INDY Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY
COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 17 février 1999
La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): La séance est ouverte.
Conformément à un ordre de renvoi de la Chambre en date du mardi 3 novembre 1998, le comité examine le projet de loi C-54, Loi visant à faciliter et à promouvoir le commerce électronique en protégeant les renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués dans certaines circonstances, en prévoyant l'utilisation de moyens électroniques pour communiquer ou enregistrer de l'information et des transactions et en modifiant la Loi sur la preuve du Canada, la Loi sur les textes réglementaires et la Loi sur la révision des lois.
Je suis très heureuse d'accueillir aujourd'hui notre témoin du Bureau du commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario, Mme Ann Cavoukian, qui est commissaire à l'information et à la protection de la vie privée.
Je voudrais présenter mes excuses pour le retard et aussi pour le fait que les députés du Bloc qui font partie du comité sont absents aujourd'hui parce que le père de M. Dubé est décédé et qu'ils assistent aux funérailles cet après-midi. De plus, le commissaire à l'accès à l'information du Québec s'est excusé la nuit dernière. Je présente donc mes excuses pour ne pas vous avoir averti d'avance de tout cela.
Madame Cavoukian, vous avez la parole.
Mme Ann Cavoukian (commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario): Merci beaucoup.
Bon après-midi, madame la présidente et membres du comité. Je vous remercie beaucoup pour m'avoir invitée aujourd'hui à vous parler de cette importante mesure législative qu'est le projet de loi C-54. Le projet de loi aura des incidences significatives sur tous les Canadiens, tant sur le plan professionnel que sur le plan de la vie privée.
J'ai apporté avec moi un mémoire écrit distinct traitant d'un certain nombre de questions qu'à notre avis, le projet de loi devrait aborder. Il est probable que d'autres ont déjà mentionné beaucoup des sujets que nous évoquons dans notre mémoire et que ces sujets feront l'objet d'amendements. Nous sommes heureux qu'un débat comme celui-ci ait lieu sur cette importante mesure législative et que tous les points de vue soient pris en considération.
En décembre dernier, lorsque que le commissaire adjoint à l'information et à la vie privée de l'Ontario, Tom Mitchinson, a comparu devant vous en mon absence, il vous a décrit en détail la situation de la législation ontarienne sur la vie privée. Je ne vais pas répéter ce qu'il a dit sur l'historique du bureau du commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario, son rôle, son mandat ainsi que les aspects particuliers de nos lois, mais je serais très heureuse de répondre à toute question que vous auriez à ce sujet.
Je vais essayer aujourd'hui de limiter mes observations à quelques questions qui ont retenu notre attention en ce qui concerne les répercussions possibles du projet de loi C-54 sur la vie privée. Je vais également tenter d'être relativement brève pour que nous ayons la possibilité d'engager un dialogue utile sur certaines des questions qui intéressent particulièrement les membres du comité.
Comme l'a noté en décembre dernier le commissaire adjoint Tom Mitchinson, nous sommes d'avis que le projet de loi C-54 est un excellent premier pas dans la protection des renseignements personnels détenus par les organismes du secteur privé. Mesdames et messieurs, nous avons besoin de ce projet de loi, nous en avons besoin tout de suite. S'il vous plaît, n'en retardez pas l'adoption.
• 1555
Il importe de noter que le dépôt de ce projet de loi se situe
dans un contexte international beaucoup plus vaste. Le Canada est
loin d'être le seul pays à vouloir prendre des mesures énergiques
pour protéger les renseignements personnels de ses citoyens. Il
incombe certes au Canada de prendre les mesures nécessaires pour
tenir compte de la directive de l'Union européenne sur la
protection des renseignements personnels, qui est entrée en vigueur
en octobre dernier.
Tandis que nos amis de Washington empruntent un chemin différent dans leurs efforts visant à établir un régime de protection de la vie privée qu'ils jugent adéquat—un chemin beaucoup moins strict, beaucoup moins contraignant que le nôtre—, nous estimons, au Canada, que la voie législative est la plus appropriée.
Sous bien des aspects, le projet de loi C-54 est une réaction du XXIe siècle aux réalités du commerce électronique. Fait plus important, il est fondé sur l'hypothèse de base que la protection de la vie privée constitue un droit humain fondamental que doivent protéger notre gouvernement et notre appareil judiciaire.
Pour souligner l'importance du droit à la vie privée, nous recommandons d'affirmer la prépondérance de cette mesure législative, de façon à éviter que des lois subséquentes ne viennent réduire la protection qu'elle assure. L'affirmation de la prépondérance facilitera également l'interprétation judiciaire de la loi si elle doit faire l'objet d'un examen ou si ses dispositions semblent être en conflit avec celles d'autres lois.
Comme vous le savez, toutes les enquêtes, tous les sondages successifs montrent que le public souhaite que la protection des renseignements personnels soit étendue au secteur privé, tant pour répondre à des préoccupations générales concernant la protection de la vie privée que pour faire face aux nouveaux problèmes que pose le commerce électronique.
Compte tenu de la portée toujours croissante de ce commerce, nous appuyons les mesures destinées à étendre la protection législative aux renseignements personnels détenus par tous les organismes, peu importe que leur objectif premier soit ou non de nature commerciale.
Nous recommandons que l'application du projet de loi soit étendue à toutes les entités du secteur privé, y compris les organisations non gouvernementales, le secteur des organismes sans but lucratif ainsi que les organismes et les associations autonomes, peu importe que leurs activités principales soient ou non commerciales.
Nous convenons avec le ministre de l'Industrie qu'il faut encourager les provinces à adopter des mesures législatives comparables harmonisées. J'ai recommandé au gouvernement de l'Ontario de le faire et, à cette fin, j'ai écrit au premier ministre de la province pour l'exhorter à faire adopter de telles mesures, afin d'assurer une protection appropriée des renseignements personnels détenus par tous les organismes du secteur privé.
Nous sommes bien au courant des préoccupations que certains ont exprimées au sujet de l'application possible de la loi fédérale aux provinces et de la constitutionnalité d'une telle mesure. Toutefois, nous ne devrions pas détourner notre attention de notre but premier, qui est d'adopter une loi protégeant les renseignements personnels dans le secteur privé. Je vous en prie, ne commettons pas l'erreur de nous perdre dans un débat qui ne peut que détourner notre attention du principal objectif de ce projet de loi, à savoir, la mise en place d'un moyen de protéger la vie privée de nos citoyens dans tous les domaines, y compris dans le secteur privé.
Il importe de noter que le public et beaucoup de membres du secteur des affaires appuient les lois qui établissent des mesures précises de protection des renseignements personnels, pourvu que tous les organismes soient sur un pied d'égalité. L'application de règles uniformes est extrêmement importante: aucun groupe ne devrait être soumis à des contraintes indues pouvant le désavantager par rapport à la concurrence.
Il importe également de noter que certaines entreprises ont elles-mêmes réclamé l'adoption de lois protégeant les renseignements personnels dans le secteur privé. C'est peut-être là un fait sans précédent. Beaucoup d'organismes du secteur privé ont contribué à la mise au point du Code type pour la protection des renseignements personnels de l'Association canadienne de normalisation et ont, en fait, appliqué volontairement ce code depuis des années dans le cadre de leurs pratiques d'affaires quotidiennes.
Si nous en avons le temps, je serais ravie de vous donner plus tard, pendant la période des questions, des renseignements supplémentaires sur l'élaboration du code de la CSA, sur les efforts considérables qu'il a fallu déployer pour le mettre au point et sur les moyens mis en oeuvre pour rallier tous les points de vue.
Je voudrais signaler que tant la Loi provinciale sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée que la Loi sur l'accès à l'information municipale et la protection de la vie privée de l'Ontario se fondent, dans leurs règles de protection de la vie privée, sur le Code bien connu de pratiques équitables en matière de renseignements. Comme vous le savez, ces pratiques avaient été élaborées par l'OCDE aux alentours de 1980. Les mêmes principes ont par la suite été intégrés dans le code de la CSA et forment la base des lois de protection des renseignements personnels adoptées presque partout dans le monde.
• 1600
Cette base est extrêmement importante parce qu'elle signifie
que les dispositions sur lesquelles se fonde notre législation
constituent aussi l'essentiel du projet de loi C-54.
Comme vous le savez sûrement, le public appuie énergiquement une protection stricte de la vie privée et des renseignements personnels. Selon un sondage Angus Reid réalisé en 1998, 80 p. 100 des Canadiens croient que leurs renseignements personnels devraient être tenus strictement confidentiels sauf en de rares circonstances. En réponse à ces préoccupations, beaucoup d'entreprises ont volontairement et publiquement établi et appliqué leur propre code de protection des renseignements personnels.
À mesure qu'augmente la valeur de l'information, en tant que denrée, et que le progrès technologique permet d'utiliser des moyens puissants et peu coûteux d'extraction de l'information pour accéder facilement à tous genres de renseignements nous concernant tous, il devient de plus en plus important de protéger fortement l'information personnelle, où qu'elle se trouve.
Les progrès rapides des technologies de l'information intensifient le besoin de règles claires régissant la collecte, l'utilisation et la divulgation des renseignements personnels. Le consentement, s'il est donné, doit être explicite. Il doit aussi, dans la mesure du possible, être éclairé et librement donné. De plus, le consentement doit être irrévocable et toute exemption accordée à cet égard doit être étroite et explicite.
Nous sommes heureux de constater que le commissaire fédéral à la protection de la vie privée, M. Bruce Phillips, aura un rôle considérablement élargi en vertu du projet de loi. Il en aura certes besoin pour s'acquitter des fonctions qui lui sont confiées. Je vous en prie, accordez-lui les crédits nécessaires, donnez-lui des fonds en abondance—il en aura besoin, je vous l'affirme—pour atteindre les objectifs énoncés dans le projet de loi. Lorsque notre province adoptera sa propre loi, le Bureau du commissaire à l'information et à la protection de la vie privée s'efforcera d'exercer une fonction de supervision semblable en Ontario.
Nous sommes heureux de constater que le projet de loi l'étude donne au commissaire fédéral à la protection de la vie privée le mandat d'élaborer et de mettre en oeuvre des programmes destinés à favoriser une meilleure compréhension publique des questions en cause. C'est là l'objectif premier de cette mesure et de tout cet exercice. C'est une tâche de la plus haute importance. Seuls des citoyens bien informés peuvent vraiment comprendre les diverses activités portant sur leurs renseignements personnels et y consentir. L'ignorance est l'ennemi. Nous avons besoin d'un public informé et engagé.
Je suis en outre heureuse que le projet de loi prévoie un examen obligatoire dans cinq ans, comme moyen de juger l'efficacité globale de la mise en pratique de la mesure. Cet examen, destiné à analyser l'application de la loi à l'échelle tant fédérale que provinciale, permettra de déterminer quelles provinces, à l'exception du Québec, ont adopté des lois correspondantes et quelles lacunes ou omissions semblent exister dans le pays en ce qui concerne la protection des renseignements personnels.
Une fois adopté, le projet de loi C-54 renforcera sensiblement la protection de la vie privée de tous les Canadiens. Les membres de ce comité ont un rôle extrêmement important à jouer en veillant à ce que le projet de loi atteigne effectivement les objectifs qu'il vise en principe.
Je vous remercie de m'avoir de l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. J'espère que mes observations vous seront utiles. Je serais maintenant heureuse de répondre à vos questions.
Merci beaucoup, madame la présidente.
La présidente: Merci à vous, madame Cavoukian.
Nous passons maintenant aux questions. Monsieur Pankiw.
M. Jim Pankiw (Saskatoon—Humboldt, Réf.): Vous dites donc que l'Ontario n'a pas actuellement une loi?
Mme Ann Cavoukian: Pas pour le secteur privé. Les lois que nous avons s'appliquent au gouvernement provincial et aux administrations municipales.
M. Jim Pankiw: D'accord, mais vous dites que des mesures législatives de ce genre pourraient être adoptées bientôt.
Mme Ann Cavoukian: Lorsque le projet de loi C-54 aura été adopté, j'espère que, conformément à ses dispositions, il s'appliquera aux provinces dans trois ans, à moins que les provinces n'aient adopté leurs propres mesures législatives. Nous croyons qu'une loi ontarienne régirait mieux le secteur privé ontarien qu'une loi nationale. J'ai donc bon espoir que notre gouvernement fera adopter une telle loi qui sera harmonisée avec le projet de loi fédéral à l'étude.
M. Jim Pankiw: Pourquoi voulez-vous que deux paliers de gouvernement appliquent des lois distinctes pour atteindre le même objectif?
Mme Ann Cavoukian: Parce qu'il est extrêmement facile de semer la confusion dans l'esprit du public. Le public ontarien est habitué à nous appeler pour se plaindre ou pour signaler des violations de la vie privée attribuables au secteur public. Les gens sont habitués à prendre contact avec nous.
Au cours des onze ou douze dernières années, nous avons reçu de nombreux appels concernant le secteur privé. À l'heure actuelle, en fait, nous recevons probablement autant d'appels au sujet du secteur privé qu'au sujet du secteur public. Nous ne pouvons rien faire en ce moment dans le cas du secteur privé. Nous sommes malheureusement obligés de renvoyer ceux qui appellent à d'autres organismes. Je ne veux pas continuer à le faire.
• 1605
J'espère que nous aurons un jour la possibilité de nous
occuper de toutes les questions relevant de notre compétence en
Ontario. Je crois d'ailleurs que cela serait plus facile pour le
public ontarien.
M. Jim Pankiw: Vous me donnez là la perspective provinciale, mais il me semble que nous aurions encore des lois fédérales et provinciales. Nous aurions un commissaire à la protection de la vie privée au fédéral et un autre au provincial, qui auraient tous deux le même rôle. Vous ne pensez pas?
Mme Ann Cavoukian: Mais c'est exactement la situation que nous avons aujourd'hui. Nous y sommes habitués. Nous avons un commissaire fédéral à la protection de la vie privée et un commissaire fédéral à l'information. Toutes les grandes provinces ont un commissaire chargé à la fois de l'information et de la protection de la vie privée. C'est le régime que nous avons à l'heure actuelle et il fonctionne très bien. Les différents commissaires collaborent beaucoup entre eux et il faudra que cela continue pour que le projet de loi à l'étude puisse effectivement atteindre ses objectifs.
M. Phillips aura déjà beaucoup à faire en s'occupant des entreprises, des organismes et des sociétés sous réglementation fédérale. Nous avons un très grand pays. Il serait probablement avantageux pour M. Phillips que nous ayons des lois complémentaires, comme au Québec, par exemple, et que chaque commissaire exerce son contrôle dans le secteur de compétence correspondant à chaque plainte.
M. Jim Pankiw: Ainsi, la différence entre vous-même et le commissaire fédéral à la protection de vie privée serait une simple question de compétence, selon que l'entreprise en cause relève du provincial ou du fédéral?
Mme Ann Cavoukian: C'est bien comme cela que je le vois. Je n'y ai pas longuement réfléchi, mais c'est sûrement ainsi que les choses se passent en ce qui concerne le secteur public.
M. Jim Pankiw: Que ferait-on alors s'il y a confusion ou désaccord quant au régime qui s'applique à une entreprise donnée?
Mme Ann Cavoukian: Il faudrait y penser. Je ne peux pas vous répondre immédiatement parce que je ne suis pas certaine des limites qu'il y aurait...
Nous pourrions nous entendre sur des règles de base qui permettraient de déterminer qui est assujetti à la réglementation fédérale et qui assume cette réglementation. Par exemple, les agents immobiliers relèvent de la compétence provinciale. Nous pourrions donc nous baser sur l'organisme de réglementation dont relève l'entreprise en cause. Je suis sûre que nous pourrions nous entendre sur des règles pour délimiter les champs de compétence.
M. Jim Pankiw: Si la loi provinciale adoptée s'écarte de la loi fédérale à certains égards, à votre avis, laquelle des deux devrait primer?
Mme Ann Cavoukian: J'ai l'impression que le libellé du projet de loi C-54 est tel que c'est la règle ou la disposition la plus stricte qui l'emporte.
M. Jim Pankiw: On pourrait donc imaginer que si l'Ontario adoptait des dispositions plus strictes que la loi fédérale ou que les lois d'une autre province du Canada, ce serait la loi ontarienne qui l'emporterait?
Mme Ann Cavoukian: C'est mon point de vue, oui.
M. Jim Pankiw: Et cette situation vous conviendrait?
Mme Ann Cavoukian: Je serais enchantée que l'Ontario ait des dispositions plus fermes, mais je serais très heureuse que nous ayons tout simplement une loi d'ici trois ans.
M. Jim Pankiw: Merci.
La présidente: Merci, monsieur Pankiw.
Monsieur Lastewka.
M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Merci, madame la présidente.
Tout d'abord, je voudrais vous remercier pour votre rapport et pour les autres points que vous avez soulevés au sujet des modifications à apporter au libellé actuel du projet de loi.
J'ai quelques questions vous poser. Est-ce que la loi ontarienne actuelle de protection des renseignements personnels a prépondérance sur les autres lois ou est-ce que d'autres lois peuvent se soustraire à ses dispositions?
Mme Ann Cavoukian: Si l'autre loi mentionne explicitement la nôtre en se soustrayant à ses dispositions, nous ne pouvons pas intervenir. Il faut cependant que l'autre loi contienne une disposition disant explicitement qu'elle est elle-même exemptée de l'application de la Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée. Si ce n'est pas le cas, cette Loi s'applique.
M. Walt Lastewka: Avez-vous beaucoup de lois qui contiennent une telle disposition?
Mme Ann Cavoukian: Il y en a un certain nombre et il pourrait y en avoir beaucoup plus. En fait, l'une de nos préoccupations—et c'est la raison pour laquelle nous voulons tellement une loi s'appliquant au secteur privé—, c'est qu'avec la tendance à la privatisation des organismes gouvernementaux, un nombre de plus en plus important de ces organismes échappent à notre contrôle.
Il y en avait un exemple dans le journal aujourd'hui. Ontario Hydro, comme vous le savez, va être divisé en deux organismes privés. Nous avions énergiquement demandé à ce qu'ils continuent à relever de nous, comme c'était le cas d'Ontario Hydro. Nous avons eu un certain nombre de cas mettant en cause Ontario Hydro, dans lesquelles notre intervention a été, je le crois, avantageuse pour le public.
• 1610
Nos efforts n'ont pas eu de succès. Le nouvel Ontario Hydro,
avec ses deux composantes, échappera à notre réglementation. Raison
de plus, par conséquent, pour que nous ayons une loi s'appliquant
au secteur privé.
M. Walt Lastewka: Pouvez-vous nous parler des plaintes concernant l'accès à l'information? Votre loi prévoit-elle des droits à acquitter et est-ce que cela a occasionné des difficultés?
Mme Ann Cavoukian: Il n'y avait pas de droits au départ. Il y a quelques années, des droits ont été imposés pour la présentation d'une demande. Lorsqu'un membre du public souhaite obtenir des renseignements d'un ministère, par exemple, il doit verser des droits de 5 $. Je ne crois pas que ces droits en particulier aient eu un effet dissuasif.
La dissuasion, à notre avis, est due aux droits imposés depuis un certain temps sur les appels. Si on vous refuse l'accès à l'information que vous demandez et que vous interjetiez appel auprès de notre bureau, vous aurez à verser des droits de 25 $ pour les dossiers généraux d'accès à l'information et de 10 $ pour les dossiers de renseignements personnels. Ces sommes ne semblent peut-être pas très importantes, mais nous croyons qu'elles ont eu un effet dissuasif.
M. Walt Lastewka: Y a-t-il eu des abus qui expliquent l'imposition de ces droits?
Mme Ann Cavoukian: Oui, mais j'ai des réserves à ce sujet. En l'absence de droits, rien n'empêcherait une personne de présenter une centaine de demandes frivoles. Mais elle ne le fera peut-être pas si elle doit débourser 5 $ par demande, ce qui représenterait un total de 500 $. Par conséquent, il était peut-être nécessaire d'imposer des droits à ce niveau.
Je ne crois cependant pas qu'il soit nécessaire d'imposer des droits pour faire appel. Je regrette qu'on l'ait fait.
M. Walt Lastewka: Vous nous avez demandé d'adopter le projet de loi tout de suite, sans délai. À votre avis, est-ce que l'Ontario pourrait trouver difficile d'harmoniser sa propre législation à la loi fédérale? Y a-t-il des dispositions du projet de loi C-54, dans sa forme actuelle, qui pourraient empêcher une province d'harmoniser sa législation à la nôtre?
Mme Ann Cavoukian: Non, je ne vois aucune difficulté. En réalité, le fait que le projet de loi soit essentiellement fondé sur le code de la CSA constitue un facteur qui joue très fortement sa faveur.
Tout le processus d'élaboration du code type de la CSA pour la protection des renseignements personnels visait à rallier les différents points de vue. Il a fallu quatre ou cinq ans pour le mener à terme. J'étais à la table de négociation, avec les représentants de bien d'autres secteurs d'activité, comme les banques, le Bureau d'assurance du Canada, les compagnies de téléphone, les entreprises de câblodistribution, les représentants du commissaire fédéral à la protection de la vie privée, les groupes de défense des consommateurs, Industrie Canada, etc. Il y avait beaucoup de monde à la table.
Il a fallu assez longtemps pour créer ce code, mais lorsque le produit final a été publié en 1996, il a immédiatement été bien accueilli par tous ces organismes, par le milieu des affaires et par l'Association canadienne du marketing direct, qu'on n'aurait normalement pas classée parmi les partisans d'une telle mesure. Tous ces gens ont immédiatement donné leur appui et adopté le code dans leur propre organisation.
Par conséquent, les principaux secteurs du monde des affaires approuvent et appuient le code de la CSA. Ce n'est pas une petite affaire lorsqu'il faut persuader les entreprises qu'elles devraient respecter la vie privée et les renseignements personnels. Il était donc particulièrement avantageux de construire le projet de loi sur la base du code type de la CSA, qui a déjà l'adhésion et la confiance de beaucoup de groupes dans le monde des affaires. De là à légiférer sur la base de ce code, il n'y a pas loin à aller. Bien sûr, il y aura quelques modifications, mais vous n'aurez pas à faire autant de promotion, autant de travail de persuasion que ce n'aurait autrement été le cas. C'est là un facteur extrêmement important.
M. Walt Lastewka: Vous avez, dans votre témoignage, mentionné la sensibilisation et l'importance qu'il y a à accorder au commissaire des crédits suffisants pour faire ce travail d'éducation. Je suppose que le processus de sensibilisation serait coordonné entre tous les commissaires à la protection de vie privée du pays. De quel budget disposez-vous vous-même à cette fin?
Mme Ann Cavoukian: C'est une bonne question. Nous avons notre budget mais, à ma connaissance, nous n'avons pas une répartition précise entre les communications et la sensibilisation. Je peux cependant vous dire que je consacre personnellement au moins la moitié de mon temps à cette fonction. Je prononce des dizaines de discours, une quarantaine ou une cinquantaine par an. Je me présente constamment devant différents groupes. Je donne des centaines d'interviews aux médias.
• 1615
Nous avons un important processus de sensibilisation publique,
nous produisons des publications trimestrielles et annuelles, nous
distribuons des brochures. J'encourage mes collaborateurs à prendre
la parole devant différents groupes. Nous avons cette année un
nouveau programme sur le droit d'accès à l'information et la
protection de vie privée pour les écoles, un programme qui cible
particulièrement les élèves de 5e année, qui ont autour de 10 ans.
Nous consacrons beaucoup de temps à l'éducation. Je ne peux pas tout de suite vous citer un chiffre en dollars, mais je peux le trouver et vous le faire parvenir plus tard. Quoi qu'il en soit, j'y consacre sûrement la majorité de mon temps.
M. Walt Lastewka: Je sais, pour en avoir discuté avec M. Phillips, qu'il trouve cet aspect très important. Il est d'avis qu'en matière de protection de la vie privée, c'est l'ignorance qui est notre problème et qu'à défaut d'une bonne sensibilisation publique, le message ne passera pas. C'est pour cette raison que je vous demandais quel temps vous consacrez à l'éducation.
Mme Ann Cavoukian: Je suis tout à fait d'accord avec M. Phillips. Il n'y a rien de plus important que cet aspect du projet de loi, parce que nous avons à surmonter deux obstacles: il faut sensibiliser le public et il faut sensibiliser le monde des affaires. Les deux tâches sont gigantesques parce que nous devons composer avec les progrès extraordinaires de la technologie et la croissance sans précédent d'Internet.
Le message est passé partout que l'information doit circuler sans entraves et qu'il faut assurer l'intégration des données et la connectivité. «Mettons tout ensemble, relions tout.» Voilà le message. Le génie est sorti de la bouteille.
Nous essayons d'exercer un certain contrôle sur tout cela, de sensibiliser le public aux conséquences d'une absence totale de contrôle. Pourquoi, dans une société libre et démocratique, le droit à la vie privée et le droit de contrôler l'usage fait de nos renseignements personnels sont-ils si importants? Cette question est critique. La plupart des gens n'y ont pas réfléchi, sauf s'ils ont eu des difficultés particulières à cet égard.
La tâche est gigantesque et extrêmement importante. Les gens auront besoin, à la veille du XXIe siècle, de se protéger et de protéger leurs renseignements personnels parce que nous ne pourrons pas le faire entièrement pour eux. Nous devons donc éduquer les consommateurs, qui pourront alors se renseigner eux-mêmes et renseigner leur famille sur les choses auxquelles il faut faire attention.
Pourquoi, lorsque vous allez sur une page Web, devez-vous vous assurer que votre hôte a une politique de protection des renseignements personnels, que vous avez votre mot à dire sur l'utilisation faite de ces renseignements et que vous avez le droit de refuser toute utilisation secondaire que vous n'auriez pas autorisée? À titre de consommateur, vous pouvez avoir à l'esprit une série sinon une liste de questions à poser pour être à même de mieux protéger vos renseignements. Le projet de loi à l'étude nous permettra de faire cela si nous avons le mandat et les ressources nécessaires pour sensibiliser les gens.
M. Walt Lastewka: Je regrette vraiment que nos collègues du Bloc ne soient pas ici pour entendre votre témoignage au sujet du travail accompli sur la norme de la CSA et des appuis dont elle bénéficie déjà. Je sais, pour avoir travaillé à l'occasion avec des députés de l'autre côté de la Chambre, que l'existence de cette norme de la CSA facilitera beaucoup notre travail auprès du monde des affaires, parce que nous n'aurons pas à faire l'unanimité. La CSA l'a déjà fait pour nous.
Mme Ann Cavoukian: C'est exact, monsieur.
Permettez-moi d'ajouter une chose. Pour que le projet de loi réussisse, vous devez faire en sorte que le monde des affaires s'autodiscipline. Bien sûr, le projet de loi, une fois adopté, vous donnera un droit juridique que vous pouvez demander aux tribunaux de faire respecter. Toutefois, à moins de disposer de milliards de dollars à consacrer à la mise en vigueur de la loi, vous devrez compter sur la bonne foi de ceux qui doivent s'y conformer. La façon d'y parvenir, c'est de vous assurer d'avoir gagné un certain appui en prenant à coeur les intérêts de l'autre partie, c'est-à-dire du monde des affaires, d'une façon raisonnable, basée sur le compromis, que l'autre partie peut accepter. Si le monde des affaires peut s'en accommoder, il se conformera à la loi, de sa propre initiative. En fait, il le fera bien mieux que vous et moi ne pourrions l'y obliger.
Il faut donc prévoir une certaine mesure d'autoréglementation, pour que nous puissions faire un niveau supérieur de mise en oeuvre ou de vérification de la conformité. Vous ne pourrez pas cependant compter exclusivement sur une telle vérification pour atteindre le but recherché. Ce n'est malheureusement pas possible. Voilà pourquoi, encore une fois, il est tellement important de sensibiliser le public et de faire comprendre au monde des affaires que c'est dans son propre intérêt qu'il doit se conformer à la loi.
• 1620
Je suis constamment en contact avec des gens d'affaires. J'ai
discuté à plusieurs reprises de cette question avec des
responsables de quatre des cinq grandes banques. Le message que je
m'efforce continuellement de transmettre, c'est qu'il est de leur
propre intérêt, en tant qu'entreprises, et pas seulement du mien,
de respecter la vie privée de leurs clients. S'ils comprennent,
comme c'est le plus souvent le cas, un déclic se produit chez eux:
tout à coup, ils saisissent le message et sont d'accord pour le
faire. Voilà le stade critique du processus.
M. Walt Lastewka: Je vous remercie.
La présidente: Merci, monsieur Lastewka.
Monsieur Pankiw, aviez-vous d'autres questions à poser?
M. Jim Pankiw: Oui.
Avez-vous fait des projections, avez-vous une idée du nombre de plaintes que vous pourriez recevoir ou du nombre d'enquêtes ou de vérifications de la conformité que vous auriez à faire? En d'autres termes, à quel volume de travail de mise en oeuvre vous attendez-vous?
Mme Ann Cavoukian: C'est une question extrêmement difficile, mais je suis sûre que M. Phillips a déjà travaillé là-dessus. Pour ma part, je ne l'ai pas fait. Je pourrais l'interroger à ce sujet.
Permettez-moi cependant de vous dire ceci. Si vous devez choisir où affecter vos ressources, optez pour la sensibilisation, l'éducation et les communications plutôt que pour une enquête sur une plainte, qui ne touche en définitive qu'un seul plaignant.
Nous faisons les deux, à mon bureau. Les deux fonctions sont importantes. Toutefois, lorsque vous enquêtez sur une plainte et que vous arrivez à une conclusion, la moitié du temps, plus ou moins, cette conclusion n'est pas en faveur du plaignant, qui est alors insatisfait. En fait, il y a toujours quelqu'un qui n'est pas satisfait, vous ne pouvez rien y faire. Il y a une loi que vous devez appliquer. Et vous ne touchez qu'un nombre limité de personnes. Bien sûr, il est indispensable d'avoir un mécanisme de règlement des plaintes, mais il ne peut pas avoir une très grande portée et ne peut pas transmettre votre message à beaucoup de gens.
Or je peux toucher des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes pendant une année en allant faire des discours, en parlant aux gens, en frappant à leur porte, en essayant de passer le message, en m'adressant à des groupes de consommateurs. Je peux toucher bien plus de gens que le mécanisme de règlement des plaintes.
J'en reviens à cette question d'affectation de ressources. Si vous avez un choix à faire, la sensibilisation publique et les communications devraient venir en premier. C'est à cela que vous devez consacrer le plus gros de vos efforts. Ensuite, au fil des ans, vous serez en mesure de compter les plaintes que vous avez reçues, de déterminer si vous avez ou non suffisamment de personnel et de faire les rajustements nécessaires. Mais je ne crois pas que vous puissiez jamais surestimer les coûts ou les besoins en matière de sensibilisation du public.
M. Jim Pankiw: Et que feriez-vous si votre bureau était inondé de plaintes imprévues?
Mme Ann Cavoukian: Nous avons des moyens de faire face à cette situation. Par exemple, l'expérience acquise à notre bureau démontre que certains types de plaintes aboutissent toujours au même résultat parce que les situations sont identiques. La loi est claire et vous en appliquez les dispositions. Par conséquent, si vous recevez une série de plaintes du même genre, vous n'avez pas à mener une enquête complète sur chacune. Vous pouvez vous servir de l'enquête précédente. Vous pouvez dire: «Voilà nos conclusions. Nous croyons que votre situation est la suivante.» Plus de la moitié du temps, le plaignant est satisfait parce qu'il arrive souvent qu'il ne comprenne pas très bien le mode d'application de la loi.
On peut donc trouver des moyens systématiques d'enquêter sur les plaintes et des moyens de régler ces questions.
M. Jim Pankiw: Très bien.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Pankiw.
[Français]
Monsieur Bellemare.
M. Eugène Bellemare (Carleton—Gloucester, Lib.): Madame Cavoukian, bienvenue sur la Colline du Parlement. Mes questions seront les suivantes.
[Traduction]
Quel est votre point de vue sur le commerce électronique quand il s'agit de protéger les enfants?
Mme Ann Cavoukian: Rien ne pourrait être plus important que la protection des enfants.
M. Eugène Bellemare: Avons-nous des lois? En avons-nous en Ontario?
Mme Ann Cavoukian: Pas particulièrement au sujet des enfants ou d'Internet ou de toutes ces questions qui se posent.
C'est une question extrêmement difficile. Comme vous le savez peut-être, nos voisins du Sud ont essayé à plusieurs reprises de faire adopter des lois pour protéger les enfants, mais n'ont pas eu de succès à cause de l'extrême difficulté qu'il y a à légiférer d'une façon très générale pour que tels ou tels types d'information, de paroles ou de scènes soient interdits aux enfants. Inévitablement, il y a des effets qu'on n'avait pas prévus. On ne voudrait pas par exemple interdire l'information sur le cancer du sein, mais à cause du mot «sein», l'information pourrait ne pas être montrée aux enfants. Il est très difficile de légiférer dans ce domaine.
J'encouragerais plutôt le développement et la diffusion de technologies permettant, par exemple, aux parents de contrôler d'avance sur Internet ce que leurs enfants pourraient voir. Ces technologies en pleine évolution mettront entre les mains des parents des moyens de contrôler l'accès de leurs enfants à différents sites Web.
• 1625
C'est un domaine extrêmement difficile et extrêmement
important, mais nous aurions besoin de toute une séance, ou
presque, pour aborder tous les aspects et toutes les considérations
dont il faut tenir compte. Dans le cas des mineurs, il faut laisser
aux parents la responsabilité—je n'aime pas beaucoup le mot
contrôle—disons donc de la supervision de ce que leurs enfants
voient sur Internet.
Je vais peut-être vous révéler mon âge en vous parlant de cela, mais je me souviens, quand j'étais enfant, que mon père, qui était très strict, ne nous permettait de regarder que deux émissions par semaine à la télévision. C'était sans précédent. Et il fallait qu'il les approuve d'abord. Il passait en revue le guide hebdomadaire et nous disait: «Vous pouvez regarder telle ou telle émission.» Je crois que l'une était Leave it to Beaver et l'autre, Father Knows Best, bien sûr, et c'était tout. Je ne sais pas comment cela se faisait, mais je n'aurais jamais eu l'idée de désobéir.
Je ne prétendrais sûrement pas que la situation soit la même aujourd'hui, mais mes parents ont joué un rôle très actif en supervisant ce que je pouvais regarder à la télévision. Nous pouvons sûrement encourager les parents à en faire de même avec leurs enfants en ce qui concerne Internet et, en même temps, leur donner des outils pour les aider.
M. Eugène Bellemare: Je laisserai ma collègue du Québec, Marlene, parler des lois québécoises qui protègent les enfants. Je crois que le Québec est vraiment plus avancé que n'importe qui d'autre dans ce domaine.
Ma deuxième question porte sur les exercices d'extraction de données. Il est possible qu'on tombe sur quelque chose de semblable à la publicité importune. Alors, les gens vont se plaindre et ceux qui font l'extraction diront: «Eh bien, c'est le même principe que les gens qui qualifient de publicité importune toute chose commerciale qu'ils reçoivent. Il y a beaucoup d'entreprises, elles ont besoin de faire de la publicité et le moyen de la communiquer aux ménages, c'est souvent le prospectus ou le dépliant que les gens qualifient de publicité importune.» Que répondrez-vous aux gens qui disent: «C'est le même problème que la publicité importune. Cessez donc de nous embêter?»
Mme Ann Cavoukian: Je dirais, encore une fois, qu'il faut donner un choix aux gens. J'accepte le désistement, mais seulement comme norme inférieure. Même là, il faut permettre aux gens de choisir, même si le choix est négatif, lorsqu'ils doivent dire, par exemple, qu'ils ne veulent pas être sollicités ou recevoir du matériel de marketing.
Nous avons constaté que si une entreprise donne à une personne le choix de l'information qu'elle veut ou non recevoir, souvent cette personne n'a pas d'inconvénient à recevoir du matériel publicitaire de l'entreprise, avec qui elle aura développé une relation de confiance, sans compter qu'elle pourrait éprouver un certain intérêt pour le matériel publicitaire en question. En général, les gens ne veulent pas être sollicités par une foule d'entreprises inconnues et être bombardés d'objets qui, pour eux, constituent de la publicité importune.
Je répète donc qu'il y va de l'intérêt de l'entreprise de demander à ses clients: «Pouvons-nous ou non vous envoyer du matériel publicitaire de temps à autre?» L'entreprise devrait offrir un choix multiple et ne pas se limiter à oui et non. Par exemple: «Pouvons-nous vous envoyer de l'information publicitaire sur notre société? Pouvons-nous communiquer vos coordonnées à d'autres entreprises pour qu'elles vous envoient de l'information?» Elle pourrait ensuite proposer une série de cases à cocher.
Cela est très important. On peut faire face à la question de l'extraction des données et de la publicité importune en se livrant à ce genre d'exercice.
M. Eugène Bellemare: Vous faites vraiment confiance au monde des affaires. De toute évidence, vous vivez à un endroit où vous avez affaire à de braves gens. Vous semblez oublier qu'il existe malheureusement des quartiers et des secteurs d'affaires où on ne se soucie pas trop des observations gentilles et louables que vous venez de présenter. Si un gentil monsieur appelle pour dire: «Je ne veux plus recevoir vos prospectus. Cessez donc de m'importuner», il est probable qu'à l'autre bout du fil, on se limite à lui rire au nez.
Mme Ann Cavoukian: Et c'est exactement la raison pour laquelle nous avons besoin d'une loi. Si votre interlocuteur vous rit au nez et continue à vous envoyer les prospectus, alors il s'expose à être accusé d'infraction à la loi. Il y a de bonnes chances alors que les prospectus cessent d'arriver.
J'ai beaucoup de respect pour les entreprises comme celles qui font partie de l'Association canadienne du marketing direct... Je m'excuse, je crois que c'est maintenant l'Association canadienne du marketing. Nous avons eu beaucoup de contacts avec les dirigeants de l'ACM, qui a un magnifique code de pratiques basé sur celui de la CSA, auquel l'Association et ses membres se conforment volontairement.
• 1630
Mais l'Association ne représente pas toutes les entreprises de
marketing direct du pays, elle n'en représente qu'environ 80 p.
100. Il y a donc 20 p. 100 de «pommes pourries» qui se livrent à des
pratiques que nous pourrions juger répréhensibles du point de vue
de la protection des renseignements personnels. C'est à ces
entreprises que j'en veux et que l'AMC en veut.
L'AMC a pris une décision sans précédent en préconisant l'adoption d'une loi, ce qui, croyez-moi, a rendu très nerveux ses homologues américains. Les membres de la Direct Marketing Association des États-Unis étaient blêmes lorsqu'ils ont appris que l'Association canadienne voulait une loi.
L'ACM a agi ainsi parce qu'elle voulait que tout le monde soit sur un pied d'égalité, y compris les 20 p. 100 qui n'en sont pas membres. Elle s'inquiétait non pour ses membres, mais pour ceux qui rejetaient la discipline volontaire. Voilà donc pourquoi nous avons besoin du projet de loi.
M. Eugène Bellemare: Il y a l'extraction des données, mais il y a aussi les gens qui achètent des listes.
Mme Ann Cavoukian: Oui.
M. Eugène Bellemare: Dans le pire des cas, ces listes pourraient être vendues à des étrangers qui entreprendraient de harceler les Canadiens. Comment nous protéger contre cela? Il n'est pas question de bonne volonté. On ne peut pas dire aux gens qui se livrent à de telles pratiques de cesser de le faire parce qu'ils embêtent de vieilles dames et de vieux messieurs.
Mme Ann Cavoukian: Le projet de loi interdirait la vente ou la divulgation de ces listes sans le consentement des intéressés, même s'il s'agit d'un consentement négatif. Il serait donc interdit au Canada de vendre ces listes ailleurs.
M. Eugène Bellemare: L'interdiction qui figure dans le projet de loi vous suffit-elle?
Mme Ann Cavoukian: Il faudra peut-être quelques rajustements. Je ne dis pas que le projet de loi est parfait, mais, monsieur, la perfection n'est pas de ce monde.
Le message que j'essaie de transmettre à tous les membres du comité, c'est que nous avons tout de suite besoin de protection dans le secteur privé. Nous avons besoin des meilleures mesures législatives possibles, mais je trouverais inacceptable d'avoir à attendre une autre année. La directive de l'Union européenne a été adoptée en octobre dernier. Nous ne voulons pas que cette affaire se transforme en barrière commerciale non économique mais, ce qui est plus important, nous voulons que le secteur privé sache qu'il y a une norme à respecter dans le domaine de l'information.
Par conséquent, comme j'accepte de vivre dans un monde imparfait, je veux bien me contenter du projet de loi actuel, avec quelques petites modifications. Je crois que nous pouvons nous en servir pour atteindre l'objectif.
M. Eugène Bellemare: Nous enverrez-vous les modifications que vous aimeriez y voir?
La présidente: [Note de la rédaction: Inaudible.]
M. Eugène Bellemare: Très bien.
Merci, madame.
Mme Ann Cavoukian: Merci.
La présidente: Monsieur Murray.
M. Ian Murray (Lanark—Carleton, Lib.): Merci beaucoup.
Madame Cavoukian, je suis heureux de vous voir parmi nous.
Vous avez dit du projet de loi que c'était un excellent premier pas. Cela veut-il dire qu'il répond à 50 p. 100 des besoins ou à 90 p. 100 des besoins? Serait-il parfait ou aussi proche que possible de la perfection si nous y incorporions vos suggestions? Et si vous aviez l'occasion de participer à la rédaction d'un projet de loi ontarien, qu'est-ce que vous ajouteriez à ce texte, qu'est-ce que vous en retrancheriez, en supposant que le projet de loi ne répond pas parfaitement aux besoins et qu'il ne constitue qu'un bon premier pas?
Mme Ann Cavoukian: C'est une question difficile. Je ne saurais pas vous donner le pourcentage de perfection du projet de loi.
M. Ian Murray: La question est peut-être un peu injuste. Vous avez parlé en termes très élogieux du projet de loi. En disant qu'il s'agissait d'un excellent premier pas, peut-être vouliez-vous simplement suggérer qu'il est possible d'en faire plus. Comme je l'ai dit, je ne voudrais pas me montrer injuste en vous posant cette question.
Mme Ann Cavoukian: Je comprends.
J'aimerais que le champ d'application du projet de loi aille au-delà des sociétés dont la principale activité est de nature commerciale. J'ai mentionné dans ma déclaration que beaucoup d'organismes, comme les organisations non gouvernementales et les associations professionnelles qui régissent les avocats, les médecins, les comptables, etc., échappent à notre champ de compétence, mais ne pourraient pas, par exemple, se soustraire à l'application de la loi adoptée par la Colombie-Britannique.
Nous aimerions que ces organismes soient couverts. Ils ont accès à beaucoup de renseignements personnels. Ils ont peut-être une certaine activité commerciale. Je ne sais pas si on peut exploiter ce fait. Il vaudrait sans doute la peine d'examiner la question de plus près. De toute façon, nous aimerions que la loi s'applique à eux parce que nous ne croyons pas qu'il soit sage de laisser sans protection n'importe quelle source de renseignements personnels. En fait, tout le monde devrait être couvert, mais comment y arriver? C'est notre objectif.
• 1635
Il serait possible d'améliorer le projet de loi sans le
modifier d'une façon radicale. J'aimerais être certaine par exemple
qu'il a prépondérance sur les autres mesures législatives. Il y a
aussi quelques autres points que j'ai mentionnés. Mais je répète
qu'il serait préférable d'adopter le projet de loi tout de suite,
quelles que soient ses lacunes, que de ne pas l'adopter. Parce
qu'il nous faudrait alors attendre une autre année ou deux—qui
sait?—pour en revenir au même point avec un autre projet de loi
qui, n'en doutons pas, aurait encore ses propres lacunes.
Nous pourrions jouer à ce jeu ad nauseam. Nous avons besoin du projet de loi maintenant. Le génie est sorti de la bouteille. Nous espérons pouvoir le tenir quelque temps, mais ce sera bientôt impossible. C'est maintenant le temps d'agir. Nous devons aller de l'avant, tout de suite.
M. Ian Murray: Il y a beaucoup d'intérêts à concilier, comme dans le cas du code de la CSA. Vous vous êtes montrée très enthousiaste au sujet du processus qui a abouti à l'adoption de ce code, mais il semble qu'il a fallu livrer tout un combat pour en arriver là. Je ne doute pas qu'il ait fallu accepter des compromis. À moins qu'au bout de quelques années, tous les participants n'aient vu la lumière jaillir et n'aient alors dit: «Oui, voilà le code parfait!»
Des voix: Oh, oh!
M. Ian Murray: Compte tenu du fait que la protection de la vie privée est votre première priorité et que vous avez vécu ce processus de conciliation d'intérêts contraires, pouvez-vous affirmer aujourd'hui que vous être parfaitement satisfaite des dispositions de ce code type et que, même aujourd'hui, il n'y aurait rien à y ajouter?
Mme Ann Cavoukian: Il y a toujours moyen d'en faire davantage. Je ne prétendrai pas le contraire et je ne prétends pas qu'il n'y ait pas eu de compromis. Pourrions-nous resserrer les pratiques de collecte, par exemple? Oui, bien sûr. Pourrions-nous renforcer différents aspects du projet de loi? Nous pourrions certainement l'examiner article par article et trouver des choses à renforcer. J'essaie cependant de vous persuader qu'à mon avis, les petits détails du projet de loi ne détermineront pas s'il sera ou non efficace.
En définitive, la protection de la vie privée au Canada dépendra des efforts que déploieront les commissaires et des gens comme vous pour sensibiliser davantage le public et le monde des affaires, afin qu'ils comprennent vraiment pourquoi il est important de respecter la vie privée et comment le faire.
Je nous vois en train d'exposer les nuances du projet de loi aux gens d'affaires, de leur expliquer ce qu'ils doivent faire et pourquoi il est avantageux pour tous d'agir ainsi. Je considère que c'est là notre tâche: nous montrer proactifs, nous entretenir avec les membres de la communauté des affaires, rencontrer le public et lui transmettre ce message.
Je sais que mon collègue, David Flaherty, dit que nous jouons le rôle de chefs de claque en faveur du projet de loi et de la vie privée, mais nous voulons surtout persuader les gens que la protection de la vie privée est très importante pour une société et leur expliquer encore et toujours que vie privée n'est pas synonyme de sécurité et les raisons pour lesquelles nous devons protéger les deux. Voilà le message que nous devons transmettre et, si nous pouvons le faire avec passion et enthousiasme, nous espérons que nos interlocuteurs voudront le faire aussi.
Même si je dispose d'un personnel nombreux, je n'ai pas l'espoir d'imposer la discipline dans tous les ministères provinciaux et de les obliger à tout faire selon les règles. Mon seul espoir est de leur expliquer pourquoi c'est important et de favoriser la compréhension des pratiques d'information équitables.
Voilà donc les motifs de notre action. Pourquoi avons-nous des pratiques d'information équitables? Pourquoi devons-nous nous soucier de ces choses? S'ils peuvent comprendre cela, ils appliqueront la loi plus énergiquement que tout ce que nous pourrions rédiger. C'est mon expérience. Si on arrive à passer le message—et c'est la raison pour laquelle il est tellement important de se montrer proactif et de sensibiliser le public—, alors ils comprendront l'esprit qui nous pousse à agir et voudront en faire davantage.
Vous me trouvez peut-être sentencieuse, mais j'ai vu si souvent les choses se passer ainsi. C'est là un moyen beaucoup plus efficace que de jouer avec les mots, d'essayer de rendre un passage plus ferme ou d'en imposer aux gens d'affaires. S'ils agissent malgré eux, ils s'en tiendront à la lettre de la loi. Ce n'est pas ce que nous voulons, parce que nous ne serons pas toujours là. Nous n'avons pas les ressources nécessaires pour imposer la discipline de cette manière. Je ne crois pas d'ailleurs que cela soit souhaitable. Agissons de telle sorte qu'ils prendront sur eux de protéger l'information, qu'ils appliqueront l'esprit de la loi et agiront dans le sens que nous souhaitons, de bonne foi et de bon coeur.
M. Ian Murray: Où en suis-je? Est-ce que j'ai le temps de poser une brève question?
La présidente: Une dernière question, monsieur Murray.
M. Ian Murray: Je voudrais seulement connaître votre opinion sur les exemptions prévues à l'article 7, qui soustraient à la loi les renseignements recueillis à des fins journalistiques, artistiques et littéraires. Avez-vous des inquiétudes quelconques à ce sujet?
En ce qui concerne le journalisme, par exemple, la question est de savoir quelle définition lui donner, surtout dans le cybermonde, où une foule de gens pourraient prétendre faire du journalisme, alors que leur travail se limite à la confection de bulletins d'un genre ou d'un autre, qui pourraient répondre ou non à la définition. Avez-vous des commentaires quelconques à ce sujet?
Mme Ann Cavoukian: Eh bien, monsieur Murray, je suis de coeur un défenseur de la vie privée. Une part de moi-même est opposée à cette exemption et préférerait que les journalistes respectent autant la vie privée des gens que n'importe qui d'autre. En même temps, j'ai le plus grand respect pour la liberté de parole et la liberté de la presse. Je crois que la presse joue un rôle important dans la société, qui nécessite de lui donner un accès privilégié à l'information. Il pourrait être extrêmement difficile pour les journalistes de faire leur travail s'ils n'étaient pas exemptés de la loi.
La notion d'équilibre est probablement plus importante ici que n'importe où ailleurs. Heureusement ou malheureusement, la vie privée n'est pas un droit absolu. Il faut la considérer par rapport à des intérêts concurrents et à l'intérêt public qui, dans ce cas, est représenté par la presse. C'est le motif de l'exemption du journalisme, comme ce l'est dans la plupart des champs de compétence. Vous trouverez, pour ces raisons, des exceptions relatives aux journalistes dans la plupart des lois de protection de l'information.
La liberté de la presse est également inscrite dans la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui en fait une valeur que nous devons soutenir. Malheureusement, cela impose d'accorder une certaine latitude aux journalistes.
M. Ian Murray: Je vous remercie.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Murray.
Monsieur Shepherd.
M. Alex Shepherd (Durham, Lib.): Ce sont bien vos projets d'amendement que je vois en annexe à votre mémoire?
Mme Ann Cavoukian: Je m'excuse, je n'en ai pas un exemplaire devant moi.
La présidente: La greffière vous en donnera un.
Mme Ann Cavoukian: Merci. Je vais m'en souvenir si vous voulez bien lire.
M. Alex Shepherd: J'en lisais justement un ici. Vous proposez un nouveau paragraphe 28(4):
-
Si une corporation, association ou société de personnes commet une
infraction en vertu de la présente loi, chacun de ses
administrateurs, dirigeants, membres, employés ou agents qui a
autorisé, permis ou approuvé l'infraction en est partie et en est
coupable, et est passible, sur déclaration de culpabilité, de la
sanction prévue pour l'infraction, que la corporation,
l'association ou la société de personnes ait ou non été poursuivie
ou déclarée coupable.
Quel est l'objet de cette disposition?
Mme Ann Cavoukian: Eh bien, nous pensions renforcer le texte de l'article.
Je veux préciser, pour ceux qui n'ont pas le texte sous les yeux, que nous recommandons notamment que les infractions prévues à l'article 28 soient étendues et que les particuliers faisant partie des organismes qui commettent les infractions soient tenus personnellement responsables. Enfin, nous proposons que les amendes imposées soient plus sévères en cas de récidive, afin de constituer un facteur sérieux de dissuasion, plutôt que de représenter en quelque sorte un droit de licence. Nous croyons que des dispositions de ce genre peuvent améliorer l'article.
M. Alex Shepherd: Nous nous inquiétons de voir les législateurs s'immiscer dans les affaires internes des sociétés. La notion même de société a été conçue pour assurer une responsabilité limitée. Le gouvernement fédéral a commencé à le faire dans la législation fiscale. Vous nous demandez maintenant de le faire encore dans le domaine de la protection de la vie privée, de façon à tenir responsables les employés et les administrateurs des sociétés en cas de manquement aux règles. Croyez-vous vraiment que ce soit sage?
Mme Ann Cavoukian: Je trouverais difficile de défendre cet amendement avec beaucoup d'ardeur parce que, de toutes les propositions que nous avons présentées, c'est celle dont je suis le moins certaine. J'en ai discuté avec les experts juridiques du Bureau et leur ai demandé s'ils étaient sûrs de vouloir inclure cette disposition. Ils m'ont persuadée de la maintenir. Personnellement, je n'y tiens pas beaucoup. C'est un grand débat quand il faut déterminer s'il convient ou non d'inclure ce genre d'infractions. De toute évidence, vous trouvez cette disposition excessive.
M. Alex Shepherd: Oui.
Vous parlez, dans un autre de vos amendements, de biométrie et d'échantillons biologiques.
Mme Ann Cavoukian: Oui, nous voulions inclure ces notions dans la définition de «renseignements personnels».
M. Alex Shepherd: Vous voulez dire la définition de «document».
Mme Ann Cavoukian: C'est bien cela, «document».
M. Alex Shepherd: Et que voulez-vous dire par là? S'agit-il d'échantillons d'ADN?
Mme Ann Cavoukian: Les échantillons biométriques peuvent comprendre l'ADN, les analyses d'empreintes digitales et les balayages de la rétine. C'est la voie de l'avenir. Je n'ai pas le moindre doute qu'au prochain siècle, il y aura, à certains endroits, de nombreux échantillons biométriques auxquels il faudra certainement accorder la même protection qu'à tous les autres documents contenant des renseignements personnels.
M. Alex Shepherd: Mais ce projet de loi, au moins dans son thème, traite de commerce, si je crois comprendre. C'est le thème de base. Faudra-t-il l'étendre à la protection de l'ADN?
Mme Ann Cavoukian: Le commerce électronique comporte des exigences de sécurité. Il faut pouvoir confirmer l'identité de l'autre personne dans une transaction en direct. À titre de vendeur, vous voudrez vous assurer que l'acheteur est bien celui qu'il prétend être. La signature numérique, par exemple, est un moyen de le faire.
La biométrie pourrait constituer un autre moyen à l'avenir. Le vendeur pourrait avoir des images d'empreintes digitales dans son ordinateur. C'est une technique qui existe déjà. Le vendeur aurait une base de données contenant de telles images, dans laquelle il pourrait extraire peut-être l'image correspondant à un nom pour fins de comparaison. Bien sûr, ce ne sont que des hypothèses. Si vous le faites, à titre de vendeur, vous devrez prendre les mesures nécessaires pour protéger adéquatement cette information, comme tous les autres renseignements personnels. Autrement, elle pourrait faire l'objet d'énormes abus.
M. Alex Shepherd: Très bien. Vous pensez donc que les gens utiliseront des tests ou des échantillons d'ADN comme moyen d'identification?
Mme Ann Cavoukian: Les Américains se servent déjà d'échantillons biométriques à l'heure actuelle. De nombreuses banques, par exemple, et beaucoup d'autres établissements utilisent les empreintes digitales pour confirmer l'identité. On le fait déjà maintenant.
M. Alex Shepherd: D'accord.
Ma dernière question porte sur le délai de trois ans dans lequel les provinces pourront introduire leur propre législation. Je me demande si c'est bien sage. Je sais qu'on l'a prévu dans le projet de loi, mais ne craignez-vous pas de semer la confusion dans l'esprit des gens? La première question qu'il faudra se poser sera la suivante: «S'agit-il d'une affaire fédérale ou d'une affaire provinciale?» Ne serait-il pas préférable d'éviter ces chevauchements et de laisser un seul commissaire à la protection de vie privée s'occuper de tout?
Mme Ann Cavoukian: Nous posons constamment cette question actuellement. Le public le fait couramment... en fait, je ne sais pas si cela est vrai.
En réalité, voilà comment cela se passe. C'est peut-être une question de proximité. Si vous vivez à Toronto ou dans la périphérie, vous appellerez notre bureau si vous avez une plainte à formuler en matière de protection de la vie privée ou de d'accès à l'information. Nous écoutons la plainte puis déterminons de qui elle relève. Nous pourrions alors vous dire: «C'est une affaire qui est du ressort fédéral. Voici le numéro de téléphone du commissaire fédéral à la protection de la vie privée.» Ce n'est pas rare.
Supposons que vous viviez en Colombie-Britannique, par exemple. Il est certain que les habitants de la Colombie-Britannique auraient de la difficulté à traiter directement avec Ottawa qui, de toute façon, n'aurait sans doute pas suffisamment de ressources pour s'occuper de tout le monde. C'est un grand pays. En principe, donc, il est préférable que l'organisme responsable ou la personne à appeler soit géographiquement plus proche.
En Ontario, les gens nous appellent couramment depuis des années au sujet des questions provinciales et municipales. Comme je l'ai dit plus tôt, nous recevons également des centaines d'appels concernant le secteur privé, au sujet desquels nous ne pouvons malheureusement rien faire.
Je m'attends à ce que cette situation se maintienne. Supposons que nous ayons une loi en Ontario. Le commissaire fédéral à la protection de la vie privée recevra des appels qu'il nous renverra et nous en ferons de même. Je ne crois pas que la situation change beaucoup.
En fait, je crois qu'il y aurait plus de confusion dans le public, qui nous appelle couramment à l'heure actuelle pour toutes les questions de vie privée et d'accès à l'information—c'est le concept du guichet unique—, s'il fallait éconduire les gens en leur disant: «Tous nos regrets, nous ne pouvons pas nous occuper de cela. Nous n'avons pas la compétence pour le faire.» Parce qu'alors, ils nous répondront: «De quoi parlez-vous? Il s'agit du magasin au bout de la rue. Ce n'est pas une multinationale, c'est juste une petite entreprise. Vous pouvez certainement faire quelque chose.»
M. Alex Shepherd: Je trouve étrange de vous entendre parler de grandes distances d'une part et d'Internet, de l'autre. Quelle différence cela fait-il qu'une personne vive en Colombie-Britannique? Tout le monde pourrait s'adresser à un seul commissaire à la protection de la vie privée. On pourrait même concevoir un système dans lequel les provinces participeraient à une organisation unique au lieu de créer une multitude d'organisations.
Mme Ann Cavoukian: Non, monsieur. Quand des gens déposent une plainte, ils veulent vous voir en personne. Ils veulent se rendre à votre bureau, si possible, pour rencontrer l'enquêteur et lui parler face à face. Ils ne veulent pas le faire sur Internet, ils ne veulent pas le faire par la poste, s'ils peuvent l'éviter. Ils veulent voir votre visage. Il ne faudrait pas sous-estimer la valeur du contact personnel parce que...
M. Alex Shepherd: Ainsi, s'il s'agit d'une affaire fédérale, ils ne voudront pas...
La présidente: Il faudrait que ce soit votre dernière question, monsieur Shepherd.
Mme Ann Cavoukian: C'est ce que le commissaire fédéral à la protection de la vie privée fait actuellement, puisque de nombreux enquêteurs doivent se rendre sur les lieux pour enquêter sur une plainte. Je ne veux pas parler en leur nom parce que je ne sais pas à quelle fréquence ils doivent le faire, mais je suis certaine qu'ils doivent voyager de temps en temps.
• 1650
Si vous pensez que tout cela se fait en direct, sur Internet,
vous vous trompez. Sans parler des considérations de sécurité quand
il faut transmettre des renseignements délicats sur le réseau,
probablement sans chiffrage la plupart du temps. On ne pourrait pas
le faire. Par ailleurs, comment pourrait-on matériellement
transmettre un document en direct? On doit souvent examiner des
documents en clair pour déterminer si les renseignements personnels
en question peuvent ou non être divulgués. Dans ce cas, la
proximité constitue un grand avantage.
La présidente: Merci.
Merci beaucoup, monsieur Shepherd.
Madame Jennings.
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci.
J'ai trouvé très intéressant d'écouter votre rapport. J'ai une question à vous poser.
Je crois comprendre que l'une des raisons pour lesquelles le projet de loi traite de commerce électronique et de protection de la vie privée, c'est précisément parce que le commerce relève la compétence fédérale et que nous nous en prévalons pour réglementer les questions de vie privée et de renseignements personnels.
Vous proposez, dans vos projets d'amendement, d'étendre l'application du projet de loi aux syndicats, aux associations professionnelles et aux organismes sans but lucratif. Je crois que cela créerait de grands problèmes. Vous en rendez-vous compte?
Mme Ann Cavoukian: Vous avez sans doute raison.
Lorsqu'on négocie, on essaie de demander le maximum et on arrive souvent à en obtenir davantage que ce qu'on aurait eu autrement. En proposant ces modifications, nous savions que ce sont les pouvoirs du gouvernement fédéral en matière de commerce qui lui permettent de faire intervenir les provinces. Mais nous avons pensé que, même si l'activité principale d'un organisme donné n'est pas de nature commerciale, il serait possible de l'assujettir à la loi s'il a des activités commerciales quelconques.
Ce principe n'a pas encore été mis à l'épreuve. Nous devons en parler à Industrie Canada. Ce n'est peut-être pas valide, mais nous avons pensé qu'il valait la peine d'essayer parce que nous voulons éviter de laisser s'établir des poches où les renseignements personnels seraient à l'abri de la loi. C'était la l'objet de notre amendement.
Mme Marlene Jennings: Très bien. Je comprends et je sympathise, mais je ne crois pas personnellement que votre proposition soit très réaliste.
Comme l'un de mes collègues l'a mentionné, je viens du Québec. Dans ma province, l'activité commerciale qui ne franchit aucune frontière interprovinciale ou internationale est assujettie à la loi provinciale. Nous avons un Code civil dont des chapitres entiers traitent d'activités commerciales, de contrats, etc. Personnellement, j'hésiterais beaucoup à laisser le gouvernement fédéral intervenir dans ce domaine.
Ce que j'ai beaucoup aimé dans vos suggestions, dont certaines sont excellentes, c'est la question de la prépondérance du projet de loi. C'est un aspect très important qu'il faudrait examiner de plus près. Le libellé que vous proposez est beaucoup plus vaste que le texte actuel. Je crois qu'il fait mieux ressortir la vie privée à titre de droit humain fondamental.
Mme Ann Cavoukian: Merci beaucoup. Il nous a fallu beaucoup d'efforts pour arriver à ce texte. Nous nous rendions compte qu'il s'agissait du ministre de l'Industrie et que, sous l'angle du commerce, nous devions agir à l'intérieur de certains paramètres. Nous avons pensé cependant qu'en élargissant l'objet du projet de loi pour englober des questions liées aux droits de la personne, il deviendrait possible de mieux interpréter la loi plus tard.
Mme Marlene Jennings: Je crois que cela permettrait également d'attribuer un budget suffisant, pas des milliards, mais un montant sérieux...
Mme Ann Cavoukian: Des millions suffiraient.
Mme Marlene Jennings: ...qui permettrait au commissaire à la protection de la vie privée de s'acquitter de son mandat d'information et de sensibilisation.
Mme Ann Cavoukian: Comme je l'ai dit à maintes reprises, rien, à mon avis, n'est plus important que cela.
Mme Marlene Jennings: Oui.
Merci beaucoup. J'ai vraiment apprécié votre exposé. Je vous souhaite bonne chance dans vos efforts destinés à convaincre le gouvernement de l'Ontario d'adopter une loi avant l'expiration du délai de trois ans.
De plus, je ne crains pas, comme mon collègue d'en face, que l'adoption de lois provinciales crée de la confusion dans le secteur privé. Les Canadiens ne manquent pas d'intelligence.
La présidente: Merci, madame Jennings.
Monsieur Pankiw, avez-vous une mise au point à faire?
M. Jim Pankiw: Je voulais juste connaître l'opinion de Mme Cavoukian sur cette question.
Des voix: Oh, oh!
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Pankiw, pour votre mise au point.
Monsieur Lastewka, vous pouvez poser une dernière question. Nous devons terminer à 17 heures. Il ne faudrait donc pas qu'il y ait plus d'une seule question.
M. Walt Lastewka: Au cours de nos audiences de l'automne dernier, lors de la comparution du commissaire adjoint Mitchinson, nous avions parlé des diverses listes que les provinces vendent actuellement par l'intermédiaire de tierces parties, etc. M. Mitchinson avait alors dit que vous examineriez cette affaire. Je voulais simplement savoir si vous aviez quelque chose à nous dire à ce sujet.
Mme Ann Cavoukian: J'en ai en fait parlé avec Mme Whelan avant la réunion.
Nous avons ouvert une enquête peu après auprès du ministère en cause. L'enquête est en cours. J'avais espéré pouvoir vous présenter le rapport aujourd'hui. Nous avons eu des difficultés, mais nous nous attendons à recevoir du ministère les derniers renseignements dont nous avons besoin vers la fin de la semaine. J'espère donc faire parvenir le rapport à Mme Whelan la semaine prochaine.
Je m'excuse de ne pas l'avoir aujourd'hui. Nous nous sommes occupés de cette affaire tout de suite, mais il faut parfois faire preuve d'esprit de persuasion pour arriver à obtenir ce dont on a besoin.
M. Walt Lastewka: Lorsque nous avons discuté du projet loi pour la première fois, nous avons appris à notre grande surprise que plusieurs provinces vendent maintenant des listes et que le produit de ces ventes fait maintenant partie de leurs revenus. Nous pouvons donc nous poser la question suivante: pourquoi les provinces voudraient-elles adopter des lois qui interdiraient de telles ventes et les priveraient donc de ces recettes? Nous découvrons tout à coup qu'il y a une sorte de conflit. Voilà comment la question s'était posée cet automne.
Mme Ann Cavoukian: C'est une bonne question.
Permettez-moi d'ajouter ceci. Je crois qu'au prochain millénaire, la plus grande menace pour la vie privée découlera de l'utilisation secondaire des renseignements personnels. Pour moi, la limitation de cette utilisation constitue l'élément le plus fondamental des pratiques d'information équitables, parce que c'est cette limitation qui permet aux gens d'exercer un certain contrôle, un véritable contrôle sur l'utilisation subséquente de leurs renseignements.
Les Allemands parlent d'«autodétermination informationnelle». C'est une merveilleuse expression, qui figure dans leur constitution. En vertu du principe de l'autodétermination informationnelle, les particuliers ont le droit de déterminer le sort de leurs renseignements personnels et ont leur mot à dire sur l'utilisation de ces renseignements.
Mais nous vivons dans le monde d'Internet, d'une technologie de l'information en accélération rapide, d'une information qui est recueillie et diffusée à des vitesses croissant à un rythme exponentiel. Dans un tel contexte, la tentation d'utiliser l'information à des fins qu'on n'avait jamais prévues au départ devient quasi irrésistible.
Vous avez cette information. Elle doit servir à l'objet A. Vous savez cependant qu'elle peut donner la réponse à la question B. Vous avez cette information sous la main, mais vous n'avez pas le droit de l'utiliser. Il est extrêmement difficile pour les entreprises, pour le gouvernement, pour n'importe qui de résister à la tentation d'utiliser cette information, qui contient exactement ce qu'il faut pour résoudre cet autre problème, auquel on n'avait absolument pas pensé au départ, au moment de la collecte des données. À mon avis, ce sera le plus grand défi auquel nous serons confrontés. Et, en toute franchise, je ne sais pas dans quelle mesure nous réussirons à le maîtriser. C'est extrêmement difficile. C'est le fondement de l'extraction des données et de l'entreposage des données.
Toutefois, les questions du consentement et de l'avis préalable auront fait un grand pas en avant si, dès le commencement du stade de la collecte des données, on établissait une exigence sérieuse de consentement et d'avis préalable. Voilà le défi à relever et c'est pourquoi il nous incombe, tous, d'amener le monde des affaires à comprendre cette exigence, et pas seulement à s'y conformer parce que la loi l'impose. C'est le monde des affaires qui applique la loi et c'est seulement s'il le fait d'une manière satisfaisante que notre vie privée sera protégée dans le secteur privé, peu importe que nous ayons une loi ou non.
Je vous remercie.
La présidente: Madame Cavoukian, je tiens à vous exprimer mes remerciements les plus sincères pour être venue aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps, malgré un programme certainement très chargé, de vous joindre à nous et de préparer ce mémoire. Nous sommes très heureux de profiter de votre expérience. Cette séance a été très intéressante. Nous espérons recevoir votre rapport dans les prochaines semaines.
Je m'excuse encore du retard, au début de la séance. Nous vous souhaitons un bon voyage de retour à Toronto.
La séance est levée.