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Puisque je m'exprime au nom de la minorité anglophone du Québec, je vais vous présenter mon exposé en anglais. On m'a demandé de rester brève en espérant que nous aurons suffisamment de temps pour aller plus en profondeur lors des questions des membres.
J'apporte beaucoup d'expérience dans ce dossier, car je participe dans ce secteur depuis plus de 30 ans. J'ai fondé le Centre d'alphabétisation et été directrice générale du Centre que bon nombre ont considéré pendant de nombreuses années comme étant le centre de recherche et de ressources le plus important au Canada, jusqu'à sa fermeture en 2015. J'ai mené des recherches et beaucoup écrit sur ce sujet pendant plusieurs années.
Je viens tout juste de terminer une étude et de dresser un inventaire avec Marc Johnson sur l'alphabétisation et les compétences essentielles, ainsi que sur le besoin des populations de langue minoritaire en matière d'alphabétisation et de compétences essentielles. Nous donnerons des présentations sur le sujet dans deux semaines, dans nos communautés respectives, et je m'attends à ce que le bureau publie son rapport. Je ne peux pas discuter des recommandations qui seront formulées, mais je vais m'inspirer de certains des résultats, car l'étude a été menée au cours des six derniers mois de l'année.
Le principal message que j'aimerais vous transmettre aujourd'hui, c'est que les services offerts actuellement ne permettent pas de satisfaire aux besoins de la communauté anglophone du Québec en matière d'alphabétisation et de compétences essentielles. Cette population est confrontée à plusieurs obstacles — certains semblables à ceux auxquels sont confrontés les francophones hors Québec, mais d'autres sont propres au Québec.
Les changements stratégiques et en matière de financement adoptés par le gouvernement fédéral, notamment, ont eu des répercussions à grande échelle, car les groupes linguistiques minoritaires dépendent beaucoup du financement fédéral acheminé par l'entremise du Québec. Dans une certaine mesure, je dirais que le Québec a également le privilège de disposer d'un financement de base qu'il peut acheminer à ces groupes communautaires.
Les groupes anglophones du Québec reçoivent un financement de base. Il est facile d'utiliser ces fonds pour masquer la réalité, car la réalité est que les fonds de base sont insuffisants pour vraiment permettre à ces groupes d'atteindre leur pleine capacité ou de servir les populations qu'ils sont censés servir. Je laisserai Margo vous parler plus en détail de cette question.
L'autre répercussion majeure pour la communauté de langue officielle en situation minoritaire, et d'ailleurs pour toutes les organisations du pays, a été ressentie lorsque le gouvernement fédéral a décidé de mettre fin au financement de base pour cette activité, en 2014. À l'époque, le gouvernement a dit qu'il cessait de financer la recherche et les organisations pour se concentrer uniquement sur les projets utiles. Cela a eu pour résultat qu'en l'espace d'un an ou deux, 30 années d'effort au pays ont été effacées.
La plupart des organisations principales offrant une infrastructure ont implosé — elles ont presque toutes disparu. Si je ne m'abuse, vous avez accueilli la semaine dernière des représentants de l'une de ces organisations, Le RESDAC. Je siège encore au conseil d'administration de cette organisation, mais celle-ci est sur le point de s'effondrer. J'espère au moins que sa mission sera reconduite.
Presque tous les groupes anglophones ont disparu, sauf un qui n'est plus que l'ombre de lui-même. Cela signifie essentiellement qu'il n'y a plus de base sur laquelle s'appuyer pour mener des recherches ou offrir des occasions de réseautage ou même des espaces pour permettre aux gens de se rencontrer et de partager des pratiques exemplaires et des connaissances, par exemple.
Beaucoup de connaissances et de sagesse collectives ont également été perdues. Ce qui s'est produit à l'interne au cours de la dernière décennie, c'est un rétrécissement de l'orientation stratégique du fédéral. Lorsque l'alphabétisation a été ajoutée pour la première fois au programme fédéral vers la fin des années 1980, à l'époque où le Secrétariat national d'alphabétisation a été créé, une vision très large a été adoptée en matière d'alphabétisation et d'apprentissage des adultes et liée à la citoyenneté et à la participation au sein de la société, de sa propre famille et du milieu de travail. Donc, une vision très large.
Pendant de nombreuses années, ce sont les provinces qui ont affecté une grande partie du financement à l'échelle du pays par l'entremise d'ententes fédérales-provinciales. Des fonds étaient transférés aux provinces, mais les provinces offraient également un fonds de contrepartie. Beaucoup d'infrastructures, tant nationales que provinciales, dépendaient de ces ententes fédérales-provinciales.
Ces ententes ont pris fin en 2007, année où le Secrétariat national d'alphabétisation a été dissous. Une nouvelle entité a été créée — le Bureau de l'alphabétisation et des compétences essentielles —, entité qui existe toujours.
Au fil des ans, l'accent est passé d'un équilibre entre le milieu de travail, la famille et la communauté à un équilibre presque exclusif entre le milieu de travail, les emplois et l'aptitude au travail. Aujourd'hui, les efforts en matière d'alphabétisation financés par le fédéral se concentrent principalement sur le milieu de travail et l'aptitude au travail.
Ce sont les communautés linguistiques en situation minoritaire qui ont été les plus touchées par ces changements, car une grande partie de leur financement provenait du fédéral ou des transferts fédéraux. J'espère avoir l'occasion de parler plus en détail de cette situation.
Le Québec organise des activités prometteuses dont j'espère avoir l'occasion de vous parler. Le gouvernement du Québec mise beaucoup sur l'alphabétisation et l'acquisition de compétences. Il s'est engagé à accroître les niveaux d'alphabétisation lors des prochains sondages internationaux du PIAAC, en 2022. Nous ignorons quel sera l'impact pour les communautés linguistiques en situation minoritaire, mais de nouveaux fonds sont injectés.
Je tiens à répéter que les anglophones ont un profil différent des francophones. Nous obtenons de meilleurs résultats que les francophones dans le cadre du PIAAC. Cela ne se traduit pas par un meilleur accès à des emplois ou à des occasions liées habituellement aux résultats du PIAAC. Le fait que nous obtenons de meilleurs résultats dans le cadre du PIAAC ne veut pas dire que les choses vont généralement bien.
Nous sommes une communauté éparpillée. Le gros de notre population se trouve au Québec, mais la population a augmenté au cours des dernières années. De plus, le Québec et le gouvernement fédéral utilisent des critères différents pour recueillir les données relatives à notre population. Le gouvernement fédéral inclut ceux qui s'expriment dans la première langue officielle, alors que le Québec reconnaît uniquement ceux dont la langue maternelle est l'anglais. La différence entre ces chiffres devient une différence à long terme applicable au financement disponible.
Je vais m'arrêter ici en espérant pouvoir revenir sur certains points plus en détail. J'aimerais vous partager des exemples très précis que nous avons entendus au cours des six derniers mois dans le cadre de notre collecte de données, car ils vous donneront un portrait d'une communauté qui paraît parfois plus vivante qu'elle ne l'est.
Je vais laisser Margo vous parler de son secteur, car je crois qu'il s'agit d'un exemple concret. Ensuite, j'ajouterai peut-être une dernière chose.
Mon nom est Margot Legault. Je suis la directrice générale de Literacy Quebec, un réseau d'organisations provinciales pour l'alphabétisation en anglais.
Notre mission consiste vraiment à communiquer avec les organisations communautaires d'alphabétisation et à les représenter. Literacy Quebec et ses 12 organisations membres sont reconnus par le ministère de l'Éducation. Nous recevons un financement de base pour nos programmes. C'est grâce à ce soutien financier que notre réseau a pu survivre aux compressions financières du gouvernement fédéral dont a parlé Linda, mais cela ne veut pas dire qu'il n'a pas été touché.
Par exemple, en 2006, les ententes fédérales-provinciales donnant accès au financement de l'IFPCA n'ont pas été reconduites. Les organisations communautaires d'alphabétisation ont perdu l'accès à une source importante de financement leur permettant de créer des projets de renforcement de la capacité.
Literacy Quebec tente de combler cette lacune en matière de soutien en sensibilisant les gens aux problèmes d'alphabétisation dans la province et en aidant à recruter des adultes ayant un faible taux d'alphabétisation, en participant à l'élaboration de ressources et de matériels, en offrant des possibilités de perfectionnement professionnel pour les praticiens en alphabétisation et en offrant des occasions de concertation.
Ceci dit, nous travaillons dans le contexte d'une langue minoritaire dans la province, ce qui n'est pas toujours facile. De plus, nous travaillons avec des populations très vulnérables pour lesquelles l'impact de nos efforts ne peut pas toujours être mesuré par les niveaux de diplomation et les services de placement. Il peut être difficile de quantifier l'incidence que nous avons sur la situation d'un particulier. Je parle ici de briser l'isolement, de l'habilitation, de l'estime de soi et de la capacité à gérer sa propre santé et un budget et à naviguer dans leur environnement, et même, de voter.
Les organisations en alphabétisation qui travaillent dans le contexte d'une langue minoritaire au Québec sont confrontées à des défis bien précis. Nous sommes responsables de très grands territoires. Nos 13 organisations membres sont censées couvrir toute la province. Donc, celle-ci a été divisée en régions. Évidemment, ces organisations sont incapables d'offrir des services pour toute la région. Elles doivent donc fixer des priorités et mener des interventions ciblées.
De plus, les fonds que nous recevons sont insuffisants pour satisfaire à nos besoins. Donc, la plupart de nos organisations ne comptent en moyenne que 1,5 employé. Elles doivent également limiter leurs heures d'ouverture pendant la semaine.
Nos membres créent et favorisent un sentiment d'appartenance chez les anglophones. Ils recrutent et forment des bénévoles pour devenir des tuteurs en alphabétisation. Non seulement s'agit-il pour les bénévoles d'une belle occasion, ceci leur permet également de contribuer à la vitalité de leur communauté. Ils offrent également aux apprenants adultes un environnement chaleureux, accueillant et libre de tout jugement. Ils peuvent ajuster l'apprentissage afin de répondre aux objectifs personnels précis de chacun des apprenants.
Il est également important de souligner que nous ne travaillons pas en silo. À notre avis, il ne revient pas uniquement aux écoles, aux conseils scolaires et aux organisations communautaires d'alphabétisation d'améliorer les taux d'alphabétisation. C'est la raison pour laquelle nous sommes l'un des membres fondateurs d'un réseau d'alphabétisation. Ce réseau réunit diverses organisations à l'échelle de la province dans le but d'introduire des mesures structurelles permettant d'examiner les causes et conséquences d'un faible niveau d'alphabétisation.
Notre réseau a été très heureux d'apprendre que le parti libéral reconnaissait l'importance essentielle des compétences en alphabétisation pour réussir dans la société d'aujourd'hui et qu'il comprenait le rôle essentiel que joue le secteur sans but lucratif dans le développement stratégique et la prestation de programmes.
Merci.
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Je vais revenir encore une fois aux propos de Margo. Je vais vous donner deux exemples, tous les deux tirés de l'étude que nous avons terminée récemment. Le premier exemple est que, sur papier, nous avons des lignes de référence au Québec, Info-Alpha et Info Apprendre, qui sont censées être bilingues. Ces services sont soutenus par le gouvernement du Québec, par l'entremise du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, et administrés par la Fondation pour l'alphabétisation. Ces lignes de référence ont également leur propre site Web. Lorsqu'on appelle ces lignes de référence, on entend des messages en anglais, puis on est censé être transféré à plus de 600 centres de services à l'échelle du pays.
Nous avons communiqué avec le directeur des services afin de savoir combien d'appels Info-Alpha avait transférés l'année précédente à des centres de services. De façon générale, Info Apprendre concerne l'éducation des adultes. Il peut s'agir d'adultes au niveau du cégep ou universitaire. Le directeur nous a répondu que sur les 886 appels transférés par Info-Alpha entre le 1er avril 2016 et le 31 mars 2017, 7 % avaient été placés par des anglophones. Cela se traduit par 62 appels. Il ne pouvait pas nous dire à quels centres ces appels avaient été transférés. Il croyait qu'ils avaient été transférés à des organisations communautaires, soit les membres du groupe de Margo, les 13 organisations.
J'en ai parlé à Margo, qui était l'une de nos informatrices, tout comme huit autres directeurs généraux. Chaque année, Margo recueille des données auprès de ses membres. Je lui ai demandé combien d'appels Info-Alpha avait transférés l'an dernier à ses membres, et elle m'a répondu: aucun. J'ai confirmé cette information en venant ici, car cette information est incluse dans mon rapport et dans ce document.
J'ai également interrogé le directeur au sujet d'Info Apprendre. Sur les 1 863 appels reçus au cours de l'année, 16 % avaient été placés par des anglophones, ce qui se traduit par 298 appels. Il ne pouvait pas me dire où ces appels avaient été transférés. Il m'a tout simplement dit qu'ils avaient été transférés au bon service, sans pouvoir me dire où et à quelle organisation. Nous avons pu vérifier auprès des organisations communautaires, car elles recueillent ces données. C'est le premier exemple.
L'autre exemple concerne probablement le réseau auquel faisait référence Margo, car l'une des choses que j'ai découvertes en m'entretenant avec les directeurs généraux, c'est que les sites Web de ces lignes de référence dressent une longue liste d'activités et de services offerts. J'ai trouvé cela très intéressant. Or, en réalité, très peu de ces activités sont offertes pour la même raison qu'a soulignée Margo, soit le manque de ressources. Donc, la liste représente toutes les activités qui pourraient être offertes ou qui ont déjà été offertes, mais seulement deux ou trois de ces activités sont offertes par année, selon les besoins de la communauté.
L'autre chose qui n'était pas claire, c'est le nombre de ces services offerts aux adultes. Le financement de base auquel Margo faisait référence est offert aux organisations communautaires et assujetti à peu de conditions. Ces fonds aident ces organisations à remplir leur mission, soit satisfaire aux besoins de la communauté. Encore une fois, plusieurs de ces organisations offrent des services, comme des programmes parascolaires pour les enfants et un soutien aux jeunes de la communauté. Elles n'offraient pas toutes des services aux adultes. Certaines offraient des ateliers une ou deux fois par année, car le nombre de participants aux ateliers permettait de gonfler les chiffres sur lesquels elles font rapport, car il s'agit de l'une des mesures sur lesquelles elles peuvent faire rapport. Ce sont là deux exemples.
Est-ce que cela vous donne une idée de la situation? Sur papier, ce sont des services incroyables. Treize organisations reçoivent un financement de base et offrent toutes ces activités et tous ces services. Il y a un service de référence qui est censé orienter les gens vers les services appropriés, mais en réalité, ce n'est pas le cas. En passant, la réalité est la même pour les centres d'emploi. Les services d'emploi pour les jeunes ont mené une étude cette année sur les centres d'emploi du Québec. Sur les 158 centres, seulement quelques-uns avaient la capacité nécessaire pour offrir des services bilingues.
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Nous utilisons le terme « pancanadien » parce qu'au Québec, le mot « national » désigne le Québec.
[Traduction]
J'ai appris cela en 1986. J'ai été nommée au Conseil supérieur de l'éducation.
À l'époque, les choses n'étaient pas envoyées en ligne; on m'a donc envoyé un énorme dossier pour que je me prépare; on y trouvait une multitude de discussions sur la
[Français]
politique nationale. J'étais très naïve et j'ai pensé que cela concernait le Canada.
[Traduction]
Je me suis présentée à la table et j'ai fait un commentaire sur la politique canadienne; le président a dit:
[Français]
« Madame, vraiment, le mot "national", ici, veut dire le Québec. »
Alors, disons qu'il y avait six organisations pancanadiennes.
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Des exemples précis; très bien. Il y a certainement celui d'Info Québec.
Je veux vous donner un exemple concret. L'organisation appelée YES, Youth Employment Services, n'offre aucune activité d'alphabétisation des adultes; elle est axée sur l'employabilité, mais elle regroupe tous les fournisseurs de services. Je dirais que l'un des résultats intéressants de l'étude que nous venons de compléter était que les gens de YES se sont montrés ouverts à l'idée que des gens de la communauté de l'alphabétisation participent à leurs rencontres, parce qu'ils estiment qu'il faudrait plus de partenariats. J'espère que cela se concrétisera.
Lors d'une réunion à laquelle j'ai assisté, en novembre, une collègue est venue parler de nouveaux développements — de nouvelles initiatives stratégiques — à Emploi-Québec. La documentation avait été publiée un mois auparavant, environ, mais seulement en français. Cette femme, une francophone, assiste aussi aux réunions du côté anglophone.
Elle a demandé à une personne qui était à la table:
[Français]
« Est-ce que cela va être disponible en anglais? »
[Traduction]
On lui a dit que non. Lorsqu'elle a demandé pourquoi, une autre personne a répondu: « Nous n'y avons pas pensé. » C'est une anecdote intéressante, parce qu'il n'y avait là aucune malice ni mauvaise intention; on n'y avait pas pensé.
J'attire votre attention sur les conclusions d'une étude sur les centres d'emploi réalisée par YES. Elle a eu lieu l'été dernier dans cinq régions du Québec, à l'extérieur de Montréal, donc dans des régions qui n'ont pas nécessairement une importante communauté anglophone. On a constaté, pour la ville de Québec et sa région, qu'il y avait 56 centres d'emploi, dont un centre anglophone et huit centres bilingues. En Gaspésie, sur 31 centres, il y avait un centre anglophone et trois centres bilingues. Les centres bilingues n'étaient pas toujours en mesure de fournir des services adéquats en anglais. Désigner un centre comme « bilingue » ne signifiait pas pour autant qu'il offrait les services. Les anglophones que nous avons rencontrés en Gaspésie et dans certaines régions éloignées ont indiqué avoir demandé à quelqu'un de les accompagner, pour agir comme interprète, afin d'obtenir des services d'emploi. Il y avait beaucoup de commentaires.
L'autre exemple qui me vient à l'esprit se rapporte peut-être un peu plus à votre question. Au Québec, il y a des pages en anglais sur les sites Web d'un bon nombre de programmes gouvernementaux, mais pour d'autres, il n'y a rien, ce qui ne veut pas dire que les anglophones n'ont pas accès au financement. Les anglophones peuvent demander de financement, mais tout doit se faire en français.