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Merci, madame la présidente, messieurs les vice-présidents et mesdames et messieurs membres du Comité.
Je m’appelle Dave Forget et je suis le directeur général national de la Guilde canadienne des réalisateurs. Je suis accompagné de Samuel Bischoff, directeur des affaires publiques de la Guilde.
Nous remercions le Comité de nous avoir invités à discuter de modèles de rémunération pour les artistes et les créateurs. En cette période de bouleversement et de transition vers des plateformes numériques, les auteurs sont trop souvent oubliés et laissés de côté, alors qu'ils sont au coeur d'une industrie audiovisuelle robuste, innovatrice et prospère. Nous remercions le Comité permanent du patrimoine canadien de mener cette étude sur les modèles de rémunération afin de garantir aux créateurs des compensations justes et équitables.
La Guilde canadienne des réalisateurs est un syndicat national qui représente les professionnels clés de la création et de la logistique des industries du cinéma, de la télévision et des médias numériques. Aujourd’hui, nous comptons près de 5 000 membres venant de 47 professions des domaines de la réalisation, de la conception, de la production, de la logistique et du montage. Il y a 20 ans, en 1998, la Guilde canadienne des réalisateurs a fondé la Société canadienne de gestion de droits des réalisateurs, la DRCC, qui est chargée de percevoir les droits et d'administrer le versement des redevances provenant de compétences étrangères assujetties au droit d'auteur. La DRCC distribue ces bénéfices aux réalisateurs canadiens de tous les genres artistiques. En 2017, elle a versé 796 000 $ en redevances étrangères à ses membres, c'est-à-dire à 1 349 réalisateurs canadiens. Depuis 2001, la DRCC a versé plus de 10 millions de dollars.
Comme le Comité s'est donné pour mandat d’examiner les modèles de rémunération et les possibilités qu'offrent les nouveaux points d’accès aux artistes et aux industries créatives dans le contexte de la Loi sur le droit d’auteur, la Guilde propose que l'on apporte une simple modification à la Loi pour confirmer que le scénariste et le réalisateur sont les premiers titulaires du droit d’auteur et les coauteurs présumés du contenu audiovisuel. Cette reconnaissance légale est essentielle pour rémunérer équitablement les créateurs. Elle apporterait de la clarté économique dans le marché pendant la transition que nous traversons vers de nouveaux modèles d’affaires fondés sur des systèmes de distribution numérique.
[Français]
Aussi, la version actuelle de la Loi, les décisions et les interprétations juridiques récentes sont cohérentes avec cette définition, ce qui fait de ce changement une extension naturelle du texte existant.
L'amendement proposé par la Guilde serait simple à mettre en place et ne nécessiterait aucun changement supplémentaire aux articles plus fondamentaux de la Loi. Les modifications seraient concentrées sur l'article 34.1 de la Loi, lequel est responsable de l'ambiguïté concernant la paternité de l'oeuvre. De plus, ce changement n'affecterait pas le statut de producteur d'une oeuvre cinématographique ou audiovisuelle, ne perturberait pas le cadre économique existant et n'aurait pas non plus d'impact sur les autres catégories d'auteurs.
La paternité de l'oeuvre est un concept central de la Loi sur le droit d'auteur. Historiquement, au Canada, les scénaristes et les réalisateurs étaient considérés comme des coauteurs. Ce fait est soutenu par les pratiques courantes de l'industrie et reflété par nos conventions collectives avec les organisations de producteurs. Ces conventions collectives ont été négociées par la Guilde ainsi que par d'autres organisations représentant les réalisateurs et les scénaristes, telles que la Writers Guild of Canada, l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec et la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma, pour définir les conditions gouvernant la rémunération pour le talent et l'usage futur de leurs oeuvres. Ces conventions permettent aussi le transfert des droits moraux dans les productions et en autorisent l'exploitation commerciale.
[Traduction]
Ce transfert de droits reconnaît implicitement que les coauteurs et les premiers titulaires de droits d’auteur jouissent aussi du statut de scénaristes et de réalisateurs. En outre, les diffuseurs, les distributeurs et les autres investisseurs refuseraient de financer une production s'ils n'étaient pas sûrs de détenir les droits qui leur procurent de pleins avantages économiques.
Ce transfert indique aussi que les producteurs se départissent de leurs droits actuels et que logiquement, ils en sont les seconds détenteurs. Cette « chaîne de droits », comme nous l’appelons, est non seulement conforme à l’interprétation actuelle des tribunaux, mais elle découle de conventions collectives et de contrats conclus dans notre industrie.
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Les organismes de producteurs profitent indûment d'une ambiguïté de la Loi sur le droit d’auteur qui plane sur la désignation de l'auteur de ce qu'elle appelle une « oeuvre cinématographique ». Ces organismes prétendent en être les auteurs et les créateurs principaux. Pourtant, le libellé de la Loi et la majorité des décisions judiciaires rendues à ce sujet affirment que le scénariste et le réalisateur sont coauteurs des oeuvres audiovisuelles.
L’article 11.1 de la Loi définit une œuvre cinématographique comme un ensemble d'actions donnant à l’œuvre son « caractère dramatique ». Il n'accorde un droit d'auteur, qui s'étend sur la vie de l'auteur plus 70 ans, qu'aux oeuvres « auxquelles les dispositifs de la mise en scène ou les combinaisons des incidents représentés donnent un caractère dramatique ».
Le scénariste, bien sûr, couche des mots sur papier, il rédige le scénario. Le réalisateur dirige ensuite les interprètes. Il conçoit et organise tous les éléments créatifs qui finiront par paraître à l’écran, notamment la mise en scène ainsi que les trames et les mouvements de la caméra. Il conçoit les paramètres et choisit les emplacements, il détermine le ton et l’interaction des interprètes, il organise la séquence définitive des images en dirigeant le montage et il détermine la conception sonore et la partition musicale.
Essentiellement, l’article 11.1 affirme que les scénaristes et les réalisateurs sont au coeur des décisions créatrices. Selon la Loi, le scénariste et le réalisateur sont les initiateurs et les créateurs qui donnent à l'oeuvre cinématographique son caractère dramatique, qu’il s’agisse d’un long métrage ou d’une série télévisée.
La durée du droit d’auteur même, fixée à la durée de vie de l’auteur plus 70 ans, constitue une preuve supplémentaire que l'auteur doit être une personne physique à qui l'on peut attribuer la paternité et la titularité naturelle des droits moraux, ce qu'une entreprise ou autre personne morale ne peut pas faire. La jurisprudence du Canada et du Québec soutient cette interprétation. D'ailleurs, l'industrie canadienne du cinéma et de la télévision l'applique quotidiennement.
S’il est vrai qu’une oeuvre cinématographique est le résultat d’une vision collective, le droit d’auteur protège l’expression des idées et non les idées elles-mêmes. Les producteurs sont responsables des aspects financiers et administratifs de l'oeuvre. La Loi les définit comme des « producteurs » ou « makers », dans la version anglaise. Le fait d'exécuter un projet du concept à l'écran est une grande responsabilité, mais ce travail n'est pas créatif dans le sens artistique, et il ne fait pas du producteur un auteur pour autant. Autrement dit, le producteur accumule les droits pour ensuite les exploiter à l'aide d'une licence. Il est donc logique que la propriété du droit d'auteur et les droits moraux appartiennent uniquement à l'auteur de départ et que cet auteur soit une personne physique qui donne à l'oeuvre son caractère dramatique.
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Bonjour, mesdames et messieurs membres du Comité.
J’ai une demi-douzaine d'observations à faire valoir. J’espère pouvoir les présenter avant que nous passions aux questions.
Le regretté et légendaire économiste canadien John Kenneth Galbraith a expliqué la théorie de l’effet de ruissellement de la façon suivante. Il a dit que si l'on donne assez d'avoine à un cheval, quelques grains tomberont sur le chemin pour les moineaux.
C’est essentiellement la base du système du droit d’auteur que nous connaissons au Canada. J'avoue franchement qu'il est un peu compliqué. Nous avons environ 38 sociétés de gestion collective au Canada, soit six fois plus qu’aux États-Unis. Nous avons le tribunal du droit d’auteur le plus important, le plus coûteux et le plus lent au monde.
La plupart des moineaux retirent très peu de ce système. Prenons la société Access Copyright, par exemple. Selon ses chiffres de 2017, elle et ses maisons d'édition ont versé 2 090 000 $ à 11 000 créateurs, qui ont donc reçu en moyenne 190 $ par année chacun. C’est moins que le taux horaire actuel de la plupart des avocats subalternes.
Le régime du droit d’auteur risque de décourager les créateurs. Prenons par exemple Giuseppe Verdi. Pour ceux d’entre vous qui aiment l'opéra, il était probablement le meilleur de tous les compositeurs d’opéra. On peut lire cela dans un ouvrage merveilleux que je vous exhorte à consulter ou à demander à votre personnel de recherche d’examiner. Il est écrit par le professeur F.M. Scherer et s'intitule Quarter Notes and Bank Notes. Je vais afficher un lien à ce sujet dans mon blogue.
Le professeur Glynn Lunney a publié récemment un livre et un article importants sur l’enregistrement sonore contemporain dans l’industrie de la musique commerciale, et je vais également afficher ces liens.
Voici quelques faits que je vous demanderai de garder à l’esprit.
Il est impossible de définir un écrivain, un musicien, un compositeur, un peintre ou tout autre créateur professionnel. Dans le cadre de mon travail et à l'extérieur, je rédige beaucoup, mais je ne me considère certainement pas comme un écrivain professionnel. Toutefois, j’ai reçu l’autre jour d’Access Copyright un chèque d'un peu moins de 85 $, ce qui est plus que ce que reçoivent beaucoup d’autres personnes que je connais. Il a toujours été incroyablement facile de se qualifier comme créateur ou affilié d’Access Copyright. Si Access Copyright doublait mes redevances, je pourrais peut-être me payer un bon déjeuner pour deux, mais cela coûterait des centaines de millions de dollars par année au système d’éducation du Canada.
Les compositeurs dont vous entendrez peut-être les oeuvres au Centre national des Arts, les compositeurs de musique sérieuse dite de concert, reçoivent la somme extraordinaire de 500 $ ou 1 000 $ par année de la SOCAN. Heureusement qu’ils reçoivent des subventions et des commissions et peut-être même un salaire, s’ils ont la chance d’occuper un poste de professeur.
De nos jours, pratiquement tous les professeurs sont écrivains, et leurs écrits sont bien rémunérés dans le cadre d'une chaire qui leur procure de beaux salaires à six chiffres. Cependant, seule une très petite poignée d’entre eux, comme Jordan Peterson, sont bien rémunérés pour les ouvrages qu'ils publient.
Au Canada, un ouvrage d'intérêt général publié à 5 000 exemplaires est considéré comme un grand succès. Son auteur aura la chance de recevoir 15 000 $ de la maison d'édition et une maigre pitance d’Access Copyright, alors j’espère qu’il a un bon emploi.
Ma deuxième observation porte sur la façon dont la technologie numérique peut aider les artistes à se faire rémunérer. Elle a beaucoup de potentiel. Il y a 10 ans, grâce à une chanson à succès affichée dans YouTube, Justin Bieber a été découvert par son agent, qui lui a décroché un contrat faramineux, et vous savez le reste. Je peux vous citer aussi l’exemple récent de ce merveilleux monsieur de 95 ans, Harry Leslie Smith, qui est soudainement devenu une sensation mondiale dans Internet et qui maintenant vend des livres et autres, et nous lui souhaitons un prompt rétablissement. Internet a été le tremplin de sa renommée.
Il ne fait aucun doute que les artistes trouveront moyen, peut-être grâce à Google, Amazon, Shopify ou à d'autres plateformes futures, de vendre directement en ligne à leurs admirateurs sans devoir renoncer à leurs droits et à la majeure partie de leurs revenus en échange d’une avance qu'ils devront rembourser et de rêves irréalisables. Mais méfiez-vous des délires et des vapeurs numériques. Par exemple, la dernière annonce de la société Access Copyright sur le projet qu'elle appelle Prescient en promettant la lune me laisse franchement très sceptique. Ses promesses ont déjà échoué tant de fois que je ne m'attends pas à grand-chose.
Il est facile de parler de chaîne de blocs et d’apprentissage machine. C’est pourquoi tout le monde le fait et en parle. Tout le monde en parle, mais presque personne ne le fait.
N'oublions surtout pas que nous étudions le domaine de la culture et du savoir, dont le droit d’auteur n’est qu’un élément ou un outil et non le domaine ou la fin en soi.
Pensons au secteur des transports, qui a passé du cheval et du chariot à l'automobile. Au fil des ans, on a dépensé plus d’argent pour les transports, mais d'une manière différente. Les choses changent et évoluent constamment. Les anciens modèles d’affaires et d'emploi ne sont pas garantis. Pensons simplement à Oshawa. Comme Universités Canada l’a souligné l’autre jour et dans le mémoire qu’elle a présenté au comité INDU en juin dernier, les universités canadiennes dépensent plus que jamais pour acheter du contenu. Elles ont dépensé plus d’un milliard de dollars en livres de bibliothèque au cours de ces trois dernières années. Ces chiffres nous viennent de Statistique Canada.
Troisièmement, il serait bon d’utiliser davantage le Programme du droit de prêt public et d'autres modèles semblables. C'est un excellent programme qui rémunère les créateurs chaque fois que quelqu'un emprunte leurs oeuvres d'une bibliothèque publique. Comme ce programme ne relève pas du système de droits d’auteur, il est possible de limiter ces paiements aux écrivains canadiens. Malheureusement, le montant maximal a baissé de 4 000 $ à 3 000 $ avec le temps. Investissons plus dans ce système afin de concrétiser l’excellente suggestion de Roy MacSkimming d’ajouter à ce programme un droit de prêt d’études. On pourrait ainsi rémunérer les auteurs de manuels scolaires et collégiaux et de matériel pédagogique ainsi que les travaux scientifiques au Canada.
Quatrièmement, comment les sociétés de gestion collective pourraient-elles mieux servir les artistes? Elles se trouvent directement en conflit d’intérêts quand elles servent les créateurs. Seuls les grands organismes dont les revenus annuels s’élèvent à des dizaines ou à des centaines de millions de dollars peuvent justifier des salaires et des frais juridiques élevés. Les sociétés de gestion collective peuvent seulement aider les artistes à se retirer, ou tout au moins à réduire intelligemment leur visibilité en adoptant la technologie numérique. Il est inacceptable qu'elles investissent 25 ou 30 % de leurs revenus dans l’administration, le lobbying et les frais juridiques. C’est l’argent de leurs membres.
La Commission du droit d’auteur ne devrait permettre à une société de gestion collective de fonctionner que si elle le fait dans l’intérêt des créateurs et des utilisateurs. Quoiqu'il en soit, elle devrait exiger une divulgation complète du répertoire réel, des paiements moyens et médians versés à chaque créateur, des salaires de leurs dirigeants et de leurs conseillers juridiques ainsi que des sommes versées à des lobbyistes, à des avocats, à des experts et à d’autres consultants, accompagnées du nom de ces bénéficiaires.
L'observation suivante concerne les redevances et les impôts affectés à une fin spéciale. Depuis 1997, le Canada applique un système de redevances sur les supports vierges. Au nom du Conseil canadien du commerce de détail, j’ai essayé de convaincre la Cour d’appel fédérale qu’il s’agit d’une taxe illégale, et j’y suis presque parvenu, mais pas vraiment. Cependant un ancien ministre, l’honorable James Moore, était d’accord avec moi. En 2010, il a qualifié la redevance proposée sur les iPod de « taxe » en ajoutant que cette idée était vraiment toxique et, franchement, vraiment stupide.
La Commission du droit d’auteur maintient inexplicablement en vie cette taxe zombie. Elle permet à l’industrie de la musique d’en utiliser les revenus modestes d’environ 2 millions de dollars par année — dont près de 30 % vont à l’administration, au lobbying et aux avocats —, en attendant furtivement, comme le font les zombies, de pouvoir s’emparer des téléphones intelligents, des fournisseurs Internet, du nuage et de tout ce qu’ils réussiront à persuader un gouvernement crédule de taxer.
L’industrie de la musique réclame maintenant une nouvelle « taxe » sur les iPhone. Bien entendu, elle ne l'appelle pas une taxe.
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Je n’ai besoin que d’un tout petit peu plus de temps. Je croyais que mes collègues avaient eu plus de temps.
Elle demande 40 millions de dollars par année de l'argent des contribuables jusqu’à ce qu’elle puisse appliquer une taxe sur les iPhone. À cela s'ajoute sa proposition récente d'assujettir les données à large bande à une taxe sur le droit d’auteur.
Il est grand temps de mettre fin à ce régime de redevances prévu à la partie VIII de la Loi. Le système de droit d’auteur ne comporte pas « d'écart de valeur ». Il y en a cependant un dans les fausses nouvelles diffusées ces jours-ci au sujet de la PI en général et de la révision du droit d’auteur en particulier.
Ma dernière observation, à laquelle je devrai peut-être revenir en répondant aux questions, c’est que personne n'ose demander si les droits d’auteur sont vraiment obligatoires. À mon avis, ils ne le sont pas. Il y a trois ans, j’ai convaincu la Cour suprême du Canada qu'ils ne l'étaient pas, et cette décision a provoqué beaucoup de déni et de résistance.
Par exemple, tout le monde acceptait que l'on fixe un tarif maximal sur les billets de train entre Ottawa et Toronto. Ces tarifs existaient. Cependant, même à cette époque, les passagers pouvaient toujours choisir de prendre l’avion ou l’autobus, leur voiture, leur bicyclette ou tout autre moyen légal et habituellement non réglementé. Les tarifs de la Commission du droit d’auteur ne devraient pas être différents.
Merci. Je vais attendre de répondre aux questions.
Je m’appelle Jessica Zagar. Je suis avocate chez Cassels Brock & Blackwell, à Toronto. Je suis avocate plaidante en droit commercial pour les entreprises, mais ma pratique est axée sur les questions de droit d’auteur.
Je représente un large éventail de clients qui comprend les titulaires de droits, les sociétés de gestion du droit d'auteur et les utilisateurs de matériel protégé par le droit d’auteur. Cela dit, les opinions que j’exprime ici aujourd’hui n'engagent que moi.
Je formulerai des observations sur les injonctions de blocage de site et sur les ordonnances de désindexation. Je pense plus précisément à la modification de la Loi sur le droit d’auteur permettant aux tribunaux de rendre une telle ordonnance contre un intermédiaire Internet sans égard à la faute, ce qui aura des effets à l'échelle mondiale. Cet amendement constituerait une étape importante en vue d’assurer une rémunération équitable aux artistes pour l’utilisation de leurs oeuvres. Le piratage en ligne se propage et leur siphonne des revenus. Or, ils n’ont pas d’outils efficaces à leur disposition pour faire respecter leurs droits sur Internet.
Je crois comprendre que, pour s'opposer à la modification de la Loi sur le droit d’auteur et aux ordonnances qui s'ensuivraient, on invoque le contre-argument selon lequel la common law prévoit déjà des injonctions réparatoires. En tant qu’avocate plaidante, j’ai participé à de nombreuses procédures judiciaires, y compris des procédures d’injonction. J’ai constaté personnellement combien il est difficile d'obtenir ces ordonnances. Leur obtention et leur application créent de l'incertitude et demandent beaucoup de temps et d'argent. J’aimerais présenter au Comité les étapes nécessaires pour obtenir ce genre d'ordonnance. On verra ainsi les raisons pour lesquelles elles ne constituent pas un recours très efficace pour les artistes.
Par exemple, un artiste peut découvrir que sa musique a été publiée en ligne sans sa permission et sans qu'on lui donne une rétribution. L’artiste veut que le contenu soit retiré du site. Plus encore, il veut que le préjudice prenne fin. Il souhaite que les internautes se dirigent vers des sources légitimes et non vers le site contrevenant. Sans une ordonnance du tribunal, il est peu probable que l'artiste arrive à ses fins. La Loi sur le droit d’auteur n'autorise pas explicitement les ordonnances de blocage de site ou de désindexation. Par conséquent, l’artiste doit demander une injonction réparatoire par des moyens ordinaires. Autrement dit, il lui faut intenter des poursuites contre le contrevenant ou contre l’intermédiaire. Normalement, c'est le contrevenant qui sera visé, mais dans les deux cas, la démarche ne va pas sans difficulté.
Il n’est pas facile d’intenter des actions et d’obtenir des mesures réparatoires contre les contrevenants. Ceux-ci sont souvent difficiles à trouver, on s'en doute bien. Ils masquent leur identité, leur emplacement et leur adresse. Souvent, ils ne sont pas au Canada. De ce fait, il n'est pas simple de s'occuper des documents de la cour et de faire appliquer d'éventuelles mesures réparatoires. Les intermédiaires sont peut-être plus faciles à trouver, mais leurs actions ne sont pas forcément reconnues en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. Par le biais de leurs services d'intermédiaires, ils peuvent permettre, par extension, qu'ait lieu la violation des droits, mais cela ne constitue pas un motif de poursuite suffisant. Pour prouver que ses droits ont été violés, l’artiste doit par exemple démontrer que le service fourni par l'intermédiaire vise principalement à permettre la violation des droits. Il doit aussi prouver qu’il y a effectivement eu violation.
Vraisemblablement, l’artiste entamera une poursuite contre le contrevenant et devra demander une injonction interlocutoire pour mettre fin au préjudice, en totalité ou en partie, dans l'attente du procès. Selon la nature de la mesure réparatoire demandée, l’artiste doit faire la démonstration qu’une question sérieuse mérite d'être tranchée ou qu'il y a prétention établie à première vue. Il doit démontrer qu’il y aura un préjudice irréparable si la mesure réparatoire n’est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients lui revient. Ce ne sont pas des critères faciles à remplir. Les tribunaux ne sont pas très enclins à accorder une injonction interlocutoire puisque, par sa nature même, celle-ci précède l'audience complète sur l'affaire. Ce sont là des motions coûteuses et risquées.
Tandis que la procédure suit son cours, le défendeur peut disparaître à n'importe quel moment. Dans l’affaire Equustek, les défendeurs ont modifié leurs activités commerciales après que la poursuite a été lancée. Ils ont déplacé leurs activités. Ils se sont mis à vendre leurs produits sur d’autres sites Web et à prendre les commandes à partir d’endroits inconnus. Il faut s'occuper de ces problèmes afin de minimiser autant que possible le préjudice causé à l’artiste pendant la procédure judiciaire.
Il est à espérer que l’artiste obtienne l'injonction interlocutoire et que, en fin de compte, il se voie octroyer des dommages-intérêts et une ordonnance obligeant le contrevenant à retirer le contenu illégal, mais il est rare que les choses s'arrêtent là.
L’octroi de dommages-intérêts n’a aucune valeur s'il n'est pas applicable. De plus, il faut encore que le contrevenant se conforme à l'ordonnance l'obligeant à retirer le contenu. Dans le cas contraire, l’artiste, qui a déjà consacré beaucoup de temps, d'argent et d'efforts à l'affaire, doit demander d'autres mesures réparatoires sous forme de procédures pour outrage au tribunal. Tout cela demande encore du temps et de l'argent à l’artiste, qui n'a aucun moyen de savoir si le contrevenant finira par se conformer.
Néanmoins, s'il a une ordonnance, l’artiste peut décider de demander l'aide de l'intermédiaire Internet. Celui-ci n'est pas tenu d'apporter son aide; il peut accepter ou refuser de le faire.
Cependant, de nouveaux sites peuvent apparaître du jour au lendemain. Alors, c'est un peu le jeu de la taupe. Le contrevenant peut simplement déplacer le contenu répréhensible vers d’autres pages de son site Web ou créer de nouveaux sites à d'autres emplacements.
Il est peu probable que l’intermédiaire Internet prenne toutes les mesures nécessaires de son plein gré pour retirer, bloquer ou désindexer le contenu illégal. Souvent, il faut qu'une ordonnance du tribunal l'y force. Une ordonnance de désindexation ou de blocage à grande échelle, à portée internationale, constitue le seul recours efficace. L’artiste doit alors demander une mesure réparatoire à l'encontre de l’intermédiaire qui n'est pas une partie dans l'affaire. Voilà qui n'est pas facile, comme l'a bien montré l'affaire Equustek. L’intermédiaire peut invoquer un certain nombre d'arguments pour s’opposer à la mesure réparatoire. Il peut s'en prendre au tribunal en soulevant des arguments de juridiction ou de forme. Rien ne garantit que le tribunal donnera raison à l’artiste, loin de là, parce que, comme je viens de le dire, les critères autorisant des mesures réparatoires sont très difficiles à remplir. Une ordonnance peut être portée en appel. Equustek a interjeté appel jusqu’à la Cour suprême du Canada, mais ce n'était pas la fin de l'histoire. Google a porté l'affaire devant la justice californienne, puis le jugement provenant des États-Unis, selon lequel l’ordonnance canadienne est inapplicable, s'est retrouvé devant les tribunaux de la Colombie-Britannique.
Les procédures judiciaires sont marquées par beaucoup de rebondissements. Il n’y a pas deux affaires identiques. J’espère avoir réussi à faire la démonstration qu’il n’est pas facile pour les artistes de faire respecter leurs droits dans le régime actuel. Pour arriver à mettre fin au préjudice, les artistes doivent faire face à de nombreux obstacles qui sont source d'incertitude et exigent beaucoup de temps et d'argent.
La proposition visant à modifier la Loi sur le droit d’auteur vise à accroître l’efficacité et à donner aux titulaires de droits un outil pour les faire respecter — ainsi les artistes auront une longueur d'avance et un parcours moins difficile. Tous les obstacles ne seront pas levés. Les ordonnances ne seront pas faciles à obtenir et il n'y aura pas de censure à grande échelle sur Internet. Il faudra encore du temps, de l’argent et une application régulière de la loi pour obtenir les ordonnances. Néanmoins, on éliminera certaines des étapes que les artistes doivent franchir à l'heure actuelle. La modification de la loi aidera les titulaires de droits à obtenir un résultat efficace plus rapidement et à moindre coût.
En terminant, je ferai remarquer que la proposition ne vise pas à trouver des coupables. En fait, c'est tout le contraire. La proposition vise à reconnaître que les intermédiaires Internet comme les fournisseurs de services Internet, les hébergeurs et les moteurs de recherche sont les mieux placés pour prévenir ou limiter les violations à grande échelle du droit d’auteur en ligne. Il s’agit de reconnaître que les titulaires de droits ont besoin d’outils efficaces pour faire respecter leurs droits et, en fin de compte, recevoir une rémunération équitable pour l’utilisation de leurs oeuvres.
Voilà ce que j’avais à dire. Merci.
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J'aborderai ce sujet plus en profondeur demain devant l’autre comité. Je dirai tout de même que Mme Zagar a présenté un bon argument, je suppose, ce qui n'est pas chose facile dans ce cas-ci. Même si elle a été problématique au plus haut point, la décision dans l'affaire Equustek montre que la loi actuelle fonctionne. On pourrait même dire que, au vu de cette affaire, la loi fonctionne trop bien. Les cas d'exception font de mauvais précédents. Il s’agissait d’un cas anodin de propriété intellectuelle qui a fini par avoir des conséquences à l’échelle internationale.
Je ne suis pas d’accord avec Mme Zagar lorsqu'elle dit que ce sont les artistes qui sont en jeu. Les poursuites sont intentées par de grandes multinationales du disque. Il ne faut pas s'y tromper. Il ne s’agit pas d’artistes individuels. Tout le monde parle toujours au nom des artistes, mais en fait, il s’agit de grandes multinationales — il ne reste plus que trois de ces multinationales du disque. Ces sociétés valent des centaines de millions, voire des milliards de dollars. Elles ne sont pas pauvres et elles ne ratent pas une occasion de faire de l'argent. Au Canada, nous assistons actuellement à une prolifération d'activités de type « troll » qui rend les gens fous avec des demandes de 5 000 $.
Il n’y a pas que les entreprises qui appliquent la loi. Dans des circonstances extrêmes, il existe déjà des dispositions pénales. Celles-ci sont dans la Loi sur le droit d’auteur depuis très longtemps. Ainsi, si une personne se met à vendre des DVD contrefaits dans un marché aux puces, elle peut être arrêtée et accusée au criminel. C’est prévu par la loi depuis très longtemps et il n’y a rien de mal à cela. Dans notre système, le droit pénal a parfois été surutilisé par des policiers trop zélés répondant à l’insistance de certains groupes, mais dans l’ensemble, à quelques exceptions près, il a été utilisé de façon appropriée et il existe pour les cas vraiment graves.
Si nous voulons que la loi soit davantage appliquée — j’en parlerai demain —, nous pouvons examiner certains modèles modérés comme le modèle australien actuel — et non pas le nouveau modèle qui est proposé. Conformément à ce modèle, ce seraient les juges qui entreprendraient les procédures judiciaires appropriées; ces décisions ne seraient pas prises par une espèce de tribunal indépendant invoquant une censure qui serait, de fait, commanditée par le secteur privé. Il faut mettre en place des mesures de protection pour s’assurer que le tout reste dans le domaine judiciaire et que l'on respecte la primauté du droit.
Je ne pense pas que l’application de la loi pose vraiment problème. Toutes les données existantes montrent que le supposé piratage est en train de disparaître. Dans le secteur, on a enfin compris comment vendre des films et de la musique facilement aux gens, à très bon marché. Les gens veulent faire des achats de manière pratique, facile et honnête. Ainsi, lorsqu'on parle des activités du genre de BitTorrent ou d'autres actes dits de piratage, on se fait du cinéma. Ce problème n'existe presque plus.
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Merci, madame la présidente.
Bonjour. Je m’appelle Michael Geist. Je suis professeur de droit à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique. Je suis membre du Centre de recherche en droit, technologie et société. Je comparais à titre personnel comme universitaire indépendant qui ne présente que ses propres opinions. Je suis désolé de ne pas pouvoir comparaître en personne aujourd’hui, mais je vous suis reconnaissant de me donner l’occasion de participer par vidéoconférence à votre étude des modèles de rémunération.
J’ai suivi de près les travaux du Comité sur cette question. Ils apporteront sans aucun doute une contribution précieuse à la réforme du droit d’auteur du Comité de l’industrie. La semaine dernière, j’ai été consterné d’entendre des témoins affirmer que les enseignants, les étudiants et les établissements d’enseignement du Canada se livrent à des activités illégales. Je crois que cette affirmation est erronée et devrait être dénoncée comme telle.
J’aimerais répondre à plusieurs des allégations concernant les pratiques de copie à des fins pédagogiques, concilier l’augmentation des dépenses en matière de licences et les allégations de réduction des revenus et conclure en présentant au Comité quelques recommandations d’action.
Premièrement, nonobstant l’affirmation souvent entendue selon laquelle les réformes de 2012 sont à l’origine des pratiques actuelles en éducation, la réalité est que la situation actuelle n’a pas grand-chose à voir avec l’inclusion de l’éducation comme fin d’utilisation équitable. Vous n’avez pas à me croire sur parole. En 2016, la Commission du droit d’auteur a demandé à Access Copyright de décrire l’incidence du changement juridique. L'organisation a dit à la Commission que la réforme juridique n'avait pas changé l’effet de la loi, qu'elle n'avait plutôt fait que codifier le droit actuel tel qu’interprété par la Cour suprême.
Même si je pense que l’ajout de l’éducation a dû signifier quelque chose de plus que ce qui était déjà prévu dans la loi, son inclusion en tant que fin d’utilisation équitable est considérée davantage comme une évolution que comme une révolution.
Deuxièmement, l'allégation de 600 millions de reproductions non rétribuées — qui est au coeur des allégations de reproduction déloyale — découle de suppositions désuètes, fondées sur des données vieilles de plusieurs décennies et sur des hypothèses profondément douteuses. La majorité des 600 millions, soit 380 millions, sont des reproductions faites pour des élèves de la maternelle à la 12e année qui datent de 2005. Il y a plusieurs années, la Commission du droit d’auteur a indiqué que les données de l’enquête étaient tellement obsolètes qu’elles n’étaient peut-être pas représentatives. En fait, elles sont tellement vieilles que certains des ministres actuels auraient pu être dans ces classes de la maternelle à la 12e année la dernière fois qu'une enquête a été faite sur les pratiques de copie.
Sur ces 380 millions de reproductions désuètes, 150 millions sont des copies pour lesquelles des frais ont été payés en trop, de l'ordre de dizaines de millions de dollars, comme l’a déterminé la Commission du droit d’auteur et comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale. Le milieu de l’éducation a dû intenter une poursuite pour obtenir le remboursement de ces fonds publics. Je ne peux qu’imaginer la réaction du public si l’on constatait que le gouvernement fédéral avait payé des dizaines de millions de dollars en trop pour des services et qu’il n’avait pas pris de mesures pour récupérer cet argent.
Les 220 millions de copies qui restent viennent d’une étude de l’Université York, dont une grande partie date d'aussi longtemps que l’étude portant sur le secteur de la maternelle à la 12e année. Toutefois, indépendamment de la date de l'étude, il n’est pas crédible d’extrapoler à l’ensemble du pays les données obsolètes sur les pratiques de copie d'une seule université. Cela reviendrait à parcourir quelques rues dans la circonscription de la présidente ou celle de M. Nantel et conclure qu’elles sont représentatives de l'ensemble du pays.
Troisièmement, certains ont suggéré au Comité que le passage des trousses pédagogiques imprimées au matériel pédagogique électronique ou à l'utilisation d'un SGA n’est pas pertinent du point de vue de la reproduction. Je crois que c’est faux. Les données sont en fait sans équivoque. Les trousses pédagogiques imprimées ont en grande partie disparu en faveur de l’accès numérique. Par exemple, l’Université de Calgary rapporte que les trousses pédagogiques imprimées ne sont maintenant utilisées que dans 53 cours, pour une population étudiante de 30 000 étudiants.
Pourquoi est-ce important? Il y a trois raisons.
Premièrement, à mesure que les universités et les collèges passent aux SGA, le contenu change également. Par exemple, une étude d’Access Copyright auprès de collèges canadiens a révélé que les livres ne représentent que 35 % du matériel. La majorité de celui-ci est composée de revues et de journaux, dont une grande partie est offerte en vertu de licences en libre accès ou autorisée par d'autres moyens.
Deuxièmement, la quantité de copies dans un SGA est beaucoup plus faible que dans le cas des trousses imprimées. Même si Access Copyright soutient que le ratio devrait être de un pour un — pour chaque étudiant inscrit, on présume que chaque page est consultée, même celles des lectures facultatives affichées sur le site —, les données et, pour être franc, le bon sens, nous disent que c’est peu probable.
Troisièmement, un SGA permet l'inclusion de livres électroniques sous licence. À l’Université d’Ottawa, il y a maintenant 1,4 million de livres électroniques sous licence, dont beaucoup comportent des licences perpétuelles qui n’exigent aucun autre paiement et qui peuvent être utilisés pour l’enseignement. Des dizaines de milliers de ces livres électroniques proviennent d’éditeurs canadiens, et dans bien des cas, les universités détiennent des licences pour pratiquement tout ce qui est offert par les éditeurs canadiens.
Cela signifie que l'abandon de la licence d’Access Copyright n’est pas fondé sur l’utilisation équitable. Il reflète plutôt l’adoption de licences qui permettent à la fois l’accès et la reproduction. Les licences permettent aux universités d’accéder au contenu et de l’utiliser dans leurs cours. La licence d’Access Copyright offre beaucoup moins, n'accordant que des droits de copie pour les documents que vous avez déjà. Compte tenu de l’augmentation des dépenses — et tout le monde convient qu’il y a eu une augmentation des dépenses depuis 2012 —, pourquoi certaines sociétés de gestion des droits d’auteur déclarent-elles des revenus réduits? Il peut y avoir plusieurs raisons.
Premièrement, comme je l’ai mentionné, une partie de la licence est perpétuelle, ce qui signifie que le paiement n’est versé qu’une fois plutôt que chaque année.
Deuxièmement, beaucoup d’oeuvres ne sont pas utilisées ni copiées. Par exemple, l’Université de la Colombie-Britannique a indiqué que 69 % de son matériel physique n’a pas été utilisé depuis 2004.
Troisièmement, malgré le passage au numérique, le système de paiement Payback d’Access Copyright exclut les oeuvres numériques. Pour ce qui est de l’admissibilité, ses règles excluent les blogues, les sites Web, les livres électroniques, les articles en ligne et autres publications semblables. On peut uniquement demander le paiement de redevances pour les éditions imprimées. De plus, le système de paiement Payback exclut aussi toutes les oeuvres qui ont plus de 20 ans, sous prétexte qu’elles sont rarement copiées.
Quatrièmement, Access Copyright a refusé d’adopter des licences ponctuelles, envoyant ainsi l’argent des licences ailleurs. Le milieu de l'éducation dépense des millions de dollars chaque année en licences ponctuelles qui permettent de faire des copies précises pour des cours, mais Access Copyright n’a pas encore pénétré ce marché.
Cinquièmement, conformément à ce que Bryan Adams a dit au Comité, il se peut qu’une partie du problème réside dans la relation entre les auteurs et les éditeurs, les auteurs étant sous-rémunérés pour les revenus numériques.
Permettez-moi de conclure par quelques réflexions sur les solutions en matière de rémunération.
Premièrement, les efforts visant à imposer la licence d’Access Copyright aux établissements d’enseignement au moyen de réformes des dommages-intérêts préétablis devraient être rejetés. Les établissements d’enseignement, comme tout le monde, devraient être libres d’obtenir les meilleures licences offertes sur le marché, une approche qui est dans l’intérêt du milieu de l’éducation et des auteurs. À l’heure actuelle, je crois que cela vient directement des éditeurs et d’autres agrégateurs, et non des regroupements.
Deuxièmement, le gouvernement devrait collaborer avec les éditeurs canadiens...
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Je remercie les membres du Comité de me donner l’occasion de parler aujourd’hui des modèles de rémunération pour les artistes et les créateurs.
Je m’appelle Jeremy de Beer. Je suis professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et membre du Centre de recherche en droit, technologie et société. Avant de devenir professeur de droit, j’ai été conseiller juridique à la Commission du droit d’auteur, où j’ai pu constater moi-même comment les modèles de rémunération sont appliqués dans la pratique. Au cours des 15 dernières années, j’ai donné des cours sur le droit d’auteur dans les industries créatives. J’ai conseillé des sociétés de gestion collective, des groupes d’utilisateurs, de nombreux ministères et des organisations internationales sur la loi et la politique sur le droit d’auteur. Il convient de souligner que je suis auteur. J’ai écrit cinq livres et plus de 50 articles et chapitres de livres et des dizaines d’autres ouvrages. En me fondant sur mon expérience, j’ai trois points principaux à soumettre au Comité aujourd’hui.
Tout d’abord, la cause profonde des problèmes de nombreux artistes n’est pas le droit d’auteur: ce sont les contrats inéquitables. Deuxièmement, toute réforme du droit d’auteur que le Comité étudie ou recommande devrait rééquilibrer la loi canadienne après la prolongation de la durée du droit d’auteur dans l’Accord États-Unis-Mexique-Canada. Troisièmement, j’exhorte le Comité à reconnaître les droits uniques des artistes autochtones en précisant clairement que rien dans la Loi sur le droit d’auteur ni dans les travaux du Comité ne porte atteinte aux droits existants et issus de traités des peuples autochtones du Canada.
Le problème, ce sont les contrats, pas les droits d’auteur. D’après mon expérience d’enseignant, de conseiller, de chercheur et d’écrivain, je peux vous dire que l’un des plus grands problèmes auxquels font face les auteurs et de nombreux artistes n’est pas le piratage par des personnes qui téléchargent du matériel sur Internet ni les établissements d’enseignement. Pour de nombreux créateurs, le plus gros problème se situe au niveau des éditeurs, des producteurs et des autres intermédiaires puissants qui siphonnent une grande partie de la valeur marchande des oeuvres protégées par le droit d’auteur.
Tout en arguant au nom des auteurs et des artistes des écarts de valeur ou des enseignants profiteurs, de nombreux intermédiaires ignorent délibérément les déséquilibres de pouvoir et les contrats inéquitables qui nuisent aux véritables créateurs.
Rebecca Giblin, professeure australienne qui défend les intérêts des artistes, décrit le problème fondamental comme étant, et je cite: « une manifestation de l’économie de ruissellement, la théorie des chevaux et des moineaux: donnez suffisamment d'avoine aux chevaux, et quelques grains tomberont pour nourrir les oiseaux ».
Cette approche, explique-t-elle, a fait en sorte que nous avons des chevaux gras et des moineaux affamés. Je suggère aux membres du Comité de lire les travaux de Mme Giblin pour mieux comprendre pourquoi il est dangereux de confondre les intérêts des artistes avec ceux des investisseurs et comment nous pouvons garantir aux artistes une juste part sans compromettre les incitatifs.
Bon nombre des solutions aux problèmes auxquels font face les artistes ne relèvent pas du droit d’auteur, les contrats en sont un exemple.
Mon deuxième point concerne le rééquilibrage du droit d’auteur après l’AEUMC. Comme vous le savez, l’Accord États-Unis-Mexique-Canada exige que le Canada prolonge de 20 ans la durée de la protection du droit d’auteur. Cette manne coûtera aux consommateurs et aux contribuables canadiens des dizaines, voire des centaines de millions de dollars par année, dont la majeure partie ira à des éditeurs, à des maisons de disques et à d’autres investisseurs étrangers.
Bien que les modalités de la protection du droit d’auteur au Canada et aux États-Unis seront bientôt harmonisées, d’autres aspects de notre loi ne le sont pas. Plus important encore, alors que les États-Unis ont un système souple d’utilisation équitable pour protéger les intérêts de tous les intervenants, y compris les artistes, qui créent de nouvelles oeuvres en s’appuyant sur ce qui a été fait auparavant, la Loi canadienne sur le droit d’auteur ne prévoit aucune soupape de sécurité. Les créateurs canadiens sont plutôt désavantagés, car ils doivent s'appuyer sur une liste fermée d’exceptions limitées.
Bien que certains groupes vous aient demandé de réduire encore davantage ces flexibilités, l’approche la plus intelligente consiste à adopter un système d’utilisation équitable semblable qui permettra d’équilibrer notre droit d'auteur au droit d’auteur américain. À tout le moins, compte tenu de la prolongation de la protection du droit d’auteur dans l’AEUMC, le Canada doit préserver les flexibilités déjà en place dans sa Loi sur le droit d’auteur.
En ce qui concerne la reconnaissance des droits des Autochtones, ma dernière remarque au Comité concerne une approbation catégorique de ce que vous entendrez, je pense, de M. Robertson, au nom de l’Association du Barreau autochtone. Il est plus que temps de veiller à ce que le droit canadien soit entièrement conforme aux droits des peuples autochtones du Canada.
La façon de faire n’est pas en mettant en place des mesures paternalistes qui ont la prétention de dire aux Autochtones comment assurer la protection et la croissance de leurs industries culturelles et créatives. La mesure appropriée est au moins une disposition de non-dérogation, une déclaration explicite reconnaissant que rien dans la Loi sur le droit d’auteur ne porte atteinte aux droits des peuples autochtones du Canada de déterminer eux-mêmes, en fonction des lois autochtones ou canadiennes, comment régir les connaissances traditionnelles, l’expression culturelle et les oeuvres créatives.
Merci beaucoup.
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Merci, madame la présidente et membres du Comité de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
J’aimerais commencer par reconnaître le territoire non cédé des Algonquins sur lequel nous nous réunissons aujourd’hui, et je fais appel à leurs lois et leurs enseignements pour nous guider dans nos discussions.
Je m’appelle Scott Robertson et je suis un Haudenosaunee des Six Nations de Grand River. Je suis avocat en exercice et président de l’Association du Barreau autochtone.
L’ABA représente des avocats, des universitaires, des légistes, des juges et des aînés autochtones de partout au Canada. Son mandat est de promouvoir l’avancement de la justice et de la justice sociale pour les Autochtones du Canada, en plus de promouvoir la réforme des politiques et des lois touchant les Autochtones. C’est sur cette base que je traiterai de la rémunération des artistes, en particulier des questions qui concernent les artistes autochtones.
Un des grands principes de la Loi canadienne sur le droit d’auteur est de s’assurer que les créateurs reçoivent une juste rétribution pour l’utilisation de leurs oeuvres. Bon nombre des intervenants qui ont comparu devant votre comité ont exprimé avec éloquence la nécessité de rémunérer équitablement les artistes pour leurs efforts. Comme nous l’avons entendu, il y a de nombreuses bonnes raisons de le faire, et le Canada a beaucoup à apprendre du reste du monde pour l'aider à atteindre cet objectif.
Le droit d’auteur met l’accent sur une tradition juridique occidentale de protection des droits de propriété individuels et définit ces droits comme des activités artistiques. Ce ne sont pas toutes les nations autochtones qui partagent ce concept fondamental des droits de propriété intellectuelle.
Il est important de préciser que les artistes et les créateurs autochtones ont droit aux mêmes protections que tous les autres artistes. Cependant, il y a une autre complexité à prendre en considération lorsqu’on examine les activités des artistes autochtones.
Ce qui peut sembler être une pure activité artistique autochtone peut en fait être une forme de médecine, d’astronomie, d’écologie ou même de géographie. Ces enseignements essentiels sont parfois consignés dans des histoires, des danses, des peintures et d’autres formes dites créatives. Les lois canadiennes doivent créer un espace pour veiller à ce que ces enseignements soient protégés, non seulement pour les entreprises et les fins créatives et artistiques, mais aussi pour les connaissances et les lois qui sont transmises.
Le Canada a été fondé sur trois traditions juridiques: la common law, le droit civil et le droit autochtone. Malgré cette fondation multijuridique, les traditions juridiques autochtones ont été largement ignorées dans de nombreuses lois canadiennes et, dans certains cas, des Autochtones ont été traduits en justice pour avoir vécu selon leurs lois.
Les missionnaires, les agents gouvernementaux, les anthropologues, les historiens de l’art, les collectionneurs d’art et d’autres aussi ont tous joué un rôle dans la définition, dans l’assujettissement, puis dans l’appropriation du patrimoine culturel matériel et immatériel des Autochtones.
Comme l’a indiqué Robin R.R. Gray, bien qu’une certaine forme d’appropriation entre les cultures se produise à un niveau élémentaire:
l’appropriation du patrimoine culturel autochtone dans le contexte du colonialisme a presque toujours été une question de pouvoir: le pouvoir de produire des connaissances sur les cultures autochtones, le pouvoir de contrôler les moyens de production des connaissances et le pouvoir d’établir les modalités de sa valeur d'usage au sein de la société.
Sur la côte Ouest du Canada, l’appropriation des totems dans l’économie de marché s’est produite en même temps que les agents du gouvernement et d’autres personnes confisquaient le patrimoine culturel autochtone. Entre 1884 et 1951, l’interdiction du potlatch au Canada a créé les conditions favorisant l’expropriation massive du patrimoine culturel autochtone.
Pendant que les Autochtones étaient poursuivis pour avoir appliqué leurs lois, des personnes non autochtones commercialisaient leur patrimoine culturel, comme le totem, pour en tirer des avantages pécuniaires. Ce faisant, le totem a été utilisé hors contexte en raison du déplacement, de la pratique muséologique occidentale de conservation et de la dénaturation de son image comme symbole d’indigénéité primitive et universelle ou comme icône de l’identité canadienne.
Les pensionnats ont également eu un effet dévastateur en affaiblissant le transfert intergénérationnel de l’expression culturelle au sein des collectivités autochtones, réduisant encore davantage le pouvoir de produire des connaissances.
La professeure Heidi Bohaker, une ethnohistorienne de l’Université de Toronto, raconte souvent qu'elle a vu des femmes anishinabes pleurer lorsqu’elles voyaient pour la première fois les objets rapatriés de leurs ancêtres et constataient combien leur savoir et leurs compétences s'étaient perdus.
Tous les parlementaires, et votre comité en particulier, ont un rôle à jouer pour veiller à ce que les lois susceptibles d’avoir une incidence sur les Autochtones et leurs expressions culturelles soient pleinement examinées et résolues, dans le but de favoriser la réconciliation et de faire en sorte que le rapport de force pour contrôler les moyens de connaissance soit rétabli.
Certaines collectivités autochtones craignent que les droits de propriété intellectuelle en eux-mêmes nuisent aux Autochtones.
Pour réparer ces préjudices historiques et mieux soutenir les artistes autochtones qui respectent et honorent leurs lois et leurs concepts en matière de propriété intellectuelle, le Comité devrait mener une vaste et sérieuse consultation auprès des peuples autochtones. Nous devons consulter les artistes qui produisent des oeuvres de création afin de déterminer de quelles protections ils ont besoin et quelles modifications il faut apporter pour qu'ils soient en mesure d'exercer un contrôle sur leur savoir. Si nous ne le faisons pas, on pourrait donner l'impression erronée que le savoir est considéré comme une réinterprétation artistique.
En terminant, j'aimerais rappeler les enseignements du professeur John Borrows qui, en se demandant si les droits de propriété intellectuelle occidentaux peuvent protéger le savoir autochtone, a dit ceci:
En fin de compte, ce qui pourrait simplifier le problème, c'est que le débat qui doit avoir lieu ne porte pas sur la validité des normes actuellement énoncées dans le droit de la propriété intellectuelle; il faut plutôt se demander si elles doivent être considérées comme les valeurs exclusives dont il faut tenir compte dans la protection du savoir et de l'expression culturelle autochtones. Dans le cadre du débat sur la protection du savoir, l'adoption d'une méthodologie qui ne rabaisse pas les valeurs autochtones d'emblée est certes le premier pas à faire pour éviter l'obtention de résultats procrustéens qui ne pourront jamais empêcher l'appropriation injuste des cultures autochtones et ni les protéger.
Le Comité a tellement de travail à faire pour concilier les lois autochtones et redonner une voix et une expression aux principes autochtones qui protègent le transfert du savoir et de l'art avec amour et respect.
Une voie s'ouvre à nous. Nous devons simplement avoir le courage de nous y engager.
Au nom de l'Association du Barreau autochtone, je remercie le Comité de m'avoir donné l'occasion m'adresser à vous aujourd'hui. Je suis disposé à répondre à vos questions.
Merci.
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C'est une excellente question dont j'ai dû débattre devant la Cour suprême, ce qui n'est pas une mince affaire.
En général, la consultation est définie par les parties qui y prennent part. Je ne pense pas que nous ayons besoin d'une définition générale unique et que nous devions déterminer si les consultations sont conformes à cette norme. Si vous participez à une consultation... J'utilise l'exemple suivant pour illustrer ce processus: je demande à ma femme si je peux aller jouer au golf. La réponse peut varier selon que j'ai été consulté comme il se doit et qu'elle aussi l'a été.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'avoir une définition, nous devons plutôt inviter des artistes autochtones à participer aux consultations pour entendre ce qu'ils ont à dire. Comme vous l'avez fait remarquer avec justesse, il est difficile de concevoir que 633 Premières Nations puissent s'entendre sur une approche unifiée.
Cependant, le fait que vous examiniez la motion... N'oubliez pas que consulter, c'est aussi accommoder. Je pense qu'il est extrêmement important d'écouter les commentaires et les suggestions sur la façon d'élargir ce processus de consultation à toutes les régions, du Canada atlantique aux provinces de l'Ouest.
Pour répondre à votre question, il n'y a pas de définition de la consultation, mais le simple fait d'écouter et de participer aux discussions, c'est de la consultation.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Je tiens compte de l'heure. Il est très tard et nous avons tous des rendez-vous. En tout cas, moi, j'en ai un à 13 h 15.
[Traduction]
Comme je ne m'attendais pas à ce que M. Geist ne soit pas ici, j'ai préparé un document à lui faire parvenir. Avec la permission de la présidente, je vais lui faire parvenir les questions que je lirai à haute voix maintenant. J'aimerais recevoir une réponse par écrit à ces questions.
Premièrement, conseilleriez-vous aux universités canadiennes de se soumettre à un décompte vérifié des documents qu'elles reproduisent? J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet. Si vous pouvez exercer une influence, nous aimerions le savoir.
Deuxièmement, avez-vous déjà obtenu un avantage ou du financement de la société Google ou de ses filiales. Dans l'affirmative, combien, quand et pourquoi?
Troisièmement, le 15 octobre 2013, dans un courriel, vous sollicitez un rendez-vous auprès de la Direction générale des politiques-cadres du marché du ministère de l'Industrie. Vous disiez agir au nom d'une compagnie qui se posait des questions sur l'applicabilité potentielle à ses opérations de l'avis et des dispositions relatives aux avis. J'espérais avoir l'occasion d'en discuter avec vous. Ce courriel a été obtenu à la suite d'une demande d'accès à l'information.
Quatrièmement, quelle était cette société? Faisiez-vous du lobbying? Vous considérez-vous comme un défenseur des droits des utilisateurs? Si oui, qui vous paye pour faire ce travail? Est-ce que cela fait partie de votre travail à titre de titulaire d'une chaire de recherche ou de professeur de droit à l'Université d'Ottawa?
Cinquièmement, donnez-vous des avis juridiques aux décideurs ou aux organisations qui défendent la politique sur les droits d'auteur?
Enfin, avez-vous déjà conseillé le ministère de la Justice sur des litiges en matière de droit d'auteur? Entretenez-vous une relation avocat-client avec le ministère de la Justice?
Je vais envoyer ces questions par écrit au greffier et éventuellement à M. Geist et j'attends des réponses.
Merci beaucoup.