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INDY Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY

COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 février 1999

• 0906

[Traduction]

La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Je déclare la séance ouverte. Conformément à l'ordre de renvoi de la Chambre, du 3 novembre 1998, nous allons étudier aujourd'hui le projet de loi C-54, Loi visant à faciliter et à promouvoir le commerce électronique en protégeant les renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués dans certaines circonstances, en prévoyant l'utilisation de moyens électroniques pour communiquer ou enregistrer de l'information et des transactions et en modifiant la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur les textes réglementaires et la Loi sur la révision des lois.

Nous avons le plaisir d'accueillir deux témoins aujourd'hui. Il s'agit de Mme Valérie Steeves du Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne de l'Université d'Ottawa, et de M. Ian Lawson, un expert indépendant en matière de protection des renseignements personnels. M. Pierrôt Péladeau, malheureusement, a dû annuler sa participation à la dernière minute. On nous a téléphoné ce matin pour nous prévenir qu'il ne pourrait se présenter.

Le greffier est en train de distribuer des copies des déclarations d'ouverture. Je propose à Mme Steeves de prendre la parole dès qu'elle sera prête.

Mme Valerie Steeves (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup, madame la présidente.

Au cours des dernières années, j'ai eu le privilège de participer à un certain nombre de consultations du public sur le droit à la vie privée et les nouvelles technologies. J'ai notamment participé activement à l'organisation et à la réalisation de l'étude de 1997 sur la protection de la vie privée et les nouvelles technologies, entreprise par le Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées. J'ai en outre créé un site Web pour servir de tribune de discussion sur le sujet, en partenariat avec un certain nombre de groupes de défense de l'intérêt public et des consommateurs, afin de solliciter les opinions des Canadiens sur le document de travail qui a précédé le projet de loi C-54.

Il ressort clairement de ces consultations que les Canadiens considèrent la vie privée comme une valeur sociale fondamentale et qu'ils comptent sur le gouvernement pour jouer un rôle de chef de file dans la protection de leur vie privée en cette ère de l'information. Les mesures législatives visant à protéger les renseignements personnels sont un élément important du puzzle et il y a donc tout lieu de se réjouir du projet de loi C-54.

Mais pendant que je préparais mon intervention de ce matin, un commentaire particulier se détachait, dans mon esprit, de tous ceux que nous avions entendus au cours de ces audiences. C'était à Toronto, à la fin de notre assemblée publique locale, un homme s'est levé et a indiqué qu'il craignait que ce ne soient les organismes qui ont le plus à gagner d'une intrusion dans la vie privée des gens qui établissent le programme législatif.

Il est clair que C-54 est une initiative du secteur du commerce électronique. À la fois le projet de loi et le document de travail supposent que la loi a pour objet de favoriser une compétitivité mondiale dans l'économie informationnelle, en suscitant la confiance du consommateur et la certitude du marché. Je crois qu'il vaut également la peine de faire remarquer que dans le document de travail, les termes «consommateur, entreprise et industrie» apparaissaient ensemble 78 fois, alors que le terme «citoyen» est utilisé 10 fois au total.

La perspective adoptée dans le projet de loi C-54 n'existe pas de façon isolée. De fait, je prétends qu'elle participe d'une modification plus large de notre conception de la fonction gouvernementale. Traditionnellement, on considère l'État comme un outil qui permet de promouvoir le bien public, et le respect de la vie privée est un élément essentiel de ce que Ursula Franklin, entre autres, appelle les avantages indivisibles de l'État: la justice, la dignité, la liberté, la propreté de l'air, la vie privée, les droits.

• 0910

Je crains que nous ne soyons en train de glisser vers une nouvelle conception de l'État dans laquelle celui-ci deviendrait un outil qui servirait à partager des avantages divisibles, en favorisant certains intérêts privés au détriment de certains autres. Dans cette perspective, un bon gouvernement et une bonne législation sont efficaces, rentables et favorisent la compétitivité. Et donc dans cette perspective, la protection de la vie privée est un obstacle à l'efficacité et à la compétitivité.

Lorsque la Commission canadienne du droit a été reconstituée il y a environ un an et demi, elle a rédigé un programme stratégique où elle disait, et je cite:

    La capacité des citoyens à jouer un rôle significatif dans le processus démocratique pose des défis pour la conception des institutions publiques. Les Canadiens cessent de s'intéresser à ces institutions, sont plus sceptiques quant à leur capacité de répondre à des attentes légitimes et ont moins confiance [en elles] que par le passé.

Les consultations du public sur la protection de la vie privée ont clairement démontré que les Canadiens comptent sur leurs représentants élus pour défendre l'intérêt public dans ce domaine. Ce que j'aimerais savoir, c'est si le projet de loi C-54 répond à ces attentes.

J'estime qu'il y a trois mesures que votre comité pourrait prendre pour que le projet de loi C-54 soit davantage conforme à ce critère. La première concerne ce que je considère comme la plus grande faiblesse de ce projet de loi. Rien n'est prévu, qui permettrait à une personne ou au commissaire de remettre en question la légitimité des fins pour lesquelles on recueille un renseignement. Ce n'est qu'au paragraphe 4.3.3 de l'annexe 1 que l'on définit un peu mieux ce que l'on entend par «fins», de la façon suivante:

    Une organisation ne peut pas, pour le motif qu'elle fournit un bien ou un service, exiger d'une personne qu'elle consente à la collecte, à l'utilisation ou à la communication de renseignements autres que ceux qui sont nécessaires pour réaliser les fins légitimes et explicitement indiquées.

Mais l'inconvénient, c'est que l'histoire de la technologie nous a démontré que ce n'est pas des conséquences prévues qu'il faut se préoccuper; ce sont les conséquences imprévues des nouvelles technologies qui posent les vrais problèmes.

Quelles sont les conséquences imprévues de la technologie de l'information? Je crois qu'un exemple, parmi de nombreux autres, suffira à mettre en relief le genre de questions que ce projet de loi devra résoudre si nous voulons protéger efficacement la vie privée des gens en cet âge de l'information.

En 1997, une compagnie d'assurance américaine a payé des tests génétiques à une femme qui était enceinte. Les tests ont révélé que l'enfant qu'elle portait risquait de naître avec le syndrome de Down. Son assureur l'a appelée pour lui dire qu'elle devrait avorter. Lorsqu'elle a refusé, la compagnie lui a signalé qu'elle n'assumerait pas le risque de sa décision. Si cet enfant naissait atteint du syndrome de Down, il ne serait pas assuré.

Rentable? Oui. Conforme aux fins indiquées? Oui. Approprié? Non, de toute évidence.

Lorsque des gens ont tous ces petits détails de notre vie privée entre leurs mains, les risques de discrimination sont énormes.

Les tribunaux qui auront à interpréter le projet de loi C-54 auront à nous protéger contre des technologies que nous n'imaginons même pas pour l'instant, et ils devront le faire vite, compte tenu de la rapidité avec laquelle les choses évoluent.

Je pense qu'ils auront besoin d'un énoncé de principe pour les guider. Avant tout, je crois qu'il conviendrait de modifier l'article 5 du projet de loi pour préciser clairement que lorsque dans le projet de loi ou dans l'annexe, on fait référence aux fins, on entend des fins sérieuses et légitimes, ou des fins facilement justifiables dans une société libre et démocratique.

La deuxième mesure que je vous suggère d'envisager est de revoir la définition de «consentement» dans le projet de loi. Il est clairement ressorti des consultations du public que les Canadiens s'attendent à ce que toute loi sur la protection de la vie privée contienne d'importantes dispositions concernant la notion de consentement.

La définition de la notion de consentement devra garantir que les privilèges découlant du consentement donné sont accordés par une personne pleinement informée et libre. Cela suppose notamment que la personne est au courant du fait qu'on a demandé l'autorisation de recueillir, conserver et utiliser des renseignements personnels; a pleinement connaissance de la façon dont les renseignements vont être recueillis; et est informée de la façon dont les renseignements seront utilisés.

• 0915

La loi devrait donc comporter une disposition qui garantira que toute personne qui n'autorise pas la divulgation de renseignements personnels les concernant ne se verra pas refuser des biens et services, ni pénaliser d'une manière ou d'une autre. Un autre exemple pourrait nous éclairer ici. Safeway a un programme d'identification de la clientèle. Si vous acceptez de leur donner des renseignements personnels, le magasin vous accorde un intéressant rabais sur vos achats. Le marketing de ce concept est fascinant, car chaque semaine, vous pouvez lire, au bas de votre facture, vous avez économisé 12,71 $ cette semaine parce que vous avez consenti à nous donner des renseignements personnels sur vous. Mais ils ont également un message pour les clients qui ont refusé. Au bas de leur facture, ceux-ci peuvent lire, si vous aviez accepté de nous donner des renseignements personnels sur vous, vous auriez économisé 12,71 $. Nous devrons nous assurer que notre définition de consentement protège le droit du citoyen à dire non.

Le législateur devra donc se pencher sur cette question et clarifier les choses dans une certaine mesure. Il y aura lieu, par exemple, d'interdire expressément le recours à un mécanisme de retrait. Vous savez, la petite case minuscule au bas de la page qui dit, au fait, si vous ne voulez pas que nous vendions les renseignements personnels vous concernant, cochez ici. J'estime qu'il s'agit d'un mécanisme qui n'est pas approprié et qui ne nous donnera pas la protection dont nous avons besoin, car pour être valable, le consentement doit être donné expressément.

Pour finir sur ce point, il est tout à fait clair que les Canadiens sont convaincus que les renseignements touchant à la santé, à la génétique et aux enfants devraient faire l'objet de mesures de protection spéciales.

J'estime que la troisième mesure qu'il conviendrait de prendre consiste à placer le projet de loi dans le contexte non pas de l'univers du commerce électronique, mais de celui de la vie privée. Je vous encourage instamment à envisager le rajout de dispositions qui stipuleront clairement que les Canadiens ont droit à la protection de leurs renseignements personnels et que leur droit sera protégé sur le marché électronique. Je vous recommande également fortement d'adopter les définitions de vie privée et de renseignements personnels évoquées dans le document de travail qui a précédé le projet de loi, et qui indiquait clairement que la vie privée fait partie des droits de la personne et que la protection des renseignements personnels est simplement une sous-catégorie d'un groupe plus large de sujets.

Avant de conclure mes propos, j'aimerais passer en revue quatre autres points qui à mon avis revêtent une importance cruciale, si l'on veut que ce projet de loi soit efficace et réponde aux attentes des Canadiens à l'égard de leurs législateurs. Tout d'abord, je constate avec plaisir que le projet de loi donne au Commissaire à la protection de la vie privée le mandat d'instruire le public. J'ai participé pendant un certain nombre d'années au Réseau de sensibilisation aux médias et à l'atelier juridique du réseau scolaire canadien sur la conception de jeux éducatifs multimédias visant à enseigner aux jeunes comment protéger leur vie privée dans leurs activités sur les réseaux électroniques. L'aire de jeu de la vie privée, qui présente les premières aventures de trois petits cybercochons, est un jeu sur CD destiné aux jeunes de première à troisième année. Il les emmène dans un marché «en ligne», leur montre les écueils à éviter, généralement au moyen du grand méchant loup, et leur dit comment protéger leur vie privée. Ce jeu a été réalisé avec très peu de moyens car aucune de ces organisations n'a de financement. Le coût final de ce CD s'élevait à 100 000 $.

Nous sommes en train de travailler sur un autre projet éducatif à l'intention des jeunes de la septième à la neuvième année, intitulé «Shop 'Til You Drop». L'objet du jeu est d'acheter des articles sur une liste de commissions dans un supermarché à accès électronique sans donner tous ses renseignements personnels. Je crois que Richard Rosenberger vous a parlé des biscuits. Une fois que l'enfant a commencé à jouer, il perd automatiquement après la première transaction à moins qu'il ne soit entré dans le navigateur pour modifier les paramètres implicites afin de refuser les biscuits ou de signaler qu'il en veut. Il s'agit d'un jeu à caractère très pratique, axé sur les dix pratiques équitables de traitement de l'information du code sur la protection des renseignements personnels de l'Association canadienne de normalisation. Notre budget estimatif pour ce jeu, qui peut avoir une grande influence sur les jeunes qui seront les consommateurs de demain, s'élève à 350 000 $.

Mon argument est que le recours à l'ombudsman prévu dans le projet de loi C-54 ne fonctionnera que si l'on donne au commissaire à la vie privée les fonds nécessaires pour bien informer les citoyens de leurs droits.

Deuxièmement, je vous suggère de revoir les exceptions prévues à l'article 7 et plus particulièrement au paragraphe 7(1)b), qui vise les renseignements recueillis à l'insu de l'intéressé lorsque l'obtention du consentement pourrait compromettre l'exactitude du renseignement ou l'usage auquel le renseignement est destiné. J'aimerais souligner qu'en absence d'une disposition qui limiterait les fins, cet article rend bon nombre des mesures de protection prévues dans le projet de loi quasiment inutiles.

• 0920

Je vous recommande également instamment de revoir les paragraphes 7(2)c) et 7(3)f), qui s'appliquent à l'utilisation de renseignements personnels à des fins statistiques ou à des fins d'étude érudite ou de recherche. La confidentialité et l'anonymat ne sont pas la même chose dans un monde où il suffit d'appuyer sur quelques touches d'ordinateur, de supprimer les codes d'identification personnelle, et d'envoyer l'information à un autre organisme qui pourra à son tour appuyer sur quelques touches pour la re-personnaliser.

Troisièmement, j'estime qu'il ne serait pas approprié de permettre que l'important contenu du projet de loi visé à l'annexe 1 puisse être modifié par réglementation. Tout changement à ce concept et à cet équilibre fondamentaux que nous cherchons à réaliser devrait se faire à la lumière d'un débat public en bonne et due forme, et sous la supervision du parlement.

Quatrièmement, je vous conseille vivement de vous pencher sur la question des listes nominatives. Nous vivons à une époque où la technologie fait que tout relève du domaine public. Ainsi, si vous cherchez mon nom sur le Web, vous trouverez mes publications sur divers sujets, mais vous trouverez également tous les commentaires que j'ai pu faire dans le cadre de groupes de discussion pour les enfants adultes d'alcooliques ou de groupes de soutien aux survivants d'inceste ou du cancer.

En d'autres termes, vous ne devez céder les commandes de cette démarche ni à la technologie, ni aux impératifs commerciaux. Après avoir participé à un certain nombre de consultations du public, je suis fermement convaincue que les Canadiens comptent sur leurs représentants élus pour garantir que toute loi sur le sujet protégera fermement les valeurs sociales que constituent le respect de la vie privée et les relations dont nous jouissons parce que notre droit au respect de la vie privée est garanti.

Merci de m'avoir donné l'occasion ce matin de vous faire part de ces commentaires. Je répondrai volontiers à vos questions.

La présidente: Merci beaucoup, madame Steeves.

Je passe à présent la parole à M. Lawson, pour qu'il nous livre ses déclarations d'ouverture. Je vous en prie.

M. Ian Lawson (témoignage à titre personnel): Merci, madame la présidente. Honorables membres du comité.

Je suis ici pour vous signifier mon appui en faveur du projet de loi. Il n'est peut-être pas parfait—je suis sûr que c'est ce qu'on vous a dit jusqu'à présent, et je vais vous signaler quelques imperfections aujourd'hui—mais je suis ici pour vous dire que je suis en faveur de son adoption.

Je vais vous faire quelques suggestions. Il ne constitue pas la solution unique et définitive à la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, mais à mon avis, il est absolument essentiel et il est attendu depuis bien du temps. Ça fait longtemps que je m'intéresse au sujet et je vais prendre quelques instants pour vous expliquer pourquoi je me trouve devant vous aujourd'hui.

Il y a huit ans environ, j'ai commencé à penser à des recours contre les atteintes à la vie privée dans le secteur privé. Je me suis surtout penché sur le problème dans le monde du commerce. J'ai abordé le sujet sous l'angle du défenseur des droits des consommateurs, pour des gens qui se demandaient ce qu'on pouvait faire, au début des années 1990, pour protéger des renseignements sur eux et leurs activités en possession d'acteurs du secteur privé qui ne relevaient d'aucune loi.

Mise à part la loi visant les rapports de solvabilité et quelques autres mesures législatives d'envergure modeste, j'ai découvert qu'en dehors du Québec, les consommateurs n'avaient pas vraiment de recours pratique pour contrôler, connaître et limiter l'usage que les entreprises faisaient des renseignements concernant leur personne et leurs activités.

En 1991, environ, je me souviens d'avoir assisté à un séminaire au cours duquel un avocat du ministère de la Justice était venu dire que la position officielle du ministère de la Justice à ce moment-là était que le volontarisme allait constituer la réponse à ce problème de l'utilisation des renseignements personnels dans l'ensemble du secteur privé. La position officielle était tout simplement que l'industrie allait s'auto-réglementer. À partir de ce moment-là, plus je pensais au volontarisme, plus je réfléchissais à cette question de la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, et plus j'étais convaincu qu'il faudrait faire quelque chose de plus que ce qui était prévu en 1991.

• 0925

En tant qu'avocat, j'ai donc commencé à me pencher sur ce que l'on pourrait faire en l'absence de lois pour pallier les problèmes que j'entrevoyais. J'ai d'abord essayé de résoudre la question en cherchant ce qu'on pourrait trouver dans la common law pour aider les gens à porter plainte devant les tribunaux contre des acteurs du secteur privé qui avaient porté atteinte à leur vie privée. J'ai fini par rédiger un ouvrage sur la question en 1993. Ce n'était certes pas une solution adéquate, mais c'est tout ce que les gens avaient à leur disposition à cette époque.

Plus tard cette année-là, j'ai eu la chance de pouvoir me pencher à nouveau sur cette question de façon formelle et d'envisager un certain nombre d'options de réglementation pour protéger les renseignements personnels sur l'autoroute de l'information, toujours en m'intéressant surtout au problème dans le secteur privé. C'est en faisant ces recherches que je me suis rendu compte à quel point il était important d'imposer des mesures de protection de la vie privée à cette autoroute canadienne de l'information. C'était le sujet du jour. Vous êtes tous au courant des travaux réalisés par le Comité consultatif sur l'autoroute de l'information. Mais j'ai abordé la question d'une autre manière. J'ai commencé à m'intéresser à la question en qualité de défenseur des droits des consommateurs dans la construction de l'infrastructure de l'information. Et les États-Unis, comme c'est toujours le cas, étaient très en avance sur nous dans ce domaine. La protection de la vie privée faisait partie intégrante de leur programme.

C'est pour cela que je n'ai pas vraiment d'objection au mariage que nous voyons dans le projet de loi C-54 entre une loi sur la protection de la vie privée et des dispositions sur le commerce électronique, car il faut prévoir des mesures de protection de la vie privée adéquates lorsqu'on conçoit un régime pour favoriser le commerce électronique. Elles doivent être là. La juxtaposition de ces deux concepts en apparence indépendants ne me dérange donc pas, ils doivent être ensemble.

En cherchant comment on pourrait trouver des solutions, des idées de réglementation, pour protéger la vie privée des gens sur l'autoroute de l'information, j'ai été frappé par les difficultés auxquelles ont allait se heurter pour englober l'ensemble du secteur privé et du monde du commerce sur l'autoroute de l'information. C'est une tâche énorme. De fait, après avoir beaucoup réfléchi à la question en 1994-1995, j'en étais arrivé à penser que la réglementation de l'autoroute de l'information représentait une tâche à ce point décourageante et que le secteur privé était à ce point énorme, que le seul espoir de protéger la vie privée des gens dans cet univers serait de modifier d'une manière ou d'une autre le comportement humain lui-même, au lieu de chercher à réglementer une industrie ou une entreprise. J'avais conclu que l'on ne pourrait que compter sur les gens eux-mêmes pour venir à bout de ce problème.

C'est à ce moment-là que j'ai fait le lien entre le code type sur la protection des renseignements personnels de l'Association canadienne de normalisation et la possibilité d'instaurer une certaine protection par la législation. Après avoir conclu qu'il faudrait s'en remettre au comportement humain pour que cela soit possible, j'ai estimé qu'il faudrait également légiférer, car j'avais déjà examiné ce qui pouvait se faire pour protéger les gens en l'absence de lois et il n'y avait vraiment rien, sinon intenter un procès devant les tribunaux, ce qui n'était pas une solution satisfaisante.

La CSA a pris beaucoup de temps à mettre au point un code, ainsi que vous le savez sans doute car je crois que vous avez déjà reçu leur témoignage. Il n'est pas parfait en lui-même, mais ce qui a retenu mon attention, c'est qu'il avait une certaine force morale auprès du secteur privé, dans la mesure où le milieu des affaires pouvait prétendre avoir participé à sa création, contrairement à une situation où le secteur privé aurait été soumis à un régime de réglementation entièrement élaboré par le gouvernement ou une autre autorité avec laquelle il n'aurait pas été d'accord. Il s'agissait de quelque chose dont nous pouvions dire que le milieu des affaires lui-même avait participé à sa création. Certains diraient qu'il a dominé le processus, ce qui explique pourquoi on peut remettre en cause une partie de son contenu. Mais je suis très satisfait des résultats de la démarche entreprise par la CSA.

Je suis surtout fasciné par le fait de pouvoir utiliser ce que le monde des affaires considère comme un code d'application volontaire, de pouvoir utiliser ce qu'ils ont mis au point pour élaborer une ébauche de loi, et c'est ce que nous avons devant nous aujourd'hui dans le projet de loi C-54. Ce n'est pas parfait, et je vais utiliser les quelques minutes qui me restent pour vous donner quelques suggestions pour la rendre parfaite—ou plutôt non, pas pour la rendre parfaite, mais pour l'améliorer. Excusez ce lapsus.

• 0930

Une voix: Vous avez pris vos désirs pour des réalités.

Des voix: Oh, oh.

M. Ian Lawson: Premièrement, je suis certain que tout le monde ici sait très bien que lorsque cette loi aura été promulguée, il arrivera un jour où sa conformité avec la constitution sera contestée. Personne ne pourra empêcher cela de se produise. Pensez au secteur privé et au nombre de gens qu'il regroupe. Cela est inévitable. Ma première réaction a été de savoir s'il y avait quelque chose que nous pourrions faire pour être certains de survivre à cette épreuve. Je sais que quelqu'un quelque part fera la démarche. Elle pourrait émaner de l'Alberta, ou de Terre- Neuve—il n'y a pas moyen de savoir—mais nous n'y échapperons pas.

Cela étant dit, je suis convaincu que la constitution donne au pouvoir fédéral le droit de prendre de telles mesures. Par contre je me demande si le projet de loi tel qu'il est rédigé est suffisant pour survivre à cette épreuve.

J'ai une modeste suggestion à vous soumettre, qui est la première sur ma liste. C'est une question qui me tracasse depuis un certain temps parce que je sais qu'elle est facile à résoudre. Je vous recommande fortement de rajouter un libellé, peut-être à l'article qui définit l'objet de la loi, ou dans un préambule comme le suggérait Mme Steeves, pour préciser un certain nombre de choses que je vais vous exposer. Je vais vous donner quelques suggestions qui sont de simples mesures de prudence qui pourraient aider à survivre à la contestation du caractère constitutionnel de la loi et à placer le projet de loi dans le contexte du commerce, car c'est évidemment là que se trouve la compétence du fédéral.

Premièrement, j'aimerais voir préciser que la protection des renseignements personnels fait partie intégrante de l'infrastructure de l'information. Il y a lieu de faire un lien entre l'établissement de règles du jeu pour le commerce sur l'autoroute de l'information et la protection de la vie privée.

Deuxièmement, j'aimerais beaucoup avoir un énoncé qui consigne la façon dont les entreprises commerciales transmettent les renseignements personnels au-delà des frontières des provinces et du pays, un énoncé qui précise ce qui se passe lorsque les entreprises commerciales utilisent les renseignements personnels. Et nous devrions tous savoir comment fonctionne Internet. Dans le système actuel, lorsqu'une communication de quelque nature que ce soit est transmise de Vancouver à Victoria, soit une courte distance à l'intérieur de la province, celle-ci peut bien passer par Seattle ou Tokyo avant d'atteindre Victoria, sans que vous le sachiez jamais. Je suis certain qu'il y a des gens qui peuvent vérifier cela et des ordinateurs qui sauront cela, mais c'est justement à ce genre de chose que nous avons affaire. Les communications à des fins commerciales ou autres peuvent aller n'importe où. Il y a cet aspect extra-provincial du problème auquel ce projet de loi s'applique et cela, à mon avis, devrait être consigné d'une certaine manière dans la loi, en guise de rappel.

Enfin, j'aimerais avoir un énoncé qui indiquerait la nécessité de soumettre à des règles cohérentes et uniformes dans toutes les régions du pays, à la fois la protection des renseignements personnels et l'utilisation de documents électroniques par des organismes ayant des activités commerciales, un énoncé stipulant simplement que nous agissons ainsi afin de nous assurer que les règles du jeu sont les mêmes partout au pays à l'égard de deux actions législatives très importantes: la protection de la vie privée et le commerce électronique.

J'ai quatre autres suggestions à vous soumettre très brièvement, avant de conclure.

J'ai toujours vivement préconisé l'existence d'un arsenal sain de mesures qui permettraient aux autorités, quelles qu'elles soient, de faire respecter le droit à la vie privée, mais je dois dire malheureusement que l'arsenal mis à la disposition du Commissaire à la vie privée dans ce projet de loi est plutôt maigre. Mais je me rends bien compte, en même temps, que le libellé de la loi peut convenir au commissaire.

• 0935

Je me réjouis tout particulièrement de constater que le projet de loi donne des pouvoirs d'exécution et de réparation à la Cour fédérale. En qualité d'avocat, bien sûr, je suis toujours content de voir que les gens ont d'autres moyens d'en appeler aux tribunaux.

L'article 14 du projet de loi énonce le droit d'un plaignant de porter sa cause devant la Cour fédérale. Vous verrez, au milieu du paragraphe 14(1), un renvoi à une longue liste d'articles de l'annexe 1. Je ne vois pas pourquoi il faudrait limiter de quelque manière que ce soit les cas susceptibles d'être soumis à la Cour.

Je suggère de résoudre ce problème en stipulant que le plaignant peut, après avoir reçu le rapport du commissaire, demander que la Cour entende toute question qui a fait l'objet de la plainte - ou qui est mentionnée dans le rapport - et s'arrêter là. Permettez de soumettre à la Cour tout ce que le commissaire jugera valable, et n'essayez pas de limiter ce recours.

Les limites imposées ne posent pas vraiment de problèmes. Elles n'ont rien de terrible, mais je ne vois pas leur nécessité et il ne faudrait pas, par principe, limiter de quelque manière que ce soit ce que la Cour fédérale peut faire avec ce que le commissaire a fait.

Je suis en revanche en faveur de l'inclusion des paragraphes 8(6) et 8(7). Le paragraphe 8(6) porte sur la question du coût. Elle peut poser des problèmes importants parfois et je pense donc que c'est une bonne idée de soumettre cela à la Cour fédérale, le cas échéant, tout comme l'article 10 sur la déficience sensorielle.

La présidente: M. Lawson, puis-je vous demander de vous presser un peu? J'essaie de garder vos deux interventions dans les limites de temps imparties.

M. Ian Lawson: D'accord. Il me reste trois points mineurs.

Je prétends qu'il n'y a pas de raison valable de restreindre les dommages-intérêts punitifs. Supprimez cela. Il n'est pas nécessaire de les limiter à 20 000 $. De fait, j'aimerais suggérer qu'une autre technique très efficace pour faire respecter davantage la loi serait de spécifier un montant minimum de dommages-intérêts. Prenez l'autre position extrême et dites: «En cas d'infraction aux principes de la loi, un minimum de tant sera accordé».

Le pouvoir de vérification du commissaire est extrêmement important. À mon humble avis, il n'y a pas de raison de le restreindre aux cas où le commissaire a des motifs raisonnables de croire qu'une organisation a contrevenu à la loi. Permettez au commissaire de faire une vérification, point. Ne lui liez pas les mains en exigeant qu'il constate une infraction avant de pouvoir procéder à une vérification.

Enfin, l'avantage que j'ai aujourd'hui, moi qui viens d'une petite communauté du nord de la Colombie-Britannique, c'est de savoir qu'il importe de se rappeler que la Cour fédérale n'est pas la cour la plus accessible. Dans chaque province il y a généralement un seul greffe dans la plus grande localité de la province. Je recommande au comité d'envisager de faciliter l'accès à ce tribunal pour ces auditions sommaires. On ne parle pas de cas très importants.

Il n'y a aucune raison, technologiquement, de ne pas pouvoir recourir à des conférences vidéos. On sait que les gens devront déposer des demandes auprès de la Cour selon la procédure sommaire. Si ceux-ci se trouvent en dehors des grands centres, pourquoi ne pas faciliter leur démarche en incorporant dans la loi une méthode qui facilitera l'accès à ce forum?

Merci. C'est ce que j'avais à vous soumettre.

La présidente: Merci, monsieur Lawson.

Nous allons à présent passer aux questions.

M. Jaffer, je vous prie.

M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Réf.): Merci madame la présidente.

J'aimerais remercier nos deux intervenants d'aujourd'hui. Ils nous ont fait des suggestions fort intéressantes pour améliorer la loi proposée et cela est très utile pour nous tous du comité. Les suggestions avancées par les deux témoins présentent des similarités dans certains cas, dans d'autres non.

Ma première question s'adresse à Valérie Steeves, à propos de sa mise en garde contre le danger de céder les commandes de cette démarche législative à la technologie. En revanche M. Lawson a indiqué qu'il était satisfait de ce projet de loi dans la mesure où il reprend le processus de la Commission canadienne de normalisation.

L'une des difficultés qui se pose ici, tient à l'équilibre qu'il nous faut trouver entre l'importance évidente de la protection de la vie privée et des droits de la personne, et les besoins des divers intérêts commerciaux. Ceux-ci sont souvent très positifs car de toute évidence il existe un réel désire chez les gens qui veulent faire du commerce électronique, de profiter de ce projet de loi pour instaurer des mesures de protection, car elles garantiront l'imputabilité de leurs propres entreprises. Ils veulent que les gens puissent faire confiance au processus et leur confier des renseignements les concernant, car ils veulent jouir de crédibilité auprès des consommateurs ou citoyens, comme vous l'avez mentionné.

• 0940

À ce propos-là, ne craignez-vous pas également, dans une certaine mesure, qu'en allant trop loin du côté de la réglementation, sans tenir compte des besoins de l'industrie, nous ne compromettions en fait la possibilité de trouver un juste équilibre avec ce que vous essayez d'obtenir et bien sûr avec ce que l'industrie essaie d'obtenir?

Mme Valerie Steeves: J'aimerais répéter qu'à mon avis, les Canadiens souhaitent une loi qui protège les renseignements personnels. Je ne reprocherai certainement pas à ce projet de loi de ne pas permettre aux sociétés de profiter de l'âge de l'information. J'estime qu'il est important de trouver un équilibre précisément parce qu'il est partial. Je crois que ce n'est pas difficile à faire. Il suffit de déclarer dans un préambule que la vie privée est un droit, et que la vie privée fait partie des droits de la personne. Cela donnera davantage de matière au tribunal qui devra interpréter cette loi.

Je crois que si nous sommes ici aujourd'hui, c'est parce que les entreprises ont réalisé, comme vous l'avez dit, que sans la confiance des consommateurs, elles ne pourront profiter pleinement des possibilités de l'âge de l'information. Je dirais également que les entreprises doivent comprendre que si elles veulent avoir la confiance des citoyens, elles doivent montrer qu'elles sont dignes de cette confiance. Lorsque j'ai dit qu'il ne faut pas permettre à la technologie de prendre les commandes, je faisais allusion au fait que la technologie est ouverte de par sa nature, et qu'elle prend ce que nous considérons comme des données personnelles et les rend publiques par défaut.

C'est comme les listes nominatives. À Yellowknife, une société américaine a sorti une série d'informations du Web. On y trouvait tous les habitants de Yellowknife, leurs noms, adresses, numéros de téléphone—cela, on sait que ça s'obtient facilement—leurs professions, leurs revenus approximatifs, combien d'enfants ils ont, les noms des enfants. Toutes ces informations sont désormais du domaine public à cause de la technologie. Si vous permettez à la technologie de prendre ces décisions pour vous, vous ne réussirez pas du tout à protéger les valeurs sociales et vous n'aurez pas d'équilibre.

Permettez-moi de vous donner un exemple très précis. Je m'occupe depuis un certain nombre d'années d'éduquer les enfants en ce qui a trait au commerce électronique. Ils vont dans les sites Internet, de firmes de bonne réputation—Kellogg's, Coca-Cola et autres grands noms du genre qu'on retrouve sur le marché depuis longtemps. Là on les encourage à donner toutes sortes de renseignements personnels. D'abord leur nom, leur âge, leur adresse, le nom de leurs parents, combien d'argent ils gagnent, quel genre de voiture maman et papa conduisent, quel genre d'études maman et papa ont fait—tout cela sur la place publique. Ils pourraient très bien crier ces informations dans la rue; n'importe qui peut les récupérer.

Si vous allez dans le site de Surge Cola, par exemple, un site de marketing très agressif, très étudié, la première des choses qu'on vous demande, c'est de donner des renseignements personnels sur vous. Eh, si vous voulez avoir nos clips et nos supers graphiques, vous devez nous donner quelque chose, alors ne perdez pas de temps, donnez-nous ce qu'on vous demande.

Le médium se prête à ce genre d'utilisation, et les sociétés ont la possibilité en ce moment de recueillir toute cette information. Ce que je crains, c'est que nous n'examinions ce projet de loi en nous référant à un monde qui n'existe plus, un monde où les sociétés ont des données qui leur sont propres, où les dossiers de la TD sont différents de ceux de Safeway. En réalité, les choses ne se passent plus du tout ainsi. Nous avons un logiciel de collecte des données d'une telle sophistication que toutes ces bribes d'information sont regroupées et exploitées ensemble. Vous pouvez obtenir un profil très détaillé de la vie de mon fils.

C'est Lego Canada qui m'a fait prendre conscience de cet état de chose. Lego a envoyé un petit jouet à mon fils, qui adore ces jouets, en l'invitant à adhérer au club Lego. Il suffisait de fournir ces informations personnelles—ce qu'il avait envie de faire lorsqu'il serait grand, son personnage de bande dessinée favori, et patati et patata. Cette information est entrée dans une base de données centrale et il y a une petite mention tout en bas qui dit, bien sûr, Johnny, tu nous permets d'utiliser ces informations, n'est-ce pas. Elles seront entrées dans une base de données centrale.

L'une des plus grandes maisons de base de données aux États- Unis s'appelle RR Donnelly & Sons. Il y a quelques années, une journaliste américaine les a appelés et leur a dit: «J'aimerais acheter une liste avec tous les noms, âges, adresses et écoles de tous les enfants situés à l'intérieur d'un certain rayon de Los Angeles» et pour l'obtenir, elle a utilisé le nom de quelqu'un qui avait été condamné pour le meurtre d'un enfant. La personne qui lui a donné la liste lui a dit «C'est drôle, je crois que votre nom est connu, n'est-ce pas?»—ou quelque chose du genre. Elle a eu ces renseignements pour 220 $.

• 0945

Si je cède des bribes de renseignements personnels, et que le secteur privé les traite comme s'il s'agissait de marchandises et en tire des bénéfices, je n'ai aucun moyen de protéger mon enfant contre ce genre de conséquences. Ce n'est pas équilibré. Je ne dis pas du tout qu'il faut faire marche arrière. De fait, j'apprécie la technologie. J'adore Internet et j'adore les possibilités qu'il offre, mais c'est le moment justement de faire les choses bien. Si nous renonçons, je crois que les Canadiens se désintéresseront davantage encore du processus politique, car c'est ce qu'ils demandent; c'est ce qu'ils méritent de la part de leurs représentants élus.

M. Rahim Jaffer: J'ai une dernière question rapide pour M. Lawson. Monsieur Lawson, vous avez signalé l'importance de donner aux mesures de protection des renseignements personnels une dimension plus large, qui irait au-delà des provinces évidemment, et une portée plus vaste, et je crois que c'est justement ce que recherche ce projet de loi. Mon impression est qu'il ne se limitera même pas au Canada. Il aura une portée mondiale.

Vous avez soulevé la question de la compétence des provinces. J'aimerais simplement obtenir votre opinion sur ce sujet, puisque vous êtes avocat, car nous avons eu différentes impressions de divers ministres de la Justice de diverses provinces. Bien sûr le Québec s'inquiète parce qu'il a ses propres mesures de protection de la vie privée et se demande quel effet ce projet de loi aura sur celles-ci.

Comment voyez-vous cette dimension nationale et presque mondiale lorsqu'il s'agit de protection de la vie privée et de commerce électronique? Quelle incidence aura-t-elle sur les provinces? Pensez-vous qu'elles s'aligneront? Pensez-vous qu'elles coopéreront, car bien sûr la question dépasse la compétence des provinces.

M. Ian Lawson: Je commencerai par dire que oui, la question dépasse largement la compétence des provinces. Je peux dire sans hésitation qu'à mon avis ce projet de loi s'inscrit entièrement et parfaitement dans la compétence fédérale, car c'est un domaine qui en soi dépasse la compétence de toute province donnée.

Il est vrai bien sûr que les règlements que nous voyons dans ce projet de loi s'appliqueront à des activités commerciales qui ont peut-être lieu exclusivement à l'intérieur des provinces. Mais à mon avis, ceux-ci procèdent d'un régime de protection et de contrôle plus large, plus important, qui est également extra- provincial.

Je sais que certaines provinces, et le Québec en particulier, ont exprimé des réserves parce qu'elles ont d'excellentes lois. Je pense que le problème des interférences avec les lois actuelles ou futures de provinces données peut être surmonté. La coexistence de lois n'est pas un phénomène nouveau au Canada. Il est possible et tout à fait légitime d'avoir deux lois en vigueur au même moment, dans un domaine donné. Lorsqu'elles sont en conflit, bien sûr, il y a un problème.

En ce qui concerne la résolution de ce problème, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas prévoir, soit dans cette loi, soit préférablement au cours de négociations fédérales-provinciales, que les lois provinciales pourront être appliquées sans être gênées par la loi fédérale, pourvu qu'elles soient égales ou meilleures. Donnons aux provinces le pouvoir de concevoir des lois meilleures. J'espère sincèrement qu'elles élaboreront de meilleures lois, mais au minimum, compte tenu de l'importance de ce que nous faisons ici pour protéger la vie privée des gens dans le monde du commerce, le monde du secteur privé, la loi fédérale devra s'appliquer à tout le pays, à mon avis, et à toutes les provinces de la même manière.

La présidente: Merci beaucoup.

J'aimerais simplement rappeler à tout le monde que nous essayons de poser des questions brèves et de donner des réponses brèves également. Ce serait appréciable car autrement nous allons manquer de temps.

M. Keyes.

M. Stan Keyes (Hamilton-Ouest, Lib.): Merci, madame la présidente. Madame Steeves, j'ai beaucoup apprécié votre présentation. Votre bio mise à part, il est évident que vous savez de quoi vous parlez.

Puisque nous disposons d'un temps limité, comme vient de le rappeler madame la présidente, j'aimerais avoir votre opinion sur la protection de la vie privée par rapport à ce que je considère comme une option négative. Avez-vous vu quoi que ce soit dans le projet de loi qui garantirait à une personne qui voudrait faire une transaction commerciale électronique, remplirait les cases et renverrait sa commande par voie électronique, que les renseignements donnés ne seront pas vus par d'autres? Ou faut-il que cette personne coche une case qui dirait ne permettez pas que cette transaction électronique serve à qui que ce soit d'autre que vous, ou qu'elle serve à d'autres fins que la présente opération avec vous?

• 0950

Mme Valerie Steeves: Pour vous répondre brièvement, il s'agit d'un médium public. Lorsque vous envoyez une communication, celle- ci devient publique à moins d'être cryptée et dès lors on s'embarque dans une histoire tout à fait différente. Il y a chaque année une épreuve de décryptage sur le réseau, où des gens ordinaires essaient de trouver la clé des derniers codes de cryptage américains. Je crois que cette année il a fallu 56 heures à plusieurs ordinateurs qui ont travaillé ensemble sur Internet pour trouver, de simples ordinateurs personnels.

En d'autres termes, lorsque vous envoyez quelque chose par voie électronique, vous employez un médium public. Il est très difficile de protéger ces informations. C'est ce que je disais. Si vous permettez à la technologie de dominer la situation, tout deviendra public. Il y a très peu de sites qui font du commerce électronique en utilisant un langage crypté adéquat. La plupart des internautes avertis utilisent le réseau Internet pour faire leurs choix, mais envoient leur commande par télécopieur, pas par voie électronique.

M. Stan Keyes: Ce que je me dis, c'est qu'on pourrait prétendre, par exemple, que la liberté d'expression est un droit dans une démocratie, et nous savons tous qu'il y a des individus qui abusent de ce droit, mais en même temps, même la liberté d'expression a ses limites. Pensez à ce qui arriverait à quelqu'un qui se mettrait à crier «au feu» dans une salle de cinéma.

Lorsqu'on parle de lois sur le commerce électronique, ne devrait-il pas y avoir une case dans le haut de l'écran, qui ferait partie du programme Windows par exemple, ou quoi que ce soit, qui... On trouve tout là-haut—la commande pour avancer, reculer, imprimer—mais rien pour dire ne prenez pas cette information pour la transmettre à n'importe qui. Les choses ne sont pas claires. Même dans le cas des biscuits, je me demande combien de personnes dans cette salle comprennent tout ce que signifie ce concept du biscuit, car peu de gens connaissent les ramifications du surfing sur le réseau.

Mme Valerie Steeves: Ce qui ressort, c'est la tension qui existe sur le marché. Voyez ce qui se passe avec la puce pentium 3 d'Intel par exemple, c'est une atteinte à la vie privée incroyable!

M. Stan Keyes: C'est exact.

M. Valerie Steeves: On peut m'identifier n'importe où.

M. Stan Keyes: Il faut acheter le logiciel de Microsoft pour la désactiver, et le faire installer par eux parce qu'on ne sait pas le faire soi-même.

Mme Valerie Steeves: On estime que de 75 à 95 p. 100 des utilisateurs d'ordinateur ne modifient jamais les paramètres par défaut de leurs programmes de toute façon, et c'est donc une solution discutable.

M. Stan Keyes: C'est vrai. Et les gens qui achètent cette puce au pentium ne vont pas acheter le logiciel supplémentaire pour la désactiver parce que ce sont des frais supplémentaires et que ce n'est pas pour cela qu'ils veulent dépenser leur argent.

Mme Valerie Steeves: Vous avez raison. Je crois que c'est là qu'intervient l'éducation, car la technologie offre de nombreux outils pour nous aider à préserver notre vie privée. Et si vous voulez que le commerce électronique soit prospère, il faut également appuyer ces initiatives. Et cela se fait par le biais de l'éducation.

Une fois que vous expliquez aux gens ce qu'il advient de leurs informations, il se fait un déclic. C'est intéressant à observer.

J'enseigne à un groupe de jeunes âgés de 19 et 20 ans, qui sont très au fait de l'informatique, mais passifs. Une fois qu'ils comprennent ce qui se passe, ils se mettent à la recherche d'outils pour protéger leur intimité. Ces outils existent.

M. Stan Keyes: Nous ne voulons pas faire peur aux gens en même temps que nous cherchons à encourager le commerce électronique. Nous voulons par exemple encourager les gens à envoyer un jour leurs déclarations d'impôt directement de chez eux à Revenu Canada.

Mme Valerie Steeves: Nous avons des leçons à apprendre. Lorsque Revenu Canada a créé son site en ligne, les communications se faisaient par le biais d'Internet, ce qui veut dire que toutes les informations étaient totalement publiques—les numéros d'assurance sociale, votre revenu, tout cela. Aujourd'hui on utilise des lignes spécialisées. C'est facile à faire. Je fais toutes mes transactions bancaires sur Internet par le biais de lignes spécialisées cryptées qui sont reliées à la TD.

Le marché est donc en train d'apprendre. C'est la demande des consommateurs qui le pousse à agir. Mais les consommateurs ne demanderont rien s'ils ne savent pas comment les choses se passent.

En réalité, toutes les intrusions dont nous devrions nous inquiéter passent inaperçues de la grande majorité des gens. Les gens ne savent pas ce qu'il advient de leurs renseignements personnels. Ils se sentent impuissants. Ils se sont mécontents. Ils vont se désintéresser de leur système juridique parce que celui-ci ne les protège pas comme il faut.

M. Stan Keyes: Vous avez raison. Et l'éducation est la solution.

Mme Valerie Steeves: L'éducation est la solution.

M. Stan Keyes: Si nous voulons faire quelque chose, nous devons nous assurer qu'il y aura suffisamment d'argent pour que le commissaire à la vie privée—car c'est lui à mon avis qui s'en chargera—ait les moyens d'informer le public afin qu'il soit plus vigilant. Les exigences du public forceront celui qui est aux commandes, s'il s'agit de la technologie, à tenir compte des besoins de tout le monde.

Mme Valerie Steeves: La technologie est un outil. Nous pouvons nous en servir pour améliorer nos rapports sociaux et nos rapports économiques. Nous pouvons nous en servir de manière à les gâcher, à les détruire. Il faut juste bien savoir ce que nous faisons.

M. Stan Keyes: Merci madame Steeves. Merci madame la présidente.

La présidente: Merci beaucoup monsieur Keyes.

[Français]

Madame Lalonde, s'il vous plaît.

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Bonjour. Je remercie nos deux témoins de leurs présentations. Bien que cela n'enlève rien à la qualité de nos autres témoins, je dois dire, madame la présidente, que je regrette que M. Péladeau n'ait pas été là pour compléter le portrait, si je puis ainsi dire. Je sais qu'il a été un acteur important sur la scène de la lutte pour la protection des renseignements personnels et pour l'information du public. Il faut parler de ces deux questions à la fois.

• 0955

Puisque le temps qu'on m'accorde est limité, je poserai sans plus tarder mes questions. J'ai beaucoup d'atomes crochus avec M. Lawson et peut-être un peu moins avec Mme Steeves, comme vous pouvez le deviner.

Dans le fond, sur la question constitutionnelle, il y a deux types de contestations qui peuvent surgir. Elles peuvent émaner du Québec, d'une part, qui a une loi, qui ne veut pas la voir affaiblir et qui voudrait qu'elle puisse s'appliquer à toutes les entreprises du Québec. Elles peuvent aussi émaner des autres provinces, qui pourraient ne pas vouloir du tout de loi et se révolter parce que le fédéral dit: «Take it or leave it. D'ici trois ans, vous vous dotez d'une loi ou ce sera la mienne qui s'appliquera.»

Je comprends bien que votre assurance par rapport à la non-contestation ou à la victoire éventuelle de la loi fédérale s'appuierait sur le commerce électronique, prenant le pas sur le droit civil ou la common law de la province. Par contre, si on insiste davantage sur les renseignements personnels, à ce moment-là, la juridiction fédérale pourrait être contestée, ce qui n'est pas nécessairement rassurant pour les citoyens.

[Traduction]

M. Ian Lawson: C'est simplement sur la façon dont vous présentez la chose que je suis en désaccord avec vous: le commerce électronique avant les droits des citoyens. Je suis tout à fait sûr de moi lorsque j'affirme, comme je l'ai fait, que la composante renseignements personnels de ce projet de loi fait partie intégrante du commerce électronique, et penser que cette loi survivra à une contestation de sa constitutionnalité sur le front du commerce, comme vous le dites, aux dépens du front des renseignements personnels, revient à mon avis à diviser inutilement deux initiatives très importantes. Le commerce électronique se fera et la Partie 2 de ce projet de loi porte là-dessus. Mais d'abord il y a la protection de la vie privée et je ne crois pas que l'on puisse séparer les deux. Mais on essaiera de le faire.

Je suis certes d'accord qu'il vaudra mieux faire porter les efforts pour tester le caractère constitutionnel de la loi sur le front des renseignements personnels, en se disant que ce sera plus facile. Mais si l'on intègre des mesures essentielles de protection des renseignements personnels aux dispositions visant le commerce électronique, je suis confiant que nous survivrons à cette épreuve.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Vous êtes pas mal diplomate.

Des voix: Ah, ah!

Mme Francine Lalonde: Il est vrai que vous êtes avocat. Vous avez dit, à votre troisième ajout, qu'il faudrait des règles cohérentes et uniformes en ce qui concerne le commerce électronique d'un bout à l'autre du Canada. Pensez-vous que ces règles uniformes pourraient être imposées? Est-ce que la recherche ne devrait pas être faite autrement que par une loi fédérale?

[Traduction]

M. Ian Lawson: On peut toujours négocier, et je suis un adepte de la négociation; c'est ainsi que notre pays devrait fonctionner. Mais comme nous le savons tous, il arrive que la négociation ne marche pas pour diverses raisons, et plus le sujet est compliqué, plus les négociations seront compliquées.

Si j'appuie ce projet de loi, comme je l'ai dit précédemment, c'est parce que je me rends compte à quel point il est important de prévoir des mesures de protection des renseignements personnels au moment où nous encourageons un nouveau monde du commerce—et combien il importe de nous assurer que ce nouveau monde du commerce sera prévisible, raisonnable et sûr pour les entreprises et les consommateurs. À mon humble avis, cet objectif prévaudrait sur tout désire d'une province de se distinguer ou de faire quelque chose qui ne serait pas conforme à ce que cette loi cherche à accomplir.

• 1000

[Français]

Mme Francine Lalonde: Même si leurs lois étaient meilleures? Est-ce que vous empêcheriez une province d'offrir à ses citoyens une meilleure protection, surtout si ces derniers insistent, si elle a mis en place un processus il y a un certain temps et a déjà établi des règles?

[Traduction]

M. Ian Lawson: Vous savez très bien comment coller un avocat, et nous, nous essayons d'être diplomates.

[Français]

Mme Francine Lalonde: N'essayez pas de gagner du temps. Répondez.

[Traduction]

M. Ian Lawson: D'accord.

Premièrement, j'espère voir dans les provinces des lois qui protégeront mieux la vie privée. Ce qui se passe dans le secteur privé est vraiment désastreux. Mise à part la loi québécoise, ce que nous avons ici est vraiment ce qu'il y a de mieux dans le secteur privé. Cette loi doit voir le jour. Je ne doute pas, en revanche, que les provinces pourraient prendre des mesures législatives encore plus efficaces, et qu'elles le feront.

Je me répète sans doute, mais puisque la protection de la vie privée doit faire partie intégrante des transactions commerciales qui s'effectuent sur l'autoroute de l'information, j'estime que le projet de loi C-54 est le minimum absolu qui devrait s'appliquer partout. Que les autres fassent mieux—et j'espère que toutes les provinces apporteront des améliorations—mais ce que nous avons sous les yeux ici, à mon avis, représente le strict minimum nécessaire en matière de protection dans cette démarche.

La présidente: Merci.

[Français]

Merci, madame Lalonde.

[Traduction]

Madame Barnes, je vous prie.

Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.): Merci madame la présidente.

J'aimerais vous souhaiter la bienvenue. Vous nous avez tous deux fait d'excellentes présentations.

J'ai également une certaine formation juridique, mais je dois dire que je suis un peu perdue. J'aimerais que quelqu'un m'explique comment des enfants mineurs peuvent donner un consentement légal à qui que ce soit sur Internet alors qu'ils ne peuvent le faire dans la vie quotidienne. Si mon enfant avait un accident au parc aujourd'hui, je ne crois pas que qui que ce soit accepterait de le soigner dans un hôpital, sans le consentement d'un adulte. Comment une entreprise commerciale s'y prend-elle pour obtenir des informations et les utiliser ensuite en vertu de cette loi?

Mme Valerie Steeves: Je suppose que le fait est que les choses ne sont pas expliquées clairement dans la loi. De fait, si vous décidez de vous pencher sur la question du consentement des jeunes, vous allez découvrir des anomalies surprenantes. Un enfant de sixième année, par exemple, peut légalement accepter de se faire immuniser malgré les plaintes des parents lorsqu'il est à l'école. On peut donc injecter un corps étranger dans le système de mon enfant sans mon consentement. Il existe déjà de nombreux domaines régis par la loi où l'on peut obtenir le consentement d'un enfant, même s'il ne s'agit pas d'un consentement significatif ou éclairé.

Dans le cas d'Internet en particulier, je crois qu'il est important de se rappeler que nous n'avons pas affaire à de la publicité ou du démarchage. Nous avons affaire à ce que l'on appelle du «divertissement éducatif», où les aspects ludique, commercial et éducatif s'entremêlent intimement. Je vais vous donner un exemple. Si vous allez dans les sites des marques d'alcool ou de tabac, vous y trouverez des liens qui vous donnent accès à des jeux pour enfants. Je crois que le site de Seagram—quoi que je ne sois pas certaine qu'il s'agit bien d'eux—vous avez quelques jeux destinés à des garçons de huit à dix ans. Ils peuvent se brancher là-dessus et jouer à un jeu qui rappelle un peu celui de Super Mario Bros. Il faut sauter et collectionner des pièces d'or. Dans ce jeu, toutefois, on saute et on obtient des bouteilles de rhum, et à la fin de la partie, on fait la fête et on boit.

Je crois qu'il nous faut examiner sérieusement comment on essaie de vendre des produits à nos enfants dans les médias électroniques. Ce qui est fascinant, c'est que les nuances que nous voyons dans les médias habituels, les médias traditionnels, sont plus évidentes sur Internet. Ainsi, juste en dessous de ces listes de jeux, on trouve des liens qui donnent accès à des images de femmes nues qui fument et boivent. Les rapports avec le côté plus noir du marketing sont très évidents lorsqu'il s'agit de commerce en ligne. On parle vraiment d'un médium qui soutire un consentement dans un environnement apparemment homogène qui se fait passer pour un environnement de jeu sûr pour les enfants. Ce qui m'inquiète, c'est que la loi ne dit rien sur ce point, et je crois qu'il faut clarifier les choses.

Mme Sue Barnes: Pensez-vous que cela devrait être fait en plus de la loi, ou suffirait-il simplement de clarifier les choses?

• 1005

Mme Valerie Steeves: Il est facile de suggérer toutes sortes d'amendements, et je sais que ce projet de loi a franchi de nombreuses étapes avant d'en arriver au stade actuel, mais je pense que le fait de ne pas avoir défini la notion de «consentement» est un des défauts du projet de loi. Il y a de nombreux termes dans cette loi qui ne sont pas définis. On ne précise pas ce qu'on entend par activité commerciale. On ne définit pas consensus. Tout ce qui compte réellement n'est pas là, et il y a une raison à cela.

Le processus de l'Association canadienne de normalisation, qui était incroyablement bon, était un processus de négociation axé sur le consensus. Mais vu la nature de la discussion, cependant, l'industrie avait le droit d'opposer son veto à pratiquement tout ce qui était proposé. Les groupes de défense des consommateurs exerçaient des pressions pour obtenir des concessions au fur et à mesure. On a renoncé expressément à définir certains des éléments plus délicats dans les normes de la CSA parce qu'ils étaient trop difficiles pour le médium. C'est pourquoi je pense que cette Chambre est l'endroit où le leadership peut s'exercer et où ces questions délicates peuvent être résolues.

Mme Sue Barnes: Puisque j'ai très peu de temps, je vais glisser une question rapide, qui n'a pas de rapport avec ce qui vient d'être dit.

À votre connaissance, à quel point l'emploi des tests génétiques à des fins non médicales, dans le domaine de l'emploi ou de l'assurance notamment, est-il répandu au Canada?

Mme Valerie Steeves: Je n'ai pas de chiffre précis à ce sujet, mais je sais que nous n'apercevons que la pointe de l'iceberg pour l'instant. On commence à entendre des histoires d'horreur, comme celle de la compagnie d'assurance dont je vous ai parlé. Que nous soyons au courant ou non du problème aujourd'hui, je peux vous dire que nous y serons confrontés demain.

Pensez sérieusement à la quantité incroyable d'informations contenues dans un génome humain, lorsque celles-ci sont reliées à un individu particulier les possibilités de discrimination sont énormes.

Je vais m'efforcer d'être brève, mais j'ai découvert que l'un des événements les plus marquants des consultations du comité permanent en 1997 a eu lieu à Calgary. Un homme s'est levé et a demandé si les gens se rendaient compte que les professions médicales décidaient des traitements de maladies génétiques et des avortements sélectifs. Lui-même était un survivant de la thalidomide. Il a dit que l'on sous-estimait son expérience de vie, que l'on pratiquait une discrimination qui allait jusqu'à supprimer l'existence de toute une classe de gens en prétendant soigner une maladie alors qu'en fait nous enlevons à ces gens la possibilité de vivre leur vie.

Les problèmes soulevés par l'utilisation des informations génétiques ont de profonds retentissements. Je pense que nous aurons besoin d'un mécanisme qui permettra aux tribunaux de trouver un équilibre dans tout cela. Les technologies actuelles sont probablement dix fois moins envahissantes que celles que nous allons voir dans cinq ans, surtout en matière de renseignements génétiques. C'est pourquoi j'estime que c'est le moment d'agir. Nous devons donner aux tribunaux suffisamment d'outils pour faire leur travail, et nous devons nous assurer que ces droits feront partie de l'équation.

Mme Sue Barnes: J'aimerais beaucoup voir vos CD pour les enfants.

Mme Valerie Steeves: Je vous les montrerai après la réunion.

La présidente: Merci beaucoup, madame Barnes.

[Français]

Madame Lalonde, avez-vous d'autres questions?

Mme Francine Lalonde: Merci. Monsieur Lawson, vous dites que vous êtes heureux que le commissaire ait à sa disposition un arsenal sain de pouvoirs, comme j'ai pu en prendre note en français. En conclusion, vous disiez que vous étiez heureux que la Cour fédérale soit ce recours. Pensez-vous que la Cour fédérale est vraiment l'instrument approprié pour régler un grand nombre des problèmes des citoyens, qui ont par exemple trait à la connaissance de leurs dossiers, à la correction d'éléments contenus dans leurs dossiers ou à l'exclusion de listes nominatives? Pensez-vous qu'il est adéquat de prévoir d'abord la tentative du citoyen de s'entendre avec la compagnie, de passer ensuite à une médiation, puis à une étude du commissaire à la vie privée et finalement à une recommandation, et là, bingo, le citoyen peut aller en Cour fédérale? Est-ce que ce n'est pas finalement dissuasif? À ce moment-là, la loi ne penche-t-elle pas outrageusement du côté d'une autoréglementation, sans le dire, alors que le citoyen est abandonné par l'État, qui devrait lui donner un vrai recours?

[Traduction]

M. Ian Lawson: Je passe mon temps dans les tribunaux. Sur la question du respect de la vie privée, je préfère nettement avoir affaire aux commissaires à la vie privée. Les juges me font peur. Sans vouloir manquer de respect envers la Cour fédérale ou un juge en particulier, je dis cela sans problème. Les commissaires à la vie privée ont d'énormes connaissances. Ils ont un gros avantage par rapport au juge qui tenterait seul d'aller au fond du problème au cours d'une audition sommaire. La Cour fédérale ne s'occupe pas de cela, elle ne l'a jamais fait avant ce projet de loi, du moins pas de la façon dont ce projet de loi l'envisage.

• 1010

Comme je l'ai dit, j'ai toujours fortement recommandé de mettre des pouvoirs gigantesques à la disposition de l'expert qui se penche sur une loi donnée pour préserver le droit à la vie privé. D'autre part, j'ai également un grand respect pour les commissaires. Il y a une école de pensée qui veut qu'il y ait conflit d'intérêt lorsque le commissaire qui cherche à négocier ou à persuader quelqu'un de respecter la loi est également celui qui va imposer la pénalité pour non-respect de la loi.

Je respecte ce point de vue, et je suppose que c'est pourquoi le projet de loi est formulé ainsi, et que le commissaire du Canada à la vie privée estime peut-être qu'il peut être plus efficace s'il a un pouvoir de persuasion et de négociation. L'inconvénient, c'est que ces problèmes seront examinés ailleurs, et des décisions seront prises qui seront exécutoires. C'est pourquoi l'idée de recourir à la cour m'inspire certaines inquiétudes.

Cela étant dit, j'étais et suis toujours partisan de poursuites judiciaires pour protéger la vie privée des gens lorsqu'il n'y a pas d'autre choix. Il faut le faire. Il faut donner aux individus victimes d'intrusion dans leur vie privée des moyens de se défendre.

J'essaie d'être aussi diplomate que possible.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Oui, je vois cela. Ce n'est pas nécessaire de le dire. C'est évident.

[Traduction]

M. Ian Lawson: Cette loi me satisfait, même si elle pourrait être meilleure. J'aurais fait les choses différemment, mais je suis satisfait et elle fonctionnera. Franchement, je préfère que le commissaire fasse tout son possible pour régler les problèmes rapidement sans recourir au tribunal et je crois que le commissaire y parviendra.

La présidente: Avez-vous une autre question, madame Lalonde?

[Français]

Mme Francine Lalonde: Oui. Vous avez parlé de votre volonté d'efficacité et de la nécessité de convaincre les entreprises. Vous avez vu une marge de manoeuvre qui s'est manifestée lors de la négociation du code. Par contre, Mme Steeves nous a bien fait remarquer que les entreprises iraient volontairement jusqu'à un point x, qu'une pression sociale pourrait peut-être faire en sorte qu'elles aillent jusqu'à x 1, mais qu'il y a un pas qu'elles ne franchiraient pas. C'est vrai dans tous les domaines. J'ai travaillé dans le domaine de la santé et de la sécurité du travail. Certaines grandes entreprises qui en ont les moyens retiennent les services d'agents de relations publiques et tout ce que vous voudrez, et elles sont en mesure de le faire, mais vous quel pourcentage des entreprises allez-vous chercher comme ça? Combien en rejoignez-vous? De son côté, le citoyen fait face à toutes les entreprises. Celles avec lesquelles il a le plus de problèmes sont celles qui peuvent ne pas avoir participé du tout à cette démarche.

C'est pourquoi je pose à nouveau ma question, à laquelle vous avez répondu si diplomatiquement. Mme Steeves pourrait peut-être m'aider. Lorsqu'un citoyen demande qu'on corrige son dossier, il ne veut pas nécessairement que la compagnie paie une pénalité de l'ordre de 200 000 $, ce qui représenterait une autre démarche. Mais, concrètement, s'il y a des choses dans mon dossier qui ne sont pas vraies, qui sont répandues et que je veux faire corriger, il n'est pas évident que l'intervention du commissaire va faire changer les choses. Comme vous le savez, le commissaire a souvent fait rire de lui, pour parler moins diplomatiquement, dans le secteur public.

[Traduction]

La présidente: Madame Steeves.

Mme Valerie Steeves: J'estime qu'il s'agit d'un point crucial, car nous vivons dans un monde où toutes les données sont exploitées, où la plupart des ces intrusions dans notre vie privée sont invisibles. Si toutes ces bribes d'information sur moi sont récupérées de tous ces organismes différents, entrées dans une base de données, mises ensemble et ensuite exploitées, il se peut que je ne me souvienne même pas des éléments d'information que j'ai donnés, ni si j'ai consenti à ce qu'ils soient utilisés. C'est pourquoi j'estime qu'il est important de s'assurer que le commissaire aura des pouvoirs de vérification puissants.

Je crains que ces pouvoirs ne soient limités par la façon dont la loi est rédigée en ce moment, précisément en raison des problèmes que vous avez soulevés. Je ne saurais même pas. Et même si je savais, comment faire pour retracer cet élément d'information? On a affaire à des réseaux fort complexes, et il est donc très difficile de faire quelque chose.

Et je crois que nous devons également être réalistes et admettre que nous parlons de bases de données reliées au niveau international, plutôt que national.

• 1015

Mais encore une fois, si vous prévoyez un pouvoir de vérification trop fort, ce n'est peut-être pas la façon dont nous avons l'habitude de réglementer ce genre de chose, car nous avons l'habitude d'utiliser la loi dans une sens passif. Nous établissons les règles et vous les observez. Je crois que dans une large mesure nous faisons de l'interférence passive, et un pouvoir de vérification accroîtrait l'efficacité du commissaire.

Sur la question constitutionnelle—je suis réellement stupide; je ne devrais pas la soulever parce que personne ne me le demande—l'approche de l'ombudsman est peut-être la bonne, car nous demandons au fédéral de prendre les commandes et qu'elle donne au commissaire à la vie privée une plus grande latitude pour poursuivre la ronde de négociations déjà entamée par les commissaires à la vie privée du fédéral et des provinces.

Ce que je crains, c'est que si nous transformons le commissaire à la vie privée en bureaucrate, son bureau sera peut- être moins efficace pour aider à faciliter ce consensus.

La présidente: M. Lawson, voulez-vous faire un commentaire?

M. Ian Lawson: Oui. La question posée à Mme Lalonde illustre pourquoi, lorsque j'ai commencé à me pencher sur ce problème, j'ai conclu qu'il fallait modifier le comportement humain. Il faut changer la façon dont les gens pensent au lieu de chercher à leur donner des ordres ou à les réglementer. C'est là qu'intervient l'éducation.

J'aimerais faire remarquer, toutefois, pour en revenir au code type de la CSA, que l'article 4.9.5 donne à une personne qui démontre que des renseignements sont inexacts, le droit de faire rectifier la situation, et de recourir au commissaire et même au tribunal au besoin.

Je crois au code de la CSA comme première grande étape pour éduquer et modifier le comportement du secteur public, car il est accepté par ces joueurs. Il reste à éduquer ces joueurs pour que le système fonctionne réellement, mais je dois avouer qu'il n'est pas facile pour une personne de s'attaquer à ce genre de problème.

J'aimerais répéter encore une fois que c'est ce que nous avons eu de mieux jusqu'à présent, surtout au plan national. En dehors du Québec, il n'y a pas un seul endroit où une personne peut avoir ce genre de recours.

La présidente: Merci, monsieur Lawson.

Monsieur Lastewka.

M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Merci, madame la présidente.

Madame Steeves, vous avez suggéré de nombreuses modifications au projet de loi, mais j'aimerais que vous leur donniez des ordres de priorités. Si vous aviez la possibilité de faire des modifications quelle serait votre priorité numéro un et quelle serait la deuxième?

Mme Valerie Steeves: La priorité numéro un serait de loin de limiter les fins de manière à dire clairement qu'une entreprise peut recueillir des informations à des fins légitimes et raisonnables, des fins qu'il est possible de justifier dans une société juste et démocratique, quel que soit le langage que vous choisirez. Nous avons besoin d'un mécanisme pour dire qu'il n'est vraiment pas utile de demander à mon fils de huit ans la couleur de ma voiture pour lui vendre des Lego. Je devrais pouvoir avoir un certain contrôle là-dessus, surtout lorsqu'on vit dans un marché où les gens sont pénalisés s'ils protègent leur vie privée. Ceci serait de loin ma première priorité.

Deuxièmement, nous devons régler toute la question du consentement, quoi qu'il s'agisse d'une modification plutôt majeure. Je ne sais pas si cela conviendrait en troisième position, mais j'aimerais beaucoup voir quelques attendus que dans ce projet de loi. Énoncez clairement que la vie privée est un droit, que les Canadiens ont droit à leur vie privée, et que leur vie privée sera protégée dans l'univers du commerce électronique.

Encore une fois, il s'agit de réaliser un équilibre. Il faut simplement indiquer cela explicitement dans le projet de loi. Car sinon je crains qu'un tribunal ne puisse l'interpréter comme s'il s'agissait d'une loi visant à autoriser une organisation à recueillir, réifier et utiliser nos vies privées pour en tirer des profits. Nous avons besoin de rééquilibrer les choses et je crois que des attendus feraient l'affaire.

Ce sont mes deux priorités. Premièrement, limitez les fins; rédigez une définition simple et ajoutez-la à l'article 5. Deuxièmement, ce texte a besoin de quelques attendus.

M. Walt Lastewka: De toute évidence vous connaissez bien la question. À votre avis, quelles sont les plus grandes menaces pour notre vie privée aujourd'hui?

• 1020

Mme Valerie Steeves: Je dirais—que d'après mon expérience d'enseignement auprès de jeunes étudiants en droit dans la vingtaine, je fais partie de la faculté de droit de Carleton également—c'est la passivité de nos futurs citoyens. On doit leur enseigner leurs droits, et leurs obligations et responsabilités sur le marché. Il ne suffit pas de les former en tant que consommateurs; il faut leur faire prendre conscience de leurs responsabilités sociales. Pour être honnête avec vous, c'est la clé.

La technologie peut servir à enfreindre ou à protéger notre vie privée, tout dépend de ce que nous décidons d'en faire. Il y a de nombreux dissidents là dehors qui sont en train de confectionner des logiciels gratuits pour protéger ma vie privée, car je m'en sers. Je crois, à juste titre j'espère, à la liberté d'information qui prévaut dans un monde réseauté et à la possibilité de partager des solutions d'un point de vue de citoyen à citoyen. Mais cela ne sera possible que si nos citoyens sont actifs et engagés. Il nous faut transmettre ce message à la jeunesse, surtout en ce qui a trait à la vie privée.

Je viens juste de parachever une étude d'un an basée sur les consultations de 1997, sous l'habile direction de Mme Sheila Finestone. Nous avons pris les études de cas que nous avions utilisées pour les consultations en petits groupes de discussion, et les avons mises en ligne avec d'autres matériels éducatifs destinés aux écoles secondaires. Dans l'ensemble du pays, 350 enfants ont participé à des simulations d'audiences publiques—ils ont pratiquement reproduit ce que nous avions fait dans le monde réel en 1997.

Les discussions étaient fascinantes, parce que leurs commentaires ne portaient pas vraiment sur le problème de la protection de la vie privée, mais plutôt «sensass, ce système politique marche. Je ne l'aurais jamais cru». C'était vraiment encourageant. Nous devons reprendre cette initiative et la développer, car je ne pense pas que nous réaliserons le bon équilibre sans la participation des citoyens.

M. Walt Lastewka: Lorsque le commissaire est venu nous parler, il y a quelques semaines, il a également indiqué que les gens ne sont pas très au courant du problème posé par la protection de la vie privée; que la grande priorité devrait être l'éducation du public et ainsi de suite; et que c'est grâce à l'éducation que l'on obtiendra davantage de pressions pour que la protection de la vie privée devienne une réalité. De toute évidence vous êtes d'accord avec cela.

Mme Valerie Steeves: Je suis entièrement d'accord. On a beau peaufiner le projet de loi, à mon avis c'est l'éducation qui fera la différence. Si nous éduquons le public, ce projet de loi marchera; sinon il sera inefficace.

M. Walt Lastewka: Merci.

La présidente: Merci monsieur Lastewka.

Madame Finestone.

Mme Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.

J'aimerais vous dire que j'ai beaucoup de plaisir à vous entendre tous deux à nouveau. Valérie, vous êtes incroyable—fantastique.

J'ai entendu ce que vous disiez à propos de vos trois ou quatre priorités. Vous n'avez pas mentionné le pouvoir de vérification dans vos priorités, et je me demande si à votre avis l'énonciation d'une liste sur la vie privée et une définition plus claire de la notion de vie privée remplaceraient le pouvoir de vérification. Je ne voyais pas les choses ainsi.

Mme Valerie Steeves: Je pense que les pouvoirs de vérifications pourraient être plus vastes et ce serait ma prochaine priorité. À ce stade avancé du processus, il nous faut surtout chercher comment renforcer le projet de loi C-54.

Je crois que Ian a fait valoir que nous aimerions tous nous asseoir pour rédiger une nouvelle version, comme simple exercice de rédaction de loi. La première fois que j'en ai pris connaissance, j'ai dit que si un étudiant m'avait rendu ce texte, je lui aurais donné un C, et encore, par pitié parce qu'il s'agissait d'une première expérience. Il est trop tard; ce ne serait pas faisable.

Les dispositions visant la vérification gagneraient effectivement à être élargies, mais je me demande ce que les tribunaux feront de cela par la suite, surtout dans la mesure où l'on sait très bien que les contestations fuseront de toutes parts. C'est pourquoi j'estime que nous avons besoins de ces attendus et définitions qui indiqueront clairement que la vie privée est un droit de la personne. Donnons-leur de quoi travailler.

Il s'est passé des choses plutôt intéressantes, tant à la Cour suprême du Canada qu'à la Cour suprême de Colombie-Britannique, qui ont lié la liberté d'expression et le respect de la vie privée de telle sorte qu'il a fallu se pencher honnêtement sur la valeur sociale de ces droits et libertés. Si nous rajoutons ces attendus, je crois que nous pourrions réussir à lier les deux.

Mme Sheila Finestone: Concernant la vie privée, je ne crois pas qu'un changement constitutionnel soit dans l'air, et le droit à la vie privée ne figure pas dans la Constitution du Canada. Par contre la Loi canadienne sur les droits de la personne doit être révisée. Croyez-vous que si nous rajoutons la vie privée sous la non-discrimination ou quelque part dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous réaliserions la prochaine étape nécessaire? Je ne nie pas que nous ayons besoin d'une loi sur le commerce. Mais c'est justement un projet de loi sur le commerce; ce n'est pas un projet de loi sur la vie privée.

• 1025

Mme Valerie Steeves: Non, ce n'est pas un projet de loi sur la vie privée.

Mme Sheila Finestone: Et je crois qu'il faut insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi sur la vie privée, mais tous les aspects de la vie privée doivent être protégés lorsque cela est possible. Seriez-vous d'accord avec cela?

Mme Valerie Steeves: Oui.

Mme Sheila Finestone: D'accord. Donc puisque ce droit ne va pas être inclus dans la Constitution dans un avenir prévisible, bien qu'il figure dans la loi des Nations Unies, que diriez-vous si lorsque nous réviserons les droits de la personne dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous le rajoutions aux dispositions sur la non-discrimination? Où faudrait-il le mettre?

Mme Valerie Steeves: Nous avons déjà assisté à quelques tentatives, je crois, avec l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui vise l'utilisation de moyens de communication de manière subversive—pour transmettre des messages haineux qui s'obtiennent par simple appel téléphonique. Nous cherchons à réaliser cet équilibre entre la liberté d'expression et nos droits de la personne par le biais du code des droits de la personne. Je pense qu'il est approprié d'envisager de placer le droit à la vie privée dans une disposition du même genre. C'est une idée intéressante également parce que les codes, à la fois au niveau fédéral et provincial, mettent l'accent sur la prestation de services. Cela s'inscrirait donc parfaitement dans le contexte du marché électronique.

Mme Sheila Finestone: Si l'on effectuait cette modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne, vaudrait-il la peine d'avoir un projet de loi distinct sur la vie privée, une loi sur la vie privée, qui définirait le rôle du commissaire à la vie privée dans une perspective beaucoup plus large et couvrirait ces aspects qui sont absolument cruciaux pour protéger le citoyen ordinaire?

Mme Valerie Steeves: Je ne crois pas que nous aurons une protection efficace du droit à la vie privée tant que nous n'aurons pas de loi générale sur cette question précisément. C'est ainsi. Nous avons la volonté politique de prendre des mesures législatives pour protéger les renseignements personnels. C'est un premier pas. Et les pressions seront fortes pour nous inciter à poursuivre dans cette voie. Je suis convaincue qu'un jour nous envisagerons une loi plus large. Je pense également qu'on ne peut pas ignorer ce que la Cour suprême a fait avec l'article 8 de la charte, en invoquant des perquisitions et saisies abusives pour protéger des attentes raisonnables en matière de respecte de la vie privée.

On observe donc une convergence, encore que je déteste utiliser un terme aussi technique. On observe une convergence de la jurisprudence, du droit provincial et du droit fédéral. Et le gouvernement fédéral doit assumer un rôle de chef de file dans ce dossier. Je n'aurais peut-être pas choisi d'utiliser le gros bâton—excuse-moi Stéphanie—de la limite de trois ans. Vous savez, faites ce que nous vous disons de faire ou alors. Mais en même temps je crois que le commissaire à la vie privée et le gouvernement fédéral sont en train d'assumer un leadership sur le marché en mettant en place des lois qui permettront de protéger les informations. Les caprices constitutionnels seront réglés en cour, mais c'est un premier pas. Nous réussirons à résoudre ces problèmes seulement le jour où tout le monde décidera de s'asseoir en reconnaissant qu'il importe de s'entendre sur ces questions, dans le contexte fédéral.

La présidente: C'est la dernière question.

Mme Sheila Finestone: Je ne poserai même pas de question parce que je pense que Valérie a passé en revue tous les aspects à prendre en considération et à revoir. Je peux vous dire simplement qu'avec Nancy Holmes, Valérie et Stéphanie, c'est comme si j'avais travaillé sur un projet de loi sur la vie privée. Alors j'espère sincèrement que j'aurai l'occasion de vous consulter toutes les trois et que nous pourrons... Et je me souviendrai de vous aussi, monsieur Lawson, avec grand plaisir, merci.

Je vous remercie beaucoup. Je suis heureuse de vous avoir entendu aujourd'hui nous réitérer que la vie privée est un droit de la personne et que nous devrions la respecter en tant que tel.

La présidente: Merci beaucoup, madame Finestone.

[Français]

Madame Lalonde, avez-vous d'autres questions?

Mme Francine Lalonde: Oui, merci.

Monsieur Lawson, M. Raymond Doray, que vous connaissez sans doute, est un avocat qui travaille surtout pour les entreprises et dans le domaine des renseignements personnels. Lors d'un colloque de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes inc., il disait ceci:

    La loi fédérale risque par ailleurs d'être difficile à interpréter et à appliquer dans la mesure où elle transforme en obligations statutaires le Code de l'Association canadienne de normalisation (Code CSA) qui n'a pas été conçu pour établir des règles exécutoires. Entre autres, dans le code CSA qui est annexé à la loi fédérale, on retrouve plusieurs règles rédigées au conditionnel. Le paragraphe 5(2) de la loi fédérale mentionne que l'emploi du conditionnel dans l'annexe 1 indique qu'il s'agit d'une recommandation et non d'une obligation. Or, il est à tout le moins étonnant de retrouver des recommandations dans une loi.

• 1030

Il dit que ce n'est pas la même chose dans la loi québécoise. Un peu plus loin, à propos de l'article 7, il dit:

    Cependant, il est extrêmement difficile de connaître la portée de cette exception et il est à prévoir qu'elle donnera lieu à de nombreux litiges.

Qu'avez-vous à répondre à ses propos, étant donné que l'objectif est l'efficacité et que la loi elle-même ne donne pas d'indications claires, ce dont ont besoin les entreprises?

[Traduction]

M. Ian Lawson: C'est précisément pourquoi je fais confiance au code de la CSA, car les entreprises le connaissent déjà. Je ne vois aucune objection à rendre exécutoire le document même sur lequel le milieu des affaires a travaillé et qu'il a accepté au cours d'un processus de consultation axé sur le consensus, relativement complet. Oui, il contient des choses moins strictes que ce que l'on retrouve au plan international. Je reconnais que l'emploi du conditionnel n'a pas grand sens. Les «recommandations» n'ont pas grand sens. Mais nous avons le pouvoir de nous plaindre et donc d'alléguer auprès du commissaire, de la Cour fédérale, qu'une recommandation n'a pas été suivie.

Quant à se battre pour savoir ce que cela veut dire, c'est purement une recommandation. Et je ne fais pas d'insomnie la nuit en pensant au casse-tête que les termes «recommandation» ou «devrait» poseront au tribunal ou à qui que ce soit, parce qu'ils sont faibles et ne constituent pas des obligations. C'est admettre une faiblesse dans le code lui-même.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Vous ne semblez pas comprendre le sens de ses propos de la manière dont je les comprends. Il dit que le sens n'est pas précis et que les entreprises, notamment les grandes entreprises, au moment où elles réorganisent leur processus de cueillette et de transmission des données, ont besoin de savoir à quoi s'en tenir. Or, si vous prenez l'ensemble du code, ses conditionnels et les articles 5 et 7, vous aurez de la difficulté à trouver quelque chose de précis là-dedans. Je sais que vous êtes brillant, mais vous ne pouvez pas être certain que l'interprétation sera toujours la même. On risque de voir les entreprises faire ce qu'elles veulent, et je doute que vous conviendrez que c'est ce que veut la loi.

[Traduction]

M. Ian Lawson: J'ai dit—il y a bien longtemps, il y a plusieurs années—et c'est heureusement consigné dans les dossiers, que le code de la CSA devrait être rédigé dans ce que nous appelons du langage clair. Il devrait être plus simple. Je ne dis pas qu'il est impossible à comprendre, mais je dois dire que lorsqu'un profane ou une petite entreprise décide d'en prendre connaissance, ça a l'air plutôt décourageant. Et c'est une des choses que j'aurais fait différemment si j'avais eu à faire le travail. Mais par ailleurs, même s'il y a un certain flou dans l'importance de l'obligation et la façon dont elle s'inscrit dans la présente loi, le contenu du code est loin d'être nouveau. Il s'agit de principes qui existent depuis une vingtaine d'années, et représentent une version perfectionnée des principes qui sont acceptés par la communauté internationale depuis longtemps. Ils sont tous connus et ils sont simples.

Les principes de la responsabilité ont été lancés dans les lignes directrices de l'OCDE... vraiment, si on n'a toujours pas réussi à bien les comprendre, ce qui est probablement le cas, l'un des premiers objectifs du commissaire en vertu de cette loi devrait être d'assurer, de développer ce comportement qui respecte la dignité humaine, la vie privée des gens, auprès des entreprises commerciales.

La présidente: Madame Lalonde, Mme Steeves aimerait également répondre.

Madame Steeves.

Mme Valerie Steeves: J'allais juste dire qu'il s'agit d'un bon point, car il ne suffit pas d'éduquer les citoyens, il faut également éduquer le secteur privé. Encore une fois, si les choses doivent fonctionner, ce sera grâce à cela. Mais je crois qu'il est très, très important de se rendre compte que le code de la CSA ne signifie pas la même chose pour tout le monde. Un des intervenants dans les consultations du public sur la vie privée nous a conté son expérience dans une banque en Saskatchewan. Il était rentré pour ouvrir un compte d'épargne—il voulait pouvoir y déposer de l'argent et le retirer. Ils l'ont invité à s'asseoir et lui ont demandé quelle était sa profession, combien d'enfants il avait, à quelle école ils allaient, quels étaient ses objectifs dans la vie, quels étaient les objectifs de sa femme. Il leur a demandé pourquoi ils voulaient savoir tout cela, a dit que ça ne les regardait pas. Ils lui ont répondu qu'ils voulaient établir une bonne relation avec lui, qu'ils voulaient mieux le servir.

• 1035

Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Aussi bien appeler un service d'escorte.

Mme Valerie Steeves: Exactement. Mais c'est la réalité. Le code de la CSA ne sera pas interprété de la même manière par le secteur privé et par un défenseur du droit à la vie privée, et c'est comme ça, c'est tout. À moins de mettre quelque chose qui dit que les fins doivent être légitimes, je crois que vous avez raison, il y a matière à toutes sortes de litiges.

[Français]

La présidente: Madame Lalonde, c'est votre dernière question, s'il vous plaît.

Mme Francine Lalonde: Je citerai encore une fois les propos de M. Doray:

    Bien qu'elles mettent en oeuvre les mêmes principes et participent d'une même philosophie, la loi fédérale et la loi du Québec contiennent des différences marquées. On peut d'ores et déjà imaginer combien il sera difficile pour une même entreprise d'appliquer ces deux régimes en même temps. On peut également entrevoir qu'il sera dans bien des cas impossible de savoir à l'avance à quel régime certains renseignements personnels sont assujettis. Enfin, étant donné l'ampleur du champ d'application de la loi fédérale, il est à prévoir de nombreux litiges d'ordre constitutionnel.

C'est ma conclusion.

[Traduction]

Mme Sheila Finestone: J'aimerais invoquer le règlement, madame la présidente. Pourrait-on déposer ce document, afin que nous puissions tous profiter de...

[Français]

Mme Francine Lalonde: Oui, avec plaisir.

L'hon. Sheila Finestone: Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente: Certainement.

Monsieur Lawson.

M. Ian Lawson: Je reconnais que la prévisibilité, la cohérence et la certitude sont des éléments essentiels pour toute entreprise qui essaie de faire des affaires au Québec, ou n'importe où au pays. Le côté positif, c'est que ce dédoublement n'existe qu'au Québec. Il y a neuf autres provinces et territoires où les entreprises n'auront pas ce problème. Quant à savoir comment résoudre le problème, ce sera une tâche intéressante pour les avocats, et les gens du Québec...

[Français]

Mme Francine Lalonde: Les problèmes du Québec...

[Traduction]

M. Ian Lawson: Pourquoi les avocats du Québec doivent-ils faire tout ce travail? Oui, les entreprises auront la difficile tâche de déterminer où elles se situent. J'admets que ce sera difficile, mais c'est faisable. Ce n'est pas une situation impossible. Nous ne devrions pas laisser durer les choses. Il y a des façons de les surmonter, et bien qu'il y ait des différences, je suggère que... En fait, si l'on examine l'histoire du code de la CSA, elle commence avec le projet de loi du Québec. Je ne sais pas si le fait est connu, mais le code a commencé là, ensuite on y a rajouté les lignes directrices de l'OCDE et on a obtenu quelque chose d'un peu différent. Mais le code n'est pas différent au point de poser des problèmes insurmontables pour le milieu des affaires. J'avoue que ce serait bien si tout était soumis aux mêmes règles, et c'est pourquoi j'appuie quand même ce projet de loi.

La présidente: Merci. Merci beaucoup madame Lalonde, monsieur Lawson.

Madame Barnes, votre dernière question.

Mme Sue Barnes: Lorsque Mme Steeves a indiqué à M. Lastewka ses deux grandes priorités, j'ai été quelque peu surprise, mais je suis sûre que vous avez des bonnes raisons de le faire, d'apprendre que vous demandiez le rajout d'attendus, au lieu de demander des amendements aux articles ou des inclusions dans les articles. Je sais que nous entrons dans les domaines de la loi sur la vie privée en soi, mais puisque les différences de procédures de notre système judiciaire sont très différentes lorsqu'il s'agit de faire appliquer des attendus d'une loi, qui n'ont quasiment aucun poids, par rapport aux articles qui représentent la partie de loi qui est appliquée... Ça ne fait rien. C'est un peu comme si vous faisiez une liste de vos souhaits, mais comme ils ne constituent pas la loi, il n'y a pas à s'en faire.

Nous avons eu recours à cela—dans notre propre gouvernement. Je pense à des domaines du droit criminel où nous avons eu recours à ce procédé, pour la détermination de la peine par exemple, nous avons traité de problèmes de violence contre les femmes dans un préambule et prévu des sanctions différentes. Mais il me semble que vous avez dit en toute connaissance de cause que ce n'est pas ce que vous recherchez; que vous aimeriez que les tribunaux en tiennent compte. Encore une fois, s'agissant de la force exécutoire des textes de loi et des attendus que, ces derniers viennent vraiment en deuxième position et j'ai besoin de vous entendre dire que vous admettez que c'est le cas, que vous le savez, et que cela limiterait leur mise en application.

• 1040

Mme Valerie Steeves: Je reconnais qu'il s'agit d'une solution de deuxième choix. J'ai essayé de tenir compte de ce que je considère comme les réalités politiques de ce qui est possible lorsqu'il s'agit de bonifier le projet de loi C-54 par rapport à son état actuel.

L'autre aspect à améliorer serait l'article 3, qui énonce l'objet de la loi. On pourrait facilement le réécrire afin de le rendre plus explicite, car il est question du droit à la vie privée à cet endroit.

En même temps, si vous pensez à la façon dont les tribunaux traitent les attendus que, vous reconnaîtrez qu'ils ont une importance contextuelle, ils ne sont pas insignifiants. Ils ne sont pas exécutoires, mais ils servent à donner une orientation différente à ce texte. Je ne suis pas profondément convaincue qu'il soit possible de réécrire de manière significative le texte que nous avons devant nous, alors dans une large mesure il s'agit juste d'un effort pour effectuer cette réorientation.

Mme Sue Barnes: Monsieur Lawson—si je peux me permettre, madame la présidente—à ce même propos.

La présidente: Bien sûr.

M. Ian Lawson: Si je préconisais un préambule, c'était pour des raisons ultérieures très spécifiques, à savoir pour aider le pauvre juge de niveau provincial, quelque part au Canada... ou pour aider à comprendre l'objet de cette loi au lieu de laisser cela aux soins d'avocats qui pourraient tenter de sauver le projet de loi. Soyons clairs. C'est pour cela que le Parlement énonce pourquoi les choses ont lieu. Parce qu'il a de l'autorité.

Mon objectif en préconisant des modifications à l'article qui définit l'objet de la loi ou au préambule était plutôt de faciliter l'interprétation.

Oui, ils sont exécutoires, mais ce que vous dites dans un préambule ou dans la déclaration de l'objet ne sert qu'à faciliter l'interprétation.

Mme Sue Barnes: Et ces précisions sont donc essentielles à votre avis... ou est-ce aller trop loin?

M. Ian Lawson: J'aimerais beaucoup voir une amélioration de l'article sur l'objet de la loi, et j'ai déjà indiqué que j'aimerais avoir un préambule, selon ma perspective, qui porterait sur l'aspect constitutionnel, mais établirait également le droit à la vie privée. Il est grand temps de commencer à parler en ces termes.

La présidente: Merci beaucoup, madame Barnes.

J'aimerais remercier nos témoins de s'être présentés devant nous aujourd'hui. Monsieur Lawson, madame Steeves, nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps d'examiner le projet de loi et d'être venus en discuter avec nous. Nous recevrons volontiers tout commentaire que vous voudriez nous soumettre sur d'autres sujets ou à propos de ce que les autres témoins que nous allons entendre ces prochaines semaines auront à dire.

La séance est levée.