INDY Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY
COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 2 décembre 1998
[Traduction]
La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Je déclare la séance ouverte conformément à l'ordre de renvoi de la Chambre en date du mardi 3 novembre 1998. Nous examinons le projet de loi C-54, Loi visant à faciliter et à promouvoir le commerce électronique en protégeant les renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués dans certaines circonstances, en prévoyant l'utilisation de moyens électroniques pour communiquer ou enregistrer de l'information et des transactions et en modifiant la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur les textes réglementaires et la Loi sur la révision des lois.
Je suis heureuse de souhaiter la bienvenue, de nouveau, aux représentants du ministère de l'Industrie. Je suis désolée que nous n'ayons pu les entendre hier; toutefois, nous avons eu une excellente discussion avec le ministre.
Je cède la parole à Michelle d'Auray, qui fera quelques remarques liminaires. Je crois savoir que nous nous en tiendrons à la question de la protection des renseignements personnels et, pour ce faire, nous tenterons de séparer le projet de loi en deux parties.
Mme Michelle d'Auray (directrice exécutive, Groupe de travail sur le commerce électronique, ministère de l'Industrie): Merci, madame la présidente.
Je suis accompagnée aujourd'hui de Mme Helen McDonald, directrice générale de la Division de la politique du Groupe de travail sur le commerce électronique, la division qui s'occupe d'élaborer les mesures législatives protégeant les renseignements personnels; Mme Stéphanie Perrin, directrice de la Politique de protection de la vie privée du groupe de travail; et Mme Heather Black, conseillère juridique du ministère de la Justice affectée au ministère de l'Industrie et qui nous dispense des conseils sur les dispositions du projet de loi concernant la vie privée. Nous sommes aussi accompagnés d'experts qui pourront répondre aux questions sur les articles du projet de loi portant sur les documents électroniques, s'il y a lieu. Nous sommes très heureuses d'être avec vous aujourd'hui et de pouvoir répondre aux questions des membres du comité.
[Français]
Il nous fait plaisir d'être ici aujourd'hui pour répondre à vos questions. Je ferai une très brève présentation
[Traduction]
étant donné que le ministre a passé en revue les aspects généraux du projet de loi hier.
Dans l'ensemble, les politiques sur la protection des renseignements personnels ont pour objectif d'établir la responsabilité, de déterminer les fins auxquelles des informations peuvent être recueillies; de limiter la collecte de renseignements à ces seules fins; de restreindre l'usage et la divulgation; d'exiger l'obtention du consentement pour la collecte de renseignements à d'autres fins; d'assurer la qualité des données; d'imposer des obligations concernant la sécurité des données; de permettre aux intéressés d'accéder aux renseignements qui les concernent et de les corriger s'il y a lieu; de permettre des recours; et d'établir la responsabilité en matière de surveillance. Ces principes constituent le fondement de tous les projets de loi adoptés à ce sujet dans le monde et se fondent eux-mêmes sur les lignes directrices de l'OCDE de 1980 en matière de protection de la vie privée.
• 1535
Les questions de protection de la vie privée ont pris les
devants de la scène en raison des conséquences du système morcelé
qui existe à l'heure actuelle au Canada. Sauf pour le Québec, qui
a sa propre loi sur la protection des renseignements personnels
dans le secteur privé, la réglementation est très inégale. Comme
l'a indiqué hier le ministre, il faut que les gens puissent
s'adonner au commerce électronique sur l'autoroute de l'information
en toute confiance. Dans certains cas, la distinction entre les
secteurs public et privé est floue en ce qui a trait au traitement
et à la collecte d'information, et, de plus en plus, cela a des
incidences à l'échelle mondiale sur le commerce et d'autres
questions touchant la vie privée et le transfert de données.
Des arguments importants justifient le dépôt d'un projet de loi à ce sujet au Canada. Nous devons uniformiser le code de la route électronique. Nous devons créer une «police de la route» ou un mécanisme de surveillance impartial. Nous devons trouver une façon d'assujettir à la loi les passagers clandestins, ceux qui ne se conforment pas aux codes d'autoréglementation. Et nous devons satisfaire, à bien des égards, aux normes internationales de protection des données. C'est ce que fait le projet de loi C-54 en intégrant à la loi le code type de l'Association canadienne de normalisation en matière de protection de la vie privée. Le projet de loi prévoit en outre un mécanisme de surveillance par l'entremise du commissaire fédéral à la protection de la vie privée, ainsi qu'un recours relativement facile et un recours ultime à la Cour fédérale.
Je m'arrête ici pour répondre aux questions des membres du comité.
La présidente: Merci beaucoup, madame d'Auray.
Je cède la parole à quiconque veut poser des questions. Je suppose que certains auront des questions de nature technique, tandis que d'autres voudront s'obstiner pour le moment. Les représentants du ministère témoigneront de nouveau au besoin lorsque nous examinerons le projet de loi en détail en février.
Cela dit, monsieur Pankiw, préféreriez-vous que je commence par Mme Lalonde?
M. Jim Pankiw (Saskatoon—Humboldt, Réf.): Oui.
[Français]
La présidente: Madame Lalonde, est-ce que vous avez des questions?
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Je me serais attendue à ce que Mme d'Auray nous fasse un exposé plus approfondi sur la loi elle-même, laquelle est extrêmement surprenante étant donné qu'elle doit être le fondement de droits pour les citoyens.
Le coeur du droit doit être trouvé dans une norme qui est truffée de conditionnels, que par ailleurs le coeur de la loi, la loi elle-même, semble vouloir corriger en créant des obligations. Franchement, je dois vous dire qu'il faut plus qu'un cours de droit pour deviner quels sont réellement le droit et l'obligation à la lecture combinée de la norme et de la loi elle-même. Donc, la confusion est grande, et je ne fais que citer un avocat qui travaille pour une association de consommateurs au Québec et qui disait au journal Le Devoir qu'après un briefing des responsables du ministère, 40 personnes se retrouvaient avec 60 interprétations. Ce sera ma première question, madame.
Mme Michelle d'Auray: Merci. La question de la norme est intéressante. Nous avons choisi d'incorporer la norme canadienne dans la loi afin de permettre l'utilisation d'une norme qui est déjà connue des consommateurs et des entreprises du secteur privé, ainsi que des gouvernements. La norme est partie intégrale de la loi et elle formule des obligations auxquelles les entreprises devront se conformer.
En annexant la norme, on peut utiliser cette dernière pour faire des vérifications, des audits. On peut aussi l'utiliser au niveau international pour faire une évaluation et obliger les entreprises qui transigent avec les entreprises canadiennes à s'y conformer. Il est parfois très difficile de faire en sorte que les entreprises se conforment à des lois dans d'autres pays. Nous avons donc dans la loi une norme ou un standard qui permet une comparaison internationale.
La loi se lit de façon intégrale entre la première partie et l'annexe, mais les obligations sont clairement établies dans la norme elle-même, qui a force de loi.
Mme Francine Lalonde: Permettez-moi, madame, de différer vivement d'opinion avec vous. Vous dites que les obligations—et j'ajouterais les droits—sont clairement incluses dans la norme elle-même; ce n'est pas vrai. Quand on regarde l'ensemble des dispositions de cette annexe 1, qui s'appelle chapitre 4 ou article 4, on voit que les verbes au conditionnel y sont tellement nombreux qu'ils demandent à être explicités par les paragraphes (1), (2) et (3) de l'article 7.
Je le répète, il est impossible aux entreprises de connaître leurs obligations exactes. Je ne m'inquiète pas trop des grandes entreprises; elles ont des bureaux d'avocats et toutes sortes de moyens. Cependant, les petites et moyennes entreprises, qui sont en très grande majorité, ne sauront pas à quoi s'en tenir. Je pense surtout aux citoyens. Dire que la norme nationale est connue des consommateurs... Sans doute quelques personnes membres des associations de consommateurs la connaissent-elles, mais sauf par eux, la norme nationale n'est pas vraiment connue. Je diffère donc totalement d'opinion avec vous là-dessus.
Je vais revenir au droit de recours. Dans l'expérience acquise par l'application de la loi québécoise...
La présidente: C'est votre dernière question, je vous en prie, madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: Pas de tout ce processus, j'en suis certaine, madame. Cependant, je serai docile, comme d'habitude. J'attends que vous souriiez après la traduction.
La présidente: C'est votre dernière question, s'il vous plaît.
Mme Francine Lalonde: Je disais donc qu'au Québec, on sait que l'efficacité de la loi—parce qu'elle a été efficace, après quatre ans d'implantation, même si les entreprises ont renâclé au début—est liée à la capacité du citoyen d'exercer un droit de recours rapidement et gratuitement.
Or, dans la loi fédérale, si je lis bien ce qui a trait au droit de recours, lorsque que des problèmes de renseignements personnels se posent, l'article 15 fait référence à l'article 8 de la norme nationale, qui dit que la personne doit d'abord essayer de s'entendre avec la compagnie. Si elle ne s'entend pas avec la compagnie, elle s'adressera au commissaire et ensuite le commissaire pourra faire enquête. Il fait ensuite un rapport et une recommandation, et si la compagnie ne se rend pas à cette exigence, la personne doit, après je ne sais combien de temps, s'adresser à la Cour fédérale. Est-ce qu'il n'y a pas là de quoi décourager les citoyens, d'une part, et, d'autre part, de quoi ne pas encourager les entreprises à appliquer ce qui pourrait leur apparaître comme relevant de l'esprit, d'un quelconque esprit, de cette loi? Il faut se rappeler, madame, qu'il y a les entreprises de bonne volonté et les autres. Il faut que l'État soit du côté du citoyen et du consommateur.
Mme Michelle d'Auray: J'ajouterai peut-être un élément concernant les normes. Pour ce qui est des PME, les obligations sont quand même assez clairement établies. Il est possible que le commissaire ou la commissaire puisse, par l'entremise de ses pouvoirs en éducation publique, produire des documents très simples qui indiquent quelles sont les 10 démarches que vous devez suivre pour vous conformer à la loi. Le langage de la norme est très clair et écrit de façon très simple. Les obligations sont identifiées et ont force de loi. Les autres éléments, les recommandations, sont là pour donner aux entreprises des suggestions sur la façon de se conformer aux obligations.
Pour ce qui est du droit de recours et du processus pour l'exercer, la personne peut aller directement au commissaire.
Mme Francine Lalonde: Pas dans tous les cas, si je regarde la loi.
Mme Michelle d'Auray: La personne peut s'adresser au commissaire. Normalement, lorsqu'une personne se rend compte qu'il y a un problème, c'est qu'elle a essayé d'obtenir de l'information d'une compagnie ou d'une société quelconque. C'est normalement la façon dont on s'aperçoit qu'il y a un problème. À ce moment-là, on présente le problème au commissaire. Ce dernier peut aussi de lui-même, de son propre chef, initier des vérifications et soumettre des cas directement à la cour.
Nous avons pensé qu'à cause de son pouvoir d'éducation publique et de son pouvoir de rendre certaines modalités publiques, il était préférable de donner au commissaire ces pouvoirs et de les assortir de pouvoirs de vérification plutôt que de pouvoirs d'ordonnance, et de laisser ceux-ci à la cour.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Monsieur Lastewka, vous avez la parole.
M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Merci, madame la présidente.
Peut-être pourrez-vous expliquer une chose. Nous avons déjà discuté du chevauchement des lois provinciales et fédérales. Je sais que, pour l'instant, le Québec est la seule province qui a adopté ses propres lois. Pourriez-vous expliquer comment les provinces qui auront adopté leurs propres lois découlant de la Loi sur la protection des renseignements personnels pourront se soustraire à la loi fédérale—conformément à l'article 25, je crois? Et qu'en sera-t-il des organisations fédérales dans les provinces qui seront assujetties à la loi fédérale puisqu'elles ne pourront être assujetties à la loi provinciale? Pourriez-vous nous donner des exemples?
Mme Michelle d'Auray: La loi prévoit que les trois premières années, les secteurs réglementés par le fédéral, tels que les banques, les communications, la câblodistribution, les télécommunications, la téléphonie, ainsi que le transport interprovincial comme le transport aérien, seront visés par la loi, qui s'appliquera aussi au commerce interprovincial et international des informations.
Trois ans après l'entrée en vigueur du projet de loi, là où les provinces ont adopté leurs propres lois, le gouvernement pourra accorder des exemptions aux secteurs réglementés par les provinces, mais ce, uniquement parce que la province aura légiféré. Autrement, le projet de loi continuera de s'appliquer aux secteurs réglementés par les provinces pour ce qui est du commerce des informations.
Tout dépendra de la loi qu'adopteront les provinces et du contenu de cette loi, qui devra être essentiellement le même que celui de la loi fédérale. Dans bien des cas, les provinces pourront aller plus loin que le fédéral. Les provinces peuvent choisir de viser non seulement les secteurs réglementés par la province, mais aussi les municipalités et les domaines municipaux. Elles devront aussi traiter des employés des entreprises sous réglementation provinciale, car le gouvernement fédéral n'a pas le pouvoir d'imposer des lois en matière de protection de la vie privée aux employés provinciaux ni aux employés des entreprises provinciales.
Ainsi, si la Nouvelle-Écosse décide de ne pas légiférer, trois ans après l'entrée en vigueur du projet de loi, la loi fédérale s'appliquera aux entreprises sous réglementation provinciale. Si la Nouvelle-Écosse adopte sa propre loi, les entreprises de son ressort seront assujetties à la loi provinciale et les entreprises sous réglementation fédérale seront visées par la loi fédérale.
M. Walt Lastewka: Si la Nouvelle-Écosse décide de légiférer, cette loi devra-t-elle comprendre ce qui est prévu dans la loi fédérale? Comment cela fonctionne-t-il?
Mme Michelle d'Auray: Essentiellement, on s'assurera d'harmoniser les lois. Au sein des administrations provinciales, il existe un groupe devant s'assurer que toute loi élaborée par la province est harmonisée à la loi fédérale.
Pour ce qui est de définir ce que sont les activités commerciales sous réglementation provinciale, on les définit habituellement par exclusion des entreprises sous réglementation fédérale; ce sont donc essentiellement les activités autres que les entreprises, affaires et ouvrages de compétence fédérale.
M. Walt Lastewka: Avez-vous tenu des discussions avec les provinces et le commissaire à la protection de la vie privée avant de déposer le projet de loi?
Mme Michelle d'Auray: Les discussions avec les provinces sur les questions de vie privée ont commencé à l'été de 1996. Elles s'inscrivaient dans le cadre de la rencontre des ministres fédéral et provinciaux sur l'autoroute de l'information qui s'est tenue à l'automne 1996, en septembre, je crois, à Winnipeg.
Les discussions se sont poursuivies pendant les deux années suivantes et ont mené à la déclaration des ministres responsables à l'autoroute de l'information, en juin 1998, selon laquelle la protection de la vie privée était des plus importantes et que le point de départ serait l'élaboration du code type de l'Association canadienne de normalisation.
• 1550
Le gouvernement fédéral discute donc de son intention de
légiférer depuis l'été 1996.
M. Walt Lastewka: Toutes les provinces ont-elles participé à ces discussions?
Mme Michelle d'Auray: Oui, elles ont toutes participé à ces discussions.
M. Walt Lastewka: Qu'en est-il du commissaire à la protection de la vie privée?
La présidente: Monsieur Lastewka, c'est votre dernière question.
Mme Michelle d'Auray: Le commissaire à la protection de la vie privée demande déjà, depuis un certain temps, dans certains de ses rapports, une loi s'appliquant au secteur privé. Nous avons rendu public un document de travail qu'il a aussi commenté. Il y a donc eu des discussions avec le commissaire à la protection de la vie privée.
J'oublie de dire que nous avons rendu public en janvier 1998 un document de consultation sur la meilleure façon d'assurer la protection des renseignements personnels, l'intention de légiférer du gouvernement fédéral et le genre de loi qui devrait être élaborée.
M. Walt Lastewka: Merci, madame la présidente.
La présidente: Merci, monsieur Lastewka.
Monsieur Jones, avez-vous des questions?
[Français]
Madame Lalonde, avez-vous une autre question?
Mme Francine Lalonde: Oui. Vous dites, madame, qu'il y a eu consultation. Il y a effectivement eu le début d'un tel processus, mais il a été interrompu abruptement par le dépôt du projet de loi du ministre. Le ministre a envoyé aux provinces, une semaine avant de déposer son projet de loi, une proposition antérieure. Mais il y avait une démarche beaucoup plus compréhensive entre les différentes provinces, démarche à laquelle le Québec a participé avec plaisir, mais qui s'est terminée abruptement.
J'ai posé la question hier au ministre. Un des projets qui ont circulé faisait que le gouvernement fédéral, compte tenu de l'interprétation constitutionnelle de sa juridiction, aurait eu un rôle résiduaire, attendu que les provinces se seraient dotées de lois coordonnées pour faire en sorte que les droits soient protégés. Le ministre m'a répondu que jamais il n'aurait accepté un tel projet. Je n'ai pas les bleus; j'ai essayé de les avoir mais ils ne sont pas encore prêts. Mais ce que j'ai compris, c'est que jamais il n'aurait accepté que le gouvernement fédéral n'ait qu'un droit résiduaire.
Êtes-vous conscients que les Québécoises et les Québécois jouissent actuellement de droits qui leur seraient retirés du seul fait de l'adoption de ce projet de loi? J'espère que d'ici son adoption, nous arriverons à vous convaincre d'emprunter un autre chemin.
Je pense à cette personne employée d'Air Canada qui a demandé à répétition à voir son dossier. Quand elle a fait appel à la commission du Québec, cette dernière a voulu statuer là-dessus. La compagnie a fait objection. Ils sont allés en Cour supérieure. Dans un jugement récent, on a dit qu'aussi longtemps qu'il n'y avait pas de loi fédérale, la loi québécoise s'appliquerait. Donc, cette personne, en ce moment, a un droit.
Dans votre projet de loi, elle n'a pas de droit. Or, la compagnie a refusé. Il y a eu médiation et la compagnie ne voulait pas donner ce renseignement. Avec votre projet de loi, elle ne pourrait pas non plus y avoir accès. Selon la loi québécoise, elle peut profiter d'un processus de médiation, mais pas selon la vôtre.
C'est un exemple que je vous donne. On pourrait en donner plusieurs autres. Ce n'est pas un problème abstrait. C'est un problème extrêmement concret.
Mme Michelle d'Auray: Dans le cas que vous citez, je crois que la question est en appel devant la Cour supérieure du Québec.
Mme Francine Lalonde: C'est réglé. J'ai eu le jugement. Le jugement dit qu'aussi longtemps qu'il n'y a pas de loi fédérale, le commissaire a juridiction.
La présidente: Madame Lalonde, madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: Je réponds à madame.
[Traduction]
La présidente: Madame Lalonde, je préférerais que vous n'interrompiez pas le témoin pendant qu'il répond. Cela s'est déjà produit plusieurs fois aujourd'hui. Vous êtes intervenue; maintenant, laissez-les répondre.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Madame la présidente, je respecte votre droit à la présidence. Je vais essayer de me retenir. Même si vous me trouvez impertinente, je dirai que ce n'est pas une attitude non parlementaire. Merci. Mais je vais essayer d'être gentille.
[Traduction]
La présidente: Je n'ai pas dit que vous aviez contrevenu aux pratiques parlementaires. Je vous demande seulement, après être intervenue, de laisser la chance aux témoins de répondre. À plusieurs reprises, vous avez fait des remarques pendant qu'ils parlaient, et cela m'apparaît déplacé.
Madame d'Auray.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Merci.
Mme Michelle d'Auray: Comme vous l'avez indiqué, la loi fédérale compléter les...
Mme Francine Lalonde: ...
[Note de la rédaction: Inaudible]
La présidente: Madame Lalonde, please.
Madame d'Auray.
Mme Michelle d'Auray: La loi fédérale vient compléter la loi québécoise. Il y a effectivement des domaines de juridiction fédérale où la loi fédérale s'applique parce que le gouvernement fédéral a droit de regard sur les compagnies ou les entreprises qui relèvent de la compétence fédérale. Donc, nous venons compléter la loi québécoise à plusieurs niveaux, notamment aux niveaux interprovincial et international.
Comme le ministre le disait hier, parce que le Québec est la seule province à avoir légiféré en la matière, les citoyens du Québec auront, lorsque la loi fédérale sera adoptée, la protection la plus complète au Canada. Ils seront protégés au niveau fédéral ainsi qu'au niveau provincial.
[Traduction]
La présidente: Merci, madame Lalonde.
Monsieur Murray, je vous en prie.
M. Ian Murray (Lanark—Carleton, Lib.): Merci, madame la présidente. J'ai une question à vous poser sur l'article 7 concernant la protection des renseignements personnels. Cet article stipule que «l'organisation ne peut recueillir de renseignements personnels à l'insu de l'intéressé et sans son consentement que dans les cas suivants», et on énumère ensuite les différentes circonstances dans lesquelles c'est permis. L'alinéa 7(1)c) dit que «la collecte est faite uniquement à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires». Pourriez-vous me dire pourquoi on permettrait à un journaliste de recueillir des renseignements personnels à l'insu de l'intéressé, ou ai-je mal compris cette disposition?
Mme Michelle d'Auray: En l'occurrence, la collecte de renseignements personnels se fait aux fins de la publication d'un article ou d'une activité médiatique. Elle vise les activités qui, au Canada, sont reconnues comme relevant du journalisme d'enquête ou menant à la publication d'un roman ou d'une pièce de théâtre. Mais elle ne s'applique qu'à la collecte de renseignements.
S'il y a des allégations de diffamation ou de divulgation illégale de renseignements, d'autres lois protègent les intéressés. Compte tenu de la pratique du journalisme au Canada, on a jugé que ce serait la façon la plus efficace de permettre la publication d'information dans l'intérêt public tout en permettant les recours habituels dans les cas d'usage à mauvais escient, de publication illicite ou de publication d'informations fautives.
M. Ian Murray: Cela n'est-il pas un peu trop permissif? J'ai l'impression que les journalistes pourraient se servir de cette disposition pour se défendre. On parle de fins journalistiques, artistiques ou littéraires. Je vois mal pourquoi il serait nécessaire d'avoir des renseignements personnels à des fins artistiques ou littéraires, à moins que ce ne soit pour une biographie qui figurerait sur l'Internet.
Il s'agit ici de renseignements personnels; on ne parle pas de renseignements biographiques connus du public de toute façon. Ce qui nous préoccupe, ce sont les renseignements personnels qui seraient de nature financière, par exemple, ou de nature telle qu'on veuille les garder secrets. Je vois mal pourquoi on permettrait aux journalistes d'accéder à ces informations. Cette disposition est trop permissive et réduit grandement le niveau de protection.
Mme Michelle d'Auray: Manifestement, tout journaliste peut demander des renseignements sur une personne en particulier à un établissement ou une organisation, mais la loi prévoit que ces renseignements ne seront communiqués qu'avec le consentement de l'intéressé. On peut se demander comment les journalistes obtiennent leurs informations ou si ces renseignements sont communiqués sans contrainte. Si l'établissement ou l'entreprise communique des renseignements qu'il n'aurait pas dû donner, l'intéressé a des recours. La loi prévoit des freins et des contre-poids.
Nous devons tenir compte du droit à la libre expression que garantit la Charte et trouver aussi là le juste milieu. Si on publie des informations erronées, l'intéressé a des recours en matière de diffamation, notamment. Mais on doit assurer l'équilibre. Cela ne s'applique pas qu'à l'Internet, mais aussi aux autres formes d'activités journalistiques ou artistiques—les écrits, l'Internet et le reste.
M. Ian Murray: Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Murray.
Je remercie les représentants du ministère d'être venus cet après-midi. Je suis certaine que, pendant nos audiences, nous aurons d'autres questions à leur poser, et qu'ils suivront nos réunions de près. Je vous remercie d'être venus.
• 1600
Notre témoin suivant est M. Phillips; il est déjà arrivé,
alors je demanderai à nos témoins de lui céder la place.
Mme Michelle d'Auray: Merci.
La présidente: Nous sommes heureux d'accueillir M. Bruce Phillips, le commissaire à la protection de la vie privée. Tous les membres du comité devraient avoir reçu un exemplaire de son mémoire.
Je crois savoir que M. Phillips voudrait faire une déclaration liminaire qui diffère quelque peu de son mémoire. Nous sommes disposés à entendre vos remarques, quelles qu'elles soient, M. Phillips. Je vous cède la parole dès maintenant.
M. Bruce Phillips (commissaire à la protection de la vie privée du Canada): Merci beaucoup, madame la présidente et messieurs et mesdames les membres du comité, de m'avoir invité à discuter avec vous de ce projet de loi.
Avant de commencer, j'aimerais présenter ceux qui m'accompagnent. Mme Holly Harris est notre conseillère juridique et Julien Delisle, notre directeur exécutif. J'ai l'impression que vous aurez des questions à leur poser à eux aussi.
Vous avez devant vous le mémoire officiel que nous souhaitons présenter à votre comité. Vers la fin, vous trouverez nos suggestions d'amendements au projet de loi.
Je vous ferai des remarques qui seront plutôt à bâtons rompus. Premièrement, j'aimerais dire une chose aux fins du compte rendu. Moi et le bureau que je représente appuyons ce projet de loi. À mon avis, on l'attendait depuis longtemps. Il colmate une brèche dans la protection des données au Canada et reconnaît la nécessité de conférer des droits à la vie privée à tous les citoyens du pays, peu importe où ils habitent ou l'activité dans laquelle ils sont engagés. Avec ce projet de loi, le niveau de protection des renseignements personnels et des données au Canada sera le même que ce qui existe dans presque tous les pays industrialisés de l'Europe occidentale et d'autres pays. Nous aurons même de l'avance par rapport aux États-Unis.
Ce projet de loi n'est pas parfait. Dans toute ma vie professionnelle, dans toutes les fonctions que j'ai occupées, je n'ai jamais vu ce qu'on pourrait décrire comme projet de loi parfait. Mais celui-ci règle la plupart des problèmes.
Au cours de vos délibérations, nul doute qu'on vous fera diverses suggestions visant à améliorer le projet de loi. Nous en avons incluses quelques-unes dans notre mémoire. Mais je tiens à préciser que je regretterais que ce projet de loi ne soit pas adopté en raison de ce que je considère comme de petites lacunes.
Le projet de loi reconnaît le principe fondamental selon lequel tous ont le droit d'exercer un certain contrôle sur leurs renseignements personnels, peu importe qui les utilise au Canada. C'est le premier principe, et le plus important, d'une bonne protection de la vie privée. Le projet de loi inclut le concept du consentement préalable à l'utilisation de renseignements personnels, ainsi que le concept de la transparence de l'utilisation. Il articule aussi le concept selon lequel chacun a le droit de savoir ce qu'on fait des renseignements sur sa personne. C'est un bon projet de loi à cet égard.
• 1605
Il prévoit une responsabilité de surveillance suffisante grâce
à laquelle les personnes s'estimant lésées auront un recours. Il
prévoit l'arbitrage par un tribunal si aucune autre solution n'est
possible. Il établit un mécanisme de règlement des conflits par
l'entremise d'un organisme de défense plutôt que d'ordonnance. On
y reviendra peut-être plus tard, mais c'est ce que mon bureau avait
suggéré et je suis heureux de voir qu'on a retenu cette suggestion
dans le projet de loi. Nous y reviendrons plus tard, si vous
voulez.
Maintenant, si vous me le permettez, étant donné que je témoigne pour la première fois devant le comité de l'industrie—normalement, j'apporte ma petite contribution aux travaux du comité de la justice—j'aimerais vous parler un peu de la vie privée comme concept et vous décrire comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle.
Dans notre société nous avons tendance à tenir pour acquise notre vie privée; nous oublions souvent que c'est une valeur qui constitue le fondement de bien des choses qui nous sont précieuses, telles que le scrutin secret; le secret professionnel des médecins et des avocats à l'égard de leurs clients; nos lois sur l'écoute électronique; et le vieux proverbe qui dit que le charbonnier est maître chez soi. Tout cela découle de l'idée selon laquelle nous sommes des êtres humains autonomes et que nous avons le droit de déterminer nous-mêmes ce que nous voulons que le monde sache de nous.
La vie privée n'est donc pas le dernier concept à la mode. Que cela soit bien clair ! C'est une valeur fondamentale. Le juge La Forest de la Cour suprême l'a même décrite comme la valeur qui est au coeur même de la liberté dans tout État moderne.
Ce n'est pas comme on le prétend souvent, surtout sur les tribunes comme celle-ci où on doit trouver l'équilibre entre les droits personnels et l'intérêt public, un droit individuel dont on jouit au détriment de la société dans son ensemble, car la vie privée se fonde sur le respect mutuel. Le respect de la vie privée fait partie intégrante de toute société cohérente. C'est ce qui nous permet de rester unis.
Le respect des barrières que nous choisissons d'ériger autour de nous fait la différence entre une vie de liberté, d'autonomie et de dignité, et son contraire qui, dans le monde contemporain, est une vie intimidante et vide de sens soumise à une surveillance constante et oppressive. C'est de plus en plus fréquent de nos jours et nous l'acceptons de façon indolente et insensée. Le temps est venu pour nous d'examiner sérieusement ces questions.
Le fait de révéler ou de cacher des détails de notre vie est une décision qui incombe à chacun de nous, et non pas aux autres, aux entreprises et certainement pas à l'État, sauf dans des circonstances restreintes, précises et établies par la loi.
Pensons un moment au milieu actuel, à la vie informatisée vers laquelle notre société se dirige, au pouvoir des nouveaux systèmes de gestion de l'information de trouver des données, de confronter des données, de manipuler des données et de recueillir des données. Le mot «exponentiel» est trop faible pour décrire cette situation. La croissance de cette capacité est explosive depuis que la présente Loi sur la protection des renseignements personnels a été adoptée, il y a une quinzaine d'années.
À cette époque, dans mon bureau, il y avait, je crois, trois appareils de traitement de texte. Le commissaire en avait un, et un employé avait une machine à écrire. À mon bureau, en raison des restrictions budgétaires et de la bonne gestion financière de mes employés, nous n'avons jamais eu de l'équipement à la fine pointe de la technologie, et quand on avait à traiter des données, c'était de gros ordinateurs qui s'en chargeaient, des ordinateurs que nous avions surtout pour le stockage de données permanentes.
• 1610
Aujourd'hui, à peine quelques années plus tard, tout le monde
à mon bureau a son propre ordinateur sur son pupitre. Un micro-
ordinateur ordinaire a 64 mégaoctets. C'est plus puissant que les
vieux gros ordinateurs. Les ordinateurs ne sont plus autonomes, et
ne servent plus uniquement à la récupération et au stockage de
données permanentes. Ils sont reliés en réseau et servent à toutes
sortes de choses, telles que la manipulation et l'analyse des
données et la transmission de messages personnels. Ils servent à
des fins presque illimitées. Plus s'accroît la capacité de ces
machines, plus nous cherchons des usages nouveaux et créatifs pour
ces ordinateurs et les données qu'ils contiennent. C'est ce qu'on
appelle le glissement fonctionnel.
Un de mes employés a suggéré qu'on reprenne les propos de Kinsella, l'auteur du roman célèbre sur le base-ball, et que nous disions «Si vous les construisez, nous trouverons de nouvelles façons de les utiliser»; c'est ce qui se passe avec notre information personnelle. Je ne veux laisser entendre que nous pouvons vivre dans une société sans traitement électronique de l'information. Nous ne sommes pas des partisans du luddisme, nous avons un certain sens pratique. Les avantages de l'informatique pour le commerce, pour la prospérité et pour la création de richesse sont évidents et nous n'allons pas les nier.
Mais il faut qu'il y ait une contrepartie, ce qu'on néglige souvent. Cette contrepartie, c'est une protection prévue par la loi pour ceux dont les renseignements personnels peuvent, grâce aux ordinateurs, être recueillis, accumulés, manipulés et divulgués, souvent à l'insu, malheureusement et sans le consentement des intéressés.
Vous avez toute ma sympathie, car on vous a confié une tâche extrêmement complexe et difficile; vous travaillez dans un climat économique, social et technique que peu de vos prédécesseurs auraient pu imaginer. À titre de parlementaires, vous devez maintenant trouver une façon de protéger suffisamment les droits de chacun.
Je tenterai d'être bref, et je ne voudrais surtout pas être alarmiste dans mon court exposé. Il y a suffisamment de gens qui nous prédisent la fin du monde à l'arrivé du prochain millénaire. Mais j'aimerais que vous quittiez cette séance-ci avec non seulement une meilleure compréhension des détails du projet de loi, mais aussi une meilleure idée du contexte dans lequel il a été élaboré, que vous compreniez mieux la nature de la société vers laquelle nous nous dirigeons; autrement dit, que vous soyez prêts à examiner les effets cumulatifs sur nos valeurs sociétales de l'informatisation et de la façon dont elle s'inscrit dans le projet de loi. Il me semble que cela vous serait très utile.
Jusqu'à présent, en réponse à ceux qui réclamaient une meilleure protection des renseignements personnels, au Canada, on s'est contenté d'adopter des mesures disparates. La plupart des provinces—et si je répète ce qu'ont dit d'autres témoins, je m'en excuse—ont une loi quelconque sur la protection de la vie privée. Seul le Québec—que Dieu bénisse le Québec, comme je l'ai si souvent dit—a eu le courage, la prévoyance et la sagesse d'adopter une loi s'appliquant au commerce. Jusqu'ici, presque toutes les autres lois en la matière s'appliquent uniquement aux activités du secteur public, y compris celles du gouvernement fédéral.
Ces premières lois sur la protection des renseignements, y compris la loi fédérale, étaient très bonnes à l'époque où elles ont été adoptées, et la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels est une loi solide, mais on a laissé sans réglementation, ou peut-être devrais-je dire sans surveillance, les activités de ceux qui accumulent, utilisent, manipulent et mettent en marché la plus grande quantité de renseignements personnels, les entreprises commerciales, et cela a été, à mon avis, un oubli malheureux qu'on aurait dû corriger il y a longtemps. Je suis heureux de voir que le gouvernement fédéral agit enfin.
• 1615
C'est très simple. À l'heure actuelle, ni moi ni personne
d'autre ici présent, sauf ceux qui habitent au Québec, n'avons le
droit de savoir quels sont les renseignements dont disposent les
entreprises à notre sujet, comment elles les ont obtenus, ce
qu'elles en font, s'ils sont justes, à qui ils les communiquent, si
elles ont l'intention de les garder et comment elles ont
l'intention de les conserver. Si cela vous va, grand bien vous en
fasse; pour ma part, cela ne ma plaît pas du tout. Cela me met mal
à l'aise. Les défenses que nous donne la loi jusqu'à présent sont
insuffisantes, minimes et lacunaires, et il nous faut quelque chose
de mieux.
Je suis certain que des témoins précédents vous ont expliqué les circonstances qui ont poussé le gouvernement à agir—du point de vue pratique, l'adoption par l'Union européenne d'un projet de directives sur la protection des données et ses conséquences possibles pour le commerce international et transatlantique, ainsi que la croissance du commerce électronique et la nécessité de lui imposer certaines règles.
Ce sont toutes de bonnes raisons. À titre de défenseur du droit à la vie privée, je remercie le hasard d'avoir si bien fait coïncider toutes ces circonstances, mais j'insiste sur le fait que ce qui rend ces mesures nécessaires, c'est bien plus que le commerce électronique, bien plus que le projet de directives des Européens: ce sont nos droits de citoyens autonomes et libres tenant au respect mutuel et à un certain niveau de dignité personnelle. C'est de cela qu'il s'agit. Ne l'oublions pas.
Pendant notre examen du projet de loi, nous avons eu plusieurs occasions de faire des représentations auprès du ministère de l'Industrie, du Conseil consultatif sur l'autoroute de l'information, et d'autres, sur ce que nous considérions comme la solution, ou du moins une solution partielle, à ce problème, et je suis heureux de constater que le projet de loi comprend certaines de nos propositions.
Voici les conseils que nous avons offerts à Industrie Canada au sujet du projet de loi. Nous avons recommandé un processus simplifié. Évitons les pièges où sont tombés certains pays européens qui exigent l'enregistrement des bases de données, etc. Ne créons pas un processus coûteux, lourd et bureaucratique. Que le processus soit aussi épuré et efficient que possible.
Assurons-nous, dans la mesure du possible, qu'il y a égalité des chances. La dernière chose qu'il nous faut au Canada, c'est d'exempter une province ou une grande région de toute obligation relativement à la protection des données, ce qui créerait un refuge pour ceux qui préfèrent ne pas respecter nos droits, pour ceux qui mettent les profits au premier rang.
Surtout, donnons-nous un projet de loi qui ait du mordant. Prévoyez un agent ou un organisme de surveillance qui jouirait de pouvoirs d'enquête raisonnables et du droit de faire connaître au public ses opinions sur toute pratique d'information.
Que le fardeau relève des entreprises. Les entreprises devraient être obligées de traiter les plaintes, en première instance. N'imposons pas au Bureau du commissaire à la protection de la vie privée ou à qui que ce soit d'autre le fardeau d'exiger, au départ, des entreprises qu'elles expliquent leur conduite. C'est un problème que les clients et les entreprises ou établissements devraient régler entre eux, si possible. Si cela peut se faire ainsi, c'est à mon avis la meilleure façon de faire, et c'est bien mieux que de saisir automatiquement le commissaire à la protection de la vie privée de toutes les plaintes.
Enfin, et c'est le plus important d'après ma longue expérience de commissaire à la protection de la vie privée, nous devons sensibiliser la population et les gens d'affaires à ce sujet très important. Nous avons mené plusieurs sondages qui indiquent qu'il existe, au sein du grand public, une inquiétude généralisée concernant la vie privée, mais qu'on ignore tout de ce que cela implique, de ce que font les entreprises, et ainsi de suite.
Il en va de même pour les gens d'affaires. Pour en avoir discuté avec eux, au fil des ans, je sais que, souvent, ils agissent non pas de mauvaise foi, mais simplement parce que c'est ce qu'ils ont toujours fait. C'est aussi ce que nous avons constaté dans nos relations avec des centaines de fonctionnaires fédéraux dans de nombreux ministères: ils sont disposés à faire ce qui doit être fait, mais souvent, ils ignorent ce qui doit être fait.
La fonction de sensibilisation, de recherche et de relations avec le public est donc extrêmement importante, car il s'agit d'un tout nouveau domaine.
• 1620
Voilà essentiellement ce que je voulais vous dire, mais je
voudrais valoriser encore un peu mon propre bureau. Le projet de
loi prévoit, pour le Bureau du commissaire à la protection de la
vie privée, la fonction de vérificateur, d'enquêteur, et, au
besoin, de plaidant pour les plaignants. Pour ce faire, il nous
faudra un niveau raisonnable de ressources. On peut très bien miner
ou réduire la valeur de la fonction d'ombudsman, délibérément ou
par simple négligence, en le laissant mourir de faim. Je vous en
parle en connaissance de cause. Mon bureau souffre d'anorexie
financière grave depuis un bon nombre d'années.
Je ne veux pas vous accabler du récit de mes doléances. Tous les fonctionnaires du pays pourraient en faire autant. Mais je peux vous dire que, après avoir payé nos employés, il nous reste pour le téléphone, le nettoyage, les timbres, les crayons, le papier à lettre et toutes les autres activités, y compris les déplacements, les programmes de sensibilisation et les affaires publiques, les affaires juridiques, la recherche et tout le reste, 100 000 $. C'est tout ce dont nous disposons. Il nous est impossible de bien faire notre travail avec si peu.
Nous en avons parlé à maintes reprises aux représentants du gouvernement qui détiennent les cordons de la bourse, et je ne pourrais prétendre qu'ils ont fait la sourde oreille, mais ils n'ont certainement pas prêté une oreille attentive à nos demandes. Il est vrai que, depuis peu de temps, on nous écoute un peu plus attentivement que dans le passé. Peut-être est-ce parce que les choses vont un peu mieux. Mais il est certain que nous ne pourrons accomplir les tâches que le Parlement nous confie si nous n'avons pas un budget suffisant.
Cela met fin à mes doléances.
Je ferai une dernière remarque sur le projet de loi. Il se fonde sur l'essence même d'une bonne protection des données. Certains aspects du projet de loi devraient toutefois, à notre avis, être modifiés, et nous en parlons dans notre mémoire. Il n'en reste pas moins que ce projet de loi améliorera la situation à un point tel qu'il mérite notre soutien. Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Phillips, de vos remarques.
Nous passons maintenant aux questions. Je commence par Mme Lalonde, s'il vous plaît.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Monsieur Phillips, vous méritez beaucoup de respect pour tout ce que vous avez fait et pour tout ce que vous avez écrit. J'en ai lu une partie. Cependant, vous me permettrez, en tout respect, d'être en désaccord avec vous sur un certain nombre de choses. Je vous avais d'ailleurs averti.
Commençons par admettre que ce projet de loi est mieux que ce qu'il y a maintenant. C'est évident. Vous avez dit vous-même qu'il n'y a rien. Quand il n'y a aucune protection, c'est inquiétant.
Cependant, mettez-vous à ma place. Vous avez dit qu'il y a actuellement une protection au Québec, que vous n'avez pas qualifiée. Moi, je la qualifie: c'est une protection qui est plus grande, avec un recours plus efficace—et gratuit—que ce qu'il y a dans ce projet de loi. Je ne parle pas des dispositions constitutionnelles, car je sais que ce n'est pas à vous qu'il faut adresser ces questions. En fait, une fois que la loi existera, ce à quoi je ne rêve pas, car j'espère qu'on va trouver un autre chemin pour assurer une protection aux Québécois et aux Canadiens, plusieurs entreprises, et notamment des entreprises québécoises qui respectent ou qui tendent à respecter la loi québécoise, qui est plus forte, vont devoir respecter un autre ensemble de règles, another set of rules, et ce deuxième ensemble de règles sera plus faible.
• 1625
Pour le Québec, outre la question
constitutionnelle, cela signifie un affaiblissement
des droits. En tant qu'amoureux du respect du droit à
la vie privée et du respect des droits de la personne,
vous devriez être de mon
côté.
La question que je vais vous poser est une question politique, mais je la pose quand même. Ne pensez-vous pas qu'il aurait été préférable qu'on continue la démarche avec les provinces, même si le ministre trouvait qu'elle était un peu plus lente, pour arriver à avoir une coordination, pour s'entendre sur une base et pour tenir compte de la loi du Québec? Bien sûr, on ne serait pas arrivé à temps pour la Conférence ministérielle sur le commerce électronique, mais on ne serait pas non plus dans cette espèce de situation qui n'a pas de bon sens: le Québec et moi défendons des droits, et on reconnaît qu'on a pris de l'avance, mais nous sommes dans la situation de nous défendre, comme si c'est nous qui avions causé le problème. Le problème n'est pas là; le problème, c'est que le Canada a trop tardé. On ne peut pas accepter que le Canada, en se rattrapant, nous enlève une partie de ce qu'on a fait, et une partie grandissante.
Voilà, je vous lance la question.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Phillips, avez-vous une réponse à cette question?
M. Bruce Phillips: Madame Lalonde, je dirai d'abord que je suis heureux de voir que nous nous entendons sur l'enjeu de base, à savoir qu'il est nécessaire de protéger adéquatement les renseignements personnels; nos opinions ne divergent que sur la qualité de cette protection.
Vous m'avez posé une question à laquelle le ministre a certainement répondu plus tôt aujourd'hui. Je n'étais pas présent pendant son témoignage...
Mme Francine Lalonde: Non.
M. Bruce Phillips: ...mais je crois que c'est plutôt à lui qu'il faut poser la question. Je ne m'engagerai pas dans un débat sur la question de savoir si ce projet de loi est pire ou meilleur que celui du Québec, car cela ne m'apparaît pas pertinent de toute façon. Il est certain que ce projet de loi diffère de celui du Québec. À certains égards, il est meilleur, à d'autres égards, il n'est pas aussi bon.
Ce projet de loi, et la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels, par exemple, confèrent au commissaire le droit de procéder à des vérifications et à des examens de la conformité. À mon avis, c'est un de ses points forts. En revanche, en matière de collecte et de consentement, on peut prétendre que la loi québécoise est plus précise et exigeante. Je ne me querellerai pas avec ceux qui prétendent que la loi québécoise est plus ou moins rigoureuse. Je reconnais qu'elle est différente.
Mais ces lois ont essentiellement les mêmes objectifs, comme toutes les lois sur la protection de la vie privée. Dans une grande mesure, elles traduisent un engagement sérieux à l'égard des éléments fondamentaux d'une pratique juste en matière d'information. C'est ce que font ce projet de loi et la loi du Québec, ainsi que la loi de l'Ontario. Il en va de même pour les lois de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, même si elles diffèrent à de nombreux égards. Ainsi, toutes les lois provinciales confèrent au commissaire de la province le pouvoir de rendre des ordonnances et, par conséquent, de remplir en quelque sorte la fonction d'un juge.
Le commissaire fédéral à la protection de la vie privée est un ombudsman et n'a pas le pouvoir d'ordonner quoi que ce soit à qui que ce soit. Je suis parfaitement heureux de ne pouvoir donner d'ordres, car j'estime que la principale qualité de ma fonction, c'est que je n'ai pas à jeter le blâme sur qui que ce soit, mais plutôt à trouver des solutions aux problèmes. Entre nous, et même si cela semble peu modeste, j'aime à croire que nous avons connu un succès énorme car depuis que je suis entré en fonction il y a environ huit ans, nous avons été saisis de centaines sinon de milliers d'affaires et nous avons pu, grâce à la négociation, à la discussion et à un examen attentif des problèmes, recenser des domaines de la fonction publique fédérale où notre loi s'applique et où la gestion de l'information s'est améliorée considérablement relativement à la protection des renseignements personnels.
• 1630
Si vous voulez, je peux vous donner des exemples. Le premier
qui me vient à l'esprit est celui de la divulgation embarrassante
de la correspondance entre une personne et un ministre qui a
entraîné des difficultés pour cette personne. Cela a été une
situation malheureuse. Cette correspondance n'aurait pas dû être
rendue publique. Au cours de l'enquête, comme c'est presque
toujours le cas, on ne s'est pas demandé si la Loi sur la
protection des renseignements personnels avait été violée, mais
plutôt, comment cela s'était produit et comment pouvait-on prévenir
ce genre de choses?
Ce n'est pas en ordonnant à quelqu'un de ne plus violer la Loi sur la protection des renseignements personnels qu'on règle quoi que ce soit. Le plus important, à mon avis, c'est de relever les lacunes au moyen d'enquêtes et de vérifications de la conformité afin de régler les problèmes. Cela a toujours été l'objectif des enquêtes que mène notre bureau depuis que je suis commissaire. Il ne suffit pas de déterminer si l'on a respecté ou non la loi, il faut trouver les problèmes et les régler.
La présidente: Merci, monsieur Phillips. Merci, madame Lalonde.
Monsieur Shepherd, vous avez la parole.
M. Alex Shepherd (Durham, Lib.): Merci.
Monsieur Phillips, vous avez abordé la question des coûts, une question qui me tient à coeur aussi. J'ai jeté un coup d'oeil à votre rapport annuel de 1997-1998. J'aimerais avoir certaines précisions, et je vous assure que je ne veux pas faire le malin.
Dans ce rapport, on parle des 1 826 enquêtes que vous avez menées au cours de la dernière année financière. J'aimerais mieux comprendre ces tableaux. On parle de plaintes bien fondées et résolues, de plaintes mal fondées, et ainsi de suite. Si j'ai bien compris, 638 plaintes étaient fondées, mais n'ont pas été résolues. Autrement dit, dans environ 35 p. 100 des cas, vous avez jugé que la plainte était fondée mais vous n'avez pu trouver de solution. Ai-je bien compris?
M. Bruce Phillips: Permettez-moi de vous expliquer. Certains cas n'ont pu être résolus car une solution n'était plus possible. Par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels exige que toute demande de renseignements soit remplie dans les 30 jours ou dans les 60 jours dans des circonstances particulières. Si le ministère ne répond pas dans les 30 jours, la plainte est bien fondée. Nous ne pouvons toutefois la résoudre, car les 30 jours sont déjà écoulés. La plainte est donc une plainte bien fondée que nous n'avons pu résoudre.
Nous employons le mot «résolu» habituellement dans les cas de demandes d'accès à l'information, par exemple. Lorsque quelqu'un fait une demande d'information par écrit et que le ministère refuse d'accéder à la demande, nous sommes saisis de la plainte; nous entamons alors des discussions avec le ministère et, souvent, nous constatons que le ministère a eu tort de refuser l'accès à l'information en question—la plainte est donc bien fondée. Si, par suite de notre intervention, le ministère décide de fournir les renseignements demandés, ou une proportion significative de ces renseignements, nous jugeons que la plainte était bien fondée et qu'elle a été résolue.
M. Alex Shepherd: Cela traduit donc le rendement du gouvernement. Vous dites que le gouvernement n'a pu trouver une solution dans 35 p. 100 des cas sur lesquels vous avez fait enquête?
M. Bruce Phillips: Non, ce n'est pas ce que ça veut dire. Je suis désolé si je me suis mal exprimé. Certaines plaintes, telles que les plaintes différées... Ce que je veux dire, c'est qu'on ne peut résoudre une plainte à laquelle il n'y a pas de solution. Si le gouvernement divulgue une lettre qu'il n'aurait pas dû rendre publique et que, ce faisant, il viole le droit à la vie privée de quelqu'un, on ne peut résoudre la plainte puisque la divulgation a été faite et on ne peut revenir en arrière. Une fois qu'un renseignement a été divulgué, le mal est fait. Vous comprenez?
M. Alex Shepherd: Si je divise le total des plaintes, 1 826, par les coûts—en dépit du fait que vous ne disposez que de 100 000 $ pour les frais généraux, vous avez un budget total de plus de 6 millions de dollars—cela nous donne 3 526 $ par enquête.
M. Bruce Phillips: Je demanderais à M. Delisle de vous répondre dans un moment, mais je vous dirai d'abord que nous n'avons pas un budget de 6 millions de dollars. C'est là le budget d'ensemble du Bureau du commissaire à l'information, du Bureau du commissaire à la protection de la vie privée et de la Direction générale de la gestion intégrée. Nous disposons d'un tiers de ce budget.
Deuxièmement, ne tenir compte que du coût des enquêtes, c'est faire fi de nos nombreuses autres activités. Nous nous occupons, dans la mesure du possible, d'affaires publiques. Je prononce en moyenne de 20 à 50 discours par année, ce qui signifie que je dois me déplacer. Nos enquêteurs aussi doivent voyager dans toutes les régions du pays. Tout en tenant compte des maigres ressources dont nous disposons, nous devons faire des recherches en matière de politique, car l'une des fonctions les plus importantes d'un bureau tel que le mien—qui relève du Parlement, vous êtes notre employeur—est d'être en mesure de dispenser au Parlement des conseils éclairés et pertinents sur une vaste gamme de questions touchant à la vie privée.
• 1635
Ainsi, ces dernières années, nous avons publié des documents
qui ont fait autorité dans le monde sur des sujets très importants
tels que les empreintes génétiques, les tests de dépistage de
drogue et la recherche biomédicale. Nous n'avons pas eu de budget
spécial pour mener ces recherches, nous avons réussi à les faire
parce que nous avons épargné sur les trombones, les élastiques, et
le reste. Ces travaux sont devenus des documents de référence pour
les experts de la protection de la vie privée du monde entier. Nous
devons remplir toutes ces fonctions. Et j'ajouterai que seulement
la moitié de nos employés—15 sur 35—enquêtent sur les plaintes.
M. Alex Shepherd: Ce n'était pas une critique. Je voulais seulement comprendre, et vous m'avez beaucoup aidé.
J'ai une dernière question à vous poser.
La présidente: Monsieur Shepherd, auparavant, je crois que M. Delisle voulait ajouter quelque chose.
M. Julien Delisle (directeur exécutif, Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada): Non, le commissaire a répondu à la question avec beaucoup d'éloquence.
La présidente: Très bien.
Monsieur Shepherd, c'est votre dernière question.
M. Alex Shepherd: Pour terminer, je voulais savoir si vous avez tenté de déterminer ce que coûtera l'administration de cette loi?
M. Bruce Phillips: Oui, et j'invite M. Delisle à vous répondre.
Allez-y, Julien.
M. Julien Delisle: Le ministère de l'Industrie nous a consultés avant de présenter ce projet de loi au Cabinet. Bien sûr, nous n'avions alors pas encore vu l'avant-projet de loi. Nous ne connaissions pas les dispositions portant sur le commerce.
Nous avons toutefois pu fournir des chiffres après avoir examiné les budgets de la Commission des droits de la personne et d'autres organismes au mandat similaire, tels que le Bureau du commissaire aux langues officielles et la Commission d'accès à l'information du Québec, dont le mandat touche aussi le secteur privé. Nous avons conclu que nos coûts augmenteraient d'environ 50 p. 100. C'est ce que nous avons alors indiqué au ministère. Je répète que nous n'avions toutefois pas encore pris connaissance du projet de loi. Nous n'avions pas non plus vu le document du Cabinet. Nous avons fait du mieux que nous pouvions.
Je ne peux vous dire avec certitude ce que nous ferons par suite de l'adoption du projet de loi. D'ici peu, nous mènerons une étude approfondie de faisabilité dont nous serons heureux de communiquer les résultats au comité.
La présidente: Nous vous en saurons gré, monsieur Delisle.
Merci beaucoup, monsieur Shepherd.
Monsieur Jones.
M. Jim Jones (Markham, PC): Monsieur Phillips, quelle partie de la loi relève du commissaire à la protection de la vie privée?
M. Bruce Phillips: La partie 1, qui traite de la protection des données.
M. Jim Jones: Vous n'êtes pas responsable de la partie 2 aussi?
M. Bruce Phillips: Non. Nous nous intéressons au sujet en général, mais ce n'est pas une question qui relève de notre compétence, sauf dans la mesure où les renseignements transmis par voie électronique seront assujettis à la loi comme tout autre renseignement.
M. Jim Jones: Vous estimez que l'administration de cette loi entraînera une augmentation de vos coûts de 50 p. 100. Quelles sont les nouvelles responsabilités que vous attribue ce projet de loi?
M. Bruce Phillips: Le projet de loi attribue au bureau du commissaire à la protection de la vie privée la fonction d'enquêter sur les plaintes déposées par les Canadiens concernant la gestion de leurs renseignements personnels par le secteur privé. Il nous attribue la responsabilité de mener des vérifications de la conformité dans les entreprises—une tâche complexe qui pourrait être très coûteuse. Il nous attribue aussi le devoir d'informer et de sensibiliser la population canadienne; le projet de loi comporte une disposition précise sur les activités de sensibilisation du public. Enfin, il nous attribue le devoir de mener des études, au besoin, pour actualiser nos connaissances.
Les deux ou trois derniers points que j'ai énoncés ne sont pas prévus par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans sa version actuelle, bien qu'un comité des Communes ait recommandé en 1987 qu'ils y soient inclus. Ce sont là les activités normales de tout bon bureau de surveillance de la vie privée, car nous devons être en mesure de faire des observations raisonnablement éclairées lorsque nous nous entretenons avec des comités comme le vôtre.
À titre d'indication, monsieur, mon bureau compte au plus 38 personnes, plus ou moins une ou deux, selon les démissions, les retraites, ce genre de choses. Environ la moitié, 15 ou 16, enquêtent sur les plaintes, qui totalisent en moyenne 2 000 par année. La section des enquêtes compte quelques superviseurs, et il y a un directeur des plaintes qui a deux ou trois adjoints. Les autres employés sont moi-même et quelques attachés de recherche, quelques conseillers juridiques, quelques employés éparpillés ici et là. Environ la moitié de notre travail est du travail d'enquête.
• 1640
On ne peut s'acquitter d'aucune des fonctions du bureau du
commissaire à la protection de la vie privée en deux temps trois
mouvements. Les enquêteurs qui examinent une plainte dans un
ministère me présentent les faits. Ils me disent alors que
l'intéressé n'a pu avoir accès aux renseignements qu'il voulait
parce que les fonctionnaires de ce ministère ne comprennent pas la
Loi sur la protection des renseignements personnels. Nous assurons
donc que le suivi en nous entretenant avec les fonctionnaires du
ministère en question pour les sensibiliser un peu à la loi.
Parfois, l'enquêteur indique qu'il existe un grave problème systémique. Il arrive qu'un ministère recueille un volume considérable d'informations qu'il ne devrait pas obtenir, ou qu'il néglige la gestion des documents, que les documents ne sont pas conservés de façon suffisamment sûre et confidentielle et que cela entraîne la divulgation de renseignements qui ne devraient pas l'être. Je vous en ai donné un exemple tout à l'heure. Lorsque nous avons tenté de déterminer comment il se faisait que ces renseignements avaient été divulgués, nous avons constaté qu'il y avait de graves problèmes dans la façon dont on traitait le courrier, ce qui peut sembler plutôt simple. Beaucoup trop de gens avaient accès à des documents dont la diffusion aurait dû être très restreinte. Nous avons aidé le ministère à régler le problème.
On ne pourrait donc nous demander de nous contenter d'enquêter sur les plaintes. Si tel était le cas, ces enquêteurs n'auraient alors plus de valeur.
Je pense que c'est tout ce que je peux vous dire sur le fonctionnement de mon bureau.
M. Jim Jones: Je me suis demandé si le projet de loi ne devait pas être scindé en deux. Ne devrait-on pas prévoir un projet de loi sur la protection de la vie privée, et un autre sur les documents et le commerce électronique?
M. Bruce Phillips: C'est une question pertinente, monsieur. Toutefois, ce serait au ministère qu'il faudrait la poser. Il est vrai que la partie 2 du projet de loi n'a pas grand-chose à voir avec mes fonctions. Je présume qu'on a rassemblé toutes ces dispositions en un seul projet de loi parce que c'était plus pratique, parce qu'on estimait que ces sujets s'inscrivaient dans le même contexte et qu'on pourrait les présenter facilement ensemble.
M. Jim Jones: Oui, mais la protection des renseignements personnels ne s'applique pas qu'à l'usage d'informations par voie électronique.
M. Bruce Phillips: En effet.
M. Jim Jones: Il pourrait s'agir de renseignements sur papier...
M. Bruce Phillips: Vous avez tout à fait raison. Et je suis heureux de dire que la loi s'applique à bien plus que le commerce électronique. Nous ne l'avons pas encore analysée en détail, et je n'en sais pas suffisamment pour traiter de cette partie du projet de loi en détail. Toutefois, je suis heureux de dire qu'on n'a pas tenté de restreindre mes pouvoirs ou d'exclure le commerce électronique de mon champ de compétence.
C'est la seule réponse que je peux vous donner. Pour ma part, j'aurais été satisfait de ce seul projet de loi. Mais si le gouvernement, dans sa sagesse, décide de présenter les deux parties en un seul projet de loi, c'est à lui qu'il incombe d'expliquer sa décision.
M. Jim Jones: La loi du Québec dont a parlé Mme Lalonde traite-t-elle uniquement de renseignements personnels? Elle n'a rien à voir avec les documents ou le commerce électronique, n'est-ce pas?
M. Bruce Phillips: Cette loi ne traite pas, en effet, de questions telles que la signature électronique, alors que ce projet de loi-ci en traite précisément. La loi du Québec touche à la protection de la vie privée et englobe bien plus que le commerce électronique, comme ce projet de loi-ci et toute autre bonne loi sur la vie privée.
Le projet de loi C-54 ne règle pas tout. C'est un projet de loi portant sur la protection des données. Ce serait la meilleure façon de le décrire. Il s'applique aux renseignements personnels. Il ne s'applique pas à toutes les formes d'usage ni, sauf dans certaines circonstances, à des choses telles que la surveillance vidéo, les essais aux fins biomédicales, les tests de dépistage de drogue, et toutes ces pratiques portant atteinte à la vie privée qui apparaissent de nos jours.
• 1645
Le projet de loi aborde, d'une certaine façon, toutes ces
choses-là, mais il ne les vise pas précisément. Il vise surtout les
renseignements utilisés par les entreprises. Étant donné que
l'usage commercial des renseignements est l'usage le plus répandu
des données personnelles, ce projet de loi est absolument
nécessaire.
Même si nous n'avions pas de lois s'appliquant précisément à la surveillance vidéo et tout le reste, activités qui sont visées dans une certaine mesure par d'autres lois telles que le Code criminel, ce projet de loi-ci serait nécessaire.
Certains font remarquer que le projet de loi néglige ceci et cela. C'est vrai. Il n'englobe pas tout. Mais ce qu'il englobe est essentiel pour la création d'un sain climat d'affaires en cette ère d'informatisation qui n'a pas à faire plus. Voilà où je voulais en venir.
La présidente: Merci.
Merci beaucoup, monsieur Jones.
Monsieur Murray.
M. Ian Murray: Merci.
Monsieur Phillips, je suis heureux de vous accueillir cet après-midi.
J'aimerais revenir à la question que j'ai posée au témoin précédent, au représentant du ministère. Elle concerne la protection des renseignements personnels prévus à l'article 7, qui stipule que:
-
l'organisation ne peut recueillir de renseignements personnels à
l'insu de l'intéressé et sans son consentement que dans les cas
suivants
—entre autres...
-
la collecte est faite uniquement à des fins journalistiques,
artistiques et littéraires.
Je sais que vous avez abordé ce sujet dans le mémoire que vous nous avez remis, mais j'aimerais que nous nous attardions à l'aspect journalistique. Je ne comprends toujours pas pourquoi on permettrait à un journaliste de recueillir des renseignements personnels sur quelqu'un, qu'il ait ou non le droit d'en faire un usage quelconque. Toute mesure législative sur la protection de la vie privée vise essentiellement à permettre aux gens de ne dévoiler à leur propre sujet que les renseignements qu'ils veulent bien divulguer.
Moi, je crains que, au fil du temps, les journalistes n'en viennent à avoir des dossiers sur certaines personnes. Dans deux ou trois ans, cette personne fera les manchettes et les journalistes iront alors voir dans leurs dossiers ce qu'ils ont à son sujet. Ils pourront utiliser ces informations, même si le projet de loi ne leur permet précisément de le faire. Puis, si l'intéressé dépose une plainte, les journalistes feront valoir qu'ils n'ont pas à dévoiler leurs sources—ou invoqueront quelque autre excuse—et il sera très difficile de les poursuivre devant les tribunaux.
Je serais tout simplement intéressé à savoir si vous et vos collègues avez examiné cette question spécifiquement lorsque vous avez étudié ce projet de loi initialement. Avez-vous des idées là-dessus? Je suis peut-être trop paranoïaque à ce sujet.
Le président: Monsieur Phillips.
M. Bruce Phillips: Vous comprendrez que cette question me met dans une position plutôt ambiguë.
Sérieusement, la question que vous soulevez pourrait certainement faire l'objet d'un débat intéressant. Cependant, vous comprendrez que j'ai certains partis pris et c'est pourquoi j'estime que la Charte des droits et libertés, qui consacre spécifiquement la liberté de presse dans notre société, n'est pas assez bonne pour moi.
Je ne peux visualiser de circonstances dans lesquelles la liberté de presse pourrait exister si les journalistes devaient toujours demander le consentement avant de recueillir des renseignements personnels. C'est parce qu'étant donné la nature même de ces renseignements—qui visent nécessairement la personne concernée—on voudrait sans doute garder secrets ou confidentiels une bonne partie des renseignements pour lesquels on demanderait le consentement.
Donc je suppose qu'une exemption pour la presse est une condition préalable essentielle si on veut maintenir la capacité de cette dernière à faire son travail dans un environnement libre.
L'éthique du journalisme moderne, à savoir s'il va ou non trop loin, est peut-être l'un des aspects qui va au coeur des questions comme celles que vous avez soulevées.
J'ai mon opinion à ce sujet. Disons qu'il m'arrive parfois d'être heureux de ne plus être journaliste. Je dirais que le meilleur journalisme canadien est encore meilleur qu'il ne l'a jamais été. Le pire est certainement bien pire qu'il ne l'était auparavant et ce, pour un certain nombre de raisons. Les pressions de la concurrence qui existent dans le monde du journalisme de nos jours sont beaucoup plus intenses qu'elles ne l'étaient auparavant, même aussi récemment qu'il y a 15 ans lorsque j'ai quitté ce domaine. Je pense que la société en général a peut-être un côté plus méchant, plus acerbe qui se reflète dans une certaine mesure dans le travail des journalistes.
• 1650
Je ne pense pas que la solution consiste à imposer des
restrictions qui empêcheraient les journalistes de faire leur
travail. À mon avis, le journalisme moderne doit revenir à ses
anciens principes de l'honneur et de l'éthique. Voilà ce qui
manque.
Il y a trop de journalisme où l'on se suit aveuglément. Les journalistes répètent trop souvent l'article d'un collègue sans vérification. Ils utilisent trop souvent des commentaires sans les attribuer à qui que ce soit. Certaines personnes sont d'avis qu'on s'intéresse excessivement aux détails personnels de la vie privée des titulaires de charge publique. Ce sont toutes des questions légitimes au sujet du journalisme contemporain.
Je ne dirais pas que dans toutes les circonstances les journalistes sont à blâmer. Je pense que nous pouvons tous être rassurés—et je prends un peu de temps pour répondre tout d'abord parce que c'est une question que j'ai à coeur. J'ai été journaliste pendant près de 40 ans. J'ai adoré cela et cela me manque parfois. Mais cela est tellement important dans notre société. Il ne faut pas demander que l'on réduise la liberté de presse, mais plutôt qu'on l'augmente; il faut demander une meilleure formation des journalistes; de meilleures ressources pour les journalistes, car les éditeurs sont notoirement pingres; et par-dessus tout, il faut demander une meilleure éducation, particulièrement dans le domaine de l'éthique du bon journalisme et de ce qui est permissible et ce qui ne l'est pas.
Je trouve intéressant que le comité des rédacteurs de l'Association canadienne des éditeurs de quotidiens ait décidé il y a quatre ans d'abolir son code de déontologie. Il l'a fait, je regrette de le dire, parce que son propre conseiller juridique était d'avis que cela risquait d'exposer les journalistes à toutes sortes de responsabilités. Je ne pense pas que cela montre qu'ils tiennent à ce que je considère être une amélioration nécessaire au journalisme canadien. Je pense que j'en ai sans doute trop dit.
La présidente: Une dernière question, monsieur Murray.
M. Ian Murray: Vous mentionnez à la page 6 de votre mémoire que la définition de «renseignements personnels» pourrait être élargie. La région définit à l'heure actuelle un renseignement personnel comme: «tout renseignement connectant un individu identifiable, quelle que soit sa forme».
N'est-il pas juste de dire qu'on risque de se retrouver avec une liste sans fin d'exemptions ou de définitions si on n'avait pas ce genre de définition générale et que les gens pourraient toujours se servir de cela comme prétexte, s'il n'y avait pas de définition, pour contourner ce problème?
M. Bruce Phillips: Vous avez tout à fait raison, monsieur Murray. Je pense qu'il y a des arguments dans les deux sens. Je dis tout simplement que la loi actuelle fédérale sur la protection de la vie privée inclut un certain nombre d'exemples, 12 ou 15, je pense. Elle comprend également quelques éléments qui ne seraient pas considérés comme des renseignements personnels, notamment le nom, l'adresse et la fonction d'un fonctionnaire. Bien qu'il s'agisse là de renseignements personnels, ils ne sont pas protégés par la loi. On pourrait faire valoir que le même genre d'exemples devrait être inclus dans ce projet de loi au sujet des directeurs de société, etc.
Cela peut fonctionner dans sa forme actuelle. J'imagine que l'avantage d'une liste c'est que cela tend à réduire les sources de controverse dans une certaine mesure.
Mme Harris aimerait peut-être ajouter quelque chose à ce sujet.
Mme Holly Harris (avocate générale, Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada): Je n'ai pas d'opinion forte au sujet de la liste, franchement. Je pense que cela donne aux non-spécialistes une idée de ce qu'était l'intention du législateur et je pense que cela est utile en ce sens.
M. Ian Murray: Merci beaucoup.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Murray.
[Français]
Avez-vous une autre question, madame Lalonde?
Mme Francine Lalonde: Monsieur Phillips, pour expliquer le fait que vous ne voulez pas de pouvoir d'ordonnance ou de pouvoir de décision, vous avez invoqué votre longue expérience dans le secteur public.
Avec tout le respect que je vous dois, encore une fois, il y a une énorme différence entre l'administration de la loi, lorsque vous agissez à titre de commissaire nommé par le gouvernement et que vous vous adressez à des organismes publics, et le même rôle dans un univers—je pourrais même dire une jungle—complètement différent, qui est l'ensemble des entreprises privées. De plus, il y a des organisations qui ne sont pas à but commercial et qui ne sont pas couvertes par cette loi. À mon avis, elles devraient l'être, comme elles le sont au Québec.
Il y a une très grande différence. Comme je l'affirmais tout à l'heure, c'est tout un monde. Il y a des entreprises qui voudront collaborer, notamment de grandes entreprises, parce que leur réputation pourra être en jeu. Cependant, il y a en a plein d'autres où le citoyen ou la citoyenne est laissé seul. Comme le disait le ministre français à la Conférence ministérielle sur le commerce électronique, c'est là que l'État doit être du côté du citoyen dont les droits sont brimés. Il ne faut pas attendre d'aller en cour. Cela n'a pas de bon sens. Ça va être coûteux, ça va prendre trop de temps et ça va décourager les citoyens.
Lorsque je parle d'affaiblissement par rapport à la loi québécoise, il s'agit entre autres de ce seul pouvoir de recommandation qui est le vôtre, un pouvoir de recommandation qui s'exerce, dans plusieurs cas, après que le citoyen a dû aller plaider sa cause auprès de l'entreprise.
Encore une fois, je vous demande en tout respect, si vous ne présumez pas que l'expérience que vous avez eue sera la même. Ne faudrait-il pas, au contraire—et je pense que les associations de consommateurs sont de mon avis—que vous ayez ce pouvoir de trancher?
[Traduction]
M. Bruce Phillips: Je vais essayer de répondre aux divers points que vous avez soulevés.
Pour ce qui est du processus comme tel, il est essentiellement le même que celui qui existe à l'heure actuelle. Une personne qui souhaite obtenir des renseignements personnels de son dossier qui est entre les mains du gouvernement, par exemple, doit d'abord en faire la demande au ministère qui a les renseignements. Fréquemment, il s'ensuivra un dialogue entre le ministère et le demandeur.
Nous ne recevons une plainte que si la question ne peut être résolue entre le demandeur et le ministère. Je ne vois aucune différence essentielle entre cet arrangement et ce que l'on propose dans le projet de loi à l'étude, c'est-à-dire que lorsqu'un client n'est pas d'accord avec une société ou une entreprise, il doit d'abord s'adresser à la personne à l'origine du problème. Si la plainte ne peut être résolue, ils viennent me voir.
En ce qui concerne l'accès aux tribunaux, je suis convaincu que l'accès aux tribunaux est adéquat dans ce cas-ci. Quoi qu'il en soit, à moins que l'attitude des entreprises soit beaucoup plus contestataire et agressive que celle de la bureaucratie fédérale—et j'ai du mal à m'imaginer une telle chose car les bureaucrates peuvent être assez difficiles—je ne pense pas que le commissaire devra s'adresser souvent aux tribunaux pour obtenir satisfaction. Nous avons eu des milliers de cas et tenu des milliers d'enquêtes et je pense que nous avons dû nous adresser aux tribunaux moins de 10 fois. Il nous est arrivé souvent cependant de régler le problème à la porte du Palais de justice, sur les marches.
Enfin, je ne considère pas le pouvoir d'ordonnance ici... Permettez-moi de vous en parler encore une fois.
• 1700
Prenons les entreprises. Qu'est-ce qui importe le plus pour
une grande société? Payer une amende de 5 000 $, qui ne représente
pas une très grosse dépense pour une grande entreprise, ou que le
commissaire à la protection de la vie privée déclare publiquement
que cette société ne respecte pas les droits des Canadiens à la vie
privée? Qu'est-ce qui importerait le plus à cette société,
qu'est-ce qui aurait le plus de conséquence et qui serait le mieux
placé pour faire cette déclaration? Une personne qui aurait le
pouvoir de faire des ordonnances, qui serait liée par toutes les
contraintes du processus juridique, ou un protecteur du citoyen
indépendant qui peut examiner la question et rendre un jugement
raisonnable?
Je dirais dans tous les cas que c'est le protecteur du citoyen et je pense que c'est encore plus utile dans le secteur privé que dans le secteur public que de tout simplement ordonner à quelqu'un de faire quelque chose, et je dirais que cela a quand même été très utile dans le secteur public. Oui, cela peut donner satisfaction au plaignant, mais cela ne va peut-être pas résoudre le problème. Voilà ce que j'en pense.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Monsieur Phillips, quand vous avez essayé votre...
Le vice-président (M. Eugène Bellemare (Carleton—Gloucester, Lib.)): Ce sera votre dernière question, madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: Oui, merci.
L'un n'empêche pas l'autre. Quand vous avez utilisé votre pouvoir auprès des grandes entreprise... Je pense que le problème ne se posera pas là, mais il pourrait se poser là. Il y a le cas d'Air Canada, qui est présentement en cour. Air Canada a refusé un dossier de santé à une employée.
Lorsque votre influence ne réussit pas, pourquoi forcer quelqu'un à aller en cour? Plusieurs cas vont se poser. N'oubliez pas que vous allez entrer dans le domaine des transactions de données qui servent à faire du marketing. Les gens n'ont pas connaissance de ces transactions. Vous allez entrer dans le big business. Il ne s'agit pas nécessairement d'un monde où tout fonctionne avec de larges sourires et des poignées de main. Les personnes ont besoin d'un vrai recours.
Je ne peux m'empêcher de penser à l'expérience que j'ai vécue en santé et sécurité du travail. Dans le domaine de la santé et de la sécurité du travail, on peut penser que les entreprises sont suffisamment préoccupées par l'intégrité physique pour faire ce que l'inspecteur leur demande de faire. Mais allez donc voir! Ça ne se passe pas comme ça.
On vit une recrudescence de décès au travail, comme on n'en a pas vu depuis longtemps. Dans le vrai monde, c'est dur. Ce monde du commerce électronique est un nouveau monde où la concurrence joue de façon féroce.
M. Bruce Phillips: Madame Lalonde, vous avez raison.
[Traduction]
J'accepte tout ce que vous avez dit, mais je ne suis pas persuadé que le problème d'omission doit nécessairement être résolu en changeant les pouvoirs que le projet de loi à l'étude propose de conférer au commissaire.
Pour ce qui est des entreprises, le pouvoir de la presse est très grand et ne doit pas être sous-estimé. En fait, c'est la même chose dans le domaine de la protection des données dans le secteur public. Les ministres et les bureaucrates n'aiment pas avoir à se lever à la Chambre des communes et expliquer leurs gaffes à la presse. C'est beaucoup plus important et je pense beaucoup plus efficace que de tout simplement imposer une amende ou une autre forme de mesure disciplinaire. J'en suis convaincu.
Quoi qu'il en soit, cet argument tend à faire valoir le grand avantage de l'approche du protecteur du citoyen, qui est centrée sur la compréhension de la culture de l'entreprise, tout d'abord; il faut éduquer les entreprises quant à leurs responsabilités; négocier les problèmes; cerner les faiblesses; chercher des solutions. Tous ces éléments font partie de l'approche du protecteur du citoyen. Il est beaucoup plus facile d'y arriver lorsqu'on s'engage dans un esprit de...
Ne soyons pas naïfs, et je suis conscient de ce que vous avez dit et vous avez raison. Les entreprises jouent serré. Mais dans notre bureau, nous ne sommes pas non plus des poules mouillées.
[Français]
Mme Francine Lalonde: J'espère...
[Traduction]
M. Bruce Phillips: Ma façon de voir les choses, c'est que nous ferons toujours un effort supplémentaire pour trouver une solution sensée à un problème, mais si les gens me font un pied de nez, ils risquent de le regretter.
La présidente: Merci, monsieur Phillips.
[Français]
Merci, Madame Lalonde.
[Traduction]
M. Bruce Phillips: Je les traînerai devant les tribunaux, c'est tout.
La présidente: Merci.
Monsieur Lastewka.
M. Walt Lastewka: Merci, madame la présidente.
Monsieur Phillips, je vous remercie non seulement de vos remarques liminaires mais de votre franchise dans la façon de répondre aux questions directement, et je pense que cela est très important dans le cadre de l'étude de ce projet de loi.
Vous avez mentionné la grande importance de l'éducation et vous m'avez laissé l'impression qu'une fois que le projet de loi sera approuvé, vous aurez une importante responsabilité pour ce qui est d'éduquer—et lorsque vous parlez d'éducation—j'ai lu à plusieurs reprises vos paragraphes à la page 6 de votre mémoire—vous parlez de l'importance d'éduquer les particuliers et tous les gens qui pourraient être touchés par ce projet de loi.
Lorsque vous avez parlé des questions que les gens commencent à demander, c'est-à-dire si le projet de loi est suffisamment musclé et s'il vous met dans une situation délicate, en vous donnant la responsabilité d'éduquer, ensuite de tenter de déterminer quel est le problème et de le régler, vous m'avez rassuré en disant que les dispositions du projet de loi permettent d'arriver à de meilleurs résultats et d'assurer une uniformité au pays.
La question qui me préoccupe est celle de règles uniformes, et j'aimerais que vous me donniez davantage d'information à ce sujet, car on veut tenter de s'assurer que lorsque les provinces rédigeront leurs projets de loi, il y aura une certaine uniformité. Je crois que vous avez mentionné que vous vouliez éviter d'avoir une région faible, que tout le monde reconnaîtrait comme étant faible et vers laquelle on convergerait pour partir des affaires. Est-ce que j'ai bien compris ce que vous vouliez dire?
M. Bruce Phillips: Oui, il s'agit de la création de havres de données où aucun renseignement ne serait en fait protégé, de sorte que les entreprises sans scrupules comme certains télévendeurs voudraient s'y installer pour mener leurs activités.
Sur la question des règles uniformes, l'un des objectifs du projet de loi à l'étude, tel que je le vois—et il y a d'autres qui défendent mieux cette question que moi, et je ne peux que vous dire ma façon de voir les choses—est l'harmonisation de la protection de la vie privée au pays. Elle vient compléter ce que l'on retrouve dans d'autres régions comme au Québec.
Au fait, madame Lalonde, je crois que le ministre s'est déjà engagé relativement à plusieurs aspects de cette question.
Certains processus sont inclus dans le projet de loi qui à mon avis encouragent la notion d'harmonisation. Le projet de loi confère spécifiquement au commissaire le pouvoir de transiger avec d'autres commissaires et de demander leur avis sur la façon dont ils règlent les problèmes, etc. Cela se fait beaucoup à l'heure actuelle de façon informelle, mais je suis ravi de constater que le projet de loi l'officialise.
Il faudrait se retrouver dans une situation très étrange effectivement si un gouvernement provincial, en réponse à une demande claire d'agir dans son propre territoire, proposait un projet de loi qui serait sensiblement différent, qui ne tiendrait pas compte de certains éléments très importants de pratiques équitables dans le domaine des renseignements. Je ne peux m'imaginer une telle situation.
Certaines provinces qui ont l'intention d'adopter une loi correspondante pourront obtenir l'aide de notre bureau, de leur propre commissaire à la protection de la vie privée et de la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada, qui se penche depuis plusieurs années sur cette question. Ce n'est pas une chose que l'on a imaginée hier, monsieur. Nous avons des entretiens sur la question depuis un certain nombre d'années, de sorte qu'on a déjà fait beaucoup de travail dans ce dossier.
Je pense que l'on peut voir les choses de la façon suivante: le projet de loi à l'étude, la Loi fédérale sur la protection de la vie privée dans sa forme actuelle, les lois provinciales sur la protection de la vie privée et, en fait, la plupart des lois sur la protection de la vie privée dans le monde reflètent les lignes directrices de l'OCDE qui ont été publiées il y a 20 ans, et qui établissent un code de pratiques équitables du traitement de l'information, et la plupart de ces lois reflètent ce code.
• 1710
Il y aura des différences. Oui, certaines provinces diront
peut-être que nous devrions avoir des pouvoirs d'ordonnance. Madame
Lalonde, je ne dis pas qu'il ne s'agit pas là d'une approche
efficace. Je dis tout simplement que je suis satisfait de celle-ci.
Si l'expérience démontre que j'ai tort, eh bien, il vaudrait la peine d'examiner la question, il n'en fait aucun doute. Le simple fait d'adopter une loi sur la protection de la vie privée qui se tienne un peu garantit presque en un sens un niveau raisonnable dans le domaine. Vous comprenez ce que je veux dire?
Une province qui adopterait un projet de loi qui n'inclurait pas une forme de surveillance, de mécanisme de résolution des différends ou une disposition de consentement adéquate, par exemple, se retrouverait avec un projet de loi qui ne vaut rien. Ce ne serait pas une loi sur la protection de la vie privée. Un tel projet de loi ne serait jamais adopté. Il serait la risée de tous avant même d'être renvoyé à un comité parlementaire.
M. Walt Lastewka: Certaines personnes ont mentionné que le projet de loi à l'étude était un peu compliqué. Vous êtes dans le domaine de la protection de la vie privée depuis un certain temps, et j'apprécie votre expérience. Avez-vous des suggestions à faire pour simplifier ce projet de loi?
M. Bruce Phillips: J'ai été journaliste, non pas avocat, de sorte que je trouve tous les projets de loi compliqués.
J'ai entendu cette observation. Il s'agit certainement d'un projet de loi inhabituel dans la façon dont il a été préparé. Mais je demanderais à Mme Harris de vous donner une réponse plus professionnelle à cette question.
La présidente: Madame Harris.
Mme Holly Harris: Qu'est-ce que je peux dire? On peut toujours critiquer la façon dont d'autres ont rédigé quelque chose.
Je pense qu'il y avait sans doute de nombreuses contraintes lors de la rédaction du projet de loi. L'Association canadienne de normalisation avait déjà élaboré un code. Il s'agissait donc de tenter de l'incorporer dans la loi. Je ne vois vraiment pas de quelle autre façon on aurait pu s'y prendre, si ce n'est que d'aller chercher les dispositions contenues dans le code de la CSA et de les incorporer directement dans le projet de loi. Malheureusement, j'avoue que c'est peut-être un peu trop compliqué à cause de cela.
La présidente: Merci.
Monsieur Lastewka, avez-vous une dernière question ou est-ce que vous...
M. Walt Lastewka: J'ai encore une question.
Monsieur le commissaire, j'aimerais vous poser une question. Quelle est à votre avis la principale menace à la protection de la vie privée à l'heure actuelle dans le monde?
M. Bruce Phillips: Dans le monde?
M. Walt Lastewka: Disons au pays, alors.
M. Bruce Phillips: L'ignorance est la plus grande menace. C'est pourquoi j'ai mis autant d'accent sur la valeur de l'éducation. Les gens ne comprennent pas ce qui se passe dans le système. Par conséquent, ils ne sont pas suffisamment vigilants dans leurs propres transactions avec les entreprises afin de s'assurer qu'elles posent les bonnes questions. Ils ne sont pas suffisamment éveillés à ce problème pour porter la question au seul groupe de personnes qui puissent le résoudre sur le plan juridique: leurs législateurs. On assiste donc aujourd'hui à ce qui est à mon avis une contestation indispensable et pleine de promesses visant le problème même dont nous avons parlé.
Lorsque je parle d'ignorance, j'ai des faits à la fois épisodiques et empiriques à l'appui. Prenez par exemple mes rapports avec mes associés ou mes collègues. Ils me demandent ce que je fais. Je dis que je suis le commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Ils haussent tout simplement les épaules et commencent à parler des résultats de football. C'est parce qu'ils ne savent pas ce que c'est et ils ne sont pas certains même de vouloir le savoir.
Nous avons participé à des sondages d'opinion publique assez complets. Certains sondages révèlent très clairement que le public n'est pas assez informé sur ces questions. Les gens savent qu'il se passe quelque chose, mais ils ne savent pas exactement quoi. Ils sont inquiets, mais ils ne savent pas exactement pourquoi ils devraient s'inquiéter. Ils doivent être davantage informés.
Le problème de la protection de la vie privée en soi se dissipe presque plus facilement que n'importe quel autre problème auquel on pourrait songer lorsque le public est informé. C'est parce que, plus les gens sont au courant, moins il y a de crainte. Plus les gens comprennent le système, moins ils risquent d'en être victimes. Par conséquent, il y a moins de plaintes qui risquent de se retrouver sur le bureau d'un commissaire à la protection de la vie privée.
• 1715
Par exemple, nous recevons des milliers d'appels chaque année
de gens qui se demandent pourquoi ils doivent toujours donner leur
numéro d'assurance sociale au commis lorsqu'ils veulent faire un
achat, etc. Les gens ne comprennent pas vraiment même cette
question très simple qui est celle du numéro d'assurance sociale.
Eh bien, nous pouvons les aider à comprendre.
Les entreprises, en partie pour de bonnes raisons et en partie pour aucune raison valable si ce n'est que pour se rassurer elles-mêmes demandent aux gens de leur fournir toutes sortes de renseignements qu'elles auraient de la difficulté à défendre devant un commissaire à la protection de la vie privée, car elles n'en ont pas vraiment besoin.
Je pense que le projet de loi à l'étude produira de bien meilleurs processus de gestion de l'information dans les entreprises. Ces dernières vont examiner tous les renseignements qu'elles recueillent et se demander si elles en ont vraiment besoin, quelle en est leur utilité et pourquoi elles continuent de demander aux gens leur numéro d'assurance sociale.
Bon nombre d'entreprises ont déjà pris les devants. Les banques sont aux prises avec cette question de façon assez active depuis plusieurs années, en espérant peut-être éviter ce problème. Il est certain cependant qu'elles sont davantage sensibilisées au problème de la protection de la vie privée. Au cours des dernières années, elles ont examiné de beaucoup plus près qu'auparavant la façon dont elles recueillaient les renseignements et l'usage qu'elles en faisaient.
Vous m'avez posé la question, et l'ignorance est la réponse.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Lastewka.
[Français]
Madame Lalonde, s'il vous plaît.
Mme Francine Lalonde: Je vais parler d'un des articles du projet de loi C-54 qui inquiètent le commissaire de l'accès à l'information du Québec, Paul-André Comeau. Il dit s'inquiéter particulièrement de la communication qui est prévue à l'alinéa 7(3)f). En vertu de cette disposition, une organisation peut, sans le consentement de la personne concernée, communiquer un renseignement personnel si cette communication
-
...est
faite à des fins statistiques ou à des fins d'étude ou
de recherche érudites, le consentement est pratiquement
impossible à obtenir...
C'est difficile à juger.
-
...et l'organisation informe le commissaire de la
communication avant de la
faire;
Il ne lui demande pas la permission; il l'informe.
Paul-André Comeau dit:
-
Contrairement à la loi
québécoise, aucune autorisation ne doit être obtenue
auprès du Commissaire fédéral avant la communication
des renseignements personnels.
Des fichiers complets de renseignements personnels parfois
très sensibles pourront donc être communiqués sans
autre formalité qu'un avis au Commissaire.
Partagez-vous les craintes de Paul-André Comeau?
[Traduction]
La présidente: Monsieur Phillips.
M. Bruce Phillips: Dans une certaine mesure, oui, je partage ces craintes. Je préférerais un libellé plus précis. Je pense que c'est ce que vous trouverez dans le document que je vous ai distribué.
Les dispositions sont assez générales. Je pense que le projet de loi serait amélioré si les modalités selon lesquelles cela doit se faire étaient changées. La sécurité et l'utilisation par une tierce partie pourraient être mieux définies. On pourrait exiger une définition plus précise du projet et une justification. On pourrait envisager ce genre d'améliorations et les incorporer à l'aspect recherche du projet de loi. À mon avis, oui, c'est l'un des éléments qui pourraient être améliorés. Je pense que vous avez tout à fait raison.
La présidente: Avez-vous une dernière question, madame Lalonde?
M. Bruce Phillips: Julien vient tout juste de me rappeler que le processus d'avis au commissaire n'est pas inutile, naturellement. Écoutez, je peux initier une plainte si j'estime que cela est nécessaire. Si, à mon avis, le projet en question n'est pas justifié, je ne peux l'empêcher, mais...
[Français]
Mme Francine Lalonde: Vous ne pouvez pas l'empêcher? Elle est là, la faiblesse de votre position. Vous devriez vous fâcher et demander une plus grande capacité d'intervention. Vous allez voir les choses se passer et vous ne pourrez rien faire sauf aller par la suite devant la cour pour demander réparation. Il faut être capable d'agir avant, avec de l'information, de la formation et de l'éducation.
[Traduction]
M. Bruce Phillips: Je ne suis pas certain que je devrais avoir ce genre de pouvoir. Je serais plus heureux avec un projet de loi dans lequel les justifications nécessaires seraient définies de façon plus précise. J'aimerais avoir un peu plus de lignes directrices dans le projet de loi. Je ne veux pas être le seul arbitre et juge de tous les projets de recherche qui se présentent. Je ne pense pas qu'il y ait une personne au monde qui ait la compétence de prendre une telle décision.
Laissons les législateurs examiner la question et voir s'ils souhaitent avoir une définition plus étroite. Si, à mon avis, cela n'est pas une bonne idée, je le dirai publiquement. Dans ces circonstances, cela obligerait la personne qui propose un projet à le justifier publiquement. Nous aurions un débat public. On verrait ensuite qui gagnerait.
Madame Lalonde, je vous invite de toute façon à réfléchir à la grande valeur de la capacité du commissaire à donner son avis. C'est certainement l'outil le plus puissant que j'ai eu à ma disposition au cours de ces huit ans. Je ne ressens pas le besoin d'avoir davantage. Je suis tout à fait convaincu que lorsque j'ai vraiment le sentiment d'avoir raison au sujet de quelque chose, je n'aurais pas ce sentiment si je ne pouvais pas expliquer mes arguments pour appuyer ma décision et faire valoir la protection de la vie privée et à n'importe quel moment. Je suis tout à fait disposé à présenter mon point de vue au grand public, aux législateurs et à d'autres personnes.
Je ne pense pas avoir besoin du pouvoir d'ordonner aux gens de faire des choses. Nous avons suffisamment de personnes ici au pays qui poussent les autres et leur disent ce qu'ils doivent faire. Cela inclut les entreprises. J'aimerais que cela se fasse moins, pas davantage. J'aimerais que les gens disent que j'avais raison lorsque je disais qu'il s'agissait là d'une bonne question de protection de la vie privée et qu'ils se rangent de mon côté car c'est bon pour les affaires.
Je n'en arriverai pas là avec un homme d'affaires si je dois lui dire qu'il doit faire ce que je lui dis de faire, sinon il risque de se retrouver en prison. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose, je ne pense pas que cela soit nécessaire.
J'admets qu'à l'occasion cela pourrait être nécessaire. Cela n'empêchera peut-être pas certaines choses de se produire, mais je peux certainement m'en occuper après coup. Je suis prêt à gager, madame Lalonde, que l'expérience prouvera que dans 99 p. 100 des cas, nous allons régler les problèmes sans avoir à ordonner à quelqu'un de faire quelque chose.
La présidente: Merci, monsieur Phillips.
M. Bruce Phillips: Si je me trompe, je serai la première personne à l'admettre. Je serai certainement heureux de vous payer un dîner au meilleur restaurant d'Ottawa. Mais ce n'est pas beaucoup dire.
La présidente: Merci, monsieur Phillips.
Monsieur Bellemare.
[Français]
M. Eugène Bellemare: Merci, madame la présidente.
[Traduction]
Monsieur Phillips, j'ai enfin l'occasion de vous rencontrer en personne. Je vous surveille. Les nouvelles nationales dans la région d'Ottawa sont en réalité des nouvelles locales. Je suis un gars de la région. J'ai beaucoup entendu parler de vous, j'ai beaucoup lu à votre sujet et je vous ai vu à la télé.
Puisque l'on parle avec vous de cette question des médias, j'aimerais revenir sur un événement médiatique. Prenez par exemple la liberté de presse. Vous avez beaucoup insisté sur cette question aujourd'hui. Je pense que c'est une valeur incontestable. Au Canada, nous sommes fiers de la liberté de presse. Vous semblez dire qu'il ne faut pas toucher les médias parce qu'ils devraient continuer à jouir de cette liberté de presse.
Je pense que vous avez admis—c'est la façon dont j'interprète ce que vous avez dit, tout au moins—qu'il y a abus. Est-ce illégal? Est-ce immoral? Vous n'avez pas abordé la question. Vous avez cependant admis que le pire journalisme est pire qu'il ne l'a jamais été auparavant et que le meilleur journalisme est meilleur qu'il ne l'a été auparavant.
Les journalistes peuvent monter un cas contre un personnage public. Un personnage public peut être soit un politicien, un prêtre, ou une personne d'affaires. Il s'agit de quelqu'un qui a une vie publique, disons, que ce soit dans une municipalité ou une province.
• 1725
Une personne des médias peut vraiment monter une personne
publique. Il ou elle peut aussi détruire une personne publique par
association. Quelqu'un pourrait faire un parallèle entre le
président de l'Iraq et un personnage public simplement en faisant
l'association des idées, sans jamais dire que cette personne est le
président de l'Iraq. Mais selon la façon que l'article est libellé,
on veut s'en prendre à cette personne, parce que les médias ont
créé une perception.
Ils pourraient parler d'une variété de choses. Il pourrait s'agir des habitudes de la personne, de son âge. Je dis l'âge puisque nous avons une charte des droits et libertés. J'aurais cru, par exemple, qu'on ne pouvait pas faire de la discrimination dans l'embauche d'une personne étant donné son âge. Dans le cas par exemple d'un personnage public, mettons un homme de 90 ans qui voulait se présenter à des élections. Est-ce qu'il ne serait pas illégal de commencer à s'en prendre à son âge?
Si cette personne n'est pas un homme, mais une femme, par exemple, et si cette personne n'est pas seulement une femme, mais quelqu'un du Moyen-Orient ou de l'Orient, et si les gens dans la communauté n'aiment pas la personne, et tout ce qui est raconté est vrai, on pourrait monter un cas de façon tellement négative l'on pourrait anéantir les chances pour cette personne d'entrer dans la vie politique ou de devenir président d'une caisse populaire—étant donné que c'est le seul endroit dans le système bancaire où on peut être élu. Je ne sais pas comment on pourrait se faire élire...
Le président: Monsieur Bellemare, votre question s'il vous plaît.
M. Eugène Bellemare: Ma question est simple; et demande une réponse oui ou non.
En tant qu'expert dans le domaine de la vie privée et des médias, pourquoi ne présentez-vous pas un amendement—vous avez dit en avoir plein—afin que les journalistes les plus abusifs, ceux qui recueillent des données à des fins malicieuses, ne pourraient pas agir de la sorte? Pourquoi n'avez-vous pas présenté une recommandation ou un amendement? Je parle ici de cas extrêmes, parce que vous avez dit de ne pas toucher à ce qui est bien puisque nous voulons protéger nos libertés canadiennes.
Le président: Monsieur Phillips, avez-vous une réponse à cela?
M. Bruce Phillips: Je n'ai certainement pas une réponse oui ou non. Je suis désolé de réagir ainsi, monsieur Bellemare, mais si je regarde la question d'une autre façon, si vous avez un tel amendement, j'aimerais le voir—un amendement qui limiterait les pratiques sans faire un tort irréparable aux libertés de la presse, et un amendement qui serait acceptable en vertu de la Charte. Il s'agit de quelque chose de très difficile...
M. Eugène Bellemare: Mais vous êtes l'expert. Je ne suis qu'un individu qui représente le grand public, les gens qui sont maltraités parfois par certains éléments des médias. Vous êtes la personne qui a l'expertise, l'autorité et le savoir-faire, pas moi.
M. Bruce Phillips: Enfin, la première chose que je dirais c'est que la presse n'opère pas dans un vide juridique. Il y a des lois en matière de commentaires diffamatoires...
M. Eugène Bellemare: Vous vous cachez derrière cela.
M. Bruce Phillips: Non. Je dirais ce qui suit au sujet de ces lois. Une personne ordinaire n'a pas les moyens d'y avoir recours. Je crois qu'il y a une solution à cela. Je crois qu'un citoyen ordinaire, qui aurait vu sa réputation noircie par une chaîne de journaux très riche, ou une revue très riche, ou n'importe quoi, peut rarement faire redresser la situation étant donné qu'il n'a pas les moyens d'assumer les frais juridiques nécessaires pour mener la chose en cour.
À mon avis, le système judiciaire et la profession juridique pourraient régler cela. N'est-ce pas? Il y a certainement bien des cas qui, à mes yeux de profane, tout simplement en regardant les choses que je vois dans les journaux, sembleraient à mon avis mériter une action quelconque. Mais cela arrive rarement, et les personnages publics en général sont assez réticents à le faire de toute façon, puisque cela ne fait qu'alimenter un débat public autour du bien-fondé des allégations. La situation s'envenime.
• 1730
Donc, oui, la presse a... Quelqu'un a déjà dit... quelle était
donc l'expression—qu'il ne faut jamais essayer de remporter un
argument avec un bonhomme qui a un crayon de 10 tonnes et six
tonnes d'encre. Il va sans doute avoir le dessus. Ce qui signifie,
à mon avis, que nous devons nous réengager à certaines normes de
base du bon journalisme. Il ne s'agit pas de la science infuse.
Les nouvelles participent de deux éléments. Premièrement, l'intérêt public et ensuite l'importance publique. Lorsque je dis l'intérêt public, ce que je veux dire c'est ce qui intéresse le public. Et là, il s'agit de bien des choses, dont certaines n'ont pas du tout d'importance. Écoutez, nous sommes tous des êtres humains et la plupart d'entre nous regardent rapidement ce qui est dit dans les journaux, même si on pense que c'est terrible une fois que c'est imprimé et publié. C'est dans la nature humaine. Les journalistes le savent. C'est la vie. Le monde est ainsi fait. Les journaux, les chaînes de télévision, et les magasins seraient très ennuyeux si on n'y voyait que les débats textuels de la Chambre des communes, du Sénat, de la commission scolaire locale, et ainsi de suite—quelle que soit leur importance.
Donc, ce qui est aberrant, inusité, bizarre—tout cela fait partie de la vie, et donc intéresse le journaliste.
Ce que je ne peux pas appuyer, et vous non plus de toute évidence, c'est la diffusion d'information qu'on a aucune raison raisonnable de diffuser—la publication de choses qui causeraient du tort à des gens, lorsqu'elle ne sert pas de fin utile. Le journalisme est déjà assez difficile. Souvent on doit sciemment écrire et publier des choses qui vont faire du tort. De le faire sans être persuadé en toute conscience que le public doit vraiment le savoir puisque cela peut avoir une incidence directe, par exemple, sur les habiletés d'une personne à occuper un poste de responsabilité publique, de le publier simplement parce que c'est intéressant, sachant que cela va blesser quelqu'un, personnellement, je ne peux pas appuyer cela. Certains journalistes le peuvent.
Mais à mon avis, ce ne sont pas là les grands péchés du journalisme. À mon avis, le journalisme serait... Son plus grand défaut est l'inexactitude de ce qui est dit. Il y a beaucoup trop de journalistes qui ne font que recopier ce qu'a fait le voisin. Écoutez, j'ai été des deux côtés. J'ai travaillé en tant que fonctionnaire au gouvernement, et je dois dire que j'étais navré de voir le nombre de fois que des renseignements que je savais être faux étaient publiés, et à quel point les médias hésitaient à corriger ces renseignements.
La presse doit avoir un sentiment plus développé de sa responsabilité. Elle doit être plus engagée à s'assurer qu'elle publie les bons renseignements. On avait un dicton quand j'étais jeune reporter que j'aimerais voir affiché en gros caractères dans chaque salle de nouvelles à travers le pays: Soyez les premiers à obtenir l'information. Obtenez les faits exacts. Mais premièrement, assurez-vous de l'exactitude de vos faits.
Comprenez-vous ce que je dis? Ce sont les vrais péchés du journalisme et pas... Oui, il y aura toujours des revues où on raconte des choses ayant très peu d'importance; il y en a une dans cette ville qui fait enquête sur la vie privée des gens. Mais ce n'est pas là le plus grand problème des journalistes. Le plus grand problème du journalisme est de choisir en priorité ce qui est utile, important et intéressant pour les gens et qui peut avoir une incidence sur leur vie, et de veiller à ce que ces renseignements soient exacts. Mais ce n'est pas facile.
M. Eugène Bellemare: Voulez-vous essayer de préparer un amendement?
M. Bruce Phillips: Je ne pense pas que je pourrais mettre tout cela dans un amendement d'un paragraphe. Je suis sensible à ce qui se dit ici, mais je ne crois pas que vous puissiez remédier à la situation en imposant des restrictions à la liberté de la presse.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Bellemare.
Merci beaucoup, monsieur Phillips.
Monsieur Phillips, j'ai certaines questions que j'aimerais vous poser au sujet de votre mémoire. Ce serait peut-être une meilleure façon d'obtenir des réponses détaillées en particulier sur la question de la réglementation, et sur ce que vous entendez par des consultations formelles auprès du Commissaire à la protection de la vie privé. Cependant, étant donné que nous manquons de temps et que les députés ont d'autres engagements, je tiens à vous remercier infiniment d'avoir été avec nous aujourd'hui. Qui sait, nous vous reconvoquerons peut-être une autre fois avant qu'on ait terminé nos délibérations, étant donné que nous allons continuer de siéger en février. Nous vous sommes reconnaissants de vos commentaires et nous espérons pouvoir en discuter plus longuement avec vous.
M. Bruce Phillips: Merci, madame Whelan. Merci, mesdames et messieurs.
La présidente: Je vous remercie.
La séance est levée.