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Mesdames et messieurs les membres du Comité, bonjour. Je vous remercie de votre invitation à venir témoigner sur ce sujet important. Je suis honorée de me trouver ici et de vous faire part de mes réflexions.
Il serait utile que je me décrive un peu. Je suis originaire des États-Unis et j'ai obtenu mon baccalauréat en histoire de l'art à l'Université Columbia, à New York, puis ma maîtrise, dans le même domaine, à l'Institute of Fine Arts de l'Université de New York. Depuis plus de 20 ans, je travaille dans les arts visuels, à New York et à Toronto. Je suis arrivée à Art Toronto en 2010 et j'en suis devenue la directrice en 2014.
Fondé en 2000, Art Toronto est l'unique salon international d'art moderne et contemporain au Canada. Si on compte plus de 300 salons commerciaux d'art dans le monde et des dizaines aux États-Unis, le Canada n'en possède qu'un. D'une durée de cinq jours, s'adressant aux consommateurs et se déroulant au Palais des congrès du Toronto métropolitain, Art Toronto est la plus grande et la plus importante des manifestations annuelles consacrées aux arts visuels au Canada. C'est devenu un lieu de rencontre et une manifestation de réseautage incontournables pour les professionnels de l'art de tout le pays.
Le salon réunit une centaine de galeries canadiennes et internationales d'art moderne et contemporain ainsi que des stands pour les musées d'art et d'autres espaces artistiques sans but lucratif, les périodiques d'art et les projets organisés et préparés. Un programme de discussions et de visites animées par des personnalités éminentes du monde de l'art coïncide avec lui.
En 2017, plus de 23 000 collectionneurs d'art, professionnels de l'art et amateurs d'art l'ont visité et ont injecté plus de 10 millions de dollars dans l'économie des arts à la faveur de ventes d'oeuvres d'art, en sus des montants dépensés par les touristes dans la ville au cours de ces cinq jours. Sa soirée inaugurale permet le financement du Musée des beaux-arts de l'Ontario, grâce à l'obtention, annuellement, de près de 400 000 $ pour les expositions et les programmes du musée.
Art Toronto est la propriété de la multinationale Informa, dont le siège est au Royaume-Uni et dont les 7 500 employés sont dispersés dans le monde entier. C'est une entreprise de pointe dans les secteurs de la veille stratégique, de l'édition universitaire, du savoir et de l'organisation d'événements.
Pour me préparer à mon témoignage sur la parité dans les conseils d'administration des institutions culturelles canadiennes et chez les chefs de file artistiques du Canada, je me suis renseignée sur les politiques et programmes d'embauche qu'Informa a instaurés pour atteindre ses objectifs de diversité chez ses employés. J'ai appris avec plaisir que 56 % des employés de l'entreprise étaient des femmes, mais le taux, dans les groupes de direction de hauts niveaux, descend à 27 % et touche même le plancher de 22 % chez les directeurs au plus haut niveau. Le taux de directrices, dans les bureaux canadiens d'Informa, est cependant plus élevé.
On peut observer une tendance semblable dans les musées d'art américains et canadiens. En 2018, cependant, je ne crois pas qu'on puisse se contenter de la parité dans ces institutions et dans le secteur des arts au Canada, sans aussi englober la diversité ethnique.
Les États-Unis et le Canada se distinguent notamment l'un de l'autre par la parité dans les postes de directeurs des musées en fonction de l'importance des budgets de fonctionnement de ces établissements. La majorité des musées dont le budget est inférieur à 15 millions de dollars ont une directrice, et c'est le contraire dans les musées dont le budget est supérieur. La représentation des directrices est inversement proportionnelle à l'importance du budget.
Dans une étude publiée par le magazine Canadian Art, en avril 2017, intitulée « Hard Numbers: A Study on Diversity in Canada's Galleries », on constate non seulement un écart entre les sexes mais aussi dans les tranches démographiques du personnel des musées en fonction du titre de l'emploi. Alors que les postes de directeur au sommet sont plutôt occupés par des hommes, l'étude constate que les minorités visibles et les peuples autochtones sont gravement sous-représentés à tous les niveaux de l'administration des musées, notamment chez les conservateurs et les directeurs.
Si ces chiffres exercent divers effets dans l'ensemble de l'organisation, l'effet est peut-être des plus évidents dans la ventilation des expositions solos présentées dans ces établissements selon le sexe et l'ethnie de l'artiste. Un rapport publié en 2015 par le même magazine, Canadian Art) a porté sur ces expositions, de 2013 à 2015 dans un établissement majeur par province et au Musée des beaux-arts du Canada, en s'arrêtant au sexe et à la race des artistes vivants. La moyenne nationale établie par cette étude a révélé que 56 % de ces expositions avaient été accordés à des Blancs, 33 % à des Blanches, 8 % à des Non-Blancs et 3 % à des Non-Blanches. C'est donc dire que ce qui se produit au sommet influe sur ce que les visiteurs voient et éprouvent dans ces établissements.
Informa a instauré de nouveaux programmes à la grandeur de l'entreprise, ces dernières années, pour améliorer la parité dans la haute direction et augmenter la diversité dans l'ensemble de l'entreprise. On pourrait transposer certaines de ces initiatives dans des établissements culturels canadiens et dans leurs conseils d'administration.
Il y a plusieurs années, Informa a créé un programme de bourses d'études supérieures et un programme de formation pendant l'apprentissage ainsi qu'un programme de développement du leadership pour accroître les compétences professionnelles en leadership, favoriser le réseautage et la collaboration et favoriser la planification de la relève, toutes des activités essentielles dans toute institution.
Je pense que ce dernier point sur le leadership, le mentorat et la planification de la relève est essentiel à la formation de futurs dirigeants dans le secteur artistique canadien, qui seront représentatifs de la diversité et de la pluralité de la population canadienne au XXIe siècle et des communautés pour le service desquelles ces institutions existent. Le manque de ressources affectées à la formation au leadership qui a sévi jusqu'ici au Canada a notamment servi à expliquer pourquoi beaucoup de directeurs généraux embauchés récemment au Canada et plus précisément à Toronto, notamment au Musée des beaux-arts de l'Ontario, au Musée royal de l'Ontario et à la galerie McMichael, étaient tous des étrangers.
Je connais deux excellents programmes de formation au leadership qui, à l'instar de ceux d'Informa, peuvent être considérés comme des exemples et des occasions à saisir par les Canadiens. Le Clore Leadership Programme, au Royaume-Uni, favorise la croissance professionnelle du personnel des musées, tandis que, aux États-Unis, le Getty Leadership Institute aide les dirigeants de haut niveau des musées et du milieu de la culture de partout dans le monde à devenir de meilleurs chefs, l'objectif étant de renforcer les capacités de leurs propres institutions tout en faisant la promotion du secteur muséal international.
On peut notamment se réjouir de l'offre de nouveaux programmes de leadership au Canada, notamment au centre Banff, au Conseil des ressources humaines du secteur culturel et par l'entremise du Monde des affaires pour les arts. C'est un début, mais il faut plus pour faire bénéficier des ressources de la formation au leadership plus de candidats du secteur culturel et rejoindre particulièrement les femmes, les Autochtones et les minorités visibles.
Les ressources fédérales pourraient aider à renforcer ces programmes, et le gouvernement pourrait collaborer avec d'autres partenaires pour multiplier les occasions à saisir, par exemple, avec des institutions partenaires de tout le Canada comme le Remai Modern, l'Université Ryerson, le Musée des beaux-arts et Les Salles, à élaboration d'un programme canadien de leadership dont les candidats, à chacun de ces endroits, se réuniraient annuellement pour un sommet sur le leadership, en ayant l'occasion de présenter des idées, de les mettre en commun et de rencontrer des chefs de file nationaux et internationaux du secteur des arts. Ces programmes pourraient être élaborés de manière à cibler précisément les femmes et divers candidats représentatifs de la population canadienne et ils pourraient créer une nouvelle génération de dirigeants canadiens dans le secteur des arts et de la culture.
On m'a aussi demandé de faire part de mes réflexions sur la parité dans les conseils d'administration des institutions d'arts visuels. Il faut se réjouir d'y constater une majorité de femmes, bien que, encore une fois, les minorités visibles et les Autochtones y soient très sous-représentés. Il faut que ça change.
En plus de mon travail à Art Toronto, je suis aussi membre fondatrice du conseil d'administration de la Toronto Biennial of Art, une nouvelle manifestation artistique présentée en plusieurs endroits, qu'on devrait lancer en 2019. Dans le recrutement des administrateurs, nous nous sommes donné la tâche d'obtenir un conseil d'administration diversifié, talentueux et passionné pour les arts, conformément aux valeurs centrales de notre organisation.
Compte tenu des modalités éventuelles de la collaboration fédérale avec des partenaires pour diversifier ces conseils d'administration, je pense que son action pourrait être des plus efficaces par le processus de demande de subventions. Le Conseil des arts du Canada a récemment actualisé ses politiques de financement en insistant davantage sur la diversité comme critère de financement. Dans le même esprit, on pourrait privilégier les organismes de charité ou les organismes sans but lucratif qui travaillent à améliorer la diversité de leur représentation. Ces organismes pourraient être admissibles à un appui plus généreux de leurs projets, ce qui pourrait, à son tour, les amener à diversifier les rôles des conseils d'administration. Ils encourageraient ainsi la participation d'une gamme plus large d'administrateurs potentiels.
Merci de votre invitation.
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Bonjour, tout le monde.
Merci de m'avoir invitée ce matin.
Comme tout bon professeur, j'ai préparé une présentation PowerPoint.
Je ne suis pas du tout une spécialiste des arts. C'est ce que j'ai dit aux personnes qui m'ont invitée. Par contre, je me suis beaucoup penchée sur la question de la présence des femmes dans les conseils d'administration et de leur incidence sur ceux-ci, principalement au Québec, dans divers secteurs d'activité tant du secteur public que du secteur privé. Aujourd'hui, je souhaite vous entretenir des leçons apprises à la suite de ces projets de recherche. Comme tout bon professeur, j'en aurais pour deux ou trois heures, mais je vais essayer de me limiter à 10 minutes. Comme vous pouvez le voir, à la fin de ma présentation, j'ai ajouté la liste des publications. Nous avons publié quatre ou cinq rapports sur ce sujet. Donc, il y aurait beaucoup de choses à dire.
J'ai essayé de répondre aux quatre questions qu'on m'a posées.
Tout d'abord, la parité entre les sexes est-elle un enjeu dans les organisations, les conseils d'administration et la haute direction? La réponse est oui. Je ne veux pas vous donner des chiffres ce matin, parce que je pense que tout le monde les a déjà. On sait que le pourcentage de femmes qui siègent aux conseils d'administration est d'environ 20 %. C'est un peu le même chiffre en ce qui concerne les conseils d'administration de grandes sociétés cotées en bourse.
Dans le gouvernement du Québec, ce pourcentage a augmenté parce qu'il a adopté une loi à cet effet et établi un quota il y a quelques années.
Bref, c'est un enjeu persistant, malgré le fait qu'il y a une présence majoritaire de femmes dans les universités et les collèges.
Ce que je veux vous dire ce matin, c'est que ce n'est pas un problème de bassin de compétences. Je suis convaincue que toutes les compétences existent, principalement dans le domaine des arts. Il y a un problème de bassin de compétences dans le secteur des sciences et du génie, car moins de femmes font des études dans ce domaine, et cela représente un enjeu. Dans tous les autres domaines, cependant, par exemple la médecine, le droit et l'administration, les femmes sont présentes et elles sont compétentes, même si on entend dire qu'on ne trouve pas toujours de femmes pour occuper certains postes.
Il y a aussi une perception selon laquelle l'égalité est atteinte dans les secteurs féminisés. Les gens me demandent d'ailleurs pourquoi je travaille là-dessus, puisqu'il y a plein de femmes dans les arts, les bureaux d'avocats, les hôpitaux. C'est vrai, mais elles ne sont pas représentées suffisamment dans les postes de décision. Vous savez comme moi qu'il y a encore des iniquités salariales importantes, et ce, pour toutes sortes de raisons dont on pourra reparler. Il y a encore beaucoup de choses à faire à cet égard. Oui, on a l'impression que la parité existe, mais dans les faits, ce n'est pas encore le cas.
Quand je rencontre des présidents, des présidentes ou des membres de conseils d'administration, ils disent tous être en faveur de l'égalité et de la diversité. Le discours, c'est très intéressant. Je n'ai jamais entendu personne dire qu'il était contre cela. Par contre, quand on demande aux assemblées d'actionnaires, à des membres de conseils d'administration ou aux associations qui gravitent autour de poser des gestes concrets, c'est une autre histoire. Il y a des choses qu'on pourrait faire; je pourrai y revenir plus tard.
On a pensé que la nomination de femmes aux conseils d'administration aurait un grand effet sur la haute direction des organisations, mais ce n'est pas le cas. Mon collègue Jean Bédard et moi menons actuellement des études sur la parité au sein des conseils d'administration et nous suivons les statistiques. La situation est stagnante, sauf au gouvernement et dans les sociétés d'État.
Les gens nous disent que c'est facile de nommer des gens à des conseils d'administration, mais que le vrai défi se situe au niveau de la haute direction des organisations, parce que c'est surtout là que les décisions se prennent. Je ne dis pas que les conseils d'administration ne sont pas importants, loin de là, mais le gros du travail se fait beaucoup au niveau de la haute direction des organisations. Les deux ne vont pas nécessairement de pair.
Par ailleurs, les femmes ne sont pas automatiquement profemmes. On me dit souvent que, puisqu'on a nommé des femmes, c'est réglé. Je dis souvent que si on ne change pas le système et les pratiques organisationnelles, même si des femmes auront été nommées, il n'y aura pas nécessairement de changement. C'est un peu la même chose en ce qui concerne la diversité. Si le moule reste le même, cela ne changera pas. Cela ne veut pas dire automatiquement que les femmes feront la promotion de sujets différents et qu'elles auront une influence différente. Des gens m'ont dit avoir nommé des femmes et que, heureusement, cela n'avait rien changé.
Les conseils d'administration sont des organisations assez traditionnelles. Si on veut de vrais changements, il faut que les gens qu'on y nomme veuillent faire de vrais changements et travailler dans un vrai contexte de diversité et d'égalité.
En outre, il y a clairement un manque de suivi des données. Lorsque nous demandons des données aux organisations, ce qui inclut de grandes sociétés, nous avons de la difficulté à obtenir le pourcentage de femmes à la haute direction et à connaître l'évolution du pourcentage de femmes au sein des conseils d'administration. C'est important et c'est ce que nous faisons présentement: nous suivons les données pour déformer la perception d'égalité qu'on retrouve constamment lorsque les gens croient que la question est réglée.
J'aborde maintenant la deuxième question: pourquoi ne demande-t-on pas aux femmes de se joindre aux conseils d'administration?
Il y a encore beaucoup de stéréotypes. C'est incroyable le nombre de stéréotypes qui existent selon lesquels les femmes sont comme ceci et les hommes sont comme cela.
Il y a beaucoup de stéréotypes qui sont liés à la conciliation travail-famille. Certaines personnes sont un peu lasses d'en entendre parler, mais il faut effectivement en parler parce que ce n'est pas réglé.
C'est un enjeu majeur pour les femmes, mais aussi pour les hommes, notamment les jeunes hommes, comme on l'entend de plus en plus. Les gens manquent de temps. Siéger à un conseil d'administration, c'est un surplus qui s'ajoute à d'autres activités, bien souvent. Les postes de direction demandent qu'on y consacre du temps. Parfois, les gens n'accepteront pas un poste de décision parce qu'ils se disent qu'ils ont déjà un travail, une famille, et donc qu'ils n'ont pas le temps d'en faire plus.
Il y a donc cette perception. On ne va pas chercher à recruter certaines femmes, parce qu'on se dit qu'elles sont déjà assez occupées, qu'on ne peut pas leur demander cela en plus. Il y a aussi des femmes qui s'excluent elles-mêmes en se disant qu'elles sont assez occupées, qu'elles ne veulent pas en faire davantage, par égard pour leur conjoint, et que tout cela sera difficile à concilier.
Par ailleurs, il y a des stéréotypes liés au déficit des compétences. J'entends encore des propos selon lesquels les femmes manquent de leadership, ont de la difficulté à communiquer et n'ont pas assez de connaissances dans le domaine. Comme je vous le disais tantôt, je ne crois plus ce discours. Franchement, je pense qu'on n'en est plus là. Des compétences, il y en a énormément.
Il faut aussi arrêter de renforcer les stéréotypes selon lesquels les femmes sont plus humaines et plus ouvertes au dialogue, ou selon lesquels les hommes sont plus ceci ou cela. Ce genre de discours renforce des stéréotypes, et cela ne nous mène pas très loin. Il faut plutôt travailler ensemble et arrêter de confiner les gens dans des rôles prédéterminés, par exemple les femmes au sein de comités de ressources humaines.
On a aussi le réflexe de s'adresser aux personnes de son réseau. C'est courant dans les conseils d'administration: on va demander à ceux qu'on connaît, parce que c'est ce en quoi consiste le processus de nomination. Il faut donc renforcer de vrais profils de compétences à l'aide de vrais mécanismes de nomination. Cela aide énormément à sortir du bassin. Il y a des présidents et des présidentes de conseils d'administration qui m'ont dit qu'ils pouvaient trouver facilement quelqu'un en deux ou trois jours, mais que cela risquait de leur prendre deux ou trois semaines s'il fallait qu'ils trouvent des femmes ou des gens en particulier dans certaines communautés. C'est parfois plus long, mais il faut faire l'effort de sortir de ses réseaux.
J'ai oublié de mentionner le discours sur la compétence. On entend souvent certaines personnes dire qu'elles ne choisissent pas les candidats en fonction du fait qu'ils sont des femmes, des jeunes ou des gens d'autres origines, mais plutôt en fonction de leurs compétences. Toutefois, ce discours sur les compétences nie un problème. Ce n'est pas parce qu'on choisit un homme ou une femme qu'on parle de compétences. Dans le fond, il faut reconnaître que les gens sont compétents, mais qu'à présent, il faut palier des inégalités au sein des conseils d'administration et qu'à un moment donné, il faut faire des choix précis. Cela ne veut pas dire que les gens ne sont pas compétents pour autant.
Il y a aussi une rotation limitée des postes. Il faut en être conscient. Des gens m'ont demandé combien d'années il faudrait avant d'atteindre un quota qu'on déciderait d'imposer. Il faut tenir compte de la rotation des postes, qui se fait tous les quatre ou cinq ans. Si on veut nommer une femme, il faut tenir compte de cela.
En outre, on demande souvent aux mêmes personnes de siéger aux conseils d'administration, et c'est vrai pour les femmes aussi. Il faut donc diversifier le bassin de candidats.
Quant à savoir quelles sont les mesures organisationnelles, je vais en parler rapidement. Je pense qu'il faut parler ouvertement de cet enjeu. Il faut adapter les critères de sélection à ce qu'on veut vraiment obtenir. Il ne s'agit pas nécessairement de réduire les exigences, mais parfois de les modifier selon les expériences traditionnelles des femmes et des hommes aussi. Il faut permettre à tout le monde de se former à la gouvernance des conseils. Il faut arrêter de penser qu'on va seulement former les femmes parce qu'elles manquent de compétences. Il faut travailler sur les mesures organisationnelles plutôt que sur les stratégies individuelles.
Enfin, que peut-on faire pour favoriser la parité? Il y a quelques moyens.
Il faut collecter des données, comme je l'ai dit.
Il faut éviter de travailler uniquement sur les stratégies individuelles. Arrêtons de dire que c'est le problème des femmes. C'est le problème des organisations. C'est ce que je voulais faire valoir ce matin.
Avoir des mesures législatives donne des résultats un peu plus tangibles que le simple fait d'expliquer pourquoi l'organisation ne compte pas de femmes. Cela ne fait pas augmenter beaucoup la parité.
Il faut éviter les recettes magiques.
Il ne faut pas miser uniquement sur les conseils d'administration. J'en ai parlé.
Il faut amener les organisations, les dirigeants et les dirigeantes à revoir leurs pratiques, et pas seulement demander aux femmes de s'adapter.
Il faut prendre en compte l'impact de la maternité. Cela fait partie de la réalité. Dans un milieu culturel, il y a des gens qui ont des horaires atypiques, qui ont de la difficulté à trouver des gardiennes ou des gardiens pour s'occuper de leur enfant.
Il faut mettre en place des stratégies de communication visant à dévoiler le taux de féminisation des conseils d'administration des organisations. C'est important.
Il faut diffuser les expériences innovantes. Présentement, je travaille beaucoup sur les bonnes pratiques, si cela vous intéresse. Je fais des études de cas. Beaucoup de gens font des choses intéressantes, et il faut que cela soit répertorié dans les organisations.
Il faut éviter de penser que les choses vont se régler d'elles-mêmes. Je n'ai pas l'air si vieille, mais cela fait 25 ans que je travaille là-dessus et les choses ne se règlent pas.
Enfin, il faut travailler en partenariat avec les acteurs du milieu. Ce que j'entends tout le temps, c'est que les nouvelles générations, dans deux ou trois ans, vont régler la situation. Ce n'est pas vrai, parce qu'elles vont utiliser le même moule. Si on ne travaille pas sur les organisations, les changements seront plus limités.
Merci.
:
Je remercie beaucoup tous les témoins.
Je suis très heureux de voir Mme Allin et Mme Downey. Cela faisait longtemps que nous nous étions vus.
[Traduction]
Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui.
En fait, j'aimerais remercier ma collègue, Mme Dzerowicz, d'avoir proposé ce sujet d'étude au Comité permanent du patrimoine canadien. Je crois que c'est vraiment le bon moment.
[Français]
Dans l'édition de La Presse de ce matin, d'ailleurs, il y a un article de Mario Girard qui mentionne, comme le faisait Mme Rosenstock, que le Conseil des arts du Canada est évidemment en faveur de la parité. Il cite Simon Brault, du Conseil des arts du Canada: « La question de la place des femmes dans le domaine des arts, on se la pose actuellement. » On indique que Simon Brault insiste pour dire « qu'un travail important doit être fait dans le domaine de la musique classique, où les compositeurs sont très majoritairement masculins ». On ajoute ceci, et c'est très intéressant: « Ces mesures s'ajouteraient à la pratique des auditions à l'aveugle, adoptée par la plupart des grands orchestres classiques au pays. » Je ne savais même pas que cela existait. Il semble que cela « donne des résultats visibles ». M. Brault confie que le Conseil des arts du Canada « doit arriver avec un plan très bientôt » en matière de parité.
Madame Brière, je vous remercie beaucoup de votre dynamisme. De toute évidence, tout le monde était très emballé par vos constats et vos analyses, et nous avons très hâte de lire vos documents. Vous soulevez par contre le fait que nommer des femmes aux conseils d'administration n'est pas la panacée pour atteindre la parité. D'ailleurs, je tirais mon chapeau à ma collègue Mme Dzerowicz à ce sujet. Vous suggérez plutôt d'aller vers la haute direction, c'est-à-dire les dirigeants et les conseils de direction.
Vous avez également évoqué la conciliation travail-famille, et je crois sincèrement qu'une offre plus large de services de garde au Canada serait certainement un pas dans la bonne direction. En soi, on peut dire que cela aiderait certainement les femmes à prendre plus de place dans les postes de haut niveau. C'est aussi une incitation, et non un frein. Je suis allé faire un tour au Danemark et en Suède, cet automne, et j'ai constaté à quel point les services à la petite enfance y étaient beaucoup utilisés par les hommes. Je voyais beaucoup de papas sortir avec leurs enfants. C'était frappant; je n'ai pas passé mon temps à les dénombrer avec un compteur numérique, mais c'était évident.
J'aimerais saisir l'occasion d'avoir parmi nous aujourd'hui des représentants de l'ACTRA pour leur poser une question. Dans toutes vos observations, une chose m'a frappé. Vous avez donné l'exemple des firmes d'avocats. La relève est là, mais il y a effectivement une espèce de modèle sociétal qui pourrait décourager cette aspiration à un poste de direction. Je pense que les gens de l'ACTRA sont directement collés aux plateaux de tournage et qu'ils peuvent le constater.
Croyez-vous que l'on pourrait faire mieux dans les modèles que l'on montre à la jeunesse à la télévision et au cinéma? Devrait-on imposer des critères?
Je suis sûr que Mme Downey a une position là-dessus, elle qui n'arrête pas de réclamer de meilleurs rôles pour tous les membres de son syndicat.
Nous pouvons peut-être commencer par les témoins qui sont à distance, ce serait plus simple.
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Oui. J'aurais vraiment beaucoup de choses à dire, tellement les changements systémiques sont complexes. J'aimerais pouvoir vous indiquer ce qu'il faut faire et vous proposer un petit guide en 10 étapes, mais le fait est que, pour que certaines personnes occupent des postes de décision, il faut préparer tout le secteur et toute l'organisation. Or, cela prend 20 ans. J'ai étudié des cas où la proportion de femmes, qui était au départ de 20 %, était passée à 40 % ou 50 %. Par contre, cela avait pris une vingtaine d'années.
Tout d'abord, il faut déterminer comment recruter les personnes et comment les former à leur arrivée. Souvent, une fois les gens recrutés, ceux-ci sont laissés à eux-mêmes. On leur demande qu'ils s'organisent eux-mêmes, sous prétexte que ce sont eux qui ont voulu faire ce métier. Or, il ne s'agit pas nécessairement de gens qui font ce métier depuis toujours.
Ensuite, il faut voir quelles conditions de travail on leur offre. Dans tous les secteurs que j'ai étudiés, les gens qui avaient un premier enfant perdaient de la crédibilité et leur progression était ralentie. Je m'excuse de le dire, mais c'est la réalité.
À l'heure actuelle, j'étudie le cas des policiers et des policières au Québec. Il y a là un très grand recul. En effet, lorsque les policières ont un premier enfant, on dit qu'elles ne sont pas carriéristes et qu'elles ne sont pas de vraies policières. Si elles en ont un deuxième, c'est pire encore. Si elles en ont un troisième, c'en est fait de leur crédibilité. Il faut savoir qu'elles continuent à accumuler de l'ancienneté même si elles ont été parties pendant trois ans sur un total de six ans, par exemple. Tous les autres policiers sont très frustrés à l'idée qu'on offre à ces femmes un poste de décision alors qu'elles ont été à la maison pendant trois ans. Selon eux, elles n'avaient qu'à ne pas avoir d'enfants. C'est ce que les gens nous disent.
Il reste que c'est un choix de société. C'est la réalité: les femmes ont des enfants.
Le problème se pose dans les bureaux d'avocats également. Les femmes qui ont des enfants perdent leurs dossiers. Ce milieu est si compétitif que le fait de vouloir des enfants est associé au fait de ne pas être carriériste. On considère que ce sera à ces femmes de se débrouiller lorsqu'elles reprendront le travail. Dans ce système, c'est la performance à tout prix.
Pour arriver à vraiment changer les choses, il faut se concentrer sur ces valeurs. Si les personnes ont des enfants ou n'ont pas oeuvré dans le milieu du cinéma depuis 25 ans, il faut leur donner une chance, les accompagner et leur offrir de bonnes conditions de travail. Quand elles reviennent au travail, il faut les suivre, les intégrer, les aider et les accompagner vers des postes de décision. Vous verrez, cela va fonctionner pour les femmes, mais aussi pour les membres de communautés culturelles.
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Bonjour, chers membres du Comité. Cela me fait plaisir de contribuer à votre étude.
Premièrement, je tiens à me présenter afin de mettre ma présentation en contexte.
Je suis la directrice générale de Spira depuis maintenant neuf ans. Je suis détentrice d'un MBA en gestion internationale et en développement international de l'Université Laval. Je suis la présidente du conseil d'administration de la coopérative Méduse, la secrétaire du conseil d'administration du Pôle des entreprises d'économie sociale de la région de la Capitale-Nationale et co-vice-présidente du conseil d'administration de la Table de concertation de l'industrie du cinéma et de la télévision de la Capitale-Nationale.
Avant-hier et aujourd'hui, vous avez entendu plusieurs grandes organisations et spécialistes vous faire un état de la situation impressionnant et vous parler de leur réalité. Spira est un organisme de taille moyenne avec un budget de 600 000 $. Cela me fait plaisir de vous présenter la réalité d'un organisme comme le nôtre. Ces organismes ne sont pas à négliger. Ils sont majoritaires et essentiels dans le portrait des organismes culturels canadiens.
De son côté, Spira est une coopérative vouée au cinéma indépendant issue de la fusion, en 2015, de Vidéo Femmes et de Spirafilm, deux organismes qui existaient tous deux depuis près de 40 ans. Son mandat principal est de soutenir la production et la distribution de films, qu'il s'agisse de courts ou de longs métrages. La coopérative compte environ 150 membres. Chaque année, elle est impliquée dans plus de 60 films et rejoint un public de 400 000 personnes. Financée par les conseils des arts, la coopérative est sans but lucratif. Ses revenus sont constitués à environ 75 % de subventions.
À la suite de la fusion, afin de conserver la mission de Vidéo Femmes, Spira a tenu à mettre au centre de ses valeurs l'équité hommes-femmes. Comment cela se traduit-il concrètement?
Chez Spira, 50 % des projets soutenus sont réalisés par des femmes, et un souci de parité est présent au moment de la constitution de nos comités et de nos projets collectifs.
Le conseil d'administration de Spira est composé de six membres artistes et de trois membres externes. Sur ces neuf postes, au moins quatre doivent être occupés par des femmes, et ce, de façon obligatoire.
L'équipe de la coopérative compte dix employés: cinq hommes et cinq femmes. Le poste de la direction artistique est occupé par une femme depuis 2009 et le poste de la direction générale est occupé par une femme depuis 2008.
Le conseil d'administration de Spira est paritaire depuis 2012-2013, et le quota est implanté depuis 2015-2016.
Il va sans dire que la parité entre les sexes est une préoccupation constante au sein de la coopérative.
Spirafilm, dont j'étais la gestionnaire, était déjà soucieuse de la parité entre les sexes. Notre fusion avec Vidéo Femmes nous a forcés à implanter de façon plus officielle des procédures qui allaient nous permettre de conserver l'équité hommes-femmes.
Trois ans après la mise en place de ces mesures, je me rends compte que cette réflexion était nécessaire, car il est clair qu'il n'est malheureusement pas encore naturel de penser à la parité. Sinon, nous ne serions pas ici aujourd'hui. Il s'agit d'un réflexe qui s'apprend et qui se développe.
La première mesure qui fut adoptée est le quota de femmes au conseil d'administration de Spira. En effet, minimalement, quatre des neuf postes doivent être occupés par une femme. Toutefois, inversement, le conseil d'administration ne pourrait être constitué que de femmes: un minimum de trois hommes doivent y siéger.
Il va sans dire qu'au début, nous avons trouvé difficile de respecter ce minimum de quatre femmes. Nous avions des craintes: et si nous ne trouvions pas de femmes compétentes? L'ancienne présidente de Vidéo Femmes nous avait avertis que cela demanderait des efforts.
Trois ans après la mise en place de ce quota, le mécanisme est devenu naturel et bien ancré dans les actions du conseil d'administration. J'en parlerai un peu plus tard, mais l'éducation reste un point majeur pour maintenir l'importance de la parité.
Les efforts pour atteindre la parité sont balisés et nous nous sommes dotés d'outils et de mécanismes.
La première méthode est la recherche active de candidates. Nous participons à des activités de recrutement telles que « Un C.A. à l'heure du thé », activité organisée par la Chambre de commerce et d'industrie de Québec. Nous avons aussi fait appel aux gens de notre réseau et les avons informés sur le profil des candidates recherchées, l'idée étant de ne pas attendre à l'assemblée générale annuelle des membres pour avoir des personnes intéressées à siéger au conseil d'administration.
Nous avons décidé de mettre en place une matrice de compétences sous forme de tableau Excel, qui est d'ailleurs celle proposée par la YWCA, laquelle inclut non seulement des objectifs à atteindre en matière de parité, mais aussi d'autres critères tels que la jeunesse, les compétences et la diversité culturelle. Dans les prochaines semaines, un appel de candidatures sera lancé et nous nous assurons ainsi d'avoir un important bassin de candidatures lors de l'assemblée générale annuelle.
L'un des avantages de cette matrice de compétences est de faire la publicité des besoins et d'en faire un outil afin d'attirer les femmes et de leur démontrer qu'elles ont la possibilité de se joindre à un conseil d'administration. Cela leur ouvre une porte et leur indique qu'elles peuvent se joindre à notre conseil d'administration et que nous avons besoin d'elles.
Une autre action mise en place est le mentorat. Spira participe au programme de mentorat de la YWCA pour les jeunes administratrices. Une jeune femme peut ainsi être en formation pendant une année en siégeant au conseil d'administration. Cette idée pourrait facilement être adoptée par plusieurs autres conseils d'administration de petites ou grandes organisations.
Nous transmettons aux membres du conseil d'administration et aux membres du personnel cette valeur qu'est la parité, afin qu'il soit plus facile de l'atteindre et que tous et toutes deviennent des porte-parole en la matière. Lors des réunions du conseil d'administration et de l'assemblée générale annuelle, nous informons nos membres de tous les efforts que déploie Spira pour atteindre la parité. Nous le mentionnons également sur les réseaux sociaux de façon sporadique. Sensibiliser nos membres et notre public est pour nous une manière de contribuer à notre société afin qu'elle devienne plus égalitaire.
Nous savons aussi que l'atteinte de la parité repose beaucoup sur les personnes en place. Il est donc primordial que les organismes incluent la parité dans leurs procédures afin d'assurer la pérennité.
J'aimerais porter à votre attention un autre enjeu majeur lié à la parité des conseils d'administration, soit celui de la présidence.
Que des femmes se joignent à un conseil d'administration, c'est une chose, mais qu'elles réussissent à occuper des postes de décision au sein de la direction, c'en est une autre.
Chez Spira, nous nous sommes récemment rendu compte que nous n'avions jamais eu de présidente. Nous allons donc établir en juin prochain une coprésidence paritaire. Cela permettra de mettre en pratique la passation des pouvoirs et le codéveloppement des compétences. Une autre façon de procéder consisterait à établir une alternance entre les mandats de la présidence afin que le poste soit occupé par une femme sur une base régulière.
Nous croyons que la mise en place de mesures de facilitation telles que la flexibilité des horaires, la possibilité d'emmener un enfant aux réunions et la participation aux réunions à distance, autant pour le conseil d'administration que pour le personnel, peuvent faciliter la parité.
Toujours dans le but de faire la promotion de la parité, Spira a adopté, depuis la fusion, la rédaction épicène et la féminisation lexicale.
Je vais maintenant dire quelques mots sur les postes de direction artistique au sein des organismes culturels.
Nous ne pouvons passer sous silence la question difficile des bas salaires au sein des petites organisations et de la pénurie de main-d'oeuvre. Ce problème limite notre choix de candidats et de candidates. Nous favorisons les candidats ou les candidates les plus compétents. Toutefois, dans le cas où l'un des deux postes clés de direction serait déjà occupé par un homme, nous considérerions avec une attention particulière les candidatures de femmes. J'oeuvre dans le milieu artistique depuis maintenant neuf ans, et j'ai remarqué que, dans les petites organisations, c'étaient souvent des femmes qui occupaient les postes de direction artistique, voire de direction générale, tandis que, dans les grandes organisations, il en allait autrement. La charge de travail est la même, mais les salaires sont moindres.
En terminant, je vous soumets les recommandations suivantes.
Il faut travailler avec des organismes nationaux comme l'Alliance des arts médiatiques indépendants pour en faire des porte-parole et des intermédiaires.
Il faut mettre en oeuvre des programmes pour former les gestionnaires et faire du mentorat auprès des femmes, même dans les petites et moyennes organisations.
Il faut augmenter le financement des organismes pour leur permettre d'offrir des conditions de travail adéquates qui pourront attirer des femmes compétentes vers les postes de direction artistique.
Il faut favoriser la mise en vigueur de quotas. Comme madame le mentionnait plus tôt, en Norvège et en France, des quotas ont été imposés dans les organismes publics, et les résultats sont positifs. Ici, au pays, la SODEC, l'ONF et Téléfilm Canada ont mis en vigueur des mesures de ce genre, et, jusqu'à maintenant, les résultats semblent très positifs.
Enfin, nous recommandons de faire des études pour connaître l'état de la situation et d'en faire connaître les résultats.
Merci beaucoup. J'espère que mes commentaires sauront alimenter votre réflexion.
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Je voudrais commencer en indiquant clairement que je ne sais absolument rien de la gestion d'un organisme artistique ou culturel. Lorsque je me préparais en vue de notre rencontre, je me suis aperçu que je suis considérée comme l'équivalent du conseil d'administration d'un tel organisme, mais cela ne signifie pas que j'en possède les connaissances. Je suis plutôt professeure d'économie.
Mes recherches portent sur les politiques et les marchés du travail, en ce qui concerne notamment l'écart salarial entre les hommes et les femmes et la participation des femmes au marché du travail. J'enseigne aussi l'économie et l'étude de genre à l'Université Laurier. Forte de ces connaissances, je voulais traiter de manière générale de la représentation des femmes dans les postes de direction.
Je ne connais pas de statistiques canadiennes officielles sur la représentation des femmes au sein des conseils d'administration d'organismes artistiques et culturels. Nous savons toutefois que cette représentation est faible parmi les sociétés cotées à la Bourse de Toronto. Selon de récents rapports, les femmes occupent environ 15 % des sièges au sein du conseil d'administration de ces sociétés. J'ai l'impression que la situation est meilleure dans les organismes artistiques et culturels, mais la représentation des femmes n'est peut-être pas équitable aux postes de direction.
Pour réunir de meilleurs renseignements sur les organismes artistiques et culturels, il faudra demander des rapports normalisés. Par exemple, l'Agence du revenu du Canada pourrait exiger que les organismes de bienfaisance rendent publique l'information sur le sexe des membres de leur conseil d'administration en plus des renseignements qu'ils publient déjà. Si cette information montre que les femmes sont sous-représentées, que devrions-nous faire?
Les quotas hommes-femmes sont la première solution qui vient à l'esprit, et les économistes ont maintenant eu l'occasion d'étudier quelques exemples. L'article intitulé « Gender Quotas and the Crisis of the Mediocre Man » publié dans l'American Economic Review fournit un excellent exemple. Je dois dire que j'adore le titre de cet article.
L'auteur a étudié les élections menées dans des municipalités suédoises où le conseil municipal est nommé selon le principe de représentation proportionnelle grâce aux listes fournies par les partis. Depuis 1993, les listes du Parti social-démocrate sont assujetties à des quotas contraignants qui obligent le parti à faire alterner des noms d'hommes et de femmes dans ses listes de candidats. Les sièges du parti sont dotés en fonction de ces listes, ce qui garantit la représentation des femmes au sein des sièges remportés.
Il ressort clairement que ces quotas contraignants ont permis d'accroître le nombre de femmes élues et, surtout, le degré de compétence parmi les élus, principalement attribuable à l'amélioration de la sélection des candidats de sexe masculin. Pour dire les choses simplement, il semble que les hommes médiocres aient disparu des listes du parti, particulièrement aux postes de direction, et ont été remplacés par des femmes compétentes.
Si cet article me plaît, c'est notamment parce qu'il répond au principal argument de ceux qui s'opposent aux quotas hommes-femmes, c'est-à-dire le fait qu'ils constituent une menace à la sélection de candidats aux postes de direction fondée sur le mérite. Cet article nous rappelle que bien d'autres facteurs influencent les nominations, ce qui n'est peut-être pas optimal.
Les quotas que la Norvège a imposés en 2006 au chapitre de la composition des conseils d'administration des sociétés ont reçu plus d'attention. Nous avons constaté que la modification de cette composition aura une influence sur la stratégie des sociétés. Par exemple, les sociétés norvégiennes touchées semblent éviter les réductions d'effectif à court terme, ce qui a des répercussions sur les profits à court terme; voilà qui peut constituer un élément important dans le cadre d'une stratégie à long terme. La même étude a toutefois permis de constater que les quotas n'avaient aucune influence sur d'autres facettes des décisions des sociétés touchant les revenus et les coûts non liés à la main-d'oeuvre.
Cependant, l'expérience de la Norvège montre que les quotas hommes-femmes n'ont peut-être pas beaucoup d'effet au-delà de la composition des conseils d'administration, et ne semblent pas améliorer la position des femmes qui ne sont pas nommées à de tels conseils ou influencer les décisions des jeunes femmes qui planifient leur carrière en affaires.
Si on étudie la documentation en général, on constate que les preuves semblent indiquer que les quotas hommes-femmes qui modifient la composition des conseils d'administration peuvent avoir une influence sur la stratégie des organismes. Cette incidence peut être minime, mais je n'ai vu aucune preuve convaincante montrant clairement que cette incidence soit néfaste. Les quotas hommes-femmes peuvent accroître le degré de compétence au sein d'un organisme. Nous devons toutefois nous souvenir que les politiques comme les quotas hommes-femmes ne constituent qu'un petit morceau du casse-tête.
Je vous remercie de votre attention. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
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Bonjour à tout le monde.
Je suis Angèle Bouffard. Je viens directement de Québec, de la YWCA.
Je prends quelques instants pour vous présenter notre organisation, la YWCA. Cela fait des années que nous travaillons à Québec à former des femmes pour les conseils d'administration. C'est un rôle qui a été conçu à Québec et qui est unique, puisqu'il n'existe dans aucun des autres établissements de la YWCA au Canada. Nous avons pour mission d'accompagner les femmes dans leur quête du meilleur d'elles-mêmes, ce qui veut dire que nous offrons des services d'hébergement aux femmes en difficulté tout autant que nous travaillons avec les femmes leaders qui occupent des postes importants.
Nous avons bâti toute une stratégie, que nous appelons la formation « Leaders et décisionnelles ». Nous avons pu compter au tout début sur du financement du gouvernement du Québec, puis Condition féminine Canada est venu nous appuyer pour deux volets particuliers de ce programme. Nous avons formé à ce jour plus de 1 000 femmes pour qu'elles puissent siéger à des conseils d'administration. C'est quand même énorme pour la ville de Québec.
Cela veut dire que les femmes sont prêtes à se former. Elles viennent passer 15 heures avec nous pour se donner les outils qui leur permettront d'être plus compétentes dans leur rôle au sein d'un conseil d'administration.
Nous avons adapté la formation pour les jeunes de 17 à 25 ans. Nous travaillons avec des jeunes femmes dans les cégeps et à l'Université Laval. À ce jour, nous en avons formé plus d'une centaine, dont plusieurs sont des étudiantes étrangères qui souhaitent s'impliquer dans des conseils d'administration de toutes sortes. Elles voient cette implication comme une façon de s'intégrer à une organisation au Canada, d'acquérir de l'expérience dans la communauté et de redonner à cette communauté.
Nous avons aussi mis en place un programme de mentorat. Nous avons une trentaine de dyades en cours. Mme Benoit fait partie des mentors. La particularité de notre programme est que chaque mentor accepte pendant un an la présence d'une observatrice à son conseil d'administration, qu'elle accompagne pour bien l'outiller afin qu'elle puisse mieux exercer son rôle. À la fin de cette période, il y a eu une réelle évolution, et les femmes se sentent encore plus prêtes.
Il y a un an et demi, nous avons mené une étude auprès d'environ 800 de nos ex-participantes pour apprendre où elles étaient, ce qu'elles faisaient, où elles siégeaient et ce qui bloquait encore, le cas échéant. Nous avons constaté qu'elles étaient très contentes d'avoir suivi la formation, mais qu'il y en avait plusieurs qui hésitaient encore à se lancer dans l'aventure des conseils d'administration, et ce, même si elles avaient reçu ces 15 heures de formation. Pourtant, il est question ici de femmes qui sont déjà comptables, avocates, professionnelles ou fonctionnaires. Ce sont des femmes qui ont au moins un baccalauréat, voire souvent une maîtrise. Les étudiantes de l'Université Laval sont souvent des étudiantes de deuxième cycle en finance, en gestion ou en droit. Or ces femmes veulent se donner plus d'outils. Elles manquent de confiance. Elles souffrent aussi du syndrome de l'imposteur. Nous n'avions pas posé tellement de questions là-dessus, mais ce dernier constat est ressorti des réponses que ces femmes nous ont données. Après leur formation, elles veulent vivre une expérience concrète, et c'est pour cela que nous avons mis en place le programme de mentorat pour les accompagner.
Nous avons aussi des groupes de codéveloppement, c'est-à-dire d'entraide professionnelle entre administratrices qui se donnent des bons trucs.
Ce sont là nos stratégies pour aider les femmes à se former elles-mêmes et à devenir toujours plus compétentes. Cela, croyez-moi, elles ne cessent d'en redemander, car elles souffrent du syndrome de l'imposteur et elles croient toujours qu'il leur manque un petit quelque chose.
Nous venons d'offrir avant-hier un cours avancé sur les états financiers pour la gestion des organismes à but non lucratif, lequel faisait suite à trois cours de gestion et de lecture d'états financiers. Ces femmes en redemandent, car leur but est d'être archi-compétentes avant de siéger à un conseil d'administration.
Nous nous sommes rendu compte que le problème était au sein même des organisations. Qu'est-ce qui faisait que 1 000 femmes ne réussissaient pas toutes à se placer? Elles étaient prêtes, elles avaient des compétences extraordinaires, mais on ne les remarquait pas. C'est là que nous avons mis sur pied un programme d'accompagnement pour les organisations. C'est là que le bât blesse, c'est ce que nous appelons les obstacles systémiques. Cela, vous allez le constater dans les organismes culturels.
Nous avons choisi de vous présenter des statistiques.
Nous parlons de zone paritaire lorsque de 40 à 60 % des membres d'un conseil d'administration sont des femmes. Pour d'autres, la parité n'existe qu'en présence d'un nombre égal de femmes et d'hommes. Nous pensons aux conseils d'administration, mais cela vaut vraiment pour toutes les sphères décisionnelles.
Au Québec, il y a actuellement 18,8 % de femmes dans les conseils d'administration. Ce sont des statistiques qui datent un peu, mais qui sont encore assez valides. Les trois quarts des entreprises ont seulement de 11 à 25 % de femmes dans leur conseil d'administration.
On pourrait penser que c'est différent dans le milieu de la culture, mais voici d'autres statistiques, et vous allez voir que nous avons fait bien nos recherches.
La moitié des compagnies comprennent moins de 20 % de femmes. De plus, saviez-vous que 28 % des entreprises n'ont aucune femme dans leur conseil d'administration? À ce rythme, si l'on prenait des mesures concrètes comme celles qui existent pour accompagner les organisations, on n'atteindrait la parité qu'autour de 2034, selon une étude de Mme Brière et de Jean Bédard.
Dans la réalité, si rien n'est fait et que l'on ne prend aucune mesure, compte tenu des fluctuations, des allées et venues, des avancées et des reculs, les calculs prédisent que l'on n'atteindra la parité qu'en 2200. On parle d'encore quelques générations, alors je forme peut-être des étudiantes de l'Université Laval pour pas grand-chose — je vous dis cela à la blague, bien sûr.
Il y a plusieurs avantages à la présence de femmes dans les conseils d'administration, comme vous le verrez dans vos documents. L'idée ici est vraiment d'avoir une diversité d'expertises, de prendre en compte un certain nombre de questions et de couvrir tous les points de vue. Je vous le dis sans mentir, les femmes que nous envoyons dans les conseils d'administration sont plus compétentes que tout ce que j'ai pu voir, et je recruterais toutes les femmes que je forme pour les conseils d'administration auxquels je siège.
Pour en revenir aux statistiques, nous sommes en train de compiler la composition de tous les conseils d'administration des milieux artistique et culturel de la ville de Québec, toutes catégories confondues. Pour la réunion d'aujourd'hui, nous avons analysé les données que nous avons obtenues jusqu'ici, et qui portent sur 113 organismes.
Aujourd'hui, à Québec, seulement 30 % de ces 113 organisations des milieux de la culture et des arts ont plus de 30 % de femmes. On dit pourtant que le milieu des arts est majoritairement représenté par des femmes, mais ces chiffres viennent confirmer qu'elles ne sont pas dans les conseils d'administration. Elles se retrouvent à la base, mais ne parviennent pas à grimper les échelons.
Par ailleurs, 70 % de ces organismes n'atteignent pas 50 % de femmes dans leur conseil d'administration. Nous avons réparti ces chiffres par catégories: de 0 à 20 %, de 20 à 30 %, et ainsi de suite. Vous avez ces chiffres en main, en date de cette année. Nous allons suivre leur évolution sur plusieurs années, car nous allons les solliciter dans notre démarche d'accompagnement. Il y en a 9 % dans le milieu culturel qui n'ont aucune femme à leur conseil d'administration.
Du côté de la zone paritaire, qui commence à 40 % de femmes, seuls 52 % des organismes atteignent ce seuil. Du côté de la vraie parité, par contre, seuls 30 % des organismes atteignent 50 % de femmes.
Ce sont les données des milieux artistique et culturel de Québec. Ce n'est pas obligatoirement la même chose partout au pays, mais nous avons au moins ces données à ce moment-ci.
Nous nous assurons d'accompagner les organisations parce que nous voulons que cette égalité fasse partie intégrante de leur ADN, à tous les niveaux. Nous avons plusieurs mesures à vous suggérer pour faire augmenter le nombre de femmes dans les conseils d'administration. Il existe plusieurs modèles; nous en avons conçu. Je vous ai remis une pochette. C'est également disponible en ligne. Nous avons préparé le Guide pour une gouvernance paritaire — Pour des C.A. égalitaires, qui comporte un plan de match en huit étapes. Vous l'avez en version plus détaillée dans vos diapositives et dans votre document.
Il y a tout un accompagnement à faire, en deux phases, mais ce que je vous suggère, c'est vraiment de suivre les étapes que nous avons déterminées.
Tout d'abord, il faut s'assurer que les têtes dirigeantes sont présentes.
Il faut aussi se doter de politiques officielles. C'est la base de tout. Si les objectifs et les critères ne sont pas mis par écrit dans une politique, il y aura trop de fluctuations et de reculs, et la démarche sera portée par des individus seulement, au lieu d'être portée par tout l'organisme.
Ensuite, il faut créer des comités de gouvernance qui ont pour rôle de recruter des personnes.
De plus, on doit donner aux entreprises des outils et des matrices de compétences pour diversifier la composition du conseil d'administration, comme le genre de matrice qu'utilisent Mme Benoit et plusieurs organisations.
Il faut également aider les organismes à utiliser des méthodes de recrutement différentes. Nous avons organisé une activité appelée « Un C.A. à l'heure du thé ». Au mois de mars de l'année dernière, 40 organismes recrutaient une centaine de candidates. Alors, il s'agit vraiment de faire du jumelage.
En outre, on cherche à diversifier les façons de faire.
Par la suite, il s'agit d'accompagner et de soutenir les nouvelles personnes.
Finalement, le résultat que nous souhaitons atteindre, c'est que les organisations soient équipées pour accroître l'intérêt des femmes et pour les attirer. Cela dit, c'est aux organisations de changer leurs façons de faire, et non aux femmes d'acquérir encore plus de compétences.