Passer au contenu
;

INDY Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY

COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 24 mars 1999

• 1531

[Traduction]

La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.

Conformément à un ordre de renvoi de la Chambre en date du mardi 20 octobre 1998, nous étudions le projet de loi C-235, Loi modifiant la Loi sur la concurrence (protection des acquéreurs de produits de fournisseurs intégrés qui leur font concurrence sur le marché de détail).

Nous avons plusieurs choses à notre ordre du jour cet après-midi. De 15 h 30 à 16 h 30, nous entendons M. Dan McTeague et son avocat, M. Michael Kelen. Puis, de 16 h 30 à 17 h 30, environ, nous aurons des représentants du Bureau de la concurrence pour traiter du projet de loi C-235. Puis, à 17 h 30, nous ferons l'étude article par article. Elle est censée durer jusqu'à 19 h 30, mais nous avons déjà vu pas mal des amendements et je ne pense donc pas que cela prendra si longtemps.

M. Jim Jones (Markham, PC): Rappel au Règlement.

La présidente: Monsieur Jones.

M. Jim Jones: Je ne prévois pas d'être ici au-delà de 17 h 30, et je ne serai donc pas en mesure de procéder à l'étude article par article moi-même après 17 h 30. Je laisse aux réformistes et au Bloc le choix de décider ce qu'ils vont faire, mais je n'ai pas l'intention de siéger au-delà de 17 h 30.

La présidente: Monsieur Jones, c'est votre droit.

M. David Chatters (Athabasca, Réf.): Je ne prévois pas d'être ici après 17 h 30.

La présidente: Encore une fois, c'est votre choix. Si nous n'avons pas le quorum, nous devrons nous arrêter. Nous en ferons mention au procès-verbal et nous continuerons demain. Cependant, nous aurons peut-être le quorum. Un autre député viendra peut-être se joindre à nous. Nous avons toujours le NPD aussi.

Cela dit, je vais...

Une voix: Ils ne sont pas encore venus.

La présidente: Ils viendront aujourd'hui.

Je vais donner la parole aux messieurs qui comparaissent. Nous avons M. Dan McTeague et M. Michael Kelen. Je vous invite à faire votre exposé liminaire.

M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Je vous remercie, madame la présidente. Je suis ravi d'être là. C'est un très long processus que ce projet de loi C-235 a suivi. Comme vous le savez, il a été introduit à la Chambre il y a déjà pas mal de temps. Il est bon de le voir au stade du comité.

J'aimerais vous présenter rapidement mon associé, qui me représentera en sa capacité d'avocat. Michael Kelen est un avocat d'Ottawa spécialisé dans les lois fédérales, notamment la Loi sur la concurrence. Il a accepté de me conseiller au sujet de ce projet de loi, en particulier à l'égard des préoccupations soulevées par le ministre de l'Industrie au sujet de certaines de ces parties. Il interviendra après moi.

Madame la présidente, le projet de loi C-235 est le produit d'un examen approfondi de l'industrie pétrolière canadienne, en particulier, et constitue une réaction opportune à l'accroissement de la puissance commerciale acquise ces derniers temps par plusieurs sociétés dominantes. Si le projet de loi C-235 a son origine dans un examen poussé de l'industrie pétrolière, il s'applique néanmoins à toutes les industries. Il vise principalement à améliorer la Loi sur la concurrence sur le plan de la lutte contre la tarification discriminatoire et anticoncurrentielle sur le marché. Il vise par conséquent à éliminer la tarification déloyale dans toute l'économie canadienne. Il le fait en renforçant les dispositions de la Loi sur la concurrence traitant de cette pratique illégale.

Le projet de loi représente le premier constat, de la part de parties intéressées autres que les voix traditionnelles du Bureau de la concurrence et des lobbyistes de l'industrie, de la nécessité de réviser et renforcer notre législation en matière de concurrence face aux bouleversements que connaît le marché.

La sagesse conventionnelle au Canada voulait que l'État ne doit pas s'ingérer dans l'activité économique ou réglementer l'industrie, et de ce fait toute mise en question de notre législation en matière de concurrence était traité comme une hérésie. Toutefois, aujourd'hui, la conviction se répand que le Canada est en retard sur les stratégies sophistiquées et les prouesses réglementaires de notre plus gros partenaire commercial, les États-Unis, en tout cas lorsqu'il s'agit de la finalité même de notre politique en matière de concurrence, à savoir la préservation et le renforcement de la concurrence.

De plus, le fait que notre autorité réglementaire n'ait pas empêché, ni même admis, que des entreprises par ailleurs efficientes ont été poussées à la ruine a contribué à l'éradication d'une vraie concurrence, du choix du consommateur et, en fin de compte, de prix équitables.

• 1535

Au Canada, l'absence d'une législation sur la concurrence efficace a détruit des milliers de petits commerces rien que dans la vente au détail d'essence. Mais les dégâts ne s'arrêtent pas là. Grâce à l'indifférence de l'organe canadien de contrôle de la concurrence, les fournisseurs de services Internet, les entreprises de béton, les agents de voyage, les épiceries—virtuellement quiconque fait obstacle à la volonté des grosses sociétés de dominer le marché—sont actuellement menacés. Pour ces entreprises, le fait que le Bureau de la concurrence ferme les yeux signifie la faillite et, oui, la ruine financière. Pour le consommateur, il en résulte des prix plus élevés et un choix réduit.

Pourquoi en sommes-nous là? Pourquoi la Loi sur la concurrence actuelle et ceux chargés de l'appliquer, le Bureau de la concurrence, ne parviennent-ils jamais à fournir une protection adéquate? L'une des raisons est peut-être celle avancée par mon collègue, le député de Regina-Lumsden-Lake Centre, dans le discours qu'il a prononcé lors du débat en deuxième lecture sur le projet de loi C-235. Il a résumé en quelques mots l'état du droit de la concurrence canadienne. Comparant notre législation à celle des États-Unis, le député a déclaré:

    Il y a, dans la loi, un petit article qui définit ce qui constitue un prix abusif. Aucune des personnes qui ont été inculpées en vertu de cette disposition n'a été déclarée coupable par les tribunaux, car la définition est si étroite et précise qu'elle ne donne aucune marge de manoeuvre pour réunir les éléments de preuve nécessaires.

Le député a poursuivi:

    Comparons notre situation à celle des États-Unis d'Amérique, la société et l'économie la plus capitaliste du monde. Les États-Unis ont des lois volumineuses sur les prix abusifs et les autres atteintes à la concurrence.

Je pense que nous en connaissons tous plusieurs ici.

Notre collègue a décrit la situation de manière très succincte. Le Canada n'assure pas la même protection aux entreprises, à la concurrence et aux consommateurs que le gouvernement fédéral et les États fournissent chez nos voisins du sud.

Je recommande que les membres du comité examinent—et certains d'entre vous le connaissent peut-être déjà—le chapitre 8 du rapport du comité libéral sur les prix de l'essence. J'en fais distribuer une copie à tout le monde. Je dépose une copie de ce rapport dans les deux langues officielles pour la gouverne du comité.

Le chapitre 8 établit une analyse comparative de l'intervention des gouvernements canadiens et américains dans leurs industries pétrolières respectives et de leurs lois en matière de concurrence. Madame la présidente, je souhaite déposer ce rapport.

Ce qui est extrêmement troublant pour moi, c'est que lorsque le Bureau de la concurrence comparaîtra devant ce comité, et je me fonde pour dire cela sur l'opinion qu'il a déjà émise relativement au projet de loi C-235, il émettra probablement l'avis que tout va bien au Canada. Il dira sans doute que la Loi sur la concurrence n'a pas besoin d'être améliorée, que le projet de loi C-235 n'est pas nécessaire et même affirmera qu'il y a déjà des garanties suffisantes dans la loi et qu'il peut faire son travail avec les dispositions actuelles.

Eh bien, cela aura l'air rassurant, mais voyons de plus près la qualité du travail effectué. Si nous jetons un coup d'oeil sur les résultats obtenus par le bureau, nous voyons qu'ils sont loin d'être satisfaisants. Selon la Bibliothèque du Parlement, du 1er janvier 1994 au 10 mars 1999, un total de 462 plaintes ont été déposées auprès du Bureau de la concurrence en vertu des alinéas 50(1)b) et 50(1)c), les dispositions relatives aux prix abusifs. Je laisse au comité le soin de parcourir ces chiffres, et j'aimerais également déposer ces statistiques. Elles pourront intéresser les membres du comité.

On constate que sur les 462 plaintes déposées, un grand total de deux ont abouti à des condamnations en justice. Avec tant de fumée, pourquoi si peu de flammes? Avec seulement deux condamnations sur 462 plaintes, faut-il conclure que les 460 autres étaient frivoles? Sur les deux poursuites qui ont abouti, une intéressait une école de conduite et l'autre une compagnie pharmaceutique, au sujet du médicament Valium.

Étant donné ces résultats extrêmement piètres, on serait tenté de dire que soit le bureau soit la Loi sur la concurrence sont sous Valium lorsqu'il s'agit de protéger les entreprises et les consommateurs canadiens et la véritable concurrence sur le marché.

Comment peut-on sincèrement croire que les grandes compagnies et sociétés multinationales actives au Canada, dont certaines se comportent d'une manière qui serait, dans certains cas, illégale aux États-Unis, sont en réalité empreintes de civisme? N'oubliez pas la législation massive qui existe au sud de la frontière. Comment pouvons-nous croire qu'il n'y a virtuellement pas d'agissements anticoncurrentiels sur le marché canadien?

Voilà l'image que le Bureau de la concurrence semble vouloir nous faire admettre. Voilà l'image que dessinent les taux de condamnation. Cependant, je ne pense pas que ce soit là l'image réelle. Soit ce scénario rose est vrai au Canada, soit le bureau simplement n'a pas les outils nécessaires aux termes de la Loi sur la concurrence actuelle pour mieux protéger et promouvoir la vraie concurrence. Il apparaît que la Loi sur la concurrence est incapable soit d'empêcher les agissements anticoncurrentiels soit de les détecter et encore moins de les poursuivre avec succès.

• 1540

Le Comité spécial sur la tarification de l'essence au Nouveau-Brunswick a su regarder au travers des apparences de la Loi sur la concurrence actuelle et de son fonctionnement. Dans son rapport, ce comité multipartite a recommandé au gouvernement du Nouveau-Brunswick d'exhorter le gouvernement fédéral de revoir et évaluer en profondeur la Loi sur la concurrence pour déterminer si on parvient effectivement à prévenir les prix discriminatoires ou abusifs, lesquels amoindrissent sensiblement la concurrence.

Je pense que c'est réellement une indication du triste état de notre droit fédéral de la concurrence lorsque le comité spécial du Nouveau-Brunswick est allé jusqu'à déclarer—et je cite—que «la Loi sur la concurrence n'a pratiquement pas d'effets, s'agissant de prévenir les prix discriminatoires ou abusifs». Collègues, ce n'est pas là Dan McTeague qui parle; c'est un comité multipartite de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick.

Autant j'aimerais que toutes les entreprises canadiennes jouent sur un terrain de jeu équitable et égal, tel n'est pas le cas. Le projet de loi C-235 constitue donc un pas dans la bonne direction, s'agissant de remédier aux défaillances de la loi. Nous avons vu maintes indications par le passé, tant dans l'industrie pétrolière que dans d'autres, que certaines des pratiques suivies par les fournisseurs intégrés sont irrégulières.

Des représentants des industries pétrolières, des télécommunications et du voyage vous parleront de certains de ces agissements. Cependant, il est d'autres industries qui ne viendront pas se plaindre car certains des petits entrepreneurs et des détaillants indépendants sont terrifiés à l'idée de fâcher leurs gros fournisseurs intégrés. Les détaillants indépendants dans les secteurs de l'épicerie et du bâtiment, pour n'en nommer que deux, tout comme certains détaillants du secteur pétrolier, craignent d'être pénalisés de quelque façon par leurs fournisseurs, de se voir refuser l'approvisionnement.

J'aimerais saisir cette occasion pour vous lire une lettre que m'a fait parvenir un entrepreneur en béton du secteur de la construction. La lettre elle-même n'est pas signée, mais je peux vous assurer que j'ai parlé à cette personne. Je dépose cette lettre auprès du comité:

    Cher monsieur,

    L'article de presse ci-joint a accroché mon regard, et je tiens à vous féliciter de la tentative de porter cette tragédie [...]

Il s'agit de la faillite de Suny, et la lettre n'est pas longue...

    Je travaille en Ontario dans le secteur du béton prémélangé et si une industrie mérite une enquête, c'est bien celle-là. Les quatre grosses compagnies de ciment sont toutes verticalement intégrées et ont maintenant plusieurs coentreprises en cours. Ces compagnies de ciment contrôlent maintenant toute l'industrie du béton prémélangé de la province et virtuellement tous les composants nécessaires à sa fabrication (soit le ciment, les additifs, la plupart des sources d'agrégats). En sus, toutes ces compagnies sont maintenant entièrement contrôlées par des HOLDINGS EUROPÉENS.

    Nous, les producteurs indépendants de béton prémélangé, sommes contraints non seulement de livrer concurrence à ces conglomérats, mais également d'acheter toutes nos matières premières auprès d'eux. Cela donne aux compagnies de ciment l'avantage de CONNAÎTRE NOS COÛTS de production presque au sous près. Étant indépendants et dynamiques, nous parvenons parfois à prévaloir, mais au cours des deux à trois dernières années, les quatre grandes sont devenues encore plus avides et ne cessent de pratiquer des prix que nous sommes loin de pouvoir égaler. Vous parliez de prix abusifs?

    Puisque je n'imagine pas que vous me croirez sur parole, prenez donc le téléphone et appelez n'importe quel producteur indépendant de béton prêt à l'emploi de la province de l'Ontario [...] Nous avons essayé maintes fois d'obtenir que les responsables des enquêtes sur les coalitions fassent quelque chose, ils font un peu semblant de s'agiter, puis tout s'arrête sans que rien ne change. Il nous apparaît que le long bras des GROSSES COMPAGNIES CIMENTIÈRES est prolongé par une main pleine de billets qui plonge profond dans la poche de Queen's Park, et probablement d'Ottawa aussi!!!

    Il est toujours triste de voir un autre petit entrepreneur sombrer, mais que ce soit à cause du scénario de David et Goliath devient beaucoup trop fréquent dans notre province. Dan, si rien n'est fait pour établir un terrain de jeu et de travail égal dans notre industrie, je crains que nombre de mes pairs prendront également sous la contrainte la décision de vendre aux GROS ou seront acculés à la faillite comme les stations-services Suny. Si vous, les députés, tolérez la disparition du producteur de BPM indépendant, songez à ce que sera le prix du béton lorsque nous serons tous morts [...] LES PRIX du béton prémélangé sont PLUS FAIBLES qu'ils ne l'ont été au cours des 25 dernières années, nos prix nominaux sont restés constants au cours des trois dernières années mais le prix du ciment ne cesse de grimper—nous avons déjà été notifiés d'une autre augmentation encore à compter de janvier 1999.

    MONSIEUR MCTEAGUE, au nom de mes collègues et pour notre avenir, je vous exhorte (ou les autorités compétences) à faire enquête sur notre industrie, mais si encore une fois il ne va s'agir que d'une fausse tentative à contre-coeur, ne prenez même pas la peine de commencer. Pour des raisons qui devraient vous être évidentes, je ne peux signer de mon nom, car les répercussions pourraient être fatales pour moi, mais qu'il me suffise de dire que je suis citoyen de l'Ontario et j'aimerais bien qu'elle soit de nouveau «un monde à découvrir» et «un lieu où croître»!!!

• 1545

En ce qui concerne le secteur de l'épicerie—et j'aimerais déposer également ce document, madame la greffière—je vous fournis une lettre de M. Fred Wade, de la Nouvelle-Écosse, et je n'en ferai pas lecture. M. Wade ne mâche pas ses mots en racontant comment son commerce a été détruit. Certains d'entre vous se souviendront qu'il s'agit là de la personne poussée à la faillite par suite des prix abusifs pratiqués dans les provinces Atlantiques par les fournisseurs à intégration verticale d'un grossiste.

Les personnes comme celles dont je parle—et j'aimerais déposer également ce document, désolé—ont toutes raisons de craindre les représailles si elles dénoncent ce qui se passe dans leur profession. Outre les menaces, implicites ou explicites, il existe des raisons de croire que de grosses sociétés à intégration verticale ont effectivement forgé des stratégies de longue haleine et délibérées pour punir ou même éliminer leurs concurrents indépendants.

Je tiens à lire pour le procès-verbal un article qui est paru dans l'édition du 4 mai 1992 du Bloomberg Oil Buyers' Guide. Je dépose également cet article. Selon ce dernier, deux études ont fait apparaître, et je cite:

    Les grandes compagnies pétrolières canadiennes recourent aux guerres de prix, à de nouvelles conditions de crédit et à la fermeture stratégique de stations-services et de raffineries pour évincer les détaillants indépendants du marché dans le centre du Canada.

Dans cet article, l'analyste Robert Robinson de Scotia McLeod écrit en outre:

    «Dans le but de préparer un meilleur environnement en aval à compter de 1993, nous pensons qu'Imperial Oil Ltd. a mis en place en 1992 une stratégie pour discipliner les marchés de détail, les indépendants étant les premiers visés» [...]

M. Robinson ajoute que:

    «[...] Imperial a mis en oeuvre une politique de tarification très agressive qui exerce des pressions intenses sur les marchés de détail et, par voie de conséquence, sur la profitabilité» [...]

Madame la présidente, je suis sûr que les membres du comité conviendront que ces exemples n'illustrent pas une concurrence ouverte, saine et sans entrave. Je vais déposer également ce texte. Au contraire, ces exemples trahissent les agissements délibérés de sociétés verticalement intégrées visant à éradiquer les petits concurrents qui dépendent de leurs produits. On pourrait penser que le Bureau de la concurrence serait très intéressé à faire enquête sur ce genre de comportement dans le marché. Pourtant, on est abasourdi de voir que même dans les cas où, aux yeux d'une personne raisonnable, il y a des preuves suffisantes pour que le bureau fouille plus loin, rien jamais ne se fait.

Comme l'a dit un membre de l'industrie pétrolière, nous avons largement dépassé le stade où il faut donner au bureau l'arme du crime. À son avis—et il est partagé par beaucoup d'autres—le bureau semble se désintéresser de leur cas. En outre, aux yeux de nombreux détaillants indépendants, la loi elle-même est un tigre de papier qui ne leur offre aucune protection réaliste. Malheureusement, du fait de la réticence ou de l'incapacité du bureau à combattre adéquatement les prix abusifs et autres agissements anticoncurrentiels, en raison des lacunes de la loi, les petits entrepreneurs, les détaillants indépendants et les consommateurs de tout le Canada se retrouvent victimes sans posséder de recours.

Quelle sera donc la position des fournisseurs intégrés au sujet du projet de loi C-235? En toute probabilité, chacun de ceux qui vont comparaître devant le comité emboîteront le pas au Bureau de la concurrence pour dire que tout va bien avec la loi actuelle et que le bureau fait un merveilleux travail. Ils se hâteront sans doute d'ajouter que le projet de loi C-235 est tout à fait inutile. Certains diront peut-être même que le projet de loi pourrait nuire sérieusement à la conduite de leurs affaires. Contrairement à ce que d'aucuns semblent croire, le projet de loi C-235 n'est pas—et je souligne pas—révolutionnaire. Il ne va pas empêcher les roues des grandes entreprises de tourner. Le projet de loi C-235 n'a pas pour but de punir les sociétés qui respectent la loi. En substance, il vise à combattre l'agissement anticoncurrentiel que représente la tarification déloyale. Soyons réalistes. Le projet de loi ne fait que clarifier la loi réprimant les prix abusifs.

Avec les amendements au projet de loi C-235 que je propose aujourd'hui, j'aimerais faire part au comité des objectifs de ce texte. Je dépose officiellement ces amendements.

Avec les amendements que je propose, le projet d'alinéa 50.1(2)a) érige en infraction le fait pour un détaillant verticalement intégré de pratiquer un prix de détail inférieur au prix de gros consenti à un acheteur non affilié, c'est-à-dire à la porte de la raffinerie dans le cas de l'industrie pétrolière. Il devient ainsi un acte criminel en soi pour une société pétrolière, par exemple, de pratiquer un prix de détail moindre que le montant facturé à la porte de la raffinerie au détaillant indépendant. Dans le projet de loi initial, l'alinéa 50.1(2)a) exigeait que le tribunal mesure le «rendement raisonnable» et les coûts de mise en marché.

• 1550

J'ai réfléchi rétrospectivement à la crainte du ministre de l'Industrie Manley qu'il s'agirait là d'une forme de réglementation des prix, ce qui, selon les termes du ministre lui-même, ne serait ni pratique ni approprié. J'ai donc introduit un amendement pour lever cette préoccupation. Bien entendu, il serait préférable que les provinces usent de leur compétence en matière de commerce pour établir des marges de profit plus équitables pour les détaillants et donc une plus grande équité dans la tarification, comme le gouvernement du Québec se propose de le faire avec le projet de loi C-50 dans son propre ressort.

L'alinéa 50.1(2)b) du projet de loi reste inchangé et érigerait en acte criminel le fait pour un fournisseur-détaillant à intégration verticale de faire payer à un acheteur indépendant un prix supérieur à celui consenti à un détaillant affilié dans le but de préserver la vraie concurrence au Canada. Le projet de loi C-235 tel qu'amendé érige en infraction simple le fait pour un détaillant verticalement intégré de vendre au détail à un prix inférieur au prix de gros pratiqué par cette même société à l'égard des détaillants indépendants.

Le projet de loi sanctionnerait également le fait de consentir un prix différent à un acheteur affilié et à un acheteur indépendant. Encore une fois, je le souligne, le projet de loi ne fait que clarifier la loi réprimant la tarification déloyale.

La préoccupation du ministre de l'Industrie, qui en est une soulevée également par le Bureau de la concurrence, à savoir que le projet de loi retentirait sur toute l'industrie canadienne, ne tient plus. Elle ne tient plus parce que le projet de loi sera amendé pour supprimer la mention des frais de mise en marché et du rendement raisonnable. Bien entendu, le projet de loi C-235 s'appliquera à toutes les industries. Pourquoi voudrait-on que la Loi sur la concurrence ne sanctionne les prix abusifs que dans une seule industrie? Pourquoi voudrait-on que la Loi sur la concurrence traite à part une industrie donnée, indépendamment du fait que ce serait manifestement anticonstitutionnel? Nous voulons certainement prohiber les prix abusifs dans toutes les industries du Canada. Membres du comité, c'est purement et simplement une affaire de justice fondamentale.

Avec les amendements que je propose, nous érigerons simplement en infraction le fait pour les détaillants à intégration verticale de pratiquer une telle discrimination. Je suppose que le projet de loi pourrait être considéré comme une clarification de la disposition sur les prix discriminatoires, soit l'article 50 de la loi, la disposition qui précède immédiatement celle que le projet de loi C-235 créerait.

La disposition du projet de loi C-235 visant à modifier l'article 78 de la Loi sur la concurrence ne peut pas soulever d'objection. C'est le même texte que le paragraphe 61(1), la disposition sur le «maintien des prix», qui dit que nul ne peut tenter d'influencer à la hausse ou de décourager la baisse de prix ou refuser de fournir un produit à une personne à cause des bas prix qu'elle pratique. Bien que l'article 61 établisse une infraction criminelle, la modification de l'article 78 proposée dans le projet de loi C-235 ne ferait que donner au directeur le pouvoir de renvoyer l'affaire au Tribunal de la concurrence.

J'espère, en passant, que l'article 79 de la loi sera également renforcé dans un avenir proche afin de donner au directeur davantage de moyens d'action contre de tels actes anticoncurrentiels.

Pourquoi donc le projet de loi C-235 suscite-t-il tant d'inquiétude chez certaines grosses sociétés, alors qu'il ne fait rien d'autre que renforcer la loi pour prévenir les agissements illégaux? Pourquoi y aurait-il lieu de s'inquiéter à l'idée que la Loi sur la concurrence contienne de meilleurs outils pour préserver la concurrence?

Je pense qu'avant les amendements que je propose aujourd'hui, certaines préoccupations au sujet du projet de loi étaient légitimes. Mais ces préoccupations sont levées par la suppression des éléments contestables, tels les frais de mise en marché et le rendement raisonnable. Ces préoccupations n'ont maintenant plus de raison d'être.

Je suis personnellement attristé par la somme d'efforts que certaines compagnies ont déployé pour discréditer les objectifs du projet de loi C-235. Je suis également attristé d'avoir à me battre contre le Bureau de la concurrence à chaque étape de ce projet de loi. Je pense que nous aurions pu faire meilleur usage de nos ressources et de notre temps, afin d'utiliser le projet de loi C-235 comme précurseur de modifications plus profondes de la Loi sur la concurrence.

J'ai remarqué que le Conseil canadien des chefs d'entreprise doit comparaître devant le comité le mois prochain. Je sais que beaucoup de membres y verront une bonne occasion de demander au CCCE son opinion sur le projet de loi C-235. Moi-même je suis impatient de la connaître. Toutefois, je suis préoccupé par l'influence, que d'aucuns dénoncent, que le CCCE est censé avoir exercé sur la rédaction de la Loi sur la concurrence par le biais de l'ancien gouvernement conservateur.

Dans son livre intitulé Titans, l'éminent auteur canadien Peter C. Newman affirme que le CCCE a joué un rôle très direct dans la rédaction de la Loi sur la concurrence. Cette révélation a suscité quelque émoi sachant que la loi est censée avoir pour raison d'être la protection de la concurrence, des consommateurs et des entreprises de toute taille. Si la loi a été conçue pour établir les règles de la concurrence, il faut espérer que les entreprises ne sont pas seules à dicter toutes les règles.

Nous devrions pouvoir nous entendre sur le fait que les intérêts personnels de certains intervenants ne doivent pas dicter le contenu de nos lois, qui sont censées protéger chaque entreprise et chaque consommateur canadien. Si un groupe devait être capable d'influer sur le droit canadien en matière de concurrence, ce serait une situation intenable. Ces lois deviendraient suspectes, sans effet et vouées à l'échec.

• 1555

En conclusion, madame la présidente, j'espère que le projet de loi C-235 pourra apporter la protection que la Loi sur la concurrence actuelle n'offre pas. Je demande l'aide du comité, pendant qu'il est saisi du projet de loi, pour faire en sorte que tel soit bien le cas. Je m'arrêterai là, et j'attends avec impatience les délibérations du comité sur ce projet de loi.

Avec votre permission, madame la présidente, j'aimerais céder la parole à M. Kelen pour quelques courtes remarques, ensuite de quoi nous serons prêts à répondre à vos questions.

La présidente: Monsieur Kelen.

M. Michael Kelen (témoignage à titre personnel): Merci, madame la présidente et honorables membres du Comité de l'industrie. En tant qu'avocat d'Ottawa spécialisé dans les lois fédérales depuis 25 ans, c'est pour moi un plaisir de conseiller M. McTeague sur les aspects juridiques de son projet de loi. Je reconnais que le droit en matière de concurrence est très aride et très technique et que la pratique de prix abusifs est une infraction très spécialisée.

Je ne pense pas qu'il faille passer trop de temps à expliquer la tarification abusive, car le Parlement a déjà inscrit dans la Loi sur la concurrence un article qui en fait un acte criminel. Le problème est que M. McTeague, qui a mené une excellente enquête sur la tarification déloyale de l'essence et présidé un comité du caucus libéral de 47 députés, ayant siégé à travers tout le Canada, a découvert maintes victimes de ce que l'on ne peut que qualifier de prix abusifs. Ces gens sont les victimes des prix fixés par les quatre grandes sociétés pétrolières qui forment au Canada un oligopole. La pratique de ces quatre sociétés est que l'une d'elles établit chaque jour un prix, que les autres suivent en l'espace de quelques minutes.

Le projet de loi C-235 cherche donc—et je pense qu'il y parvient—à remédier à une faille de la loi actuelle en matière de prix abusifs. Le but de ce projet de loi est donc très important. Il comble une grosse lacune de la Loi sur la concurrence et, ainsi, aidera les petites entreprises, contribuera à la création d'emplois et aidera les consommateurs. Cela dit, lorsque M. McTeague m'a contacté, j'ai recommandé plusieurs suppressions notables pour répondre aux préoccupations légitimes exprimées par le ministre de l'Industrie. M. McTeague en a déjà fait état.

J'ai préparé un texte que je ne lirai pas intégralement. Je pense que la greffière l'a distribué. À ce texte, j'ai joint un article du magazine The Economist. Cet article traite de la législation antitrust et est intitulé «Faire confiance au code antitrust». Il explique l'importance des lois antitrust du Canada et du monde pour le bon fonctionnement de l'économie de marché.

La Loi sur la concurrence actuelle, à l'alinéa 50(1)c) fait de la pratique de prix abusifs un acte criminel. Cependant, cette disposition est virtuellement inapplicable car il faut prouver que la vente de produits à des prix déraisonnablement bas a pour objectif d'éliminer un concurrent. Le projet de loi C-235 introduit un nouvel article, le projet d'article 50.1, qui donne une définition plus claire des prix abusifs. De cette manière, le projet de loi rectifie la faille de la loi actuelle.

Passant au deuxième paragraphe de la page 2, il ne faut pas oublier que ce projet de loi vient d'être réintroduit après que 47 députés libéraux aient conduit de nombreuses audiences à travers le Canada sur la tarification déloyale de l'essence. Le projet de loi a son origine dans l'important problème, universellement admis, des prix de l'essence.

• 1600

Comme M. Roy Cullen l'a dit à la Chambre des communes le 25 mai 1998, parlant du projet de loi, et la citation se trouve à la page 2 de mon texte:

    Le problème est que le marché de gros est un marché très homogène. Il est contrôlé par trois ou quatre grandes sociétés: Petro-Canada, Shell, Esso et Ultramar. Il n'y a réellement qu'un seul prix de gros qui est déterminé par ce que l'on appelle le «prix à la rampe».

    Il n'y a réellement guère de choix, si bien qu'il est impératif que les indépendants bénéficient du même prix que les détaillants des grandes marques.

Ce problème dans le commerce de l'essence existe également dans d'autres industries. On vous a parlé de l'industrie du ciment et du secteur de l'épicerie. C'est un problème dans tous les secteurs où il existe des oligopoles—c'est-à-dire un petit nombre de grandes sociétés contrôlant le marché—et où il y a intégration verticale. Ces sociétés utilisent leur pouvoir oligopolistique pour pratiquer des prix d'éviction. Cependant, cet agissement, tel qu'il est défini dans la Loi sur la concurrence actuelle, est virtuellement impossible à sanctionner, à moins que le Bureau de la concurrence ne tombe sur l'arme du crime, tel qu'une note rédigée par une grande société disant qu'elle vend à perte dans le but d'évincer un certain concurrent du marché. Si vous n'avez pas cette preuve irréfutable, vous ne pouvez obtenir de condamnation et on ne laisse pas traîner ces armes du crime là où le Bureau de la concurrence peut les trouver.

Le magazine The Economist écrit dans l'éditorial que j'ai mentionné, sous le titre «Faire confiance au code antitrust»:

    Une politique de concurrence vigoureuse est vitale pour une économie de marché [...] L'application stricte est vitale à la réussite d'une économie de marché.

Lorsque les sociétés deviennent trop grosses, les plus petites ne peuvent plus soutenir la concurrence, surtout si elles dépendent des grosses pour leur approvisionnement. Sans les forces concurrentielles, les consommateurs payent plus qu'ils ne le devraient.

Dans le même éditorial, The Economist fait une remarque intéressante concernant les prix déloyaux. Il écrit:

    Des politiques apparemment favorables au consommateur, tel que distribuer un produit pour rien, peuvent en fait inhiber la concurrence.

C'est exactement la raison pour laquelle le projet de loi C-235 est présenté. Des prix déraisonnablement bas, qui peuvent paraître favorables au consommateur, en fait nuisent à la concurrence, si bien qu'à moyen terme les consommateurs paieront plus qu'ils ne le devraient.

Il se trouve que je suis l'avocat de l'Association des consommateurs du Canada dans sa lutte contre les fusions des grandes chaînes de supermarchés alimentaires. Je ne la représente pas pour d'autres fins, mais elle m'a engagé à cet effet. Je sais que l'Association des consommateurs est opposée à des prix déraisonnablement bas, car elle sait que les consommateurs finissent inévitablement par payer plus cher à cause de cette pratique.

Le projet de loi C-235 réprime deux types de tarification. La première intéresse le commerce de détail. Je ne veux pas porter d'accusation contre une compagnie en particulier, mais aux fins d'illustration, prenons Esso. Si Esso, qui est l'une des quatre sociétés exploitant de grosses raffineries, vend son essence aux détaillants indépendants et la vend elle-même au détail, ce projet de loi interdirait à Esso de pratiquer un prix de détail moindre que le prix de gros qu'elle exige du détaillant indépendant. Vous pourriez vous dire: c'est évident, elle ne ferait jamais cela. Mais au fond de la salle se trouvent de nombreux détaillants indépendants d'essence, qui comparaîtront, et qui vous diront que c'est exactement ce que font les grandes sociétés pétrolières et que c'est précisément cela qui les a, dans certains cas, mené à la ruine.

Donc, premièrement, le projet de loi C-235 rend illégal pour un fournisseur verticalement intégré de vendre au détail à un prix inférieur au prix de gros consenti à un concurrent indépendant. Voilà pour le prix de détail comparé au prix de gros.

• 1605

Lorsqu'un fournisseur verticalement intégré—choisissons cette fois une autre société, telle que Petro-Canada—fait payer un prix de gros plus élevé à un détaillant indépendant qu'à une station-service affiliée, la station-service indépendante ne peut concurrencer les stations Petro-Canada parce qu'elles payent plus cher. Vous me direz que c'est déjà contraire à l'article de la Loi sur la concurrence relatif aux prix discriminatoires, mais c'est là une disposition pénale et il faut avoir une intention criminelle. L'article est virtuellement inapplicable.

Dans trop d'affaires le Bureau de la concurrence a été qualifié de tigre de papier, et c'est parce que le fardeau de la preuve exigé pour obtenir des condamnations relativement à des délits tels que les prix abusifs et discriminatoires est simplement trop lourd. Le projet de loi C-235 rend les choses beaucoup plus simples, plus propres.

Je passe au haut de la page 5.

Les grandes sociétés vont évidemment s'opposer au projet de loi. Les grandes sociétés aiment être grosses. Elles aiment dominer et elles aiment mener la vie dure aux petits concurrents. Elles aiment contrôler le marché. Elles aiment contrôler les prix. Aussi, plus les grosses sociétés vont s'opposer à ce projet de loi, et plus il sera évident aux yeux de son auteur qu'il est fondé.

Le ministre de l'Industrie, l'honorable John Manley, a élevé deux objections contre le projet de loi, tout en faisant savoir à M. McTeague qu'il est en faveur du but poursuivi, à savoir un terrain de jeu égal pour les détaillants indépendants d'essence. La première objection était qu'en prescrivant des critères tels que le rendement raisonnable, le projet de loi établit une forme de réglementation des prix. C'était le projet d'alinéa 50.1(2)a) du projet de loi initial. Les amendements que M. McTeague vient de déposer proposent la suppression de toute mention d'un calcul des frais de mise en marché au détail et du rendement raisonnable sur la vente au détail, si bien que toute la partie contestable a été enlevée.

Ainsi, pour déterminer si la tarification est contraire aux règles proposées par le projet de loi C-235, le tribunal n'aura pas à se pencher sur le profit ou les frais de mise en marché. Il lui suffira tout simplement de comparer les prix du marché.

Avec ces amendements, le projet de loi est plus simple et plus net.

Le fait que le projet de loi s'applique au marché d'ensemble est une très bonne chose. Même s'il a été motivé par la tarification déloyale de l'essence, le même problème se pose dans le commerce alimentaire et plusieurs autres industries. Il n'y a pas de mal à ce que cette loi s'applique de manière générale au Canada. D'aucuns se sont inquiétés que ce projet de loi, qui émane des problèmes dans le secteur de l'essence, soit rendu applicable à toutes les industries. Mais ce projet de loi devient encore plus important dès lors qu'il s'applique partout où il y a des oligopoles de sociétés intégrées verticalement tenant à leur merci des compagnies indépendantes. Il comble une faille du droit canadien. Le Parlement a déjà décidé que la tarification abusive représente un acte criminel. Malheureusement, la loi telle qu'elle existe est inapplicable. Le projet de loi C-235 rectifie une faille dans cette loi, de telle façon que la tarification abusive puisse être légalement sanctionnée.

J'ai joint à mon texte ce que j'espère être une illustration simple des deux types de tarification abusive que le projet de loi C-235 rendrait illégale.

Je conclurai simplement mon propos en attirant votre attention sur un autre paragraphe que M. McTeague a supprimé avec ses amendements. Il s'agit du paragraphe 50.1(3) du projet de loi, intitulé «Le fournisseur n'est pas tenu de couper sa marge de rendement». Cela lève donc la dernière préoccupation. Je pense que le projet de loi tel qu'il est maintenant soumis au comité répond à nombre des reproches qui lui étaient adressés.

• 1610

Je vous remercie.

La présidente: Merci beaucoup pour ces remarques liminaires.

Il semble que nous ayons déjà des problèmes de temps. Je dois rappeler aux membres du comité que nous avons des tours de questions et réponses de cinq minutes et je précise également à l'intention des témoins que nous devons essayer d'être aussi succincts que possible.

Plusieurs membres ont indiqué qu'ils peuvent rester au-delà de 17 h 30. Je vous serais reconnaissante de ne pas perdre cela de vue, afin de faciliter les choses aux témoins.

Nous allons commencer avec M. Chatters. Avez-vous des questions, M. Chatters?

M. David Chatters: Oui. Merci, madame la présidente.

J'ai des préoccupations très réelles à l'égard de tout ce processus qui se déroule ici. Moi-même et mon parti avons appuyé le renvoi de ce projet de loi en comité, afin de pouvoir entendre des témoins experts et débattre de la question.

Tout ce processus a démarré suite à une enquête visant à déceler une collusion et fixation des prix dans l'industrie de l'essence, il y a quelques étés de cela, à Toronto. Lorsque rien de tel n'a pu être établi, le projet de loi C-235 a été déposé. Maintenant, avec ces amendements, vous avez fondamentalement modifié tout le sens du projet de loi. Les amendements, une fois inscrits dans le projet, font que ce dernier n'est plus une tentative de réglementer les prix, ce que vous-même avez reconnu être inopportun et que je considère être anticonstitutionnel, du fait que vous empiétez sur la compétence provinciale en le faisant. Et maintenant, avec ces amendements, vous semblez vouloir transformer ce que l'on appelle des pratiques contestables dans la Loi sur la concurrence en infractions criminelles avec cette nouvelle loi.

J'estime, tout d'abord, que ces amendements sont irrecevables, en ce sens qu'ils modifient tout l'esprit du projet de loi. Cela ne me paraît pas acceptable. Et ne connaissant, certes, que le secteur de l'essence et mal les nombreux autres secteurs qui sont directement touchés par ce projet de loi, je ne peux accepter certains postulats que vous formulez, à savoir qu'il n'y pas une concurrence vigoureuse dans la vente au détail de l'essence et qu'il faudrait agir pour remédier à ce problème que vous percevez.

Je considère au contraire qu'il y a une concurrence très rude sur le marché de détail de l'essence. Et bien que cette concurrence puisse nuire à une certaine catégorie de détaillants, à savoir la station-service indépendante familiale au coin de la rue, ces détaillants indépendants sont remplacés par une nouvelle catégorie de concurrents, à savoir les grandes chaînes de supermarchés qui se livrent une concurrence féroce en vendant l'essence pour moins cher que leur prix de gros, afin d'attirer la clientèle.

Je pense donc que la concurrence existe, qu'elle est saine et vigoureuse. Je m'en tiendrai là pour l'instant.

M. Dan McTeague: Merci, monsieur Chatters. Je ne peux vous remercier assez de ces questions, car je sais qu'elles ont été soulevées à la Chambre des communes et je n'ai pas eu l'occasion de les réfuter.

Permettez-moi de préciser très clairement à ce comité que je n'ai jamais dit ou cru à une collusion ou fixation des prix. D'ailleurs, le précurseur du projet de loi C-235 avait été introduit lors de la dernière législature. Je ne me souviens plus du numéro de ce projet de loi, mais dans les derniers jours de la législature, et bien avant que le comité libéral sur la tarification de l'essence ait été formé pour faire enquête sur les problèmes, suite à la frustration du public, on n'a cessé de nous dire que ce devait être une affaire de fixation de prix ou de collusion. Mon collègue Mac Harb est passé par la routine du sixième homme.

Je devrais sans doute apporter à la prochaine réunion la copie d'une lettre à la rédaction que j'ai envoyée à de nombreux journaux et qui a été publiée et où j'écrivais «que l'on cherche dans des tas de mauvais endroits l'origine du problème de la cherté de l'essence». La raison pour laquelle j'ai dit cela est qu'il semble y avoir un malentendu que je veux lever tout de suite. Je n'ai jamais considéré que la fixation des pris et la collusion sont le problème. De fait, c'est dû au fait que tant de gens, dont le Bureau de la concurrence, donnaient l'impression que la fixation des prix et la collusion étaient ce qu'il fallait dépister. C'était exploiter la croyance du public que, face à une majoration uniforme des prix, il devait exister une espèce de conspiration entre les petites stations-services à la papa-maman dans tout le pays.

• 1615

Ce qui s'est passé, monsieur Chatters, est que nettement plus de la moitié des détaillants d'essence du pays, dont la plupart étaient des indépendants, ont disparu, parce que leur compétitivité était déterminée par la marge bénéficiaire qui leur était laissée.

Ce qu'a fait le comité libéral sur la tarification de l'essence a été, à toutes fins pratiques, de tirer un trait sur la vieille antienne de la collusion et de la fixation des prix et de confronter la véritable question, celle de savoir si les lois actuelles en matière d'abus de position dominante et de tarification déloyale suffisent à protéger les détaillants et à leur permettre de livrer concurrence sur un pied d'égalité.

Je crois que vous êtes député soit de l'Alberta soit de la Colombie-Britannique. Si vous regardez chez nos voisins du Sud, vous verrez que les États-Unis ont quantité de lois, pas seulement au niveau national, au niveau fédéral, mais également au niveau des États, qui interdisent la vente à perte. On y établit une cloison pare-feu entre le grossiste et le détaillant précisément parce que, comme vous l'avez décrit, cette concurrence féroce que voit le consommateur et que l'on a tant vantée, engendre en fait des effets dévastateurs.

À court terme, comme nous l'avons vu dans la région Atlantique, les prix dans des provinces comme Terre-Neuve et le Nouveau-Brunswick, il y a trois, quatre, cinq ans, étaient ridiculement bas et souvent inférieurs aux prix de gros. Une fois que les prédateurs ont abouti à leurs fins, étant donné que la Loi sur la concurrence et le Bureau de la concurrence leur laissent le champ libre, ils ont pu éliminer les petits détaillants retors qui étaient adaptables à l'extrême et pouvaient s'en tirer avec une marge de peut-être deux cents le litre, alors que les gros fournisseurs intégrés avaient besoin de beaucoup plus.

Vous avez maintenant une situation et un scénario où, dans l'est du Canada, et depuis ce matin, ai-je appris, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, le prix de l'essence vient d'augmenter de huit cents le litre.

Ce que je veux faire ressortir, c'est qu'il faut oublier la fixation des prix et la collusion. Ce n'est certainement pas l'intention du projet de loi, ni celle du comité, pas plus que ce n'était l'intention du projet de loi avant que le comité en soit saisi. Nous avons probablement un problème au niveau de notre définition de la concurrence.

La présidente: Je vais vous demander de conclure sur cette question.

M. Dan McTeague: A-t-il une autre question?

La présidente: Il n'en a plus le temps. Cinq minutes, c'est cinq minutes.

M. Dan McTeague: J'espère que cela répond en partie à votre question, monsieur Chatters.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Chatters et monsieur McTeague.

Monsieur Shepherd.

M. Alex Shepherd (Durham, Lib.): Merci.

Je suppose devoir déclarer tout d'abord un conflit d'intérêt, puisque j'ai siégé à ce même comité dont parlait M. McTeague.

Une voix: Au suivant.

M. Alex Shepherd: Il est une chose, monsieur Kelen, que vous pourriez m'expliquer. Étant donné la façon dont vous parlez de modifier la Loi sur la concurrence, j'aimerais savoir si on tient compte du volume? En d'autres termes, je vends à cette station-service parce qu'elle ne consomme que 500 000 litres par an, mais je vends à la mienne parce qu'elle vend 100 000 litres par an, et je veux vendre le plus gros volume à un prix inférieur. Est-ce que cet aspect est pris en compte?

M. Michael Kelen: C'est une très bonne question.

La Loi sur la concurrence, s'agissant des prix discriminatoires, précise bien que pour déterminer si un prix est déloyal, il faut comparer les prix pour un volume égal et une même qualité de produit. Cela va donc s'appliquer aussi au nouvel article 50.1. Mais lorsque vous prenez une station-service indépendante qui achète un camion d'essence ou deux—comment les appelez-vous, des chargements...

M. Dan McTeague: Des citernes.

M. Michael Kelen: Des citernes. Combien de citernes achète-t-il?

M. Dan McTeague: Eh bien, un camion-citerne avec remorque, ou quelque chose du genre. Il s'approvisionne chez le grossiste ou un revendeur.

M. Michael Kelen: La marchandise est toujours vendue selon la même quantité, par citerne, si bien que le problème ne se pose pas. Ce n'est pas comme dans le cas de Loblaws qui achète 100 000 boîtes de céréales de petit déjeuner, comparé à un petit épicier qui en achète 1 000 boîtes. De toute évidence, Loblaws va bénéficier d'un escompte de volume. Ce n'est pas le cas avec l'essence.

M. Alex Shepherd: Pourtant, votre loi s'appliquerait également aux chaînes de supermarchés.

M. Michael Kelen: Oui, effectivement. Et le volume devrait être pris en compte. Vous avez raison.

M. Alex Shepherd: Mais le problème est réglé, puisque c'est déjà prévu dans la Loi sur la concurrence actuelle. On compare les pommes aux pommes, et pas les pommes aux oranges.

• 1620

M. Michael Kelen: C'est juste.

M. Alex Shepherd: Il faut prendre en considération le facteur volume.

Pourquoi avez-vous choisi d'en faire une infraction au Code criminel au lieu d'une infraction civile?

M. Michael Kelen: Parce que c'est également prévu aux articles 78 et 79 de la Loi sur la concurrence, sur les recours civils. Mais les prix déloyaux sont couverts dans l'article établissant une infraction criminelle et dans celui créant l'infraction civile. Cette modification concerne l'article pénal et vise à rendre cette disposition efficace. La disposition civile n'a pas eu d'effet. C'est un sujet dont nous pourrions traiter un autre jour. Pourquoi les articles 78 et 79, qui sont les recours civils, ne fonctionnent-ils pas? Ils ne fonctionnent pas. Mais nous nous limitons à l'article 50, celui qui traite des prix discriminatoires, et qui figurent, il se trouve, dans la partie pénale de la loi.

M. Alex Shepherd: Ma question suivante est d'ordre plus général. Elle est plutôt élémentaire. S'il existe vraiment des oligopoles, comment se fait-il qu'il y ait aussi des indépendants?

M. Dan McTeague: Alex, l'une des choses que nous avons découvertes en rapport avec la question des oligopoles est que nous savons tous qu'il y a un prix à la rampe dans le cas de l'essence. Ce prix est bien connu. Il est très rarement... D'autres qui connaissent mieux cette industrie que moi vous parleront de cet aspect. Le prix de gros, indépendamment du volume, est toujours le même, et il est aussi appelé prix à la rampe. Peu importe son montant. Il y a très peu de différence entre les régions du pays. Les indépendants n'ont pas réellement de choix, à moins d'importer des bateaux-citernes de type Exxon Valdez au Canada, ce qui coûte des millions de dollars et ce qu'ils ne peuvent se permettre. Le seul prix avec lequel ils puissent se battre et la seule marge bénéficiaire sur laquelle ils puissent se battre, c'est le prix de gros qui leur est consenti par les quatre grandes compagnies, qui contrôlent en fait le pays.

M. Alex Shepherd: Mais si ce sont réellement des oligopoles, pourquoi n'ont-elles pas déjà été acculées à la faillite de toute façon?

M. Dan McTeague: C'est une bonne question. Les barrières à l'entrée dans ce secteur sont si élevées que nul n'a jamais osé se mettre sur les rangs, à l'exception d'ARCO, parce que cette compagnie a une raffinerie toute proche, à Seattle. Mais dans tout le reste du Canada, il n'est question que de fermetures de raffineries, de fermeture de l'accès à l'approvisionnement et d'un contrôle à 100 p. 100 de la distribution, et par conséquent de mécanismes de tarification.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Shepherd.

[Français]

Monsieur Dubé, s'il vous plaît.

M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Il y aura peut-être également Mme Lalonde qui voudra intervenir.

Je regrette un peu que les documents de ce matin soient surtout en anglais.

M. Dan McTeague: Je m'excuse, mais je n'ai pas eu assez de temps pour terminer. Je n'ai pas pu obtenir les traductions à temps. Je n'ai pas le pouvoir d'un comité.

M. Antoine Dubé: Je veux parler de la question du prix. Le sujet dont tout le monde se préoccupe actuellement est celui du prix de l'essence. En étudiant ce projet de loi, il faut aussi prendre en considération d'autres secteurs, parce que nulle part ici on ne mentionne l'essence. Ce sont donc des règles pour tous les secteurs.

Il n'y a pas seulement au niveau de l'essence qu'il y a de l'intégration. On peut retrouver cela dans le monde agricole. On retrouve l'intégration également dans d'autres secteurs.

Je regarde votre amendement. Le prix ne peut pas être supérieur au prix de détail exigé par le fournisseur intégré verticalement dans le même secteur de marché. Il me semble que c'est variable d'une compagnie à l'autre. On parle de quatre grandes compagnies. Comment faites-vous pour dire que c'est le même prix? Vous disiez tout à l'heure que le prix du gros était le même. Chaque grande entreprise n'a pas nécessairement les mêmes coûts de production. Expliquez-moi cela, car j'ai de la difficulté à comprendre.

M. Dan McTeague: Dans les travaux de notre comité, nous avons constaté que dans le cas des compagnies pétrolières—mais on le constate aussi dans le cas des fusions qui se font dans le domaine des supermarchés—, le prix du gros et le prix brut ne varient pas d'une région à l'autre. C'est rare qu'il y a une concurrence. C'est toujours le même prix.

Il faut bien constater qu'il y a une dizaine d'années, il y avait eu beaucoup de concurrence au Québec, en Ontario et dans les provinces de l'est du Canada. Il y avait une dizaine de fournisseurs qui faisaient concurrence aux marchands. De temps à autre, il y avait un surplus et ils le vendaient.

• 1625

Nous constatons que, depuis une dizaine d'années, il existe un minimum, ou un plancher, qui varie rarement. Nous voyons par exemple qu'à Ottawa et à Toronto, les prix montent et descendent en même temps.

Justement, M. Chatters a demandé pourquoi, s'il y a concurrence, les prix montent et descendent de cette façon. La réaction des personnes est souvent de croire à la collusion, à une convention sur les prix. Ce n'est pas le cas. Il faut voir qu'entre les quatre, il n'y a pas de concurrence. On n'a jamais démontré qu'Imperial Oil, Petro-Canada, Sunoco et les autres se faisaient concurrence au niveau du brut. Il y aura cependant des experts qui vous préciseront ces deux aspects de la question.

M. Antoine Dubé: C'est pour l'essence. Pour les autres catégories, comment le gouvernement pourrait-il observer ce que vous observez dans le commerce de l'essence?

M. Dan McTeague: Je dois admettre, comme d'autres députés l'ont fait, qu'au Canada, nous entrons dans une ère de fusions entre plusieurs compagnies, dans plusieurs secteurs de notre économie, comme le gaz propane ou même les épiceries. Par exemple, nous voyons partout des ententes se conclure dans le domaine des télécommunications. Nous sommes arrivés à un carrefour où nous devons prendre conscience que la dynamique de notre économie a bien changé et que nos outils, notamment la Loi sur la concurrence, ne protègent pas bien les consommateurs et les petites ou moyennes entreprises.

La présidente: Merci, monsieur Dubé.

Madame Jennings.

Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci, monsieur McTeague et monsieur Kelen.

J'ai une question pour vous, monsieur Kelen, et une autre pour M. McTeague. Je vais commencer par vous, monsieur Kelen.

Un article de l'hebdomadaire The Economist—je ne parle pas de votre mémoire—dit qu'aux États-Unis, la théorie de l'école de Chicago est en perte de vitesse aujourd'hui, qu'elle est discréditée et qu'une autre théorie se dégage, celle du predatory pricing. On y dit aussi qu'aujourd'hui, avec la technologie, certains logiciels d'ordinateur sont capables de traiter des millions et des millions de données très rapidement et que les fonctionnaires américains sont en mesure de constater que, même lorsqu'on ne vise pas l'élimination de la concurrence, certaines pratiques peuvent avoir cet effet.

Est-ce qu'au Canada, nos agents du Bureau de la concurrence utilisent le même genre de logiciels? Ils ont donné l'exemple, aux États-Unis, des scanners at the cash.

[Traduction]

Une voix: Les codes à barre.

Mme Marlene Jennings: Oui, les codes à barre. Utilisons-nous les mêmes technologies? Je crois savoir que chez nous il faut prouver l'intention, et ce au-delà de tout doute raisonnable car ce sont les normes de preuves pénales qui s'appliquent. Mais utilisons-nous les mêmes technologies?

M. Michael Kelen: Je vous remercie de cette question et elle montre que vous comprenez vite et avez digéré l'article de l'cEonomist, car il est complexe. Mais c'est un excellent résumé en trois pages d'une évolution de la pensée. Je vais donc répondre à votre question en commençant par le début.

Vous avez parlé de ce que l'on appelle la pensée économique de l'école de Chicago, qui consiste à laisser faire le marché car le marché se débrouillera tout seul avec ces fusions. Mais on s'est aperçu qu'avec ces fusions, au fur et à mesure que les sociétés deviennent de plus en plus grosses, elles avalent les concurrents, si bien que l'on se retrouve avec un petit nombre de grosses sociétés qui contrôlent le marché, à tel point que les concurrents potentiels n'ont plus les moyens de couvrir les «coûts engloutis», comme on les appelle, qu'il faut engager pour devenir compétitifs par rapport aux grosses sociétés.

Donc, pour préserver le libre marché, pour que le marché fonctionne comme il le devrait, les autorités réglementaires, les pourfendeurs de trust, ont à jouer un rôle plus important aujourd'hui que jamais au cours des années 80.

• 1630

Le mode de pensée actuel consiste à faire confiance aux organes antitrust. C'est ce que dit The Economist: faisons confiance à notre Bureau de la concurrence pour bloquer les fusions, parce que si nous n'empêchons pas les gros de devenir plus gros, les nouveaux entrants potentiels n'ont plus les moyens de fournir l'investissement nécessaire pour devenir compétitifs. Lorsqu'un petit nombre de grosses sociétés contrôlent le marché, elles agissent comme le font les compagnies pétrolières au Canada; sans enfreindre la Loi sur la concurrence, elles agissent à l'unisson. Elles appellent cela le parallélisme conscient. L'une suit l'autre sans que quiconque ne prenne le téléphone pour prévenir les autres qu'elles vont augmenter le prix de l'essence de deux cents aujourd'hui, ou le prix des produits alimentaires. C'est pourquoi l'Association des consommateurs s'oppose aux fusions entre les grands supermarchés alimentaires.

Cela dit, cet article sur les capacités informatiques d'analyser les millions de données provenant des lecteurs optiques, par exemple aux caisses des magasins d'alimentation... Cela est en rapport non avec les prix déloyaux mais avec la question de savoir si une fusion va amoindrir la concurrence. Et oui, je crois que notre Bureau de la concurrence emploie ces moyens, mais peut-être pas aussi largement que les États-Unis. Il y a eu une affaire très intéressante...

Une voix: Il y a une règle de cinq minutes, je le signale.

M. Michael Kelen: Je m'en tiendrai là. Merci de vos questions.

Mme Marlene Jennings: Merci.

J'ai une question pour vous, Dan. Félicitations pour ce projet de loi.

Je serais très brève, madame la présidente.

Vous alléguez dans votre mémoire que des pratiques de tarification ont cours actuellement au Canada qui sont illégales aux États-Unis. Pourriez-vous me donner un exemple concret? Je ne sais pas, prenons l'industrie pétrolière ou celle du gaz. Donnez-moi un exemple.

M. Dan McTeague: Certainement. Plusieurs États américains... Au fait, merci beaucoup, c'était un bel enchaînement.

La vente à perte est interdite. Si cela ne suffit pas, si une société parvient à contourner les lois Clayton et Robinson-Patman, toutes ces lois fédérales, et le ministère de la Justice... D'ailleurs, vous voyez l'influence du ministère de la Justice dans l'affaire Microsoft et d'autres. Ensuite, il y a les lois des États qui, bien sûr, ne permettent à aucun intervenant particulier de dominer, ni au niveau de gros ni au niveau de détail... avec parfois des plafonds de 10, 15, 20 p. 100 selon l'État. Les Américains adhèrent jalousement à la notion que la concurrence doit être préservée avec vigilance, et ne se laisse pas leurrer par les prétextes de la concurrence internationale pour éliminer les petites entreprises. Ils ont conscience que la concurrence est un élément très important et que le gouvernement doit intervenir pour empêcher le marché de se dévorer lui-même.

La présidente: Merci beaucoup, madame Jennings.

Monsieur Solomon, je vous prie.

M. John Solomon (Regina—Lumsden—Lake Centre, NPD): Merci, madame la présidente. J'aimerais juste faire quelques remarques et aborder quelques questions, si je puis.

En ce qui concerne le livre de Peter Newman, Titans, il fait état de l'enregistrement d'une conversation de M. Thomas d'Aquino, du Conseil canadien des chefs d'entreprise. Il y raconte avoir rencontré le ministre de la Consommation et des Corporations, André Ouellet, et d'avoir suggéré à ce dernier de supprimer la Direction des enquêtes sur les coalitions et de «mettre en place quelqu'un de plus constructif». Et M. Ouellet a répondu: «Marché conclu».

Sur une période de trois ans, le CCCE a déployé 25 avocats et a produit en 1985 un plan cadre de 235 pages, qui est devenu la nouvelle Loi sur la concurrence au Canada. Elle ne prévoit pas de poursuites collectives, les conspirations sont à peu près impossibles à prouver, et les poursuites ont été transférées des tribunaux pénaux aux tribunaux civils. M. Newman conclut:

    C'est la seule fois dans l'histoire du capitalisme qu'un pays s'est laissé dicter sa législation antimonopole par ceux-là même qu'elle est censée contrôler.

Cette loi a été modifiée en 1985, avec le soutien des libéraux à l'époque. En fait, le travail préparatoire a été effectué par les libéraux et la loi adoptée par le Parti conservateur.

Mais voilà donc ce que M. Newman écrit dans son livre. La véracité de cette allégation est affaire d'interprétation.

Mais pour ce qui est de ce problème, M. Kelen a indiqué que les dispositions sur les prix d'éviction de la Loi sur la concurrence sont virtuellement inapplicables et, avec ces modifications, on disposera d'outils supplémentaires pour les faire respecter. Je suis d'accord là-dessus.

• 1635

Ma question est la suivante. En ce qui concerne la fixation des prix ou les prix imposés, dispositions qui semblent, selon l'expérience en Saskatchewan et dans d'autres régions du pays, actuellement inapplicables aussi, quels outils faudrait-il inscrire dans la Loi sur la concurrence pour les rendre applicables?

M. Michael Kelen: C'est une vaste question et je n'ai pas de réponse au bout des doigts. Les dispositions sur les prix imposés, qui sanctionnent le fait d'influencer un détaillant, par exemple, pour maintenir un prix élevé, ne fonctionnent pas aussi bien qu'elles le devraient. Le projet de loi ne s'attaque pas à cet aspect, mais je conviens que c'est un autre problème.

M. John Solomon: D'accord, je vous remercie.

En ce qui concerne le projet de loi de M. McTeague et les prix d'éviction, c'est la Saskatchewan qui est la plus grosse perdante. Pour la gouverne des membres du comité, je vais citer quelques chiffres.

De 1992 à 1998, la part de marché des indépendants a diminué de 61 p. 100 en Saskatchewan, soit le recul de loin le plus important de toutes les provinces. Il en a résulté entre l'automne 1997 et février de cette année, soit une période de 17 ou 18 mois, un prix de l'essence en Saskatchewan supérieur de 4 cents à 16 cents le litre au prix dans toute autre province ayant le même régime fiscal. C'est une situation très grave. Le Bureau de la concurrence rédige actuellement un rapport après avoir fait enquête sur cette situation, à ma demande et à celle d'autres.

Dois-je avoir espoir, monsieur Kelen, que le Bureau de la concurrence va effectivement conclure qu'il y a infraction à la loi actuelle, ou bien faudra-t-il revenir là-dessus une fois que ce projet de loi aura été adopté, afin d'obtenir quelque équité pour nos citoyens de la Saskatchewan?

M. Michael Kelen: À votre place je ne serais guère optimiste sous le régime de la loi actuelle, et c'est pourquoi ce projet de loi vise à remédier aux faiblesses de la loi actuelle. Le Bureau de la concurrence a une tâche très difficile et on ne peut lui en vouloir, mais avant qu'il puisse porter une accusation criminelle de tarification déloyale, il doit prouver l'intention criminelle d'évincer un concurrent du marché. Le seul fait qu'Esso et les trois autres grandes sociétés pétrolières vendent à si bas prix... Elles peuvent rétorquer qu'elles cherchent simplement à augmenter leur part de marché, qu'elles ont telle ou telle raison pour le faire. À moins de trouver, comme on dit, l'arme du crime, la preuve concrète qu'elles agissent ainsi pour évincer un concurrent du marché, le Bureau de la concurrence ne va probablement pas porter d'accusation criminelle.

M. John Solomon: Est-ce que le Bureau de la concurrence, dans ce cas, serait en faveur d'un pouvoir de perquisition et saisie, s'agissant de faire la preuve dans certains de ces cas, ce qui lui permettrait de faire irruption dans la société avec un mandat s'il y a soupçon de collusion—le soupçon est assez facile à déterminer—pour se procurer ces dossiers, sans avoir à brandir l'arme du crime, laquelle n'existe pas, comme chacun sait?

M. Dan McTeague: Je pense qu'il y a une solution plus facile, à savoir d'établir un critère d'éviction, comme ce projet de loi cherche à le faire. Il dit simplement: voici la nouvelle norme. Si vous êtes au-dessus, très bien. Si vous êtes en dessous, vous vous expliquerez devant le juge. Et la victime a son mot à dire: elle peut comparaître devant le tribunal et ce dernier peut décider le remède qui lui est demandé, à savoir ordonnance de désistement, amende, etc. C'est exactement dans ce sens que nous allons, madame la présidente et monsieur Solomon.

M. John Solomon: Merci.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Solomon.

Je vais donner la parole à deux autres intervenants et nous devrons ensuite passer à notre deuxième groupe de témoins. J'ai monsieur Bellemare, puis monsieur Jones.

[Français]

M. Eugène Bellemare (Carleton—Gloucester, Lib.): Est-il exact, monsieur McTeague, que pour ce qui est de l'essence et du pétrole, tout ce qui est vendu ou acheté dans l'est du Canada, d'Ottawa à Halifax, provient du Moyen-Orient et tout ce qui est commercialisé à l'ouest d'Ottawa provient de l'Ouest canadien?

M. Dan McTeague: Pas nécessairement. Cela dépend de l'endroit où sont situées les raffineries. Je sais qu'à Québec, comme à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick ou encore à Come By Chance, Terre-Neuve, cela dépend d'où vient le produit. Celui-ci peut venir de l'Europe, des États-Unis, ou même de la Russie ou de la Finlande. Il n'y a pas de ligne de division.

Je pense qu'il a existé une entente, il y a des dizaines d'années, the Ottawa agreement, ou the Ottawa Valley agreement, selon laquelle il y avait une division qui faisait que le pétrole vendu en Ontario provenait de l'Ouest, pour promouvoir l'industrie de l'Ouest. Cette situation fait maintenant partie de l'histoire et cette division n'existe plus dans la réalité.

• 1640

M. Eugène Bellemare: Souvent, les explications fournies par les grandes compagnies pétrolières laissent entendre qu'une bonne part du prix du pétrole, celui qu'on paie à Ottawa, par exemple, où il est en moyenne de 53,4 cents le litre, est constituée de taxes fédérales, provinciales et même locales. Je pense toutefois que c'est surtout provincial et fédéral. Une fois ces taxes enlevées, est-ce qu'on peut faire le calcul du vrai prix du gaz ou du pétrole?

M. Dan McTeague: Vous avez raison, monsieur Bellemare. Par ailleurs, on ne voit pas, au cours des longues fins de semaine, les taxes monter ou baisser soudainement. Je n'ai pas les chiffres devant moi, mais dans la région d'Ottawa, d'habitude, une grande partie du prix du pétrole est constituée de taxes.

L'ensemble du marché canadien est contrôlé par quatre raffineries, et il est avantageux pour ces compagnies de ne pas se plaindre trop fort des taxes. En effet, elles utilisent ces taxes pour acheter des treasury bills qu'elles gardent pendant 45 jours. Cependant, elles demandent souvent aux détaillants de mettre... On le dit dans le Bloomberg Oil Buyer's Guide que j'ai cité tout à l'heure.

[Traduction]

M. Eugène Bellemare: Pensez-vous que nous devrions peut-être, pour régler ce problème, empêcher l'intégration verticale, depuis la prospection jusqu'à la vente de détail; autrement dit, les entreprises seraient scindées. On aurait d'un côté la prospection et l'exploitation, ensuite les raffineries formeraient une autre société ou une autre industrie, si vous voulez, et les détaillants seraient entièrement séparés.

M. Dan McTeague: Monsieur Bellemare, si ce projet de loi n'est pas adopté—et encore une fois je ne prétends pas avoir la solution universelle, mais si nous ne sommes même pas prêts à établir cette norme minimale, il n'y aura plus d'indépendants à protéger dans la plupart des secteurs et le fractionnement n'aura plus de raison d'être, car c'est au niveau du détail que nous avons quelques possibilités de préserver la concurrence.

M. Eugène Bellemare: Pas sous forme de scission.

M. Dan McTeague: Pas encore, pas à ce stade. Ce projet de loi contribuerait à une solution.

La présidente: C'est votre dernière question, monsieur Bellemare.

M. Eugène Bellemare: Pour ce qui est du volume, je crois savoir que si la même grosse citerne charge de l'essence en janvier plutôt qu'en août, ou à Sarnia plutôt qu'à Labrador City, le volume d'essence sera très différent.

M. Dan McTeague: Vous parlez de l'expansion thermique et, oui, au Canada nous avons accepté une norme que la plupart des autres pays refusent. La température au Canada n'est jamais de 15 degrés. Aussi, lorsque le gens achètent 74 litres d'essence, ils n'en obtiennent réellement que 70, et c'est véritablement une tromperie chimique. Mais c'est là une autre affaire.

Pour ce qui est du volume, il faut bien voir qu'une station-service qui débite beaucoup d'essence est située sur un emplacement très coûteux qui va lui coûter trois fois plus cher qu'un emplacement plus marginal. Donc, toutes choses étant égales, si je vends de gros volumes et obtient pour cette raison un bon escompte, ne vous y trompez pas, si ma station-service est au centre d'Ottawa ou de Toronto ou de Regina, je vais payer davantage de taxes, il me faudra une station plus grosse, qui me coûtera plus cher en entretien, et tout cela se retrouve dans mes coûts. Je n'accepte donc pas l'argument voulant que le volume permette à d'aucuns de vendre moins cher et aux détaillants à intégration verticale de battre les indépendants sur le prix. C'est un argument fallacieux, et les experts vous le confirmeront.

La présidente: Merci, monsieur Bellemare.

Monsieur Jones, je vous prie.

M. Jim Jones: Merci, madame la présidente.

Dan, vous avez vos convictions et je les respecte, de même que le travail que vous avez fait. Mais j'ai du mal à admettre pas mal de choses que vous avez dites aujourd'hui et les accusations que vous avez portées. Certains des phénomènes que vous avez dénoncés ne sont peut-être que le résultat des forces du marché, comme la réduction du nombre de stations-services.

Vous dites que les indépendants n'ont pas les moyens de moderniser leurs stations-services comme le font les grandes compagnies, et c'est peut-être une partie de leur problème, car je suis convaincu que l'essence elle-même ne contribue pas tant que cela aux recettes, car certaines de ces grosses stations-services ont des lave-autos, des magasins d'épicerie et toutes sortes de choses. C'est pourquoi leur seul moyen d'attirer la clientèle, d'augmenter leur profit, est de baisser leurs prix.

• 1645

La deuxième réserve est de savoir quelles sont les obligations? Si vous faites cela, dites-moi comment vous allez garantir des prix inférieurs ou stables à la clientèle. Quelle obligation ont ces quatre ou cinq grosses compagnies pétrolières de vendre de l'essence aux indépendants? Peut-être vont-ils seulement approvisionner leurs propres stations-services, etc. Cela pourrait aussi faire disparaître des indépendants.

En outre, le marché du détail est en évolution. Hier, on avait les petits magasins de vêtements, les petits commerces de détail. Aujourd'hui, ce sont les magasins géants, les Home Depots, les Computer Cities, les Future Shops, les Chapters, etc. Ils font des ravages dans le petit commerce et votre mesure n'y changera rien. Mais, demain, ces gros commerces seront peut-être eux-mêmes ravagés par la vente sur Internet et ce genre de choses. Les supermarchés ont dû grossir pour survivre. Maintenant, les gens vont peut-être faire leurs courses à domicile. Je ne vois donc pas très bien ce que vous allez accomplir ici.

Par ailleurs, je crois savoir que ces choses figurent déjà dans la Loi sur la concurrence. Il se peut que le Bureau de la concurrence n'applique pas ces dispositions. Vous parlez de vente à perte. Je suis sûr que c'est analogue aux règles antidumping, et que la plupart des compagnies ne sont pas autorisées à faire cela. Je ne vois donc pas où vous allez avec ce projet de loi.

M. Dan McTeague: Monsieur Jones, vous êtes mon voisin et je tiens à répondre à cela. Je le ferai en quatre points.

Premièrement, pour ce qui est des lave-auto et des épiceries, ce sont toutes là des idées merveilleuses. Le paradoxe, c'est que ce sont les stations-services indépendantes qui ont inventé tout cela, et c'est évidemment l'une de leur façon de trouver des revenus.

Il faut bien voir que lorsque le prix de gros est contrôlé par la personne qui vous fournit, l'analogie avec Home Depot et Home Hardware, ou tout ce que vous voulez, ne tient pas. Home Depot ne vent pas à Home Hardware et c'est donc une situation entièrement différente et je suis sûr qu'il y a des dispositions dans la Loi sur la concurrence, entre autres, qui réglementent cela.

Je m'inquiète davantage de la croyance voulant qu'il existerait toutes ces protections dans la Loi sur la concurrence. Parlons un peu de l'article sur l'abus de position dominante, qui est censé s'appliquer aux fournisseurs à intégration verticale. C'est bien joli si vous voulez un recours civil, mais je ne pense pas que la plupart des membres du comité ici savent que ce recours civil est au cas par cas.

Il n'y a pas de redressement par injonction. Il n'y a pas d'opprobre. Il est impossible pour une personne de dire... par exemple, la société A, ESSO ou Petro-Canada, à votre choix, m'a vendu à titre d'indépendant et vous a également vendu à vous. Vous m'avez évincé par des prix déloyaux, en jouant sur la marge. Je peux me plaindre au bureau, le bureau va dire qu'il y a un problème, mais d'ici là je serai sans doute en faillite, comme cela a été le cas de tant d'indépendants, mais cela ne s'appliquera même pas à cette société, même si la pratique se poursuit. Avec le cadre législatif actuel, nous n'envoyons aucun message à ces sociétés.

J'aimerais mieux avoir dans la loi un remède civil réel, comme dans la Loi Clayton, où il peut y avoir une injonction de portée générale, et c'est une considération importante mais qui dépasse la portée de ce projet de loi. J'aurais pensé, peut-être, sachant que la Loi sur la concurrence présente quelques faiblesses... Ce ne sont pas là des accusations, ce sont des études savantes qui ont abouti à ces conclusions et c'est une frustration partagée par le public.

Chaque fin de semaine, monsieur Jones, vous et moi partageons une circonscription où les gens se demandent pourquoi toutes ces stations-services indépendantes disparaissent et pourquoi le prix de l'essence tend à augmenter uniformément?

Il y a des gens dans ce pays qui aimeraient pouvoir comparer les prix. J'ai sillonné toute la ville de Toronto, de Burlington jusqu'à Clarington, et le prix de l'essence ne varie que d'un dixième de cent. La disparition du détaillant indépendant menace la viabilité à long terme de la concurrence.

M. Jim Jones: D'accord, lorsque vous parlez des fluctuations des prix de l'essence, vous dites qu'il n'y a pas de détaillants indépendants dans votre région, n'est-ce pas?

M. Dan McTeague: Non, vous avez raison, il n'y en a pas. Ils ont été condamnés à disparaître. Vous voyez où je veux en venir.

Si vous parlez aux gens qui se sont exprimés devant notre comité, tout à côté de chez vous, lors de sa première séance, ils vous diront que pendant des années les gens se rendaient jusque chez Sunys Gas ou chez les indépendants. Pourquoi? Parce qu'ils avaient toujours un prix inférieur d'un demi-sou ou de deux sous ou trois sous. Pour les gens ordinaires de ma circonscription et de la vôtre, économiser cinq dollars sur un plein d'essence représente une énorme différence. Lorsque nous avons conduit la révolte contre le câble il y a des années, c'était au sujet de 30 cents par mois. Donc, cinq dollars, c'est beaucoup.

La station-service indépendante est là pour livrer concurrence, mais si le prix avec lequel elle doit se battre est le prix de gros plus la marge et que la grosse société utilise son pouvoir de raffineur ou de fournisseur pour lui couper l'herbe sous les pieds, ce n'est pas juste. C'est tout ce que ce projet de loi essaie de faire. C'est d'établir un minimum.

• 1650

Je ne pense pas que les industries, particulièrement les sociétés américaines comme Imperial, pourraient s'opposer à cela, car elles font au Canada ce qu'elles ne sont pas autorisées à faire aux États-Unis. Ne nous comportons pas sur la scène internationale comme des benêts, madame la présidente.

Merci, monsieur Jones.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur McTeague.

J'aimerais remercier M. McTeague et M. Kelen pour leur présentation et les membres du comité pour leurs questions. Nous allons revoir M. McTeague, une fois que les autres témoins auront comparu, lorsque nous en serons à l'étape de l'étude article par article du projet de loi. Je suis certaine que si vous avez d'autres questions, vous pourrez les adresser n'importe quand à M. McTeague.

Je vais maintenant demander au groupe de témoins suivant de prendre place. Si nous pouvions poursuivre sans interruption, ce serait préférable, car nous manquons déjà de temps.

J'inviterai donc à se joindre à nous à la table les représentants du Bureau de la concurrence. Je préférerais que toutes les autres conversations aient lieu à l'extérieur.

Monsieur Jones, j'essaie de maintenir l'ordre ici pendant que nous changeons de témoin. La nuit dernière a été fort longue.

Tous les députés ont-ils devant eux la déclaration du Bureau de la concurrence? Vous devriez également, je pense, avoir reçu un jeu de quatre rapports.

Je suis très heureuse de souhaiter la bienvenue ici, au nom de tout le comité, à notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons donc, du Bureau de la concurrence, M. Harry Chandler, sous-directeur des enquêtes et recherches, direction des affaires criminelles.

Nous sommes également heureux d'accueillir M. Don Mercer, chef, unité des modifications; M. Marcel Morin, agent de commerce, unité des modifications; M. Richard Taylor, sous-commissaire adjoint de la concurrence, affaires civiles; et, je pense, Sandra Fraser, avocate générale, droit de la concurrence et des consommateurs, Industrie Canada. Nous sommes très heureux de vous accueillir ici parmi nous aujourd'hui. Je pense que c'est M. Chandler qui va faire la déclaration liminaire.

Monsieur Chandler.

[Français]

M. Harry Chandler (sous-directeur des enquêtes et recherches, Direction des Affaires criminelles, Bureau de la concurrence): Merci, madame la présidente. Nous apprécions l'occasion de participer à votre étude du projet de loi C-235. C'est la première fois que les représentants du Bureau de la concurrence comparaissent devant un comité parlementaire et qu'ils peuvent utiliser le titre de commissaire grâce au travail de ce comité et à la mise en vigueur du projet de loi C-20 la semaine dernière.

Je suis accompagné de membres clés de notre équipe du bureau qui ont analysé le projet de loi C-235, soit Richard Taylor, le sous-commissaire adjoint de la concurrence, affaires civiles; Don Mercer, le sous-commissaire adjoint, Unité des modifications; et Marcel Morin, agent de commerce, Unité des modifications.

[Traduction]

Je serai très bref. Vous nous avez demandé d'être brefs. Il y a une déclaration. Nous pourrions peut-être faire comme si elle avait été lue et je ne ferai alors qu'en souligner les éléments saillants.

Premièrement, permettez-moi de dire que nous apprécions l'intérêt que porte le comité à la Loi sur la concurrence en tant qu'importante loi-cadre du pays. Je pense qu'il est important de dire que les fonctionnaires du Bureau de la concurrence qui sont chargés d'exécuter la Loi sur la concurrence y voient non seulement un travail, mais également une responsabilité, et une responsabilité qu'ils prennent très au sérieux. Nous travaillons très fort pour veiller à ce qu'il y ait dans ce pays une concurrence efficace à l'intérieur du cadre établi par la Loi sur la concurrence.

• 1655

Bien sûr, la Loi sur la concurrence établit les règles générales du jeu en vue de promouvoir une économie efficace et croissante. Le projet de loi C-235, bien sûr, vise particulièrement la vente au détail de l'essence, et je dirai que nous avons fait beaucoup de travail au cours des dernières années du côté du secteur de la vente au détail de l'essence. Nous avons, bien sûr, reçu un certain nombre de plaintes, dont bon nombre de vous et de vos commettants. Ces plaintes sont examinées de très près. Nous répondons à la quasi-totalité des plaintes que nous recevons, prenant contact avec leur auteur afin de comprendre la question, car la clé pour nous est de comprendre les faits et les genres de preuves qui existent.

Nous avons également fait beaucoup de travail en matière d'éducation, expliquant la façon dont fonctionne la Loi sur la concurrence, publiant des dépliants sur l'établissement des prix de l'essence et sur la Loi sur la concurrence, et offrant à l'échelle du pays une ligne 1-800 et un site Web. Dans le cadre de nos enquêtes sur l'industrie et les questions qui ont été portées à notre attention au fil des ans, nous avons distribué des études, encore une fois pour tenter d'être transparents afin de mieux comprendre le fonctionnement complexe de ce secteur, soit celui de la vente au détail d'essence.

Permettez-moi de parcourir très brièvement les préoccupations que nous avons relativement au projet de loi C-235.

[Français]

Tout d'abord, le Bureau de la concurrence juge que le recours à des dispositions criminelles est un choix malheureux. Nous croyons que cela se traduira par un élément de réglementation qui risque fort probablement d'avoir pour effet une augmentation des prix partout au Canada. On ne devrait choisir d'avoir recours à des dispositions criminelles ou à des dispositions civiles qu'après avoir fait une étude approfondie. Lors de notre comparution devant ce comité dans le cadre de l'étude du projet de loi C-20, nous avions déjà soulevé cette question très importante.

[Traduction]

Vous vous souviendrez que lorsque nous examinions le projet de loi C-20, nous parlions de télémarketing, de fraudeurs, de mauvais joueurs exploitant des consommateurs et des citoyens partout au pays. Nous voulions clairement une solide disposition pénale couvrant ce genre de comportement, et je pense que c'est là une distinction importante à faire.

Nous avons de la difficulté en ce qui concerne le rendement raisonnable. Ce genre de concept figurait dans la première version du projet de loi C-235. Je ne suis pas en mesure de traiter des amendements. Malheureusement, ils arrivent trop rapidement pour qu'on les approfondisse, mais à notre sens, la question du rendement raisonnable annonce elle aussi la possibilité d'une réglementation des prix.

L'article 2 du projet de loi C-235 mine à notre avis un article très efficace qui existe déjà dans la Loi sur la concurrence, notamment l'article 61—une disposition pénale concernant le maintien des prix. On l'a évoquée tout à l'heure. J'attirerais l'attention des députés sur la déclaration, qui renvoie à l'un des principaux jugements en matière de vente d'essence au détail, un important précédent qui est, je pense, très bien connu dans l'industrie.

Enfin, permettez-moi de clore en disant que je fais état de rapports d'experts que le Bureau de la concurrence a commandés en vue d'établir une meilleure base factuelle pour les comités et pour leur étude du projet de loi C-235, rapports qui traitent de certaines des questions clés et des affirmations qui ont été faites. Il y a deux études américaines sur l'impact de lois semblables au projet de loi C-235, dans la mesure où elles existent aux États-Unis au niveau fédéral ou d'États. Il y a une étude sur les parts de marché dans 12 villes importantes un petit peu partout au pays, entre 1988 et 1997; cette étude examine la part de marché des indépendants.

• 1700

Il y a une étude économétrique portant sur la question de l'effet de la présence d'indépendance en matière de prix de détail, encore une fois examinant des données réelles correspondant à 11 villes sur la période 1991 à 1998.

Je ne vais pas me lancer dans le détail de ces études. Si le comité juge cela approprié, je l'encouragerai à inviter à comparaître les experts qui ont préparé ces études. Je pense que celles-ci sont pertinentes et importantes dans le contexte de vos délibérations.

Enfin, permettez-moi de dire que nous apprécions la possibilité qui nous a été ici donnée de discuter avec vous de la Loi sur la concurrence. M. McTeague a dit qu'il a dû se battre contre nous à chaque étape du processus. Je ne partage pas son point de vue. Je suppose que je conteste la prémisse et certaines des affirmations qu'il a faites. Je pense que c'est vraiment une question de faits et de preuves.

Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Chandler. Je vous suis reconnaissant d'avoir été bref. Nous allons commencer par M. Chatters. Avez-vous des questions, monsieur Chatters?

M. David Chatters: Merci, madame la présidente.

Encore une fois, je vois que vous vous débattez avec la même chose que moi, soit que nous étudiions le projet de loi original et que nous examinons maintenant quelque chose qui est entièrement différent de ce que nous avions au départ.

J'aimerais vous demander tout simplement ceci. Étant donné que lorsqu'on regarde les prix de l'essence d'un bout à l'autre du pays dans le marché actuel, lorsqu'on prend le prix exception faite des taxes, l'on constate que certains de ces prix pour l'essence sont les plus bas que les consommateurs aient connus au cours des 40 dernières années. Il doit y avoir quelque chose qui fonctionne raisonnablement bien dans le marché, en dépit de la bataille de prix du vendredi après-midi dont tout le monde parle et du rôle que cela peut jouer. Je dirais que cela résulte sans doute davantage de concurrence que de collusion. Il me semble néanmoins que ce dont il est question dans ce projet de loi est assez étrange, étant donné que les consommateurs jouissent beaucoup des fruits de la concurrence. Cela me paraît étrange dans le contexte actuel. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Harry Chandler: Il est vrai que les prix de l'essence qui sont pratiqués au Canada sont les plus bas au monde, après les États-Unis.

La présidente: Monsieur Peric.

M. Janko Peric (Cambridge, Lib.): Merci, madame la présidente. Monsieur Chandler, vous avez mentionné que vous recevez de nombreuses plaintes de la part de particuliers. Vous avez mentionné que vous avez examiné la situation dans d'autres villes sur une période de sept ou huit ans. Que faites-vous après réception de plaintes? Faites-vous enquête sur elles ou bien les enregistrez-vous tout simplement?

M. Harry Chandler: Nous suivons une procédure normalisée pour trier les plaintes et déterminer s'il s'agit de questions dont nous pouvons traiter au palier suivant. Étant donné le volume de plaintes que nous recevons, nous ne pouvons bien sûr pas faire une enquête sur place sur-le-champ dans chaque cas.

L'essence est depuis des années une question si importante pour le Bureau de la concurrence que partout au bureau, dans le secteur des affaires pénales, dans le secteur des affaires civiles et à la direction des fusions, il y a une assez importante équipe de personnes qui ont de l'expérience dans cette industrie et qui ont fait des enquêtes sur le terrain dans ce domaine.

• 1705

M. Janko Peric: Vous pensez qu'il devrait y avoir une saine concurrence au Canada et je suis moi aussi de cet avis. Que pensez-vous du fait que 85 p. 100 du marché au Canada sont contrôlés par les quatre grosses sociétés alors qu'aux États-Unis seuls 10 p. 100 sont contrôlés par une seule grosse? Pensez-vous que la concurrence soit saine? Pensez-vous disposer de suffisamment d'outils adaptés pour faire enquête sur les problèmes?

M. Harry Chandler: Je pense que nous avons certainement les outils pour faire enquête sur la concurrence au sein de cette industrie et d'autres. Le projet de loi C-20 nous a conféré certains pouvoirs d'enquête supplémentaires, comme vous le savez.

M. Janko Peric: Il s'agit là d'une nouvelle loi.

M. Harry Chandler: Le Canada a une économie différente de celle des États-Unis: je songe à la taille de l'économie, à la possibilité d'échelle minimale efficace pour les raffineries, etc. C'est là la réalité.

M. Janko Peric: Étant donné que vous pensez disposer de bons outils pour faire enquête, pourquoi le nombre de propriétaires de stations-services indépendantes a-t-il tant diminué?

M. Harry Chandler: Il s'agit là d'une question factuelle.

M. Janko Peric: Non, excusez-moi. Savez-vous quel est le problème? Le problème est que les quatre gros sont en train de les chasser. Je ne pense pas que vous fassiez un très bon travail, monsieur. Lorsque vous recevez une plainte, vous la classez puis décidez si elle est justifiée, si elle est légitime. Si vous jugez qu'elle l'est, vous allez voir. Nous avons déjà entendu, monsieur, et j'ai siégé au comité sur l'essence du caucus libéral...

La présidente: Monsieur Peric, vous avez posé une question. Vous n'avez pas laissé monsieur Chandler vous répondre. Vous l'avez interrompu...

M. Janko Peric: La question s'en vient.

La présidente: Non, je pense que la question doit venir tout de suite.

M. Janko Peric: Très bien. Nous avons voyagé et nous avons entendu des indépendants. Je ne pense pas, monsieur, que vous fassiez un très bon travail. Si vous ne disposez pas des outils nécessaires, nous vous les fournirons. Ce projet de loi d'initiative parlementaire vous donne les outils.

M. Harry Chandler: Monsieur, sauf le respect que je vous dois, nous avons les bons outils.

Permettez-moi de faire quelques observations. Je pense qu'il vous faut faire des distinctions parmi les nombreuses plaintes que vous recevez sur une question ou sur une autre, qu'il s'agisse du prix de l'essence ou de toute autre question. Certaines plaintes sont injustifiées. Le simple fait qu'il y ait un nombre élevé de plaintes, en soi, sans enquête pour déterminer s'il existe des preuves réelles... La question qui permet de faire la distinction importante est celle de savoir s'il y a vraiment un tort fait à quelqu'un.

Deuxièmement, notre préoccupation en vertu de la Loi sur la concurrence c'est la promotion et le maintien de la concurrence, et pas la promotion et le maintien de concurrents ou de sociétés prises individuellement. Le cadre de la Loi sur la concurrence vise la promotion de la concurrence comme processus et la promotion de la croissance économique par le biais de ce processus.

Il se pourrait fort bien que dans certaines situations, si un concurrent est discipliné ou doit fermer boutique, cela amènera un affaiblissement de la concurrence. Mais la prémisse n'est pas toujours là. Il vous faut faire enquête dans chaque cas; il vous faut terminer les faits et déterminer s'il y aura un effet sur la concurrence dans ce marché.

Comme d'autres l'ont souligné, il se peut que des concurrents quittent un marché. D'autres viendront les y remplacer, et il y aura toujours des consommateurs qui bénéficieront des bas prix pratiqués. Les noms changeront peut-être, mais s'il y a une vigoureuse concurrence, nous n'allons pas intervenir.

La présidente: Merci, monsieur Peric.

Merci, monsieur Chandler.

Monsieur Dubé ou madame Lalonde.

[Français]

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Je vais prendre la parole en premier lieu cette fois-ci. J'aurais souhaité que vous soyez prêts à nous parler de l'amendement que nous avons reçu en même temps que vous. Est-ce possible? Ne pourriez-vous pas nous donner un premier avis, sous réserve d'une révision ultérieure? On propose quand même un changement considérable.

M. Harry Chandler: Ce serait difficile, madame la présidente, bien que je puisse dire que dans la nouvelle version du projet de loi, il manque toujours un test quant à une diminution de la concurrence.

• 1710

C'est cela, l'élément clé. Il faut examiner un marché pour savoir si le niveau de concurrence y est suffisant et non se limiter à en étudier l'effet sur une seule entreprise.

Mme Francine Lalonde: Autrement dit, votre façon d'évaluer une situation ne s'inscrit pas du tout dans la même logique que ce projet de loi, qui veut agir même au niveau du détaillant.

M. Harry Chandler: C'est exact. Nous avons pour objectif de promouvoir et de maintenir la concurrence, et pas nécessairement de protéger un secteur particulier de l'économie.

Mme Francine Lalonde: Dans le fond, vous vous inspirez forcément de la Loi sur la concurrence. Une grande partie de ceux qui appuient un mouvement comme celui des petits détaillants croient que dans la société, on continue d'avoir besoin de petits détaillants qui donnent—enfin c'est l'image qu'on véhicule—un meilleur service, qui n'ont pas des gros coûts d'exploitation et ainsi de suite. Ils ont un parti pris, alors que dans la Loi sur la concurrence, il n'y a aucun élément pour juger de cela; vous ne vous penchez pas du tout sur cet aspect.

M. Harry Chandler: Je dois dire que la loi vise avant tout à promouvoir la concurrence. On peut dire que le Bureau de la concurrence est dans une grand sphère et qu'il y a de nombreux autres programmes et possibilités visant à protéger et à promouvoir les petites et moyennes entreprises.

Mme Francine Lalonde: Il ne faut pas oublier non plus que l'objet, en quatre éléments, de la Loi sur la concurrence dont on a parlé s'inscrit également dans le contexte international et...

M. Harry Chandler: Nous voulons créer un environnement où les petites et moyennes entreprises peuvent réussir.

Mme Francine Lalonde: Si elles le peuvent. Si elles ne le peuvent pas, eh bien, tant pis.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Dubé, auriez-vous une petite question pour enchaîner?

[Français]

M. Antoine Dubé: À la page 2 de la version française de votre mémoire, vous dites au sujet de l'établissement des prix:

    S'il n'y a pas d'urgence nationale, le gouvernement fédéral ne jouit d'aucun pouvoir constitutionnel en la matière.

M. Harry Chandler: C'est bien vrai et je crois que c'est la raison pour laquelle le projet de loi C-235 touche tous les secteurs. Mais, dans le fond, selon la Constitution, le gouvernement fédéral n'a aucun pouvoir pour réglementer un secteur particulier.

M. Antoine Dubé: Même l'amendement qu'on propose ne changerait rien?

M. Harry Chandler: Je crois que l'amendement vise tous les secteurs.

M. Antoine Dubé: Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Dubé.

Monsieur Shepherd.

M. Alex Shepherd: Je me souviens d'avoir fait la même chose lorsque nous discutions des fusions bancaires. Vous aviez alors dit quelque chose qui m'avait laissé perplexe, et vous venez de répéter la même chose ici aujourd'hui.

Vous aviez dit quelque chose du genre: l'affaiblissement de la concurrence n'est pas un problème tant et aussi longtemps que cela débouche sur l'efficience économique. À l'époque, l'efficience économique, c'était des banques moins coûteuses. En d'autres termes, on fermait des succursales bancaires, etc. Vous avez déclaré la même chose aujourd'hui, et vous dites également dans votre mémoire que l'objectif n'est pas de protéger les différents concurrents, mais plutôt d'avoir une économie efficiente.

Il me semble, lorsque je regarde l'industrie canadienne dans les secteurs forestier, gazier et pétrolier, minier, du raffinage et de la production d'aluminium, et sachant que seule une centaine d'entreprises représentent quelque chose de l'ordre de 85 à 90 p. 100 de nos exportations, que nous sommes un pays caractérisé par une forte concentration dans divers secteurs.

• 1715

Votre rôle n'est pas de vous occuper du petit. En fait, vous êtes devenu un arbitre pour les oligopoles. Cela est-il juste?

M. Harry Chandler: Je pense que cela est un petit peu trop extrême. Je n'irais pas jusque-là.

M. Alex Shepherd: En d'autres termes, étant donné notre structure économique, le Canada ne peut pas se permettre le luxe d'une véritable concurrence entre plusieurs forces économiques plus petites, au contraire des États-Unis.

M. Harry Chandler: Je ne suis pas de votre avis là-dessus.

M. Alex Shepherd: Pourquoi nos lois en matière de concurrence ne reflètent-elles pas celles des États-Unis? Pourquoi n'y a-t-il pas davantage de ressemblances?

M. Harry Chandler: Je pense que si vous aviez la possibilité—et je sais que vous n'en avez pas eu la possibilité parce que ceux-ci viennent tout juste d'être déposés—d'examiner les rapports, vous verriez qu'il y a très peu de différences entre le traitement en vertu des lois en matière de concurrence au Canada et celui en vertu des lois américaines.

La présidente: Merci, monsieur Shepherd.

Monsieur Solomon.

M. John Solomon: Merci, madame la présidente. J'avais quelques petites questions à poser.

En ce qui concerne votre question relativement à la promotion de la concurrence, vous avez entendu certains de mes chiffres tout à l'heure, mais je me demande justement si vous avez promu la concurrence, à la lumière des statistiques que voici relativement à la Saskatchewan. En 1992, les indépendants détenaient environ 20,6 p. 100 du marché; six ans plus tard, ils n'en avaient plus que 8,1 p. 100, soit une perte de 61 p. 100. À votre avis, s'agit-il là de promotion de la concurrence?

M. Harry Chandler: Encore une fois, c'est peut-être là la situation en Saskatchewan. Je n'ai pas les chiffres devant moi. L'un des rapports examine la situation à l'échelle du Canada et conteste la théorie voulant qu'il y ait eu par le passé un âge d'or des indépendants et que les choses aient beaucoup changé depuis. En fait, cela ne semble même pas être le cas. Je ne veux pas contester ce que vous venez de dire au sujet de la Saskatchewan, mais la part des indépendants monte et descend. Elle est montée dans d'autres provinces et dans d'autres marchés importants.

M. John Solomon: Passant à un deuxième exemple, qualifieriez-vous ce qui suit de promotion de la concurrence? Le prix du brut a commencé à reculer à la fin de l'été 1997. Il était de 25 dollars le baril, et pour le gros des 18 derniers mois, il s'est situé entre 11 et 13 dollars le baril. En Saskatchewan, il lui a fallu 13 mois pour baisser de trois à quatre cents. Treize heures après que le prix soit remonté à 14 ou 15 dollars le baril, il y a eu une augmentation de deux cents. Est-ce cela promouvoir la concurrence, ou bien pensez-vous que ce soit là quelque chose de peu habituel pour un marché?

M. Harry Chandler: Je ne voudrais pas que les membres du comité aient l'impression que ce genre de choses ne nous préoccupe pas. Il est de notoriété publique que vous avez déposé une plainte auprès de nous. Vous avez mentionné tout à l'heure que nous enquêtons là-dessus. Je pense qu'il serait préférable que je n'en dise pas plus.

M. John Solomon: Je veux tout simplement vous demander si vous pensez que cela correspond à votre mandat de promouvoir la concurrence, car vous l'avez mentionné.

M. Harry Chandler: Notre mandat, monsieur Solomon, est de donner suite à ces questions, de faire enquête de façon aussi minutieuse que possible et d'essayer de déterminer s'il existe des preuves de comportement anticoncurrentiel et d'appliquer la loi.

M. John Solomon: Merci, monsieur Chandler. Les autres questions que j'ai concernent les témoins précédents.

Un témoin a dit que les dispositions en matière de prix d'éviction de la Loi sur la concurrence sont presque impossibles à appliquer dans leur forme actuelle. Êtes-vous ou non de cet avis?

M. Harry Chandler: Je ne suis pas de cet avis.

M. John Solomon: Vous avez dit que le Canada arrive au deuxième rang pour les prix d'essence les plus bas. Je suppose que vous parlez de l'Amérique du Nord, ou bien cela vaut-il pour le monde entier?

M. Harry Chandler: Je n'inclus pas l'Arabie saoudite et d'autres pays du genre, mais j'inclus l'Europe de l'Ouest et l'Australasie.

M. John Solomon: Parmi les exportateurs de pétrole, où nous classerions-nous?

M. Harry Chandler: Je ne dispose pas de ce renseignement.

M. John Solomon: En passant, nous connaissons les prix les plus élevés au monde parmi les exportateurs nets. C'est là le problème que nous avons. Nous sommes le seul pays non-membre de l'OPEP qui soit un exportateur net de pétrole, ce qui signifie que nous produisons plus de pétrole que nous n'en consommons, et nous en exportons la balance, ou en tout cas une part importante. Nos prix sont les plus élevés parmi l'ensemble des autres pays du monde. Par conséquent, parmi les pays importateurs nets, nos prix sont les plus bas, mais de façon générale, nous n'importons pas. Nous importons un petit peu dans l'Est pour compenser les exportations dans l'Ouest.

J'aimerais tout simplement savoir si le Bureau de la concurrence dispose de ces statistiques et si vous utilisez ce genre de comparaison par opposition au simple exemple européen, dans le cas duquel la plupart des pays sont des importateurs nets. Utiliseriez-vous ces renseignements, les détenez-vous?

• 1720

M. Harry Chandler: Ces renseignements sont pertinents. Nous les posséderions. Bien sûr, ce que nous voudrions faire ce serait examiner les conditions du marché local et essayer de comprendre ce qui se passe sur un marché donné.

M. John Solomon: Ma question suivante concerne votre désir qu'il n'y ait pas de dispositions pénales dans ces modifications. Je viens de la Saskatchewan. Je suis fils d'agriculteur et je ne suis pas vraiment au courant de toutes ces questions, mais vous pourriez peut-être me conseiller. Je me demande pourquoi vous pensez qu'une solution civile est plus appropriée qu'une solution pénale. Dans votre présentation, vous avez évoqué le cas de compagnies qui pèchent en imposant des prix plus élevés. Il me semble que si vous risquez une condamnation au pénal, vous n'allez pas aller aussi loin que si vous ne risquiez qu'une condamnation au civil. Je me trompe peut-être, mais c'est là mon impression après avoir discuté avec nombre de mes commettants.

M. Harry Chandler: Il y a déjà dans la loi des dispositions criminelles. En fait, il y a dans l'actuelle Loi sur la concurrence des dispositions pénale et civile.

M. John Solomon: Mais en ce qui concerne les amendements, vous dites que vous ne voulez pas de la disposition pénale recommandée.

M. Harry Chandler: Oui, étant donné la façon dont le texte est formulé et les prémisses sur lesquelles il s'appuie. Je pense que c'est parce que de nombreux experts dans ce domaine ont attiré l'attention sur la situation très particulière des prix d'éviction et sur la très fine ligne de démarcation qu'il y a entre prix déloyaux et concurrence vigoureuse. C'est là a une frontière importante. Il s'agit d'une importante distinction à faire, car il faut se rappeler que, dans le cas qui nous occupe, le consommateur en bénéficie lorsqu'il y a une vigoureuse concurrence côté prix. Notre tâche est de veiller à ce que cette concurrence ne soit pas motivée par des désirs d'éviction qui résulteraient en une situation à long terme dans laquelle les prix seraient à la hausse. C'est là-dessus que porte notre analyse.

La présidente: Ce sera votre dernière question, monsieur Solomon.

M. John Solomon: J'aimerais vous poser une question semblable à celle que j'ai posée au témoin qui vous a précédé, et vous l'avez sans doute entendue. Y a-t-il quelque chose que nous pourrions donner à votre bureau par l'intermédiaire de la loi et qui vous permettrait d'obtenir plus facilement les preuves en matière de maintien des prix ou de fixation des prix? Y a-t-il quelque loi ou quelque amendement qui vous aiderait à faire votre travail? Je sais que votre travail est extrêmement difficile. Je comprends parfaitement cela. Cela, je le comprends. Mon impression est que vous n'avez pas à votre disposition tous les outils nécessaires.

M. Harry Chandler: Monsieur Solomon, je pense que notre dossier en matière d'application de la loi et de maintien des prix est assez bon. J'estime qu'il est particulièrement bon en ce qui concerne la vente d'essence au détail. En ce qui concerne la disposition sur la conspiration, la fixation des prix, lorsque notre exercice financier prendra fin la semaine prochaine, nous aurons perçu pour 40 millions de dollars d'amendes auprès de sociétés ayant trempé dans des conspirations de trafic d'appels d'offres, de directives étrangères. C'est cinq fois le résultat de l'an dernier. J'estime que ces chiffres parlent d'eux-mêmes. Je pense que la loi fonctionne. Je pense que nous disposons des outils dont nous avons besoin pour mener nos enquêtes.

La présidente: Merci, monsieur Solomon.

M. John Solomon: Merci, monsieur Chandler, et merci à vous, madame la présidente.

La présidente: Monsieur Keyes.

M. Stan Keyes (Hamilton-Ouest, Lib.): Merci, madame la présidente.

Monsieur Chandler, j'ai un certain nombre de questions auxquelles vous pourrez sans doute répondre par oui ou par non. Convenez-vous ou ne convenez-vous pas que le marché est contrôlé par trois ou quatre grosses entreprises?

M. Harry Chandler: Qu'entendez-vous par «contrôlé»?

M. Stan Keyes: Êtes-vous avocat?

M. Harry Chandler: Non.

M. Stan Keyes: Très bien. L'allégation qui est en train d'être faite ici, et ne tournons pas autour du pot, est qu'il y a trois ou quatre grosses sociétés pétrolières qui vendent au gros et au détail et qui détiennent le marché.

M. Harry Chandler: Oui, et je n'essaie pas de faire le mignon. Il est évident que dans le secteur dont vous parlez les raffineurs intégrés ont un certain pouvoir de marché. Nous sommes très au courant de cela. C'est l'une des raisons pour lesquelles, par exemple, lorsque nous avons examiné la fusion Petro-Canada-Ultramar...

M. Stan Keyes: Très bien, la réponse est oui. Je ne vous ai pas interrogé au sujet des fusions. La réponse est donc oui.

M. Harry Chandler: ... nous l'avons contestée et cela ne s'est pas fait.

La présidente: Monsieur Keyes, laissez le témoin terminer sa réponse.

M. Stan Keyes: Non, madame la présidente, c'est ma période de temps. Je pose une question directe. Je n'ai pas besoin d'une réponse superflue. J'ai tout simplement demandé s'il convenait ou s'il ne convenait pas que le marché est contrôlé par trois ou quatre grosses sociétés. C'était là ma question, et il a dit que oui.

• 1725

La deuxième question est la suivante. Acceptez-vous ou n'acceptez-vous pas la déclaration voulant qu'il n'y ait qu'un seul prix de gros?

M. Harry Chandler: Je ne comprends pas la question.

M. Stan Keyes: L'allégation faite ici encore par M. McTeague—vous étiez assis ici et vous avez entendu toute sa présentation—était qu'il n'y a en fait qu'un prix de gros pratiqué par toutes les grosses sociétés pétrolières lorsqu'il s'agit pour elles de vendre leur produit.

M. Harry Chandler: Je pense qu'il me faudrait disposer de plus de renseignements avant de pouvoir fournir une réponse utile à cette question.

M. Stan Keyes: Convenez-vous ou ne convenez-vous pas que lorsque des entreprises deviennent trop grosses, les petites entreprises ne peuvent plus les concurrencer?

M. Harry Chandler: Il est difficile de répondre à cette question. Dans certains cas oui et dans certains cas non. Tout dépend de l'analyse factuelle de la commercialisation sur le marché.

M. Stan Keyes: Les grosses sociétés, comme Esso, sont-elles en train d'imposer aux détaillants indépendants un prix de gros supérieur au prix de gros imposé aux sociétés affiliées, par exemple à une autre station-service Esso? Avez-vous jamais eu de plaintes ou fait d'enquête en la matière?

M. Harry Chandler: Oui, nous avons reçu des plaintes du genre, et nous avons fait enquête.

M. Stan Keyes: Petro-Canada, Shell, Esso et Ultramar vendent-elles au niveau et du détail et du gros?

M. Harry Chandler: Oui.

M. Stan Keyes: Avez-vous reçu des plaintes ou fait enquête sur des allégations selon lesquelles Petro-Canada, Shell, Esso ou Ultramar vendent leur essence à un prix de détail qui est inférieur au prix de gros auquel elles vendent leur produit aux concurrents indépendants?

M. Harry Chandler: Oui.

M. Stan Keyes: Quel en a été le résultat?

M. Harry Chandler: Je suppose que l'enquête la plus récente serait celle de 1996-1997 portant sur la campagne de prix équitables Ultramar. Encore une fois, nous avons rendu publiques nos conclusions et diffusé les rapports d'experts. Nous avons conclu, en gros, qu'avec le changement dans l'approche de commercialisation, surtout sur le marché québécois, il y avait eu une très vigoureuse période de concurrence sur le prix, ce que d'aucuns avaient qualifiée de guerre des prix. Dans ce genre de situation, il arrive à l'occasion qu'il y ait des inversions de prix. Mais sur la base des renseignements dont nous disposions, et qui étaient relativement exhaustifs, nous avons conclu qu'il n'y avait pas eu préjudice à la concurrence sur le marché.

M. Stan Keyes: Qu'il n'y avait pas eu quoi?

M. Harry Chandler: Qu'il n'y avait pas eu préjudice à la concurrence sur le marché.

La présidente: Ce sera votre dernière question, monsieur Keyes.

M. Stan Keyes: Très bien. Je ne doute pas un instant que le Bureau de la concurrence ne fait pas son maximum avec les outils dont il dispose. Le Bureau de la concurrence doit traiter des questions et des plaintes qui lui sont soumises à l'intérieur des paramètres législatifs ou réglementaires. Étant donné votre interprétation de ce que vise le projet de loi C-235, diriez-vous que dans le contexte des lois et règlements avec lesquels vous devez travailler, vous n'êtes pas en mesure de traiter des questions mises de l'avant dans le projet de loi C-235?

M. Harry Chandler: Non, je pense que nous pouvons traiter de la question de concurrence vigoureuse et d'éviction. Les outils sont là. La disposition civile, la disposition en matière d'abus de position dominante, par exemple, parle d'éviction et nous permettrait d'aborder le problème.

Le problème que nous avons avec le projet de loi dans son libellé actuel est la prémisse sur laquelle il se fonde, soit que dans toutes les situations où il y a éviction, il y a affaiblissement de la concurrence. Nous n'acceptons pas cette prémisse. Nous estimons que lorsque ces situations surviennent, ce qui arrive de temps à autre, mais pas très souvent, il nous faut alors faire enquête et déterminer l'incidence sur la concurrence dans le marché, mais non pas l'incidence sur un concurrent en particulier.

M. Stan Keyes: Merci, monsieur Chandler. Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Keyes.

Monsieur Jones, s'il vous plaît.

M. Jim Jones: Merci beaucoup, madame la présidente.

J'ai bien aimé lorsque vous avez dit que votre but est d'assurer la concurrence mais non pas d'assurer les concurrents. Qu'assurerait le projet de loi de M. McTeague? La concurrence? Ou bien les concurrents?

M. Harry Chandler: D'après mon interprétation du projet de loi, la logique qui le sous-tend veut que si vous protégez les concurrents indépendants, alors vous protégez ipso facto la concurrence. C'est une déduction directe, et c'est cette prémisse que nous n'acceptons pas.

• 1730

M. Jim Jones: Très bien. Pourriez-vous expliquer un peu mieux pourquoi vous pensez que les prix seront supérieurs si ce projet de loi est adopté? Je pense pour ma part qu'ils seraient supérieurs.

M. Harry Chandler: Eh bien, je suis certain que le comité entendra d'autres témoins qui pourront lui parler de cela. La crainte que nous avons est qu'avec une disposition pénale comme celle-ci, les fournisseurs intégrés seraient amenés à décider, par exemple, de ne tout simplement pas subir le risque d'approvisionner des indépendants. Ils ne seraient pas tenus d'approvisionner les indépendants. Et si nous acceptons que la présence du secteur indépendant est un ingrédient nécessaire à la concurrence, alors ce serait malheureux. D'un autre côté, ils voudront peut-être être très conservateurs dans leur prix tout simplement pour éviter d'être frappé par cette loi. Je pense que dans les deux cas l'effet serait une hausse des prix pour les consommateurs et les automobilistes.

M. Jim Jones: L'autre chose est que vous mentionnez le nombre de plaintes que vous recevez chaque année à ce sujet. Ces renseignements se présentent-ils sous la forme d'un rapport ou d'une analyse que nous pourrions voir?

M. Harry Chandler: Certainement.

M. Jim Jones: D'accord. Et le projet de loi ne s'applique-t-il qu'à l'essence?

M. Harry Chandler: Je ne le pense pas. Je crois, comme M. McTeague l'a dit avant moi, qu'il s'appliquerait à tous les secteurs économiques.

M. Jim Jones: J'aimerais faire une observation. Je me souviens qu'il y a un certain nombre d'années, sous les libéraux, le gouvernement avait créé Petro-Canada et avait essayé d'exploiter une compagnie pétrolière d'État. Je pense qu'ils ont perdu de l'argent, et les prix n'ont jamais été aussi bas qu'ils le sont à l'heure actuelle. Je ne pense donc pas que le gouvernement devrait se lancer dans une économie de libre marché et...

M. Stan Keyes: Nous ne nous sommes pas pour autant débarrassés de Petro-Canada.

La présidente: Monsieur Keyes, pas d'apartés, s'il vous plaît.

Une voix: Nous nous sommes débarrassés de Petro-Canada.

M. Stan Keyes: De quoi d'autre voulez-vous que nous nous débarrassions?

La présidente: Monsieur Keyes, je vous en prie.

Y avait-il une question, monsieur Jones? Aviez-vous une autre question?

M. Jim Jones: Non, je pense que nous avons la concurrence ici. L'autre chose qui se passe est que le marché de l'essence est en train de changer mais je pourrais vous donner le même scénario de changement rapide pour, mettons, l'industrie technologique. L'important, c'est que le moule va survivre.

Je pense que ce que nous avons vu ici plus tôt est... Je crois que le vrai problème c'est la situation des indépendants. Ils n'ont pas les moyens de faire refaire leur devanture pour suivre la mode. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose que l'on soit passé de 21 000 stations-service à 13 000. Ce genre de scénario se répète sur tous les marchés, dans tous les secteurs du détail.

Une voix: Gates et Microsoft... [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Jim Jones: Eh bien, c'est là que je pense...

M. Harry Chandler: J'aimerais faire un bref commentaire. Des changements structurels s'opèrent certainement dans l'industrie, comme c'est le cas d'autres industries également, mais si vous examinez le rapport d'experts, je pense que vous verrez que la part de marché contrôlée par les indépendants n'est pas en train de reculer. Elle n'a pas reculé dans le temps.

La présidente: Merci.

Madame Jennings.

Mme Marlene Jennings: Je n'ai pas de questions pour le Bureau de la concurrence. Je vais partager ma période de temps avec M. Keyes.

La présidente: Monsieur Keyes.

M. Stan Keyes: Merci. Je ne conteste pas ce que dit M. Jones. En fait, ce gouvernement, le gouvernement libéral dont il a parlé tout à l'heure, est sans doute en train de faire beaucoup plus pour se retirer de la gestion des affaires que ce qu'ont jamais fait les Tories. Et il y a des preuves de cela.

Laissant cela de côté, messieurs, il y a un exemple très simple—et vous avez sans doute reçu des plaintes à foison à ce sujet. Il y a une famille de non-Canadiens qui sont venus au Canada, qui sont devenus des citoyens canadiens et qui ont une station-service dans le centre-ville. Chaque fois que j'y allais pour faire le plein, le détaillant me regardait et disait: «Vous savez ce qui m'ennuie vraiment? Je viens tout juste de payer 49,5 cents le litre pour acheter mon essence auprès de ce fournisseur». À deux rues de sa station-service, un poste d'essence de son fournisseur vendait son essence 45 cents. Vous avez sans doute reçu des plaintes du genre, n'est-ce pas?

M. Harry Chandler: Nous avons reçu des plaintes du genre.

M. Stan Keyes: Vous m'avez dit que la seule enquête que vous ayez jamais faite découlait d'une plainte au sujet d'Ultramar. Est-ce là la seule enquête du genre que vous ayez jamais entreprise en 1996-1997?

M. Harry Chandler: Non. Ce que j'ai dit est que c'est l'exemple le plus récent.

• 1735

M. Stan Keyes: Très bien. Sur combien de cas du genre avez-vous fait enquête, de cas où un petit couple essaie de vendre de l'essence qu'elle a dû payer 49 cents à son gros fournisseur, alors que celui-ci la vend 45 cents à sa pompe située à deux rues?

M. Harry Chandler: Je ne sais pas.

M. Stan Keyes: Pourriez-vous me donner un ordre de grandeur?

M. Don Mercer (chef, Unité des modifications, Bureau de la concurrence): Je pourrai peut-être vous donner une réponse un peu différente de celle-là.

M. Stan Keyes: Pouvez-vous répondre à la question?

M. Don Mercer: Il y a eu beaucoup de travail d'enquête.

Cette situation existe vraisemblablement depuis 20 ou 30 ans. Il y a eu une importante enquête qui a débuté en 1973 pour se terminer en 1986, avec l'ancienne Commission sur les pratiques restrictives du commerce, et qui n'a pas conclu qu'il existait des problèmes dans cette industrie. Nous nous sommes bien sûr occupés depuis d'autres plaintes, et il y a eu les grosses plaintes de 1996 et de 1997. C'était là la grosse enquête.

Il y a eu beaucoup d'autres plaintes. Nous avons vigoureusement enquêté sur ces plaintes. Nous avons eu 11 séries d'enquêtes suite à l'enquête sur le secteur pétrolier, et dans neuf cas, nous avons obtenu des condamnations. Dans certains cas, il s'agissait de maintien de prix.

M. Stan Keyes: Très bien. Madame la présidente, étant donné que je ne dispose que de cinq minutes, puis-je faire une demande?

La présidente: Quelle est votre demande?

M. Stan Keyes: Ma demande est que l'on nous fournisse des renseignements au sujet de ces questions fondamentales: combien de plaintes y a-t-il eu au cours des cinq dernières années—je vais limiter cela à cinq ans—relativement à ce sur quoi je viens de vous interroger, soit l'allégation selon laquelle certains auraient à payer plus et à regarder les gros un peu plus loin vendre pour moins? Dans combien de cas y a-t-il eu enquête? Dans combien de cas cela a-t-il débouché sur des accusations au pénal? Combien de poursuites au pénal ont débouché sur des condamnations? Pourrait-on nous fournir rapidement ces renseignements afin que nous puissions faire un examen plus approfondi et plus éclairé de ce projet de loi avant de le renvoyer à la Chambre?

La présidente: J'ignore si cela est possible.

Cela est-il possible, monsieur Chandler?

Pour votre gouverne, la Chambre ne va pas siéger pendant les deux semaines suivant celle-ci. Il y aura donc au moins deux semaines avant que nous ne revenions.

M. Richard Taylor (sous-commissaire adjoint de la concurrence, Affaires civiles, Bureau de la concurrence): Madame la présidente, ce que je vais vous dire sera peut-être utile dans l'intervalle. Je représente la section des affaires civiles et il a été mentionné à deux ou trois reprises aujourd'hui que les dispositions civiles, surtout celles en matière de position de domination et de monopoles, si vous voulez, traitent de l'éviction et de la prédation, et dans les deux cas, l'on pourrait examiner l'inversion.

J'ai trois enquêtes en cours. Nous avons déjà mentionné celle en Saskatchewan, et il y en a deux autres, en Ontario, portant sur le même problème.

Je n'ai pas les chiffres concernant les autres cas que nous avons examinés, mais je sais qu'il y en a eu d'autres.

M. Stan Keyes: Je ne comprends pas la réponse. Je viens de poser une question au sujet du nombre de plaintes, d'enquêtes, de poursuites au criminel, et ce serait très utile au comité que cela ne se cantonne pas au secteur du pétrole, mais s'étende peut-être également au secteur des supermarchés. Si vous avez des cas du genre, vous pourriez peut-être nous transmettre ces renseignements également.

M. Harry Chandler: Nous ferons de notre mieux.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Keyes.

J'aimerais remercier le Bureau de la concurrence d'avoir été des nôtres.

J'aimerais également faire savoir aux membres du comité qu'il nous faut prendre une décision au sujet de l'étude article par article. J'aimerais expliquer les règles afin que chacun soit au courant du processus.

Avec neuf membres du comité—ce pourrait n'être que des membres du parti au pouvoir. Nous pouvons passer à l'étude article par article sans qu'il y ait de membres de l'opposition qui soient présents. Cependant, ce ne serait pas là ma préférence, ce qui signifie qu'il faudrait que les membres du parti au pouvoir me confirment que demain, lorsque nous commencerons l'étude article par article du projet de loi, après avoir entendu nos témoins, nous poursuivrons, je l'espère, jusqu'à ce que nous ayons terminé, et j'ose espérer que nous aurons demain la collaboration de l'opposition.

Monsieur Lastewka.

M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Ma suggestion serait que nous nous rencontrions demain à 9 h; nous entendrons alors des témoins...

La présidente: Il est prévu que nous entendions des témoins jusqu'à environ 11 h 30.

M. Walt Lastewka: ... après quoi nous pourrions procéder à l'étude article par article du projet de loi C-54.

La présidente: Monsieur Dubé, êtes-vous d'accord pour que nous procédions demain, après avoir entendu les témoins, à l'étude article par article?

• 1740

[Français]

M. Antoine Dubé: Si vous nous convoquez.

[Traduction]

La présidente: Cela vous va?

M. Antoine Dubé: Oui.

La présidente: Très bien. Nous ferons donc cela demain.

La séance est levée.