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INDY Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY

COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 3 décembre 1998

• 1531

[Traduction]

La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Je déclare la séance ouverte, conformément à un ordre de renvoi de la Chambre en date du mardi 3 novembre 1998, examen du projet de loi C-54, Loi visant à faciliter et à promouvoir le commerce électronique en protégeant les renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués dans certaines circonstances, en prévoyant l'utilisation de moyens électroniques pour communiquer ou enregistrer de l'information et des transactions et en modifiant la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur les textes réglementaires et la Loi sur la révision des lois.

Nous sommes très heureux d'accueillir parmi nous cet après-midi deux témoins. Il s'agit, pour le Bureau du commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique, de M. David Flaherty, qui est le commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique, et de M. Tom Mitchinson, le commissaire adjoint à l'information et à la protection de la vie privée pour l'Ontario.

Ma proposition serait que l'on entende les deux déclarations liminaires pour ensuite passer aux questions.

Cela étant dit, j'aimerais que l'on commence par M. Flaherty. Allez-y, je vous prie.

M. David Flaherty (commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique): Merci beaucoup, madame la présidente. Je suis très heureux d'être ici.

Je vous rappellerais que je suis et commissaire à l'information et commissaire à la protection de la vie privée en Colombie-Britannique. Vous avez deux responsables distincts au niveau fédéral, mais dans les provinces, on a tendance à charger une seule et même personne des deux fonctions.

D'autre part, je ne représente pas le gouvernement de la Colombie-Britannique. Je suis un fonctionnaire de l'assemblée législative, tout comme votre commissaire à la protection de la vie privée est un fonctionnaire du Parlement, et je ne voudrais pas que mes propos soient interprétés comme correspondant à la position du gouvernement bien que je m'empresse de vous dire que la position de ce dernier en ce qui concerne le projet de loi dont vous êtes saisis est, je pense, une position que je partage.

Je vous ai fourni un mémoire écrit. Je regrette qu'il n'existe pas en français. Je m'efforcerai de répondre en français aux questions qu'on me posera, si quelqu'un le désire.

Pour commencer, j'aimerais établir un petit peu auprès de vous ma crédibilité relativement à cette question. Il me faut dire que j'ai eu la chance, lorsque j'étais jeune étudiant diplômé à l'Université Columbia en 1964, d'être embauché pour une semaine par Alan Westin, qui écrivait alors un livre intitulé Privacy and Freedom. Publié en 1967, cet ouvrage compte parmi les plus importants dans le domaine. J'ai été pendant quelque temps aide-recherchiste de son auteur.

En 1973, j'enseignais à l'Université de Western Ontario. Je suis toujours professeur d'histoire et de droit, en dépit de mon poste actuel. J'ai commencé à faire du travail international sur la question de la protection de la vie privée. Depuis, et jusqu'à ce que j'accepte mon poste actuel, en 1993, j'ai travaillé dans tous les pays d'Europe ainsi qu'au Canada et aux États-Unis sur des questions liées à la protection de la vie privée, notamment dans le secteur public.

De 1984 à 1987, j'ai eu le privilège d'être l'un des deux experts-conseils retenus par le Comité permanent de la justice et du solliciteur général dans le cadre de son examen après cinq ans de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, examen qui s'est soldé par la publication, en mars 1987, d'un rapport intitulé Une question à deux volets.

Cela m'a intéressé de lire, il y a deux jours, l'une des recommandations de ce rapport, visant l'élargissement de l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels aux organismes du secteur privé à réglementation fédérale, chose que vous faites, sagement, dans le cadre du projet de loi C-54.

Dans le courant de ma carrière, j'ai eu le privilège de comparaître relativement à des questions de ce genre dans diverses provinces du Canada, à la Chambre des communes, au Sénat, aux États-Unis, en Australie et ainsi de suite. Il y a cinq ans, j'ai été nommé premier commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique. J'ai un mandat non renouvelable de six ans qui prend fin le 1er août prochain.

Je pense donc avoir une certaine indépendance et une certaine crédibilité en ce qui concerne l'examen de la question de la confidentialité de renseignements personnels.

J'ai l'impression d'être un petit peu ici le meneur de ban pour le projet de loi C-54. Je suis très enthousiaste à son égard. Je pense que l'on attend depuis longtemps ce qui y est proposé. Je crois que cela est dans l'intérêt des entreprises canadiennes ainsi que dans celui des contribuables et des résidents du pays.

J'aimerais encourager les membres du comité à voir, comme, j'imagine, c'est déjà le cas, qu'ils font quelque chose de très important en allant de l'avant avec le projet de loi pour le secteur privé canadien. Je suis, tout comme le ministre Manley, d'avis qu'il est très important de faciliter le commerce électronique au Canada et que nous sommes très bien placés en tant que pays très connecté pour promouvoir le commerce électronique, mais nous savons également qu'il y a quantité de Canadiens qui ont diverses inquiétudes en matière de protection de renseignements personnels dans le cadre de l'utilisation de l'Internet. Souvent, vous ne trouvez, au sein de ces groupes qui ont des réticences à l'égard de ces technologies, personne qui ait véritablement fait un achat sur Internet. L'une des raisons à cela est que ces personnes craignent pour la protection de leurs renseignements personnels ne serait-ce qu'en donnant leur numéro de carte de crédit par la voie de l'Internet. Je pense que le projet de loi C-54 sera bon pour les affaires.

• 1535

J'aimerais également souligner que, de mon point de vue en tant que défenseur de la vie privée et commissaire à la protection de la vie privée, il est encore plus important de protéger la vie privée en tant que droit de la personne, au moyen du projet de loi C-54, comme vous vous proposez de le faire.

Je suis ravi de l'application potentielle du projet de loi aux provinces et aux questions relevant d'elles. En tant qu'universitaire, je n'ai jamais été particulièrement timide pour ce qui est de me prononcer sur d'autres provinces ou sur des initiatives prises dans d'autres provinces. J'essaie de me rappeler que je suis aujourd'hui fonctionnaire et m'efforce d'être moins hardi dans ce domaine, mais j'estime que j'ai le droit de dire que je pense que cette initiative sera bonne pour tous les Canadiens.

Je laisserai mon collègue, M. Mitchinson, se prononcer pour l'Ontario. Je vais donc dire que c'est bon pour tous les Canadiens sauf ceux de l'Ontario, mais j'espère qu'il vous dira dans quelques instants que ce sera également bon pour les Ontariens.

J'estime que le projet de loi sera comme une sonnerie de réveil pour toutes les provinces, à l'exception du Québec qui, comme vous le savez, s'est déjà doté de sa propre loi. Le projet de loi donnera aux autres provinces le choix de tout simplement adopter le projet de loi C-54 ou d'adopter leur propre texte de loi.

Votre travail est vraiment important pour tous les Canadiens dans le contexte de ce projet de loi auquel j'accorde une importance véritablement historique en ce qu'il vise à être tout pour tout le monde, y compris moi-même. Je suis également historien, alors je pense apporter un certain jugement historique dans le cadre d'examen de certains textes de loi et je pense que ce projet de loi est très important, et pas seulement parce qu'il se fait attendre depuis si longtemps.

Vous allez entendre le secteur privé vous parler de certaines angoisses et craintes naturelles quant au fardeau qu'imposera la loi, quant à sa complexité, etc. Je vous renverrai à l'expérience québécoise de 1993-1994: certaines entreprises avaient argué que si le Québec réglementait le secteur privé, les affaires s'écrouleraient. Ce n'est certainement pas cela qui s'est produit.

Les pays européens ont quant à eux accumulé des années d'expérience nationale, d'expérience de réglementation du secteur privé par l'État, et je songe tout particulièrement à l'Allemagne. Au Royaume-Uni, cela a été fait en 1984; en Suède, en 1973; et en Allemagne et en France vers le milieu ou la fin des années 70.

Nombre d'entreprises canadiennes et américaines qui sont des chefs de file dans leur secteur font affaire à Hong Kong, en Nouvelle-Zélande et en Europe depuis de nombreuses années et s'y sentent très bien en dépit du fait d'y être assujetties à des lois qui sont beaucoup plus strictes que ce que vous proposez dans le projet de loi C-54. Comparativement aux normes européennes ou québécoises, donc, il n'y a rien de terriblement révolutionnaire dans ce projet de loi.

Parlant pour moi et, je pense, pour mes collègues commissaires, je crois que nous suivons une approche pratique, logique et terre à terre en matière de protection de la vie privée. Nous ne sommes pas une bande de fanatiques. Nous nous efforçons de négocier des arrangements avec le secteur public. Dans le cadre de la réglementation du secteur privé, nous ferions la même chose.

J'espère que le terme «arrangements» ne vous trouble pas: par là, je veux dire que nous équilibrerions les différents intérêts en concurrence. Notre rôle est de déterminer les intérêts en matière de confidentialité qui sont en cause dans une situation donnée, puis d'entendre le secteur public ou le secteur privé relativement aux autres intérêts qui sont en jeu, de façon à établir un équilibre.

Aucun de nous ne pense que la protection de la vie privée soit la seule valeur qu'il vaut la peine de protéger dans notre société, même si notre travail est d'intervenir directement là-dessus.

Lors de la période de questions, je me ferai un plaisir de discuter avec vous de mon expérience de la réglementation, au cours des cinq dernières années, de B.C. Hydro, de l'Insurance Corporation of British Columbia, de la B.C. Ferries, qui sont toutes de grosses sociétés, qui ont toutes des bureaux partout dans la province et l'équivalent d'une activité commerciale conformément aux définitions que j'utilise dans le cadre de mes relations avec elles.

Au contraire de la situation qui existe dans de nombreuses autres provinces, exception faite du Québec, je suis également, en ma qualité de commissaire, responsable de tous les hôpitaux, des universités et de toutes les municipalités. Nous avons réussi à faire fonctionner notre loi sur la protection de la vie privée exactement de la même façon que je m'attendrais à la faire fonctionner en ce qui concerne le secteur privé si et quand le projet de loi C-54 est adopté et si la Colombie-Britannique doit contribuer de quelque façon au débat.

Tributaire que j'étais des horaires des vols en partance de l'Ouest, j'ai pu suivre environ une heure de votre discussion d'hier. Alors j'ai entendu certaines des questions que vous avez posées. Prévoyant que vous alliez peut-être me poser à moi aussi la question: «Le projet de loi C-54 n'est-il pas plutôt compliqué?», j'ai pensé vous faire distribuer le texte de la B.C. Freedom of Information and Protection of Privacy Act, un texte de loi très moderne, afin que vous puissiez l'examiner et constater que ce n'est ni plus compliqué ni moins compliqué que ce que vous vous proposez de faire dans le projet de loi C-54.

Tous ces textes de loi sont compliqués. Nous ne nous attendons certainement pas à ce que le citoyen moyen les lise une fois par semaine et il n'est nullement nécessaire que les gens le fassent. Ce que nous offrons, c'est un service de guichet unique. Si vous avez un problème en matière de protection de la vie privée, vous faites comme s'il vous fallait un plombier, c'est-à-dire que vous prenez l'annuaire téléphonique, vous y cherchez le service qui s'occupe de protection de la vie privée dans votre région et vous téléphonez.

Parlant maintenant du point de vue de la Colombie-Britannique, ma position est bien sûr qu'en réponse au projet de loi C-54, ce qu'il nous faut c'est une solution proprement britannico-colombienne pour notre secteur privé, une solution qui tienne compte du fait, par exemple, que, comme je le sais trop bien, il faut cinq heures de vol pour se rendre ici de Vancouver, Victoria, de toute la côte Ouest, et qu'il y a un décalage horaire de trois heures entre les deux régions. Quant à la question de travailler avec mes collègues commissaires à la protection de la vie privée, cela me pose des problèmes que lorsque j'arrive au travail le matin mes collègues du Québec et de l'Ontario sont déjà partis déjeuner.

• 1540

Nous avons donc quelques problèmes spéciaux s'agissant de servir au mieux les résidents et les citoyens de la Colombie-Britannique. Je pense qu'il y a de bonnes chances que nous concevions quelque chose qui serait complémentaire au projet de loi C-54 mais qui reflète également les besoins des habitants de la Colombie-Britannique.

Notre première consultation du secteur privé a eu lieu vendredi matin de la semaine dernière à Vancouver, sous les auspices du Dirigeant principal de l'information et d'Industrie Canada. Industrie Canada a été très bien représentée dans la discussion au sujet des besoins en matière de commerce électronique et de la façon dont cela cadre avec les intérêts en matière de technologie de pointe du gouvernement de la Colombie-Britannique.

Le processus de consultation par le gouvernement, donc, par opposition à moi, du secteur privé a commencé. Quels sont nos choix? L'une des choses que nous pourrions faire serait d'élargir notre actuelle loi en matière de protection de la vie privée pour qu'elle s'applique au secteur privé. Il faudrait lui apporter certains changements.

Une autre possibilité serait que la province de la Colombie-Britannique tienne compte de l'objet des entreprises dans la promotion de l'harmonisation nationale des lois dans l'intérêt des entreprises de partout au pays, auquel cas il faudrait que le projet de loi C-54 l'emporte. Le genre d'approche fondée sur des normes préconisées par l'Association canadienne de normalisation dans son code de confidentialité type est un outil d'harmonisation. Cela reviendra au gouvernement lui-même. Je n'ai qu'une voix dans ce débat, en tout cas d'ici à la fin de mon mandat.

Revenant maintenant à mon premier rapport annuel, à l'été 1994, en réponse tout particulièrement à la directive de l'Union européenne relativement à la protection des données, j'ai demandé que l'on prenne des mesures pour réglementer le secteur privé en Colombie-Britannique en ce qui concerne les intérêts des particuliers en matière de protection de la vie privée.

Une autre question que j'aimerais aborder est la suivante: en bout de ligne, même si vous avez la sagesse—ce que j'espère—de donner, dans un avenir prévisible, force de loi au projet de loi C-54, il se pose de réels problèmes pour faire en sorte que la protection des données et de la vie privée soient efficaces dans la pratique, quoi que dise la loi.

Je sais très bien, étant en même temps commissaire à l'information et commissaire à la protection de la vie privée, à quel point nos ressources financières et humaines sont limitées. La tâche est très difficile. Je considère le budget du commissaire fédéral à la protection de la vie privée comme étant pathétique, même comparativement à nos budgets provinciaux. Il faudra certainement l'augmenter sensiblement si l'on souhaite que le successeur de l'actuel commissaire puisse effectuer le travail qu'il lui faudra accomplir pour faire du projet de loi C-54 une réalité, même si cela signifie tout simplement qu'il faudra travailler davantage aux côtés des commissaires provinciaux.

Je pense qu'avoir des textes de loi de ce genre si les bureaux des commissaires sont sous-financés risque de donner l'illusion de protection de la vie privée. J'espère que votre comité fera quelques fermes déclarations et au ministère de la Justice et à Industrie Canada au sujet de la nécessité de financer adéquatement le bureau du commissaire à la protection de la vie privée si vous comptez lui imposer, à lui et à ses collègues, de nouvelles tâches importantes, ce que fait très clairement le projet de loi C-54.

Je pense que les pouvoirs de vérification qui seront conférés au commissaire à la protection de la vie privée en vertu du projet de loi C-54 sont très importants. Je me ferai un plaisir de vous expliquer pendant la période de discussion qui va suivre comment je m'y suis pris pour exécuter ces pouvoirs sous forme de visites: en effet, je parcours la plupart des régions de la province pour faire des visites amicales dans des hôpitaux, des postes de police, des bureaux municipaux et différents ministères gouvernementaux dans le but de promouvoir la protection des renseignements personnels et d'y sensibiliser les gens.

Je pense qu'en bout de ligne le gros du travail des commissaires à la protection de la vie privée est un travail de sensibilisation à la nécessité de protéger les renseignements personnels. Il s'agit de promouvoir une sensibilisation à la vie privée et aux pratiques équitables de traitement de l'information chez le grand public, ainsi que chez les députés de l'assemblée législative ou du Parlement, dans le cas qui nous occupe ici.

Je pense également qu'au bout du compte le projet de loi C-54, s'il est adopté, va fonctionner grâce à une collaboration entre les commissaires à la protection de la vie privée et le secteur privé. Cela se fera largement par l'intermédiaire de regroupements industriels.

Je vais utiliser comme exemple pour illustrer cela l'Association canadienne du marketing direct. Cette association est depuis plusieurs années un chef de file en matière de protection de la vie privée pour ce qui est de la promotion de l'autoréglementation. Elle a un code déontologique et un code de protection de la vie privée, que j'ai fait encadrer et qui sont accrochés au mur dans mon bureau. Elle a un mécanisme de règlement des différends qui est très efficace. Tout ce qui lui manque pour ce qui est de son code de protection de la vie privée c'est un droit légal et exécutoire à la confidentialité en matière de renseignements personnels.

Ce que des personnes comme Bruce Phillips, moi-même et mes autres collègues demandons depuis plusieurs années c'est un ensemble de droits légaux exécutoires à la protection de la confidentialité et qui aillent au-delà de l'autoréglementation. Cependant, même une fois adopté le projet de loi C-54, je continue de croire que si vous avez un problème avec une banque ou avec un détaillant, vous traiterez, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, avec le détaillant, avec la banque, puis vous vous adresserez peut-être à l'Association des banquiers canadiens ou à l'ombudsman en matière de banques ou encore à l'Association canadienne du marketing direct—et je constate qu'elle va changer de nom l'an prochain—qui essaieront alors de résoudre le problème.

Le commissaire à la protection de la vie privée ne sera donc chargé que de s'occuper de plaintes précises dans les cas où l'industrie ne parvient pas à les résoudre par elle-même, qu'il s'agisse de Stentor ou d'une quelconque autre entreprise.

• 1545

À mon sens, le principal rôle du commissaire à la protection de la vie privée sera d'être proactif en examinant la façon dont des groupes industriels, qu'il s'agisse de petites entreprises, de grosses entreprises, de compagnies de téléphone ou autres, sont en train de se conformer aux exigences du projet de loi C-54. Je suppose que la plupart des ces groupes industriels donneront en fait des conseils à leurs membres—par exemple, voici comment faire pour être un bon citoyen, voici comment faire pour respecter le code type sur la protection des renseignements personnels de l'Association canadienne de normalisation, à l'annexe 1 du projet de loi C-54—et le commissaire à la protection de la vie privée ou son personnel seront en fait engagés dans un dialogue permanent sur la façon de faire ce genre de travail.

Par exemple, quel est l'équilibre approprié à établir entre la prévention de la fraude par carte de crédit et une autre valeur qui entre dans la balance? Quels sont les intérêts en matière d'application de la loi? Comment mettre ces intérêts en équilibre par rapport aux intérêts privés des particuliers?

Il me faut vous dire que je n'ai pas, dans les questions que j'ai choisi d'aborder avec vous ici, suivi mon texte écrit.

Il y a encore une autre question que je ne vais pas approfondir ici, vu l'heure: il s'agit du fait qu'il y a un autre modèle de protection des renseignements personnels qui a vu le jour au milieu des années 70, lors de l'élaboration, au niveau fédéral, de l'actuelle Loi sur la protection des renseignements personnels. C'est ce modèle qui a été adopté au Québec au début des années 80, en Ontario à la fin des années 80, en Colombie-Britannique en 1992, et qui a ensuite été imité par ce grand radical, Ralph Klein, en Alberta, en 1993-1994, avec l'adoption du modèle Ontario-Alberta-Colombie-Britannique en matière de protection de la vie privée. Nous tous commissaires—et nous sommes tous commissaires à l'information et commissaires à la protection de la vie privée—avons un pouvoir d'ordonnance.

J'ai entendu M. Phillips parler hier de l'efficacité de l'approche fondée sur l'ombudsman. Tout ce que je dirais est que du côté du volet de la protection de la vie privée, je n'ai jamais dû ordonner à quiconque de faire quoi que ce soit, sauf par suite de décisions précises que j'ai rendues—et j'en ai rendu près de 300 au cours des cinq dernières années—mais la discussion est plus facile si les gens savent qu'en bout de ligne je pourrai leur dire quoi faire, sous réserve de l'approbation des tribunaux.

Je pense que nous pouvons tous vivre et travailler avec le modèle fédéral créé par le projet de loi C-54, mais cela débouchera très certainement sur du magasinage comparatif. En effet, une personne qui a un problème en matière de protection de renseignements personnels à Burnaby, en Colombie-Britannique, peut se retourner et demander: où vais-je le mieux obtenir justice— auprès du commissaire à la protection de la vie privée en Colombie-Britannique ou auprès du commissaire à la protection de la vie privée du Canada? C'est là l'une des choses qui devra être réglée au fil du temps.

Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Flaherty.

Je vais maintenant donner la parole à M. Mitchinson, de l'Ontario.

M. Tom Mitchinson (commissaire adjoint, Bureau du commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario): Merci beaucoup.

Je suis ici au nom d'Ann Cavoukian, qui est la commissaire à l'information et à la protection de la vie privée pour l'Ontario. Elle est très déçue de ne pas avoir pu venir ici en personne aujourd'hui. En fait, elle est en déplacement cette semaine, à Washington, pour assister à un certain nombre de réunions là-bas.

Nous savons maintenant que le comité va se réunir de nouveau dans le courant de l'hiver, et si cela vous intéresse d'entendre Ann Cavoukian pour y aborder avec elle certaines questions, je suis certain qu'elle se ferait un plaisir de venir vous rencontrer.

La question qui vous occupe est, je dirais, l'une des plus importantes aux yeux de Mme Cavoukian. Elle préconise depuis de nombreuses années l'élargissement au secteur privé des mesures en matière de protection des renseignements personnels. Même si elle n'est pas toujours d'accord avec mon ami ici présent, elle est tout à fait du même avis que lui en ce qui concerne la question qui nous occupe ici.

Ann avait préparé des remarques liminaires et je vais vous les lire ici aujourd'hui afin que vous connaissiez sa position relativement au projet de loi C-54. Je répondrai bien sûr à toutes les questions que vous voudrez ensuite poser au sujet du contexte ontarien.

Avant de vous soumettre les remarques qui traitent proprement du projet de loi C-54—et cela devrait me demander moins de dix minutes—j'aimerais prendre quelques instants pour les placer dans le contexte de l'actuel régime d'accès et de protection des renseignements personnels de l'Ontario et du rôle que joue la commissaire à l'information et à la protection de la vie privée.

Comme nombre d'entre vous le savent sans doute, la Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée de l'Ontario s'applique à tous les ministères provinciaux et à la plupart des organismes gouvernementaux provinciaux. Il existe également un deuxième texte réglementaire, soit la Loi sur l'accès à l'information municipale et la protection de la vie privée, qui s'applique à tous les gouvernements locaux partout dans la province—municipalités, commissions scolaires, corps de police, services d'utilité publique et autres organismes locaux.

La commissaire à l'information et à la protection de la vie privée est un fonctionnaire de l'assemblée législative, et rend compte à l'assemblée par l'intermédiaire du Président de l'assemblée. Elle-même et son bureau ont quatre principales responsabilités statutaires.

Premièrement, nous sommes l'organe d'appel en vertu des deux textes de loi et nous sommes ainsi responsables d'examiner les décisions d'organismes gouvernementaux relativement à l'accès à des dossiers gouvernementaux généraux ainsi qu'à l'accès par des particuliers à leurs propres dossiers de renseignements personnels.

Ces responsabilités en matière d'accès à l'information sont quelque peu semblables à celles qui reviennent au commissaire à l'information fédérale, même si nous jouons le rôle de tribunal administratif, avec un pouvoir d'ordonnance final et exécutoire du côté accès à l'information de notre mandat, combinant, en un sens, le rôle joué par le bureau du commissaire à l'information et celui joué par la Cour fédérale.

• 1550

Deuxièmement, nous sommes chargés de veiller à ce que les organes gouvernementaux respectent les exigences en matière de vie privée des différentes lois. Bien évidemment, c'est ce rôle qui est le plus pertinent aux fins de la discussion d'aujourd'hui, et c'est également le cas du suivant, soit que nous sommes responsables de veiller à ce que les citoyens comprennent les droits qui leur reviennent en vertu des textes de loi ainsi que la façon de s'y prendre pour exercer ces droits.

Enfin, nous avons pour mandat statutaire de nous prononcer sur les projets d'initiative et les projets de loi gouvernementaux susceptibles d'avoir des ramifications côté accès et(ou) vie privée. Nous croyons que c'est dans le cadre de ce rôle surtout que nous servons de défenseurs de l'accès et de la vie privée, comparativement à certains autres éléments de notre mandat, étant donné qu'il nous revient, dans le cadre de ce rôle, des responsabilités semblables à celles d'un tribunal.

Revenant maintenant à notre deuxième rôle, la loi crée un régime qui protège la confidentialité des renseignements personnels et établit des règles régissant la façon dont les organismes gouvernementaux recueillent, conservent, utilisent, divulguent ou distribuent des renseignements personnels. Le régime prévoit par ailleurs un droit d'accès par les particuliers à leurs propres dossiers de renseignements personnels et leur droit de corriger toute erreur relevée dans des dossiers de renseignements personnels détenus par un organisme gouvernemental.

Les textes réglementaires provinciaux et municipaux appuient leurs règles en matière de protection de la vie privée sur le très populaire code de pratiques équitables de traitement de l'information. Ces pratiques équitables de traitement de l'information ont été élaborées par l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, et servent dans la plupart des pays de fondement pour leurs lois en matière de protection de la vie privée.

Mon objet ici aujourd'hui est de traiter de la question des conséquences potentielles sur la vie privée du projet de loi C-54. Dans le contexte de nos rôles et responsabilités en Ontario, j'aimerais vous entretenir de certaines des questions qui devraient, selon nous, être abordées dans le cadre de l'examen du projet de loi.

Nous pensons que le projet de loi C-54 est un excellent premier pas dans l'élargissement de la protection des renseignements personnels détenus par des organisations du secteur privé. Comme vous le savez, la très grande majorité des organismes du secteur public sont déjà couverts par des lois fédérales ou provinciales. Cependant, ce n'est qu'au Québec que la loi s'étend au secteur privé. Le projet de loi C-54 marque un nouveau départ au niveau fédéral, et nous applaudissons à cette initiative.

Le Canada a une longue histoire de travail en vue d'élaborer des mesures visant à protéger la vie privée de ses citoyens. Le gouvernement fédéral est signataire des lignes directrices en matière de protection de la vie privée élaborées par l'OCDE en 1980. Le gouvernement fédéral a par ailleurs participé à l'élaboration du Code type sur la protection des renseignements personnels de l'Association canadienne de normalisation, code sur lequel s'appuie largement le projet de loi C-54.

Le ministère de l'Industrie a souligné que le projet de loi C-54 constitue un élément important de la stratégie canadienne en matière de commerce électronique annoncée par le premier ministre le 22 septembre. Si l'on veut promouvoir et encourager le développement du commerce électronique, il nous faut des initiatives comme le projet de loi pour établir un degré de confiance suffisant chez les consommateurs et les autres intervenants pour que le commerce en direct puisse faire partie intégrante de l'activité commerciale de base et de la vie de tous les jours au Canada.

Le Canada n'est pas seul à chercher à adopter des mesures plus strictes pour protéger les renseignements personnels de ses citoyens. En fait, il incombe au Canada de prendre les genres de mesures esquissées dans le projet de loi pour mettre à exécution la directive de l'Union européenne en matière de protection de renseignements personnels et qui est entrée en vigueur fin octobre. Cette directive établit des règles visant à assurer que les renseignements personnels ne soient transférés à des pays extérieurs à l'Union européenne que lorsque le maintien de la protection est garanti, ce de façon à veiller à ce que les normes élevées de protection introduites au moyen de la directive au sein des pays de l'Union européenne ne soient pas mises en péril.

Il est important de souligner que bien que le projet de loi C-54 ait été perçu comme une réaction du XXIe siècle aux réalités du commerce électronique, il a en fait ses racines dans une valeur essentielle qui est chère à tous les Canadiens. Nous croyons que la protection de la vie privée est un droit de la personne fondamental et qui doit être défendu par nos gouvernements.

Cependant, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, exception faite du Québec, les lois en matière de protection de la vie privée n'englobent que le secteur public. Il est juste et approprié d'étendre ces mesures de protection au secteur privé. D'ailleurs, nous exhortons le gouvernement à élargir l'application de la loi au-delà des limites actuellement envisagées pour englober toutes les activités du secteur privé, et pas seulement les activités commerciales.

Nous sommes sensibles aux préoccupations soulevées par certains relativement à l'application possible de lois fédérales aux provinces: d'aucuns contestent la constitutionnalité de telles mesures. Cependant, nous ne pensons pas qu'il faille détourner notre attention pour la faire porter sur cette question. Le point de mire doit continuer d'être la question qui est au coeur du projet de loi, soit la nécessité de protéger les renseignements personnels dans le secteur privé. Ne nous laissons pas emporter dans un débat sur une question qui nous détournera de ce qui devrait être notre centre d'intérêt, c'est-à-dire la protection de la vie privée des citoyens canadiens.

Nous sommes tout à fait en faveur de l'adoption de textes de loi provinciaux correspondants, harmonisés dans tous les cas où cela est possible, et nous avons écrit au gouvernement de l'Ontario pour le saisir de nos opinions et pour lui offrir notre aide dans l'élaboration de tels textes de loi. Nous y voyons une solution aux difficultés constitutionnelles potentielles.

• 1555

Il est également important de souligner qu'un certain nombre d'entreprises ont elles-mêmes demandé que soient adoptés des textes de loi en matière de protection de la vie privée applicables au secteur privé, et c'est notamment le cas de l'Association canadienne du marketing direct. En effet, l'ACMD réclame l'adoption, par le biais de lois, de règles claires régissant les pratiques d'affaires. Même si l'ACMD souscrit volontairement au code en matière de renseignements personnels de la CSA, seuls environ 80 p. 100 de ses distributeurs sont membres, laissant donc un nombre important de commercialistes qui n'observent pas le code de la CSA sur la protection des renseignements personnels. L'adoption d'une loi applicable au secteur privé réglerait ce problème en créant un terrain de jeu égal, les renseignements personnels devant alors être protégés partout.

Le grand public est lui aussi très favorable à l'établissement de solides mesures de protection de la vie privée des gens et des renseignements personnels les concernant. Les sondages font systématiquement ressortir qu'un pourcentage massif de Canadiens estiment que leurs renseignements personnels devraient demeurer complètement confidentiels, sauf circonstances exceptionnelles. Je pense que le plus récent sondage a montré qu'environ 80 p. 100 des gens sont de cet avis. En réaction à ces préoccupations du public, de nombreuses entreprises sont en train d'élaborer leur propre code de protection de renseignements personnels et d'en faire la promotion.

Au fur et à mesure que les renseignements deviennent un produit de plus en plus précieux et que l'évolution technologique permet d'avoir de plus en plus facilement accès, à très bas coût, à toutes sortes de renseignements au sujet de particuliers, il est plus important que jamais auparavant de veiller à ce que les renseignements personnels au sujet de Canadiens soient bien protégés par la loi.

Et le public et nombre d'intervenants des milieux d'affaires sont très favorables à l'adoption de lois établissant clairement des mesures détaillées de protection des renseignements personnels. À condition que les organisations soient toutes sur un pied d'égalité et jouent toutes sur un terrain de jeu égal, aucun groupe ne se verra imposer un fardeau injuste qui pourrait nuire à sa compétitivité.

Nous recommandons que l'application de la loi soit élargie pour englober d'autres groupes du secteur privé, par exemple organisations non gouvernementales, organisations sans but lucratif et organes et associations autonomes, que ceux-ci s'adonnent ou non à des activités commerciales. Le droit à la protection de sa vie privée d'une personne ne devrait pas dépendre de ce que les renseignements personnels à son sujet soient ou non utilisés à des fins commerciales.

Nous appuyons par ailleurs les initiatives spécifiques du gouvernement visant à adapter le cadre législatif au commerce électronique. La modification des lois existantes pour permettre l'utilisation d'une signature électronique sûre contribuera beaucoup à la réalisation des objectifs qui ont été fixés relativement aux transactions en direct avec le gouvernement et à la promotion des objectifs du commerce électronique en général.

Nous sommes très heureux de constater que le rôle du commissaire à la protection de la vie privée fédéral sera élargi en vertu du projet de loi C-54. Cela est très nécessaire à l'exécution des fonctions prévues. Si et quand notre province décide de se doter de ses propres lois, notre organisation sera prête à assurer en Ontario une fonction de surveillance comparable.

Nous sommes par ailleurs heureux de constater que le projet de loi confère au commissaire à la protection de la vie privée fédéral le mandat d'élaborer et d'exécuter des programmes d'information pour promouvoir la compréhension par le public des questions de protection de la vie privée. Notre organisme joue ce rôle en vertu de son mandat statutaire et nous savons d'expérience qu'il s'agit d'un rôle extrêmement important. Seuls des citoyens bien informés sont en mesure de véritablement comprendre et approuver les activités intéressant les renseignements personnels portant sur eux.

Le comité ici réuni s'est engagé dans un travail extrêmement important, et nous apprécions la possibilité qui nous a été offerte de comparaître devant vous aujourd'hui.

En conclusion, j'aimerais vous faire une demande. Dans le cadre de vos délibérations, je demanderais que les membres du comité ne perdent pas de vue la question fondamentale qui est au coeur même du projet de loi, notamment la protection des renseignements personnels pour tous les Canadiens. Il est non seulement important pour le gouvernement d'adopter ce genre de loi dans le but de se conformer aux règles européennes en matière de transfert de données, mais il est également d'une importance critique, devant le monde du commerce électronique et des communications en réseau qui s'annonce pour l'avenir, d'assurer le public que la protection des renseignements personnels ne sera pas compromise.

Seules des lois peuvent relever comme il se doit le défi. L'adoption de lois qui élargissent la protection des renseignements personnels au secteur privé est la chose à faire pour les Canadiens, et nous autres, de l'Ontario, offrons notre appui et au gouvernement et au comité pour veiller à ce que le projet de loi C-54 fonctionne comme il se doit.

Merci beaucoup.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Mitchinson.

Nous allons maintenant passer aux questions, et le tour sera tout d'abord à M. Jaffer. Allez-y, je vous prie.

M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Réf.): Merci, madame la présidente.

J'ai été intéressé par l'observation de M. Flaherty au sujet de ce radical qu'est Ralph Klein. C'est à cause de ce radical Ralph Klein, il me semble, qu'il y a un exode massif de cette grande république socialiste qu'est la Colombie-Britannique vers l'Alberta. Mais c'est là une toute autre question, madame la présidente.

• 1600

J'aimerais dire, pour commencer, que j'ai beaucoup entendu parler des différences que vous avez esquissées entre les lois de protection de la vie privée. Une chose qui me préoccupe—et je pense qu'elle a également été évoquée par certains des ministres de la Justice provinciaux—est la possibilité que le projet de loi C-54 empiète sur certaines des compétences et mandats des provinces.

En outre, et plus spécifiquement, vu la portée du projet de loi C-54 et le fait qu'il s'attaque au vaste problème du respect de la vie privée par rapport au commerce sur l'Internet dans un monde où les frontières s'effacent, comment pouvez-vous combler au niveau provincial les lacunes que le projet de loi C-54 laissera subsister, s'agissant de la protection du consommateur et des dossiers médicaux?

J'aimerais entendre vos avis sur ces deux sujets, si je puis.

M. David Flaherty: Je ne suis évidemment pas en mesure de vous parler de la constitutionnalité du projet de loi C-54, ce à quoi revient votre question. Nombre des commissaires provinciaux, dont mon collègue du Québec, Paul-André Comeau, ont eu la chance de participer à une réunion ici, début octobre, où le ministère de la Justice et Industrie Canada nous ont informés de ces aspects. Nous avons été rassurés d'apprendre de la bouche de leurs juristes qu'ils ont soigneusement pesé le projet de loi C-54 sous cet angle.

J'ai, depuis, lu l'arrêt de 1989 de la Cour suprême du Canada qui définit les deux éléments du pouvoir en matière de commerce. Pour ce que vaut mon opinion, je pense que vous avez raison d'intervenir dans ce domaine au niveau fédéral avec le projet de loi C-54.

D'ailleurs, cet aspect est lié à la deuxième partie de votre question. Nombre de grosses sociétés américaines, étrangères et canadiennes exercent leurs activités commerciales à l'échelle du pays tout entier. Il suffit pour s'en convaincre d'arpenter les centres d'achat à travers le pays. On y retrouve les mêmes magasins, que l'on soit à Montréal, à Vancouver, à Victoria ou à Halifax. Il faut donc une approche nationale de ce problème.

Il me semble qu'en incorporant dans le projet de loi C-54 le code type de protection des renseignements personnels de l'Association canadienne de normalisation, code élaboré par le secteur privé au fil des ans en collaboration avec Industrie Canada, le ministère de la Justice et même le Commissariat à la protection de la vie privée, vous établissez une sorte de code d'autoréglementation. À toutes fins utiles, vous prenez cette forme d'autoréglementation et lui donnez force de loi, ce que j'ai moi-même prôné pendant longtemps.

Il y a toujours des sociétés qui ne sont actives qu'en Colombie-Britannique, par exemple, qui ne font pas circuler dans le pays des données personnelles à des fins commerciales. Il existe de petites entreprises à caractère local. Mais je sais également qu'un magazine comme Beautiful British Columbia Magazine, que vous avez peut-être vu, commercialise des données à travers le pays. Il loue des listes par le biais d'un courtier américain. Il a des abonnés et des lecteurs en Allemagne et en France et au Royaume-Uni. Les touristes qui viennent en Colombie-Britannique et qui aiment la province—je signale que je ne suis pas membre du Bureau du tourisme—veulent lire ce magazine. Il y a donc commerce de données personnelles.

À l'heure actuelle, une société comme Beautiful B.C. Magazine coure le risque que l'un des organismes de protection de la vie privée européens, de l'un quelconque des 16 ou 18 pays membres, dise: désolé, mais vous ne pouvez transférer les données personnelles à votre siège en Colombie-Britannique car vous n'avez pas dans la province, ni au niveau national, une législation adéquate ou équivalente de protection des données personnelles.

Mon collègue, Colin Bennett, professeur à l'Université de Victoria, dont j'espère qu'il viendra témoigner ici, vient d'achever une série d'études de cas pour l'Union européenne, en tant que membre d'une équipe de recherche groupant quatre pays. Il a une série d'études de cas qui se penchent sur la situation d'entreprises canadiennes cherchant à transférer des données provenant d'Europe, par exemple des compagnies aériennes, des banques et des entreprises comme ce magazine.

La présidente: Je veux simplement rappeler à nos témoins que nos périodes de questions et réponses sont de cinq minutes, et qu'il serait utile que chacun pose des questions et donne des réponses concises.

Dernière question, monsieur Jaffer.

M. Rahim Jaffer: J'allais demander à M. Mitchinson son avis également.

M. Tom Mitchinson: S'agissant de savoir si un système est meilleur qu'un autre, ou si l'un marche et l'autre non, je ne pense pas que ce soit réellement là le problème. Je suppose que le système mis en place par le projet de loi C-54, à supposer qu'il soit constitutionnellement valide, peut probablement marcher. La question est de savoir ce qui est le plus efficace pour le public.

Vous avez mentionné les dossiers médicaux. C'est un problème que nous connaissons en Ontario, puisque nous ne réglementons pas tout le secteur de la santé en Ontario. Notre compétence se limite au ministère de la Santé, par opposition aux hôpitaux publics.

Ce que recherche le public, à mon avis, est un système qu'il puisse comprendre. Ainsi, s'il se plaint au sujet de renseignements personnels détenus dans le contexte provincial, il va s'adresser à une certaine instance, sans se préoccuper de savoir si une partie du domaine est réglementée au palier fédéral et une autre partie au palier provincial.

• 1605

C'est aggravé dans une certaine mesure par le fait que, bien qu'il n'y ait pas un seul système parfait—et le modèle fédéral de l'ombudsman donne de bons résultats—lorsque vous introduisez un système national commun couvrant différents régimes, on court le risque d'engendrer une certaine confusion.

Est-ce là le genre de choses que votre question visait?

M. Rahim Jaffer: Oui. Pour dire les choses simplement, comment concilier le fait que les compétences soient en partie provinciales et que l'on introduit une loi de portée nationale?

Je pense qu'ils ont répondu à mes questions.

La présidente: Merci, monsieur Jaffer. Madame Jennings, s'il vous plaît.

Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Je vous remercie.

Ce que vous dites, tous deux, est très intéressant. J'ai quelques questions, cependant.

Monsieur Mitchinson, vous avez dit très clairement que le projet de loi C-54 va dans la bonne direction. Cependant, vous semblez hésiter quant à l'efficacité de la loi sous sa forme actuelle à cause des différences au palier provincial et au palier fédéral—certaines provinces, par exemple, ont des commissariats à l'accès à l'information et à la protection de la vie privée disposant de pouvoirs d'ordonnance.

Dites-vous qu'il faudrait établir cela au palier fédéral?

M. Tom Mitchinson: Non. Je pense que vous exagérez peut-être un peu l'importance de cela. Nous sommes très en faveur du projet de loi C-54 et même de la démarche suivie, que David a qualifiée de coup de semonce donné aux provinces afin qu'elles agissent en matière de vie privée.

Si nous faisons valoir à notre gouvernement qu'une solution faite en Ontario pourrait être préférable au régime imposé par le projet de loi C-54, il ne faut pas en conclure que nous jugeons qu'il vaudrait mieux ne rien avoir plutôt que le projet de loi C-54. Loin de là. Si ce dernier représente le seul modèle disponible, nous en ferons bon usage.

Est-ce que cela vous éclaire un peu?

Mme Marlene Jennings: Certainement.

Monsieur Flaherty, étant donné que le commissaire à la protection de la vie privée au niveau fédéral aura un rôle largement accru, vous avez dit espérer que le gouvernement en tiendra compte et accroîtra le budget de cet organisme.

J'aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet, car je pense que parfois les gouvernements ne réalisent pas toujours ce problème lorsqu'ils créent de nouveaux organismes et acculent ces derniers à l'échec en les dotant de ressources insuffisantes.

M. David Flaherty: Je suis heureux que M. Phillips m'ait invité à un bon déjeuner, car je me sens d'autant plus à l'aise de réclamer pour lui un personnel plus nombreux.

On ne peut faire ce genre de travail sans disposer d'experts de différentes spécialités. Dans mon commissariat, qui exerce de vastes responsabilités en matière de santé, nous avons un secteur famille et enfant, un secteur santé, un secteur ressources humaines et un secteur industrie forestière, ce dernier étant surtout concerné par l'accès à l'information. Nous avons des spécialistes dans tous ces domaines. Ils combinent plusieurs spécialités, il n'y a jamais une seule personne. Nous avons des spécialistes de l'administration municipale.

Le commissaire fédéral à la protection de la vie privée devra disposer d'un personnel connaissant bien la notation de crédit, les services bancaires, les télécommunications et le commerce de détail. Autrement, on ne peut traiter avec les industries car il faut connaître suffisamment bien le domaine pour savoir comment fonctionne le système. C'est une condition sine qua non.

Lui ou son successeur aura besoin d'un personnel adéquat, tout comme les commissaires provinciaux, s'ils deviennent responsables du projet de loi C-54 ou doivent appliquer une solution propre à leur province ou à leur territoire—car les territoires ont aussi leur commissariat à l'information et à la protection de la vie privée—auront besoin d'un personnel supplémentaire.

Nous ne sommes pas une administration bureaucratique. J'ai un personnel de 25, dont 15 sont des spécialistes. Nous recevons un millier de demandes d'accès à l'information par an. Des dossiers nous sont soumis. La Loi sur l'accès à l'information représente le gros de notre travail. De fait, l'une des raisons de garder séparés le Commissariat à la protection de la vie privée et le Commissariat à l'information au palier fédéral est que ceux d'entre nous qui combinons les deux fonctions sommes inondés par les questions d'accès à l'information et avons du mal à faire notre travail de protection de la vie privée, sans parler du manque de personnel.

La présidente: Dernière question, madame Jennings.

• 1610

Mme Marlene Jennings: Monsieur Mitchinson, vous préconisez d'élargir le champ de la loi à d'autres entités du secteur privé qui ne recueillent, utilisent, conservent ou communiquent etc. pas nécessairement des renseignements personnels à des fins commerciales, telles que les ONG, les organismes caritatifs et autres entités sans but lucratif ou autoréglementées.

J'aimerais que vous nous en disiez quelques mots car j'aimerais demander à M. Flaherty si lui aussi pense qu'il faut élargir le champ d'application de la loi à cet autre secteur.

M. Tom Mitchinson: Contrairement à l'accès à l'information, qui est réellement fondé sur la notion de responsabilité gouvernementale et de transparence, la protection de la vie privée est d'application universelle, à notre sens. Si vous êtes préoccupés par la manière dont les organisations recueillent, utilisent et communiquent vos renseignements personnels, ces préoccupations sont également valides quelle que soit l'entité qui détient les renseignements.

Donc, si le projet de loi C-54 vise le domaine commercial, en ce sens qu'il porte sur le commerce électronique et la facilitation du commerce électronique, à notre avis les mêmes valeurs fondamentales de protection de la vie privée s'appliquent, que les renseignements s'inscrivent ou non dans un contexte commercial.

M. David Flaherty: Madame Jennings, je tiens à souligner que ce projet de loi est nécessaire. Il n'est pas parfait. La Loi sur la protection des renseignements personnels initiale n'était pas parfaite. La Loi sur l'accès à l'information fédérale n'était pas parfaite. Ma loi n'est pas parfaite. Nous en avons besoin, et il ne faut pas perdre trop de temps à essayer de la parfaire.

Certaines questions peuvent être réglées par les provinces. Le projet de loi ne couvre pas les dossiers d'employés. Au niveau de La Baie, la protection des dossiers des milliers de gens qui y travaillent est un enjeu majeur, et il en va de même chez Eaton, ou Equifax, ou les grosses compagnies d'assurances, etc. Pour autant que je sache, cela n'est pas couvert par cette loi, mais c'est un domaine où les provinces pourraient agir.

Comme Tom l'a dit, ce projet de loi représente un coup d'avertisseur. Les provinces rencontrent régulièrement le ministère de la Justice et Industrie Canada—de fait ils se rencontrent la semaine prochaine—sur le thème «Et maintenant, qu'allez-vous faire?» J'applaudis Industrie Canada pour son initiative qui vise à faire bouger les choses.

M. Tom Mitchinson: Pourrais-je ajouter un petit mot à cela?

Une différence entre le modèle ontarien et le modèle britanno-colombien est que nous ne couvrons pas les entités autoréglementées alors que c'est le cas pour David. Cela nous pose davantage de problèmes, du fait de l'existence de règles différentes, que chez David où tout le monde connaît les règles. Je pense qu'une certaine uniformité est avantageuse pour tout le monde.

Mme Marlene Jennings: Je vous remercie.

[Français]

La présidente: Madame Lalonde, s'il vous plaît.

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Je vais reprendre là où M. Mitchinson a terminé en disant qu'un problème survient quand il y a deux ensembles de règles. C'est un des problèmes principaux qui surviendront au Québec, qui regrette amèrement que la démarche n'ait pas tenu en compte la loi québécoise qui, dans son application actuelle, couvre toutes les entreprises, même celles qu'on dit de juridiction fédérale et qui sont assujetties au Code de travail. La Cour supérieure a déjà rendu un jugement, qu'on a porté en appel, et on attend une décision de la cour d'appel, à savoir si les dispositions ne s'appliquent pas ailleurs que dans les conditions de travail.

Avec le temps, la Loi C-54, qui représente un deuxième ensemble de règles, plus faibles que la loi québécoise—et j'en donnerai des exemples nombreux—, va s'appliquer à un nombre croissant d'entreprises et créer des problèmes importants, en plus d'avoir tendance à affaiblir l'ensemble de la protection.

Ce que je plaide depuis le début, c'est qu'il est inacceptable pour les Québécois que leurs droits soient diminués, surtout qu'ils ont été les premiers à se lancer sur ce terrain qui, souvenez-vous, était miné lorsqu'ils s'y sont aventurés.

J'aimerais entendre les commentaires de nos deux témoins.

M. David Flaherty: Vous m'excuserez si je parle en anglais. Je m'exprime plus vite en anglais qu'en français.

[Traduction]

J'ai eu le privilège d'être élevé au Québec et je porte une grande admiration au Code civil du Québec, qui confère aux Québécois des droits explicites à la vie privée qui n'existe pas ailleurs au Canada. Notre Charte des droits et libertés n'englobe pas le droit à la vie privée.

• 1615

M. Phillips et moi avons eu le privilège, en 1991 ou 1992, d'arguer en faveur de l'inclusion de la vie privée dans la Charte—et Mme Finestone, je pense, y serait favorable—afin que chaque citoyen de ce pays puisse saisir la justice en cas d'atteinte à sa vie privée, quelle que soit la définition que l'on en donne.

La législation québécoise, que j'admire beaucoup, est un produit du Code civil du Québec. C'est une réaction au Code civil du Québec, elle est très en pointe pour l'Amérique du Nord et je l'envie, mais cela n'empêche pas le commissaire du Québec de collaborer avec les autres commissaires canadiens à l'heure actuelle—nous avons des réunions annuelles et quantités de contacts—pour mettre en pratique cette législation et oeuvrer avec nous sur des problèmes communs.

Par exemple, nous nous rencontrons régulièrement au conseil consultatif sur l'infrastructure sanitaire, un conseil de Santé Canada, qui doit présenter un rapport à la fin du mois. Nous portons manifestement un grand intérêt à la protection des renseignements dans ce domaine. Nous travaillons de concert, bien que sa loi soit légèrement différente de la mienne, de celle de Tom Mitchinson ou du projet de loi C-54.

Il y a clairement quelques divergences entre le projet de loi C-54 et la législation québécoise sur lesquelles il faudra travailler. En revanche, on peut arguer qu'il incombe au gouvernement fédéral de réglementer les entreprises privées relevant de sa compétence, soit les banques, les sociétés de transport, les sociétés de radiocommunication, etc. Cela me paraît logique. Il existe manifestement des entreprises et des organisations, pour reprendre les termes du projet de loi C-54, actives à l'échelle du pays et dans tous les territoires. Comment faire en sorte que les dispositions nettement plus strictes de la loi québécoise et la meilleure protection de la vie privée au Québec ne soient pas diluées par le projet de loi C-54? Cela est affaire de coopération. Mais le commissaire fédéral a coutume de travailler avec M. Comeau sur ces problèmes et je ne doute pas qu'ils puissent être réglés.

La présidente: Monsieur Mitchinson, avez-vous des commentaires?

M. Tom Mitchinson: Je pense que la question est valide. Mais il ne faut pas perdre de vue, dans tout ce processus, que le succès de ces régimes dépend de l'attitude des participants et pas nécessairement des processus d'exécution. Je pense que M. Comeau partage cet avis sur la foi de son expérience de la réglementation du secteur privé au Québec.

Donc, s'il faut toujours consentir des compromis, je suppose, face à ces régimes apparemment incompatibles à certains égards, cela ne compromet pas nécessairement l'ensemble de la protection de la vie privée.

La présidente: Monsieur Flaherty.

M. David Flaherty: J'aurais dû préciser, madame Lalonde, que j'ai lu l'avis de la Commission d'accès à l'information du Québec, et que j'y souscris. Il soulève quelques questions très fondamentales qu'il faut régler.

M. Comeau était avec moi à la réunion d'information avec Industrie Canada et le ministère de la Justice, il y a un mois. Nous avons pu poser des questions et nous ne nous en sommes pas privés. Il en avait encore plus que moi. Je crois savoir qu'il va comparaître devant vous ultérieurement et il pourra faire valoir son point de vue lui-même.

La présidente: Madame Lalonde.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Justement, dans son avis, M. Comeau disait que la commission a des fonctions quasi judiciaires dans les situations suivantes:

    une entreprise refuse l'accès à des renseignements personnels à une personne concernée par ces renseignements;

    une entreprise n'entend pas donner suite à une demande de rectification d'un renseignement qui serait inexact, incomplet ou équivoque;

    une entreprise ne tient pas compte d'une demande d'un citoyen à l'effet que son nom soit retiré d'une liste nominative qui sert à des fins de protection philanthropique ou commerciale.

J'ai étudié le projet de loi C-54 et je vais continuer à le faire. Il est non seulement compliqué—on peut comprendre qu'une loi soit compliquée—, mais aussi confus et il comporte des lacunes importantes, notamment relativement aux deux derniers points soulevés par M. Comeau. On ne peut pas trouver de façons de protéger un citoyen s'il n'y a pas coopération de la part de l'entreprise. Or, l'expérience du Québec démontre que dans l'ensemble, de 66 à 50 p. 100 des plaintes, selon les années, se règlent par médiation, tandis que le reste des plaintes sont réglées par décision et le citoyen peut obtenir une réparation immédiate. Je ne parle pas ici d'amendes, mais le citoyen peut avoir accès aux renseignements et faire rayer son nom. Il me semble que tout citoyen devrait pouvoir se prévaloir de tels droits et que ces droits ne devraient pas être réservés aux Québécois. Il faudrait qu'on ait de tels recours d'un bout à l'autre du Canada.

[Traduction]

M. David Flaherty: Madame Lalonde, je suis en faveur d'un pouvoir réglementaire. J'en dispose mais j'ai rarement eu à l'utiliser.

Lorsque je dis à un hôpital psychiatrique que la sécurité physique de ses dossiers de patients externes est totalement inadéquate, l'hôpital fait ce que je lui demande. Les hôpitaux ont réaménagé l'entreposage des dossiers des alcooliques et toxicomanes parce que je l'ai recommandé. Je n'ai jamais eu à les contraindre.

• 1620

Je reconnais que je ne sais pas ce qui arrivera dans le secteur privé. Nous faisons beaucoup de sous-traitance en Colombie-Britannique, bien que l'on nous accuse d'être un régime socialiste. IBM, ISM-BC, BC Tel et MacDonald Dettwiler exécutent des programmes de développement intéressant des bases de données personnelles et gouvernementales très délicates. Ces sociétés doivent respecter la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Mon rôle consiste à les instruire de ce que cela signifie. Nous insérons dans les contrats une liste des contraintes. Je leur précise aussi qu'ils doivent me démontrer, me prouver pourquoi vous, American Express Canada, ou groupe Stentor du Canada, pensez être exposés à la divulgation de renseignements personnels. Où est votre code de protection de la vie privée? Quels sont vos accords de confidentialité? Quels sont vos programmes de formation de votre personnel?

Ils se plient tous en quatre pour essayer de me satisfaire, car ils veulent pouvoir conclure des affaires avec le gouvernement de la Colombie-Britannique. Voilà donc des exemples.

J'ai visité MacDonald Dettwiler, qui est une société extraordinaire dans le domaine aérospatial, qui met en rapport beaucoup de données situationnelles. Elle va gérer l'une de nos quatre grandes bases de données, BC OnLine. J'ai passé l'après-midi de vendredi chez elle à Richmond, en Colombie-Britannique, et elle est déjà extraordinairement sensible à ces problèmes. Elle veut se mettre encore davantage à la page.

L'Association canadienne de normalisation a son siège pour la région ouest juste de l'autre côté de la rue, et la société travaille à une certification ISO 9000 parce qu'elle est déjà... en ce qui concerne la protection de la vie privée, elle vise déjà votre norme, celle du projet de loi C-54. Le président de la société m'a dit publiquement vendredi après-midi, lors d'un séminaire, qu'il souhaitait également apprendre à se conformer au projet de loi C-54.

Voilà donc un exemple d'une société progressiste qui veut faire affaires en mettant en rapport différents types de données personnelles et qui se prépare déjà à cette législation.

M. Tom Mitchinson: Dans notre cas, en ce qui concerne le volet protection de la vie privée, nous avons un pouvoir de contrainte plutôt limité. Nous avons un plus grand pouvoir d'intervention en ce qui concerne les appels contre les décisions de refus d'accès aux renseignements personnels. Nous sommes relativement actifs dans ce domaine, et je pense que nous sommes peut-être à part à cet égard.

Dans notre province, où la liberté de l'information et la protection de la vie privée sont combinées aux mains d'un même organisme, nous considérons plutôt les demandes d'accès au dossier personnel propre davantage comme un problème de type accès à l'information que de réglementation du traitement équitable de l'information. C'est peut-être à ce niveau que la persuasion est moins facile, car nous parvenons avec grand succès à persuader les gens à adopter des pratiques de gestion de l'information adaptées. Mais l'accès à son dossier personnel est une autre affaire.

La présidente: Merci, madame Lalonde. Monsieur Murray, s'il vous plaît.

M. Ian Murray (Lanark—Carleton, Lib.): Je vous remercie.

Je n'ai qu'une question et elle est porte directement sur les commissaires à la protection de la vie privée provinciaux. Si j'ai bien compris, l'article 25 du projet de loi autorise, en substance, le ministre de l'Industrie, avec l'agrément du Cabinet, à déléguer à ses homologues provinciaux «les attributions que la présente partie confère au commissaire».

Je ne vois pas très bien de quoi il retourne. Cela signifie-t-il que, en l'absence d'une loi provinciale, le ministre pourrait déléguer ses pouvoirs à une autorité provinciale, ou bien s'agit-il plutôt d'un arrangement administratif, pour faciliter la gestion? Je suppose que vous en avez discuté lors de la phase de consultation.

Voila donc ma question. Je ne vois pas très bien de quoi il s'agit.

M. David Flaherty: Je pourrais peut-être commencer, Tom.

Je pense qu'il est assez sage que le ministre de l'Industrie ait le pouvoir de dire au commissaire qu'il doit collaborer avec ses homologues, mais cette instruction ne surprendra guère le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Nous nous rencontrons déjà à intervalles réguliers, probablement semi- annuels, pour discuter de ces choses. Nous utilisons également l'Internet pour communiquer efficacement entre nous, y compris avec les territoires.

Nous avons déjà parlé de notre préparation au projet de loi C-54, quoi que fassent nos provinces. Nous devons nous retrouver, peut-être dès février, pour examiner comment nous allons mettre en oeuvre tout cela.

À notre avis, le Commissaire à la vie privée du Canada aura du mal, à moins d'avoir un bureau régional en Colombie-Britannique, à contrôler tout ce qui se passe chez nous. J'ai rarement vu un enquêteur du Commissariat à la protection de la vie privée dans le Lower Mainland de la Colombie-Britannique. Il y en a en ce moment, mais c'est dû au problème que nous avons avec des tonnes de documents qui devaient être déchiquetés et ne l'ont pas été.

• 1625

J'ajoute que ce genre d'affaires représente la réalité de la protection de la vie privée aujourd'hui. Ce ne sont pas les arcanes du commerce électronique qui nous posent problème. Lorsque vous avez un contrat de destruction de documents, vous êtes fondé de croire que l'exécutant déchiquettera effectivement les documents au lieu de les envoyer intacts en Chine pour fabriquer du papier. Je pense que même si la Colombie-Britannique ne faisait rien, il faudrait une coopération entre nos bureaux respectifs, et le fait que la loi précise que cette coopération doit intervenir est, à mon avis, une bonne chose.

M. Ian Murray: Selon mon interprétation, c'est davantage qu'une coopération. Selon ma lecture, en réalité, vous-même, dans l'exercice de vos fonctions, recevriez les pouvoirs de M. Phillips parce que le ministre de l'Industrie fédéral en aurait décidé ainsi. Mon interprétation est peut-être erronée, mais c'est ce qu'il me semble et cela soulève la question de savoir si vous voulez de ce pouvoir ou non et si vous aurez les ressources pour faire ce que l'on vous demandera de faire. Comme je l'ai dit, mon interprétation est peut-être totalement erronée, mais...

M. Tom Mitchinson: Non, je pense que votre interprétation est la bonne. À mon avis, c'est là le pendant de la disposition qui étend la couverture aux provinces dans trois ans en l'absence de loi équivalente chez elles. Cet article est nécessaire pour donner effet à cette autre disposition. Ma plus grande crainte est d'ailleurs que cela arrive. Tout d'un coup, les commissaires à la protection de la vie privée provinciaux seraient appelés à assumer ces responsabilités supplémentaires, alors que notre budget nous est donné par la province, qui n'aura pas de rôle à jouer. Nous serions plutôt coincés dans une telle situation.

M. Ian Murray: D'où la nécessité pour nous, le gouvernement fédéral, d'inciter les provinces à agir rapidement dans ce domaine.

La présidente: Monsieur Flaherty.

M. David Flaherty: Puis-je ajouter qu'il n'y a pas beaucoup de précédents d'un transfert des obligations fédérales aux provinces, en dépit de ce que je lis dans les journaux concernant les pourparlers actuels relatifs à l'union sociale? Il me semble que si une province n'a pas de commissaire à la protection de la vie privée, il pourrait arriver que les citoyens de ces provinces aient une protection dans le secteur commercial et aucune dans le secteur public, et je regrette de dire que trois provinces canadiennes n'en ont pas—la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve—, ce qui est regrettable.

Je dois espérer que les ministres de la Justice, au cours des trois ou quatre prochaines années, vont se réveiller et prendre conscience de la situation. Et il me semble que la Colombie-Britannique serait réticente à voir mon successeur chargé de responsabilités fédérales si, effectivement, la province est convaincue qu'une bonne partie de cette activité relève du droit civil provincial. C'est pourquoi je suis heureux qu'Andrew Petter, le ministre responsable, dans le cadre du processus de consultation, ait déclaré à la presse la semaine dernière que la Colombie-Britannique a besoin d'une législation protégeant les renseignements personnels dans le secteur privé.

M. Ian Murray: Merci beaucoup.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Murray. Monsieur Jaffer.

M. Rahim Jaffer: Je n'ai qu'une courte question.

[Note de la rédaction: Difficultés techniques] en fait, en faveur de cette législation. Cependant, ma question est de savoir si l'on passe d'un régime facultatif à un régime contraignant. J'aimerais entendre votre avis à ce sujet, monsieur Flaherty. Vous avez indiqué qu'en votre capacité de Commissaire à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique, vous avez des relations de travail décentes avec diverses organisations, donnant à entendre qu'il n'a jamais été réellement nécessaire de contraindre quiconque. J'aimerais entendre votre avis. S'il n'y a pas de problème réel à l'heure actuelle, y a-t-il un avantage concret à passer d'un code volontaire de type CSA à un régime contraignant?

M. David Flaherty: Absolument. Je ne pense pas que les Canadiens ou les résidents du Canada devraient avoir une protection moindre que tous les membres de l'Union européenne ou les habitants de Hong Kong. Hong Kong a un commissaire à la protection de la vie privée ayant pleins pouvoirs sur les secteurs et public et privé. La Colombie-Britannique a des relations commerciales étroites avec Hong Kong. Beaucoup de gens font la navette entre les deux. Pourquoi les habitants de la Colombie-Britannique d'origine chinoise devraient-ils avoir une protection moindre de leur vie privée que ceux qu'ils ont laissés derrière eux à Hong Kong?

En fin de compte, vu toutes les craintes du public concernant leur vie privée à l'orée du XXIe siècle, il s'agit de donner aux Canadiens des droits juridiques exécutoires à la protection de leurs renseignements personnels, et c'est ce que vous faites ici. Je pense qu'il faudrait aller plus loin et inscrire le droit à la vie privée dans la Charte des droits et libertés, comme c'est déjà le cas de la Charte du Québec.

La présidente: Autres interventions?

M. Rahim Jaffer: Juste une question complémentaire, par curiosité, car je ne sais pas quels ont été les résultats concrets de la législation relative à la protection de la vie privée au Québec. Vous avez évidemment dû suivre cela. Je m'interroge. À votre avis, a-t-elle amélioré les choses au Québec? Combien de plaintes ont été déposées? Que pouvez-vous nous dire de la situation dans cette province?

M. David Flaherty: Je pense que vous devriez poser ces questions à M. Comeau lorsqu'il comparaîtra.

M. Rahim Jaffer: D'accord.

La présidente: Je vous remercie, monsieur Jaffer.

Madame Finestone, je vous prie. Avez-vous des questions?

• 1630

L'honorable Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Oui. Merci beaucoup.

J'ai d'abord une question pour la présidente. Avons-nous un tableau faisant le point des différences entre les neuf ou dix provinces ayant une telle législation—et les territoires—et une analyse comparative avec le projet de loi fédéral, le projet de loi C-54?

La présidente: La seule province ayant une législation applicable au secteur privé est le Québec; les autres n'en ont pas à l'heure actuelle. Les témoins nous parlent de leur législation régissant le secteur public.

Mme Sheila Finestone: Vous dites qu'il n'y a de protection de la vie privée dans aucune province autre que le Québec?

La présidente: Pour le secteur privé.

Mme Sheila Finestone: Pour le secteur privé.

Il me semble que ce serait quand même un bon outil d'évaluation, madame la présidente, d'avoir un tel tableau comparatif, car ma question suivante allait être de savoir comment la législation québécoise se compare à ce projet de loi fédéral.

Ma question suivante s'adresse à vous, monsieur Flaherty, et à vous, monsieur Mitchinson. Comment allez-vous réagir à la tendance qu'auront les sociétés ayant des bureaux à travers le pays d'opter pour les provinces ayant le régime le plus favorable? Il me semble que l'absence d'uniformité va créer un climat concurrentiel.

M. David Flaherty: En gros, comme M. Mitchinson l'a signalé, tout le monde applique des pratiques équitables de traitement de l'information. Celles-ci ont été élaborées au début des années 70 parallèlement en Grande-Bretagne et aux États-Unis et, par un processus extraordinaire, ont été reprises dans le monde entier. Même la Malaisie, la Corée, le Japon et Hong Kong appliquent les mêmes pratiques équitables de traitement de l'information que nous avons au Canada.

La plupart du temps, en tant que Commissariat à la protection de la vie privée, nous ne passons pas notre temps à disséquer l'article 22.2 ou la clause 4.3.2 de la première annexe du code de la CSA; nous manions des concepts simples, tels que le consentement et, en particulier, la transparence.

J'ai eu un conflit avec Safeway en Colombie-Britannique. Je voulais économiser 10 p. 100 sur mes achats—pas des médicaments, Dieu merci—mais des articles comme des détergents et ce genre de choses et je n'aimais pas tous les renseignements que l'on me demandait sur le formulaire d'inscription au club des clients de Safeway. Donc, un beau matin, j'ai pris sur moi d'appeler Victoria, puis Vancouver, puis Calgary, et j'ai finalement eu une téléphoniste de Californie qui m'a vanté les belles lois de protection des renseignements personnels qui existeraient là-bas, et dont je me méfie fort. Finalement, j'ai parlé au responsable des affaires publiques à Calgary. La première chose qu'il m'a dite était que les données sur les clients sont conservées dans l'ordinateur du siège social de Safeway. Devinez où? À Salt Lake City. Cela ne me donne guère de droit juridique exécutoire. Et malheureusement, Safeway n'a pas de magasin au Québec, où la société serait astreinte à la législation existante.

Et l'argument que je leur ai servi est que la société ne se montre pas transparente avec moi, en tant que client, lorsque je veux m'inscrire à son club. Où vont les renseignements me concernant et quel recours ai-je, etc.?

Je ne peux résister à l'envie de mentionner un tableau, qui déplaira peut-être à certaines personnes dans la salle. Dans le cadre de mon rapport relatif à l'évaluation quadriennale de notre loi de Colombie-Britannique, qui se déroule en ce moment, j'ai établi pour notre assemblée législative un tableau comparatif des pratiques équitables de traitement de l'information figurant dans notre loi provinciale, dans la directive de l'Union européenne et dans le code modèle de la CSA. Il fait sept ou huit pages. Je me ferai un plaisir de vous le remettre, particulièrement à l'intention de vos chargés de recherche.

Je continue à souscrire au refrain de l'ancien premier ministre du Canada qui a lancé: «Vous devez danser avec la femme que vous accompagnez». En ce qui me concerne, je suis venu ici avec le projet de loi C-54 et je suis ravi de repartir avec lui. Je n'essaie pas de mettre des bâtons dans les roues, mais je pense qu'il vaut la peine de comparer, sachant que la première Loi sur la protection des renseignements personnels a été promulguée au milieu des années 70 et n'a pratiquement pas changé suite au rapport Une question à deux volets de 1987. C'est comme si le Parlement se penchait sur les problèmes de confidentialité tous les 25 ans, et si le comité et son personnel, avec quelques petites adaptations, parviennent à améliorer le projet de loi, Dieu vous bénisse. Je pense que vous devriez le faire, à condition que ce projet de loi soit promulgué dans les six mois environ. Voilà ce que souhaitent les commissaires à la protection des renseignements personnels.

La présidente: Je vous remercie. Je vous suis reconnaissante, monsieur Flaherty. Si vous remettez ce tableau au greffier, il en fera des copies.

Monsieur Mitchinson.

M. Tom Mitchinson: La seule chose...

Mme Sheila Finestone: Avant que vous répondiez, monsieur Mitchinson, et avant que j'oublie—ma mémoire est fonction du jour et de l'âge—il faudrait ajouter à la liste des évaluations que j'estime nécessaire, la directive la plus récente de l'Union européenne, qui empêcherait les entreprises de faire affaires au Canada si nous n'apportons pas les changements requis au projet de loi C-54.

La présidente: Madame Finestone, je sais que vous vous êtes jointe à nous seulement aujourd'hui. Un certain nombre de documents d'information ont été distribués aux membres du comité. J'ai demandé à notre chargé de recherche de rassembler les comparaisons déjà disponibles, ce qui sera son travail pendant le mois de janvier en prévision de nos réunions de février. D'accord?

• 1635

Mme Sheila Finestone: Je vous remercie.

Je n'ai toujours pas obtenu de réponse sur le problème du «magasinage» causé par l'absence d'harmonisation des lois. Peut-être M. Mitchinson pourrait-il y répondre?

M. Tom Mitchinson: Oui, très brièvement, je pense comme David au sujet de la nécessité du projet de loi C-54. L'une des raisons du délai de trois ans avant que la loi s'applique aux provinces est justement de permettre de régler certains des problèmes juridictionnels qui dépassent le volet vie privée. Le projet de loi n'a pas été conçu par nous, mais nous ne doutons pas que nous pourrons régler ces problèmes dans cet intervalle afin de mettre en place le meilleur système national.

Mme Sheila Finestone: Pensez-vous que le fait d'énoncer les normes dans un règlement, en dehors du projet de loi, soit une bonne façon de procéder? Ne pensez-vous pas qu'elles devraient être inscrites dans la loi?

M. David Flaherty: Je sais qu'il y a des raisons commerciales de placer les normes dans une annexe à la loi. Elles tiennent aux relations commerciales du Canada avec les États-Unis sous l'égide de l'ALENA et aux contestations que les sociétés américaines pourraient nous opposer à l'Organisation mondiale du commerce. C'est à peu près tout ce que je sais là-dessus.

Permettez-moi de vous donner un exemple, car je sais que vous pensez que j'ai éludé votre question initialement. Cette capacité serait pour moi un atout si je me lançais dans la politique.

Mme Sheila Finestone: Vous feriez un sacré politicien. Mais vous le savez déjà.

Des voix: Oh, oh.

M. David Flaherty: Merci.

Prenez le domaine des notations de crédit, les renseignements sur la solvabilité. Ils relèvent de la réglementation provinciale. Nous avons tous des lois sur les notations de crédit dans nos provinces. Bien avant de connaître la portée du projet de loi C-54, j'ai fait savoir à notre assemblée législative que notre loi en la matière devait être révisée, quoi qu'il advienne. Je pense que la Colombie-Britannique et toutes les provinces et les territoires vont devoir décider quoi faire dans ce domaine, mais parallèlement, vous avez une grande société nationale de notation de crédit, et Equifax...

Mme Sheila Finestone: Oh, oui.

M. David Flaherty: ... et je pense qu'Equifax est assez grande pour pouvoir se débrouiller.

Je signale que j'ai travaillé pour elle avant de devenir commissaire, autant que vous le sachiez. J'avais commencé à me pencher sur ses pratiques équitables de traitement de l'information. J'ai cessé ce travail lorsque je suis devenu commissaire de la Colombie-Britannique.

La société va devoir elle aussi faire quelques choix. Et elle est tout à fait capable de se débrouiller. Ce n'est pas une petite épicerie de mon quartier de Victoria. C'est une organisation puissante ayant de gros intérêts commerciaux et je pense qu'elle va mettre au point ses méthodes avec le commissaire fédéral et les commissaires provinciaux et territoriaux. En plus, vous avez toutes les assemblées législatives provinciales qui vont vouloir conserver leur compétence en matière de notation de crédit.

La présidente: Madame Finestone, dernière question, s'il vous plaît.

Mme Sheila Finestone: Est-ce que cela revient donc à dire que l'inscription des règles et normes de pratiques dans la loi imposerait une trop grande rigidité, qu'il vaut mieux qu'elles figurent dans un règlement d'application?

M. David Flaherty: C'est à Industrie Canada et au ministère de la Justice d'en décider. Je suis satisfait des réponses que j'ai obtenues quant aux raisons pour lesquelles la norme est énoncée dans l'annexe. C'est la même chose dans la Data Protection Act britannique, où les principes de traitement équitable de l'information figurent dans l'annexe. Cette norme est le pendant de la fameuse Data Protection Act introduite par Margaret Thatcher en 1984, et qui d'ailleurs vient d'être révisée conformément à la directive européenne.

Nous voici donc au Canada, qui n'avons pas touché à la Loi sur la protection des renseignements personnels depuis 1975, hormis quelques modifications mineures à la fin des années 80, alors que la loi britannique, qui remonte seulement à 1984, vient déjà d'être révisée pour l'adapter à la directive européenne. Ce sera peut-être un travail encore plus grand de réviser la loi régissant le secteur public, qui n'est peut-être pas assez stricte, mais ce n'est pas notre sujet d'aujourd'hui.

La présidente: Je vous remercie.

Merci, madame Finestone.

[Français]

Madame Lalonde, s'il vous plaît.

Mme Francine Lalonde: La question qui me vient à l'esprit en vous entendant est celle-ci: pourquoi, au Canada, devrait-on se satisfaire de moins que la loi québécoise? Améliorons-la. Pourquoi ne pas avoir une telle loi d'abord?

Au Québec, on fait beaucoup d'affaires avec les États-Unis et on y retrouve de très grandes entreprises dont Equifax Canada Inc., Alcan et bien d'autres. Je n'ai jamais entendu dire qu'il y avait des problèmes énormes. On fait des affaires avec les États-Unis, et notre loi est conforme à la directive de l'Union européenne.

Je dois vous dire que depuis que ce projet de loi a été déposé, j'ai parlé à une foule de gens qui ont travaillé dans le domaine des renseignements personnels. Beaucoup d'entre eux étaient très surpris que la loi canadienne ne prenne pas pour plancher ce qu'il y a dans la loi québécoise, qui a l'avantage d'avoir déjà été expérimentée et qui est en vigueur. On pourrait tenir compte des problèmes qu'elle a posés et des avantages qu'elle a apportés. Je conviens qu'il faut s'entendre au sujet du chiffrement, mais pourquoi pas?

• 1640

Il est assez ironique qu'on se retrouve en quelque sorte au banc des accusés, alors que le problème consiste à adopter une loi qui saura protéger les Canadiens.

[Traduction]

M. David Flaherty: J'ai une réponse simple, madame Lalonde, à savoir que si vous regardez la plupart des domaines du droit civil, il y a une différence entre ce que fait le Québec avec sa tradition du Code civil et ce que nous faisons dans les autres provinces et territoires, avec notre tradition de la common law.

Cela dit, tout compte fait, j'aimerais que la loi soit la plus protectrice possible de la vie privée, plutôt que d'être moins stricte, et je suis donc d'accord avec vous là-dessus.

La présidente: Monsieur Mitchinson, avez-vous un commentaire?

M. Tom Mitchinson: Je suis d'accord avec David. Il ne faut pas perdre de vue qu'il y a différents moyens de protéger efficacement la vie privée. Au Canada, dans toutes nos réunions que nous tenons régulièrement pour comparer nos approches de la protection des renseignements, nous sommes accoutumés de voir différentes instances traiter avec succès des mêmes problèmes dans des contextes différents et c'est un aspect qu'il ne faut pas perdre de vue lorsqu'il s'agit de trouver des solutions réalistes.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Je pourrais citer à nouveau l'exemple que je vous donnais hier au sujet d'une employée d'Air Canada qui voulait absolument avoir accès à son dossier de santé. Elle a soumis à la Commission d'accès à l'information du Québec une plainte contre Air Canada. La Cour supérieure a rendu un jugement qui a été porté en appel. Contrairement à ce que j'ai dit hier, je n'ai pas obtenu copie de la décision de la cour d'appel. Air Canada refuse de divulguer l'information qu'elle recherche, bien que cette grande entreprise se soumette sûrement à ces pratiques conformes dont vous parlez. Les enjeux sont très sérieux pour les individus, citoyens et consommateurs. Il est possible qu'il y ait des moments où même les grandes entreprises posent des problèmes.

Mais parlons de toutes les autres PME, qui n'ont peut-être même pas idée de ce que ça veut dire. On sait dans quelle situation elles sont. Comme le disait justement M. Pierret, lors de la conférence sur le commerce électronique, il faut que les entreprises fassent leur bout. Elles en ont les moyens. Mais, à un moment donné, quand le consommateur en a besoin, il faut que l'État l'aide. Il me semble que d'après la common law, c'est...

La présidente: Veuillez poser votre question, s'il vous plaît.

Mme Francine Lalonde: J'aimerais entendre vos commentaires. Est-ce qu'on ne peut pas faire évoluer la tradition de common law?

[Traduction]

La présidente: Monsieur Flaherty.

M. David Flaherty: C'est pourquoi, madame Lalonde, le projet de loi C-54 donne aux Canadiens le droit d'accès à leur dossier personnel dans le secteur commercial, tout comme nos lois, au niveau provincial, donnent aux citoyens de Colombie-Britannique le droit absolu d'accéder à leurs données personnelles détenues par les pouvoirs publics, les hôpitaux, etc. Le genre de situation qui est survenue au Québec, où un litige oppose Air Canada et la Commission d'accès à l'information n'est pas inhabituel.

À ma connaissance, la commission d'inspection des données de Suède a traîné American Airlines en justice en Suède au sujet du système de réservation SABRE, soit une situation similaire à ce qui se passe ici avec Air Canada.

La présidente: Monsieur Mitchinson.

M. Tom Mitchinson: Vous décrivez le modèle du Québec, qui est probablement plus proche du modèle auquel David et moi sommes accoutumés en Ontario et en Colombie-Britannique, et nous ne pensons pas que ce concept soit très réussi.

Mme Francine Lalonde: Vous ne pensez pas?

M. Mitchinson: Non.

Mme Francine Lalonde: Bon.

M. Tom Mitchinson: Il pourrait très bien marcher, mais je pense qu'il présente également des faiblesses. Il y a de meilleurs modèles. Dans le modèle québécois, les tribunaux sont amenés à intervenir sans cesse, alors que ce n'est pas le cas en Ontario. Il y a différents éléments dont nous pourrions parler lorsqu'il s'agira de fixer les détails d'un modèle particulier.

La présidente: Je vous remercie. Merci, madame Lalonde.

Monsieur Lastewka, je vous prie.

M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Merci, madame la présidente.

Tout d'abord, je veux remercier les témoins de leurs exposés et de leurs réponses. Je pense qu'il importe que ce projet de loi soit largement débattu avec les parties prenantes et les citoyens de tout le pays.

• 1645

Ce n'est pas un projet de loi qu'il faut adopter à la hâte. Mais, comme M. Flaherty l'a mentionné, il ne faut pas trop attendre non plus car il n'a déjà que trop tardé. Je pense que Mme Finestone, qui a travaillé là-dessus il y a bien des années, a poussé un petit soupir de soulagement en voyant que les choses bougeaient enfin.

J'aimerais revenir sur les possibilités de renforcer le projet de loi. Pourriez-vous nous dire en quoi il faudrait modifier la norme de la CSA afin de renforcer la protection de la vie privée?

La présidente: Monsieur Flaherty.

M. David Flaherty: J'ai critiqué la norme de la CSA au moment de son adoption. Je lui ai communiqué des objections relativement techniques. Elle a choisi, dans sa sagesse, de ne pas les accepter toutes. Tant pis. Nous sommes un pays libre. Est-ce que je peux m'en accommoder? Les normes couvrent maintenant neuf pages, presqu'à simple interligne. Cela fait beaucoup de normes. C'est plus que les pratiques de traitement équitable de l'information contenues dans notre loi de Colombie-Britannique. Je pense que ces normes sont pas mal détaillées.

L'universitaire en moi voudrait toujours que les choses soient parfaites. Mais je crains que si nous commençons à jouer avec la norme de la CSA, il y a tellement d'intérêts concurrents que nous mécontenterons la CSA. Je préférerais adopter le projet de loi tel quel et ensuite nous—les groupes de consommateurs et d'autres—pourrons continuer à faire pression sur la CSA pour modifier tel ou tel aspect posant problème, de même que vous avez dans ce projet de loi une clause de réexamen après cinq ans.

Il est un peu paradoxal pour moi de chanter les louanges d'un réexamen quinquennal, car j'ai contribué au réexamen de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act et le gouvernement Mulroney n'a rien fait pour nous du côté de l'accès à l'information. Il a fait quelques petites choses du côté de la protection de la vie privée. Je suis donc un peu sceptique quant à l'efficacité de ces réexamens après quatre ou cinq ans.

Mais vous pourrez jeter un nouveau coup d'oeil sur les résultats de ce projet de loi après quelques années et si le manque de pouvoir réglementaire cause de réels problèmes dans les domaines de compétence fédérale exclusive... et nous pouvons également travailler avec la CSA pour assurer que les normes soient réellement au point. C'est ma préférence personnelle.

La présidente: Monsieur Mitchinson.

M. Tom Mitchinson: Ceci n'est pas techniquement en rapport avec la norme de la CSA, mais je pense qu'il y a un domaine du projet de loi qui, selon mon expérience, pourrait être amélioré, soit le pouvoir de vérification. À l'heure actuelle, le pouvoir de vérification prévu intervient lorsqu'un problème se pose. Or, nous avons constaté au fil des ans que nous sommes les plus efficaces auprès du gouvernement lorsque nous jouons un rôle de conseil et de coopération, et je ne vois pas pourquoi il en irait autrement avec l'industrie, si nous travaillons de manière plus proactive pour la conseiller en dehors du contexte d'un problème, lorsqu'il s'agit de concevoir des systèmes de gestion de l'information plus efficaces.

En Ontario, nous n'avons pas de pouvoir de vérification exprès dans la loi et cela nous cause des problèmes. Nous souhaitons l'avoir de façon à pouvoir faire davantage un travail de prévention, en ayant une fonction de vérification de type gestion des risques.

Je souscris entièrement à ce qu'a dit David au sujet du réexamen après cinq ans. Nous avons eu deux examens triennaux en Ontario, et des comités ont mené des études très complètes tant de la législation provinciale que des règlements municipaux. Des rapports ont été déposés et n'ont reçu aucune suite, et je vous recommande de revoir votre disposition sur l'examen après cinq ans, ou quel que soit le délai prévu, pour déterminer si vous ne voudriez pas ajouter l'obligation d'une réponse du gouvernement au rapport, au lieu de vous contenter de prévoir un simple réexamen après trois ans. Voilà ce qu'a été notre expérience, à savoir que le réexamen de la loi n'a pas été très utile.

La présidente: Monsieur Lastewka.

M. Walt Lastewka: Le projet de loi prévoit des exceptions—les fins culturelles, artistiques et journalistiques. Avez-vous un avis à ce sujet?

M. Tom Mitchinson: Cela faisait partie du processus de la CSA, auquel je n'ai pas directement participé, et je laisserai donc David répondre.

M. David Flaherty: Je suis d'accord avec ces exceptions.

La présidente: Dernière question, monsieur Lastewka, je vous prie.

M. Walt Lastewka: Merci.

Nous avons reçu hier le commissaire Phillips. Nous lui avons demandé ce qu'il considérait être le plus grand danger pour la vie privée. Sa réponse a été: «l'ignorance». J'aimerais vous poser la même question à tous les deux.

M. David Flaherty: J'ai entendu la réponse hier et je connaissais les questions. Je me suis demandé hier soir ce que je répondrais si vous me posiez la même.

Des voix: Oh, oh.

M. Walt Lastewka: La voilà.

• 1650

M. David Flaherty: Je pense que j'aimerais mettre davantage l'accent sur la haute technologie... L'ignorance est manifestement un problème: l'absence de prise en compte de son droit à la vie privée. Les gens ne se rendent pas compte combien la confidentialité est importante pour la conduite de la vie quotidienne, que ce soit comme personne, comme ami, comme membre de la famille ou membre de la société.

Je pense que les enjeux sophistiqués relatifs aux renseignements commerciaux sont des choses comme l'exploitation systématique des données. Les logiciels actuels, mis au point particulièrement par les banques à l'échelle internationale, présentent une immense capacité à suivre à la trace les empreintes numériques que nous laissons chaque jour dans le cours de nos activités.

J'ai plaisanté M. Phillips au moment où il pénétrait dans son stationnement sous l'un des gros immeubles autour d'ici. C'était là une autre empreinte numérique. Et c'était vrai: le ticket indiquait l'heure exacte à laquelle il pénétrait dans le stationnement. C'est une autre forme de surveillance.

Certaines compilations systématiques ont des fins louables, mais souvent elles échappent à tout contrôle. Nous n'en avons pas conscience et nous n'y avons pas consenti. Le consentement, ainsi que l'indique l'annexe 1 de votre projet de loi, dans les normes de la CSA, est un principe crucial en matière de vie privée. Beaucoup d'entre nous seraient ravis qu'une grande banque nous prenne en charge et nous dise qu'il nous faudrait augmenter notre assurance résidentielle ou notre assurance automobile ou mieux placer le million de dollars qui traîne sur notre compte d'épargne—un problème que la plupart d'entre nous ne connaissons pas.

Mais si je veux cela, il faut que je le demande. Je ne veux pas être la cible d'un marketing direct ou d'un télémarketing ou de quelque chose du genre que je ne veux pas réellement, sur la base d'algorithmes très sophistiqués exploitant systématiquement les données me concernant. Je pense que c'est ce problème de ne pas savoir d'où vient l'intérêt que l'on vous porte, qu'il s'agisse d'un appel téléphonique, d'un courrier ou d'une banque qui tout d'un coup se passionne pour votre compte d'épargne et veut le placer pour vous sans que vous ayez jamais rien demandé. C'est le genre de choses qui gêne les gens et qui rend inquiet pour leur vie privée tous ceux qui ont des relations commerciales dans notre société, c'est-à-dire tout un chacun.

La présidente: Monsieur Mitchinson? Vous avez eu quelques minutes pour réfléchir.

M. Tom Mitchinson: Oui. Suite à ce que disait Bruce sur l'ignorance, je pense que cela se situe dans le contexte technologique: il s'agit de faire en sorte que nous utilisions la technologie pour renforcer le droit à la vie privée au lieu qu'elle vienne envahir notre vie privée.

L'un des réels défis auxquels nous serons confrontés dans l'avenir immédiat est le niveau de sophistication qu'il faut pour réaliser qu'un prélèvement d'empreinte digitale représente certes l'une des plus grandes atteintes à la vie privée mais qu'un balayage dactyloscopique dans une base de données biométrique codée constitue peut-être la technologie la plus protectrice de la vie privée qui existe.

La présidente: Merci beaucoup.

M. Lastewka, Mme Lalonde, puis M. Bellemare.

Madame Lalonde, je vous prie.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Merci. Les banques sont présentes au Québec et, depuis l'adoption de la Loi 188, elles sont assujetties à des règles encore plus sévères sur la protection des renseignements personnels. Or, elles les acceptent et elles n'ont pas causé de problèmes. Vous me voyez revenir à cette question: pourquoi avoir peur d'être exigeant? Selon moi, l'explication quant au commerce avec les États-Unis ne tient pas. De toute façon, si tel était le cas, cela se serait déjà manifesté au Québec. Bernard Landry porte une très grande attention à cette question.

Nous sommes extrêmement préoccupés de savoir que la loi québécoise sera affaiblie, parce que tout nous porte à croire que ce sera le cas. Vous avez dit que le projet de loi C-54 poussait un peu sur la tradition de common law, mais en réalité, il va moins loin dans la protection des droits individuels que ne le fait la loi québécoise.

Le malaise que j'ai éprouvé, y compris quand le ministre est venu faire sa présentation, est dû au fait que c'est davantage une loi qui vise à favoriser le commerce électronique. D'ailleurs, le titre de la loi débute ainsi: Loi visant à faciliter et à promouvoir le commerce électronique en protégeant les renseignements personnels. Alors, les entreprises sont là. Je n'ai pas besoin de répéter tout ce qui a été dit et de parler des traces que nous laissons.

• 1655

J'ai appris récemment que quand vous achetez un produit dans une entreprise qui accepte de donner des primes Air Miles, toutes les transactions sont compilées et on se sert de ces données pour dresser des listes de marketing. Encore une fois, pourquoi ne pas hausser les exigences? La loi est confuse et les droits n'y sont pas clairement définis. S'il y a des éléments auxquels les entreprises s'opposent, elles pourront facilement aller en cour. Je me serais attendue à ce que vous réclamiez qu'il y ait plus d'exigences. Je vous le dis franchement, en toute amitié.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Flaherty.

M. David Flaherty: Si je puis répondre très rapidement à cela, la loi québécoise a eu des retombées bénéfiques sur le droit à la confidentialité dans tout le pays. Les compagnies d'assurance québécoises vendent des polices dans tous les pays. Je sais qu'elles ne veulent pas avoir un ensemble de formulaires différents pour recueillir des renseignements sur un demandeur d'assurance-vie, si bien que la législation québécoise fait qu'une personne faisant affaire avec la banque Laurentienne ou la société d'assurances Laurentienne à Prince George, en Colombie-Britannique, bénéficiera du fait que le formulaire ait été approuvé par le Commissaire à la protection de la vie privée du Québec.

Il y aura toujours des domaines touchant la vie quotidienne de beaucoup de gens qui relèveront entièrement de la compétence provinciale. Et le résultat de la loi québécoise pourrait bien être que les Québécois continueront d'avoir, même dans le domaine de la protection des renseignements personnels, de meilleurs droits que les miens en Colombie-Britannique. J'espère que lorsque la Colombie-Britannique agira dans les domaines de sa compétence provinciale, elle égalera la norme québécoise. Je la pousserai certainement en ce sens.

Je regrette de dire que vous et moi ne pouvons réécrire la Constitution canadienne. Et il se trouve qu'il y a des «domaines de compétence fédérale».

Mme Francine Lalonde: Oui.

M. David Flaherty: Les compagnies aériennes, les chemins de fer et les banques relèvent de la compétence fédérale et c'est au gouvernement fédéral, en fin de compte, de fixer les normes, ce qu'il fait avec le projet de loi C-54.

La présidente: Monsieur Mitchinson.

M. Tom Mitchinson: Lorsque le Québec a élargi au secteur privé sa législation en matière d'accès et de vie privée régissant le secteur privé, il a repris dans toute la mesure du possible ce qui existait déjà et avait fait ses preuves. Et c'est certainement l'approche que nous suivront en Ontario, où nous avons un modèle qui est beaucoup plus proche du modèle québécois que du fédéral. Nous aussi voudrons prendre ce que nous avons déjà et qui nous paraît être un régime très bon et très efficace en matière d'accès et de confidentialité et l'étendre au secteur privé. Nous abondons donc tout à fait dans votre sens.

La présidente: Monsieur Flaherty.

M. David Flaherty: Pourrais-je ajouter une chose? J'ai rédigé un ouvrage en 1989, intitulé Protecting Privacy in Surveillance Societies qui traite de l'Allemagne, de la France, du Royaume-Uni, du Canada et des États-Unis. Finalement, je pourrais bien vous dire: «Pourquoi ne pas adopter la loi de 1977 de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés?» C'est la façon française de faire les choses—en l'occurrence, de la France plutôt que du Québec.

En fin de compte, tout dépend de la manière dont toute loi établissant des pratiques équitables de traitement de l'information est concrétisée, comme elle est traduite dans la réalité, comment elle est reflétée dans les pratiques d'Equifax ou de la Banque Royale ou de la société d'assurance Sun Life.

Et puisque toutes ces lois sont fondées sur des pratiques équitables de traitement de l'information, il n'y a pas tellement de différences dans la pratique. Je ne pourrais pas vous dire que, grâce à la loi française, la vie privée des gens en France est mieux ou moins bien protégée qu'en Allemagne, en Suède, ou dans les pays scandinaves en général. Je pense que le fait que le Québec fasse les choses différemment reflète de larges différences culturelles.

[Français]

Mme Francine Lalonde: C'est pour ça qu'on voudrait continuer dans la même voie, et non pas être forcés de changer.

M. David Flaherty:

[Note de la rédaction: Inaudible] ...sur ce point.

La présidente: Merci, madame Lalonde.

Monsieur Bellemare.

M. Eugène Bellemare (Carleton—Gloucester, Lib.): J'aimerais que nous nous penchions sur l'article 4 du projet de loi.

[Traduction]

Le projet de loi ne s'appliquera pas, selon l'alinéa 4(2)(c):

    à une organisation à l'égard des renseignements personnels qu'elle recueille, utilise ou communique à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires...

J'ai quelques préoccupations à ce sujet. Mon interprétation est peut-être erronée, mais j'ai des craintes s'agissant des journalistes, de la presse. Une organisation de presse—pas seulement un journaliste individuel, mais une organisation commerciale—pourrait recueillir ces renseignements et les utiliser abusivement.

• 1700

Que pensez-vous de cette disposition particulière du projet de loi? Je traiterai ensuite de l'alinéa (b).

La présidente: Monsieur Flaherty.

M. David Flaherty: Je suis d'avis—et je me fais l'écho en cela de M. Phillips hier—que la Charte des droits et libertés garantit la liberté de la presse et, si des journalistes recueillent des renseignements personnels à des fins journalistiques, cela ne devrait pas être couvert par notre loi.

Mais supposons que le The Vancouver Sun décide de constituer des bases de données pour vendre des renseignements à titre commercial dans le pays, ce qui pourrait bien être le cas. U.S.A. Today exploite de grosses banques de données de diverses sortes, des services d'information qui ne sont pas directement liés à la production d'un journal. Si une grosse entreprise journalistique exploite des banques de données, vend les données ou offre d'autres services purement commerciaux, je pense que le projet de loi C-54 devrait s'appliquer et s'appliquera à elle. Mais lorsqu'il s'agit purement de produire un journal, de recueillir des renseignements en vue de rédiger un journal, le projet de loi C-54, à juste titre à mon avis, exclut cette activité.

M. Eugène Bellemare: Pensez-vous que c'est rédigé assez clairement? En tant que profane, lorsque je lis cela, ce n'est pas clair. Il pourrait y avoir là un problème d'interprétation.

M. David Flaherty: Monsieur Bellemare, je pense que tous les mots de toutes nos lois prêtent à des conflits d'interprétation et ce texte n'est ni mieux ni pire qu'un autre. Je soupçonne que vous entendrez des représentants de l'Association canadienne de la presse quotidienne dans les mois à venir et s'ils trouvent que ce n'est pas assez clair, je suis sûr qu'ils vous le diront.

Cependant, ayant vu les exemptions journalistiques dans d'autres lois de protection des renseignements personnels, cela me semble être un texte raisonnablement clair.

M. Eugène Bellemare: Je n'applaudis pas car j'espérais une réponse différente. Je songeais aux possibilités d'abus sans sortir de la légalité, où un journaliste ou une organisation de presse rassemblerait des données non accessibles à tout le monde, non pas par exemple des documents de tribunaux communicables au public, mais en assemblant des données informatiques commerciales dans le but de monter une attaque contre quelqu'un dans un article. Ne voyez-vous pas de telles possibilités d'abus?

M. David Flaherty: Savez-vous qu'il existe des lois sur l'atteinte délictuelle à la vie privée dans nombre des provinces de l'Ouest? Il y en a une en Colombie-Britannique—et probablement dans toutes les provinces de l'Ouest—une loi provinciale qui érige en délit l'atteinte à la vie privée, la responsabilité civile pour atteinte à la vie privée. Si votre maison est en vente et que quelqu'un vient chez vous en se prétendant acheteur légitime mais que la personne est en fait un chroniqueur d'une rubrique de potins muni d'une caméra pour essayer de photographier l'intérieur de votre maison parce que vous êtes Mick Jagger et incroyablement riche et célèbre, et prend des photos de votre maison, vous pourriez poursuivre cette personne en justice, ce journaliste déguisé, pour atteinte à votre vie privée, en vertu de la Loi provinciale sur la protection de la vie privée, qui est une loi de responsabilité délictuelle, totalement séparée de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act que je suis chargé d'administrer.

Nous traitons ici du projet de loi C-54 et, dans le travail que fait M. Mitchinson et mon collègue du Québec et moi-même, nous nous occupons de la protection des renseignements. Je publie prochainement un article—et évidemment je considère que tout ce que j'écris mérite attention—dans un ouvrage qui paraîtra prochainement où je préconise de confier au commissaire à la protection de la vie privée toutes les questions relatives à la vie privée. Il est ridicule que le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada ait une compétence aussi limitée. Que vous soyez victime d'écoute illicite ou de voyeurisme ou d'écoute électronique, pourquoi ne pas disposer d'un guichet unique?

Je pense que le rapport de Mme Finestone d'il y a deux ou trois ans traitait de la vie privée au sens plus large, comme d'un droit humain. J'aimerais qu'elle envisage—de préférence après l'adoption de ce projet de loi C-54—de faire davantage pour la protection générale de la vie privée des Canadiens, dont en particulier les atteintes de la part des médias dont parle M. Bellemare. Si l'on fait le tour des pays du monde, toutes les sociétés industrielles avancées possèdent ce genre de loi de protection de la vie privée. Aucune ne porte sur le genre de problème que vous évoquez, celle de la malfaisance d'un journaliste. Il faut s'en remettre pour cela au Code civil du Québec, à nos lois provinciales sur l'atteinte à la vie privée, ou à la protection de la vie privée en common law, qui n'est pas tellement une loi commune.

La présidente: Votre dernière question, monsieur Bellemare.

Monsieur Mitchinson.

• 1705

M. Tom Mitchinson: Je n'ai qu'une remarque en réponse à cela. Je pense que les derniers mots de cette disposition couvrent la situation que vous évoquez, puisqu'on dit que le renseignement doit être recueilli «à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires et à aucune autre fin».

M. Eugène Bellemare: Je vous remercie.

La présidente: Avant de donner la parole à Mme Lalonde et à M. Lastewka pour une dernière question, j'aimerais aborder un sujet avec vous deux, qui concerne le palier provincial. Je sais—et je suppose qu'il en est de même en Colombie-Britannique, mais je n'en suis pas certaine—qu'en Ontario il existe différents registres, et je vais vous dire lesquels.

En particulier, il y a le registre foncier, où mon hypothèque est enregistrée si bien que le montant de mon hypothèque est de notoriété publique. Cependant, je peux vous garantir que 95 p. 100 des consommateurs ne le savent pas. Je suis avocate, et c'est pourquoi je le sais.

Je ne savais pas que l'immatriculation de mon véhicule est un document public. Je crois savoir que l'Ontario vend actuellement ses renseignements sur listes, indiquant quand mon hypothèque vient à expiration, quel type de voiture je conduis et son âge. En tant que consommatrice, je trouve cela odieux. C'est une atteinte à ma vie privée.

Et je pense que la majorité des Ontariens, les 95 p. 100 et quelques qui ne savent pas que leur hypothèque est un document public pour commencer, trouveraient odieux que la province vende ce qu'ils considèrent être des renseignements très confidentiels. Je peux vous garantir que si vous réunissiez dans une salle dix consommateurs, neuf sur dix refuseraient de vous dire quel est le montant de leur hypothèque, sans savoir que vous pouvez le vérifier au bureau d'enregistrement. Neuf sur dix considéreraient cela comme des renseignements extrêmement confidentiels—peut-être dix sur dix.

Monsieur Mitchinson, je vous demande votre réaction car je crois savoir que maintenant que ces données sont disponibles sous format électronique, elles sont très facilement vendues et cela m'inquiète.

M. Tom Mitchinson: Je parlerai de la banque de données sur les conducteurs, qui est registre accessible au public en Ontario. Depuis quelques années, nous avons essayé d'encadrer l'utilisation de cette information dans un monde électronique. Ce que nous avons réussi à faire—sans interdire l'accès ponctuel aux dossiers des conducteurs, qui est un droit statutaire du public—est d'essayer de limiter, par contrat, qui peut accéder aux données en vrac du registre des conducteurs et de limiter l'utilisation subséquente que l'on peut en faire.

C'est à peu près tout ce que nous avons réussi à faire quant à l'utilisation des renseignements, mais l'usage en est contrôlé, si bien que lorsqu'une société d'assurance légitime ou une société d'enquête privée accède, pour ses propres raisons, à ces renseignements, l'usage qu'ils peuvent en faire ultérieurement est au moins contrôlé.

Mais je pense que les renseignements personnels sous format électronique, comme tous les spécialistes du domaine le savent, représentent l'une des grosses lacunes dans les structures juridiques que nous administrons car, de manière générale, ces dernières ont été conçues dans un monde où l'on n'envisageait pas l'énorme potentiel d'exploitation et de divulgation électronique qui est apparu depuis.

La présidente: La question que je pose est celle-ci: cela est-il considéré comme un renseignement public relevant de la responsabilité publique de la province de l'Ontario ou bien cela est-il de la responsabilité du secteur privé? Je considère le registre foncier comme un registre gouvernemental et c'est le gouvernement qui contrôle ces renseignements, et comment se fait-il qu'ils puissent être vendus au secteur privé?

M. Tom Mitchinson: À ma connaissance, ce qui s'est passé avec le registre foncier en Ontario est qu'un partenariat public-privé a été établi, avec une société du nom de TerraNet, qui a mis sur pied le système du registre foncier. Je n'ai pas connaissance que le gouvernement de l'Ontario vend une base de données de renseignements personnels tirés des dossiers hypothécaires des rôles d'évaluation. Parlez-vous du partenariat avec TerraNet?

• 1710

La présidente: Je sais que quelqu'un gagne beaucoup d'argent avec la vente de ces renseignements, si bien que, par exemple, lorsque mon hypothèque vient à expiration, je reçois des sollicitations non seulement de ma banque mais de plusieurs autres, sans que je sache pourquoi car, en tant que consommatrice, je n'ai même pas conscience qu'ils ont accès à ces renseignements. Je conclurai que c'est une coïncidence. Personnellement, je trouve cela odieux, et je suppose que je suis loin d'être la seule. C'est une atteinte à ma vie privée.

Mme Sheila Finestone: Cela est-il couvert par le projet de loi C-54?

La présidente: Non. Pour commencer, j'essaie de savoir s'ils considèrent cela comme de compétence provinciale ou fédérale. Je considère que c'est provincial, si bien que techniquement, vu que l'Ontario n'a pas de... il y a des lois couvrant le secteur public, mais cela est-il provincial-privé ou est-ce provincial-public?

M. Tom Mitchinson: Je pense que les données ne sont pas vendues directement par le gouvernement. La vente des données, si elle a lieu, sera faite par la société privée sous contrat, et c'est quelque chose qu'il faudrait contrôler. Je suis d'accord avec vous.

M. David Flaherty: Je vous recommande de vous plaindre au Commissaire à la protection de la vie privée de l'Ontario.

Des voix: Oh, oh.

La présidente: De fait, monsieur Flaherty, je vais le faire.

M. David Flaherty: Oh, bien. Je vous prie...

La présidente: Je soulève cette affaire parce que je veux jeter la lumière là-dessus. Bien qu'avocate, je ne m'y retrouve plus. Je crois savoir que la province de l'Ontario gagne de l'argent, et qu'elle ait un accord avec TerraNet ou que ce soit TerraNet qui gagne l'argent, c'est quelque chose qu'il faut régler. On m'a informé que le gouvernement provincial gagne beaucoup d'argent avec la vente de renseignements privés—ou que je considère privés. Vous ne les considérez peut-être pas ou le gouvernement ne les considère pas comme privés. Je ne devrais pas dire «vous»; vous ne représentez pas le gouvernement de l'Ontario.

Je soulève cette affaire car je pense que c'est un vrai problème que de savoir ce qui est provincial, ce qui est fédéral, ce qui est commercial, ce qui est gouvernemental et qui est responsable.

Comment cela a-t-il pu se faire? Comment a-t-on pu en arriver là avec un registre qu'il fallait précédemment consulter sur place, nom par nom? Personne n'allait faire cela dans le but de vendre les renseignements à des sociétés de prêts hypothécaires. Nul n'allait perdre son temps à consulter manuellement le registre. Comment a-t-on pu tout d'un coup passer à un système électronique tel que tout un chacun, massivement, a accès à mes renseignements commerciaux et à ceux de tout le monde?

M. Tom Mitchinson: Je pense que David a rendu des arbitrages à ce sujet. Nous aussi. Nous refusons l'accès électronique en vrac à des renseignements personnels autrement accessibles ponctuellement par droit d'accès statutaire. Nous traitons les données électroniques personnelles en vrac comme un produit totalement différent d'un extrait de registre ponctuel, sur papier. Nous avons donné au gouvernement autant de directives que possible par le biais de nos décisions—de nos interprétations—mais nous sommes obligés de tirer jusqu'à la limite les lois que nous administrons pour cela.

La présidente: Monsieur Flaherty.

M. David Flaherty: Je ne me sens pas limité s'agissant des données publiquement disponibles en Colombie-Britannique. Au cours des quatre ou cinq dernières années, j'ai déployé de gros efforts pour rendre transparentes les pratiques relatives à ces bases de données. La semaine prochaine je vérifierai ce qu'il en est de notre registre foncier, mais je peux vous faire part d'un succès que nous avons obtenu.

Nous avons un système hautement automatisé d'évaluations foncières pour toute la province. Pour dix dollars, vous pouvez aller dans une bibliothèque et ouvrir un compte. J'ai constaté, pour avoir essayé, que je pouvais chercher sous le nom de Mike Harcourt et savoir quels biens immobiliers il possède et où il habite. Je l'ai fait une fois pour Vicki Gabereau, juste pour l'amuser pendant son émission.

Je trouve inacceptable que ce genre de base de données automatisée puisse servir de moyen de repérage en Colombie-Britannique. Au début on ne voulait guère m'écouter, mais au printemps dernier, en conjonction avec l'administration de l'évaluation de Colombie-Britannique, nous avons publié un rapport là-dessus. Jenny Kwan, la ministre des Affaires municipales, a intégré nos recommandations à la Municipal Act, à ma grande surprise, encore que la pratique aurait été améliorée de toute façon suite à mes interventions, et aujourd'hui vous ne pouvez pas trouver l'adresse d'une personne en particulier dans la base de données automatisée de la province.

J'habite à Saanich. Si vous voulez savoir quels biens immobiliers je possède, vous pouvez aller à l'hôtel de ville et consulter mon dossier foncier, mais il ne suffit plus de payer neuf dollars pour déterminer où j'habite parce qu'il se trouve que je suis propriétaire. Si vous voulez savoir qui possède l'immeuble situé à mon adresse personnelle—que je ne vais pas vous donner—vous pouvez consulter le registre et le savoir. C'est très important, non seulement pour les conjoints victimes de violence mais aussi pour les psychiatres, les agents de police, certains élus, certains commissaires à la protection de la vie privée et d'autres qui ont des raisons légitimes de ne pas dévoiler leur adresse.

Nous travaillons maintenant sur le registre des biens mobiliers, qui est encore plus important. Les gens ne savent pas que s'ils achètent pour 1 000 $ de meubles chez Brick sans mise de fonds pendant 32 ans, ils figurent dans le registre des biens mobiliers.

Des voix: Oh, oh.

Mme Sheila Finestone: Ah bon?

M. David Flaherty: Oui. Leur nom figure dans le registre des biens mobiliers. Ainsi, l'époux violent qui veut infliger une dernière raclée à la femme qui vient de sortir du foyer d'accueil peut retrouver la personne en s'adressant à un détective privé ou, s'il est suffisamment intelligent ou retors, par le biais du registre des biens mobiliers. Cela n'est pas transparent. Nous travaillons là-dessus en ce moment même.

Mais en tant qu'homme—j'aime bien être qualifié de féministe—j'ai été surpris, lorsque j'ai soulevé ce problème il y a quatre ans, de ne pas recevoir autant de soutien que je l'escomptais de la part du ministère de l'Égalité des femmes, comme on l'appelle en Colombie-Britannique. Les choses commencent maintenant à bouger dans ce domaine.

C'est un exemple de ce que les commissaires à la protection de la vie privée doivent faire, de manière proactive, dans ces domaines qui relèvent entièrement de la compétence provinciale.

La présidente: Je vous remercie.

• 1715

Madame Lalonde, puis M. Lastewka.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Je voudrais terminer en traitant de la directive très précise de l'Union européenne. Je souhaite toujours que le projet de loi soit retiré pour qu'un processus différent et coordonné de législation puisse voir le jour. Si ce projet de loi, qui a pour objet de protéger les droits des Canadiens, était adopté, il me semble qu'à sa face même, il ne correspondrait pas à l'esprit de la directive de l'Union européenne. Vous m'excuserez de faire allusion encore une fois à la loi québécoise, mais elle prévoit que tout renseignement personnel, qu'il provienne d'une personne de la France, du Japon ou des États-Unis qui transite par le Québec, doit être l'objet de la même protection et donner naissance aux mêmes droits. Il me semble qu'au minimum, ça devrait être la même chose. Par contre, je sais que l'Union européenne exige que la protection soit effective et efficace, qu'elle représente un droit et que l'imposition de l'application de cette protection puisse être forcée.

Je suis convaincue qu'il doit y avoir des discussions parce que la lecture que j'en fais ne me permet pas de penser que ce projet de loi pourrait satisfaire aux exigences de l'Union européenne.

[Traduction]

M. David Flaherty: Je vais affûter mon habileté politique, madame Lalonde, pour répondre à vos questions. Si je survis à cette bataille avec vous, j'espère que l'on me décernera un doctorat.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Merci.

[Traduction]

Des voix: Oh, oh.

M. David Flaherty: Mais je n'ai pas encore réussi à décrocher un doctorat, voyez-vous, c'est là le problème.

J'aime croire que les Européens considèrent le projet de loi C-54 comme une mesure très progressiste. Il leur appartiendra, et aux autorités nationales responsables de la protection des données dans les 18 ou 16 pays membres, je ne sais plus le nombre, de décider si notre législation est adéquate. À ma connaissance, ils considèrent la législation québécoise comme adéquate tant pour les secteurs public que privé, ce qui est très bon pour le Québec.

Je crois savoir que mon collègue, le professeur Bennett, pourrait comparaître devant vous. Dans ses études de cas, et celles de trois autres professeurs, un Américain, un Australien et un Britannique... ils ont fait un ensemble d'études pour l'Union européenne sur l'adéquation de la législation de divers pays, dont le Japon. Ces études sont censées être publiées sur le site Web de l'Union européenne cette semaine. Je ne sais pas si elles y sont déjà, mais votre personnel pourra vérifier. Et je serai ravi de les mettre en rapport avec mon collègue. J'ai avec moi les études de cas canadiennes, mais je n'ai pas l'autorisation de vous les remettre. Si mon collègue comparaît devant vous, vous pourrez également lui poser ce genre de questions.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Merci.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Mitchinson, souhaitez-vous intervenir?

M. Tom Mitchinson: Je n'ai rien à ajouter.

Une voix: Vous ne voulez pas de diplôme?

Des voix: Oh, oh.

[Français]

La présidente: Merci, madame Lalonde.

[Traduction]

Monsieur Lastewka.

M. Walt Lastewka: Merci, madame la présidente. Je serai très bref.

Avec l'adoption par le Canada du projet de loi C-54 et le fait que le Québec a sa propre loi—et j'espère que les autres provinces adopteront la leur rapidement—est-ce que le Canada se verra pénalisé, sachant qu'aux États-Unis on a opté pour des normes facultatives? Serait-ce un avantage concurrentiel pour le Canada? Ou serait-ce sans effet?

M. David Flaherty: Je considère le projet de loi C-54 comme un énorme avantage concurrentiel pour le Canada en matière de commerce électronique.

Il se trouve que je suis également historien des États-Unis. Mon premier ouvrage portait sur l'histoire de la vie privée aux États-Unis anciens, croyez-le ou non, et j'ai témoigné à plusieurs reprises dans les années 80 et au début des années 90 au Congrès américain sur les insuffisances de la protection fédérale de la vie privée aux États-Unis.

J'aime faire remarquer qu'aux États-Unis les données sur vos locations de vidéo sont protégées par la loi alors que votre dossier médical ne l'est pas, et qu'il n'y existe pas de commissaire à la protection de la vie privée. Maints États ont des lois de protection, mais personne n'est chargé de les appliquer.

J'ai salué le fait que l'Union européenne ait fait savoir cette semaine que cette attitude de laisser-faire américaine dite de «zone sûre», ne satisfait pas aux normes américaines. De fait, un plaisantin a même lancé «Pearl Harbour aussi était censé être une zone sûre». Cela souligne certaines des insuffisances de l'approche américaine.

• 1720

Je ne comprends pas pourquoi les États-Unis, qui ont inventé le droit constitutionnel à la vie privée dans les années 1870 et 1880 et où a été publié ce fameux article sur le droit à la vie privée, de Warren et Brandeis, dans le Harvard Law Review en 1890, ne se rallient pas au programme de protection et aux normes européennes.

En tant qu'historien, et bien que mes travaux aient porté sur les XVIIe et XVIIIe siècles, je ferai un commentaire du XXe siècle. Les États-Unis ont pris l'habitude de dominer le monde depuis les 50 dernières années. Je suis ravi, en tant que Canadien, que l'Union européenne ait maintenant acquis un poids suffisant pour dire, dans le domaine de la vie privée: «Nous voulons que l'Union européenne soit une nation de commerçants, mais nous voulons aussi une nation de commerçants très sensible aux droits de l'homme, y compris aux droits à la vie privée».

Je ne comprends réellement pas pourquoi le gouvernement américain ne saisit pas cela. Je peux vous dire que sur les choses dont nous discutons ici—et je me considère comme un érudit à cet égard—les spécialistes américains, qui sont au nombre de cinq ou six, sont officiellement intervenus auprès du Department of Commerce pour critiquer la notion de «zone sûre». Je ne pense pas que l'autoréglementation marchera. Je suis très heureux que l'Union européenne ait donné le stimulant, en particulier au Canada, d'agir dans ce domaine de la protection des droits de la personne.

La présidente: Je vous remercie, monsieur Lastewka.

Monsieur Flaherty et monsieur Mitchinson, je tiens à vous remercier tous deux d'être venus. Votre collègue, le professeur Bennett, a pris contact avec le greffier. Nous n'avons encore rien par écrit, mais nous prévoyons d'avoir cette réunion avec lui à une date ultérieure.

Je précise à l'intention des membres du comité que mardi après-midi nous entendrons les groupes de défense de l'intérêt public au sujet du projet de loi C-54. Le matin, nous aurons une dernière réunion sur l'an 2000, avec les municipalités, les centres de traitement des eaux usées et le conseil du commerce de détail.

Je signale en outre que nous poursuivrons nos audiences sur le projet de loi C-54 en février et peut-être même encore en mars, selon le nombre de témoins qui voudront comparaître. Nous avons l'intention d'examiner de très près ce projet de loi et d'entendre autant de témoins que nous le pourrons. J'espère que cela mettra les choses au clair: nous n'allons pas adopter ce projet de loi à la hâte.

Je remercie nos témoins et lève la séance.