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Merci à tous de nous accueillir aujourd'hui.
Nous représentons Small, un organisme qui travaille à la mise en valeur du patrimoine culturel des petites collectivités dans l'ensemble du pays. Notre travail consiste à étudier les biens des collectivités rurales, éloignées ou de petite taille, puis à collaborer avec le milieu communautaire pour mettre ces biens en valeur et ainsi favoriser l'essor des collectivités.
Nous examinons des stratégies de revitalisation, car ce sont souvent des collectivités confrontées à l'arrêt des activités d'exploitation des ressources ou à d'autres transformations. Elles traversent une période de transition nécessaire. Nous avons souvent constaté que les biens et les établissements culturels peuvent aider les collectivités dans leurs stratégies de transition et contribuer à la modernisation et à la revitalisation des communautés.
Nous sommes axés sur la création de carrefours culturels dans les petites collectivités. Aujourd'hui, j'aimerais présenter au Comité nos constatations et les pratiques exemplaires que nous avons observées dans de nombreuses collectivités. Nous voulions proposer une définition pratique de « carrefour culturel » qui élargit la perspective infrastructurelle ou qui traite des infrastructures d'un angle différent. Nous examinons donc les infrastructures dans une perspective plus globale plutôt que de nous limiter à l'infrastructure physique.
Aujourd'hui, nous traiterons de cinq aspects. Le premier est l'infrastructure physique. Vient ensuite l'idée que ces infrastructures comportent un aspect éducationnel. Le troisième aspect est celui des infrastructures sociales, soit les réseaux de soutien sous-jacents. Le quatrième est l'infrastructure opérationnelle, qui vise à assurer la pérennité de ces installations. Le dernier aspect est le marché, soit la promotion des produits culturels et l'accès des créateurs à un marché plus large.
Le premier aspect est l'infrastructure physique, un aspect des carrefours culturels que nous connaissons tous très bien, à mon avis. Ce sont les installations qui servent aux activités culturelles. Nous constatons que les collectivités rurales ou de petite taille ont beaucoup d'infrastructures physiques, qui sont actuellement sous-utilisées et qui pourraient être mises en valeur ou reconverties en installations culturelles.
On parle de choses comme les églises, les écoles et les centres communautaires. Prenons à titre d'exemple le Grand Theatre d'Indian Head, en Saskatchewan. Le théâtre a connu son lot de difficultés, puis la communauté a fait l'acquisition de l'édifice pour le reconvertir en centre culturel. Aujourd'hui, ce n'est plus seulement un théâtre; on y offre des programmes pour les écoles locales, ce qui favorise les rapprochements entre les gens des diverses communautés de la région. On a donc recyclé une infrastructure existante pour en faire le centre culturel que l'on connaît aujourd'hui. Ce n'est pas une nouvelle infrastructure; l'immeuble existait déjà.
Le deuxième aspect est l'infrastructure éducationnelle. Nous trouvons qu'il est important que ces carrefours offrent à la communauté des programmes axés sur les jeunes et les nouveaux arrivants. Une programmation plus vaste est offerte pour inciter les gens à participer aux activités culturelles. On s'éloigne de l'aspect physique pour miser véritablement sur l'innovation, ce qui permet d'appuyer les nouvelles entreprises, les entreprises culturelles qui ont des activités dans ces collectivités.
Prenons le centre Falls Brook, à Glassville, au Nouveau-Brunswick, comme exemple de programmation à vocation éducative. On y offre un vaste programme axé sur l'environnement et l'écologie. Le centre accueille des groupes d'élèves, des jeunes, qui acquièrent des connaissances, ce qui contribue à appuyer et à revitaliser la communauté.
Le troisième aspect est l'infrastructure sociale. Il s'agit d'établir des réseaux dans les collectivités, ce qui va encore une fois au-delà des infrastructures physiques. Les activités visent surtout à favoriser la participation des nouveaux arrivants dans les collectivités rurales, à attirer de nouveaux résidants et à retenir les jeunes — les résidants actuels — dans les collectivités rurales.
L'établissement de tels réseaux favorise le bénévolat et, subséquemment, la création de programmes de mentorat dans les collectivités. On parle encore une fois de programmes qui ne se limitent pas à l'aspect physique des carrefours culturels. Prenons comme exemple le Canadian Centre for Rural Creativity, un projet en cours à Blyth, en Ontario. L'un des principaux objectifs de ce centre — qui est un carrefour ou un établissement culturel pour la communauté — est la rétention des jeunes, un enjeu majeur dans cette collectivité actuellement. Beaucoup de jeunes quittent le comté de Huron, en Ontario. Le centre mettra notamment en place un programme de rétention des jeunes dans la communauté. Il s'agit d'une très petite communauté, et beaucoup d'autres communautés sont confrontées à ce problème.
Le quatrième aspect est l'infrastructure opérationnelle. Dans les petites collectivités, il arrive souvent qu'on parvienne à obtenir du financement ou des capitaux pour l'aménagement physique d'un carrefour culturel, mais que l'on peine à financer les activités. On constate que l'appui ou l'appui financier n'est pas le même pour la programmation culturelle que pour les installations physiques.
Lorsqu'on envisage la création de carrefours culturels dans les petites collectivités, il importe de tenir compte des perspectives d'avenir, de l'incidence des programmes dans l'avenir et des difficultés liées aux bâtiments, nouveaux ou convertis.
Prenons à titre d'exemple un projet mené à Chapleau, dans le Nord de l'Ontario. Il s'agit d'une ancienne église. On y trouve maintenant un restaurant; un petit marché a été aménagé au sous-sol pour les artisans. Les services offerts à la communauté sont maintenant très diversifiés. Toutefois, la nouvelle vocation de l'église a entraîné une hausse considérable des taxes municipales. Les églises sont habituellement exonérées de taxes, mais étant donné le changement de vocation, les taxes municipales sont maintenant très élevées, ce qui n'avait pas été prévu. Ces gens ont répondu aux besoins de la communauté en offrant un service, mais ils sont obligés de payer des taxes et ils devront exiger des frais à leurs usagers, ce qu'ils ne sont vraiment pas prêts à faire pour le moment.
Le dernier aspect dont nous voulons parler est l'infrastructure de marché. Souvent, dans les collectivités rurales ou de petite taille, et en particulier dans les collectivités éloignées, l'auditoire ou le marché ne suffit pas à assurer la pérennité d'un grand nombre d'activités culturelles ou d'entreprises culturelles. Nous constatons qu'il est nécessaire d'établir une infrastructure de marché favorisant l'établissement de liens entre les collectivités rurales et les centres urbains, ou entre les réseaux des petites collectivités. L'objectif est de les aider à accroître leur capacité de commercialisation, à augmenter leurs auditoires et à établir des relations avec des collectionneurs ou des collaborateurs. On s'éloigne encore une fois du concept habituel de carrefour culturel en établissant des liens entre des carrefours ou des établissements différents.
Dorset Fine Arts, à Toronto, est un exemple. Il s'agit de la division de la commercialisation de la West Baffin Eskimo Co-operative, de Cape Dorset. On parle donc d'un emplacement physique qui permet d'élargir le marché de la coopérative et de percer le marché de Toronto. Toutefois, le carrefour culturel, les activités de création et les artistes sont à Cape Dorset. On accroît simplement l'accès au marché, ce qui est très important.
Ce sont là les cinq formes d'infrastructure dont il convient de tenir compte, à notre avis, dans le cadre d'une étude sur les carrefours culturels. Soulignons qu'on s'éloigne encore une fois de la définition habituelle du terme « infrastructure ». Nous tenions à présenter ces exemples au Comité aujourd'hui pour que vous preniez connaissance des particularités du développement et de la revitalisation du secteur culturel dans les petites collectivités et les collectivités rurales.
Je vais m'arrêter ici.
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Je tiens à remercier le Comité de m'avoir invitée à parler des centres et des districts culturels. Je suis citoyenne de la ville de Windsor, j'ai été membre de nombreuses organisations sans but lucratif et j'ai mis sur pied le programme d'arts visuels et d'environnement bâti de l'Université de Windsor.
Au cours des 30 dernières années, la revitalisation d'anciennes villes industrielles comme Windsor, en Ontario, et la contribution des centres culturels dans la réingénierie des collectivités — dans le contexte de la revitalisation des centres-villes, de la protection des lieux historiques et du tourisme — ont fait l'objet de discussions continues. Nous avons pris conscience de l'importance de préserver le caractère distinctif du tissu urbain, de constituer une main-d'oeuvre pour l'industrie culturelle et d'attirer la classe créative. Or, malgré le discours théorique que l'on voit dans les études sur la planification urbaine, le développement économique et les arts, et la culture, la mise en oeuvre d'importantes initiatives municipales s'est avérée difficile. Les discours dépassent les capacités de nos collectivités de changer les choses. L'engouement pour les centres culturels est certes prometteur, mais la difficulté réside dans la planification stratégique des investissements publics et l'utilisation judicieuse des ressources.
Peu de villes de petite ou de moyenne taille ont l'expertise nécessaire pour composer avec les diverses structures administratives fédérales ou provinciales, ou pour collaborer avec diverses administrations pour l'élaboration de politiques culturelles efficaces. Reconnaissant leur manque de ressources pertinentes, les villes n'hésitent pas à retenir les services de sociétés d'experts-conseils en planification et en gestion pour la préparation de plans directeurs en matière de culture, dans le but d'établir des stratégies conformes aux attentes de la communauté. Ces plans préparés par des professionnels ont parfois permis de recueillir des observations et de générer des idées, mais ils ont aussi eu, dans certains cas, une incidence et utilité limitées.
Des cartes utiles sur les installations culturelles ou sur les emplacements possibles de districts culturels sont parfois produites, mais on néglige souvent leur mise à jour en raison des coûts et des efforts requis. Donc, leur utilité est éphémère. Les secteurs ciblés comme districts culturels sont considérés comme des pôles importants. Ils sont reconnus pour la diversité des installations et la polyvalence des commodités et services qu'on y trouve. Les districts culturels suscitent généralement un grand enthousiasme, mais les ressources continues nécessaires à l'appui des besoins et au suivi des résultats font souvent défaut.
Comme on le voit à Windsor, les publicités pour le centre-ville sont axées sur les principales institutions culturelles. La survie de ces organismes sans but lucratif dépend considérablement de l'appui de fondations établies, d'organismes subventionnaires municipaux, provinciaux et fédéraux, d'organisations philanthropiques dédiées aux arts et à la culture, ainsi que des recettes provenant des adhésions, des spectacles, des ventes d'oeuvres d'art et des activités communautaires. Ils subissent des pressions constantes liées au risque de réduction du financement des donateurs et des bailleurs de fonds et à la diminution des recettes, facteurs qui pourraient menacer leur pérennité.
Leur survie passe par la capacité d'innover et de savoir-faire plus avec moins, par exemple la réduction de la période des représentations, le recours aux collections permanentes, la modification des heures d'exploitation, le partage des coûts de production et des installations et, dans certains cas, la fusion des établissements. Cela ne pose pas nécessairement problème dans tous les cas, mais c'est certainement éprouvant et stressant.
On fait souvent valoir que les organismes subventionnaires centrent leurs efforts sur les organismes culturels publics importants, plutôt que sur les centres culturels communautaires plus modestes. L'enjeu, c'est que si on accorde une véritable importance à l'aménagement culturel, il convient alors de multiplier le nombre d'espaces modestes consacrés à la culture. Les centres d'artistes qui offrent une multitude de services et de possibilités peuvent contribuer à la revitalisation des centres-villes. Offrir aux artistes des lieux où ils peuvent travailler, produire des oeuvres, répéter, se rencontrer, apprendre et suivre du mentorat est un moyen rentable de contribuer à l'économie culturelle.
Ces centres jouent un rôle important, car ils encouragent l'innovation et la production, en plus de devenir des atouts dans les quartiers où ils se trouvent. Comprendre la dimension sociale de la production culturelle est essentiel si on veut favoriser le développement de centres culturels et l'émergence de districts culturels.
Les centres favorisent l'interaction, l'échange d'idées, la collaboration, la mise à l'essai et la fabrication de nouveaux produits. Les activités qui ont lieu dans ces centres ont un effet positif sur les usagers, effet qui peut ensuite se faire sentir dans les collectivités où les centres sont situés. L'établissement de relations informelles entre les usagers d'un centre pourrait encourager les résidants des quartiers avoisinants à participer et à renforcer ces nouveaux liens.
Jeudi dernier, l'Université de Windsor a procédé à l'ouverture officielle de l'École des arts créatifs à son campus du centre-ville. La Ville de Windsor a activement cherché à établir des partenariats avec l'université et le collège afin de trouver des solutions créatives pour revitaliser son centre-ville. Il convient de souligner que ce sont les arts et la culture qui ont vraiment rendu possible l'établissement de liens entre la ville et l'université. Le Centre des arts et le MediaPlex du Collège St. Clair, et maintenant l'École des arts créatifs de l'université, sont des catalyseurs potentiels pour de nouveaux projets de développement, mais ce n'est que la première étape dans tout processus de renouveau.
Les résidants et les entreprises des quartiers urbains à proximité des carrefours culturels nouvellement créés doivent pouvoir tirer parti des occasions qui y sont offertes. Pour ce faire, les établissements d'enseignement, les artistes, les intervenants du secteur culturel à but non lucratif et de la zone d'amélioration commerciale locale, les habitants du quartier et les dirigeants doivent saisir l'occasion qui leur est offerte et poursuivre les discussions sur le rôle des arts et de la culture en tant qu'élément essentiel de la vie communautaire.
Des universitaires, notamment Florida et Spencer, ont rédigé des articles sur la corrélation entre la taille de la population et l'indice de créativité et ont traité des avantages inhérents des grandes villes et des régions sur le plan du développement économique culturel. Toutefois, il est temps que les habitants des villes de petite à moyenne taille harmonisent les politiques relatives à l'utilisation des terres, le zonage, les codes du bâtiment et la planification des transports pour favoriser la création de nouvelles infrastructures culturelles.
Bon nombre des outils nécessaires à la création d'espaces réservés aux artistes sont répartis dans divers services municipaux, notamment les affaires culturelles, le service de planification et de construction de locaux, le service du développement économique, le service des parcs et loisirs, les conseils scolaires de district et les agences multiculturelles. Selon Markusen et Johnson, les administrations et agences locales doivent se détourner des méthodes traditionnelles pour faciliter la revitalisation urbaine fondée sur la culture. L'art et la culture doivent être simultanément présents dans diverses sphères de façon à remettre en question et à transcender les frontières traditionnelles et ainsi insuffler un souffle nouveau à la ville.
Comme vous le savez peut-être, Windsor a une frontière commune avec la ville de Detroit. Nous avons surveillé attentivement notre voisin américain. Certains considèrent comme des plus remarquables les importants projets d'acquisition, de rénovation et de mise à niveau au centre-ville de Detroit. La transformation du noyau urbain autrefois dévasté en corridor populaire favorable aux investissements immobiliers a valu à la ville une reconnaissance internationale et beaucoup d'éloges.
Par contre, d'autres estiment que les problèmes complexes qui ont miné la ville de Detroit n'ont pas disparu, mais ont simplement été déplacés ailleurs. On avance que même si la ségrégation raciale et ethnique commence à se résorber, la ségrégation économique est toujours un problème de taille. Il s'agit d'un facteur que la ville de Windsor ne peut se permettre d'ignorer.
Pour conclure, tout cela soulève la question suivante: est-ce un jeu à somme nulle? Cela signifie-t-il nécessairement que les centres de taille plus modeste sont en concurrence, en particulier sur le plan économique, avec les grands centres et les institutions? Pourquoi ne pas les considérer comme complémentaires? Ne pouvons-nous pas appuyer les arts de façon à encourager la création de synergies avantageuses à tous?
Merci.
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C'est une excellente question.
Small est un organisme sans but lucratif qui a vu le jour dans un cabinet d'architectes en conservation du patrimoine basé à Toronto, ERA Architects.
Dans leur travail, les architectes en conservation du patrimoine regardent souvent au-delà des murs des édifices du patrimoine, d'où l'accent placé sur le patrimoine culturel. Nous ne regardons pas seulement l'édifice; nous considérons l'utilisation qui en est faite, les souvenirs que les gens en ont et sa valeur dans les yeux de la collectivité.
Notre organisme sans but lucratif, Small, applique ce cadre de référence aux collectivités. En utilisant ce genre d'évaluation de la valeur du patrimoine culturel, nous cernons les valeurs des petites collectivités avec lesquelles nous travaillons et la manière dont elles veulent les faire ressortir. Nous nous penchons sur les racines de la collectivité, sur ses origines, puis nous tentons de comprendre comment la faire avancer.
Je le répète, nous travaillons avec beaucoup de collectivités qui sont en période de transition, qui perdent leurs ressources naturelles ou leur dépendance à celles-ci. Voilà le genre de travail de consultation que nous faisons.
En outre, nous faisons beaucoup de travail de consultation en collaboration avec les groupes communautaires. Par exemple, pour l'église de Chapleau dont j'ai parlé plus tôt, nous avons consulté la collectivité avec le groupe dans le but de comprendre ce qu'elle voulait et ce qui lui manquait, pour ensuite donner de nouvelles utilisations à l'édifice, de façon à ce qu'il réponde à certains besoins.
Nous travaillons actuellement avec plusieurs églises dans le Nord de l'Ontario qui se trouvent dans des situations semblables. Les congrégations et les populations s'amenuisent, mais les édifices ont une grande valeur symbolique pour les collectivités.
Nous cherchons à comprendre quelle peut être la prochaine étape dans la vie de ces édifices et comment ils peuvent répondre aux besoins de la collectivité, ce qui permet du même coup d'en prolonger l'utilisation culturelle. C'est pour cette raison que nous considérons l'idée des centres culturels: ces édifices pourraient-ils devenir des centres culturels?
Vous avez raison lorsque vous dites que nous ne dirigeons pas un édifice qui sert de centre culturel — ce n'est pas le rôle de la collectivité —, mais nous donnons une impulsion, nous attirons et nous essayons de soutenir ce type d'utilisation au sein de la collectivité, car nous y voyons une solution aux difficultés de transition qu'affrontent aujourd'hui de nombreuses petites collectivités.
Ma réponse vous aide-t-elle à comprendre la nature de Small?
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Oui. C'est une excellente question et un très bon point.
Oui, nous suivons l'initiative sur les carrefours communautaires de l'Ontario. Je pense qu'il y a un parallèle à faire avec les définitions que nous avons présentées aujourd'hui concernant la création de centres culturels holistiques.
Dans les carrefours communautaires, l'accent est souvent placé sur la santé communautaire et les programmes de ce genre. Dans les petites collectivités, les centres culturels qui fonctionnent sont ceux qui intègrent eux aussi l'ensemble de la collectivité et qui adoptent une approche holistique, en élargissant, je le répète, la définition du terme « culturel ».
Il y a beaucoup de chevauchement dans les petites collectivités, même parmi les gens. Les acteurs principaux jouent de nombreux rôles et partagent de nombreuses fonctions. Dans les carrefours communautaires, on voit donc souvent ce genre d'infrastructure humaine, où les gens assument des rôles divers.
Souvent, les personnes qui participent à ce que nous considérons comme des activités artistiques et culturelles sont aussi des bâtisseuses au sein de la collectivité, ou encore elles sont actives dans les secteurs de la santé, des services sociaux ou de l'éducation.
Relativement au chevauchement, je crois que vous avez raison: il y a un parallèle.
Je viens du centre-ville de Toronto, plus précisément de la circonscription de Davenport. C'était autrefois un secteur très industrialisé. Le quartier Junction Triangle s'y trouve également. Les artistes ont littéralement repensé et réinventé toute la collectivité. C'est uniquement grâce à eux si ce quartier est devenu le plus branché de tout le pays, et ils n'ont reçu aucun soutien de qui que ce soit.
Il y a quelques années, j'ai cofondé un groupe environnemental, et comme j'avais besoin d'inspiration, je me suis retrouvée à avoir un petit bureau au Centre de l'innovation sociale. J'y suis allée, car je voulais m'inspirer de gens qui tentaient d'innover et de réaliser de grandes choses.
Je trouve cette étude fort intéressante. D'un côté, il faut se pencher sur la façon dont le gouvernement fédéral peut contribuer à soutenir et à développer ces centres culturels. D'un autre côté, il faut se demander comment on peut laisser le champ libre aux artistes et aux groupes afin qu'ils puissent se réunir et faire ce qui est nécessaire pour leurs collectivités respectives.
Lorsque j'entends des gens parler de différents modèles dans différentes villes, je ne pense pas automatiquement qu'il faudrait reproduire ces modèles dans nos villes. Dans ma circonscription, il y a la Ligne verte qui est créée grâce aux corridors hydroélectriques. Je pense qu'on s'est inspiré de Brooklyn ou de New York, ou de quelque part d'autre, puis nous l'avons créé à notre façon.
Si vous prenez le Centre de l'innovation sociale, par exemple, ces gens-là ont été très créatifs quant à la façon d'amasser des fonds. Leur réussite vient du fait qu'ils continuent de tirer parti de la communauté qui a besoin d'eux, d'évoluer, d'exploiter les ressources à leur disposition et de repousser leurs limites.
D'une part, je veux être aussi utile que possible au niveau national, mais je veux également m'assurer de ne pas faire obstacle aux autres. Lorsqu'on parle de petites collectivités, il faut qu'il y ait suffisamment de gens dans ces collectivités qui s'en soucient réellement.
Dans ma circonscription, c'est le propriétaire de deux bars de danseuses qui a financé tous les artistes de la collectivité car il voulait avoir un beau quartier. On n'aurait jamais pensé que cette personne ferait cela. En fait, c'était un homme très catholique, et pas du tout le type de personne qu'on s'imaginait.
J'essaie de comprendre comment le gouvernement peut aider à créer ces conditions. Il y a peut-être certains mécanismes de financement qui sont à notre disposition et qui pourraient permettre une certaine souplesse. Par ailleurs, étant donné que les villes sont les créatures des provinces, en vertu de la Constitution, y a-t-il d'autres éléments dont il faudrait tenir compte de ce point de vue? Je voulais simplement vous mentionner ces idées et voir vos réactions. C'est ma situation à l'heure actuelle. Je veux être utile, mais je ne sais pas encore tout à fait comment l'être. Je ne suis pas sûre si vous avez quelque chose à dire là-dessus.
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Je suis ravie que vous ayez parlé du mouvement environnemental. Un grand nombre d'organismes de défense de l'environnement ou de la justice sociale comprennent le tableau d'ensemble, mais ils adoptent tous une approche différente. Dans certains cas, ils travaillent de concert, et dans d'autres cas, ils se concentrent sur un dossier qui leur tient à coeur.
Dans le domaine des arts et de la culture, particulièrement lorsqu'il n'y a pas de cohésion — c'est-à-dire lorsque tout le monde travaille individuellement —, il faut soutenir les gens et les amener à discuter, pas nécessairement dicter leurs décisions, mais leur offrir des possibilités de rassemblement et d'entraide.
Il y a une excellente émission diffusée sur les ondes de CBC qui s'appelle Still Standing et que j'écoute tout le temps. Tout le monde adopte une approche différente. Même au sein de l'Association des municipalités de l'Ontario, chaque ville se perçoit différemment. De notre côté, nous n'utilisons pas le modèle de Toronto, parce qu'il ne pourrait jamais s'appliquer à nous, jamais dans cent ans.
Je pense que le gouvernement peut aider à cet égard en donnant la possibilité aux groupes de se réunir et en leur accordant un soutien financier.
Si je puis me permettre une petite parenthèse, sachez qu'à Windsor, un homme, un artiste, a converti son garage en galerie d'art. Cela profite à toute la collectivité. Les gens viennent de l'extérieur. Il ne fait pas beaucoup d'argent, car mis à part le bouche-à-oreille, il ne fait pas de publicité.
La promotion et le soutien sont des éléments très importants. J'estime que le gouvernement peut trouver des moyens de favoriser ces initiatives.
Bien que je considère Toronto comme ma ville natale, j'habite maintenant à Vancouver, en Colombie-Britannique, où je travaille depuis trois ans au développement de l'espace communautaire de travail le plus vaste et le plus inclusif au Canada — soit le 312 Main, un immeuble de 105 000 pieds carrés appartenant à la ville de Vancouver, situé à l'intersection des rues Main et Cordova, au coeur du quartier Downtown Eastside. Il s'agit aussi de l'ancien quartier général du Service de police de Vancouver, et cet endroit était vacant depuis 2010.
L'immeuble lui-même est assez imposant — de style brutaliste, conçu à l'origine pour inspirer le pouvoir et la protection. Cependant, étant situé dans le quartier le plus pauvre de tout le Canada et à l'épicentre d'une crise des opioïdes, où la pauvreté extrême et l'itinérance sont très présentes, et étant visé par l'enquête en cours sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, de nombreux résidants du Downtown Eastside considéraient ce coin abandonné de la ville comme un capital symbolique négatif. Il y a environ cinq ans, la Vancity Community Foundation a proposé de revigorer le 312 Main et a conclu un accord de gestion de 30 ans avec la ville de Vancouver. En partenariat avec la Vancity Credit Union et la Jim Green Foundation, nous réinventons ce que cela signifie véritablement de « servir et protéger » dans le quartier Downtown Eastside.
Dans le cadre du processus visant à réaménager le 312 Main, on a tenu de vastes consultations auprès de plus de 300 résidants locaux, entreprises, groupes communautaires, experts, organisations autochtones, fournisseurs de services, employés municipaux et partenaires de programmation. On a ainsi créé un espace de travail communautaire, c'est-à-dire un centre culturel destiné à répondre aux besoins d'une population très diversifiée.
Ce qu'on nous a demandé le plus souvent, c'était d'avoir un espace de travail accessible et abordable ainsi qu'un lieu de rassemblement dans un marché immobilier difficile à Vancouver. On nous a aussi souvent demandé des toilettes publiques mixtes. Grâce à un prix abordable, une entrée accessible et des toilettes publiques au rez-de-chaussée, nous avons commencé à voir un changement au sein de la communauté. Les gens n'avaient pas l'habitude de pouvoir être entendus et participer directement au processus de création. Nous continuons donc d'inviter tout le monde à la table de planification. Ensemble, nous avons conçu un bâtiment destiné à servir tout le monde et nous favorisons l'engagement démocratique, la réconciliation et l'inclusion dans tout ce que nous faisons au 312 Main.
Pour ceux qui n'ont pas eu la chance de visiter notre site en construction, je vais vous décrire les locaux que nous rénovons et créons pour les artistes, les entrepreneurs, les résidants, les entreprises sociales et les petites entreprises.
Au rez-de-chaussée, nous avons environ 18 000 pieds carrés d'espace communautaire, y compris les toilettes publiques ainsi que les salles de réunion, de formation, d'exposition et de réception. L'espace de rassemblement principal est inspiré de la maison longue et est conçu pour que tous les membres de la communauté et leurs invités s'y sentent à l'aise.
L'espace est censé être poreux et inclusif. Notre objectif est d'en faire un espace adapté aux besoins des membres, des résidants, des enfants et des aînés, et d'offrir des possibilités d'emploi avec peu d'obstacles. Notre équipe responsable du rez-de-chaussée travaille en collaboration avec l'équipe de sécurité sensible aux traumatismes, les infirmiers praticiens locaux, les services de soutien technique et un cercle de grands-mères pour s'assurer que l'espace demeure accessible, sécuritaire et accueillant pour tous.
Le rez-de-chaussée abrite également le magazine Megaphone, qui appuie les vendeurs ambulants qui sont souvent confrontés à la pauvreté et l'itinérance, ainsi que notre café dirigé par East Van Roasters, une entreprise sociale locale qui donne une chance aux femmes en transition de réintégrer le marché du travail.
Les salles d'exposition et les multiples locaux peuvent accueillir toutes sortes d'événements communautaires, ce qui correspond à notre engagement important à l'égard des arts locaux et des programmes culturels. Au cours de notre première année, nous prévoyons organiser des expositions artistiques, des cercles de tambours, des cours de langues autochtones, des ateliers et des séminaires professionnels, des groupes de soutien communautaires, des séances de formation, des concerts, des représentations théâtrales ainsi que des chorales. Nous travaillons en partenariat avec des groupes tels que la Saint James Music Academy pour enseigner la musique aux enfants du quartier. Nous nous sommes également engagés à fournir un fonds de programmation communautaire pour que toutes les organisations puissent accéder aux installations à un tarif subventionné ou gratuitement.
On est en train de rénover le sous-sol pour fournir des studios de production et des ateliers de travail abordables aux artistes et artisans. Cet espace de travail communautaire comprend également un espace d'exposition, une salle de baladodiffusion, une station de radio locale, une bibliothèque d'outils et un accès à du matériel et des ressources partagées pour nos membres.
Aux deuxième et troisième étages du 312 Main, on y trouve un espace de cotravail plus traditionnel. Pour ceux qui ne connaissent pas le concept du cotravail, il s'agit d'un espace ou d'un bureau où plusieurs organisations ou individus indépendants travaillent à leurs propres projets ou initiatives, mais partagent l'espace, l'équipement, les ressources, le personnel et la technologie.
Lorsqu'on parle de cotravail au 312 Main, je dois préciser que nous parlons du mouvement et non pas du récent phénomène de l'industrie du cotravail. Dernièrement, l'industrie a reçu beaucoup d'attention, car beaucoup de gens se sont rendu compte que le modèle de cotravail pouvait générer des revenus importants et stables. En ce qui nous concerne, nous sommes d'avis qu'un véritable modèle de cotravail porte sur les avantages de la collaboration et d'un état d'esprit collectif. Nous considérons le cotravail comme une action et un modèle.
En tant que cofondatrice du mouvement, je vous dirais qu'après avoir aménagé et géré avec succès des espaces de travail partagés destinés à des artistes et des entrepreneurs à Toronto et à Seattle pendant 15 ans, et après avoir visité plus de 500 espaces de cotravail partout dans le monde, je me considère comme une experte en la matière. Faire valoir les avantages des modèles de cotravail que nous découvrons, créons et renforçons dans les carrefours entrepreneuriaux, créatifs et culturels à l'échelle du pays est devenu ma vocation.
Permettez-moi d'apporter une précision: il ne s'agit pas simplement de louer des bureaux et de fournir le WiFi et le café à nos membres. Cela n'a rien à voir avec l'espace de bureau; ce qui compte réellement, c'est le résultat obtenu lorsque nous travaillons en collaboration. Un véritable espace de cotravail a pour but d'encourager l'engagement communautaire et d'accélérer la sérendipité. Notre personnel dévoué accueille et aide les membres de la collectivité. Nous valorisons la collaboration plutôt que la concurrence.
Dans un véritable espace de cotravail, nous rendons l'entrepreneuriat accessible. Nous éliminons les obstacles et jetons des ponts entre les collectivités et les industries. Nous inspirons nos membres et nous leur donnons les moyens d'agir. Nous mettons en commun nos pratiques exemplaires et élargissons nos réseaux. Nous rassemblons les gens et nous luttons contre la solitude. Nous construisons et renforçons nos collectivités. Nous accélérons le développement économique. Nous protégeons les droits des pigistes. Nous augmentons la productivité et la capacité de toutes nos organisations membres. Nous assurons la pérennité des entreprises sociales et des petites entreprises. Nous favorisons la réconciliation, la diversité et l'inclusion. Ensemble, nous façonnons l'avenir du travail.
Au 312 Main, nos membres sont intentionnellement diversifiés. Nous fournissons des bureaux aux entreprises sociales, aux petites entreprises, aux collectifs d'artistes, aux travailleurs indépendants, aux professionnels de la création, aux pigistes et aux entrepreneurs établis. Notre force réside dans notre diversité, car nous avons tous des expériences et des connaissances uniques à partager. Aux quatrième, cinquième et sixième étages, on trouve des espaces de bureau pour les organisations plus grandes et mieux établies. Ces groupes maintiennent un espace de bureau privé tout en partageant des installations communes pour les réunions et les événements.
Le quatrième étage va également devenir un centre de guérison et de bien-être autochtone. Ce n'est pas une clinique traditionnelle; on n'utilise aucune pratique occidentale, mais plutôt des méthodes de guérison traditionnelles, dirigées par un collectif de fournisseurs de services autochtones et d'aînés. Nous aménageons également un espace tranquille pour la méditation ainsi qu'un jardin sur le toit pour permettre à la communauté d'accéder aux espaces verts ainsi qu'aux plantes et herbes nécessaires aux pratiques de guérison autochtones.
Nous sommes sur le point d'ouvrir la première phase au public — le sous-sol, le rez-de-chaussée et le deuxième étage — soit en juin 2018. Les troisième et quatrième étages devraient être accessibles en septembre prochain. Les cinquième et sixième étages, de même que le jardin sur le toit, devraient ouvrir en janvier 2019. Vous comprendrez que des rénovations de cette envergure sont très coûteuses. Il n'est pas évident de convertir une salle de tir, un centre d'appels d'urgence et des cellules de prison en un espace de guérison accueillant. À ce jour, nous avons eu la chance de recevoir un soutien financier de la part de VanCity, de la Vancity Community Foundation, de la Jim Green Foundation, de la Ville de Vancouver, de la Fondation R. Howard Webster et du ministère du Patrimoine canadien. Le 312 Main a reçu deux contributions importantes du Fonds du Canada pour les espaces culturels, et nous sommes extrêmement reconnaissants pour ce soutien. D'ailleurs, au nom de toute notre équipe et de nos futurs membres, je vous en remercie sincèrement.
Le soutien financier que nous avons reçu jusqu'ici a été consacré aux coûts d'immobilisations, et nous travaillons toujours à obtenir des fonds pour les phases finales de la construction, y compris le remplacement des fenêtres et des cellules de prison aux étages supérieurs, la construction du centre de guérison et de bien-être, de même que l'aménagement du jardin sur le toit. Nous demandons votre soutien continu et le soutien de vos collègues pour que nous puissions continuer de transformer ce capital symbolique négatif en un atout communautaire positif et répondre aux besoins de la population grâce à cette précieuse infrastructure consacrée aux arts et à la culture. Avec votre aide, nous espérons sensibiliser les gens aux impacts sociaux et économiques mesurables de la collaboration créative et du cotravail au sein des collectivités. Nous avons besoin d'appui à l'échelle provinciale et fédérale pour terminer notre travail au 312 Main.
Nos espaces de travail et centres culturels sont des points de contact facilement accessibles pour les citoyens engagés, les entreprises locales et les leaders communautaires. Ces modèles de collaboration aident les membres des collectivités du monde entier à prospérer, et les Canadiens sont des chefs de file dans ce domaine. Je vous encourage tous à continuer de soutenir des partenariats et des initiatives interdisciplinaires et collaboratifs qui renforcent des collectivités comme la nôtre ayant de multiples besoins et intérêts.
J'aimerais inviter tous ceux qui souhaitent en apprendre davantage sur le 312 Main et le cotravail en général à venir nous rencontrer à Vancouver et à visiter le site en construction.
Encore une fois, je vous remercie de m'avoir invitée à participer à cette séance.
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Le témoin s'exprime en inuktitut]
Merci, d'abord, de nous permettre de nous adresser à vous aujourd'hui.
Le Qaggiq est un centre des arts de la scène et d'apprentissage culturel inuit du Nunavut, que nous prévoyons inaugurer en 2019. Qaggiq est un terme traditionnel inuit désignant un magnifique iglou où les gens se rassemblent pour resserrer leurs liens culturels et célébrer la vie en chansons et en histoires. Qaggiavuut est un terme traditionnel inuit invitant les gens à se réunir dans le qaggiq qu'ils ont construit ensemble.
Fondée en 2008, Qaggiavuut est une société à but non lucratif qui s'emploie à promouvoir le mieux-être, la culture et la langue des Inuits au Nunavut en offrant des possibilités de formation et de développement aux artistes de spectacle. Qaggiavuut a remporté le Prix Inspiration Arctique pour sa stratégie qaggiq, axée sur la formation des artistes de spectacle et les productions en arts d'interprétation vouées aux jeunes au Nunavut.
Depuis 2016, nous avons soutenu plus de 300 artistes de spectacle inuits et offert des représentations artistiques à plus de 5 000 enfants et jeunes du Nunavut. Nous aidons les artistes et les techniciens à créer des oeuvres contemporaines dans les domaines de la musique, du théâtre, de la danse, du film et des nouveaux médias, et encourageons la perpétuation et l'enseignement des arts d'interprétation traditionnels inuits. Les histoires et les chants sont des témoins de l'histoire et la clé qui permet de renforcer une culture et une langue menacées. Bien des formes d'art d'interprétation inuites ont été perdues au cours du dernier siècle en raison de la colonisation. Aujourd’hui, le travail de revitalisation de ces arts suscite un sentiment d’appartenance chez les jeunes. Qaggiavuut est dirigée par des bénévoles et réunit des fonds pour présenter des programmes d'art d'interprétation au Nunavut.
Qaggiavuut réclame un espace pour les arts d’interprétation inuits depuis 10 ans. L'an dernier, à la fête du Canada, nous avons commencé à faire des représentations auprès des gouvernements, à recueillir des fonds, à mener de vastes consultations et à planifier le centre des arts de la scène et d’apprentissage culturel inuit, Qaggiq.
Les carrefours culturels sont un excellent moyen de concentrer les ressources et de réunir diverses disciplines afin de renforcer le secteur de la création. Qaggiavuut s’intéresse aux moyens par lesquels un carrefour des arts peut contribuer à soutenir la langue et la culture inuites par les arts d’interprétation ainsi que leurs aspects techniques et administratifs. Nous croyons que ce sont les trois piliers d’un carrefour créatif au Nunavut, où la vaste majorité des artistes et plus de 80 % de la population sont inuits.
Un centre créatif au Nunavut doit: de un, faire participer les artistes inuits à tous les aspects de l’activité et être sensible à leurs besoins; de deux, promouvoir et renforcer la langue et la culture inuites par la formation et les prestations artistiques; et de trois, permettre une collaboration interdisciplinaire entre les artistes et les aspects techniques et administratifs des arts d’interprétation et d’autres secteurs, y compris celui des entreprises, des arts visuels et médiatiques, des aînés et des éducateurs.
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Bonjour. Je m'appelle Ellen, de la Qaggiavuut. Vous venez d'entendre Vinnie. Vinnie est notre président, en passant.
Je veux simplement souligner que le Qaggiq n'est encore qu'un projet que nous défendons.
Ce terme traditionnel inuit représente bien, à mon avis, ce dont vous parlez: un centre où des gens aux origines diverses peuvent se réunir et célébrer la vie par les histoires et les chansons, et c'est en fait notre histoire. Notre langue se transmet par la musique et les histoires. C'est la fibre de l'humanité, et au Nunavut, les artistes du spectacle n'ont pas d'espace pour se produire en ce moment.
Notre vision de Qaggiq est celle d’un carrefour de la culture inuite pour l'Inuit Nunangat, le Canada et le monde circumpolaire, qui offre des possibilités de formation et de développement aux artistes, des programmes d’éducation culturelle aux jeunes ainsi qu’un espace pour les performances de professionnels inuits des arts d’interprétation. Les objectifs de Qaggiq complètent les efforts du gouvernement pour reconnaître et renforcer la culture inuite et régler les problèmes de stabilité des collectivités, en particulier chez les jeunes.
Qaggiq est une superbe occasion d’instaurer une industrie des arts d’interprétation au Nunavut et d’offrir une éducation supérieure dans ce domaine, y compris dans les dimensions culturelles, visuelles et techniques des arts — l'éclairage, la sonorisation, l'enregistrement et la conception numérique. Les arts d’interprétation sont le meilleur moyen de renforcer une langue. Qaggiq est un centre où les artistes inuits pourront travailler en collaboration, se développer et retourner dans leur collectivité pour soutenir la culture et la langue au moyen de l’expression artistique.
Avec Qaggiq, nous aspirons à consolider le monde des arts d'interprétation au Nunavut. Nous voulons que des artistes de tout le Nunavut viennent y profiter des possibilités de formation et de performance qui leur permettront de parfaire leurs habiletés, de créer des oeuvres, de faire avancer leur carrière et d'obtenir un emploi dans le domaine artistique.
Pour ce qui est de la programmation pour les jeunes, des études montrent que les arts d'interprétation sont le moyen le plus efficace de susciter un sentiment d'appartenance chez les jeunes. Qaggiq offrirait une éducation et une formation dans les arts d'interprétation inuits aux enfants et aux jeunes du Nunavut. Peut-être qu'ils pourraient venir au centre pour apprendre les arts d'interprétation inuits — par la musique, la danse du tambour et la narration — de la même façon que les enfants vont à Iqaluit pour jouer au hockey ou au badminton.
En ce qui a trait à la prévention du suicide et des risques, un récent rapport du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, intitulé Point de rupture, établit des liens directs entre la prévention du suicide, le développement de la langue autochtone et la formation artistique. Le Comité recommande que les collectivités exercent un contrôle sur les arts et la culture, l’infrastructure culturelle et l’enseignement des langues autochtones aux jeunes. Qaggiq permettrait d'assurer ces trois éléments.
Selon des études menées par Inuit Tapiriit Kanatami, la santé mentale est l’enjeu prioritaire en matière de santé pour les Inuits. L’effritement de la culture et le manque de reconnaissance sont des facteurs qui interviennent dans les problèmes de santé mentale. Les recherches montrent que la participation à des arts d’interprétation contribue considérablement au mieux-être et à une bonne santé mentale. Qaggiq serait un carrefour pour la créativité, l'inspiration et l'expression.
Qaggiq renforcera la culture et la langue inuites par la formation d’artistes inuits et des programmes de prestations d’artistes inuits pour les enfants et les jeunes. C'est un grand problème à l'heure actuelle au Nunavut, car la plupart de nos enfants finissent leurs études sans jamais avoir eu d'enseignant inuit ni avoir pu apprendre dans leur langue, ou rarement.
Des postes de mentorat et de formation pour les Inuits sont prévus pour tout le projet, de la construction de l’immeuble à la maîtrise des techniques d'éclairage et de sonorisation.
Quant aux études postsecondaires et supérieures, nous voulons d'un espace qui permettra d'atteindre ce niveau académique grâce à la langue.
Je vais maintenant céder la parole à Laakkuluk.
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J'aimerais insister sur le fait que nous créons quelque chose d'inédit. C'est merveilleux d'entendre parler des projets qui visent à restaurer des immeubles un peu partout au pays, comme ceux qu'on vient de nous présenter. Nous n'avons rien, alors nous faisons ce que nous avons à faire dans des petits salons et des garages du Nunavut, dans l'Arctique.
Au titre de la collaboration intersectorielle, Qaggiq fournit les lieux physiques nécessaires aux artistes de spectacle, un espace grandement nécessaire pour l’exposition d’arts visuels ainsi qu’une salle de projection de films d’artistes inuits, du Nunavut et des régions circumpolaires. Qaggiq comportera aussi une cuisine pour l’enseignement des arts culinaires et son atrium se transformera en marché intérieur de nourriture du pays — viande de phoque, de caribou, etc. — et d’artisanat, en plus de la présentation d'ateliers sur les habiletés culturelles, comme la couture de peaux et la fabrication d'outils de chasse. Pour la diffusion aux collectivités du Nunavut, Qaggiq possédera des technologies numériques avancées de diffusion en continu et de retransmission en direct de performances et de classes de maître dans les collectivités arctiques et le monde entier. En cette ère du numérique, il est essentiel que les fournisseurs d’accès Internet permettent la diffusion de contenu inuit pour compenser le flux d’émissions de divertissement principalement anglophones. Nous devons pouvoir entendre notre langue afin de pouvoir l'utiliser.
Au sujet de la collaboration interdisciplinaire, de nombreuses disciplines sont réunies sous les arts d'interprétation, tant traditionnels que contemporains, comme la musique, le théâtre, la danse, l'acrobatie, le film et les nouveaux médias. Qaggiq offre aux artistes de différents arts du spectacle et des médias de travailler ensemble, y compris les Nunavummiuts désireux d’étudier et de travailler dans les domaines techniques des arts — éclairage, sonorisation, enregistrement, montage vidéo, prise de vue, conception numérique et projection — et la gestion des arts, la régie de plateau, la conception et la construction scéniques, la conception des costumes et du maquillage, la direction, la rédaction et la production.
En ce qui a trait au tourisme, en tant que principal carrefour des arts d’interprétation inuits du Canada, Qaggiq sera une destination pour le tourisme inuit et culturel. Qaggiq est un lieu physique permettant les échanges culturels entre les artistes, la collectivité et les visiteurs.
Quant aux retombées économiques et aux exportations culturelles, Qaggiq permettra au Nunavut de devenir une destination culturelle internationale incontournable, tout en constituant un apport important à l’industrie artistique de 54,6 milliards en créant des emplois de grande valeur. Qaggiq crée des débouchés économiques pour les artistes et les techniciens et les gestionnaires du secteur des arts.
Le modèle des carrefours est le plus efficace lorsque les carrefours interagissent, notamment par des partenariats, des collaborations et des alliances intersectorielles. En renforçant leur secteur, les carrefours sont mieux en mesure de partager leurs connaissances avec d’autres secteurs, y compris d'autres carrefours du secteur culturel, par exemple dans le domaine patrimonial, des arts visuels, du film et des nouveaux médias; de même que des secteurs autres qu'artistiques, comme les entreprises, le secteur gouvernemental, l'environnement, la justice sociale et la technologie. Qaggiq appuiera les artistes de spectacle et les techniciens inuits afin de leur permettre de travailler et de collaborer avec d’autres secteurs.
Notre proposition s'appuie sur le fait que la population du Nunavut est la seule au Canada à ne pas avoir d'espace voué aux arts d'interprétation. Sans cet espace, les artistes de spectacle inuits ne peuvent pas collaborer, créer, apprendre, enseigner ni présenter leurs oeuvres. Un carrefour interdisciplinaire répondant aux besoins des artistes permettra à ces derniers de parfaire leur art et de promouvoir leur culture et leur langue, et d'établir de solides partenariats avec d'autres secteurs de la société canadienne.
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La coopérative Méduse est née en 1993 d'une volonté commune de plusieurs organismes oeuvrant en arts actuels de se doter d'un bâtiment conjoint pour pallier des conditions de pratique artistique précaires. Mentionnons que le projet a débuté en 1989 lors de la réalisation d'un événement regroupant plusieurs des membres fondateurs de Méduse et portant sur le 150
e anniversaire de la photographie.
En 1995 a eu lieu l'inauguration du bâtiment. Le choix du statut juridique n'a pas été facile, mais le modèle coopératif l'a emporté, ce qui a permis de doter chaque organisme d'une voix. De fait, pour être membre de Méduse, l'organisme artistique, culturel ou communautaire doit participer à la vie coopérative et compléter l'offre en place en complémentarité des mandats. L'idée de base est de fournir aux artistes professionnels en arts actuels des expertises, des services et des équipements différents au sein d'un même milieu.
La majorité des organismes offrent un soutien à la recherche, à la production et à la diffusion. Comme nous l'avons vu, il peut s'agir d'estampe, de photographie, de vidéo, de bois, de métal, de son, de numérique ou d'arts multidisciplinaires. D'autres se spécialisent dans un champ particulier. C'est le cas de mon organisme, Manif d'art, qui se dédie à la diffusion.
La coopérative, au-delà de la gestion du lieu, a pour objectif d'assurer un rayonnement local, national et international. En plus de pouvoir travailler sur place, les artistes peuvent résider dans l'un des cinq studios de la coopérative pour de courts ou moyens séjours, ou encore y diffuser leurs productions. Quant aux deux salles de spectacle, elles permettent d'offrir à tous les publics, et dans tous les champs artistiques, qu'il s'agisse de musique, de théâtre, de danse, d'art contemporain ou de cinéma, des programmations annuelles de grande qualité. La gestion des salles est depuis plusieurs années assurée par l'un des organismes membres de la coopérative. Les galeries, au nombre de sept, proposent quant à elles une programmation annuelle regroupant tous les aspects de l'art actuel. Comme nous l'avons vu, cela comprend la photographie, l'installation, la vidéo, et j'en passe. L'ensemble des activités de la coopérative touchent près de 100 000 personnes. La vidéo que nous vous avons présentée date de quelques années; aujourd'hui, c'est 100 000 personnes qui viennent nous visiter chaque année, et nous en sommes très fiers.
Tous les organismes membres de Méduse sont reconnus et soutenus par les différents paliers de gouvernement pour la qualité de leurs propositions. Toutefois, au-delà de la qualité de l'offre culturelle, il faut prendre en considération les réalités financières et humaines des organismes membres si l'on veut développer l'infrastructure et accroître les retombées.
Or ce développement ne peut pas passer par le financement privé, car celui-ci est difficile à obtenir et surtout à pérenniser. Prenons l'exemple de la ville de Québec, où le nombre de personnes ou d'entreprises citoyennes est limité et où la concurrence est féroce. Les investissements privés des entreprises sont majoritairement dirigés vers les institutions des arts de la scène ou vers des événements très populaires, comme le Festival d'été de Québec ou le Carnaval de Québec, et en fonction de leurs stratégies de marketing, donc selon le bon vouloir des directions en place.
Soulignons que notre renommée s'est bâtie sur notre capacité à travailler ensemble et avec les autres. Pour les membres de Méduse, la collaboration et la mutualisation sont des réflexes. De fait, en cohérence avec les mandats et les besoins multidisciplinaires des artistes, des partenariats sont régulièrement établis avec les secteurs privé, scolaire et communautaire.
En tant que membre de Méduse, mais également administrateur et artiste, je ne peux que conclure en disant que notre centre apporte autant aux artistes qu'à la ville de Québec une infrastructure culturelle d'une grande qualité. Méduse a permis aux artistes de vivre de leurs productions, tout en leur permettant de demeurer à Québec. Citons notamment BGL, qui a participé à la Biennale de Venise, Diane Landry, qui connaît une carrière internationale, ainsi que Giorgia Volpe. Méduse a aussi fait naître deux événements internationaux: le Mois Multi, en arts multidisciplinaires, et Manif d'art, la biennale de Québec, dont je suis porte-parole et qui génère une importante notoriété. Finalement, des ententes d'accueil de résidence artistique avec l'Europe soulignent annuellement la collaboration de Méduse sur le plan international.
Nous avons hâte de franchir l'étape suivante.
Je laisse maintenant la parole à notre directrice générale.
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Comme M. Bélanger le mentionnait un peu plus tôt, les membres de Méduse sont extrêmement dynamiques et impliqués. Ils ont d'ailleurs tous une voix au conseil d'administration et investissent de leur temps dans l'orientation de la coopérative. Tout récemment, les membres, le conseil d'administration et moi-même avons mis la dernière main à une planification stratégique qui a duré plus d'un an et établi une nouvelle mission et une nouvelle vision pour la coopérative.
Pour tous, il va de soi que Méduse est un modèle et qu'elle doit le rester, mais pour cela, il faut permettre à l'hyperstructure de se déployer pour grandir. La vision est donc claire, les besoins sont définis et les projets sont réalistement grands. Le financement, quant à lui, est insuffisant. Même si la coopérative arrive à fonctionner à 80 % grâce à ses propres fonds, elle fait face à des obligations financières importantes liées principalement — et j'insiste vraiment là-dessus — à l'entretien du bâtiment, à son aménagement, à son attractivité et à sa visibilité. Sans un bail emphytéotique de 20 ans avec la Ville de Québec, une exemption de taxes municipales et l'apport de ses locataires, le centre ne pourrait pas être financièrement viable.
La précarité financière de certains locataires et la solidarité coopérative nous poussent à réfléchir rapidement à d'autres avenues pour que nous puissions permettre à nos membres de conserver un loyer abordable et leur offrir un lieu stimulant et adéquat pour le déploiement de leurs savoir-faire.
Dans le mémoire que nous avons soumis, nous indiquons que les délais de réalisation de projets liés au maintien des actifs sont de plus de cinq ans, selon les paramètres des programmes gouvernementaux. Je parle ici du programme d'aide aux immobilisations du Québec et du Fonds du Canada pour les espaces culturels.
Notre première et principale recommandation serait donc de doter les centres culturels d'une aide financière annuelle pérenne pour pallier cette longue attente et la détérioration des infrastructures. Si je prends l'exemple de Méduse et de sa demande actuelle de financement de 2 millions de dollars qui est en attente de confirmation de la part de Patrimoine canadien, il serait plus avantageux de recevoir un financement annuel plutôt qu'une subvention ponctuelle une fois tous les cinq ou dix ans. Cela permettrait un maintien plus proactif et possiblement moins coûteux de l'actif, tout en créant une offre culturelle récurrente et un rayonnement permanent. Le rendement de cet investissement du gouvernement fédéral n'en serait que plus bénéfique et les retombées nationales et internationales, plus fortes.
Notre deuxième recommandation, qui est liée à la précédente, serait de créer une appellation « centre culturel canadien » afin de doter le pays d'un réseau fort de création et de diffusion des arts et de la culture. Dans notre mémoire, nous faisons d'ailleurs référence au modèle français des centres d'art contemporain. En créant une appellation de cet ordre...