabiliter le logiciel de traduction. Je serai sans doute une des seules à le faire, mais ce n'est pas là l'essentiel de mon message.
L'essentiel de mon message est de démontrer que les conditions actuelles ne permettent vraiment pas d'utiliser de façon optimale un système de traduction automatique, que je considère excellent. Ce n'est pas rendre service à Portage, un système qui fait quand même la fierté du Canada. Dans les compétitions internationales, ce système se classe régulièrement premier. C'est l'un des fleurons de l'innovation technologique.
Contrairement à ce que la presse a véhiculé ces derniers temps, le problème ne concerne absolument pas la performance du logiciel de traduction automatique. J'aimerais souligner que tous les exemples que j'ai lus dans La Presse et dans les divers médias étaient absolument non pertinents. Je vais vous en donner un. On a fait des gorges chaudes de l'expression « it's raining cats and dogs ». Or personne n'utilise cette expression dans la fonction publique. Je ne vois pas pourquoi on a accroché là-dessus. C'est une expression désuète et je ne pense pas qu'elle fasse partie du vocabulaire courant des fonctionnaires.
Je vais vous lire une définition commerciale du système, laquelle correspond exactement à ce que j'en pense:
Portage est un logiciel de traduction automatique s’appuyant sur l’analyse statistique et dont les résultats surpassent largement ceux des essais antérieurs visant à automatiser l’art très nuancé de la traduction.
Ce n'est pas de la linguistique. Le logiciel de traduction automatique ne traduit pas des langues; ce n'est pas sa fonction première. On aboutit à une traduction, mais le système fait une analyse statistique. Ce sont des mathématiques, ce n'est pas de la langue. Le système ne comprend rien. Il comprend juste les données qu'on lui fournit et les données qu'il a déjà engrangées. Il fait des comparaisons.
Je suis moins d'accord cependant sur les mots « l'art très nuancé ». C'est un logiciel qui fonctionne selon un codage binaire: 1, 0, 1, 0, 1, 0. Or il n'y a rien de très nuancé là-dedans. C'est un programme qui s'appuie sur l'apprentissage machine statistique; c'est vraiment du garbage in, garbage out. Il absorbe ce qu'on lui donne et il rend ce qu'on lui a donné. Si ce qu'on lui a donné n'est pas bon, eh bien, le produit donné ne sera pas bon non plus. Ce n'est pas vraiment plus compliqué que cela.
Pourquoi ai-je décidé de venir ici? C'est que, dans les circonstances actuelles, je me demande vers où on s'en va. On est au milieu d'un triple gauchissement de la traduction automatique.
D'abord, il me semble que l'utilisation qui avait été prévue par le Bureau de la traduction lui-même n'était pas de nature généraliste comme celle à laquelle le système sert à l'heure actuelle. Par exemple, la traduction des courriels relève des textes généraux, alors que ce n'est pas à cela que le système était destiné. Ce n'est pas non plus ce à quoi le destinaient ses concepteurs. Ceux-ci gardent toujours à l'esprit que, tout comme on le pensait au début et tout au long des années 1960, la traduction automatique à partir de textes généraux n'aboutira jamais à des textes de qualité humaine. Cela, les concepteurs le disent aussi, ils ne se racontent pas d'histoires. Il faut vraiment qu'il y ait une préparation en aval et en amont.
En aval, c'est ce qu'on appelle le corpus. Je vous ai dit que c'était un système d'analyse statistique. Il va analyser en fonction de ce qu'il a déjà en mémoire. Il y a le processus automatique de traduction, puis le processus informatique de traduction, qui aboutissent à un produit linguistique, à un texte, qui doit être aussi passé à la moulinette des humains par un procédé qu'on appelle la correction des textes machine ou, plus généralement, la postédition. Alors, s'il n'y a pas d'humains en aval et en amont, c'est certain qu'on va obtenir des résultats déplorables. Les concepteurs du logiciel le reconnaissent eux-mêmes: ils n'ont jamais pensé qu'on aboutirait à une traduction de qualité. Cependant, il semble que certains autres croient qu'on puisse y arriver, et c'est pourquoi ils veulent implanter absolument le logiciel.
L'autre gauchissement, c'est qu'en implantant ce système immédiatement on va porter, à mon avis, un coup fatal au développement de la traduction automatique, parce qu'on nuit considérablement à celle-ci. Or, comme je vous le disais plus tôt, c'est l'un des fleurons de l'innovation technologique au pays. Alors, si on veut tuer dans l'oeuf l'enthousiasme qu'il y a pour le travail de traduction automatique, pour la discipline elle-même de la traduction automatique, on a trouvé un bon moyen. Si on met le système en route maintenant, on est certain d'aboutir à du charabia, comme ce qu'on a lu dans la presse, et de mettre à mal la réputation des chercheurs canadiens en traduction automatique.
Je vais maintenant vous parler de postédition. Je m'y connais moins en construction de corpus, domaine qui relève davantage de la linguistique, qu'en contrôle de la qualité, et l'opération de postédition est une opération de contrôle de la qualité. Je n'entrerai pas dans les détails, mais je considère aussi que, même avec la postédition, on n'est pas assuré d'une traduction automatique entièrement de qualité.
Il y a diverses raisons à cela. Entre autres choses, la postédition telle qu'elle est conçue à l'heure actuelle vise beaucoup la rapidité. Alors, plus on travaille rapidement, moins on a de liberté pour remanier des phrases ou rendre les textes plus idiomatiques dans la langue d'arrivée, par exemple. Je ne parle même pas du français. Il faut dire que les logiciels actuels comme Portage n'ont pas tellement de mal à traduire les expressions idiomatiques; l'idiomatisme général leur donne du mal, en effet, mais pas les expressions idiomatiques. Cependant, les postéditeurs travaillent à un rythme tel qu'ils ne peuvent pas restituer l'aspect idiomatique à tous les coups.
Madame Brunette, vous pourrez peut-être compléter votre discours lorsqu'il y aura des questions des membres du Comité, parce que nous devons entendre les représentants d'un deuxième groupe maintenant. Par la suite, on passera...
Mes recommandations sont les suivantes. Tout d'abord, il faudrait faire de la traduction automatique un projet pilote de longue durée sous la surveillance de traducteurs professionnels agréés, par exemple en provenance du Bureau de la traduction. Ensuite, il faudrait créer des ateliers de postédition, parce que peu de gens savent faire de la postédition, mon université étant la seule à l'enseigner. Il faudrait également investir dans la création de corpus et, surtout, consulter d'autres experts que les concepteurs du logiciel, qui sont quand même un peu orientés. Les experts en traduction automatique de l'Université de Montréal seraient tout à fait indiqués. Je pourrais même vous fournir des noms. Enfin, il faudrait favoriser les contacts entre les concepteurs de logiciels et les utilisateurs de la traduction automatique, c'est-à-dire les traducteurs, et non le public.
Merci.
Merci beaucoup, madame Brunette.
Nous allons entendre les représentants du deuxième groupe et nous passerons aux questions par la suite.
Nous sommes heureux d'accueillir Mme Emmanuelle Tremblay, qui est présidente nationale de l'Association canadienne des employés professionnels, et M. André Picotte, qui en est vice-président.
Nous vous écoutons, madame Tremblay.
Je vous remercie, monsieur le président.
Je m'excuse, j'espère que je n'aurai pas une grosse quinte de toux, je ne suis pas très en forme aujourd'hui.
Je vous remercie de nous accueillir.
L'Association canadienne des employés professionnels représente essentiellement un gros groupe de 12 000 membres qui travaillent sur des questions économiques, statistiques et liées aux analyses de politiques. Nous représentons aussi tous les traducteurs, interprètes et terminologues du gouvernement qui sont tous employés par le Bureau de la traduction. C'est donc à ce titre que je témoigne aujourd'hui en compagnie de notre vice-président, qui représente les terminologues, interprètes et traducteurs.
Ceux-ci sont tous directement touchés non seulement par l'implantation de l'outil de traduction automatique, mais aussi par une série de changements qui ont été apportés au Bureau de la traduction au fil des ans et qui nous font nous demander si le Bureau ne s'est pas un peu perdu en chemin. Nous nous demandons s'il se demande encore s'il devrait être une entreprise commerciale ou s'il constitue l'institution qui devrait être garante de la dualité linguistique et du respect de la Loi sur les langues officielles au Canada.
Il y a clairement une grande dichotomie entre ces deux visions et il semblerait que la première approche ait prévalu au cours des dernières années, au grand détriment de la qualité des services du Bureau et au grand détriment de ses membres, qui ont vu leur nombre diminuer de façon radicale au profit de sous-traitants et de ce qu'on appelle des boîtes de traduction fantômes. On imagine mal qu'on arrête de payer des médecins, qu'on arrête d'embaucher de nouveaux médecins, mais c'est exactement ce qui se passe au Bureau de la traduction. Depuis cinq ans, il n'y a eu aucune nouvelle embauche. C'est une attrition inéluctable qui a fait en sorte que près de 33 % à 34 % des traducteurs ont disparu.
Le professeur Jean Delisle disait que, selon certains, la traduction était « le mal nécessaire de la Confédération ». Selon lui, les gestes posés par la direction du Bureau et le carcan économique fixé par le précédent gouvernement ont contribué à renforcer ce préjugé.
La Loi sur les langues officielles de 1969 a donné au Bureau de la traduction le mandat de garantir la qualité linguistique de l'appareil gouvernemental et de développer une expertise et des outils qui lui assureraient un rayonnement international. C'était en 1969 et, à l'époque, c'était un service gouvernemental qui avait la responsabilité de toutes les activités de traduction au gouvernement fédéral.
Dans le cadre de l'examen des programmes du début des années 1990, le Bureau a été transformé, en 1995, en un organisme de service spécial et il y a alors eu un déchirement entre son mandat de protéger la dualité linguistique canadienne et la nécessité de recouvrer les coûts. Soit dit en passant, on demande au Bureau d'être essentiellement un organisme de service spécial et de fonctionner comme une entreprise privée, mais à l'intérieur du gouvernement; ce n'est donc pas une société d'État, mais ce n'est pas un service gouvernemental classique. On pourrait dire, de façon vulgaire, que c'est une organisation bâtarde.
Le Bureau est donc forcé de concurrencer le secteur privé. N'ayant pas les mêmes coûts de fonctionnement, il a dû embrasser une logique mercantile qui l'a éloigné de son mandat de base.
Par comparaison, Passeport Canada, qui est aussi un organisme de service spécial, jouit du monopole de production des passeports et peut donc fixer les coûts de ses services au regard de ses dépenses, parce qu'il n'a pas de clients, contrairement à nous.
Le Bureau fournit ses outils linguistiques gratuits, dont Termium Plus, aux traducteurs et boîtes de traduction privés, qui n'ont pas à en couvrir les coûts de fonctionnement. Le Bureau de la traduction paie, par exemple, le travail des terminologues qui mettent à jour cet outil.
Par ailleurs, le Bureau établit des ententes annuelles avec les ministères et organismes fédéraux. De fait, ces ententes ne sont pas vraiment des contrats, mais bien de simples ententes. Par exemple, s'il y a une entente d'un an pour la traduction de ses textes entre Sécurité publique et Protection civile Canada et le Bureau, et qu'en plein milieu de l'année, le ministère décide de faire affaire avec le secteur privé et de nous en avertir inopinément, cela signifie que le Bureau vient de perdre un client. Cela empêche le Bureau de planifier à moyen et à long terme. Tout cela fait que nous avons perdu, comme le disait Emmanuelle, 400 employés depuis 2002 et que les 140 personnes qui prendront prochainement leur retraite ne seront pas remplacées d'ici 2017-2018. Les TR et le personnel administratif avec lequel ils travaillent en étroite collaboration continuent de faire du travail de qualité, mais ils le font souvent au détriment de leur santé physique et mentale.
Les choix politiques et économiques minent la capacité des employés du Bureau de produire un travail de qualité. Ils le font, mais avec de plus en plus de difficulté. Les employés du Bureau sont victimes d'un modèle qui ne peut pas durer et, tôt ou tard, la machine va craquer. Nos membres sont dévastés par cette nouvelle réalité, d'autant plus que la direction du Bureau ne tient pas compte des TR. Pour elle, nous ne sommes que des facteurs de production. Il y a aussi un manque de contact entre la haute direction et les employés.
Pour économiser, on a aussi réorganisé le Bureau en groupes affinitaires. Auparavant, on fonctionnait par ministère et organisme fédéral. Cela faisait donc se développer une expertise chez les TR qui, par exemple, étaient à Emploi et Développement des compétences Canada, Sécurité publique Canada ou Défense nationale Canada. Or maintenant, avec les groupes affinitaires, c'est un regroupement de différents domaines, donc de différents ministères. Cependant, il est beaucoup plus difficile de développer cette expertise, et les TR doivent le faire en cours de travail.
Il y a un autre problème qui se pose, et il existe depuis longtemps: des ministères créent des postes de TR fantômes. On ne les appelle pas des TR, mais de différentes façons, que ce soit conseillers en qualité linguistique ou autre. Ils font vraiment de la traduction à rabais, ce qui contrevient à la directive du Conseil du Trésor qui a accordé au Bureau le monopole de la traduction au gouvernement fédéral. Essentiellement, on a dit aux ministères de passer soit par le privé, soit par le Bureau de la traduction, mais de ne pas créer de services de traduction autonomes ministériels.
Un autre enjeu important qui a frappé de plein fouet le Bureau de la traduction découle de toutes les coupes budgétaires qui ont été imposées aux différents ministères. Pour beaucoup d'entre eux, le premier poste budgétaire éliminé est la traduction. Ils réduisent alors le nombre de documents à faire traduire.
Les francophones sont déjà souvent désavantagés. Je viens de l'ACDI et du ministère des Affaires étrangères. J'ai eu très peu d'occasions d'utiliser ma langue première dans des documents de travail, mais maintenant, c'est quasiment inexistant. L'anglais est la seule langue de travail de toutes les ébauches possibles et imaginables d'un document de travail, ce qui réduit la capacité des francophones d'exercer leur droit d'utiliser la langue de leur choix dans leur milieu de travail.
Depuis 2000, la population canadienne a augmenté de près de 17 %: elle est passée de 30 millions à 36 millions de personnes. Les ministères ont donc des demandes accrues. Au lieu de répondre à cela par des emplois de bonne qualité et en embauchant des traducteurs et des interprètes reconnus pour leur grande expertise et leur grand professionnalisme, ils recourent davantage à des pigistes et au secteur privé. Je ne dis pas que tous les pigistes ne sont pas bons. Au contraire, je pense qu'il y a d'excellents pigistes, mais il y en a aussi de moins bons. Non seulement voit-on une désyndicalisation pernicieuse — nous avons déjà perdu près du tiers de nos membres —, mais en plus, la qualité inégale des pigistes fait en sorte qu'il revient à nos membres de réparer les gaffes de l'externe. Cela finit par coûter cher au Bureau et force nos membres à sauver la face de l'institution en effectuant des révisions pour lesquelles ils ne sont souvent pas rémunérés à leur juste valeur.
Au fil des années, le Bureau a accumulé une très grande expertise en matière de traduction scientifique et technique. Malheureusement, cette expertise s'étiole au fil des départs à la retraite. Quant à la traduction multilingue, le Bureau construit une expertise, mais à l'externe et à rabais.
On arrive maintenant à l'outil de traduction automatisée, dont Mme Brunette nous a amplement parlé.
Je vais ajouter quelque chose à ce qu'elle a déjà dit de façon très éloquente. On fait une utilisation large d'un outil qui vise les langagiers, ce qui a un impact clair et néfaste sur l'image du Bureau.
D'accord.
Le Bureau devra se demander si son mandat essentiel est de faire réaliser des économies au gouvernement ou de faire respecter la dualité linguistique et la Loi sur les langues officielles.
M. Picotte va parler de notre première recommandation, puis je parlerai de la deuxième.
La première recommandation vise à faire du Bureau de la traduction le service gouvernemental responsable de l’activité de traduction dans l’appareil gouvernemental fédéral. En lui donnant la responsabilité d’assurer la gestion de la traduction pour l’ensemble des ministères, le Bureau pourrait planifier à moyen et à long terme, ce qu'il ne peut pas faire actuellement en raison de l'incertitude permanente.
Il pourrait en outre recommencer à embaucher des employés. Cela permettrait aussi de réduire les frais administratifs liés à l’attribution des contrats de traduction et d’assurer le maintien de l’expertise linguistique.
En outre, en confiant au Bureau la responsabilité de superviser l’ensemble de la gestion de la traduction du gouvernement, on pourrait éliminer les boîtes de traduction fantômes ou les postes de TR fantômes qui existent au sein de quelques ministères et dont le Bureau connaît l'existence, et ainsi faire des économies.
Le Bureau joue un rôle culturel important. Il serait bon qu'il relève dorénavant de Patrimoine canadien plutôt que de Services publics et Approvisionnement Canada, parce que ce dernier ministère fournit des services uniquement utilitaires, tandis que Patrimoine canadien a un rôle culturel à jouer.
En second lieu, nous suggérons que l'on attribue au Bureau de la traduction toutes les ressources financières et humaines nécessaires pour qu'il puisse réaliser son mandat. Il faut mettre fin à la politique d'attrition du Bureau, lui confier les ressources qui lui permettront d'assurer son mandat de soutien de la dualité linguistique et arrêter de lui faire porter le poids de compressions budgétaires incessantes.
Le gouvernement actuel a indiqué dans plusieurs lettres de mandat de nouveaux ministres qu'ils doivent contribuer à protéger la Loi sur les langues officielles. Ce ne seront que des voeux pieux si cette volonté n'est pas accompagnée de gestes concrets comme le rétablissement de budgets permettant au Bureau d'accomplir son mandat.
En plus de recommencer à embaucher de nouveaux employés, le Bureau doit mettre sur pied un programme pour rétablir l'expertise perdue en matière de traduction technique et scientifique ainsi qu'en traduction multilingue. Il doit également mettre en oeuvre un plan de relève qui permettra aux employés d'expérience de contribuer à former les nouveaux collègues afin d'assurer la transmission de l'expertise.
Le temps est venu de faire de bons choix budgétaires faisant en sorte qu'on cessera de sacrifier les langues officielles à l'autel de l'austérité.
Merci beaucoup.
Je vous remercie.
Puisque le temps presse, nous allons entamer immédiatement la période des questions, en commençant par le vice-président John Nater.
Merci, monsieur le président.
Je voudrais remercier les témoins de nous fournir de l'information utile.
[Traduction]
Je suis un ancien membre de l'ACEP, et j'ai même apporté ma carte de membre pour le prouver. Sachez donc que je vous suis reconnaissant du travail que vous faites au nom de vos membres.
J'aurais quelques questions en ce qui concerne l'outil de traduction automatique, que je vais adresser aux deux groupes de témoins. Pour la traduction automatique, donc, est-il trop tard pour renverser la vapeur? Je me sers souvent du traducteur de Google, et je reconnais que les résultats ne sont pas parfaits.
Mme Brunette a parlé de la nécessité de faire intervenir les humains, ce que vous appelez la préédition et la postédition. Croyez-vous que le Bureau de la traduction devrait munir l'outil de traduction automatique d'une fonction de préédition et de postédition? Le président du Conseil du Trésor souhaite favoriser l'entrée de la génération du millénaire sur le marché du travail. Je suis moi-même de cette génération, et je crois que nous avons besoin d'un outil de traduction automatique qui soit viable. Vous pourriez peut-être nous dire ce que vous en pensez.
[Français]
Je suis un praticien, traducteur, en l'occurrence. Dans notre métier, nous utilisons de plus en plus des outils informatiques, ce qui n'est pas un problème en soi. Par contre, il faut bien comprendre que ces outils doivent être confiés à des professionnels, des gens qui connaissent le domaine, et non à n'importe qui, comme c'est le cas présentement. La traduction automatique ne fonctionne pas du tout dans le cas de certains textes. Elle ne donne alors que du charabia. Pour d'autres textes, cependant, elle aide les traducteurs à travailler beaucoup plus vite. Quoi qu'il en soit, cet outil doit être confié à des professionnels, et non à des gens qui ne sont pas traducteurs. Autrement, vous allez assister à un désastre. C'est déjà commencé.
[Traduction]
Ce qui m'inquiète, cependant, c'est que si cet outil est réservé aux professionnels, s'il n'est pas offert à toute la fonction publique, ceux qui en ont besoin dans leur travail quotidien vont en utiliser d'autres, comme le traducteur de Google. Pour avoir été fonctionnaire, je sais comment on se débrouille pour obtenir des traductions rapides.
Le français n'est pas ma langue maternelle, comme vous pouvez le voir, et il m'est difficile de communiquer régulièrement dans ma langue seconde. J'utilise chaque jour des outils comme le traducteur de Google pour venir à bout de mes tâches quotidiennes. Je suis un peu inquiet que la traduction automatique soit réservée à des professionnels, qui sont évidemment essentiels.
Mme Achimov, qui a comparu devant nous il y a quelques semaines, a laissé entendre que les compressions budgétaires n'avaient pas d'impact majeur sur son organisation et que la diminution des effectifs était due à l'attrition. Aimeriez-vous commenter ses propos?
Je les ai trouvés assez intéressants.
[Français]
Très franchement, je ne comprends pas pourquoi Mme Achimov a dit cela. La vérité, c'est que les gens, autant du côté du personnel administratif que des traducteurs, sont extrêmement stressés. Pour leur faire faire le travail qu'ils ont à accomplir, on les pousse à bout. L'organisation elle-même est stressée. Si vous parlez aux employés du Bureau de la traduction, vous constaterez qu'ils se plaignent constamment d'être poussés à bout et d'être soumis à des délais trop serrés. Pour ce qui est du personnel administratif, on lui demande de faire des miracles.
Étant donné que l'attrition continue d'être appliquée, la situation va se détériorer. De moins en moins de gens travaillent au Bureau. Un sondage mené auprès des fonctionnaires fédéraux en 2014 a révélé que le Bureau affichait le pire résultat quant à la satisfaction au travail.
Que Mme Achimov vienne dire ici que tout va bien, que les gens n'ont pas de problèmes, est presque incroyable.
[Traduction]
Je pourrais peut-être préciser ce qu'elle a voulu dire lorsqu'elle a affirmé qu'il n'y avait pas eu de compressions. Elle voulait peut-être dire que personne n'est parti de manière involontaire. Personne n'a reçu de lettre lui disant qu'il perdait son emploi, mais elle s'est servi de l'évolution des effectifs pour effriter le noyau des TR et elle l'a fait dans une mesure sans précédent. Je ne connais aucun autre organisme public où l'effectif a chuté de 34 % en quatre ans. Je suis désolée, mais ça n'existe pas. On ne peut pas simplement nier que des emplois ont disparu.
Personne ne s'est fait montrer la porte, mais personne n'a été remplacé après son départ. Il y a eu une profonde érosion.
J'ai une dernière question très brève. L'une de vos recommandations consiste à faire du Bureau de la traduction le fournisseur exclusif de services de traduction dans toute la fonction publique. Avez-vous une idée des besoins que cela créerait en matière de personnel et de ce que cela pourrait coûter?
Nous n'avons pas encore chiffré les coûts, mais nous pouvons certainement nous y mettre, et nous pouvons établir des paramètres pour faire en sorte que le Bureau de la traduction et ses services deviennent ce qu'ils devraient être pour l'ensemble de la fonction publique canadienne. Nous pouvons élaborer des modèles. Ce ne sont pas les économistes qui manquent pour accomplir ce travail.
[Français]
Merci beaucoup.
Je cède la parole à Mme Lapointe et à M. Lefebvre, qui vont partager leur temps de parole.
Allez-y, madame Lapointe.
Merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui. Mes questions s'adressent à vous deux.
Vous dites que le nombre de postes perdus par attrition est de 400 et qu'il y en aura 140 autres. Il y a quatre ou cinq ans, soit avant qu'on change de direction, combien d'employés étiez-vous?
Le Bureau de la traduction comptait plus de 1 200 postes de TR, alors que maintenant, il y en a environ 800.
Le Rapport sur les plans et les priorités a probablement été l'un des éléments déclencheurs de cette étude du Comité. Il semble prétendre ouvertement qu'on va continuer l'érosion de l'unité de négociation qui représente les TR, confier de la traduction au secteur privé et poursuivre l'attrition en supprimant davantage de postes. Il est certain que cela a un impact parce que, même si on confie des textes à traduire au secteur privé, des TR doivent les relire. Or c'est du travail que le Bureau peut difficilement facturer.
Merci.
Madame Brunette, vous avez utilisé une expression comique imagée: garbage in, garbage out. Si vous ne voulez pas qu'il y ait du garbage in, que feriez-vous en ce qui concerne l'outil de traduction?
C'est un peu technique.
À la sortie, même si ce qu'on appelle les remontées de la traduction ou les textes issus de la traduction automatique sont absolument bien corrigés — et là, je rêve —, on va quand même les retourner dans le système. Comme je l'ai déjà dit, il s'agit d'un système statistique à apprentissage machine. La machine apprend. Elle ne fera pas la même erreur si c'est adéquatement corrigé. Alors, le but est d'investir dans la création des corpus et, dans un même temps, dans la postédition. Investir dans la création des corpus, c'est nourrir le logiciel avec des textes à comparer qui sont de qualité.
Le système va chercher ce qui, statistiquement, est le plus souvent présent dans sa mémoire. Si tout est mauvais, cela va sortir mauvais à l'autre bout. Par exemple, s'il y a 25 solutions acceptables et deux qui sont non acceptables, statistiquement, le système va en chercher 25.
Merci d'être ici aujourd'hui.
Vous avez parlé de postes de TR fantômes. Pourriez-vous nous expliquer cela plus en détail?
C'est un problème chronique. On en parle depuis que j'ai commencé ma carrière ici, il y a 29 ans.
Quand un secteur d'un ministère donné veut qu'un texte soit traduit très rapidement, il est préférable pour lui d'avoir quelqu'un sur place pour ce faire. Souvent, il s'agit de plus petits textes, et non de mémoires ou de rapports. Il décide donc de créer un poste. Par contre, en raison de la directive du Conseil du Trésor, il ne peut pas créer officiellement un poste de TR. Il appelle alors ce poste « conseiller en qualité linguistique » ou quelque chose du genre.
C'est exact.
Il m'est déjà arrivé, il y a assez longtemps de cela tout de même, d'appeler un ministère pour obtenir des renseignements et quelqu'un m'a répondu: « Bureau de la traduction, bonjour. »
Je vous donne l'exemple de certaines de mes étudiantes qui travaillent dans des ministères. Elles n'ont pas terminé leurs études, mais elles occupent des postes de réviseures. Elles n'ont jamais travaillé comme TR, mais elles ont le titre de réviseures même si elles sont incapables de traduire.
Il y a pire que cela. À un certain moment — c'était avant 2011 —, le Bureau a tenu un examen pour de nouveaux postes de TR. On a appris par la suite que le Bureau avait communiqué avec ceux qui avaient échoué à l'examen pour leur offrir des postes de réviseurs ou de conseillers en qualité de la langue.
Merci de vos réponses.
Nous avons parlé des boîtes fantômes de TR, mais j'aimerais aborder un autre sujet, soit celui des sous-traitants. Est-ce que les ministères peuvent les embaucher librement? Quelles sont les règles concernant leur utilisation?
Le Bureau de la traduction n'a plus le monopole. Sa PDG, Mme Achimov, utilise le cas de Pêches et Océans Canada comme exemple phare pour démontrer qu'il faut continuer à avoir une approche business, sinon les ministères ne vont plus utiliser ses services. Pêches et Océans Canada a décidé de lui-même de créer une petite boîte de gestion des traductions et d'utiliser des pigistes. Le Bureau de la traduction a aussi recours à des pigistes, mais nous dénonçons cette pratique.
Le Bureau doit traduire x millions de mots par année, et il y a toujours des périodes de pointe. Par exemple, l'arrivée d'un nouveau gouvernement occasionne une augmentation du boulot. Cependant, il y a aussi une certaine continuité. Actuellement, comme le Bureau souffre d'un sous-effectif chronique de près de 40 %, il doit continuer à recourir, de façon systématique, à des pigistes.
La colocalisation est une autre approche adoptée par le Bureau de la traduction. Il y a de moins en moins de postes de TR spécialisés colocalisés dans les ministères. À l'ACDI, nous avions recours régulièrement aux deux ou trois TR qui travaillaient chez nous. Ces gens étaient hyper qualifiés et hyper spécialisés. Ces TR étaient officiellement à l'emploi du Bureau de la traduction.
Ce ne sont pas de TR qu'on parle ici, mais de personnes qui offrent le même genre de services. Cela va à l'encontre des règles mêmes du Conseil du Trésor.
Merci, monsieur le président.
Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui.
Ma première question s'adresse à M. Picotte.
Si l'on garde en tête le mandat du Bureau de la traduction en ce qui touche la dualité linguistique et le respect des langues officielles, quel avantage supplémentaire nous procure un Bureau de la traduction comparativement au secteur privé?
Essentiellement, le secteur privé produit des mots. Selon la logique commerciale, il faut produire des mots de la façon la plus économique possible. Il peut arriver que le privé fasse du très bon travail, mais il ne faut pas se faire d'illusions: l'objectif est de faire de l'argent ou, à tout le moins, de ne pas faire faillite.
Normalement et idéalement, le Bureau de la traduction fait plus que cela. Il fait la promotion de la langue, il joue un rôle dans la normalisation de la langue par l'intermédiaire de ses terminologues.
Il y a aussi un aspect culturel à notre travail, que nous avons mentionné dans notre mémoire. Nous défendons la dualité linguistique. Nous avons un certain souci qui va au-delà de la production de mots et du paiement de nos dépenses.
Merci.
C'est justement la raison pour laquelle j'ai demandé à Mme Achimov, lorsqu'elle a comparu, comment le Bureau de la traduction calculait les coûts des services externes qu'il utilisait, par exemple le service de terminologie Termium et la postédition. Elle a mentionné qu'il fallait toujours baisser les prix pour demeurer concurrentiel.
Or comment peut-on rester concurrentiel si l'on ne calcule pas les coûts des services externes?
J'aimerais bien savoir si elle vous a répondu, car notre unité a déjà pris part à plusieurs rondes de négociation et nous demandons à l'employeur de nous donner une idée de la façon dont il calcule les coûts quand il signe une entente avec un ministère. Nous cherchons à savoir sur quelle base il fait son calcul des coûts et comment il peut ensuite prétendre que les coûts sont équitables pour les Canadiens. Dans un monde idéal, on devrait exclure toute forme de coûts qui ne découlent pas strictement des mots à traduire — espérons qu'il n'y a pas de garbage in ou de garbage out —, à savoir toute l'infrastructure entourant la terminologie, la postédition, la révision et tout le reste. Je ne parle pas ici de la révision de base, qui devrait faire partie du coût au mot.
C'est là que le Conseil du Trésor doit intervenir pour protéger tous ces volets de coûts du Bureau de la traduction pour qu'ils soient exclus. À la rigueur, le fait d'attribuer un coût à ces services dissuade les ministères de les utiliser. Il est donc clair que l'intention était de réduire les coûts, mais on est allé tellement loin qu'on a violé les droits fondamentaux des employés à travailler dans la langue de leur choix.
Le Bureau devrait faire respecter la Loi sur les langues officielles et protéger la dualité linguistique également pour les fonctionnaires dans leur milieu de travail.
C'est une perte d'expertise, surtout en traduction scientifique et technique. Comme je l'ai dit tout à l'heure, on avait accumulé un bagage d'expertise au fil des années et des décennies. Les vétérans avaient cette expertise, mais ils sont partis.
Avant, quand on embauchait des jeunes, les personnes chevronnées les encadraient pour transférer les connaissances. Or maintenant, ces gens s'en vont et il n'y a plus rien. On nous parle d'externalisation, c'est-à-dire d'avoir recours à des pigistes experts de l'extérieur pour faire traduire des textes scientifiques et techniques. Je doute qu'on puisse en trouver des dizaines, mais de toute façon, c'est l'orientation qu'on prend. En d'autres mots, on est en train de tuer, au Bureau, la traduction scientifique et technique.
On est aussi en train de tuer la qualité tout court en traduction.
J'enseigne à des étudiants et je peux dire qu'ils n'ont nulle part où aller pour l'instant. Je leur dis souvent qu'il y a une vie à part le Bureau de la traduction, qu'il faut chercher un peu et qu'ils vont trouver.
Qui va les former? Les moyennes et les grandes boîtes de traduction ne veulent pas les embaucher, parce qu'ils coûtent trop cher à former. C'est de l'énergie, de la formation et de la qualité qui sont perdues. Je ne veux pas parler des autres universités, mais je peux dire ce qu'il en est dans la mienne. Quand les étudiants sortent de l'université, ils sont juste prêts à commencer à apprendre.
Ma question porte sur la qualité.
Madame Brunette, avez-vous constaté une diminution de la qualité depuis l'attrition des dernières années?
Je ne peux pas répondre à cette question, parce qu'on parle du Bureau. Comme je n'ai pas beaucoup de contacts avec le Bureau, je vais laisser mes collègues en parler.
En fait, la qualité est maintenue. Comme je l'ai dit, les gens font des pieds et des mains pour maintenir la qualité. Cependant, de plus en plus, ils subissent un stress en raison des employés qui prennent leur retraite. À un moment donné, cela va craquer et on ne sera plus capable de maintenir la qualité. Actuellement, ce qu'on fait est de bonne qualité, mais il y a des limites à ce qu'on peut tolérer. On s'approche du point de rupture. Le problème est là.
Je vous réponds donc que la qualité est effectivement maintenue et qu'on fait du bon travail, mais ce ne sera pas le cas indéfiniment.
Cela se fait aussi au coût d'emplois de qualité, notamment pour les étudiants qui sortent des universités, que ce soit l'Université d'Ottawa ou l'UQO. Leurs débouchés sont relativement limités. De plus, cela signifie des emplois très précaires pour eux. Ce que nous proposons, c'est un renforcement du Bureau de la traduction, qui deviendrait de nouveau ce lieu naturel où les finissants de très haut calibre pourraient rêver de participer. On pourrait alors voir une augmentation de la qualité. Actuellement, la qualité est présente au détriment de la santé de nos membres.
Je suis prête à défendre la traduction automatique, mais pour ce qui est de la question de la qualité, je n'ai pas précisé une chose: même s'il y a de bons corpus et une bonne postédition, la traduction automatique à elle seule n'assure pas la qualité. Elle assure la rapidité et la compréhension, mais ce n'est pas fait pour les textes à large diffusion. Jamais on ne devrait traduire un discours politique à l'aide d'un outil de traduction automatique, cela n'aurait aucun sens. Il n'en reste pas moins qu'on peut arriver à une qualité minimale pour un client qui veut une qualité minimale. Par exemple, on peut utiliser la traduction automatique si le document ne sort pas de l'entreprise ou s'il doit être traduit à l'extérieur des heures de travail ou pendant le congé de Pâques.
Merci, madame Brunette.
Merci beaucoup, monsieur Vandal. Je vais attribuer trois minutes de votre temps de parole à M. Arseneault.
D'accord, merci.
Cette question s'adresse à M. Picotte ou à Mme Tremblay.
Vous avez fait allusion aux règles du Conseil du Trésor. Pouvez-vous nous en dire davantage? Quelles sont ces règles?
Je peux simplement répéter ce que j'ai dit tout à l'heure. On a accordé au Bureau le monopole de la traduction pour les ministères qui choisissent de ne pas faire affaire avec le secteur privé. Il y a donc deux choix: les ministères et organismes fédéraux peuvent faire affaire entièrement avec le secteur privé ou avec le Bureau de la traduction, mais ils ne peuvent pas créer de service de traduction interne. C'est la règle. Or, comme je vous l'ai dit, ils ne la respectent pas. Il arrive régulièrement que le Conseil du Trésor envoie un avis aux ministères pour leur rappeler leur devoir, mais l'avis prend le chemin du panier et ils continuent comme avant.
Quand vous parlez d'obligation de dualité linguistique, faites-vous référence à cela en particulier?
Oui, mais à différents niveaux. Évidemment, pour s'assurer que les services sont disponibles pour le citoyen ou la citoyenne dans la langue de son choix, il faut d'abord que les documents soient traduits avec toute la qualité nécessaire. Or, historiquement, le Bureau de la traduction s'est porté garant de cette qualité. Ce n'est pas sûr que ce soit le cas dans tous les ministères, ni dans ceux, par exemple, qui ont décidé d'avoir recours au secteur privé de façon exclusive, ni dans ceux qui ont des boîtes fantômes, si je peux m'exprimer ainsi.
Cela dit, je parle aussi de dualité linguistique et de droits pour les gens qui travaillent au sein de la fonction publique. Je pense notamment au recours de moins en moins fréquent au bilinguisme dans le travail. Je l'ai expérimenté personnellement: je travaillais à l'ACDI, une agence relativement francophone. Or, elle a été mise en sac avec le ministère des Affaires étrangères, qui était plutôt anglophone. Oubliez ça, travailler en français. C'était fini.
En réalité, plus on fait pression sur les ministères pour qu'ils réduisent leurs coûts pour des choses qui font appel à leurs responsabilités, plus ils prennent ce genre de raccourci, c'est évident. Pour les francophones de la fonction publique, ce n'est plus vraiment réaliste de parler français ou d'utiliser le français dans leurs communications, surtout dans leurs communications écrites.
Pour tout dire, le ministre pour lequel je travaillais à l'ACDI était francophone, et on lui écrivait des mémoires en anglais, parce que son personnel était anglophone.
Merci beaucoup.
Nous allons entendre deux autres intervenants. Tout d'abord M. Fergus pendant trois minutes et ensuite M. Généreux pendant trois minutes.
Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai deux questions à poser.
Pour ce qui est de la première, j'aimerais revenir sur un commentaire de Mme Tremblay.
On a vu que toute la philosophie avait changé au sein de la fonction publique. Au lieu de considérer le bilinguisme comme une obligation propre à notre pays, on a décidé de dire que c'était un fardeau, et on cherche à faire des économies dans ce domaine.
Pourriez-vous revenir sur votre commentaire selon lequel on cherche à faire des économies dans un domaine où on ne devrait pas chercher à en faire?
Oui. Cela revient à la base, soit au respect de la Loi sur les langues officielles.
Le commissaire est-il déjà venu vous parler? Sinon, est-il prévu qu'il vienne vous voir? Je suis sûre qu'il en parlera de façon encore plus éloquente que je puis le faire aujourd'hui.
Il est clair qu'on a sacrifié la Loi sur les langues officielles sur l'autel de l'austérité. Ce n'est pas seulement vrai dans le cas de cette loi, mais également pour les multiples enjeux des populations minoritaires un peu partout. On est en train de regarder uniquement les résultats nets; c'est tout ce qui compte. J'espère que cet angle va changer avec le nouveau gouvernement.
Comme j'ai seulement trois minutes, je vais poser mes questions rapidement.
Pensez-vous qu'on pourra régler la question si on engage 30 % plus de traducteurs?
Cela va prendre plus que cela. Si on veut repositionner le Bureau comme lieu incontournable pour l'ensemble de la fonction publique, il va falloir plus que revenir au statu quo ante. On devra gérer une croissance. Comme je l'ai dit, nos économistes pourront faire une analyse pour voir ce que cela peut vouloir dire en termes réels.
Il est clair pour moi que c'est le seul moyen d'arriver à appliquer réellement la Loi sur les langues officielles.
Est-il essentiel d'avoir un Bureau de la traduction où sont centralisés tous les traducteurs à un endroit précis? Ne vaut-il pas mieux répartir ces traducteurs dans les différents ministères pour qu'ils puissent exercer leur expertise dans leur domaine?
Je vais laisser mon collègue André vous en parler davantage.
Pour ma part, je dirais que l'un n'exclut pas l'autre. On peut avoir une instance dont la fonction est d'assurer le contrôle de la qualité. La centralisation de la fonction de traduction au sein d'une instance comme le Bureau de la traduction qui se trouve à Patrimoine canadien ou ailleurs est importante. Par contre, on peut aussi avoir recours à la colocalisation des personnes. On sait que beaucoup de traducteurs sont des télétravailleurs. De plus, le Bureau réalise d'énormes économies en ayant des gens qui font du télétravail. Le travail de traduction se fait à distance. On n'a donc pas besoin d'un gros Bureau de la traduction dans votre comté, monsieur Fergus.
Des voix: Ah, ah!
On peut continuer aussi. Il n'en demeure pas moins que l'objectif de qualité et de respect de la dualité linguistique devrait primer.
La colocalisation a déjà fait ses preuves. On a cherché à faire des économies de bouts de chandelle en revenant en arrière.
Merci, monsieur le président.
Je remercie aussi les témoins de leur présence.
Monsieur Picotte, vous avez parlé en des termes qui m'ont légèrement surpris de l'organisme de service spécial où vous travaillez. Vous l'avez appelé « organisation bâtarde ». C'est quand même une expression assez lourde de sens quand on l'utilise dans différents contextes.
Vous avez dit que le nombre de personnes qui travaillaient au Bureau de la traduction était passé de 1 200 à 800. Vous venez de dire que vous donnez toujours un service d'une excellente qualité, mais que l'organisation dans laquelle vous travaillez est bâtarde. Je vais vous laisser vous exprimer à ce sujet. Je sais que ce mot ne qualifie évidemment pas les personnes, mais il illustre le fait que l'organisation est niée. C'est comme si elle ne faisait plus partie ni du gouvernement ni du secteur privé.
J'aimerais que vous parliez davantage de cette expression. J'ai senti qu'elle avait une charge très émotive pour vous, mais elle est aussi très lourde de sens.
En employant le mot « bâtarde », je parlais bien sûr de l'organisation, et non pas des gens, des gestionnaires ou de la haute direction.
On a un pied dans la fonction publique avec une logique gouvernementale, et un autre dans le secteur privé avec une logique du privé. Le Bureau a des obligations gouvernementales à remplir et il doit atteindre le seuil de rentabilité.
Il y a quelque chose qui ne va pas, et c'est pour cette raison que j'ai utilisé le mot « bâtarde ». Soit le Bureau est une société d'État et fonctionne exactement comme une entreprise privée, soit il est un service gouvernemental, ce qui est pour nous l'idéal.
Le Bureau a un pied dans le gouvernement et l'autre dans le secteur privé: c'est ce que j'appelle une organisation bâtarde.
J'aurais beaucoup de questions à poser, mais il serait intéressant de connaître les sommes qui seraient appropriées selon vous et vos économistes, potentiellement. Ce serait intéressant que le Comité puisse revoir cela un jour.
Vous serait-il possible de nous faire parvenir l'information sur ces coûts? Pourriez-vous l'envoyer au greffier pour qu'il puisse la distribuer aux membres du Comité?
Je vais chercher ce qui est possible de faire en matière de modélisation dans les plus brefs délais et nous communiquerons avec le greffier.
Madame Brunette, j'ai bien aimé votre explication sur le logiciel de traduction automatisée. Inévitablement, les technologies font partie de nos vies aujourd'hui.
On est passé de 1 200 à 800 employés et le travail se fait quand même. Inévitablement, ces postes se sont distribués ailleurs.
Quant à votre démonstration concernant le garbage in, garbage out, ce que j'en comprends, c'est que, mathématiquement, cela relève de l'analyse du logiciel.
Est-ce que vous êtes d'accord avec moi pour dire que c'est quelque chose qui est évolutif?
Par ailleurs, j'imagine qu'un logiciel comme celui-là est inévitablement utilisé par les traducteurs et qu'il augmente assurément la quantité d'information qu'on peut traduire. Convenez-vous que cela fait partie de l'évolution des choses, c'est-à-dire qu'on a peut-être besoin d'un peu moins de monde parce que des équipements très rapides sont très progressivement implantés?
Effectivement, je pense que c'est évolutif. Plus on va nourrir les corpus, meilleurs seront les résultats. Surtout, des textes qui autrement n'auraient jamais été traduits vont profiter de cet outil. Cela dit, je ne vois pas le jour où cela va remplacer la traduction humaine.
Quelqu'un quelque part a-t-il parlé de l'objectif absolu de voir un jour la machine remplacer l'homme dans la traduction au gouvernement du Canada? Quelqu'un quelque part a-t-il dit cela?
Peut-être que personne ne l'a dit, mais le comportement de Mme Achimov laisse entendre que c'est son objectif.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup, monsieur Généreux.
Merci beaucoup, madame Tremblay et monsieur Picotte. Merci beaucoup à vous également, madame Brunette.
Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes, le temps de laisser le deuxième groupe prendre place.
Merci beaucoup, encore une fois, de vos présentations.
Prenez place, s'il vous plaît.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous allons poursuivre notre étude sur le Bureau de la traduction.
Nous recevons les représentants du Centre de recherche en technologies langagières: M. Alan Bernardi, président-directeur général, ainsi que M. Donald Barabé, président du conseil d'administration.
Messieurs, vous êtes les bienvenus. Vous avez une dizaine de minutes pour faire votre présentation et nous passerons ensuite à la période d'intervention des membres du Comité.
Merci, monsieur le président.
Vous avez devant vous une présentation. Je vais passer au travers de cette présentation pour faire le point sur la traduction automatique et tenter de répondre à la question suivante: pourquoi mettre un outil imparfait à la disposition de tous les fonctionnaires fédéraux? Je parlerai aussi du mandat du Bureau et de son mode de financement.
Nous avons convenu, M. Bernardi et moi, que c'est moi qui ferais la présentation parce que j'ai passé toute ma carrière, soit 35 ans, au Bureau de la traduction. J'ai pris ma retraite du Bureau de la traduction il y a seulement trois ans. Toute ma carrière s'y est déroulée, de traducteur à vice-président. J'ai été un des instigateurs du projet de traduction automatique dont nous discutons ici. Nous nous sommes donc dit qu'il serait peut-être intéressant que je vous donne ce point de vue.
Commençons par la traduction automatique. Je vais vous présenter le contexte mondial. Chaque jour, sur Google, il se traduit 400 millions de pages. Cela veut dire que, toutes les cinq secondes, Google traduit l'équivalent de ce que le Bureau de la traduction traduit tous les ans. Le Bureau traduit 1,5 million de pages par année; Google traduit 400 millions de pages par jour.
L'Union européenne offre déjà un système de traduction automatique aux citoyens européens, notamment pour la traduction des brevets. On voit même, par exemple, les autorités allemandes utiliser la traduction automatique pour l'intégration des réfugiés syriens, parce que les Syriens ne parlent pas allemand et les Allemands ne parlent pas syrien. Ils se servent donc de la traduction automatique pour cela. Qu'on le veuille ou non, la traduction automatique est en train de devenir la lingua franca du monde, la langue la plus répandue.
Dans le contexte fédéral, lorsque Mme Achimov s'est présentée devant vous le 7 mars dernier, elle vous a dit que les fonctionnaires fédéraux avaient utilisé Google Traduction plus d'un million de fois l'année dernière. Un des enjeux derrière cela, c'est le fait qu'en utilisant Google traduction, des textes du gouvernement du Canada se retrouvent sur les serveurs d'une compagnie qui est visée par le Patriot Act. Ce n'est pas le seul enjeu, mais c'est un des enjeux qui ont compté dans les décisions.
Il faut savoir aussi que la traduction automatique est utilisée dans la fonction publique depuis le début des années 1970. Tous les bulletins météorologiques sont traduits par une machine depuis le début des années 1970. Pourquoi cela fonctionne-t-il? C'est parce que c'est répétitif et que les formulations sont répétitives. C'est fondamental. Avec l'arrivée des médias sociaux, où tout va très vite, on assiste, qu'on le veuille ou non, à une demande de traduction instantanée.
J'aimerais reprendre une expression qui a été utilisée tout à l'heure.
[Traduction]
On ne peut pas renverser la vapeur.
[Français]
Autrement dit, la traduction automatique est largement employée dans le monde et, qu'on le veuille ou non, elle est utilisée par les fonctionnaires fédéraux.
Il demeure, et Mme Brunette l'a très bien dit, que c'est quelque chose qui produit un document d'une qualité inférieure à celle du document original. Si l'original est à une certaine hauteur, celui issu de la traduction automatique va se situer plus bas. Cet outil ne produit donc pas un texte de qualité. Il permet de gagner du temps et d'avoir une idée de ce dont le texte parle. C'est pour cela qu'il est important de l'encadrer.
Quatre conditions étaient prévues pour l'encadrer. La première condition était de ne pas mettre dans le logiciel des textes qui avaient des cotes de sécurité. La deuxième condition était que ce soit à usage personnel et pour information personnelle. La troisième condition était que, si jamais il devait y avoir une diffusion, il devait y avoir une révision professionnelle préalable, c'est-à-dire une révision par un traducteur professionnel, et non pas par une adjointe bilingue. Quant à la quatrième condition, Mme Brunette en a donné un exemple tout à l'heure. Pour éviter que le système ne se contamine et qu'une traduction erronée ne soit remise dans le système, il fallait réviser ces traductions à des intervalles assez rapprochés et assez réguliers.
Voilà donc l'enjeu de la traduction automatique.
Je vais maintenant retirer mon chapeau de représentant du Centre de recherche en technologies langagières et passer au Bureau de la traduction.
Il y a trois années importantes dans l'histoire du Bureau: 1934, 1993 et 1995.
Que s'est-il passé en 1934? Le Bureau de la traduction a été créé à la suite de l'adoption par le Parlement du Canada de la Loi sur le Bureau de la traduction. Cette loi dit précisément ce qui suit.
[Traduction]
« Le Bureau a pour mission de servir les ministères et autres organismes institués par une loi fédérale ou par un décret en conseil, ainsi que les deux chambres du Parlement, pour tout ce qui concerne la traduction et la révision de leurs documents ».
C'était le paragraphe 4(1). Le paragraphe 4(2) prévoit que les ministères et ces autres organismes « sont tenus de collaborer avec le Bureau à l’exécution de la présente loi et de ses règlements ».
[Français]
Par conséquent, lorsqu'il a été créé, le Bureau était un organisme auquel les ministères devaient obligatoirement recourir. En vertu de la Loi et des règlements, il devait effectuer toutes les traductions demandées par les ministères et par le Parlement.
Entre 1934 et 1995, il a été financé au moyen de crédits parlementaires. La traduction était, de ce fait, gratuite pour les ministères.
En 1993, le Bureau est passé du Secrétariat d'État, qui est aujourd'hui Patrimoine canadien, à Travaux publics et Services gouvernementaux, qui est aujourd'hui Services publics et Approvisionnement Canada. Le mandat et le mode de financement du Bureau sont demeurés inchangés, mais alors qu'elle était un élément crucial du tissu social canadien, la traduction est devenue un service administratif. Or, il est connu qu'on essaie généralement de réduire le plus possible les coûts des services administratifs.
En 1995, il a été décidé de transformer le Bureau en organisme de service spécial et de ne plus rendre ses services obligatoires pour les ministères. Dès lors, les ministères ont pu choisir de faire affaire avec soit le Bureau de la traduction, soit le secteur privé, sans avoir le droit de disposer eux-mêmes d'un service de traduction. Par contre, le Bureau a dû commencer à facturer tous ses coûts.
Je vais revenir à la dualité linguistique. Vous avez vu plus tôt que le Bureau était passé de Patrimoine canadien à Service publics et Approvisionnement Canada. Dans le texte de la présentation se trouve un article qui a fait la manchette de La Presse en 2007. L'article, intitulé « La survie du Canada repose sur le bilinguisme », est paru à la suite de la parution du livre Sorry, I Don't Speak French de Graham Fraser, qui n'était pas encore commissaire aux langues officielles à ce moment-là.
À la page 10, vous trouverez une carte de la dualité linguistique du Canada qui indique, selon les statistiques du dernier recensement, que 17,5 % de la population canadienne est bilingue et que la traduction est un pont essentiel entre les cultures et les communautés. En fait, la traduction joue un rôle fondamental en ce sens qu'elle garantit à chaque Canadien le droit constitutionnel d'être unilingue. Elle garantit également aux fonctionnaires le droit de disposer d'outils et de documents de travail dans leur langue officielle.
On dit à la page 11 que le Bureau est devenu un organisme de service spécial, que les ministères ne sont plus obligés de recourir à ses services et qu'il doit recouvrer tous ses coûts. À la page 12, on dit que cela a entraîné un certain nombre de difficultés. La première est que le Bureau doit continuer de répondre à la demande, mais que les ministères ne sont pas obligés de l'alimenter. Même s'ils décident de le faire, il arrive assez souvent qu'ils changent d'idée au cours de l'année.
Le plein recouvrement des coûts oblige le Bureau à facturer des coûts pour lesquels les ministères ne sont pas financés. Par exemple, les loyers des ministères et les assurances pour les employés sont financés de façon centrale. Comme le Bureau doit assumer ces coûts, il doit les récupérer auprès de ses clients. Ces coûts ne sont pas négligeables.
En même temps, les règles qui sont imposées au Bureau sont telles que si un ministère décide de recourir aux services du secteur privé et de lancer un appel d'offres, le Bureau n'a pas le droit de soumissionner en réponse à ces appels d'offres.
Les ministères ont même des pouvoirs contractuels en matière de traduction supérieurs à ceux du Bureau de la traduction, qui est pourtant l'organisme expert en traduction. Les pouvoirs contractuels en traduction du Bureau sont de 25 000 $, tandis que ceux des ministères sont de 2 millions de dollars. Malheureusement, cela a entraîné des conséquences imprévues. Une de celles-ci est le report et l'annulation de traductions, et on a vu réapparaître quelque chose qu'on ne voyait plus: la traduction sur demande. Des ministères ont indiqué qu'ils ne feraient plus traduire les documents, sauf si on leur en demandait la traduction. Ce n'est pas généralisé, mais c'est quand même assez fréquent.
Étant donné que les ministères n'ont pas tous l'argent pour payer les coûts de traduction, certains ont décidé de créer leur propre service de traduction en pensant que cela leur coûterait moins cher. Des études indépendantes réalisées ont montré que c'était parfois trois fois plus cher. Cela a entraîné une conséquence pour l'industrie. Il faut savoir que le gouvernement du Canada est le plus important donneur d'ouvrage en traduction au Canada et l'un des plus importants au monde. La façon dont il donne du travail joue sur le développement de l'industrie. En donnant aux ministères le pouvoir de conclure les contrats, on a fragmenté le pouvoir d'achat du fédéral en traduction. Cela a contribué à fragmenter l'industrie et à la rendre vulnérable.
En conclusion, la traduction automatique est un outil imparfait mais utile. Cependant, il est nécessaire qu'il soit utilisé à bon escient. Le Bureau de la traduction est un élément clé de l'infrastructure dont s'est doté le Canada pour fonctionner en tant que pays bilingue, mais dans l'état actuel des choses, il est sans doute sous-utilisé.
J'aimerais formuler quelques recommandations.
En ce qui a trait à la traduction automatique, il faut veiller à l'application des quatre conditions de succès pour l'implantation du logiciel de traduction automatique. Il faut sensibiliser les ministères aux avantages de la traduction automatique, car il y en a, mais aussi et surtout aux limites de la traduction automatique et aux effets que cela peut avoir sur le respect de la Loi sur les langues officielles.
En ce qui concerne le Bureau de la traduction, il y aurait peut-être lieu de réexaminer la place qu'il occupe au sein de l'administration fédérale. Il y a certainement lieu de régler les problèmes, les difficultés et les conséquences qui n'étaient pas prévues et de miser sur l'expertise du Bureau pour s'assurer qu'il n'y a plus de dédoublements de coûts et que ce qui est écrit par des fonctionnaires et qui doit être traduit est effectivement traduit par des fonctionnaires.
Quant à lui, le secteur privé ne veut pas tout traduire. Je peux vous assurer qu'il ne veut pas traduire les textes non rentables. Il faudrait donc que le Bureau de la traduction soit équipé pour les traduire et il faudrait aussi miser sur l'expertise du Bureau pour consolider le pouvoir d'achat du gouvernement fédéral en traduction, de façon à assurer le développement de l'industrie de la traduction au Canada.
Merci beaucoup de votre présentation, monsieur Barabé.
Nous allons passer à M. Généreux et à Mme Boucher, qui doivent se partager le temps de parole qui leur est imparti.
Merci, monsieur le président.
Je remercie les deux témoins d'être ici aujourd'hui.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est le Centre de recherche en technologies langagières? Pour utiliser une expression consacrée, qu'est-ce que ça mange en hiver?
Je vais dire un mot là-dessus et je vais ensuite passer la parole à mon collègue.
Il s'agit d'un centre qui a été créé à l'instigation de plusieurs organismes fédéraux, dont le Bureau de la traduction.
M. Bernardi va vous donner l'heure juste à cet égard.
Trois organismes ont créé le CRTL: il s'agit du Bureau de la traduction, du CNRC et de l'Université du Québec en Outaouais. Nous sommes logés juste de l'autre côté de la rivière, à l'UQO. Notre rôle est de faire de la recherche et de l'appropriation de technologies dans le domaine des technologies langagières.
En 2014, nous avons élargi notre mandat. Faute de financement, nous nous penchons maintenant sur l'informatique décisionnelle, sur les données volumineuses ainsi que sur l'entrepreneurship dans la région de l'Outaouais.
Avez-vous collaboré de près ou de loin à la création du logiciel ou à sa supervision? Avez-vous été liés à cet outil d'une façon ou d'une autre? L'avez-vous analysé? J'imagine que vous analysez de façon continue cet outil qui devait être implanté le 1er avril.
Non. Nous travaillons dans le même édifice et nous avons utilisé ce logiciel il y a trois ans, mais nous n'avons eu aucun contact avec la version qui a été déployée pour le gouvernement.
Il faut dire qu'il y a deux morceaux, comme Mme Brunette l'a bien expliqué. Il y a le logiciel et il y a aussi les corpus ou ce que le logiciel a appris. Ce logiciel traduit pour la fonction publique le langage de la fonction publique. On l'a formé avec les textes officiels de la fonction publique qui étaient déjà traduits dans les deux langues.
Que se passe-t-il lorsqu'on le sort de son contexte? Quand on lui demande de traduire des courriels et qu'il n'a pas appris la traduction de courriels, l'outil est beaucoup moins performant, car le langage est différent.
En ce qui a trait à la météorologie et à Environnement Canada, la traduction des rapports de météo provient du même logiciel qui a appris la langue spécifique de la météo. Il est donc très performant parce que la variance du texte est très faible.
Il y a beaucoup de nouvelles technologies, mais vous nous avez expliqué un peu plus tôt que cet outil s'adressait à nous. Il ne s'agit pas d'un outil pour rédiger des textes qu'on peut envoyer. C'est pour l'usage personnel du parlementaire ou du fonctionnaire.
Pour faire de la traduction, il faut que la personne qui voit ce qui sort de la machine ait la compétence nécessaire pour s'assurer que l'outil a bien fonctionné et y apporter des corrections si nécessaire. C'est ce que Mme Brunette a appelé la postédition. Si on l'utilise de l'autre façon, il faut avoir les compétences pour le faire.
Exactement, et c'est peut-être la question. Présentement, Google Traduction est utilisé un million de fois par année par les fonctionnaires. Continue-t-on à utiliser des outils publics, avec les risques que cela peut comporter, ou se dote-t-on d'un outil interne qui ne comporte pas de risques de sécurité et qui, avec l'apprentissage, pourra être beaucoup plus performant parce qu'il va connaître la terminologie utilisée dans la fonction publique fédérale?
En ce qui a trait aux langues officielles, comment peut-on utiliser cet outil quand on veut faire appliquer la Loi sur les langues officielles? Cet outil est-il assez performant pour protéger les deux langues officielles? La façon dont il fonctionne, est-ce un peu n'importe quoi?
C'est un outil qui a des limites et qui dépend de la personne qui l'utilise. S'il est utilisé à bon escient, il protège les langues officielles dans un certain sens. Il aide à traduire, à comprendre quelqu'un qui nous parle dans une autre langue. On peut l'utiliser à des fins de compréhension. Cependant, ce n'est pas cela qui va renforcer la loi; ce n'est qu'un outil.
Merci, monsieur le président.
En fin de compte, on pourrait utiliser l'outil de traduction pour toute communication interne. Toutefois, pour toute communication externe, on devrait passer par le Bureau de la traduction.
Pour être plus précis, je dirais que cet outil ne devrait pas être utilisé pour aucune communication. On s'entend que, lorsqu'il y a une communication, il y a diffusion.
C'est un outil qui permet à quelqu'un qui ne connaît pas l'autre langue d'avoir une idée de ce qui se trouve dans un document.
En effet, la crainte est que les gens utilisent cet outil pour communiquer avec des collègues à l'interne.
Une de vos recommandations suggère de sensibiliser les ministères aux avantages et aux limites de l'outil de traduction. Que suggérez-vous qu'on fasse en ce sens? Dans un monde parfait, c'est ce qui arriverait.
Il faut expliquer que la traduction automatique présente des avantages sur le plan de la rapidité. Cet outil permet d'avoir une idée du contenu d'un document, mais il faut insister pour dire qu'il ne peut pas servir dans quelque communication que ce soit, parce que cela ne respecte pas le principe de l'égalité des langues officielles. C'est ce qui est fondamental.
Il est clair qu'il permet de faire certains gains de productivité.
Prenons le cas des bulletins météo. Je ne sais pas combien de personnes font maintenant partie de cette équipe, mais à l'époque où j'y étais, elle comportait sept traducteurs. Si des humains avaient dû faire ce travail sans utiliser la traduction automatique, il aurait fallu environ 70 traducteurs. Il y a d'énormes économies, mais c'est un domaine extrêmement précis.
Tout à fait. C'est surtout parce que les météorologues se sont entendus pour décrire la journée tristounette d'aujourd'hui d'une seule façon, et la machine régurgite cette description.
Je suis rassuré que vous ayez dit qu'on devrait utiliser la traduction automatique uniquement comme un outil de compréhension, et non comme un outil de traduction. Effectivement, cela mènerait à des communications erronées et qui ne seraient pas révisées par un professionnel. Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Ma question porte sur une de vos diapositives, où il est dit que le « financement du BT passe au recouvrement des pleins coûts, sauf pour le Parlement ».
Dans vos recommandations, vous n'avez pas mentionné si l'on devrait revoir ce modèle. Devrait-on le revoir?
Nous recommandons de corriger les difficultés et les conséquences imprévues.
Le hasard a fait que j'ai passé la moitié de ma carrière où les services du Bureau de la traduction étaient obligatoires et gratuits, et l'autre moitié où ils étaient facultatifs et payants. On pourrait s'attendre à ce que ce ne soit pas le cas, mais bizarrement, j'ai préféré la deuxième moitié, parce que cela oblige à être le plus efficace possible. Cependant, on est probablement allé trop loin.
Le meilleur parallèle que je puisse faire est celui avec les services juridiques de Justice Canada. Les ministères ont des enjeux juridiques et ils font appel à des avocats du ministère de la Justice pour les aider. Il y a un service juridique dans chacun des ministères, lequel relève de Justice Canada et non du ministère dans lequel il se trouve. Or Justice Canada facture seulement une partie des coûts aux ministères.
Quand on facture aux ministères les coûts complets, y compris pour des éléments pour lesquels les ministères n'ont pas de budget, par exemple le loyer et les assurances, cela entraîne une pression indue sur eux et des actions non souhaitables, par exemple la création de services fantômes complets.
Des études indépendantes ont été faites pour voir quels étaient les coûts de tels services. Il en est ressorti que ces coûts pouvaient être jusqu'à trois fois plus élevés que ceux du Bureau de la traduction. On est probablement allé un peu trop loin et il faudrait corriger ces aberrations.
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
Je suis vraiment heureux d'avoir demandé cette étude, avec M. Mauril Bélanger. En effet, plus nous approfondissons le sujet, plus nous nous rendons compte de l'importance du Bureau de la traduction pour ce qui est de la dualité linguistique et du respect des langues officielles.
Quand Mme Achimov a comparu devant ce comité, elle a déclaré, comme elle l'avait fait dans les médias, que l'outil de traduction pouvait être utilisé pour rédiger de petits courriels ou des messages non officiels.
Pourquoi a-t-elle dit cela, selon vous?
Je lui ai demandé si elle était consciente du fait que des experts avaient fait valoir, comme vous l'avez fait également, qu'il était extrêmement important de ne jamais utiliser cet outil à des fins de rédaction. Je lui ai demandé si elle ne trouvait pas que cette situation entraînait une confusion, un cafouillis, et s'il ne serait pas préférable, à son avis, de retarder la mise en oeuvre de cet outil. Elle m'a répondu que ce n'était pas nécessaire.
À l'instar d'associations de traducteurs du Nouveau-Brunswick et de l'Ontario, j'ai envoyé une lettre à la ministre Judy Foote récemment pour demander que cette mise en oeuvre soit retardée. Heureusement, ce l'est pour l'instant.
Vous avez peut-être appris dans les médias pourquoi cette mise en oeuvre avait été retardée. On y rapporte entre autres les propos suivants du ministère des Services publics et de l'Approvisionnement:
Des modifications visant « à améliorer la vitesse de réponse » et « à clarifier l'information s'adressant aux utilisateurs » devront être effectuées « au cours des prochaines semaines », avant la mise en service de l'outil de traduction automatique dans l'ensemble de la fonction publique fédérale.
En vous basant sur votre connaissance du dossier, diriez-vous que cette réponse est satisfaisante?
Il nous est difficile de nous prononcer à ce sujet. Cependant, en ce qui concerne le deuxième point que vous avez soulevé, c'est-à-dire la nécessité d'apporter des clarifications, le fait que nous soyons tous ici en train de discuter de cet enjeu démontre à mon avis que des clarifications sont nécessaires.
Très bien.
Vous avez traité du Bureau de la traduction et des recommandations que vous avez faites. Vous avez aussi parlé de ce que le secteur privé ne doit ou ne veut pas traduire.
Pouvez-vous nous donner plus de détails à ce sujet?
Plus tôt, les représentants du syndicat ont beaucoup parlé du recours à la sous-traitance. Dans la Loi sur le Bureau de la traduction, il est clair que le choix de recourir ou non à la sous-traitance est laissé au PDG du Bureau de la traduction. Simplement sur le plan de la gestion, c'est une nécessité absolue, parce que la demande fluctue. Doter des postes pour tout faire à l'interne lorsqu'il y a des périodes de pointe coûterait très cher aux contribuables et ne serait pas efficace. Il est donc important de recourir au secteur privé.
Quelle était la suite de votre question?
La question qui se pose est donc de déterminer ce qu'on envoie au secteur privé. Nous avons inclus dans nos recommandations le fait qu'on ne devrait pas confier au secteur privé des textes qui ne devraient pas lui être confiés, par exemple des textes sur lesquels le gouvernement s'appuie pour prendre des décisions. C'est le cas aussi pour l'ensemble des textes qui portent une cote de sécurité. En effet, même si un fournisseur a une cote de sécurité, il peut se retrouver dans une situation de conflit d'intérêts.
Je vais vous donner un exemple. Pendant toute ma carrière de fonctionnaire, j'ai eu la cote de sécurité « très secrète ». Tous les six mois, je devais remplir une déclaration d'intérêts pour démontrer à mon employeur, le gouvernement du Canada, que je n'étais pas en conflit d'intérêts. Cela fait partie du Code de valeurs et d'éthique du secteur public, qui est pour sa part inclus dans les conditions d'emploi des fonctionnaires. Or cela ne peut pas s'appliquer à un fournisseur. Par conséquent, les textes qui portent une cote ne devraient probablement pas être confiés au secteur privé.
L'autre point concerne ce que le secteur privé ne veut pas faire. Comme je suis très actif au sein de l'association qui représente l'industrie de la langue au Canada, je peux vous dire que le secteur privé ne veut pas avoir à traduire des textes non rentables. C'est normal. Ces gens veulent assurer leur rentabilité. Les textes très courts ou scientifiques, ultra spécialisés, sont des exemples de textes non rentables. Il n'est pas rentable pour ces gens de mobiliser des ressources à cette fin.
Une analyse peut être faite en tenant compte de ces facteurs.
Merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui.
Je vais revenir sur vos recommandations.
Vous avez dit que l'outil de traduction ne devrait servir qu'à des fins de compréhension. Vous dites vouloir sensibiliser les ministères à cet égard.
Dans un monde idéal, comment faudrait-il sensibiliser les ministères?
Il faut qu'il y ait beaucoup de communication pour cela. Je n'étais pas là lorsque les choses ont commencé à être mises en place. Pour chaque texte traduit, il pourrait y avoir un avis indiquant qu'il n'est émis qu'à des fins de compréhension, et non de communication. C'est tout un exercice de communication qui doit être fait.
Vous parlez aussi du risque que comporte Google Traduction sur le plan de la sécurité. Vous avez parlé plus tôt des cotes de sécurité. J'aimerais que vous parliez du problème que représente Google Traduction, afin de m'assurer qu'on saisit bien ce qu'il en est.
Tout ce qu'on met sur Google devient sa propriété. C'est prévu dans le contrat qu'on signe avec Google. En utilisant ce service, on signe un tel contrat. Il en est ainsi pour tous les textes que l'on met sur Google, que ce soit personnellement ou en tant que fonctionnaire. Chaque fois qu'un fonctionnaire met un texte du gouvernement dans Google Traduction, ce texte devient la propriété de Google, qu'il ait une cote de sécurité ou non.
Dans les avis donnés aux ministères, est-ce quelque chose qui devrait être précisé? Devrait-on les aviser de ne pas faire traduire des textes du gouvernement ou des ministères et de n'utiliser que l'outil qu'on leur fournit?
Dans ce qui sort du système de traduction, il faudrait préciser que c'est ce qui est privilégié pour telle ou telle raison.
J'aimerais ajouter quelque chose.
Il y a une chose qui pourrait être explorée. On pourrait ouvrir l'outil aux Canadiens également, et pas uniquement aux fonctionnaires. C'est ce que font les pays de l'Union européenne. Leur outil de traduction automatique a été développé pour le gouvernement, mais il est maintenant ouvert à tout le monde. Cela pourrait éviter que des secrets industriels du Canada ne soient dévoilés.
Je trouve cela très intéressant. Quand l'outil est exploité par un logiciel informatisé ouvert à tous, il y a une possibilité de revenus publicitaires.
D'accord.
C'est intéressant parce qu'on irait chercher encore plus. De plus, cela resterait à l'intérieur du Canada. J'imagine que les serveurs sont au Canada?
Même si Google décidait de placer des serveurs au Canada, ces derniers demeureraient sa propriété. Ils sont visés par ce que j'ai dit.
Ma question est d'ordre pratique et elle concerne cette petite et merveilleuse machine de traduction. Vous m'excuserez, mais je suis saint Thomas pour ce qui est de douter, et même, saint Thomas est un amateur à ce chapitre comparativement à moi.
J'essaie de faire une analogie avec le correcteur de français Antidote. Je suppose que la langue française doit être l'une des langues occidentales les plus difficiles à apprendre. Elle n'est peut-être pas la seule, mais avec ses accords, ses genres et tout le reste, elle est vraiment difficile à apprendre.
Vous connaissez cette petite et merveilleuse machine. En créant automatiquement une banque de mots et de phrases, la traduction du français vers l'anglais est-elle aussi rapide ou efficace que la traduction de l'anglais vers le français? J'imagine que la plupart des banques de mots et de phrases sont créées à partir de la langue anglaise au début, parce que la majorité des utilisateurs canadiens sont anglophones.
Premièrement, il y a une grosse différence entre Antidote et ce genre d'outil. Antidote utilise très peu les statistiques; il utilise des règles bien précises. Je connais bien les gens d'Antidote. Il est plus facile de faire un correcteur français qu'un correcteur anglais. Les gens d'Antidote viennent de sortir un correcteur anglais. Le français est une langue plus structurée que l'anglais. Donc, la machine est plus facile à cet égard.
Les logiciels de traduction automatique emploient des modèles statistiques et ils ne font pas la différence entre une langue et une autre. On lui donne à manger des bitextes, ni plus ni moins, donc des textes bien traduits; c'est la base. Au moyen de ces textes, il bâtit un modèle de la langue. D'un côté ou de l'autre, c'est exactement la même chose.
Sur le plan pratique, au premier degré, je comprends. Si on lui donne des peanuts, il nous sort des arachides, et si on lui donne des arachides, il nous sort des peanuts.
Des voix: Ah, ah!
J'aimerais revenir sur Antidote. C'est peut-être plus facile pour la machine avec Antidote, que j'utilise régulièrement. On me dit que c'est l'un des logiciels les plus performants de la planète.
Je lève mon chapeau à Montréal, mais Antidote n'est pas parfait, loin de là. Pourtant, ce logiciel est l'expert mondial en correction grammaticale du français.
Je suis comme saint Thomas. Je me vois difficilement faire la traduction de l'anglais vers le français et, par-dessus le marché, faire la correction grammaticale. Il me semble que c'est une mission presque impossible.
L'avez-vous expérimenté ou touché, l'avez-vous vu?
J'ai touché les mêmes choses que vous. Comme il s'agit d'un engin statistique, la variance est importante. Si les textes ont peu de variations, par exemple la météo...
C'est vrai, mais il y a peu de variance dans la météo. La traduction peut donc être de très bonne qualité. Plus on augmente la variance, plus vastes sont les champs touchés, plus il devient difficile d'avoir le même niveau de qualité.
Que font les entreprises de traduction qui utilisent la traduction automatique? Les meilleures pratiques consistent à circonscrire l'apprentissage de l'outil de traduction au domaine précis dans lequel le traducteur est en train de traduire et de postéditer des textes.
J'ai un exemple, soit celui de certains manuels destinés aux militaires. On apprenait à partir de manuels qu'on avait déjà traduits. Par la suite, lorsqu'on commençait à traduire le manuel et à réviser le tout avec la traduction automatique, on remettait cette information dans l'outil toutes les semaines. L'outil de traduction devenait donc de plus en plus performant pour traduire ce manuel, puisque le début était déjà compris. C'est un exemple des meilleures pratiques.
C'était au cours des années 1970, d'abord pour la traduction des bulletins météorologiques. Dans le cas de l’outil de traduction automatisé Portage, c'est très récent. Je dirais que c'est depuis trois ou quatre ans.
Votre organisation est-elle une organisation à but non lucratif? Avez-vous été consultés avant la mise en oeuvre de cet outil?
S'agit-il d'un outil de traduction qui peut encourager l'utilisation des deux langues officielles au sein du gouvernement du Canada?
C'est un outil qui peut permettre aux fonctionnaires unilingues d'avoir une idée de ce que signifie un texte écrit dans l'autre langue officielle.
Cela peut encourager l'utilisation des deux langues officielles tant qu'on s'en tient à la compréhension, et non pas à la communication, et tant que cela reste destiné à un usage personnel. Dès que ce n'est plus pour usage personnel, cela soulève l'enjeu du respect de la Loi sur les langues officielles.
De toute façon, c'est déjà largement utilisé.
Votre collègue qui était présent à la table un peu plus tôt le disait lui-même: lorsqu'il était fonctionnaire, il utilisait déjà Google Traduction.
Cela pourrait donc être très important pour le bilinguisme partout au Canada au sein de la population à l'extérieur de la fonction publique.
En fin de compte, peut-on dire qu'il faudrait presque un langage de robot pour avoir une traduction fidèle?
Vous soulevez un point intéressant à cet égard. Une des choses qu'on a commencé à étudier récemment, c'est le cycle de vie de l'information. Prenons l'exemple de la production de documents. Si on produit des documents qui sont écrits de façon beaucoup plus simple, notamment en utilisant l'anglais simplifié, ces documents vont être beaucoup plus faciles à traduire, mais aussi beaucoup plus faciles à lire pour une grande proportion de la population qui a des problèmes de littératie. Donc, non seulement on réduit le coût de la traduction du document, mais aussi, on rend le document plus accessible, et ce, dans les deux langues, à une très bonne proportion de la population qui a de la misère à lire les choses.
C'est peut-être quelque chose à considérer. Il n'y a pas seulement la question des langues officielles, mais aussi les enjeux touchant l'accès aux documents ainsi que leur transparence, et cela peut se faire en simplifiant certains documents. Cela ne s'appliquerait pas aux documents de loi, mais d'autres documents destinés à un public général pourraient être simplifiés dès leur création.
Merci. Le temps de parole augmente, c'est bien. Merci, monsieur le président.
À la page 6 de votre document, on retrouve les trois dates importantes du Bureau, dont 1995 où il a été question des coûts pour le Bureau de la traduction. Est-ce que les coûts de développement en font partie? On fait la comparaison entre les firmes privées, ou encore les boîtes de traduction ou services fantômes, et le service barbare — je n'ose pas réutiliser le terme employé plus tôt, excusez-moi.
Oui. Il y a diverses raisons qui expliquent cela. Il faut comprendre quels sont les coûts pour le Bureau lorsqu'il développe des outils comme cela.
Tout à l'heure, on a posé une question à propos de Termium. Les frais que le Bureau doit payer pour la conception et la mise à jour de Termium, par exemple, n'entrent pas dans les coûts qui sont facturés aux ministères, parce qu'il y a des crédits parlementaires qui couvrent cela.
Quand on parle d'un outil qui sert à la traduction, il y a des coûts de développement, alors cela entre dans les coûts qui vont être refilés aux ministères. En même temps, ce sont des coûts que le secteur privé n'assume pas, mais dont il profite.
Il en profite au même titre que si le logiciel était à grande échelle, à l'échelle canadienne, au même titre qu'ils peuvent profiter de Google.
Oui.
Par exemple, quand il a été décidé, avec l'aval du Parlement, de mettre Termium et tout le portail linguistique à la disposition de tous les Canadiens, il y avait un coût à cela. En fait, tout ce qu'on met sur le Web est accessible non seulement aux Canadiens, mais au monde entier. S'il faut que les serveurs puissent absorber la demande qui va venir, il y a des coûts à cela.
Alors si le Bureau de la traduction fait cela pour la traduction automatique, il va y avoir un coût, c'est clair.
Ai-je encore du temps, monsieur le président? C'est bien gentil.
Moi aussi, je suis saint Thomas, et l'accent des îles ne sera probablement jamais rapporté dans la traduction.
Vous avez parlé des avantages, à la page 15. Expliquez-moi exactement quels sont les plus grands avantages que vous y voyez.
Je dirais que c'est la rapidité et le fait qu'on puisse comprendre.
Je vais vous donner un exemple qui sort complètement du gouvernement. J'ai des allergies alimentaires. Si je vais faire un voyage en Chine, je vais être très heureux de pouvoir prendre une photo d'un menu chinois pour avoir une idée de ce qu'il contient, parce que je ne connais pas le chinois.
Cela existe déjà: c'est Google Traduction.
C'est rapide. Il est question de 400 millions de pages par jour, alors que le Bureau produit 1,5 million de pages par année. Je peux vous assurer que la qualité des 400 millions de pages qui en sortent ne va pas à la cheville de la qualité des textes qui sortent du Bureau.
Cela dit, cela vous donne une idée. C'est rapide, et on a une idée de ce dont le document cause.
C'est extrêmement important, ce que vous venez de dire. On retarde l'entrée en fonction du logiciel pour diverses raisons, qui sont correctes. Cependant, on est rendu en 2016, pour reprendre une phrase célèbre. À un moment donné, il faut qu'on accouche.
Vous venez de dire que tout le monde dans l'Union européenne a accès au logiciel qu'elle a elle-même inventé et mis en place. J'imagine que ce sont les gouvernements de l'Union européenne qui ont fait cela.
Au sujet de la mise en oeuvre de l'outil de traduction, j'ai demandé à Mme Achimov si des analyses de risque avaient été faites concernant le respect des langues officielles, et elle m'a répondu qu'il y avait un projet pilote. Sauf erreur, vous y avez participé.
Nous n'avons jamais touché à la présente version. Tout ce que nous avons appris, c'est ce qui a été publié dans les journaux.
J'ai posé la question à Mme Achimov et elle m'a parlé d'un projet pilote. Je pensais que vous y aviez participé. Je lui ai demandé s'il y avait eu un rapport à ce sujet, et elle m'a répondu qu'il n'y en avait pas vraiment eu. J'ai demandé aussi au commissaire aux langues officielles, que nous aurons l'occasion de rencontrer d'ici une ou deux semaines, s'il avait pour sa part fait des analyses de risque. Il a répondu que son bureau n'avait pas l'expertise nécessaire pour le faire.
Selon vous, qui aurait l'expertise pour faire des analyses de risque concernant la mise en oeuvre de ce logiciel dans tout l'appareil de l'État? Il s'agirait de déterminer, comme vous l'avez expliqué, si les consignes sont données pour que l'outil soit utilisé d'une manière adéquate.
Il est probablement possible de voir qui utilise l'outil dans le ministère, de voir si on l'utilise pour des courriels, et ainsi de suite. Sur le plan technologique, c'est possible, mais il faudrait analyser la question plus en détail avant de vous donner une réponse.
La question que je me pose est reliée à la Loi sur les langues officielles. Comme on le sait, l'introduction de cet outil a fait l'objet d'un certain cafouillage, notamment de la part de Mme Achimov.
Comme le temps presse, je vais conclure en vous demandant s'il ne devrait pas y avoir, au sein de la direction du Bureau de la traduction, des traducteurs qui savent comment mettre en oeuvre un tel outil.
Merci, monsieur Choquette.
Y a-t-il d'autres interventions? Non?
Je vous remercie de votre excellente présentation.
Nous allons poursuivre nos travaux mercredi prochain dans l'après-midi. Nous accueillerons alors des représentants de l'Université d'Ottawa, de la Fédération des communautés francophones et acadienne ainsi que de l'Association de l'industrie de la langue.
Lundi prochain, nous accueillerons des représentants de l'Université de Moncton.
Souhaiteriez-vous que nous entendions de nouveau des représentants du Bureau de la traduction?
Monsieur Choquette, vous avez la parole.
Merci, monsieur le président.
Pour ma part, je ne souhaite pas que nous les entendions de nouveau. Nous les avons déjà entendus. Ils ont passé environ deux heures avec nous. Ils ont dit ce qu'ils avaient à dire, à mon avis, et je pense que nous les avons bien entendus.
Nous disposons de peu de temps, étant donné que d'autres études doivent prendre leur envol. Je pense aussi que M. Vandal a une étude intéressante à proposer.
Pour ces raisons, je préfère que nous concentrions nos efforts sur les témoins à venir.
En outre, je propose qu'à la fin de cette étude un rapport soit déposé à la Chambre. J'en fais la proposition immédiatement.
Je suggère que, pendant la deuxième heure, soit après la comparution des gens de l'Université de Moncton, nous nous penchions sur le contenu du rapport que nous fournirions.
Est-ce que cela vous convient? Oui? Très bien.
Je vous remercie de votre excellente présentation et de votre contribution à cette étude.
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