Passer au contenu

INDY Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY

COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 25 mai 1999

• 0905

[Traduction]

La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Je déclare la séance ouverte pour étudier, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, un document intitulé Pour un Canada innovateur: Cadre d'action.

Nous sommes très heureux d'accueillir de nouveau les témoins d'aujourd'hui. Nous les avons déjà entendus quand nous avons lancé cette initiative il y a environ un an et demi et nous sommes donc très heureux de les retrouver. Nous accueillons donc M. Thomas Brzustowski, président du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, ainsi que M. Marcel Lauzière, directeur, Innovation et liaison du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et M. Marc LePage, directeur, Partenariats et expansion des affaires, au Conseil de recherches médicales du Canada. Je suis très heureuse de vous accueillir tous trois.

Je vous propose de commencer par vos déclarations liminaires après quoi nous passerons aux questions. Sauf si vous avez pris d'autres arrangements entre vous, nous allons commencer par M. Brzustowski.

M. Thomas A. Brzustowski (président, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada): Merci, madame la présidente.

Mesdames et messieurs, mesdames et messieurs les députés, je vous suis très reconnaissant non seulement que nous avoir invités, mais aussi parce que vous avez bien choisi votre moment. En effet, je vais pouvoir vous communiquer plusieurs données relatives à une situation actuelle importante. J'espère ainsi vous montrer le lien qui existe entre la recherche universitaire, l'innovation et la compétence de notre main-d'oeuvre.

[Français]

Cette occasion me donne la possibilité de vous présenter un ensemble de faits que je trouve très importants.

[Traduction]

Je commencerai par vous dire une chose. Vous avez eu vent des nombreuses histoires qui ont cours aux États-Unis—il y en a eu beaucoup et je ne vais pas vous en citer une en particulière—selon lesquelles le nombre d'inscription dans les programmes d'ordinatique et de génie électrique ne cesse de diminuer depuis plusieurs années, alors que l'industrie américaine dit avoir un cruel besoin de spécialistes dans ce domaine. Il est un fait que les niveaux d'inscription sont à la baisse, et ils le sont aussi en France et en Allemagne, mais pas au Canada.

Je vais vous citer quelques chiffres pour la dernière décennie, parce que je juge cela important. En 1986-1987, on dénombrait environ 93 000 étudiants d'universités canadiennes inscrits dans les programmes de sciences naturelles et de génie—c'est-à-dire en mathématiques, en génie et en sciences—soit quelque 23,8 p. 100 du total des inscriptions. En 1996-1997, ce nombre est passé à 110 000, soit 23,6 p. 100 du total.

Les inscriptions à l'université augmentent, le pourcentage d'étudiants en sciences naturelles et en génie augmente régulièrement et le nombre d'inscriptions en général augmente également. L'augmentation la plus rapide se produit dans les secteurs des sciences et de l'agriculture; de plus, le nombre d'inscriptions en mathématiques et en sciences physiques est relativement constant; l'augmentation est assez modeste en génie.

Avec tout cela, notre propre industrie de l'informatique et des technologies de l'information, que vous connaissez bien, nous a récemment réclamé davantage de diplômés dans ce domaine. Vous savez que certaines provinces, l'Ontario par exemple, ont été d'accord pour chercher à faire doubler le nombre d'inscription en sciences informatiques et en génie électrique.

Les étudiants ne manquent pas. Les universités comme celles de Toronto et de Waterloo n'ont aucune difficulté à doubler leur niveau d'inscription. Madame la présidente, je vais vous livrer un fait très étonnant: ces universités n'ont même pas de difficulté à recruter les professeurs nécessaires pour enseigner à tous ces étudiants.

• 0910

Nous nous trouvons donc dans une situation où les inscriptions dans une technologie clé, dans une technologie qui évolue, est en replis dans les pays avec lesquels nous sommes en concurrence. En réaction à l'industrie, nous avons décidé de doubler le niveau d'inscription au Canada dans plusieurs provinces clés. Le bassin d'étudiants existe, il augmente même et les universités sont parvenues à engager les effectifs enseignant nécessaires pour enseigner à ces gens-là.

Pourquoi est-ce que je vous dis tout cela? Eh bien, je veux que vous sachiez que cette situation, par ailleurs fort saine pour le Canada, met le CRSNG sous pression. Pourquoi me demanderez-vous? Eh bien, parce que ces nouveaux professeurs qui viennent enseigner à ces élèves feront tous de la recherche en ordinatique et en génie électrique. Pour cela, ils demanderont des subventions et du matériel. On est sûr en droit de se demander pourquoi la recherche universitaire est tellement importante pour cette industrie novatrice.

Elle est importante parce qu'elle permet aux enseignants de demeurer au fait de leur technique. La recherche leur permet non seulement de faire des découvertes que l'industrie pourra mettre à profit, mais elle permet aussi à leurs étudiants d'obtenir leur diplôme et d'être à la pointe du progrès. Ainsi, ils sauront exactement de quoi il retourne.

Certains de ces enseignants sont des vieux de la vieille. Je dois dire que nous avons beaucoup de chance de pouvoir attirer ainsi des gens d'expérience, plutôt que des débutants. Nous avons de la chance que notre pays puisse compter sur un corps enseignant ayant une telle expérience. Nous nous devons de lui fournir des subventions suffisantes pour lui permettre d'effectuer des recherches de haut niveau, comparables aux budgets qu'ils pouvaient avoir dans leurs anciens postes.

Cela m'amène à établir le lien qui existe entre la recherche fondamentale et l'innovation, d'un côté, et la production de richesses nationales, de l'autre. Ceux qui étudient cette relation le font depuis des décennies, surtout les chercheurs de l'Unité de recherches en sciences politiques de l'Université de Sussex, en Grande-Bretagne. Ils en sont venus à la conclusion que la recherche fondamentale a six grandes répercussions sur la capacité novatrice d'un pays.

Je vais vous dire lesquelles elles sont, après quoi je commenterai chacune d'elle.

La première est l'augmentation du fonds des connaissances utiles.

[Français]

Évidemment, ce sont les résultats de la recherche faite par les autres que l'on peut utiliser dans l'industrie.

[Traduction]

Cela signifie également que nous avons ainsi la capacité d'accéder à toutes les connaissances que nous ne produisons pas. Nous produisons 3 à 4 p. 100 environ de toutes les connaissances découlant de la recherche effectuée dans le monde. Or, nous devons avoir accès aux autres 96 ou 97 p. 100. Pour cela, il est essentiel que nous obtenions nous-mêmes des résultats en recherche.

La deuxième incidence est celle de la formation des diplômés spécialisés. Il s'agit peut-être là de la seule chose palpable et immédiatement visible que rapporte le capital investi dans la recherche fondamentale. Quand les gens obtiennent leur diplôme, on le sait. C'est un apport visible à court terme; mais par la suite, ces mêmes diplômés contribuent à accroître la capacité d'une main- d'oeuvre très spécialisée.

L'autre incidence est celle de la création de nouveaux instruments scientifiques, ce qui est courant dans nos laboratoires. La création de réseaux et l'interaction sociale sont des résultats très importants sur ce plan. Je vous souligne en passant que la recherche a été une activité internationale bien avant que les gens commencent à parler d'économie mondiale.

Il est important d'accroître notre capacité en matière de résolution des problèmes scientifiques et techniques, car cela a une incidence de la compétence de la société.

La sixième répercussion est celle de la création d'entreprises. Le CRSNG a établi un lien entre la création de 108 entreprises et des investissements effectués dans la recherche fondamentale universitaire il y a 10, 20 voire 30 ans.

Nous avons d'ailleurs une petite brochure qui en parle et dont le titre est La découverte et l'innovation au présent, Bringing Discovery and Innovation to Life. Elle se veut une façon d'expliquer au public comment certains résultats de la recherche se sont traduits en activités commerciales et ont permis à des gens d'obtenir des emplois.

• 0915

Nous vous avons également fait remettre, pour votre information, un dépliant baptisé Le CRSNG en bref, NSERC at a Glance, qui donne une idée claire de l'envergure de nos opérations. Enfin, il y a le dépliant La recherche fondamentale: les bases de la prospérité, que nous avons produit en collaboration avec les autres conseils de recherches.

Je conclurai mon intervention sur cela, madame la présidente. Ces liens entre la recherche fondamentale universitaire—dont l'objectif est la découverte, la découverte de nouvelles connaissances et peut-être même la découverte de nouvelles utilisations—et l'innovation, qui permet au marché de disposer de nouveaux produits et services, sont bien établis et une grande partie de ces liens tient à la capacité du gouvernement fédéral de financer, par le truchement des conseils de recherches, les enseignants qui forment des étudiants tellement en demande par l'industrie.

Je conclurai en vous disant que la situation au Canada ne se compare pas avec celle des autres pays du G-7. Nous sommes fiers que les niveaux d'inscription en sciences et en génie n'aient pas diminué comme cela est arrivé ailleurs, bien que nous ne comprenions pas pourquoi.

Je vous remercie beaucoup. Je serai heureux de répondre à vos éventuelles questions par la suite.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Brzustowski.

Je cède la parole à M. Marcel Lauzière, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

M. Marcel Lauzière (directeur, Innovation et liaison, Conseil de recherches en sciences humaines du Canada): Merci.

Le CRSH se réjouit de pouvoir soumettre au comité permanent son point de vue à propos de l'innovation au Canada, surtout en ce qui concerne la contribution que les sciences sociales et les sciences humaines ont déjà apporté et continueront d'apporter à cette démarche. Le CRSH est l'instrument clé qui appuie la recherche et la formation universitaire en sciences sociales et en sciences humaines et qui oriente les projets de recherche entrepris par le Canada dans ces domaines.

Le CRSH apporte son soutien à un vaste éventail de disciplines, allant de l'économie et du commerce à l'histoire, en passant par la littérature et la psychologie. Plus important encore, il soutient la recherche dans des domaines qui sont essentiels pour les Canadiens, comme la santé, la culture et le patrimoine, l'éducation et la formation, la politique sociale, l'immigration, l'éthique environnementale, etc. En outre, le Conseil apporte des connaissances pertinentes à la politique sur des problèmes thèmes d'importance nationale, sur la formation des futures générations de personnel qui devra être hautement qualifié ainsi que sur la large diffusion du savoir dans ses domaines de compétence, cela pour le bénéfice de la société canadienne.

Aujourd'hui, je me propose de vous entretenir brièvement d'innovation.

Depuis la parution, il y a deux ans, de Pour un Canada innovateur, beaucoup de choses sont arrivées sur le chapitre de l'innovation. Juste avant, le gouvernement avait annoncé la création du FCI et déclaré que les RCE étaient désormais permanents. Depuis la parution de ce document, le gouvernement a augmenté son financement des conseils, il a annoncé la création de nouveaux instituts dans le domaine de la recherche en santé et il a renouvelé le financement des RCE. Ainsi, on a fait beaucoup, je crois, pour le plus grand bien de la collectivité.

Dans ce contexte, on a affiné le concept d'innovation et je crois que tous les organismes de financement ont profité de l'occasion pour réfléchir à leur contribution sur ce plan. L'innovation, les sciences humaines et les sciences sociales revêtent de nombreuses formes.

Par exemple, nous finançons un important projet de recherche qui consiste à trouver des façons de stimuler l'entrepreneuriat et l'innovation dans les PME, surtout auprès des jeunes Canadiens. D'autres projets consistent à trouver de nouvelles options dans le domaine des politiques sociales en cette fin des années 90.

J'aimerais mettre à profit le peu de temps que vous m'avez alloué pour jeter un peu de lumière sur une dimension relativement négligée de l'innovation dans nos disciplines, et sur l'incidence que les découvertes en sciences humaines et en sciences sociales ont sur les nouvelles technologies.

On part souvent du principe, je crois, que les chercheurs dans nos disciplines acceptent de façon passive les progrès technologiques et même les progrès conceptuels, réalisés grâce au travail effectué dans d'autres disciplines. Bien au contraire, je dirais qu'il n'est pas rare que les chercheurs en sciences sociales et en sciences humaines soient stimulés par les progrès réalisés par ailleurs et qu'ils essaient de se les approprier et des les mettre à profit dans leurs propres travaux de recherche. Ce faisant, ils poussent ce genre de progrès encore plus loin.

Je vais vous donner un exemple frappant de ce qui peut se produire quand des chercheurs novateurs en sciences sociales et en sciences humaines tombent sur de nouvelles technologies.

Comme nous le savons tous, la révolution survenue dans les technologies de l'information a considérablement modifié la façon dont les gouvernements, les sociétés, les organismes et les particuliers communiquent entre eux et appliquent ces technologies à leurs activités quotidiennes. C'est bien sûr là un phénomène qui prend de l'ampleur en cette ère de l'information. Cependant, cette révolution a donné lieu à quelques problèmes imprévus, dont la préservation à long terme des documents créés sur supports électroniques. Les chercheurs du CRSH cherchent justement à les régler.

Récemment, le CRSH a accordé une subvention à une équipe internationale de chercheurs appelée INTERPARES, pour International Research Team on Permanent Authentic Records in Electronic Systems ou, en français, l'Équipe de recherches internationales sur les dossiers authentiques permanents créés sur support électronique. La directrice de l'équipe, Mme Luciana Duranti, est une chercheuse de renommée mondiale qui est archiviste à l'Université de Colombie- Britannique. C'est donc elle qui dirige le projet.

• 0920

Les premiers résultats de cette recherche sont fascinants. Ils donnent à penser que la façon la plus efficace de protéger des dossiers électroniques consiste peut-être à traduire en règles formelles des concepts et des méthodes imaginés aux XVIIe et au XVIIIe siècles dans une discipline baptisée la diplomatique. La diplomatique correspond à un système très complexe d'idées sur la nature des dossiers, leur genèse, leur authentification et ainsi de suite. Il est intéressant de noter à cet égard que l'équipe de l'UCB travaille en collaboration avec le groupe de travail de gestion des dossiers du département américain de la défense pour essayer de régler quelques-uns des défis de ce ministère. La compétence de cette équipe est assez unique dans le monde.

L'innovation consiste ici à transposer des préceptes vieux de plusieurs siècles en un ensemble de règles adaptées à l'informatique et donc à permettre le développement et la commercialisation d'un nouveau logiciel. Au fur et à mesure qu'il s'enfoncera dans l'ère de l'information, notre pays aura besoin de telles innovations pour assurer sa réussite.

Pour passer à un plan plus général, on voit déjà se profiler à l'horizon les innovations de l'avenir qu'on devra à la convergence de la technologie et des sciences humaines. Par exemple, l'émergence d'Internet inspire déjà les spécialistes des sciences sociales et les humanistes qui cherchent à réinventer de nouveaux types d'instruments d'enquête, accompagnés de logiciels de gestion, et qui veulent élaborer de nouveaux moyens de partager le contenu des bases de données par-delà les frontières.

À l'automne prochain, une conférence internationale organisée par la CRSH, l'OCDE et la Natural Science Foundation des États-Unis se tiendra à Ottawa. Les participants seront appelés à se pencher sur les nouveaux outils et les nouvelles infrastructures nécessaires aux sciences humaines. Nous aurons besoin de ces outils pour continuer d'être novateurs et pour pousser l'innovation ici, au Canada. Le même schéma général semble se dessiner sur ce plan également. L'innovation technologique alimente l'imagination des scientifiques sociaux et des humanistes au point qu'ils inventent de nouvelles obligations et de nouveaux outils pour aller encore plus loin.

[Français]

J'aimerais maintenant dire quelques mots sur l'innovation sociale parce que c'est aussi une question importante pour le pays. Je pense qu'il est important de le noter ici, devant ce comité.

Bien entendu, le CRSH est également préoccupé par un autre problème soulevé dans le texte à l'étude ici: le transfert des connaissances ou, dans un vocabulaire que nous préférons, le partage des connaissances. C'est désormais une question incontournable pour les chercheurs si nous voulons parler d'innovation sociale. Nous pensons être sur la bonne voie.

De plus en plus, le CRSH appuie le développement de pratiques sociales innovatrices qui ont des incidences concrètes sur la vie des Canadiens. Voici deux exemples. Il y a d'abord le nouveau programme des Alliances de recherche universités-communautés. Ce programme est la concrétisation d'une idée déjà présente dans le document que vous avez devant vous. Ce programme vise à mettre l'expertise des chercheurs universitaires au service des besoins de la communauté en favorisant la création de véritables partenariats entre les universités et la communauté locale, qu'il s'agisse de groupes communautaires, d'entreprises du secteur privé, de municipalités, etc. Les chercheurs et les membres de la communauté définissent conjointement le programme de recherche de même que les activités de formation et de diffusion. À titre d'illustration, on peut penser à un groupe d'aînés de Thunder Bay qui s'associerait à des chercheurs en gérontologie de l'Université Lakehead pour évaluer les besoins en matière de logement des aînés de la région.

Le programme que nous venons de lancer favorisera ce genre de rapprochement partout au pays. Ce qui est vraiment étonnant et qui nous fait énormément plaisir, c'est de voir à quel point la demande pour ce nouveau programme de partenariat est forte. Nous avons eu deux fois plus de demandes que ce que nous envisagions. Je pense que la communauté des sciences humaines s'intéresse davantage à ce genre de partenariat.

Dans le même ordre d'idées, les projets proposés dans le cadre du nouveau thème stratégique sur la santé des Canadiens financés par le CRSH seront jugés en partie sur la qualité des partenariats qui seront établis avec la communauté. Il ne s'agit pas d'un exercice de relations publiques; au contraire, les chercheurs eux-mêmes sont de plus en plus nombreux à reconnaître que ce rapprochement avec la communauté a un effet positif sur la qualité de leurs travaux et sur le renouvellement des méthodologies.

Peut-on vraiment parler d'innovation sociale? Absolument, car il ne s'agit pas simplement de multiplier les liens entre l'université et la société, même si c'est déjà là un objectif louable. Il est question de la création de nouveaux liens entre l'université et la société. La participation des membres de la communauté à la définition du projet de recherche change la dynamique traditionnelle, qui établit une distinction très nette entre ceux qui font la recherche et ceux qui en sont l'objet.

Bien entendu, il n'est ni souhaitable ni nécessaire que tous les travaux de recherche adoptent ce modèle, mais nous croyons qu'il reste encore des progrès considérables à effectuer dans ce domaine. À ce niveau-là, nous croyons que le CRSH contribuera de façon importante à l'innovation au Canada.

• 0925

Je m'arrête ici, mais je souhaite vivement que nous puissions explorer ensemble les différentes facettes de l'innovation dans nos disciplines qui, malheureusement, passent souvent inaperçues. Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Lauzière.

Je cède à présent la parole à M. Marc LePage, qui est du Conseil de recherches médicales du Canada.

[Français]

M. Marc LePage (directeur, Partenariats et expansion des affaires, Conseil de recherches médicales du Canada): Merci. Madame la présidente, membres du comité, mesdames et messieurs,

[Traduction]

Je suis à la fois heureux et honoré de me trouver parmi vous ce matin pour vous faire part de mes premières réflexions sur les changements positifs intervenus depuis l'annonce du budget, changements qui, dans notre cas, correspondent à la création des Instituts canadiens de recherche en santé. Cela représente pour nous le changement le plus important, et de beaucoup, survenu dans le domaine de la recherche en santé depuis la création du CRM, il y a 40 ans. C'est donc un événement fondamental.

Le monde d'aujourd'hui est très différent de ce qu'il était quand nous avons comparu devant vous il y a quelques mois à peine. Le milieu de la recherche est différent et je crois pouvoir dire que l'humeur de notre communauté est très différente également. Les choses changent. Nous sommes encore en transition, mais nos jeunes chercheurs commencent à percevoir l'impact de tout ce qui se passe et je crois qu'ils sont en train de changer de mentalité. L'optimisme, sentiment tellement précieux, commence à renaître.

Avant d'aller plus loin, je dois vous transmettre les regrets du président du Conseil de recherches médicales, le Dr Friesen, qui ne peut être des nôtres ce matin. Il a toujours été fort bien accueilli par votre comité, mais il est en train de comparaître devant vos collègues du Comité de la santé pour défendre le budget du CRM. Si on ne le torture pas trop, nous aurons peut-être la chance de le voir un peu plus tard. Quoi qu'il en soit, il m'a demandé de vous présenter toutes ses excuses, surtout que nous n'en sommes pas encore au clonage humain, du moins pas en ce qui concerne les présidents.

Le Dr Friesen et nos collègues du domaine de la recherche auraient surtout voulu être présents pour remercier votre comité pour la création des ICRS. C'est que votre comité a toujours fort bien accueilli nos mémoires et les députés, de tous les partis et de toutes les régions, ont toujours très bien reçu les représentants de notre conseil. L'aboutissement de ce projet est le résultat d'un grand enthousiasme et vous devez savoir que nos chercheurs ont ressenti ce déblocage, ce qui les a eux-mêmes beaucoup stimulés. Ils ont l'impression que le Parlement s'est engagé dans ce projet, et cela leur donne une grande confiance pour l'avenir.

Encore une fois, permettez-moi de vous dire à quel point nous avons apprécié votre appui.

Ce matin, j'ai apporté avec moi un document de travail que vous avez déjà en main, je crois, et que je me propose de parcourir. Je vais vous en donner les grandes lignes et attirer votre attention sur certains points.

Voici donc notre stratégie de commercialisation. Je laisserai de côté pour l'instant les questions sociales et de santé concernant les ICRS pour me concentrer sur le volet industriel et sur le volet commercialisation, et pour éventuellement en tirer les grands messages.

Je commencerai par la page 3, qui énonce le mandat des ICRS extrait du plan budgétaire. On peut constater ici un changement fondamental dans la façon dont nous abordons la recherche en matière de santé.

Dès la première ligne, vous pouvez voir qu'il est question de:

    promouvoir la création de nouvelles connaissances qui contribueraient à améliorer la santé des Canadiens, l'efficacité des services en santé et le développement économique.

Cette mission économique n'a jamais été inscrite dans le mandat du CRM. Nous avons été très heureux d'assumer cette responsabilité, mais celle-ci est à présent devenue, pour les ICRS, un élément fondamental et légitime de notre mission.

Il est important de signaler aux chercheurs, aux administrateurs d'université, à nos collègues et aux différents intervenants de la recherche en santé que rien ne cela n'est secondaire et qu'il s'agit bien d'un élément central important et légitime dans la réalisation de cette nouvelle initiative. Certains membres de ce comité seront peut-être surpris d'apprendre que des gens s'opposent à tout effort visant à promouvoir le partenariat avec l'industrie. C'est surprenant de nos jours, mais force est de constater qu'il existe encore une résistance de fond et j'estime qu'en ouvrant notre charte par la phrase que je viens de vous lire, nous ferons beaucoup pour la combattre. Je crois d'ailleurs que votre comité pourra utilement nous aider à maintenir le cap en direction de cet objectif central.

M. Brzustowski qui, je crois, a fait l'expérience de cette réalité au Comité consultatif sur la statistique des sciences et de la technologie, et quand il a participé au conseil d'administration intérimaire, voudra peut-être vous en dire plus à ce sujet.

Par ailleurs, je voulais vous brosser à grands traits un instantané de notre situation actuelle dans les industries de la santé, en m'appuyant sur les pages 5 à 9 de notre mémoire.

On y dit essentiellement que nous sommes un secteur important. Quelque 80 000 Canadiennes et Canadiens travaillent dans ce domaine, qui est un peu plus important que celui de l'aérospatiale et qui est parvenu à merveille à se ménager un créneau sur les marchés internationaux. Les taux de croissance y sont plutôt élevés et demeurent constants. Mais ce n'est qu'un début. Nous sommes en train de nous perfectionner sur le plan de la commercialisation de la recherche. Comme vous l'avez appris lors de nos précédentes présentations, nous avons assisté à une explosion des investissements de capital-risque dans les sciences de la vie.

• 0930

En cinq à peine, depuis 1994, nous avons considérablement amélioré notre capacité de transformer la science fondamentale en produits et en entreprises. Par exemple, il faut savoir que pour chaque dollar investi dans le CRM l'année dernière, nous avons reçu 1,60 $ de plus en capital-risque, essentiellement dans les projets en science. Si l'on fait la comparaison avec la situation aux États-Unis qui, en un sens, est le leader mondial en biotechnologie, et avec l'Internet, on découvre que pour chaque dollar investi chez nos pendants américains, c'est-à-dire les National Institutes of Health, 20c. seulement sont ajoutés sous la forme de capital-risque. Ainsi, nous obtenons maintenant des résultats plutôt remarquables sur ce plan. Nous pouvons nous consacrer à ce qui est fondamental, c'est-à-dire aux sciences de base qui permettent d'alimenter la locomotive de l'économie, raison pour laquelle les ICRS sont tellement importants à cette époque.

L'autre volet du secteur de la santé que votre comité connaît très bien est celui de l'industrie pharmaceutique. Les projets de loi qui se sont succédé, jusqu'aux projets de loi C-22 et C-91... Comme vous le savez, l'industrie est parvenue à augmenter considérablement son niveau d'activité en recherche au Canada, ce qui s'est concrètement traduit par une augmentation de l'activité dans le programme de santé du CRM/ACIM. En vertu de ce programme, nous avons cofinancé une recherche soumise à l'examen des pairs. Nous avons commencé en 1994 et, dans les cinq premières années, nous avons financé un millier de projets dans lesquels l'industrie a investi près de 200 millions de dollars. Nous sommes en train de réexaminer ce programme pour déterminer ce que nous allons faire dans les cinq prochaines années. Compte tenu du nouvel environnement créé par les ICRS, nous espérons pouvoir mettre en place un programme beaucoup plus ambitieux. Sur ce plan également, nous apprécierions beaucoup l'appui de votre comité.

À propos de ce grand thème des industries de la santé, j'aimerais paraphraser ce qu'a dit Rod Bryden. Il est très clair qu'étant donné le vieillissement de la population canadienne et l'explosion technologique mondiale, nous achèterons de plus en plus de produits de santé dans l'avenir. Nous achèterons de plus en plus de produits pharmaceutiques, et de plus en plus de dispositifs et de services dans le domaine de la santé. Tous ces produits et services nous viendront des États-Unis, car nous ne pourrons pas fermer notre frontière avec ce pays. Si M. Bryden est mieux connu en sa qualité de gestionnaire d'une équipe de hockey, nous, nous le connaissons en tant que président de World Heart, une extraordinaire jeune entreprise en biotechnologie. Sa façon de voir les choses est fort simple. Pour lui, notre pays doit décider s'il veut payer d'autres pour fabriquer les produits dont nous aurons besoin ou si nous devons prendre les mesures voulues pour en produire une partie nous-mêmes et créer l'assiette fiscale et les richesses nécessaires au financement de nos régimes d'assurance- maladie et de nos autres programmes sociaux. C'est exactement ce dont il est question ici.

Passons à la situation actuelle, décrite à la page 9 de notre document, et aux objectifs que nous nous sommes fixés à terme de cinq ans. Ces objectifs sont encore à l'étude. Ils ne sont pas finalisés, mais je dirais qu'ils donnent une bonne idée de l'orientation générale que nous voulons suivre. En outre, plusieurs de ces objectifs sont accompagnés de chiffres. Il est encore difficile, aujourd'hui, de savoir si nous serons en mesure de les atteindre à partir de là où nous en sommes, mais je vais vous en commenter quelques-uns.

D'abord, nous pensons être en mesure de créer 50 000 emplois dans ce secteur au cours des cinq prochaines années, ce qui représente un taux de croissance très soutenu. Deuxièmement, nous voulons accéder au deuxième rang mondial en biotechnologie. La biotechnologie n'est qu'une adolescente de 18 à 20 ans, qui entre à peine dans l'âge adulte. Les prochaines années seront très productives ce qui nous permettra de faire progresser notre industrie. Tous les grands pays déploient d'importants efforts à ce titre. Nous sommes nez à nez avec la Grande-Bretagne pour la deuxième place. Il est possible que ce pays soit un petit peu en avance que nous, mais nous sommes décidés... Pour reprendre la devise de GE, celle de Jack Walsh... il faut essayer d'être numéro un, numéro deux, numéro trois dans le domaine que vous embrassez. Pour l'instant, nous sommes numéro deux ex aequo avec un autre pays et notre objectif est de consolider cette position.

• 0935

Troisièmement, nous accusons actuellement un déficit de 2 milliards de dollars dans les sciences de la vie. Parviendrons- nous, au cours des cinq prochaines années à transformer ce déficit en un surplus? Je le pense.

Sur le plan de la recherche pharmaceutique, nous avons un excellent laboratoire à Montréal, Merck Frosst. Ces dernières années, nous avons assisté à l'arrivée d'Astra, de Connaught et de Boehringer Mannheim, mais nous n'avons que très peu des grands laboratoires ici. Si nous parvenions à obtenir des investissements pour cinq mandats mondiaux de recherche dans les cinq prochaines années, ce serait une grande victoire sur le plan de l'emploi et sur celui de l'enrichissement de la base scientifique grâce à l'arrivée des nouveaux talents que ces entreprises amènent dans notre pays.

Tout à l'heure, je parlais d'investissements sous la forme de capital-risque. Il y a quelques années, nous étions contents d'obtenir des investissements de 40 à 50 millions de dollars par an. L'année dernière, nous avons reçu 400 millions de dollars. Notre objectif quinquennal est maintenant de créer les conditions qui nous permettront d'obtenir près de 3 milliards de dollars pour notre secteur au cours des cinq prochaines années.

Enfin, je veux parler du lancement d'entreprises. On peut certes imaginer pouvoir créer 200 nouvelles entreprises, mais nous voulons aussi nous assurer qu'elles réussiront.

[Français]

Par ces quelques pistes, je vous ai indiqué des exemples de buts qu'on pourrait viser au cours des prochaines années. Ils sont difficiles à atteindre, mais sont dans le domaine du possible. Si le comité est d'accord sur la direction entreprise, nous aimerions avoir ses commentaires et encouragements. Il nous ferait plaisir de revenir chaque année pour rendre des comptes au comité et indiquer où nous sommes rendus par rapport à nos objectifs. Sommes-nous sur la bonne voie? Allons-nous atteindre nos objectifs? Sommes-nous en retard et, si oui, pourquoi? Rendre des comptes est l'un des éléments importants de ce que nous voulons faire avec les instituts de recherche en santé.

[Traduction]

Pour terminer, je tiens à vous remercier pour l'appui très généreux que vous avez apporté aux Instituts canadiens de recherche en santé. Cela représente un vote de confiance non négligeable accordé au milieu de la recherche. Nous aurons un grand défi à relever, celui de faire décoller la recherche au Canada pour atteindre certains des objectifs que j'ai énoncés. Nous croyons être en mesure d'y parvenir et nous espérons pouvoir vous en faire rapport dans quelques années. Merci.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur LePage. Nous allons maintenant passer aux questions en commençant par M. Jaffer.

M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Réf.): Merci, madame la présidente. Je suis arrivé un peu tard, mais j'ai écouté le dernier exposé et j'ai consulté quelques-unes de ces notes. La semaine dernière, à Edmonton, d'où je viens, on m'a appris que Biomira, qui est un laboratoire spécialisé en recherche biomédicale là-bas, a déclaré que l'activité commerciale dans le domaine de la recherche biomédicale est relativement limitée. J'ai cru comprendre qu'en un sens, ce laboratoire estimait, comme le docteur l'a mentionné tout à l'heure, que malgré le nombre relativement élevé d'étudiants effectuant ce genre de recherche, il n'y a pas de débouchés économiques.

Pourquoi, selon vous, le secteur privé est-il moins actif en R-D? Je vous ai entendu dire que certaines institutions sont encore réticentes à se lancer dans ce type d'activités. Je sais que l'Université de l'Alberta fait largement sa part pour innover dans ce domaine. Comment expliquer le défaut de financement de R-D par le secteur privé, par des intérêts commerciaux importants? Que pourrait-on faire pour essayer de hausser ce niveau d'activité et pour le confier davantage au secteur privé? J'aimerais entendre ce que vous avez à dire à ce sujet.

M. Thomas Brzustowski: Cette question s'adresse à n'importe lequel d'entre nous?

M. Rahim Jaffer: Oui, parce que j'ai manqué une partie de vos exposés.

La présidente: Monsieur Brzustowski.

M. Thomas Brzustowski: Merci, madame la présidente. Je vais vous citer deux faits. D'abord, quand on examine le pourcentage de recherches universitaires financé par l'industrie, on constate que le Canada arrive en tête des pays de l'OCDE avec près de 12 p. 100 maintenant.

Si l'on songe au pourcentage de recherches industrielles effectuées dans les universités, le Canada est également en tête avec 4,8 p. 100. C'est tout à fait remarquable de voir la masse des recherches universitaires qui sont financées par l'industrie. Dans plusieurs domaines, l'investissement est limité parce que nous n'avons pas beaucoup de grands laboratoires qui soient installés au Canada et que nous devons attirer des investissements étrangers directs. Nous pouvons le faire en partie en faisant connaître les capacités de nos universités en matière de R-D.

• 0940

Deuxièmement, notre marché est restreint et c'est peut une des raisons pour lesquelles nos universités ne bénéficient pas de grandes installations. Mais pour ce qui est des ententes conclues avec le secteur privé, nous faisons déjà beaucoup plus que les pays avec lesquels nous sommes en concurrence et je pourrais d'ailleurs, un peu plus tard dans la conversation, vous parler sur ce que je crois être le bon équilibre entre ces différentes activités.

La présidente: Monsieur Lauzière.

M. Marcel Lauzière: Je voulais profiter de cette occasion pour souligner que, dans les sciences sociales ainsi que dans les sciences humaines, bien que dans une moindre mesure peut-être dans ce dernier domaine, nous cherchons de plus en plus à instaurer ce genre de partenariat. Quoi qu'il en soit, dans les sciences sociales nous sommes de plus en plus intéressés à conduire la recherche en collaboration avec l'industrie. Au cours des dernières années, nous avons été gênés par le fait qu'on n'accorde aucun crédit de R-D pour la recherche dans les sciences sociales et les sciences humaines. En fait, ces deux domaines sont mêmes spécifiquement exclus des dispositions fiscales. Il faut dire que cette décision a été prise en d'autres temps. Les choses ont changé depuis et elles continuent d'évoluer. Ainsi, votre comité devrait peut-être se pencher sur la possibilité d'accorder des crédits d'impôt pour la R-D afin d'encourager l'industrie à financer et à conclure des partenariats avec les chercheurs en sciences sociales.

La présidente: Monsieur LePage.

M. Marc LePage: Dans une certaine mesure, Biomira souffre d'être un pionnier dans le domaine. C'est en effet une des compagnies de biotechnologie de première génération qui est en train de mûrir. Si nous nous débrouillons très bien dans les premières étapes de la vie d'une entreprise, de son lancement au milieu de son cycle de développement, il faut avouer que notre intervention n'est pas parfaite durant toute la vie de l'entreprise. Dans les étapes plus avancées, quand l'entreprise a besoin d'investissements massifs, l'on continue de se heurter à des problèmes et Biomira est en train d'en faire les frais. C'est en effet en partie à cause de cela que Biomira a des difficultés.

Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, je vais revenir sur ce que j'ai dit à propos de l'obtention de fonds pour financer des mandats de recherche dans le domaine pharmaceutique. Biomira doit pouvoir en partie compter sur un environnement qui lui fournisse des cadres et des compétences dans le domaine pharmaceutique, et pour l'instant, nous devons encore aller les chercher aux États-Unis ou en Europe. L'industrie est en pleine croissance au Canada et elle est encore petite, mais le genre de compétence en gestion de la recherche dont nous avons besoin nous fait cruellement défaut. Encore une fois, nos entreprises se sentent un peu laissées à elles-mêmes.

Certes, elles ont tout de même des petits camarades, comme BioChem Pharma de Montréal qui a réussi. Elle produit pour des milliards de dollars de médicaments destinés à traiter le SIDA et maintenant l'hépatite B. La société QLT de Vancouver s'en est presque sortie et, quand elle y parviendra, on comptera donc une compagnie de plus sur le marché. Il n'en demeure pas moins que toutes ces entreprises en sont encore à l'étape du développement et nous espérons qu'elles parviendront à traverser cette phase difficile.

La présidente: Monsieur Jaffer, vous voulez poser une autre question?

M. Rahim Jaffer: Ces messieurs ont à peu près répondu aux questions que je me posais. Le docteur a dit qu'un peu plus tard au cours de cette discussion il pourrait nous faire un résumé de ses autres suggestions.

On m'a également parlé des différents obstacles, à propos desquels vous voudrez peut-être dire quelques mots plus tard, qui entravent la recherche en haute technologie ou en biologie, comme la protection de la propriété intellectuelle à l'étape de la mise au point des produits, également comme le manque relatif de capital-risque dès qu'il est question de développement de la propriété intellectuelle et, bien sûr comme l'absence de vision à long terme et d'incitatifs fiscaux dont vous avez déjà parlé. Voilà quelques aspects dont j'ai eu vent et à propos desquels vous pourriez peut-être réagir à un moment donné.

La présidente: Merci, monsieur Jaffer.

Monsieur Peric.

M. Janko Peric (Cambridge, Lib.): Monsieur LePage, dans ce document, vous dites que le Fonds de découvertes médicales canadiennes a été inspiré par le CRM. Pouvez-vous nous parler un peu de ce fonds, nous dire par qui il est alimenté et qui prend la décision d'accorder les subventions aux demandeurs? Cela incombe-t- il au docteur seul ou à un comité?

M. Marc LePage: Nous avons un conseil d'administration et une structure de gestion. Je vais vous résumer tout cela s'est passé. L'idée du Fonds de découvertes médicales canadiennes est née dans la salle du conseil du CRM en 1994. À cette époque, nous cherchions... en fait, ce n'est pas si loin que cela. Quoi qu'il en soit, nous étions confrontés, au Canada, à un énorme manque de capital de risque de départ et nous étions tout à fait conscients que la plupart de nos chercheurs déménageaient à San Diego, à Boston ou à San Francisco. Si on les engageait là-bas, c'est parce qu'ils avaient des idées, qu'ils avaient un grand potentiel, qu'ils étaient eux-mêmes emballés par l'idée de faire des découvertes et, surtout, qu'ils ne parvenaient pas à obtenir d'argent, ici, au Canada. Nous avons donc essayé de trouver une solution à ce problème.

Pour ce qui est du capital de risque pour financer le début des projets... Le Dr Stiller était membre de notre équipe à cette époque et il siégeait au conseil. Nous avons rassemblé un groupe, recruté un gestionnaire professionnel, trouvé une banque, nous nous sommes associés à un syndicat et, en un certain sens, nous avons mis l'idée sur les rails. Or, pour que cette idée puisse voir le jour et qu'elle soit réalisable sur un plan juridique, nous nous sommes retirés en cours de route. Ce n'est pas notre domaine d'activité, nous ne sommes pas dans le domaine du capital-risque, mais nous devions travailler de près avec un fonds de capital- risque intervenant à l'étape de lancement des projets.

• 0945

La chose a évolué et ce fonds s'est retrouvé en bourse pour mobiliser des capitaux. Aujourd'hui, il compte près de 70 000 actionnaires de partout au pays, car c'est un fonds national. Il s'agit d'une société de fonds de capital de risque de travailleurs que je décrirais comme étant un élément très important de la boîte outil dont dispose le Canada dans la nouvelle économie. Il a grandement contribué à la mobilisation de capital-risque. Le domaine médical l'a transformé mais il joue également un rôle très important dans d'autres disciplines.

Ainsi, ce sont des actionnaires, comme ceux de toute autre société, qui détiennent le Fonds de découvertes médicales canadiennes. Les décisions en matière d'investissement sont prises par le Dr Stiller et par son équipe de gestionnaires. Il y a un comité d'investissement qui applique une certaine procédure, comme dans tout autre fonds de capital d'investissement professionnel.

Enfin, je dois préciser que, parti de zéro en 1994, il pèse maintenant quelque 250 millions de dollars, ce qui le place sans doute parmi les dix plus importants du monde.

La présidente: Merci.

[Français]

Madame Lalonde, s'il vous plaît.

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Bonjour à nos trois témoins.

Lors de sa dernière comparution, M. Brzustowski s'inquiétait de l'effet de la faiblesse du dollar sur les coûts de l'équipement qu'on importait, ainsi que de la conversion des coûts indirects en coûts directs par les administrations des universités, ce qui faisait en sorte qu'il était plus difficile de soutenir les équipes de chercheurs. Il était beaucoup moins optimiste que ce matin. J'aimerais savoir quelle sorte de miracle s'est produit. Que je sache, la valeur du dollar canadien n'a pas considérablement monté.

Par ailleurs, à la page 14 du document intitulé «Consolider nos acquis: Rapport sur les activités fédérales en sciences et en technologie», le gouvernement fédéral admet que les dépenses canadiennes en recherche et développement ont baissé de 33 p. 100 en 1981 à 22 p. 100 en 1998, et que même si ces dépenses se rapprochent davantage du niveau international, parmi les pays du G-7, le Canada se situe juste devant l'Italie. Comment concilier votre optimisme et ces chiffres?

M. Thomas Brzustowski: Je vous remercie de cette question. Il est évident que la valeur du dollar canadien continue de poser des problèmes lorsqu'on achète de l'équipement ou des instruments. Nous devons toutefois reconnaître qu'au cours des deux dernières années, on a augmenté le budget du CRSNG d'un peu plus de 100 millions de dollars, ce qui se traduit par une grande différence pour la recherche universitaire. Mon mandat se limite justement à cette recherche universitaire.

Il faut quand même avouer que certains problèmes subsistent. Les coûts indirects continuent de poser de graves problèmes aux universités. Ils représentent environ 40 p. 100 des coûts directs, sans compter les salaires des professeurs. Il existe une grande différence entre notre système et le système américain, où les coûts directs sont inclus dans les subventions.

Il y a un élément qui représente pour moi un problème, mais qui est une bonne chose pour le pays: c'est la croissance du nombre de professeurs qui arrivent et qui sont prêts à entreprendre de la recherche universitaire. Je me réjouis de constater que la situation canadienne en ce qui concerne le nombre d'étudiants dans les domaines clés est meilleure qu'ailleurs. C'est cet optimisme que je partageais avec le comité ce matin.

• 0950

Mme Francine Lalonde: Merci. Nous reviendrons aux chicanes de chiffres plus tard.

Je crois que tous nos témoins appuient l'affirmation de M. Brzustowski selon laquelle il faut augmenter le savoir utile. Bien qu'on puisse être d'accord sur cette affirmation, on peut être extrêmement énervé parce qu'il est difficile de déterminer aujourd'hui quel sera le savoir utile de demain. On sait que c'est la recherche fondamentale qui alimente le savoir utile de demain. Se limiter aujourd'hui au savoir utile serait une attitude extrêmement aveugle. Au lieu de prendre la tête du peloton, on risquerait de faire tout à fait le contraire.

N'est-il pas nécessaire d'identifier un équilibre entre le savoir qui mènera à une application ou une commercialisation et la recherche fondamentale? Si on ne soutient pas la recherche fondamentale, on va tuer la poule aux oeufs d'or, et ce ne sera pas long.

[Traduction]

La présidente: Je suis sûre que tous les trois veulent répondre.

[Français]

Monsieur Lauzière.

M. Marcel Lauzière: Il s'agit d'une question intéressante. Au CRSH, nous sommes très conscients de cette problématique et nous tentons de trouver cet équilibre. Nous avons élaboré ce qu'on appelle notre scénario d'innovation, dans le cadre duquel on s'efforce de renforcer notre capacité de recherche fondamentale parce que c'est la base de tout le reste. Mais en même temps, nous misons sur un aspect où nous avons éprouvé certaines faiblesses, soit la recherche stratégique sur des questions aussi fondamentales que la santé, la productivité, la cohésion sociale, etc. C'est constamment une question d'équilibre.

On sait très bien qu'on ne peut pas mettre tous nos oeufs dans le même panier et qu'il faut voir à long terme. C'est pour cette raison que je soulignais l'importance des crédits d'impôt pour la recherche stratégique que nous poursuivons dans certains domaines, en partenariat avec le secteur privé. Cela dit, notre bassin de recherche fondamentale est essentiel et nous faisons tout ce qu'il faut pour nous assurer qu'il demeurera fort au cours des années à venir. C'est une question d'équilibre.

La présidente: Monsieur LePage.

M. Marc LePage: Vous avez entièrement raison. Dans le domaine de la recherche appliquée, laquelle est très importante, on fait souvent des progrès à partir d'une base déjà établie. On améliore les connaissances déjà acquises. C'est une forme de recherche qu'il faut faire et qui a un rôle à jouer.

De façon générale, le CRM a jusqu'à ce jour limité ses activités de partenariat à environ 10 p. 100, tandis que 90 p. 100 de ses activités visent une recherche ouverte et une recherche de base. Il est très difficile de faire le tri entre la recherche qui s'inscrit d'un côté ou de l'autre. Il est important de financer la bonne recherche, les bons individus, la revue par les pairs et l'excellence, que ce soit du côté industriel ou du côté plus ouvert. C'est très clair.

Quand on demande aux propriétaires de jeunes compagnies s'ils croyaient il y a cinq ans, lorsqu'ils ont mis en oeuvre leur projet, qu'ils venaient de lancer une compagnie, 90 p. 100 répondent non. Ces personnes ont, à un moment donné, fait un saut de connaissances et pris une avance de deux, trois ou quatre ans, avance tellement importante qu'on y a investi du capital afin qu'elles puissent avancer davantage. Une avance de six mois ne saurait soutenir une compagnie, entre autres en raison de la concurrence qu'elle doit affronter. Cette recherche de base nous permet de faire ces sauts de connaissances. On saute par dessus le fait déjà établi et on passe à la prochaine étape. Il faut atteindre un équilibre. Dans notre cas, grâce au partage dont je vous ai parlé, on n'a pas rencontré de graves difficultés.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur Brzustowski.

[Français]

M. Thomas Brzustowski: Il s'agit vraiment d'une question d'équilibre. Le CRSNG consacre environ 55 p. 100 de son budget à la recherche fondamentale, tandis qu'il en consacre 22 ou 23 p. 100 à des projets de recherche qu'il réalise en partenariat avec les universités et les industries. À mon avis, c'est un juste équilibre. Nos partenariats avec les industries actuelles nous permettront d'augmenter notre productivité et d'améliorer nos produits. Cependant, comme vous le disiez si bien, il faut aussi songer à des partenariats avec les industries de l'avenir qui n'existent pas aujourd'hui. Les innovations radicales qu'on voudra apporter aujourd'hui et demain nécessiteront une solide base au niveau de la recherche fondamentale.

• 0955

[Traduction]

En fait, nous pensons avoir trouvé le bon équilibre, parce que près des trois quarts du budget du CRSNG sont consacrés au financement de la recherche fondamentale et au financement de particuliers, par le biais de bourses d'études ou de recherches. Nous consacrons un quart de notre budget au financement des partenariats entre des universités et des entreprises établies. Ces ententes portent sur des innovations en matière de processus ainsi que sur l'amélioration de produits, essentiellement à partir d'activités existantes; il s'agit d'un volet très important.

Quand je parlais, tout à l'heure, du lancement de 108 entreprises, je faisais allusion aux entreprises qui sont nées grâce à des investissements réalisés dans la recherche fondamentale au cours des 20 ou 30 dernières années. Il s'agit d'entreprises avec lesquelles nous ne pouvions pas alors conclure de partenariat, puisqu'elles n'existaient pas encore.

Ainsi, par exemple, une entreprise comme Ad Opt de Montréal doit sa naissance à des investissements du CRSNG il y a 20 ou 30 ans, dans un domaine très spécialisé des mathématiques, soit les mathématiques combinatoires et d'optimisation. Aujourd'hui, cette société emploie près de 100 titulaires de PhD à Montréal et exporte des logiciels d'ordonnancement pour les réseaux de transport dans le monde entier. Les trains japonais, les réseaux de Sydney et d'autres fonctionnent sur de tels systèmes produits par cette entreprise montréalaise. Elle n'existait pas il y a 30 ans quand nous avons investi dans la recherche fondamentale. Elle n'était donc pas là pour faire partie de partenariats. Elle existe aujourd'hui et un grand nombre d'activités découleront des idées actuellement produites par la recherche fondamentale.

Il faut parvenir à un équilibre et je crois pouvoir dire que nous l'avons trouvé.

La présidente: Merci.

Monsieur Lastewka.

M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Merci, madame la présidente. Je tiens tout d'abord à remercier nos témoins d'être revenus nous voir.

Je vais revenir aux remarques formulées plus tôt par M. Brzustowski au sujet du déclin des inscriptions dans certains autres pays. Vous nous avez cité des statistiques et je veille toujours à ce que nous n'interprétions pas les chiffres. Ne nous avez-vous pas dit que, proportionnellement à la population, nous nous comparions aux autres pays dans les domaines de l'électronique et du génie?

M. Thomas Brzustowski: Je suis heureux que vous posiez cette question, d'autant plus que vous venez de toucher à l'un de mes points sensibles.

Nous n'avons que très peu d'ingénieurs au Canada, proportionnellement à notre population. Calgary, qui compte 20 ingénieurs par mille habitants, est au quatrième rang national. Notre moyenne nationale n'est que d'environ cinq ingénieurs pour mille habitants. Pour reprendre le cas de Calgary, cette ville est parvenue à s'affranchir des variations cycliques de l'industrie du pétrole et du gaz en attirant des industries—comme des entreprises de télécommunications sans fil, différents types de manufactures de pointe ou des entreprises produisant des logiciels en biotechnologie. Grâce à cela, cette ville a réussi à attirer un grand nombre d'ingénieurs.

Comme vous le voyez, je porte une bague d'ingénieur et je me permets d'affirmer que nous avons affaire à un problème de cause à effet. Certains diront que je ne suis pas en mesure de le prouver. Certes, mais j'y crois.

Nous n'avons pas assez d'ingénieurs. Dans ce pays de 30 millions d'habitants, nous n'avons que 150 000 ingénieurs professionnels enregistrés. Il y a bien sûr beaucoup plus d'ingénieurs employés dans les industries, qui ne sont pas des professionnels enregistrés. Mais comparativement aux autres pays du G-7, le pourcentage de diplômés d'université au Canada dans les domaines du génie, des mathématiques et des sciences est bas; c'est en fait le plus bas de tous. Il correspond au niveau des États-Unis qui est également le plus bas. C'est dans les domaines des sciences sociales et des sciences humaines qu'on enregistre le plus fort pourcentage de diplômés au Canada. Aux États-Unis, il y en a un peu moins, mais on en compte un peu plus dans les domaines du commerce et du droit. Quoi qu'il en soit, c'est au Canada et aux États-Unis qu'on enregistre les plus faibles pourcentages de diplômés en génie, en mathématique et en sciences de tous les pays avec lesquels nous pouvons nous comparer... Nous sommes loin derrière.

• 1000

Comme vous le savez, les États-Unis parviennent à attirer des cerveaux par le biais de l'immigration. Selon la personne avec qui l'on s'entretient, on nous dit être parvenu au même équilibre. Mais j'estime qu'il faudrait réfléchir plus sérieusement à cela.

Ce qu'il y a de bien dans tout cela, c'est que lorsqu'on commence bas, on ne risque pas de descendre comme les autres. Nous semblons d'ailleurs progresser. Quand l'industrie réclame plus de diplômés, quand les gouvernements provinciaux financent les universités pour en produire davantage et quand les universités trouvent les enseignants nécessaires pour y parvenir, il ne reste plus au gouvernement fédéral qu'à fournir les subventions de recherche pour soutenir cette croissance. J'estime qu'il serait bien que cela se produise pour le pays et que nous puissions reproduire le même modèle dans d'autres secteurs.

M. Walt Lastewka: Monsieur LePage, vous avez soulevé l'un de mes sujets favoris, celui du secteur privé qui investit davantage au Canada et vous avez fait allusion à la résistance de certains... Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet de cette résistance et de ses origines?

M. Marc LePage: Bien sûr. Plutôt qu'à une résistance dans l'industrie, je pense que nous avons affaire à une résistance dans le milieu universitaire qui est sans doute plus prononcée chez les enseignants dans les domaines de la santé et du génie, qui sont des habitués de ce genre de réaction.

Ce phénomène est relativement nouveau au Canada. Il y a dix ans, nous ne faisions que très très peu. Nous avons donc changé rapidement et, dans l'ensemble, les gens s'y sont fort bien adaptés. Ces retombées en sont une manifestation. Quoi qu'il en soit, on perçoit encore une certaine gène qui est problématique et qui tient au fait que les gens se demandent s'ils devraient faire ceci ou cela, plutôt que de s'interroger sur la façon de s'y prendre. Ce genre de situation ne peut que perturber la réalisation des programmes envisagés.

J'ai toutefois l'impression qu'avec le temps, cette attitude s'estompera, bien qu'elle soit encore présente. Elle ne nous empêche pas de faire ce que nous avons à faire, mais parfois, elle est une entrave. Je ne pourrais pas la quantifier, ni la commenter plus en détail, mais c'est un problème.

M. Walt Lastewka: Je sais que nous devons faire de la recherche fondamentale et avoir le sentiment de pouvoir explorer librement des avenues où personne ne s'est engagé jusqu'ici, puis conclure des partenariats avec l'industrie pour des recherches plus spécifiques. Je crois avoir entendu dire M. Brzustowski que nous étions parvenus à ce genre d'équilibre en recherche fondamentale, puis, par la suite, en recherche appliquée... J'ai entendu parler de cas où, parce qu'elles avaient investi dans la recherche, certaines entreprises voulaient tout diriger ce qui n'est évidemment pas... Est-ce cela le problème?

M. Marc LePage: Non. Les deux partenaires de la collaboration industrie-université entretiennent toujours des attentes et les entreprises peuvent avoir tendance à pousser plus qu'elles le devraient. Mais je crois que des universités comme celles de l'Alberta et de Queen—qui sont d'excellents organismes de délivrance de licences—sont très strictes en regard des projets qu'elles acceptent. À cela viennent s'ajouter les droits de publication et toute une série de dimensions qui font partie de la vie universitaire et qui sont protégées par ces organisations. Il est possible de gérer tout cela.

M. Walt Lastewka: Je suppose que plus on a d'expérience...

M. Marc LePage: Effectivement, il y a le facteur expérience.

M. Walt Lastewka: Je veux vous parler de la commercialisation de la recherche et de l'assistance à apporter dans les dernières étapes du développement et dans la mise en marché. Je sais que certaines universités peuvent compter sur d'excellentes unités de marketing qui aident les chercheurs à faire le lien avec l'étape de la commercialisation. Selon vous, a-t-on déjà fait de vrais progrès dans ce domaine au Canada?

La présidente: Monsieur Brzustowski.

M. Thomas Brzustowski: Madame la présidente, lundi prochain, le rapport du Comité d'experts sur la commercialisation de la recherche universitaire sera rendu public. J'ai siégé à ce comité et je ne suis bien sûr pas libre d'en divulguer le contenu, mais je peux certainement vous parler de quelques-uns uns des éléments de ce document qui sera largement diffusé dans le pays sous la forme d'une première ébauche destinée à la consultation publique.

Nous sommes en train d'apprendre comment nous y prendre. Encore une fois, nous nous comparons avec les États-Unis et nous sommes bien mieux lotis que nos partenaires commerciaux européens dans ce domaine. Avec les États-Unis, nous formons une ligue à part.

• 1005

Nous sommes en train d'apprendre, mais nous sommes aussi en train de découvrir que nous nous heurtons à un grave problème dans ce domaine: celui des gens. Il ne s'agit pas des chercheurs, il ne s'agit pas non plus des industriels et il n'est pas non plus question des prêteurs de capitaux de risque. En fait, nous ne pouvons compter sur personne qui soit en mesure d'aider les chercheurs à déterminer quelle découverte ou quelle invention présente un certain potentiel commercial, et qui puisse ensuite accompagner tout le processus jusqu'à l'étape de la commercialisation en toute conscience des retombées financières, des aspects juridiques, des problèmes du marché. Nous manquons de gens pour intervenir entre l'étape de la recherche en laboratoire et celle de la commercialisation. Nous manquons énormément de ce genre de spécialistes. Ces gens-là doivent connaître la science. Ils doivent connaître les marchés. Ils doivent savoir comment faire un montage financier et ils doivent connaître toutes les étapes jusqu'à la commercialisation d'une innovation. Ils doivent connaître toutes les facettes juridiques qui entrent en ligne de compte. De plus, ils doivent être d'excellents gestionnaires de cas.

Ces gens-là sont des denrées rares. On dirait qu'on ne les forme pas, qu'ils apprennent sur le tas et que, dès qu'ils maîtrisent leur profession, ils nous quittent, attirés par des salaires supérieurs, le plus souvent dans le secteur privé. Ce n'est d'ailleurs pas un mal de les retrouver dans le secteur privé. À l'évidence, ils viennent contribuer au bagage de connaissances de l'autre côté de la barrière. Cependant, dans ce cas précis, ils manquent aux universités.

Il avait déjà été recommandé, dans l'ébauche de rapport, que les universités aient la possibilité d'aller dénicher ce genre de personnes, de les former et de les payer suffisamment. Pour mener une découverte ou une invention au stade d'une innovation portant fruit sur le plan commercial, nous cherchons des investissements privés qui sont bien souvent supérieurs au coût de la recherche elle-même.

Comme le disait M. Jaffer, il faut donc bien connaître les problèmes liés à la protection de la propriété intellectuelle. Il faut être au courant des stratégies existantes et de la façon dont les investisseurs peuvent réaliser un profit, aux différentes étapes du développement. Il faut savoir comment gérer la propriété intellectuelle, comment y ajouter une certaine valeur, que ce soit par la construction de prototypes ou par un amalgame avec d'autres propriétés intellectuelles émanant de diverses sources pour en arriver à un montage stratégique susceptible de protéger un pan de la technologie. Nous sommes en train d'apprendre comment faire tout cela, mais le plus important, c'est que nous devrons pouvoir compter sur un plus grand nombre de spécialistes du domaine.

J'espère que nos écoles de commerce contribueront à cet effort, mais je dois dire que je n'ai pas vu beaucoup de descriptions de programmes de MBA—même si certains portent l'étiquette de science et technologie—comportant des cours en innovation ou des cours en propriété intellectuelle. Il faudra que ce soit le cas dans l'avenir. Le meilleur bureau de marketing au Canada dans ce domaine est actuellement celui de l'université de l'Alberta, et je ne dis pas cela pour être agréable à mes voisins de table. Cette université est la meilleure dans le domaine.

M. Walt Lastewka: Je connais ce bureau.

La présidente: Pour une dernière question, monsieur Lastewka.

M. Walt Lastewka: J'attendrai le prochain tour de table.

La présidente: Merci, monsieur Lastewka.

Monsieur Jaffer.

M. Rahim Jaffer: J'ai quelques brèves questions à poser à M. LePage au sujet de la R-D dans le domaine pharmaceutique. À l'époque où je m'intéressais au Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés, cet organisme faisait l'objet de certaines critiques quant à son fonctionnement et au fait que sa façon de fixer les prix pouvait en fait infléchir l'investissement dans la R-D.

Je suis en train d'étudier la chose d'un peu plus près et j'aimerais que vous nous disiez si cette tendance est due à la façon dont le conseil fixe les prix et si nous avons vraiment besoin de cet organisme ou si nous ne devrions pas imaginer un autre mécanisme régulateur pour encourager les dépenses en R-D. C'est une chose dont j'ai entendu parler et j'aimerais simplement savoir ce que vous en pensez.

M. Marc LePage: Je dirais que le climat des investissements en général, que ce soit dans le domaine des produits pharmaceutiques comme dans toute autre industrie, tien à toute une combinaison de facteurs. La recherche en est un, l'accès au marché en est un autre, et il faut ajouter à cela le milieu réglementaire et tout le reste. Dans ce contexte, il ne s'agit donc que d'un facteur parmi d'autres. J'affirmerais, cependant, qu'en ce qui concerne l'industrie pharmaceutique—surtout du côté de la recherche—de plus en plus de gens cherchent à mettre la main sur les meilleures ressources humaines qui soit et dans tous les domaines. Si les meilleurs chercheurs ou la meilleure équipe de chercheurs dans le domaine du contrôle de la douleur se trouvent au Canada, nous nous disons que nous finirons par vaincre sur ce plan, même s'il y a des problèmes avec le CEPMB ou avec d'autres organismes de réglementation. Il faut par-dessus tout retenir que si ces ressources humaines sont présentes au Canada, avec le temps, nous parviendrons à les attirer. Elles ne viendront peut-être pas à nous cette année, il est possible que nous ayons encore à suivre des chemins plus chaotiques qu'on le voudrait, mais nous y arriverons.

• 1010

J'ai l'impression qu'il est connu, dans le monde entier, que les prix canadiens sont les plus bas, mais les gens savent bien pourquoi nous en sommes là. Nos prix sont inférieurs à ceux pratiqués aux États-Unis, mais sont-ils inférieurs aux prix européens? En fait, nous nous situons dans la bonne moyenne. Nous savons bien comment nous en sommes arrivés là et je crois que...

M. Rahim Jaffer: Mais est-ce que vous voyez le lien? Cela est- il dû au fait que nous n'investissons pas autant que les autres en R-D dans le domaine de la recherche pharmaceutique? Nous n'avons pas beaucoup augmenté les dépenses...

M. Marc LePage: Sur le plan des chiffres, si vous considérez les changements intervenus depuis les projets de loi C-22 et C-91, vous vous rendrez compte que les investissements de R-D dans le domaine de la recherche pharmaceutique sont passés de 150 millions de dollars il y a dix ans à 800 millions de dollars et qu'on nous annonce—je crois d'ailleurs que ces gens-là sont sûrs d'y parvenir—que ce niveau d'investissement passera très prochainement à un milliard de dollars. Dans notre petit document, nous déclarons qu'il faut porter l'investissement à 1,6 milliard de dollars d'ici cinq ans en fonction de l'environnement actuel. Nous pensons donc que ces investissements doubleront une nouvelle fois.

Donc, les investissements ont augmenté et si vous regardez la courbe de croissance, vous vous rendrez compte qu'elle est très prononcée. Reste à savoir si elle peut l'être davantage. Je ne le sais pas. Elle est déjà très bonne. Nous devons nous réjouir que tout cela se passe chez nous.

La présidente: Merci, monsieur Jaffer.

Monsieur Bellemare.

[Français]

M. Eugène Bellemare (Carleton—Gloucester, Lib.): Monsieur Brzustowski, vous dites que les inscriptions dans les universités américaines sont à la baisse dans les domaines de la haute technologie et de certaines sciences. Pourquoi en est-il ainsi? Si les inscriptions sont à la baisse, il doit y avoir une croissance dans un autre domaine, par exemple dans celui du commerce.

M. Thomas Brzustowski: On parle d'une perte d'intérêt chez les jeunes pour la science et dans la technologie. Je n'en connais pas la raison. On dit qu'il s'agit peut-être d'une réaction basée sur des préoccupations face à l'environnement ou sur le fait que ces matières sont plus difficiles. Enfin, je ne le sais pas. Il s'agit peut-être de raisons aussi simples que celles-là. On estime que cette perte visible d'intérêt et d'appui pour les sciences et la technologie prévaut autant chez les jeunes Américains que chez les jeunes Français, les jeunes Allemands ou les jeunes Anglais.

M. Eugène Bellemare: Ils doivent s'intéresser à un autre domaine, que ce soit la promotion, le commerce ou l'économie. Lorsque les jeunes sont témoins de la prospérité dont jouissent des pays comme les États-Unis et la France, ils imaginent un avenir où ils vont se bâtir des châteaux, avoir plusieurs automobiles, etc. C'est peut-être pourquoi ils se lancent plutôt dans des domaines où on fait de la promotion industrielle, de la promotion économique et de la promotion commerciale, en somme de la commercialisation.

C'est peut-être la clé du grand succès des États-Unis, de la France et de l'Angleterre, qui savent commercialiser leurs trouvailles. Est-ce un domaine vers lequel vos organismes devraient se diriger afin de contribuer au marketing et à la promotion de la recherche? Vous pourriez ouvrir un autre domaine où les gens deviendraient les promoteurs des découvertes que vous faites dans les différentes agences que vous représentez.

[Traduction]

M. Thomas Brzustowski: C'est un sage conseil. Je n'ai que peu de renseignements dans ce domaine, mais je sais une chose ou deux. Aux États-Unis et au Canada, dans une certaine mesure, le jeune mathématicien sait qu'il pourra gagner quatre fois plus si, plutôt que d'aller travailler dans une université, il décide de mettre ses compétences mathématiques aux services des finances, des produits commerciaux dérivés. Les plus hauts salaires dans l'industrie ne sont pas des ingénieurs, ce sont des cadres en marketing et dans les administrations centrales, ce sont des comptables et ainsi de suite.

• 1015

C'est ainsi qu'à de nombreux égards, la société dirige les choix qu'exercent les jeunes et quand ils réfléchissent à leur carrière, ils tiennent notamment compte des perspectives sur le plan économique. Ceux et celles qui choisissent d'enseigner dans les universités ne le font pas pour de l'argent, ils le font malgré l'argent.

J'ai entendu une réflexion, que j'ai trouvé très intéressante, du directeur de la National Science Foundation des États-Unis. Pour lui, le grand facteur qui permet à un diplômé de réussir dans un emploi au sein de l'industrie, dans un poste universitaire ou dans la recherche pure et le fait d'avoir été exposé à la recherche quand il était étudiant de premier cycle. Ceux et celles qui deviennent professeurs principaux, cadres supérieurs ou techniciens supérieurs dans l'industrie, ceux qui réussissent donc le mieux, ont été au contact de la recherche dans leurs études de premier cycle, pendant leurs quatre premières années d'université. Je suis très heureux que les deux derniers budgets nous aient permis d'augmenter le nombre d'étudiants que nous pourrons ainsi exposer à la recherche et qui passeront de 600 à près de 2 400. Si nous pouvons trouver l'argent, nous pourrons même doubler leur nombre l'année prochaine.

Voilà peut-être un élément de réponse à votre question. Il est possible qu'il faille songer à promouvoir cette idée pour attirer ceux et celles qui ont le talent et l'aptitude nécessaires pour effectuer des activités dont ils auraient tout ignoré autrement. Mais ne perdons pas de vue les domaines dans lesquels notre société rémunère le plus les gens.

La présidente: Monsieur Lauzière.

M. Marcel Lauzière: J'ajouterai simplement que le CRSH est l'organisme qui finance les études en gestion, en droit et autres domaines du genre. Nous finançons quelques projets importants dans le domaine de l'entrepreneuriat et des PME, comme je le disais plus tôt, de même que dans tout ce qui touche à l'innovation, et l'on constate que ces domaines suscitent un grand intérêt. Nous constatons qu'il règne, dans les universités que nous visitons, un grand esprit d'entreprise et que les gens ont beaucoup d'énergie. Beaucoup de choses se passent dans ces facultés. Je me sens obligé de vous préciser cela parce que j'estime que c'est en rapport avec certaines des choses que vous avez déclarées. Les gens s'intéressent beaucoup à toutes ces questions.

La présidente: Monsieur Bellemare, je vous demande d'être bref.

M. Eugène Bellemare: Vous me fournissez tous les mêmes réponses. Vous semblez être des idéalistes pratiques. Vous accordez des fonds pour le développement, mais pas pour la promotion. Vous citez les États-Unis et affirmez que ce sont d'excellents promoteurs. D'après la discussion de ce matin, il semble y avoir un manque sur ce plan au Canada.

Comme vous ne faites qu'accorder des subventions et que vous dépendez du gouvernement fédéral et éventuellement d'autres, comme les provinces et certaines industries, ne pensez-vous pas que vous devriez aussi vous mêler de promotion et de marketing et ainsi devenir peut-être un peu plus matérialistes que vous l'êtes actuellement? Vous êtes des idéalistes et vous auriez peut-être besoin d'une bonne dose de réalisme pour pouvoir obtenir les rendements qui vous permettraient de continuer à investir votre idéalisme dans le développement.

La présidente: Monsieur LePage.

[Français]

M. Marc LePage: Comme l'indiquait M. Brzustowski, un des points d'étranglement se situe au niveau du transfert de la technologie, par exemple, lorsqu'on déplace la technologie ou la découverte d'une université vers le capital de risque. Nous inspirant un peu de leur exemple, nous étudions justement la possibilité d'offrir une formation accélérée portant sur le transfert de la technologie. Nous pourrions ainsi former des gens en les affectant dans des bureaux universitaires, dans des sociétés de capital de risque, dans l'industrie pharmaceutique, ainsi qu'à tous les points où se font des transactions de propriété intellectuelle. Compte tenu de l'essor qu'elles connaissent actuellement, les compagnies viennent chercher tous nos meilleurs éléments. C'est en quelque sorte un des effets pervers du succès: tous nos gens se font happer par ces sociétés qui offrent de beaux salaires. Il nous faut donc insérer d'autres gens dans le système afin de répondre aux besoins croissants.

• 1020

Lorsque cela sera accompli, l'entrepreneurship sera visible. Dans le domaine de la santé, l'université de la commercialisation, si je puis dire, évolue dans le monde de l'industrie pharmaceutique et des manufacturiers des produits de la santé. C'est pourquoi le recrutement de sociétés pharmaceutiques au Canada a une telle importance. Ces sociétés deviennent notre pool de gérants, où nous pouvons aller chercher les experts qui nous aideront à commercialiser nos technologies. Elles sont en quelque sorte l'université non officielle de formation en matière de commercialisation.

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur Bellemare.

[Français]

Madame Lalonde, s'il vous plaît.

Mme Francine Lalonde: J'ai déjà étudié cette question extrêmement intéressante, mais je vais soulever une autre question qu'il ne faut pas mettre de côté. Elle émane d'un article du Maclean's au sujet de la Dre Olivieri, qui a été remerciée du Hospital for Sick Children de Toronto. Je ne sais pas si tout le monde connaît son histoire. Elle traitait des patients souffrant d'un grave dysfonctionnement sanguin. Dans le cadre de son programme de recherche, elle testait un médicament pour le compte d'une compagnie. Découvrant que ce médicament était néfaste pour certains de ses patients, elle a averti la compagnie qu'elle allait prévenir ses propres patients, ce qui, selon moi, était essentiel au plan de l'éthique. Le vice-président l'a alors menacée d'une poursuite juridique sous prétexte qu'en agissant ainsi, elle ne respectait pas la clause de confidentialité du contrat qu'elle avait signé avec la compagnie.

Dans le domaine de la santé en particulier, des questions de ce type peuvent se poser. Certains s'interrogent sur l'opportunité universelle de passer par des partenariats avec l'entreprise privée. Il me semble qu'ils ne font qu'être prudents. Je vous adresse à vous trois cette question.

La présidente: Monsieur LePage.

M. Marc LePage: Oui, le cas de la Dre Olivieri a été très difficile. C'est peut-être un exemple...

Mme Francine Lalonde: C'est un cas type, pourrait-on dire.

M. Marc LePage: Oui, un cas type dont on peut justement tirer une leçon. La Dre Olivieri avait conclu une entente privée avec la compagnie en question. On avait convenu que le contrat comporterait des clauses de confidentialité qui n'auraient pas été acceptables dans le cadre d'un partenariat si elles avaient fait l'objet d'une revue par les pairs ou été soumises à l'administration d'une université ou de l'hôpital. Les conditions qui y figuraient n'étaient pas acceptables. Mais puisque le lien avait été fait directement, les individus ont été exposés à tout ce débat-là.

La première phase de ce programme prévoit justement que lorsque nous cofinançons un projet avec une compagnie, nos accords de partenariat comportent un cadre de protection éthique. Dès qu'un problème surgit, on confie le dossier à un comité indépendant, qui doit juger si, oui ou non, il faut aviser les patients ou poser quelque geste que ce soit. Cet exemple démontre qu'on aurait intérêt à mettre plus d'activités de recherche à l'intérieur des cadres des conseils afin d'assurer le respect d'un cadre éthique plus solide.

La présidente: Monsieur Lauzière.

M. Marcel Lauzière: À la suite des propos de M. LePage, j'aimerais simplement préciser qu'il existe actuellement un énoncé de politique d'éthique régissant les trois conseils subventionnaires qui s'intéressent à la recherche sur les sujets humains. Cet énoncé porte justement sur ce genre de questions. Lorsqu'une telle recherche est faite dans le cadre des conseils, il existe une certaine protection.

Mme Francine Lalonde: Est-ce qu'on pourrait obtenir une copie de cet énoncé?

M. Marcel Lauzière: Oui, je vous en ferai parvenir une.

Mme Francine Lalonde: Je l'apprécierais. Merci.

[Traduction]

La présidente: Dernière question, madame Lalonde.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Il peut y avoir différentes formules qui nous assureront que des découvertes ne sèchent pas sur les tablettes universitaires alors qu'elles pourraient servir l'humanité. Les entreprises souhaitent que cela se fasse.

Je crois comprendre qu'au Québec, Inno-centre a développé un modèle qu'a retenu le Centre national de la recherche scientifique. Je ne connais pas encore le modèle de l'Alberta, mais je vais me renseigner. Ce modèle me semblait intéressant parce qu'au point de départ, les scientifiques ne sont pas nécessairement des entrepreneurs et n'ont peut-être même pas le goût d'être entrepreneurs.

• 1025

Sans priver le chercheur de sa propriété et sans en priver l'université, comment pouvons-nous nous assurer de bâtir une entreprise? Inno-centre est un concept intéressant parce qu'il s'agit en quelque sorte d'une entreprise clé en main qu'on remet après un an ou deux.

La présidente: Monsieur Brzustowski.

M. Thomas Brzustowski: Je conviens qu'il s'agit d'un bon modèle qui a été bien formulé et bien conçu.

Mme Francine Lalonde: Il y a donc différents modèles.

M. Thomas Brzustowski: Oui, il y a différents modèles. Il n'y a pas de modèle unique.

[Traduction]

La présidente: Merci, madame Lalonde. J'ai...

[Français]

Mme Francine Lalonde: Monsieur LePage aimerait ajouter quelque chose.

M. Marc LePage: Comme le précisait M. Brzustowski, il existe de nombreux modèles, et nous en sommes à nos débuts face aux nouvelles technologies et à la nouvelle économie. Bien qu'on cherche toujours le prochain bon modèle, il existe déjà plusieurs bons modèles. Je crois que c'est souvent l'élément clé derrière tout cela. En fait, cela revient aux individus qui sont derrière cela. Si on transposait les auteurs du succès de l'Université de l'Alberta dans un autre modèle et dans une autre ville, je suis certain qu'ils connaîtraient le même succès, du moins en bonne partie.

Mme Francine Lalonde: Merci.

La présidente: Merci, madame Lalonde.

[Traduction]

J'ai les noms de MM. Shepherd et Lastewka sur ma liste et je tiens à vous signaler que nous commençons à manquer de temps.

Monsieur Shepherd.

M. Alex Shepherd (Durham, Lib.): Monsieur Brzustowski, vous nous avez dit que le nombre d'inscriptions est à la baisse aux États-Unis et pourtant on ne cesse de nous répéter qu'on vient chercher ici nos diplômés. En fait, pas plus tard que la semaine dernière, j'ai eu un long entretien avec des gens de Nortel qui me disaient ne plus parvenir à retenir nos ingénieurs et nos scientifiques au Canada.

Vous nous demandez essentiellement d'augmenter le financement de la recherche au Canada. Quand je songe à mes électeurs, je me demande si c'est un bon investissement? Investissons-nous dans ces institutions à fonds perdu puisque nous subventionnons le transfert des connaissances vers les États-Unis? Comment régleriez-vous ce problème?

La présidente: Monsieur Brzustowski.

M. Thomas Brzustowski: Très difficilement. De toute évidence, le fait que le nombre d'inscriptions diminue dans ce pays à une époque où les États-Unis entrevoient une croissance de l'industrie, signifie que nos amis américains chercheront ailleurs. Or, il se trouve que nous sommes fort bien placés pour eux. Nous sommes tout à côté. Nous parlons la même langue, conduisons les mêmes voitures et mâchons les mêmes chewing-gums.

Quoi qu'il en soit, en réaction aux demandes de l'industrie canadienne, nous sommes parvenus à augmenter le nombre d'inscriptions chez nous. Je ne pense pas que nous puisions faire autrement que de financer la recherche conduite par les professeurs recrutés pour enseigner à ces étudiants. Si nous ne le faisons pas, ils s'en iront et les étudiants partiront avec eux. Ainsi, peu importe la sélection, peu importe la part de diplômés que notre industrie aurait récupérée grâce à cette augmentation des inscriptions, sans financement, personne n'en profitera.

De nos jours, les gens sont très mobiles. On commence à voir l'industrie et les universités canadiennes qui vont recruter d'excellents éléments ailleurs dans le monde, même à des échelons supérieurs et même aux États-Unis, parce qu'elles instaurent les conditions leur convenant. Pour les chercheurs et les professeurs d'université, les bonnes conditions ne tiennent pas tant au salaire ou à de faibles taux d'imposition marginaux qu'à la possibilité de travailler avec des gens de qualité dans de bons laboratoires et à faire le travail grâce auquel ils seront connus et deviendront peut-être célèbres. Je suis certain que tous ces gens-là sont effectivement sensibles à la question du salaire, tout autant que d'autres, mais ils le sont encore plus à la possibilité de pouvoir faire un bon travail.

J'estime que nous devrions imiter les autres pays qui acceptent des étudiants étrangers de troisième cycle, dont certains restent sur place. Si nous ménageons des conditions suffisamment attrayantes, si nous avons des entreprises où les gens ont l'impression de travailler à la pointe du progrès et d'être les fers de lance du marché, nos industries auront plus de faciliter à recruter.

M. Alex Shepherd: Je me demandais si vous aviez des données empiriques à ce sujet. Il est certain que si les États-Unis manquent de main-d'oeuvre dans ce domaine, les salaires y seront rajustés à la hausse. Dans le même ordre d'idées, je pourrais affirmer la même chose à propos de quelqu'un désireux de travailler pour Microsoft. Il pourrait aller travailler dans un excellent laboratoire de San Francisco ou ailleurs, aux côtés de gens extraordinaires, dans de superbes installations et ils gagneraient 25 ou 30 p. 100 de plus qu'ici. Pensez-vous qu'ils décideraient de rester ici au Canada par intégrité professionnelle? Comment allez- vous régler ce problème?

• 1030

M. Thomas Brzustowski: Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un problème d'intégrité professionnelle. L'important est de trouver un travail intéressant au Canada, de trouver une vie intéressante ici et d'évoluer dans un milieu qui vous soit favorable sur plusieurs plans. La fuite des cerveaux n'a rien de nouveau au Canada. On me dit que dans la région de Los Angeles, on trouve des dizaines de milliers de Canadiennes et de Canadiens, si ce n'est plus, qui travaillent là-bas comme scripteurs, compositeurs, acteurs, artistes ou que sais-je encore.

Je reviens juste d'une réunion de l'Institut canadien de recherches avancées où plusieurs de nos meilleurs chercheurs canadiens, en fait les meilleurs, ont présenté les résultats de leurs recherches. Nombre d'entre eux sont originaires des États- Unis, ce qui indique que le mouvement n'est pas à sens unique.

M. Alex Shepherd: J'ai une brève question à vous poser.

La présidente: Ce sera votre dernière question, monsieur Shepherd.

M. Alex Shepherd: Les législateurs que nous sommes trouveraient agréable de pouvoir s'appuyer sur des données d'avantages empiriques, parce que, pour l'instant, nous sommes portés à croire que le flux est à sens unique au point qu'il est devenu très important de modifier nos lois fiscales et tout le reste pour essayer de freiner cette fuite des cerveaux.

M. Thomas Brzustowski: C'est peut-être le cas dans des secteurs que je connais mal, mais je puis vous affirmer qu'en marge des lois fiscales, ce qui compte le plus pour les chercheurs universitaires et les étudiants de doctorat, c'est la possibilité d'effectuer de bonnes recherches grâce à de bons équipements, au contact de collègues intéressants, dans des installations de qualité et dans des domaines importants.

La présidente: Merci.

Monsieur Lastewka, enfin.

M. Walt Lastewka: Merci, madame la présidente. Je vais essayer d'être bref. J'ai deux petites questions à poser et la première s'adresse à M. Lauzière.

On dit toujours que les PME sont le moteur de la croissance. On dit également que, dans certaines régions du pays, les gens ont la bonne attitude et que les divers groupes collaborent entre eux, qu'il y a un système en place permettant de couver les PME. Votre organisation a-t-elle étudié les infrastructures et les systèmes en place pour les PME afin d'en dériver un modèle mieux adapté?

M. Marcel Lauzière: Oui. Je pourrais d'ailleurs vous faire parvenir certains renseignements sur au moins deux ou trois projets sensationnels. Le premier s'est déroulé en Colombie-Britannique et l'autre au Québec, mais il y en a d'autres ailleurs également. Ils visent à déterminer ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, à savoir pourquoi certaines PME parviennent à décoller et réussissent et d'autres pas, et ils visent à déterminer en quoi l'innovation dans le cas des PME est différente de celle des grandes sociétés, etc. Certains concepts sont intéressants.

Plus tôt, je disais que toutes ces questions soulèvent un grand intérêt. D'ailleurs, ce genre de projet attire beaucoup d'étudiants intéressés par ces questions. Je pourrais, comme je vous le disais, vous faire parvenir des renseignements plus concrets à cet égard.

M. Walt Lastewka: J'aimerais également avoir des renseignements sur les systèmes ou les infrastructures communautaires.

M. Marcel Lauzière: Très bien, je peux également le faire.

M. Walt Lastewka: J'ai une dernière question à vous adresser, monsieur Brzustowski. Elle concerne le développement continu de notre industrie électronique, de l'industrie du microprocesseur au Canada. On dirait que, malgré toutes les tentatives déployées, nous ne soyons jamais arrivés à retenir une usine de microprocesseurs ici, parce qu'en fin de compte, les sociétés de ce genre veulent avoir un accès gratuit au terrain et qu'elles veulent bénéficier de dix ans sans impôts ainsi que de nombreux autres incitatifs.

Ne pourriez-vous pas rassembler nos meilleurs éléments au Canada, répartis entre les différentes entreprises, pour nous doter de notre propre centre de recherche et de fabrication de microprocesseurs ici, car nous pourrions ainsi employer des milliers de gens et de nombreux chercheurs? Le dernier fabricant de microprocesseurs avec qui j'ai traité affirmait pouvoir créer 6 000 emplois de plus en cinq ans; des emplois très payés, dans le domaine de la recherche en laboratoire. Eh bien, si l'on ne peut signer des contrats de ce genre, pourquoi ne regrouperions-nous pas nos plus brillants éléments pour faire cela chez nous plutôt que de toujours tenir le rôle de demoiselle d'honneur?

La présidente: Monsieur Brzustowski.

M. Thomas Brzustowski: La réponse tient en partie au fait qu'il faut réunir d'énormes investissements pour mettre sur pied une usine concurrentielle dans le domaine de la puce électronique. Pour être compétitif sur le marché, il faut parvenir à vendre son produit—un produit qui est maintenant parvenu à maturité—et pour cela il faut acheter un matériel qui vous permette de le faire de façon rentable. On a bien toutes sortes d'idées dans le domaine. J'estime que nos plus brillants éléments parviendront à faire des choses toutes nouvelles que d'autres ne font pas encore, et c'est pour cela que nous devons financer la recherche fondamentale, parce que nous voulons faire des percées radicales sur ce plan.

• 1035

Mais je ne vois pas comment l'on peut réussir dans ce domaine—où l'on dit que le marché est déjà surapprovisionné et qu'il ne faut que quelque mois pour passer de l'étape de l'innovation à celle du produit, et où il faut pratiquer des prix défiant toute concurrence—si l'on n'a pas l'argent pour acheter un matériel à la pointe du progrès et se doter de tous les brevets permettant de protéger nos recherches.

La présidente: Je vous remercie. Merci beaucoup, monsieur Lastewka.

Je vous remercie tous trois de vous être rendus à notre invitation ce matin. Ce débat a été fort intéressant. Nous avons apprécié non seulement que vous ayez fait le point de la situation dans votre domaine, mais aussi que vous nous ayez fourni de nouveaux renseignements. Nous espérons vous revoir dans l'avenir.

Je signale à mes collègues du comité que nous allons suspendre la séance pendant deux minutes, en attendant que nos témoins changent de place. Nous allons accueillir l'Association des universités et collèges du Canada.

Encore une fois merci d'avoir été des nôtres. Nous allons suspendre la séance pour deux minutes.

• 1036




• 1042

La présidente: Eh bien nous reprenons la séance. Nous sommes heureux d'accueillir notre prochain groupe de témoins qui est l'Association des universités et collèges du Canada. Nous avons le plaisir de compter parmi nous M. Robert Giroux, président, M. John Service, président du Consortium canadien pour la recherche, Mme Louise Robert, directrice générale de la Fédération canadienne des sciences humaines et sociales du Canada et Mme Rubina Ramji, présidente du Conseil canadien des études supérieures.

Pour les déclarations liminaires, nous allons commencer par M. Giroux.

[Français]

M. Robert J. Giroux (président, Association des universités et collègues du Canada): Merci, madame la présidente.

Permettez-moi d'abord de remercier les membres du Comité de l'industrie de l'intérêt qu'ils manifestent à l'endroit des défis que nous avions identifiés dans le mémoire Pour un Canada innovateur: cadre d'action, que nous avions soumis au gouvernement fédéral en septembre 1997. Nous avons suivi avec intérêt les audiences fort intéressantes que vous avez tenues dans le cadre de votre exploration des conditions nécessaires à l'innovation.

Le moment nous semble aussi fort opportun pour dresser un bilan des progrès réalisés au cours des dernières années et pour explorer les grands enjeux qui se dressent devant nous.

La déclaration d'ouverture que présentera ma collègue Rubina Ramji vise précisément à faire le point sur la situation actuelle et à dégager les enjeux de l'heure.

Rubina, à vous la parole.

[Traduction]

Mme Rubina Ramji (présidente, Conseil canadien des études supérieures, Association des collèges et universités du Canada): Merci.

Si l'on en juge par les mesures annoncées dans ses derniers budgets, le gouvernement fédéral a fait de la connaissance et de l'innovation ses grandes priorités. Nous estimons donc qu'il est en bonne voie de créer les conditions favorables à l'innovation et à l'amélioration de la qualité de la vie de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes. Avec sa Fondation du Canada pour l'innovation, le gouvernement contribue à moderniser nos infrastructures de recherche. L'assistance fournie par le FCI a permis aux universités canadiennes de recruter 222 éminents chercheurs en leur fournissant du matériel de pointe.

Dans le cadre de sa stratégie des possibilités d'investissement, le gouvernement fédéral a entrepris toute une série d'initiatives destinées à s'assurer que les Canadiens auront la possibilité d'acquérir l'instruction et les compétences nécessaires pour réussir dans une économie mondiale axée sur le savoir.

Les récents budgets fédéraux ont mis un terme à la diminution du financement de la recherche universitaire par le gouvernement fédéral, en ramenant aux niveaux antérieurs le financement consenti aux conseils subventionnaires. La création des Instituts canadiens de recherches en santé, annoncée dans le budget de février 1999, représente un changement non seulement parce qu'on adopte ainsi une approche intégrée en matière de recherche dans ce domaine, mais aussi parce qu'il promet de financer des chercheurs à des niveaux qui soient concurrentiels sur le plan international.

Madame la présidente, il ne fait aucun doute que les investissements clés annoncés dans les trois derniers budgets à l'appui de la recherche, des étudiants et des installations de recherche, feront pour beaucoup pour étayer l'infrastructure nationale canadienne en matière d'innovation. Ce sont des signes encourageants qui montrent que notre pays a de nouveau l'intention de s'intéresser aux éléments fondamentaux qui font la réussite d'une société du savoir et dont nous avions parlé dans notre mémoire de 1997 qui portait sur les gens, la recherche et l'éducation. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à souligner l'importance de ces facteurs.

• 1045

Afin de stimuler l'innovation, il est important de déterminer quel secteur de notre système national consacré à l'innovation il convient d'améliorer. C'est à partir de tels diagnostics, qui feront ressortir les goulets d'étranglement de notre infrastructure d'innovation, que nous pourrons dériver des trains de mesure et trouver des solutions.

Nos travaux nous ont amenés à conclure qu'il faut favoriser l'innovation. Il faut pouvoir compter sur des compétences humaines de même que sur une infrastructure solide du savoir qui stimule les innovateurs dans tous les segments de la société et qui instaure des liens entre eux. Il faut ensuite s'intéresser aux conditions réglementaires, juridiques et financières pour donner forme aux changements et permettre la transition du conceptuel au réel, d'une manière qui contribue au bien-être social.

Les derniers facteurs, qui sont de plus en plus importants au sein d'une économie mondiale de plus en plus intégrée, sont l'accès aux marchés internationaux et la protection de la propriété intellectuelle, grâce auxquels les innovateurs peuvent être rémunérés en récompense de leurs investissements. Ces éléments sont des parties essentielles du processus d'innovation et sont intimement interreliés. Toute faiblesse de l'un de ces facilitateurs de l'innovation peut devenir un obstacle à l'innovation. La plate-forme de l'innovation n'est pas plus résistante que le plus faible de ses composantes.

Ces remarques n'ont rien de nouveau et elles sont conformes aux constats du Conference Board of Canada, du Conseil de la science et de la technologie du Québec, du Conseil sur la concurrence et de bien d'autres. À bien des égards, il est tout à fait révélateur qu'il n'existe pas de recettes miracles pour se doter d'une solide infrastructure dans le domaine de l'innovation: il faut investir résolument dans les éléments fondamentaux que sont les gens, l'éducation et la recherche.

Permettez-moi de vous illustrer mon propos en vous citant trois points durs et en vous décrivant certains des défis qui nous attendent.

D'abord, l'innovation est encore trop étroitement définie. Une société du savoir est une société qui doit pouvoir innover dans tous les domaines de l'activité humaine. Si nous partons du principe que l'innovation est au coeur de la nouvelle économie, on doit alors retrouver l'esprit d'innovation dans toutes nos entreprises. En fait, il est maintenant très clair que, même pour nos innovations technologiques, nous devons pouvoir compter sur la contribution de spécialistes de nombreux domaines.

Par exemple, les percées effectuées dans les technologies du numérique et de l'informatique ont évidemment donné naissance à une nouvelle industrie, mais on ne pourrait pas aujourd'hui concevoir la réussite du multimédia sans les contributions très variées des artistes, des écrivains, des avocats, des gestionnaires, des concepteurs, des experts en marketing, etc.

De plus en plus notre société est aux prises avec le rythme très rapide des progrès scientifiques et technologiques. Les progrès spectaculaires réalisés dans le domaine du génie génétique repousse considérablement les limites de l'éthique, du droit, des règlements en matière d'environnement ainsi que des autres politiques gouvernementales. Ici encore, on compte sur les sciences pour obtenir une orientation.

Qui plus est, nos plus importants défis de société échappent aux domaines de la science et de la technologie. On ne parviendra pas simplement à réinventer les soins de santé et la prestation des services sociaux, à régler les problèmes dus aux changements profonds qui ébranlent le milieu de travail ainsi que les problèmes de la pauvreté des enfants, pour ne nommer que quelques exemples, sans une véritable contribution de nos chercheurs en sciences sociales, de nos scientifiques et de nos intellectuels en sciences humaines. Quoi qu'il en soit, les niveaux historiques de sous- financement de la recherche en sciences sociales et en sciences humaines ont considérablement entravé cette contribution.

Il est temps de débrider l'innovation. La perception très étroite de l'innovation limite considérablement la portée de nos actions. Elle nous empêche de pleinement bénéficier de nos ressources et des nombreux mécanismes dont nous disposons déjà. En bref, cette vision est en train de se transformer en obstacle à l'innovation. Si l'innovation est tout aussi sociale, qu'organisationnelle et technologique, il faut que nos politiques gouvernementales reflètent cet état de fait.

Le deuxième point dur tient au fait que l'innovation est une question de disponibilité et d'utilisation d'un certain personnel. J'aurais l'impression de faire une lapalissade en affirmant qu'il ne peut y avoir d'innovation sans des gens pour produire, appliquer et exploiter de nouvelles idées; pourtant, jusqu'à récemment, les coûts et l'accès au capital constituaient les principaux obstacles à l'innovation, surtout dans le secteur privé. À une époque apparemment débordante de possibilités sur le plan de l'innovation, voilà que la disponibilité, la qualité et la diversité d'une main- d'oeuvre à l'échelle nationale sont devenues nos principaux sujets de préoccupation.

Deuxièmement—et c'est peut-être encore plus inquiétant que le reste—cette insistance sur le manque de compétence, tout aussi important soit-il, masque un défi encore plus important: la façon dont notre société utilise son bassin de compétences. L'innovation se produit au point de rencontre entre les gens et les institutions, et elle ne surgit pas de l'isolement. On peut multiplier ces points de rencontre en encourageant la mobilité des personnes: chercheurs, étudiants ou employés de bureau.

Jusqu'à présent, on a promu les échanges par le truchement d'une mobilité intersectorielle très limitée ou par un encouragement à la multidisciplinarité. Or, afin de pleinement bénéficier d'un personnel bien formé et très compétent, nous devons repenser la mobilité en des termes beaucoup plus généraux.

• 1050

Nous devons continuer à travailler sur les mécanismes qui nous permettront de mettre en symbiose le marché du travail et l'éducation, à accroître la capacité d'innovation des petites et moyennes entreprises et à favoriser le travail réalisé en collaboration pour inclure tous les partenaires de l'innovation, dans le sens le plus large du terme, ceux du secteur privé comme ceux du secteur public. Si l'innovation consiste à faire circuler des idées, elle revient également à favoriser le mouvement des gens. Mais cela aussi, c'est sans doute une lapalissade.

Le troisième point dur est celui de la faiblesse des partenaires qui deviennent des obstacles à des partenariats et à des synergies efficaces. Nous devons chercher à mieux rapprocher le gouvernement, le secteur privé et le milieu universitaire. Au cours des dernières années, la collaboration entre les universités et le secteur privé n'a cessé de se développer. Les chercheurs de ces deux secteurs ont collaboré plus que jamais auparavant et le financement privé de la recherche a régulièrement augmenté au cours des 20 dernières années.

Cela étant, les universités canadiennes se sont pleinement lancées dans la commercialisation du savoir qu'elles produisent. Toutefois, nos universités souffrent encore d'un sous- investissement dans certains domaines clés qui les empêche de s'acquitter de façon adéquate de leur mandat qui est de fournir une éducation accessible et de qualité à un nombre croissant de Canadiennes et de Canadiens. Ce même sous-financement les a aussi empêchés de réaliser leur plein potentiel sur le plan de la recherche. Cela est dû au déclin du financement de base des universités.

Le financement relativement faible consenti au titre des coûts de la recherche effectuée par les universités canadiennes est un autre facteur important. Les réductions des budgets de base des institutions postsecondaires sont attribuables au déclin des paiements de transfert fédéraux-provinciaux à l'appui des programmes d'enseignement postsecondaire. Le graphique joint au mémoire illustre le déclin très important du financement public accordé à l'enseignement universitaire au Canada. Il est particulièrement troublant de constater que l'écart dans les niveaux de financement public entre le Canada et les États-Unis est très important et qu'il s'accroît.

Par ailleurs, les secteurs de la science et de la technologie gouvernementaux ont énormément de difficulté à contribuer comme il se doit au système d'innovation au Canada, à cause de mesures prises en vue d'éliminer le déficit national. Il faut effectuer des réinvestissements sélectifs dans ce domaine pour s'assurer que le gouvernement sera en mesure d'apporter sa contribution. Pour qu'on puisse parler d'efficacité dans une société axée sur l'innovation, un certain équilibre doit exister entre tous les partenaires. Une infrastructure du savoir solide est la pierre angulaire d'une société désireuse de réussir.

[Français]

M. Robert Giroux: Le succès de la société de l'innovation ne repose pas sur quelques recettes miracles. En effet, et je cite:

    Si l'innovation était simplement une question de génie inspiré fertilisé à l'occasion par l'aide gouvernementale, le défi de bâtir une infrastructure de l'innovation serait relativement simple et évident.

Nous savons que cela n'est pas le cas. L'innovation est la transformation du savoir en nouveaux produits, nouveaux procédés et nouveaux services. Pour être en mesure d'appréhender l'univers et le penser différemment, il faut retourner à la base, à l'essentiel. Pour nous, cela signifie investir d'abord et avant tout dans l'éducation et la formation ainsi que dans la recherche.

Membres du comité, on ne peut récolter que ce que l'on a semé. Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Giroux et madame Ramji. Nous allons maintenant passer aux questions à commencer par M. Jaffer.

M. Rahim Jaffer: Merci, madame la présidente. Merci aussi à nos témoins. Je vais commencer par poser une question à M. Giroux. Je sais que Rubina a un peu parlé de l'innovation dans les universités et du fait qu'on déploie maintenant davantage d'efforts pour essayer d'instaurer un lien entre l'industrie et l'innovation au sein des universités.

Est-ce que cela est en train de devenir une tendance dans les universités que vous représentez? Par exemple, le niveau d'innovation est très important à l'Université de l'Alberta dont nous avons parlé avec l'autre groupe de témoins. Celle-ci s'est dotée d'un service de liaison avec l'industrie, et l'innovation y est un thème très important. Pensez-vous que cela se produise dans les autres universités et collèges du Canada? Est-on en train de déployer de véritables efforts pour s'intéresser à ces autres sources de revenu?

M. Robert Giroux: Il est certain que de plus en plus d'universités ouvrent des bureaux de liaison avec l'industrie ou essaient de trouver des façons de commercialiser leurs découvertes. Je ne sais si les membres du comité s'en souviendront, mais quand nous avons comparu devant vous en 1997, nous avons déclaré, dans le mémoire que nous vous avions soumis alors, que le transfert de connaissances était l'un des plus grands défis à relever. Nous pensons toujours la même chose, parce que le transfert de connaissances ne se fait pas de façon égale partout au pays. Les manières d'y parvenir diffèrent d'un coin à l'autre. Les témoins qui nous ont précédés vous l'ont d'ailleurs mentionné. Nous pensons que ce problème sera extrêmement important dans l'avenir.

• 1055

Je tiens à insister sur la nécessité qu'il y a de pouvoir compter sur des gens compétents et aptes afin, par-dessus tout, de définir le produit de la recherche fondamentale. Tout commence par la recherche fondamentale et par la capacité de comprendre son potentiel de commercialisation. Mais il faut plus qu'en comprendre le potentiel. Il faut pouvoir passer aux actes, il faut pouvoir faire connaître le produit et savoir comment le fabriquer. Il y a ainsi plusieurs façons de s'y prendre. Il y a les brevets. Il y a les entreprises qu'on peut lancer dans le sillage d'une découverte. Il y a les ententes qu'on peut conclure avec des entreprises du secteur privé déjà existantes.

Au Canada, nous comptons un grand nombre de petites et moyennes entreprises qui ne peuvent pas forcément compter sur un personnel ayant la capacité de prendre une invention pour la porter au stade suivant. Il existe donc des maillons faibles dans le système et c'est ce que nous avons voulu illustrer aujourd'hui. Par ailleurs, nous avons hâte de prendre connaissance du rapport du Comité d'experts sur la commercialisation de la recherche dont M. Brzustowski vous a parlé, parce que nous croyons qu'il peut comporter quelques solutions très valables.

L'ébauche de rapport soumise à la consultation publique il y a un mois et demi ou deux mois soulignait deux aspects, outre qu'il examinait le transfert de connaissances par les universités. Il sera intéressant de voir si ces deux aspects se retrouvent dans le rapport final. L'un d'eux était le problème des coûts indirects élevés de la recherche, qui seraient un mal nécessaire, et l'autre concernait la capacité du secteur privé de prendre en compte les résultats de la recherche et de les développer. Nous avons donc hâte de voir ce rapport.

Quoi qu'il en soit, vous avez raison. Les choses progressent, mais nous estimons que l'on pourrait aller encore plus vite. Nous sommes encore très en retard derrière les États-Unis et nous pensons qu'il serait possible d'exploiter davantage notre capacité de commercialisation.

M. Rahim Jaffer: Parfait. J'ai une autre question qui découle de la précédente, après quoi je poserai une dernière question à Rubina.

Selon vous, quels sont les obstacles qui favorisent cette situation? Vous avez parlé des coûts et de la disponibilité de capitaux. Y a-t-il d'autres facteurs que vos organisations auraient mis en lumière, qui pourraient également limiter la relation avec l'industrie? Qu'est-ce que le gouvernement ou même ce comité devrait étudier dans le dessein d'encourager cette relation?

M. Robert Giroux: Pour moi, les principaux obstacles auxquels se heurtent les universités—et ce n'est pas partout la même chose parce que certaines universités ont plus de ressources que d'autres—tiennent à leur incapacité de cerner le potentiel des produits de la recherche, comme je le disais précédemment, et de les commercialiser. C'est là un des principaux obstacles qui nécessitent des ressources. Il faut pouvoir compter sur le bon type de personnel. Il faut bien connaître le potentiel du marché.

Le deuxième grand obstacle tient à la capacité des entreprises elles-mêmes à prendre en compte les résultats de la recherche et à les commercialiser à leur niveau. C'est ce qui explique la naissance de nombreuses entreprises dans le sillage des découvertes, parce que c'est la seule façon de commercialiser les produits. Parfois, il n'y a personne dans le secteur privé pour le faire. Voilà un autre grand obstacle.

Quant à la question des ressources, nous estimons que les budgets de base de nos institutions devraient être plus élevés afin que nous puissions consacrer davantage d'attention et de ressources à la commercialisation des produits.

La présidente: Monsieur Service, voulez-vous répondre également?

M. John C. Service (président, Consortium canadien pour la recherche, Association des universités et collèges du Canada): Je dirais qu'un autre obstacle tient au fait que nous raisonnons souvent, à ce sujet, en termes de sciences naturelles et pas en termes de sciences sociales.

Permettez-moi de vous donner deux petits exemples pour illustrer mon propos. D'abord, lors d'une récente conférence de la Société canadienne de psychologie, nous avions eu un panel sur les essais neurologiques conduits sur les athlètes. Le NFL—mais vous êtes peut-être au courant de cela. Il s'agit d'un partenariat avec l'industrie qui permet de commercialiser la neurosciences, sous la forme de la neuropsychologie. C'est très important.

Deuxièmement, une petite entreprise du sud de l'Ontario assure maintenant toute la formation du personnel des prisons de deux États américains, avec des résultats très positifs. Voilà donc deux types de partenariats entre les sciences sociales et l'industrie qui fonctionnent fort bien.

M. Rahim Jaffer: Merci. Ma dernière question s'adresse à Rubina. Vous avez parlé des questions d'innovation et bien sûr de la nécessité de s'intéresser aux gens, à l'éducation et à la recherche. Le Parti réformiste a toujours été critiqué parce qu'il réclame une diminution des impôts. Mais récemment, j'ai bu du petit-lait en entendant le doyen de la faculté des sciences de l'Université de l'Alberta parler de la fuite des cerveaux et de certains des problèmes que vous avez tous mentionnés. Mais ce qui m'a surtout surpris d'entendre dans la bouche d'un représentant du milieu universitaire, c'est qu'il fallait essayer de faire en sorte que notre régime fiscal soit davantage compétitif.

• 1100

Évidemment, ces universités cherchent à attirer des étudiants de doctorat ou des étudiants en recherche. Or, ces institutions estiment qu'elles ne parviennent, en moyenne, à les conserver que deux ans tout au plus. Après cela, les gens commencent à faire la comparaison entre ce qu'ils gagnent et ce qu'ils gagneraient aux États-Unis. Malheureusement, nos universités perdent beaucoup de diplômés qui vont aux États-Unis ou ailleurs.

Comme vous êtes vous-même au doctorat et que vous continuez à fréquenter des étudiants... j'aimerais savoir si, selon vous, vous estimez que c'est un problème ou si le régime est équitable. Il est certain que les Canadiens et les Canadiennes commencent de plus en plus sérieusement à réclamer des réductions d'impôts. J'ai moi-même été très surpris que le milieu universitaire en parle. Vous pourriez peut-être nous dire si c'est là un obstacle. Personnellement, je ne le sais pas.

Mme Rubina Ramji: Pour les étudiants de doctorat, le problème n'est pas vraiment celui de l'allégement des impôts. Il tient plutôt au fait qu'entre le moment où ils parviennent au doctorat et où ils obtiennent leur diplôme, ils ont contracté d'importants prêts. Avant, nous avions un crédit d'impôt de 17 p. 100 sur les intérêts payés au titre des prêts étudiants. Cela faisait bien notre affaire, parce que nous pouvions nous retrouver avec des prêts de 30 000 ou 40 000 $ à la fin des études de doctorat. On est en train de se rendre compte qu'il n'y a pas assez d'argent pour entamer des études de troisième cycle.

Même après avoir décroché le diplôme, il reste encore à trouver un emploi. J'espère obtenir mon doctorat d'ici septembre, parce que je veux avoir mon PhD, comme ces messieurs dames à côté de moi, bien que je ne sache pas exactement pourquoi. Quoi qu'il en soit, j'essaierai de trouver un emploi au Canada. Comme chercheur ou professeur, je n'ai rien trouvé. En revanche, j'ai eu trois offres d'emploi des États-Unis: à Miami, à San Francisco et dans l'Ohio.

Le problème tient donc au financement de la recherche dans le système universitaire pour attirer les étudiants de doctorat, mais il faut aussi soutenir les universités pour qu'elles puissent les engager afin qu'ils fassent de la recherche après leur diplôme, et il faut lancer des projets de recherche plus ambitieux pouvant servir à la société en général. Voilà ce dont nous avons besoin.

La présidente: Madame Robert.

Mme Louise Robert (directrice générale, Fédération canadienne des sciences humaines et sociales du Canada, Association des universités et collèges du Canada): Je vais revenir sur une question qu'a soulevée Marcel Lauzière à propos des dégrèvements fiscaux. Dans cette présentation, nous avons essayé de vous faire comprendre que l'innovation n'est pas l'apanage des sciences et de la technologie. Pour qu'une société favorise l'innovation dans le sens le plus large du terme, nous devons faire appel aux sciences sociales et aux sciences humaines. Depuis très longtemps, ces deux derniers secteurs de la science—depuis au moins dix ans, autant que je sache—essaient de faire l'objet de dégrèvements fiscaux pour la recherche conduite dans les sciences sociales. Cela n'est pas encore permis.

De tels dégrèvements permettraient à l'industrie de recruter davantage de chercheurs et d'entreprendre des recherches complexes. En outre, ils permettraient d'éviter que se produise le genre de problème dont Mme Lalonde parlait tout à l'heure dans le cas de Toronto. Le fait d'inclure, par exemple, les éthiciens dès l'amorce de ce genre de projet permettrait d'éviter qu'on en arrive à des poursuites en justice et ainsi de suite. Ainsi, il ne faut pas réserver les dégrèvements fiscaux aux sciences et à la technologie. Il faut les accorder pour tout ce qui est innovation scientifique, dans le sens large du terme.

La présidente: Merci. Merci beaucoup, monsieur Jaffer.

[Français]

Monsieur Bellemare, s'il vous plaît.

M. Eugène Bellemare: Monsieur Giroux, vous qui avez travaillé à tant de ministères avec succès—vous avez bien servi le pays—croyez-vous qu'une coupure de taxes unilatérale serait avantageuse pour les organismes comme le vôtre ou qu'une coupure de taxes ciblée serait meilleure pour promouvoir les organismes comme le vôtre?

M. Robert Giroux: Tout d'abord, personnellement, je ne crois pas que la solution réside dans une coupure de taxes. C'est simple comme approche, et je sais qu'on en a discuté à la séance précédente, mais nous avons fait une étude en 1997 pour déterminer la raison pour laquelle tellement de nos professeurs d'université et de chercheurs—ils ont un double rôle—avaient quitté le pays pour aller étudier essentiellement au sud, aux États-Unis. Nous avions un échantillon de 1 000 personnes dont à peu près 50 p. 100 avaient quitté l'université pour prendre une retraite hâtive; en d'autres mots, ils étaient partis avant le temps parce qu'on les avait encouragés à le faire. Nous avons aussi demandé aux autres 50 p. 100 la raison de leur départ. Nous voulions connaître la raison pour laquelle ils s'étaient rendus aux États-Unis, par exemple.

• 1105

On nous a dit qu'une des raisons principales était le climat de recherche, en d'autres mots l'environnement de la recherche universitaire. Qu'est-ce que cela veut dire? Premièrement, cela a trait aux subventions disponibles pour faire de la recherche; deuxièmement, ces subventions leur permettent d'encourager des étudiants à travailler avec eux; et, troisièmement, ces subventions leur permettent aussi de travailler en équipe, de faire de la recherche multidisciplinaire. On voit de moins en moins une personne seule faire de la recherche dans son laboratoire; il faut être capable d'aller chercher toute l'information disponible. Ce climat de recherche était un facteur très important. Les États-Unis l'ont d'ailleurs compris parce qu'ils sont beaucoup plus généreux au niveau des subventions.

On a aussi parlé du fait que les niveaux d'impôt des particuliers, par exemple, étaient un facteur important. Quand on dit à ces chercheurs qu'en venant travailler aux États-Unis, ils auront trois ou quatre fois plus de subventions, le meilleur équipement au monde et, en plus, un meilleur salaire qu'au Canada et que le niveau d'imposition est inférieur... Vous savez, il faut être équilibré dans tout cela.

En réponse à votre question, je ne peux pas me présenter devant vous et dire que la réduction des impôts n'est pas un facteur important. Nous soutenons qu'il doit y avoir un très bon équilibre et que le gouvernement ne trouvera pas la solution simplement en réduisant les impôts. Les gouvernements devront faire un investissement, tant le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux dans le cas des budgets de base des universités, par exemple, qui sont très importants et qui sont actuellement très déficients.

M. Eugène Bellemare: Voici ce à quoi je voulais en venir en soulevant la question de la réduction d'impôt ciblée par opposition à la coupure de taxe universelle. Des gens bien nantis passent six mois par année aux États-Unis et y dépensent tout leur avoir. En somme, dans leur cas, une diminution de l'impôt signifie une augmentation de leurs dépenses à l'extérieur du pays. Est-ce qu'on ne pourrait pas plutôt cibler certains groupes, certains organismes par des coupures? Vous avez fait mention d'un rapport au sujet du

[Traduction]

de la fuite des cerveaux. Ma question s'adresse à Mme Ramji.

Est-ce que les prêts étudiants sont une des causes de leur départ du pays? Par exemple, est-ce qu'un étudiant trop endetté estime pouvoir gagner plus d'argent ailleurs? Plus encore, croit-il pouvoir effacer sa dette parce qu'il aura quitté le pays.

Mme Rubina Ramji: Moi qui suis une étudiante lourdement endettée, je puis vous dire que non. Ce que nous voulons vraiment, après avoir obtenu notre doctorat, c'est un bon emploi dans notre domaine, un emploi qui nous permette de rendre ce que nous aurons acquis. La plupart des gens qui entreprennent des études de doctorat le font parce qu'ils adorent la recherche. Vous savez, il faut 8 à 10 ans pour obtenir son doctorat. Ce n'est donc pas quelque chose que nous essayons d'éviter.

Personnellement, je pense que la plupart des étudiants ayant terminé leur doctorat s'en vont parce qu'ils ne trouvent pas d'emploi au Canada. Or, ceux qui ont un emploi, même au Canada, ont une garantie de bons revenus. Il est certain que les prêts étudiants se remboursent d'eux-mêmes dès que les gens ont un emploi. Il s'agit simplement de trouver un emploi au Canada, ce qui devient de plus en plus difficile, surtout dans les domaines où l'on a effectué des recherches.

Je fais des études spécialisées en religion et je ne peux trouver d'emploi dans mon domaine, bien que je sois certaine que le secteur privé aurait besoin de mes connaissances.

M. Eugène Bellemare: Si nous accordions aux étudiants qui ont une dette importante une réduction de leurs prêts—par exemple de 10 ou 15 p. 100—à condition qu'ils travaillent dans leur domaine au Canada pendant au moins cinq ans, est-ce que cela pourrait contribuer à régler le problème? Ou alors est-ce que ce n'est pas possible parce que les étudiants sont surtout en quête d'un emploi?

Mme Rubina Ramji: C'est un double problème. D'abord, le programme de prêts étudiants est plafonné. En général, on a déjà complètement épuisé les sommes auxquelles on a droit avant d'entamer la maîtrise, après le baccalauréat. Ainsi, pour pouvoir continuer de la maîtrise au doctorat, il faut trouver des fonds ailleurs. On ne peut plus avoir de prêt étudiant et pour obtenir son doctorat, il faut décrocher une bourse ou aller travailler.

Ainsi, si l'on propose aux étudiants de réduire leur prêt à la fin de leurs études à condition qu'ils travaillent dans leur domaine... il faut savoir qu'ils ne pourront pas forcément terminer leur doctorat, parce qu'ils n'auront justement pas obtenu de prêts ni de subventions pour cela. En effet, ils auront utilisé la totalité des prêts auxquels ils avaient droit avant de terminer leur baccalauréat.

• 1110

M. Eugène Bellemare: Certaines municipalités excellent dans le domaine du développement économique. Le plus souvent, elles ont des propriétés spécialement zonées et évaluées à un tel niveau qu'elles parviennent à attirer les industries. C'est excellent pour la construction et pour certaines industries, mais dans le domaine de la recherche, quel genre de mécanisme pourrait-on adopter à l'échelon national, à celui des provinces ou de groupes divers pour favoriser le développement un peu comme le font certaines villes?

Mme Rubina Ramji: Vous voulez dire pour attirer des étudiants ou des chercheurs?

M. Eugène Bellemare: Je parle des chercheurs ou des organismes de recherche.

Mme Rubina Ramji: Je disais tout à l'heure qu'il fallait envisager l'innovation avec un point de vue plus large; si nous y parvenions, nous pourrions employer davantage de chercheurs dans certains domaines.

Prenons le multimédia, par exemple. On y engage des gens qui sont spécialisés en science informatique, mais on oublie que le multimédia s'entend de bien d'autres choses. Le multimédia emploie également des artistes et des diplômés en économie qui savent administrer des entreprises ou gérer à des niveaux élevés. On a tendance à oublier d'attirer ces gens dans ce secteur. On ne crée qu'un secteur pour les sciences et la technologie que l'on finance mais l'on ne réserve rien pour ceux des autres secteurs qui pourraient beaucoup apporter à de tels domaines et qui pourraient contribuer à leur essor.

La présidente: Merci, monsieur Bellemare.

[Français]

Madame Lalonde, s'il vous plaît.

Mme Francine Lalonde: Bonjour à vous tous. Monsieur Giroux, vous ne m'en voudrez pas de vous dire tout d'abord que j'apprécierais, si nous nous revoyons encore à ce comité, que tout votre texte soit en anglais et en français. Si je veux citer la partie centrale de votre texte, je devrai traduire ou demander à la greffière de le faire. Comme plusieurs membres du comité sont de langue française...

M. Robert Giroux: Certainement.

Mme Francine Lalonde: Merci. D'autant plus que vous nous dites «bonjour» et «merci» en français.

Dans ce «merci», je vais reprendre une phrase qui, me semble-t-il, donne toute la mesure de la difficulté de la situation actuelle pour les collèges et les universités. Vous dites:

    L'innovation est la transformation du savoir en nouveaux produits, nouveaux procédés, nouveaux services. Pour être en mesure d'appréhender l'univers et le penser différemment,...

Vous allez plus loin que les nouveaux procédés, les nouveaux produits et les nouveaux services.

    ...il faut retourner à la base, à l'essentiel. Pour nous, cela signifie investir d'abord et avant tout dans l'éducation et la formation ainsi que dans la recherche.

Ne dites-vous pas, finalement, que l'université et les collèges sont interpellés par la société ambiante, une société très matérialiste, pour laquelle la croissance est une règle à suivre à tout prix? Vous êtes pris entre ce milieu-là et le rôle de base de l'université. De tout temps, l'université a été un lieu de réflexion et d'apprentissage gratuit. La recherche, la curiosité intellectuelle doit être d'abord gratuite, et tous les étudiants qui se retrouvent avec d'énormes dettes montrent qu'ils adhèrent à cela et croient que l'université est ce lieu, mais ils veulent aussi être capables de travailler par la suite. Parlez-nous de ce tiraillement que je sens actuellement à l'université.

M. Robert Giroux: Tout d'abord, nous allons nous assurer—et telle était notre intention—de vous donner un texte totalement en français et en anglais. Je m'excuse qu'il ne soit pas disponible ce matin, mais il vous sera remis le plus vite possible.

La deuxième chose que j'aimerais mentionner, c'est qu'occupant le poste qui est le mien aujourd'hui, je puis vous dire que vous avez mis le doigt sur un des grands défis des institutions universitaires que je représente. D'un côté, comme vous le dites, elles sont poussées par la société, par les employeurs et souvent par les gouvernements—il faut l'admettre—à devenir des institutions à valeur ajoutée. Quelle est votre valeur ajoutée, leur demande-t-on? Malheureusement, cette valeur ajoutée se mesure en termes commerciaux. On dit qu'il faut commercialiser et produire des diplômés dans telle ou telle discipline parce que c'est ce que les employeurs veulent. Dans tout cela, comment préserve-t-on ce qui est très fondamental aux institutions, aux universités? L'université doit demeurer ce lieu de rencontre où l'on forme les gens à devenir des citoyens pensants, qui n'hésiteront pas à poser des questions fondamentales...

• 1115

Mme Francine Lalonde: Embêtantes.

M. Robert Giroux: ...et parfois embêtantes pour les gouvernements et la société en général et qui, au cours des années, a été à la source des grands développements de notre histoire.

Pour cela, il faut donner. Comment peut-on ensuite rationaliser pour que ces institutions puissent faire cela et produire en même temps des diplômés qui, soit dit en passant, deviennent de plus en plus intéressants pour les employeurs? Je constate qu'il y a un revirement de la situation de ceux qui ont étudié les arts et les humanités et de ceux qui ont étudié plutôt du côté technologique, en génie, en sciences naturelles, etc. Les employeurs veulent avoir dans leur compagnie un meilleur équilibre entre les gens qui ont cette formation et ceux qui ont une formation plus technique.

Comment peut-on prouver que le seul moyen de maintenir et de renforcer cette capacité des universités à être le centre de questionnement, de connaissances, etc. est d'augmenter les budgets de base des universités?

Depuis trois ou quatre ans, les gouvernements disent, et on vous en a donné un bon exemple, qu'il faut renforcer les infrastructures de recherche. On a créé la Fondation canadienne pour l'innovation; c'est très bien et très important. Comme il faut augmenter la recherche dans les universités, on augmente les budgets des conseils subventionnaires, mais en oubliant que ces budgets ne couvrent que les coûts directs et non pas les coûts indirects.

On a pris beaucoup d'autres initiatives. Le gouvernement doit en être félicité parce qu'il a quand même compris que c'était très important, mais on a oublié de nourrir les budgets de base des universités. Les graphiques qu'on vous a présentés démontrent clairement jusqu'à quel point nos institutions sont déficientes, surtout quand on les compare aux institutions américaines.

Ce qui est très important cette année—et je pense parler aussi au nom de nos partenaires—c'est que le gouvernement fédéral doit faire un effort important en augmentant les paiements de transfert et que les gouvernements provinciaux doivent restaurer et nourrir les budgets de base des institutions postsecondaires. On parle beaucoup d'équilibre ce matin. C'est un équilibre qu'il faut maintenir.

Les universités ont trois grandes missions: une mission de formation, de production de penseurs, de personnes qui seront capables de contribuer à la société; une mission de recherche, qui est très importante; et une mission communautaire, parce que l'université a un rôle très important à jouer dans la communauté en l'aidant à solutionner ses propres défis et ses propres problèmes.

La présidente: Une dernière question, s'il vous plaît.

Mme Francine Lalonde: Je vous remercie de votre réponse. Je n'en attendais pas moins.

Pour reprendre ce que vous venez de dire, si l'université doit remplir ses missions, il faut qu'il y ait amélioration des budgets de base. Je vous comprends, d'autant plus que j'ai pris connaissance du document de travail Public Investment in University Research: Reaping the Benefits, dont plusieurs des éléments m'ont inquiétée.

Ce qui m'inquiéterait davantage, ce serait que la seule façon de refinancer les universités soit de leur permettre d'aller chercher plus d'argent dans la commercialisation; il me semble que ce serait un écueil. Il faut que l'université puisse faire cela sans mettre tous ses oeufs dans ce panier.

M. Robert Giroux: Oui, et je vous dirai que les universités voient la commercialisation comme un bénéfice pour la communauté et l'économie plutôt que pour les fonds internes des universités.

• 1120

Quand on regarde ce que cela donne à l'université, on voit qu'il y a des revenus qui lui reviennent, mais cela ne comble pas tous les besoins. C'est là qu'on voit le rôle et l'importance de l'État, qui doit continuer à financer les budgets de base des universités pour maintenir cet équilibre et permettre à l'université de continuer à contribuer à l'économie. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point.

La présidente: Merci.

[Traduction]

Monsieur Lastewka.

M. Walt Lastewka: Merci, madame la présidente.

Je vais poser deux ou trois questions. D'abord, je pense que la plupart d'entre vous étaient présents lors de la comparution des témoins précédents quand nous avons parlé du bureau de liaison de l'Université de l'Alberta à Edmonton et du manque de spécialistes aptes à faire le travail qu'un bon bureau de ce genre doit accomplir. J'ai en outre cru comprendre qu'on retrouve dans ce bureau des employés qui travaillaient avant à l'Université de la Colombie-Britannique, laquelle prétendait à l'époque avoir le meilleur bureau de liaison du genre. Eh bien, il aura suffi à l'Université de l'Alberta d'attirer une ou deux personnes pour que son bureau soit une réussite. Lors de mon dernier passage, le bureau en question était en train d'augmenter son effectif de 15 à 20 p. 100, étant donné le succès qu'il remportait.

Pourquoi ne développe-t-on pas un bassin de gens capables de travailler dans les sciences et dans la recherche ainsi que dans le domaine commercial et de renseigner les chercheurs sur les autres domaines de recherche? Quant à moi, je crois que l'on manque de gens compétents capables d'effectuer ce genre de travail. Pourquoi cette situation?

Un témoin: Vous voulez répondre, John?

M. John Service: Je pourrais commencer. Je n'ai pas toutes les réponses que vous cherchez, mais je pourrais vous en donner deux ou trois. D'abord, il faut savoir qu'on commence juste à offrir au canada les programmes de doctorat qui forment ce genre de personnes, alors qu'ils le sont depuis longtemps aux États-Unis.

Je vais vous donner un exemple très personnel à ce sujet. Mon fils va aller à l'université southern Illinois, dans un programme de troisième cycle baptisé psychologie expérimentale appliquée. Cette discipline porte essentiellement sur les facteurs sociaux touchant au problème dont vous parlez, c'est-à-dire au transfert des idées et des produits entre le côté commercial et le milieu de la recherche. Quels facteurs sociaux, quels facteurs humains interviennent dans le marketing, dans l'incitation d'achat et dans l'adhésion des consommateurs à un produit? C'est un tout nouveau domaine qui s'ouvre et le problème, au Canada, tient au fait que si l'on ne finance pas des programmes de ce genre, nous ne disposerons pas du bassin de compétences normalement formé par les universités.

Par ailleurs, et je crois que M. Brzustowski en a parlé plus tôt, le secteur privé à l'extérieur des universités commence tout juste à recruter ce genre de personnes et les gens doivent s'habituer à ce type d'interaction.

Voilà donc les deux ou trois réponses que je pouvais vous faire à ce sujet. Comme vous le disiez, nous dépendons-nous aussi d'un groupe de gens compétents et nous avons besoin d'agrandir ce bassin.

La présidente: Madame Robert.

Mme Louise Robert: Je voudrais également ajouter que le développement économique ne se limite pas à certaines industries, à certaines sciences ni à certaines technologies. Par exemple, une petite subvention accordée pour une recherche en archéologie à Louisbourg a engendré toute une activité touristique, a créé des emplois et favorisé le développement artistique. Les retombées économiques et la création d'emplois à long terme à partir d'une petite subvention, comme celle-ci dans le domaine de l'archéologie, peut avoir des répercussions bénéfiques à longue échéance et donc revêtir une importance tout aussi grande que la technologie pour l'économie régionale. Il est très possible qu'en cherchant à développer certaines capacités pour les commercialiser de façon trop restreinte nous nous trouvions en fait à

[Français]

nous priver de l'habilité à développer des projets et des produits pour tous les Canadiens.

[Traduction]

Pour en revenir à notre présentation commune, il faut envisager l'innovation avec la même richesse et la même complexité que lorsqu'on songe à la création d'emplois et au développement économique.

M. Walt Lastewka: Je serais d'accord avec vous, mais il se trouve qu'il y a un fossé entre l'offre et la demande, fossé particulier et bien connu. Ce n'est pas pour rien que l'Université de l'Alberta est allée chercher des gens à l'Université de la Colombie-Britannique. Cela s'est fait parce que ces gens-là détenaient un secret. Ils avaient un système en place qui aidait les chercheurs de l'Université de la Colombie-Britannique. Ils les aidaient à obtenir des fonds et à commercialiser le résultat de leurs travaux. Il y a un manque de personnel compétent dans ce domaine.

• 1125

On a vu ce qui se passe à l'Université de la Colombie- Britannique, on le voit à l'Université de l'Alberta. Dans d'autres universités on trouve de petites poches de spécialistes du genre, qui font un peu de travail dans ce domaine, mais on en manque. Combien d'années nous faudra-t-il pour combler ce manque?

Je suis d'accord avec vous: le problème est général et je ne veux pas qu'on perde cela de vue. Mais nous manquons de spécialistes dans ce domaine. C'est ce que confirme le secteur de la recherche, c'est ce que les commerciaux nous disent et c'est ce que nous confirment les parcs scientifiques. Alors, pourquoi ne pas combler ce manque?

M. Robert Giroux: La meilleure façon d'y parvenir consiste à s'assurer que les institutions disposent des structures nécessaires. Par exemple, je ne vous dirais jamais quelles sont les meilleures universités canadiennes. Je ne resterais pas longtemps dans ce poste si je devais vous le révéler. Toutefois, nous savons que certaines universités se débrouillent mieux que d'autres, et il n'y a pas que l'Université de l'Alberta. Les universités de la Colombie-Britannique, de Waterloo, de McGill et l'Université de Montréal se sont également fort bien débrouillées d'autres manières. Ainsi, on peut se demander ce qui leur faut pour s'améliorer?

Dans le cas de l'Université de l'Alberta, il faut reconnaître que le gouvernement provincial a joué un rôle déterminant pour l'encourager et l'aider à faire ce qu'elle a fait et pour lui fournir les ressources dont elle avait besoin. Il est question d'avoir les bonnes personnes au bon endroit pour circonscrire le potentiel de la recherche et pouvoir établir les liens entre ceux et celles qui sont en mesure de maximiser ce potentiel.

Les choses ne se passent pas partout de la même façon au Canada et il faut améliorer la situation. Personnellement, je dirais que la meilleure façon de s'y prendre consiste à donner aux universités les ressources dont elles ont besoin, pour qu'elles disposent des spécialistes nécessaires ayant le bagage voulu pour comprendre le volet commercialisation de leurs produits. Nous croyons que le rapport du comité d'experts nous proposera quelques bonnes suggestions en ce sens. Nous n'avons plus qu'à attendre. Les gouvernements, devront par ailleurs trouver des façons d'encourager les universités à combler le manque dont vous parliez.

Nos universités ont subi d'importantes réductions budgétaires au cours des dernières années. Elles ont réduit leur budget des bibliothèques et ont augmenté les effectifs des classes. Elles ont repoussé les grands travaux de maintenance de leurs infrastructures. Elles n'ont pas pu mobiliser les ressources nécessaires à ces fins-là. Il est important de leur donner une base de ressources suffisante pour leur permettre de faire tout cela.

La présidente: Pour une dernière question, monsieur Lastewka.

M. Walt Lastewka: C'est cela. Dans certains secteurs, les collèges et les universités collaborent. Ils s'associent et travaillent ensemble. Or, ce n'est pas le cas dans bien des secteurs où il y a des dédoublements et où les universités se livrent concurrence, plutôt que de s'associer entre elles.

Que faisons-nous au Canada pour aider nos collèges et universités à se rapprocher, à travailler ensemble, à faire plus de choses en partenariat plutôt que de dédoubler leurs programmes et de gaspiller ainsi de l'argent?

M. Robert Giroux: Votre question me pose problème, parce que vous partez d'une hypothèse que je n'ai pas été amené à formuler dans mes recherches et qui n'est pas fondée. En effet, les collèges et universités travaillent de plus en plus ensemble. Dans bien des provinces, il existe des échanges naturels entre le réseau collégial et le réseau universitaire. Au Québec, ce genre d'échange se fait très bien. En Colombie-Britannique, on compte de plus en plus de «universités-collèges», qui sont une combinaison de collèges communautaires et d'universités. Donc, les gens collaborent.

En Ontario, on travaille beaucoup sur la possibilité de transférer des crédits des collèges aux universités. Les collèges se sont eux-mêmes fixés pour mission de faire plus dans le domaine de la recherche appliquée, autrement dit d'effectuer des recherches très pratiques. Les universités font de la recherche fondamentale. Il ne fait aucun doute qu'il existe une certaine concurrence entre les collèges et les universités au Canada, mais je ne pense pas que le manque de collaboration soit un problème. Ainsi, votre question me pose quelques problèmes.

La présidente: Merci. Merci, monsieur Lastewka.

Madame Jennings.

[Français]

Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Je remercie nos témoins de leurs présentations. J'essaierai de tenir des propos assez succincts.

• 1130

Je crois comprendre que vous soutenez que les gouvernements fédéral et provinciaux ont le devoir d'augmenter leurs investissement de base dans les universités et les collèges afin de leur permettre de renforcer leur infrastructure, que ce soit au niveau du corps enseignant ou de leurs outils, notamment les bibliothèques et les assistants. Lorsque j'étudiais dans un cégep au Québec, on ne faisait pas face au problème auquel a fait allusion M. Lastewka. Vous avez clairement dit qu'il y avait une assez bonne complémentarité, et je souhaite que ce soit toujours le cas. Dans certains de nos cours, le professeur était appuyé d'un étudiant au niveau de la maîtrise qui donnait des cours ou agissait à titre de tuteur. Que je sache, ce n'est que très rarement le cas de nos jours dans les cégeps au Québec. C'est là un des problèmes qu'on rencontre.

Madame Ramji, à la page 5 de votre mémoire, vous indiquez qu'il est absolument nécessaire d'enlever les obstacles à la mobilité. Vous abondiez dans le même sens, madame Robert. Vous parliez de mobilité intra-institutions, inter-institutions, inter-sectorielle, etc. Pouvez-vous me donner plus d'exemples? Je sais qu'il existe des programmes coops dans certains collèges et universités et que les étudiants peuvent faire un stage dans une compagnie privée, par exemple.

Vous avez également soulevé des problèmes auxquels fait face le corps enseignant. Est-ce que les professeurs qui poursuivent un tenure track rencontrent des obstacles lorsqu'ils désirent changer d'institution afin de poursuivre un projet de recherche? Par exemple, lorsqu'un professeur de l'Université Queen's participe à un projet de recherche à long terme à l'Université McGill, est-ce qu'il y a des répercussions sur son tenure track? Si tel est le cas, cette question ne devrait-elle pas relever, non pas de la compétence du gouvernement, mais plutôt de celle des syndicats et des associations professionnelles?

Mme Louise Robert: Je demanderai à M. Giroux de traiter de la question des syndicats. Je crois que vous avez raison au sujet des partenariats interdisciplinaires. De plus en plus, les conseils subventionnaires offrent des programmes aux professeurs ou à leurs facultés afin de poursuivre ces approches multidisciplinaire et pluridisciplinaire non seulement dans le domaine des sciences sociales et des sciences humaines, mais aussi dans celui des sciences naturelles et du génie. Je crois que ce processus a été enclenché et je sais que les conseils subventionnaires appuient fortement ce genre d'approche à la recherche. Encore une fois, si on est trop ciblé, on risque de manquer le bateau. Il existe aussi de grands projets qui relient les trois conseils subventionnaires et qui nous permettent d'étudier certaines questions de la façon la plus complète possible.

Je crois que la situation que vous avez décrite prévalait dans les universités il y a quelques années. Il existait de nombreux obstacles à ce genre d'échanges et à cette approche d'équipe. Il y a un déblocage de plus en plus grand à ce niveau en raison de la volonté des conseils subventionnaires ainsi que de celle des facultés les plus jeunes où les professeurs veulent travailler ensemble.

Entre les universités, il y a aussi des échanges ou un certain réseautage au niveau des centres de recherche en santé. Il me semble qu'on adopte une approche très différente.

Mme Marlene Jennings: Permettez-moi de vous interrompre. J'essayais de comprendre le rôle du gouvernement en vue de faciliter cette mobilité.

• 1135

Certains peuvent invoquer le fait qu'en raison de décrets provinciaux, les travailleurs de la construction ne peuvent pas franchir une frontière provinciale. Je suis avocate, et le LL.B. que je détiens au Québec n'est pas reconnu dans une autre province. Il faudrait que j'obtienne les qualifications professionnelles nécessaires auprès de l'association du Barreau de l'Ontario ou de la Colombie-Britannique pour pouvoir y pratiquer. Ce sont des barrières qui existent au niveau juridique. Un gouvernement fédéral ou provincial ne peut intervenir ou modifier une loi que lorsqu'une question particulière relève de sa compétence. Il existe des barrières interprovinciales qu'on essaie d'abaisser. Mais nous parlons ici de mobilité entre l'industrie, le gouvernement, l'université et la société. Vous disiez:

[Traduction]

    Jusqu'à présent, les échanges sont possibles grâce à des mesures relativement limitées destinées à favoriser la mobilité entre les secteurs, comme dans le cadre des programmes d'échange étudiants entre l'université et l'industrie [...]

Puis, à la dernière ligne du deuxième paragraphe, vous dites:

    De façon plus générale, pour supprimer le fossé culturel et informationnel entre l'industrie, le gouvernement, l'université et la société en général, il faut repenser globalement les mesures de mobilité [...]

J'aimerais savoir ce que le gouvernement fédéral peut faire pour encourager cela? Si ce n'est pas en adoptant une loi, que pouvons-nous faire?

La présidente: Monsieur Giroux.

M. Robert Giroux: Avant tout, je pense que le gouvernement fédéral doit encourager une plus grande mobilité interdisciplinaire, par le biais de plusieurs mécanismes et l'un des meilleurs, selon moi, est bien sûr celui des budgets accordés aux conseils subventionnaires. Cela a donné naissance, par exemple, aux excellents Instituts canadiens de recherche en santé. De quoi s'agit-il? Eh bien, ces conseils essaient de maximiser ce qui se fait de mieux dans les différentes régions du pays. Si vous conduisez une certaine recherche dans le domaine du cancer, par exemple, vous voulez avoir la certitude que les chercheurs seront tenus au courant de ce qui se passe à l'Université de la Colombie- Britannique, à l'Université Laval, à Dalhousie et qu'ils pourront communiquer entre eux.

Dans le même temps, la recherche sur le cancer ne concerne pas que la maladie elle-même; elle concerne aussi le mode de vie, il faut savoir aussi comment appréhender cette maladie; c'est également une question de croissance et de façon dont on s'alimente—autrement dit de nombreux facteurs de ce genre interviennent également. D'où l'élément d'éthique ainsi que les dimensions sciences sociales et sciences humaines, et ainsi de suite. Il faut élaborer une approche qui permettra l'examen multidisciplinaire de la recherche et de l'activité elle-même. Nous devons encourager cela et les gouvernements peuvent tenir la barre dans ce domaine. Ces précisément le rôle qui incombe aux Instituts canadiens de recherche en santé. Le défi que représente cette mise en place est de taille. En effet, il faut demander aux gens de raisonner différemment, d'aborder les choses différemment, de travailler de façon décloisonnée, c'est-à-dire de façon beaucoup plus horizontale que verticale. Je crois que tout cela est très important.

Certes, les gouvernements peuvent aider. Ils peuvent comme je le disais prendre la barre. Ils peuvent fournir des incitatifs. Mais nous ne nions pas par ailleurs que le milieu, les universités elles-mêmes, les chercheurs, doivent se lancer et pouvoir travailler de cette façon. Ce phénomène est déjà bien enclenché aux États-Unis. Les Instituts canadiens de recherche en santé comptent plusieurs instituts qui ne sont pas simplement axés sur la recherche médicale mais qui vont bien au-delà. Voilà un bon exemple de ce que nous devrions faire ici.

Mme Marlene Jennings: Eh bien, je pense que vous m'avez bien répondu. Les Instituts canadiens de recherche en santé sont effectivement une réponse.

Pensez-vous à d'autres choses que le gouvernement devrait faire et qu'il ne fait pas... Je ne m'intéresse pas à ce que devraient faire les gouvernements provinciaux, parce que nous sommes un comité de la Chambre des communes. Le gouvernement fédéral a considérablement augmenté les fonds qu'il accorde au conseil de financement de la recherche ainsi qu'à la science et à la technologie. J'ai entendu dire que le gouvernement fédéral augmenterait ses paiements de transfert aux provinces pour l'enseignement postsecondaire et qu'il ne limiterait pas son financement de base à quelques applications seulement. Il s'agit bien du financement de base. Je crois également comprendre que l'initiative des Instituts canadiens de recherche en santé sont une excellente idée.

• 1140

Y a-t-il d'autres domaines où, selon vous, le gouvernement fédéral, par le biais d'une décision politique, pourrait changer les choses pour que dans deux, trois ou cinq ans d'ici, on constate des résultats positifs? Si vous ne pensez à rien pour l'instant mais que cela vous vienne plus tard, donnez-nous votre réponse par écrit.

M. Robert Giroux: Il y a bien sûr un autre exemple, celui des centres nationaux des programmes d'excellence. Dans une certaine mesure, on retrouve aussi ce genre d'approche dans les Instituts canadiens de recherche en santé. Et puis, dans le dernier budget, le gouvernement fédéral a augmenté les fonds qu'il destine aux centres nationaux des programmes d'excellence. Voilà un autre très bon exemple de ce qui peut être fait.

Par ailleurs, il y a aussi la question de la mobilité que nous devons améliorer, et pas nécessairement la mobilité intersectorielle. Le budget du CRSH est trop faible pour que nous puissions accorder des bourses aux gens désireux d'étudier en maîtrise ou en doctorat. Plus on expose les étudiants d'université à la recherche et plus on tend vers ce que Mme Lalonde signalait tout à l'heure, plus on peut perfectionner notre capacité de produire des résultats en recherche. Si je me rappelle bien, le CRSH ne peut donner suite qu'à 5 ou 7 p. 100 des demandes de bourse, parce que son budget est restreint.

Nous devons encourager cela. Nous devons pouvoir aider les gens qui veulent étudier en maîtrise ou en doctorat à conduire leur projet de recherche, à fréquenter des chercheurs de haut niveau et ainsi de suite. C'est là une autre dimension de la mobilité. Nous devons encourager les sciences sociales et les sciences humaines à être plus actives et plus présentes au sein de ce milieu, par le biais d'un autre programme qu'administre le CRSH.

Ainsi, quel que soit l'aspect auquel on s'intéresse, tout se ramène à une question de financement et de capacité de faire plus parce que c'est ainsi qu'on parviendra à augmenter les possibilités d'innovation.

Je ne sais si je vous ai donné effectivement d'autres exemples, mais je voulais au moins vous parler de cela.

La présidente: Dernière question.

Mme Marlene Jennings: Vous avez suggéré d'augmenter le financement pour accroître le nombre de bourses accordées et l'on pourrait peut-être ainsi encourager plus de femmes à poursuivre leurs études postsecondaires. Je sais que dans certains domaines, comme dans le droit et d'autres, plus de la moitié des étudiants de premier cycle sont des femmes; mais au niveau de la maîtrise et du doctorat, leur proportion chute considérablement.

M. Robert Giroux: Je vais ajouter quelque chose.

Très bientôt, l'AUCC va produire son rapport intitulé Tendances. On y trouvera un aspect très important, qui touche au financement de base des universités et à la nécessité de fournir des emplois aux étudiants de deuxième et troisième cycle. Nombre d'étudiants de premier cycle aimeraient continuer leurs études, mais nous nous rendons compte que nous ne pouvons pas—et j'espère bien m'exprimer à ce sujet—accueillir autant d'étudiants de troisième cycle que par le passé. C'est un des aspects, également très important, dont Rubina a parlé.

Ainsi donc, il n'y a pas qu'une solution, et il faut envisager la question sous l'angle très large du financement de base.

La présidente: Merci.

Je tiens à vous remercier tous de vous être joints à nous. Nous avons apprécié vos exposés et la discussion qui a suivi. Nous espérons vous rencontrer de nouveau dans l'avenir.

Nous allons ajourner jusqu'à 15 h 30, heure à laquelle nous accueillerons la Banque fédérale du développement. Après cela, nous débattrons de deux motions, puis nous passerons à l'étude de la première partie de notre rapport sur le bogue de l'an 2000, à huis clos.