CHPC Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent du patrimoine canadien
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 2 octobre 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Je déclare la séance ouverte.
Je présiderai la séance aujourd'hui, car notre présidente d'antan, Hedy Fry, est en déplacement. La responsabilité de cette séance et, je crois, de la suivante me revient donc. Je vais devoir partir un peu avant la fin aujourd'hui.
Nous avons d'abord des témoins qui auront la parole chacun 10 minutes.
Nous avons le sénateur Murray Sinclair et Kevin Barlow, directeur général du Metro Vancouver Aboriginal Executive Council.
Vous aurez chacun la parole 10 minutes. J'essaierai de vous prévenir quand vous approcherez de la fin et, ensuite, nous passerons aux séries de questions.
Nous nous rencontrons certes à un moment difficile, après la fusillade de Las Vegas et les attentats d'Edmonton et de Marseille au cours du week-end, mais nous continuerons d'avancer résolument.
Nous commencerons par M. Sinclair.
Mesdames et messieurs les députés, bonjour. Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant le Comité pour parler de la motion que vous étudiez et de l'étude que vous entreprenez.
Je ne compte pas parler pendant 10 minutes, mais sait-on jamais.
Des députés: Ah, ah!
C'est juste que je n'ai pas l'intention de parler 10 minutes. Je n'ai pas préparé de notes avant de venir, mais seulement relevé quelques sujets que je veux aborder, en particulier dans le contexte de l'étude que vous entreprenez.
Je vais commencer par me présenter. Vous savez tous que je suis l'honorable Murray Sinclair du Manitoba, sénateur de cette province avec d'autres, mais mon vrai nom, mon nom traditionnel est Mizana Gheezhik. J'appartiens au clan de namegos, c'est-à-dire de la truite arc-en-ciel. Nous sommes le peuple du clan de l'eau. Le peuple du clan de l'eau est traditionnellement chargé de régler les différends. Comme je le rappelle toujours dans notre pavillon, nous sommes également considérés comme les philosophes et les rêveurs. Mon nom, Mizana Gheezhik, veut dire « celui qui parle d'images dans le ciel », ce qui renvoie aussi à la responsabilité qui m'a été confiée.
À première vue, vous avez une très courte motion à examiner. La responsabilité qu'on vous confie ne prend pas beaucoup d'espace sur la page. Cependant, la tâche est immense, car elle concerne presque tout le monde dans ce pays. Je ne veux donc pas essayer de la mesurer pour vous. Je voudrais juste parler de quelques expressions dont on m'a demandé de venir parler, je pense, en raison de mon expérience et de mon travail.
Comme vous le savez, j'ai été nommé au Sénat en avril 2016. Je suis le premier à reconnaître qu'on ne m'y a pas nommé pour mon physique, mais parce que je suis autochtone. J'ai été juge pendant 30 ans à des tribunaux de notre pays et, au cours de ma carrière judiciaire, j'ai participé à trois grandes études. L'une portait sur les erreurs médicales, mais les deux autres concernaient directement la question de la discrimination et du racisme systémiques dans notre pays; à savoir: l'Enquête sur l’administration de la justice et les peuples autochtones au Manitoba, qui examinait l'incidence du système judiciaire sur les Autochtones de la province; et la Commission de vérité et réconciliation du Canada, qui s'est penchée sur l'histoire des pensionnats indiens, l'histoire de la colonisation et les conséquences des décisions du gouvernement pour les Autochtones de ce pays et les populations non autochtones aussi. Je pense donc avoir des choses à dire et pouvoir ajouter à la conversation sur la question du racisme systémique, mais je n'ai guère d'expérience pour ce qui est de la question de l'islamophobie. Quant à la motion que vous examinez, je suis tout à fait disposé à répondre à toute question la concernant et concernant tout autre sujet dont vous souhaitez me parler.
Venons-en à mes observations, si je puis, sur la question du racisme et de la discrimination systémiques, car c'est un domaine dans lequel j'ai une certaine expérience et au sujet duquel j'ai beaucoup écrit.
Les gens ont du mal à comprendre ce qu'on entend par discrimination et racisme systémiques. Cela tient à ce qu'il ne s'agit pas du type de racisme qui découle forcément du comportement, des paroles ou des actes de personnes, si ce n'est le fait qu'elles sont guidées par le système dans lequel elles évoluent. J'aime toujours à dire que le racisme systémique est le racisme qui reste après qu'on s'est débarrassé des racistes. Une fois qu'on est débarrassé des racistes dans le système judiciaire, par exemple, celui-ci continuera de faire preuve de racisme parce qu'il suit certains processus, règles, procédures, lignes directrices, précédents et lois qui sont par nature discriminatoires et racistes parce que ces lois, ces politiques, ces procédures et ces croyances — y compris des croyances qui dictent la façon et le moment d'exercer sa discrétion — viennent d'une histoire de la common law, qui vient d'une autre culture, d'une autre façon de penser. L'effet sera obligatoirement différent sur des personnes qui viennent d'une autre culture, d'une culture qui n'est pas celle de la société qui a créé ce système au départ.
Par exemple, le service de police de Winnipeg appliquait une règle selon laquelle, pour être policier à Winnipeg, il fallait mesurer au moins 5 pieds 10 pouces. Si vous étiez plus petit, vous ne pouviez pas être policier, et le filtrage se faisait dès le début. La mesure n'était pas discriminatoire parce qu'il n'était pas précisé que seuls les hommes pouvaient se porter candidats. On ne précisait pas non plus que les Philippins de petite taille ne pouvaient pas se porter candidats. On ne précisait pas qu'il fallait être capable de porter un corps pour devenir candidat. L'intention de la règle était de recruter de grands gaillards baraqués capables de se défendre en cas de confrontation avec des gens dans la rue. Le service de police s'est dit qu'il commencerait à 5 pieds 10 pouces. La plupart des policiers de Winnipeg faisaient nettement plus de six pieds.
L'utilisation de cette norme de recrutement et d'acceptation dans le service de police constituait évidemment une discrimination à l'égard de la plupart des femmes. Toutes ne font pas moins de 5 pieds 10 pouces, soit, mais la plupart, si. Des personnes de différentes origines ne répondaient sans doute pas aux conditions parce qu'elles ne pouvaient pas atteindre cette taille. Je fais référence, entre autres, aux Philippins. Il se peut qu'ils ne répondent pas aux conditions juste parce que, dans leur famille et leur communauté, on n'est pas nécessairement aussi grand.
L'application de cette règle n'avait aucun lien logique non plus avec l'objet du maintien de l'ordre. C'est l'autre raison qui rend cette règle particulière illogique. En l'éliminant, le service de police a pu recruter plus de femmes et de personnes de différentes origines ethniques, culturelles et raciales, ce qui lui permet de mieux remplir sa mission. Là est toute la question. Si vous avez une règle discriminatoire ou une règle qui a un effet différent sur certaines populations au sein de la société et que cet effet est négatif, il faut se demander si elle est nécessaire. Cela ne veut pas dire qu'on va s'en débarrasser automatiquement. Si la règle n'a pas de lien de causalité avec un avantage que vous recherchez et qu'on peut seulement être accepté de cette façon, vous devez vous en débarrasser. Vous devez reconnaître que l'effet négatif n'est pas à votre avantage.
Il existe beaucoup de règles de ce type dans le système judiciaire, qui suit beaucoup de pratiques de ce genre. Par exemple, dans la détermination des peines et la révision des ordonnances de détention, on prend en compte certains facteurs qui sont examinés de façon négative dans le cas des Autochtones. Ainsi, dans la détermination d'une peine, on prend en compte le fait que la personne travaille depuis longtemps pour le même employeur. A-t-elle un domicile régulier dans la collectivité ou est-elle sans abri? A-t-elle des problèmes de santé mentale? Tous ces facteurs entrent en ligne de compte. Lorsqu'ils sont plus importants dans une certaine communauté, comme les communautés autochtones, ils ont des répercussions différentes.
Comme je l'ai dit, la discrimination et le racisme systémiques, c'est le racisme qui reste après qu'on s'est débarrassé des racistes. C'est là qu'il faut faire attention à ce qu'on fait.
Merci.
Je vous remercie.
La parole est maintenant à M. Barlow du Metro Vancouver Aboriginal Executive Council.
Je vous remercie, monsieur le président et mesdames et messieurs les députés.
Mon organisme représente une population urbaine de la région métropolitaine de Vancouver qui est estimée à environ 70 000 Autochtones. Nous croyons et la plupart des gens croient que les Autochtones sont victimes depuis des centaines d'années d'un racisme systémique sanctionné par l'État. Le système des pensionnats indiens ne visait pas vraiment à éduquer. Il s'agissait de convertir au christianisme et de faire disparaître l'Indien dans l'enfant.
Lorsque nous parlons de ces influences historiques, beaucoup de gens pensent à tort que nous parlons des premiers contacts, alors que nous parlons en fait de réalités plus actuelles. J'aurai 56 ans en décembre et j'aurai connu certaines choses de mon vivant. Par exemple, les Premières Nations n'ont obtenu le droit de vote que deux ans environ avant ma naissance. J'étais déjà né, par exemple, quand les Innus de Davis Inlet ont été déplacés. Ces déplacements forcés sont des exemples de racisme sanctionné par l'État. Nous ne parlons donc pas d'il y a des centaines d'années. Nous parlons d'aujourd'hui, même si les choses ont commencé à l'époque.
Nous entendons beaucoup parler depuis quelque temps du changement de noms historiques. Par exemple, à Halifax, des gens demandent qu'on enlève la statue de Cornwallis et il est même question de changer le nom d'écoles qui portent le nom de Sir John A. Macdonald. Pour ceux qui ne le savent pas, Cornwallis n'était pas une bonne personne. Il mettait à prix la tête de Micmacs. Quand nous parlons de changer ces noms, nous devons nous demander à quoi cela servira.
Selon moi, il doit se passer deux choses à ce propos. La première est qu'il faut une réaction locale. Par exemple, à Vancouver, nous avons une école axée sur les Autochtones qui porte, paradoxalement, le nom de Sir John A. Macdonald. La communauté locale veut lui donner un nom autochtone et personne ne s'y oppose vraiment. Si une communauté locale veut apporter ce changement et que cela ne crée pas une profonde discorde, je crois qu'il faut y réfléchir.
La seconde, cependant, à mon sens, est une occasion pour nous d'éduquer au sujet de ces répercussions. Par exemple, au lieu d'enlever la statue de Cornwallis, pourquoi ne pas apposer sur son socle une plaque qui parle de cette époque, des répercussions et des idées d'alors, et qui explique que nous ne sommes plus d'accord avec ces choses? Il me semble que cela servirait davantage que de se contenter d'essayer d'effacer l'histoire.
Je crois que beaucoup de Canadiens pensent que les peuples autochtones ont perdu la guerre, alors que si vous connaissez votre histoire, vous savez que le Canada s'est formé dans une large mesure par la signature de traités. Vous vouliez qu'un chemin de fer traverse le pays de part en part pour empêcher les Américains d'y venir, alors vous avez conclu des traités. Je crois qu'il arrive qu'on pense parfois que nous avons été vaincus et que nous n'avons qu'à nous y faire, mais je ne crois pas que ce soit la réponse. Nous devons enseigner l'histoire dans un contexte approprié.
Je pense que nous avons en ce moment même une polarisation extrême et c'est quelque chose que je n'ai pas vu depuis longtemps. Quand j'étais enfant au Nouveau-Brunswick, il y avait des écoles qui pratiquaient la ségrégation. On aurait dit que les Anglais et les Français ne pouvaient pas s'entendre. Il y avait donc, dans l'école que je fréquentais, une ligne invisible. Les Français étaient d'un côté et les Anglais de l'autre. Comme ma communauté parlait anglais, on nous a casés avec les Anglais. Franchement, il y avait des jours où on avait l'impression d'être des lapins poursuivis pas des chiens de chasse, parce qu'on cherchait à nous intimider. Ma réserve ne compte actuellement que 200 membres environ, mais quand j'étais enfant, nous étions beaucoup moins encore. Nous étions peut-être quatre ou cinq enfants à aller à cette école et on ne nous laissait pas tranquilles.
J'ai l'impression de revoir aujourd'hui cette sorte de polarisation où chacun reste dans son coin et n'a pas vraiment envie de s'entendre avec les autres. Je ne crois pas que ce soit tellement l'effet Trump. Pour moi, cela tient au fait qu'il y a assez de gens à avoir ce genre d'idées pour élire quelqu'un comme lui. Les émissions de téléréalité ont pour effet d'éroder peu à peu une certaine morale ou une certaine norme sociale. Les réseaux sociaux, que j'aime à appeler les réseaux antisociaux, isolent aussi les gens. On a tendance à dire que si on est ami avec certaines personnes qui partagent nos valeurs, on se cantonne généralement à ce genre d'opinions, ce qui accentue en quelque sorte l'isolement.
De fausses nouvelles circulent de temps à autre, y compris sur les réseaux sociaux. Il paraîtrait, par exemple, que les nouveaux immigrants qui arrivent au Canada sont payés aux taux fixés par le Conseil du Trésor qui sont courants pour les fonctionnaires ou les personnes qui voyagent en service commandé, ce qui donne à penser qu'ils font beaucoup plus que les gens qui ont grandi ici, qui touchent des prestations de la Sécurité de la vieillesse ou une pension d'invalidité et ainsi de suite. Lorsque se produit cette polarisation, ce genre de choses peut, à mon sens, se développer. À mon avis, le gouvernement canadien, quel qu'il soit, doit montrer l'exemple et s'employer explicitement à éduquer la population et à réparer ces fractures.
Autre exemple, aux États-Unis, les transgenres se sont vus interdire d'utiliser certaines toilettes. Ici, au Canada, je vois des panneaux qui disent « Tous les genres sont bienvenus ». On est comme ça au Canada. On accepte davantage les différences. Même si nous ne sommes pas à l'abri du racisme, nous ne ressemblons généralement pas à nos voisins du Sud. Nous voyons ces rassemblements néonazis ou fascistes et, oui, les gens ont le droit de se réunir et d'exprimer leurs opinions. Nous avons des lois qui protègent contre la haine et nous voyons l'autre face. À Vancouver, il y a eu un rassemblement, littéralement des milliers de personnes qui sont venues dire haut et fort qu'elles refusaient ce genre de haine. D'un côté, on avait quelques centaines de personnes venues exprimer leurs points de vue et de l'autre, des milliers de personnes qui s'y opposaient.
À mes yeux, Vancouver est un parfait exemple de leadership citoyen. Elle a approuvé le principe et s'est proclamée ville de la réconciliation. Elle fait tout pour montrer que les Autochtones de la région y ont leur place. Cette discussion sur le racisme doit aussi comprendre une discussion sur le racisme perçu. Les Autochtones sont surreprésentés dans presque tous les indicateurs sociaux et de santé négatifs dans ce pays, qu'il s'agisse de l'itinérance, de la toxicomanie, des taux d'enfants placés ou de l'incarcération, et j'en passe. Or, cela s'accompagne parfois de préjugés et de discrimination, les gens se disant que nous sommes les artisans de nos propres problèmes, que si seulement nous travaillions et payions des impôts, tout irait mieux.
J'ai deux documents dans mes références qui parlent du racisme dans le système de santé. L'un vient de l'Institut Wellesley et l'autre, du Collège des médecins de famille du Canada. Vous pensez peut-être que le racisme n'existe pas. Si vous lisez les commentaires suscités par la parution de ces rapports, vous verrez que le racisme était flagrant. Malheureusement, il existe bel et bien. Nous entendons quantité d'histoires, qu'il s'agisse de Frank Paul, mort par hypothermie en 1998, à Vancouver; d'Adam Capay, jeune Autochtone en isolement cellulaire depuis quatre ans; de Curtis Brick, dont des premiers intervenants se sont moqués et qui a fini par succomber, victime de la chaleur extrême; ou de Barbara Kentner, jeune femme de la région de Thunder Bay qui est décédée après avoir été heurtée par un attelage de remorque.
Barbara Kentner a été heurtée par un attelage de remorque et, nous autres, Autochtones, nous y voyons du racisme. Quelqu'un a fait cela parce que c'était une Autochtone, mais nous savons que c'est plus difficile à prouver en droit, ce qui fait que l'homme a été inculpé d'autre chose. La femme est décédée depuis.
Le racisme perçu sape notre confiance dans le système depuis des centaines d'années. Preuve que ce genre de choses continue d'exister ici, dans les provinces de l'Atlantique, les gens appellent encore les chèques de l'assistance sociale, les chèques des rations. Ils parlent de leur chèque de rations. Ces choses-là sont inscrites dans notre psychisme.
Pour terminer, j'aimerais dire que nous estimons qu'il faut en faire plus au sujet de la réconciliation, pour s'assurer de la compétence culturelle à différents égards. Nous nous prononçons également contre l'islamophobie parce que si nous disions qu'un groupe peut faire l'objet de discrimination, nous irions à l'encontre de ce que nous défendons depuis tellement d'années. Nos enseignements parlent des quatre couleurs de l'humanité dans le cercle d'influences: la race rouge, la race jaune, la race blanche et la race noire. Les chrétiens ont les 10 commandements. Nous obéissons à un seul principe, le respect, le respect de toute vie.
Je pense que ce que le gouvernement canadien doit faire pour montrer son leadership, c'est réparer ces fractures et travailler avec la communauté pour faire en sorte que nous accueillions les personnes qui arrivent et éduquions la population au sujet des réalités actuelles.
Je vous remercie.
Merci beaucoup.
Nous allons passer aux séries de questions. Les premières sont de sept minutes. Ces sept minutes comprennent les questions et les réponses. La première série est celle des libéraux et M. Vandal posera la première question.
Je vous remercie, monsieur le président.
Sénateur Sinclair, monsieur Barlow, je vous remercie de votre présence. J'apprécie que vous précisiez qu'il s'agit d'un vaste sujet. Nous n'avons que sept minutes pour les questions et les réponses. Je n'aurai probablement pas l'occasion d'en poser une autre. Je vais donc rester à un niveau très élevé. Vous avez très bien cerné, à mon sens, la différence entre le racisme et le racisme systémique. Comme vous le savez mieux que quiconque, une personne peut ne pas obtenir un emploi, ne pas obtenir le service médical dont elle a besoin, être arrêtée ou pire, à cause du racisme systémique.
Sénateur Sinclair, depuis 10 ans, allons-nous dans la bonne direction en ce qui concerne le racisme systémique? Les choses s'améliorent-elles?
Ce sont deux questions différentes.
Je dirais qu'en effet, nous allons dans la bonne direction, mais que la situation empire. Elle empire principalement parce que la population autochtone et la population des minorités visibles de ce pays augmentent et que, par conséquent, l'impact est ressenti par plus de personnes. L'impact négatif, ou l'impact différentiel, touche un plus grand groupe de personnes. On commence à voir une plus grande prise de conscience de l'existence d'un impact négatif. Par exemple, à l'époque de l'Enquête sur l'administration de la justice et les Autochtones, les taux d'incarcération étaient nettement inférieurs à ce qu'ils sont maintenant, mais il a été reconnu depuis qu'il y a des choses à faire, que les tribunaux se montrent disposés à en faire plus, que les articles du Code criminel sur la détermination des peines ont été modifiés en 1996 afin que les tribunaux prennent en compte la situation particulière des délinquants autochtones. Des efforts sont donc consentis, mais ils ne sont pas à la hauteur d'un problème de cette ampleur.
Très bien.
Comme nous sommes tous deux du Manitoba, nous savons tous deux que beaucoup trop d'enfants sont pris en charge par les services de protection de l'enfance. Je crois qu'il y en a plus de 12 000. Il n'y en a jamais eu autant. Que pouvez-vous dire à ce sujet?
Il y a plusieurs raisons à cela, à mon avis. Le nombre d'organismes de protection de l'enfance a augmenté au Manitoba en particulier et, je crois, dans l'ensemble des provinces des Prairies, qui comptent le plus grand nombre et le plus grand pourcentage d'enfants autochtones dans le pays. Même dans les régions moins peuplées en pourcentage, le nombre d'enfants autochtones placés a augmenté. Cela tient à l'augmentation du nombre d'organismes de protection de l'enfance et au fait que ces organismes sont plus conscients depuis l'enquête sur Phoenix Sinclair et le rapport Hughes de leur responsabilité potentielle en cas d'erreurs. Ils se montrent donc moins indulgents avec les familles lorsqu'il s'agit de décider de prendre en charge un enfant. Les taux de natalité augmentent parce qu'ils sont bien plus élevés dans la population autochtone que dans le reste de la population et, en moyenne, les jeunes femmes autochtones ont des enfants plus tôt que dans le passé. C'est parce que le nombre de jeunes femmes autochtones qui ont des bébés augmente.
Peut-on parler de racisme systémique à propos du nombre élevé d'enfants autochtones actuellement pris en charge par le système protection de l'enfance?
Oui. Le racisme systémique est présent à plusieurs moments. Tout d'abord, il y a le moment où on décide de prendre en charge les enfants. Les facteurs utilisés pour prendre une telle décision n'incluent pas les facteurs particuliers aux familles autochtones. Par exemple, à l'heure actuelle, le Manitoba prend en charge, en moyenne, un nouveau-né par jour à l'hôpital. Une jeune mère se rend à l'hôpital, y accouche et l'enfant est pris en charge. Cela arrive environ 370 fois par an, et je ne parle pas des enfants pris en charge plus tard.
Si nous regardons les facteurs qui conduisent à cette situation, ce qui se passe dans les communautés nordiques, c'est que la plupart des mères doivent se rendre dans deux ou trois centres urbains — Thompson, Brandon ou Winnipeg — pour accoucher. Elles quittent leur communauté. Si elles ont un problème social ou physique, elles n'ont pas de réseau de soutien en place dans ce centre pour les aider. Elles doivent donc se tourner vers un organisme de protection de l'enfance, dont la première décision est de prendre en charge l'enfant. Il prend l'enfant en charge, puis il offre à la mère de l'aider à se faire soigner ou à obtenir une aide. Pendant ce temps, l'enfant est placé. Le temps que la mère suive un traitement ou obtienne l'aide dont elle a besoin, l'organisme refuse souvent de lui rendre l'enfant sous prétexte qu'il a noué des liens avec sa famille d'accueil et qu'il ne faut pas le perturber. Ou bien l'organisme dit à la mère qu'elle n'a pas suivi le programme assez bien et qu'elle doit donc en suivre un autre.
Il y a discrimination systémique parce que les facteurs et les normes auxquels sont assujettis les Autochtones sont presque impossibles à tenir, car ils ne bénéficient pas des mêmes avantages sociaux, des mêmes privilèges sociaux et des mêmes possibilités que les familles non autochtones. D'entrée de jeu, ils ont contre eux plus de facteurs négatifs qui font qu'ils sont pris dans le système.
Résultat, les règles que suit le système jouent contre les mères autochtones.
Nous cherchons au Comité à définir une approche pangouvernementale qui permettrait de réduire ou d'éliminer le racisme systémique et la discrimination religieuse. En moins d'une minute, pouvez-vous nous conseiller dans notre démarche?
En ce qui concerne les Autochtones — j'en parle parce que j'ai plus d'expérience et de connaissances en la matière —, il faudrait que les communautés autochtones soient plus en mesure de s'occuper de leurs propres activités, de prendre le contrôle de ces systèmes parce qu'elles peuvent faire aussi bien, mieux même que les organismes non autochtones pour ce qui est de la protection de l'enfance. Il en va de même de la détermination des peines des délinquants autochtones. En faisant participer leurs communautés — surtout dans le cas des jeunes Autochtones — au jugement des affaires, on empêchera que ces enfants continuent sur le chemin de la criminalité. Il est essentiel d'autonomiser les communautés autochtones. L'autonomie gouvernementale est essentielle.
Nous allons maintenant passer à la série des conservateurs.
Je crois que M. Reid va poser les questions.
C'est exact. Je vous remercie, monsieur le président.
Merci à nos deux témoins de leur présence aujourd'hui. Sénateur Sinclair, c'est à vous que j'adresserai mes premières questions, car vous avez abordé une définition très intéressante du racisme systémique.
J'ai ici une citation tirée de l'ouvrage de 1967 de Stokely Carmichael et Charles Hamilton, Black Power: The Politics of Liberation, qui introduit la notion de racisme institutionnel. Ils disent ceci:
Quand des terroristes blancs mettent une bombe dans une église noire et tuent cinq enfants, on a affaire à un acte de racisme individuel, largement déploré par tous les segments de la société. Mais quand dans la même ville — Birmingham, Alabama —, cinq cents bébés noirs meurent chaque année, faute de nourriture décente, de toits ou d'hôpitaux, et que des milliers d'autres sont détruits ou estropiés physiquement, psychologiquement et intellectuellement à cause de la pauvreté et de la discrimination que vit la communauté noire, c'est un effet du racisme institutionnel.
Est-ce que cela résume plus ou moins ce que vous essayez de dire?
Ce sont des exemples des problèmes dont je parle, sans aucun doute. C'est ce qui arrive quand un système, une approche de la justice, une approche de l'application de la loi, traite les membres d'un groupe différemment de ceux d'un autre groupe.
Vous avez, par exemple, la situation de cet homme à Edmonton qui vient d'être inculpé de terrorisme pour avoir foncé avec sa voiture sur des piétons et attaqué un policier, et la situation de cet autre homme à Charlottesville qui a foncé délibérément sur une foule de manifestants, qui lui n'est pas inculpé d'acte de terrorisme. Ces deux hommes ont apparemment fait exactement la même chose pour intimider un groupe de personnes ou les empêcher d'exercer leurs droits, et pourtant, le Blanc — si je puis dire — à Charlottesville, aux États-Unis, n'est pas inculpé de terrorisme et le type à Edmonton l'est.
C'est un exemple de l'utilisation de la discrétion, du pouvoir de prendre ces décisions qui découle de la compréhension personnelle, du point de vue de la société et des règles de comportement qu'on s'attend à voir respecter, par un policier, peut-être.
Un de nos témoins la semaine dernière parlait du nombre ou du pourcentage de Noirs — je crois qu'il parlait des hommes — par rapport au nombre ou au pourcentage de Blancs inculpés et déclarés coupables de différents types d'infractions au Canada. Il faisait remarquer que c'est dans les types d'infraction où le pouvoir discrétionnaire des juges est le plus grand que le déséquilibre est le plus marqué. Je ne suis pas certain que ce soit le bon terme — la divergence la plus nette serait peut-être plus appropriée. Je ne veux pas lui faire dire ce qu'il n'a pas dit, mais il me semble qu'il a expliqué que, selon lui, cette situation est révélatrice d'un parti pris sous-jacent de la part des juges qui influe sur les peines prononcées.
Il parlait d'un autre groupe, évidemment, tout comme Stokely Carmichael et son co-auteur, mais est-ce que cela correspond aussi à ce que vivent les Autochtones canadiens dans le système judiciaire?
En grandissant dans ce pays — et cela vaut aussi pour les États-Unis —, on apprend que si on est d'origine européenne, les personnes qui ne le sont pas vous sont inférieures, parce que c'est le système de croyances hérité du colonialisme et des systèmes de croyances européens. C'est ce qui sous-tendait l'application de la common law et de divers autres mécanismes juridiques qui ont permis d'établir et de justifier la souveraineté de la Couronne dans ce pays. Ils disaient être un peuple supérieur qui avait le droit d'agir ainsi.
Lorsque nous rencontrons des personnes d'autres origines, nous partons du principe qu'il faut leur montrer, que nous devons les traiter de manière à les faire entrer dans ce moule. Quand j'étais jeune avocat plaidant, j'ai entendu beaucoup de juges dire à mes clients autochtones: « Vous devez savoir que cette loi est faite pour vous; par conséquent, je vais vous condamner à ceci », alors qu'un non-Autochtone qui avait commis la même infraction n'écopait pas forcément de la même peine. Ils cherchaient à utiliser la loi pour donner une leçon.
Ce genre de croyance, que les colonisateurs européens qui sont venus dans ce pays étaient supérieurs aux Autochtones qui s'y trouvaient déjà fait partie intégrante de l'expérience coloniale. Elle a appris aux Autochtones qu'ils sont inférieurs et aux non-Autochtones, qu'ils sont supérieurs, et cela a surtout contribué aux relations très négatives entre les deux.
Les juges, qui sont principalement d'origine européenne, croient, lorsqu'ils exercent leur pouvoir discrétionnaire, qu'ils doivent le faire de manière à renforcer l'essence du système.
Je vous remercie.
Je présidais le Sous-comité des droits internationaux de la personne et nous nous intéressions, entre autres — même s'il ne s'agissait pas de droits internationaux, mais canadiens de la personne —, à l'examen périodique universel de la situation au Canada en tant que pays. Un de ces examens a eu lieu en 2009, un deuxième en 2013 et un troisième sera publié sous peu. Ils ont lieu tous les quatre ans.
Eh bien, vous avez de l'avance sur moi.
Je m'appuie sur celui de 2013, mais je suppose qu'on trouvera des recoupements. En parcourant les recommandations et les problèmes mis en lumière par d'autres pays, je vois ce qui suit, et vous verrez la tendance et ne serez pas surpris.
La Finlande parle de discrimination à l'égard des femmes et des filles autochtones, L'Irlande mentionne des problèmes de droits de la personne auxquels sont confrontés les Autochtones. Le Japon souligne la violence contre les femmes autochtones. J'ai d'autres exemples, mais je vais manquer de temps. La tendance paraît assez claire. Il me semble que lorsque la communauté internationale, y compris des pays très respectueux des droits de la personne, examine ce qui se passe au Canada, elle conclut que c'est dans le traitement des Autochtones que notre pays manifeste le racisme systémique — bien ancré — le plus marqué, comparativement à toutes les autres catégories possibles.
Est-ce que cela vous semble juste?
Cela me semble juste. En fait, la guerre menée contre les peuples autochtones du monde entier, partout où des peuples autochtones et non autochtones se sont retrouvés face à face, était moins militaire que juridique. C'est par une guerre juridique que les peuples autochtones ont été assujettis.
Nous devons passer à la série de questions suivante. C'est le tour du NPD.
Madame Kwan, vous disposez de sept minutes.
Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence.
Sénateur, sur la vaste question du racisme systémique, lorsque vous parlez des effets résiduels, lorsque le raciste a disparu et que vous voyez un système qui reste discriminatoire envers un groupe de personnes, il s'agit selon vous de racisme systémique. La situation actuelle des communautés autochtones — Premières Nations, Inuits et Métis —, qui vivent dans des conditions dignes du tiers-monde, qui sont régulièrement visées par des avis appelant à faire bouillir l'eau et où rien ne s'améliore, cette situation résulte-t-elle, selon vous, du racisme qui est maintenant systémique au Canada?
Elle résulte dans une large mesure d'un certain nombre de facteurs qu'il faut prendre en compte. Il y a, tout d'abord, leur emplacement, le fait que les Autochtones ont été déplacés de régions florissantes du pays, notamment dans les Prairies, par exemple, où ils avaient des communautés agricoles qui prospéraient, pour les installer sur des terres arides, ce qui les a empêchés de fonctionner et de survivre. Ensuite, pendant des générations, le gouvernement du Canada n'a doté ces communautés déplacées d'aucune infrastructure. Ce n'est que récemment, au cours des deux ou trois dernières générations, qu'il a commencé à leur fournir des routes, des égouts, de l'eau et de l'électricité. Le phénomène est relativement récent dans les communautés autochtones. Il s'agit certainement d'un exemple de la discrimination systémique qui s'est produite au fil des ans.
Dans le même ordre d'idées, nous avons l'inégalité ou le financement inéquitable, si vous voulez, du système éducatif pour les enfants autochtones. Nous avons une situation où le tribunal s'apprête à émettre une quatrième ordonnance pour que les enfants autochtones soient traités équitablement, et on ne fait toujours rien. Nous avons une situation où le gouvernement a dépensé 110 000 $ en frais de justice contre un enfant cri qui souffre et a besoin d'appareils qui coûtent 6 000 $. Ce sont des situations de discrimination systémique que nous avons sous les yeux. Êtes-vous d'accord?
Je vous remercie.
Comment pouvons-nous y remédier? Le Comité doit présenter des recommandations au gouvernement pour que soient prises des mesures concrètes non seulement contre les racistes manifestes, mais aussi pour remédier à la situation héritée du passé, surtout en ces temps de réconciliation. Des recommandations concrètes relativement à des mesures qui doivent être prises. Par exemple, mon collègue Romeo Saganash travaille sur un projet de loi d'initiative parlementaire qu'il espère déposer à la Chambre pour faire reconnaître les droits des peuples autochtones reconnus par les Nations unies et les inscrire en droit.
Pour remédier à la discrimination et au racisme systémiques dans les lois de ce pays et, en particulier, pour vérifier dans quelle mesure elles sont conformes ou non à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, il faut d'abord en dresser un inventaire. Il faut procéder à une analyse pour déterminer quelles lois empêchent l'exercice des droits des peuples autochtones reconnus par la Déclaration des Nations unies et que le Canada a accepté comme tel. Cet inventaire n'a pas encore été dressé. Il faut qu'il le soit. Une fois que cela sera fait, je crois que les lois qui sont en conflit avec la Déclaration des Nations unies devront être modifiées.
Il n'est pas nécessaire, à mon sens, de donner force de loi à la Déclaration des Nations unies. Je trouve l'approche problématique parce qu'une déclaration des Nations unies n'est pas une loi en soi. Elle enjoint aux États de faire certaines choses pour se conformer aux principes qui y sont énoncés. Ce qu'il faut faire, en réalité, c'est examiner les lois canadiennes existantes qui continuent d'avoir des répercussions ou qui n'ont apparemment pas d'impact négatif intentionnel, mais qui ont un impact différentiel en raison de la pratique, et en changer le libellé ou l'application.
Je vous remercie.
Je crois, en fait, que le projet de loi de mon collègue ne vise pas à donner force de loi à la Déclaration des Nations unies. Je suis désolée, je me suis mal exprimée. L'intention est, en fait, celle-là même que vous mentionniez.
En effet. Je vous remercie d'avoir rectifié.
Je vais me tourner vers Kevin.
Dans la communauté autochtone urbaine, nous avons également une série de problèmes importants. Je vais passer directement aux recommandations. Pour ce qui est des mesures concrètes, vous parlez de cerner les problèmes et de mettre en oeuvre des solutions. Est-ce qu'une stratégie nationale visant à aider les communautés locales à régler véritablement ces problèmes aiderait? Pourriez-vous nous dire rapidement ce que vous en pensez?
Je conviens entièrement qu'il nous va falloir prendre des dispositions à l'intention de la population autochtone des villes. Dans certaines régions, en effet, les citadins représentent entre 70 et 80 % des Autochtones de la province.
Le gouvernement fédéral a tort de porter son attention surtout sur la population des réserves. C'est une solution de facilité, la réserve constituant un ensemble cohérent plus facile à saisir. Or, par nécessité, de nombreuses personnes quittent actuellement les réserves pour aller s'installer ailleurs.
Un sujet de conversation qui revient régulièrement au sein de notre organisation est la psychologie de la pauvreté. Ce n'est pas tellement que les gens sont pauvres, mais qu'ils ont vécu pendant plusieurs générations dans un état de dénuement, et que cela laisse des traces. Il nous faut donc trouver les moyens leur permettant de s'affranchir de certaines attitudes.
De manière générale, les services de l'État sont assurés en vertu de règles qui ne prennent pas toujours en compte le fait que dans certaines situations les Autochtones issus d'un milieu défavorisé n'ont pas, comme le sénateur Sinclair le rappelait tout à l'heure, les moyens de réagir correctement. Faute de mesures de soutien, le système intervient et, par exemple, retire un enfant à sa famille, ou met quelqu'un en prison. Nous faisons de notre mieux pour aider les gens à s'affranchir de certaines attitudes mentales nées de la pauvreté, et mettre en place des systèmes adaptés, mais nous aurions besoin de dispositifs officiels correspondant aux besoins des personnes habitant en ville.
Le gouvernement fédéral vient d'instaurer un programme à l'intention des Autochtones vivant en ville, mais je dois dire, très franchement, que ce programme a de nombreux défauts.
J'ai moi-même épuisé mon temps de parole avant de pouvoir dire que M. Barlow pourrait peut-être ultérieurement transmettre ses recommandations au Comité.
C'est une possibilité ouverte à tous. Bonne idée.
La parole passe maintenant aux libéraux, en la personne de Mme Dabrusin, qui dispose de sept minutes.
Je vous remercie tous deux. J'aurais quelques précisions à vous demander et si l'un d'entre vous souhaite intervenir alors que l'autre répond à l'une de mes questions, qu'il n'hésite surtout pas. Je voudrais avoir votre avis à tous les deux.
Ma première question, cependant, s'adresse à M. Barlow. Dans votre exposé, vous avez évoqué le besoin de plus larges compétences culturelles. Alors que nous abordons cette étude, pourriez-vous nous dire un peu ce que vous entendez par cela? Que devrions-nous faire afin, justement, d'accroître la compétence culturelle?
Nous venons d'élaborer un programme d'initiation à la culture. La difficulté provient du fait que nous n'avons pas, au sein de notre organisation, toutes les personnes et ressources financières nécessaires pour assurer cette formation aux agents de service non autochtones. Ce type de formation peut se trouver dans le secteur privé, mais il n'est pas toujours possible d'en garantir la qualité. Plus nous parviendrons à mettre sur pied un programme de formation à l'intention des intervenants, plus ceux-ci seront à même de comprendre la réalité quotidienne des Autochtones.
Permettez-moi d'évoquer quelque chose qui est arrivé ici, à Vancouver, il y a quelques années. Le directeur général et le conseil d'administration d'une des sociétés de logement s'étaient rendus, par avion, vers une destination exotique. Voilà des gens, censés s'occuper des sans-abri, qui décident de se payer un voyage aux antipodes. Vancouver a décidé, après cela, qu'il n'y aurait plus de déplacement hors de la ville.
Cela veut dire que désormais, les Autochtones qui habitent Vancouver et qui auraient besoin de se rendre hors de la ville pour des raisons thérapeutiques, afin de se rendre dans une suerie, par exemple, ne le peuvent pas, car nos crédits ne peuvent plus servir à les envoyer à l'extérieur. C'est un exemple d'une idée qui semblait bonne au départ, mais qui, faute de réflexion suffisante, n'a pas donné les résultats voulus.
C'est un peu ce que le sénateur Sinclair disait au sujet des effets différentiels, et de l'importance d'en tenir compte.
Auriez-vous...
D'après moi, le seul résultat que l'on puisse attendre de la formation en matière de compétence culturelle est de faire comprendre aux intéressés qu'il y a des choses qu'ils ne savent pas. Il est en effet difficile, sinon impossible, par des méthodes de formation, de rendre les gens culturellement compétents, c'est-à-dire de les amener à comprendre la réalité culturelle des différentes communautés. D'après moi, la compétence culturelle ne s'acquiert que par l'expérience.
Ceux qui souhaitent parfaire leur éducation en ce domaine doivent d'abord comprendre qu'il y a beaucoup de choses qu'ils ne savent pas, et puis ils doivent en outre avoir accès aux ressources et aux personnes capables de leur apprendre un certain nombre de choses, si tant est, bien sûr, qu'ils souhaitent vraiment apprendre. Les avocats, par exemple, ont souvent l'impression, après s'être entretenus avec un client autochtone, de tout savoir sur les Autochtones. C'est une grossière erreur. On n'en sait en général moins qu'on ne le pense.
On nous a demandé de formuler des recommandations sur la discrimination systémique. Selon vous, comment devrions-nous procéder? Comment faire comprendre aux gens quels sont les besoins en ce domaine, et puis, comment y répondre?
D'après moi, on doit partir de trois choses. La première est le besoin d'assembler des matériels pédagogiques d'une plus grande cohérence culturelle, car c'est la base de l'enseignement. Les membres des diverses professions qui auraient, selon vous, besoin d'un surcroît de compétence culturelle, qu'il s'agisse de travailleurs sociaux, d'enseignants, d'avocats ou de juges, ont l'habitude d'avoir des documents auxquels se référer. Mais il faut aussi les mettre en contact avec des personnes qui pourront les aider à comprendre un certain nombre de choses, ou qui pourront répondre à leurs questions. Il faudrait financer les recherches nécessaires et élaborer des matériels didactiques adaptés. Or, pour l'instant, tout cela est difficile à trouver.
Mais, il faudrait aussi leur fournir des occasions, telles que nous en avons nous-mêmes, d'apprendre le français, par exemple... J'ai eu, en tant que juge, la possibilité de suivre des cours de langue et de vivre un temps entièrement en français. Si l'on veut donner aux gens les moyens d'accroître leurs compétences culturelles, il faut leur offrir la possibilité de s'immerger dans la culture à laquelle on entend les initier. Les stages d'immersion culturelle sont une composante essentielle de la formation que nous souhaitons assurer aux gens, non seulement aux membres de certaines professions, mais aussi aux enfants qui, nés dans une famille autochtone, ont perdu leurs repères culturels.
Je pourrais vous en envoyer une liste. Je sais, par exemple, que l'université de la Saskatchewan, à Saskatoon, organise des stages à l'intention des étudiants qui souhaitent s'initier à la collecte des plantes utilisées en médecine autochtone, et mieux comprendre les attaches à la terre, et tout ce que la culture autochtone véhicule au sujet de terroir. Les stages ont lieu en milieu naturel. C'est une des possibilités. Mon jeune ami Tasha Spillet en est un des organisateurs, mais je suis sûr qu'il existe d'autres programmes de ce genre.
Je sais, par exemple, que John Borrows, de l'Institute of Indigenous Governance à l'Université de Victoria, se rend, avec ses étudiants en droit, dans des communautés autochtones, où ils s'entretiennent avec des anciens qui acceptent de les initier aux lois des peuples autochtones. Les étudiants ont ainsi l'occasion de passer du temps dans ces communautés, de se rendre au milieu des terres indiennes, et de s'entretenir avec les aînés dans leurs huttes.
C'est ce que j'entends par immersion culturelle.
Je suis du même avis. Dans le programme que nous avons mis sur pied, nous précisons bien qu'il ne s'agit aucunement d'apprendre aux gens tout ce qu'il y aurait à savoir sur les cultures autochtones. Nous avons, à Vancouver, toute une mosaïque de peuples autochtones provenant non seulement des diverses régions de notre pays, mais aussi de Nouvelle-Zélande, des États-Unis. Il s'agit essentiellement de comprendre qu'on ne sait pas grand-chose en fait, et de voir quel serait le meilleur moyen d'apprendre, et de savoir à qui s'adresser pour cela. Je suis entièrement de cet avis.
Sénateur Sinclair, il faudrait, selon vous, dresser un inventaire de nos lois, et voir lesquelles il conviendrait de modifier. Mais quel serait le meilleur moyen de procéder? Qui devrait contribuer à dresser cet inventaire? Quelle serait la meilleure manière de s'y prendre?
J'ai tenté, comme sénateur, de trouver la réponse, mais je n'y suis pas parvenu. On me dit que ce travail ne peut pas être fait par la Bibliothèque du Parlement, car il s'agit d'une question politique dont le ministère de la Justice se chargera si les dirigeants politiques lui demandent de le faire.
Il faudrait, je pense, réunir une équipe de juristes qui saisit bien le sens de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et, qui pourrait ainsi se pencher en connaissance de cause sur nos lois et nos règlements.
Nous allons maintenant passer à une autre série de questions. Il ne nous reste pas beaucoup de temps et chaque équipe ne disposera donc que de trois minutes.
Nous allons passer la parole en premier aux conservateurs, en la personne de M. Anderson qui a donc trois minutes.
Monsieur le président, j'aurais voulu avoir plus de trois minutes, mais nous allons faire de notre mieux.
Pourriez-vous citer le cas de personnes qui sont parvenues à se défaire de certaines vues étroites et d'attitudes racistes? Nous avons évoqué les problèmes qui se posent en ce domaine, les envisageant dans l'optique qui est la nôtre, mais y a-t-il des dirigeants qui, à cet égard, sont parvenus à faire avancer les choses? Avez-vous des exemples à nous citer?
La ville de Vancouver peut, je crois, être citée en exemple. Le défilé pour la réconciliation a réuni, il y a quelques années, 70 000 personnes qui sont venues manifester malgré une pluie diluvienne. Il est clair que certains dirigeants exercent une grande influence. La semaine dernière, 100 000 personnes se sont déplacées pour prendre part à un défilé en faveur de la réconciliation. En désignant Vancouver comme ville de la réconciliation, les autorités ont fait savoir aux Autochtones qu'ils y ont leur place.
D'autres villes ont agi dans le même sens. Certaines, telles que Toronto, ont désormais un département des affaires autochtones. J'ai entendu dire cependant que Toronto entend peut-être le supprimer. Je ne pense pas que ce serait une bonne chose, car l'exemple des dirigeants a tendance à se répercuter.
J'aurais bien aimé avoir davantage de temps.
Sénateur, j'aurais une autre question à vous poser, et...
Permettez-moi de vous dire, en quelques mots, qu'il y a des membres de l'Association du Barreau autochtone, des enseignants autochtones, des groupes de chercheurs scientifiques autochtones, des travailleurs sociaux autochtones et des Autochtones actifs dans presque tous les domaines, y compris la médecine et l'ingénierie. Ce sont tous des exemples de réussite, et ils sont prêts à partager l'expérience qu'ils ont acquise.
Cela va dans le sens de la question que je voulais vous poser, car tout cela se situe dans un contexte essentiellement urbain. Or, je viens d'une région comprenant des réserves rurales. Je me demande comment faire pour apporter à ces réserves en zone rurale les soutiens dont elles ont besoin afin que les gens soient encouragés à y rester, à participer à la vie de la communauté, à réussir sur place alors même que leurs dirigeants se trouvent en ville. Que pourriez-vous nous dire à cet égard?
Je ne vais pas entrer dans le détail. Il m'a été donné de travailler aux côtés du dirigeant d'une bande, mais la direction a fini par lui être retirée pour être confiée à quelqu'un qui habitait en ville à des centaines de milles. Les membres de la bande qui continuent à habiter les réserves n'obtiennent rien, car tout est aux mains de quelqu'un qui habite loin de là. Les gens voudraient pourtant continuer à habiter la réserve. Ils veulent participer à la vie de la communauté, et voudraient pouvoir se faire une vie sur place.
Kevin, auriez-vous quelque chose à ajouter sur ce point?
Il y a, selon moi, un problème grave lorsque s'éternise la présence d'un cabinet d'experts-comptables chargé de fonctions de gestion à titre de tiers administrateur. Ce problème mériterait, à lui seul, d'être étudié. Il nous faut trouver le moyen d'affranchir les réserves de ce type d'engrenage.
Je sais qu'avec sa loi sur la gestion statistique le gouvernement conservateur avait fait un effort en ce sens. Cela a parfois donné de très bons résultats, mais nous allons devoir étudier la question et parvenir à des recommandations quant aux moyens de mettre fin aux situations de gestion par des tiers ou de cogestion, dans lesquelles se trouvent de si nombreuses réserves, car une telle situation ne saurait être que provisoire.
Nous allons maintenant passer à une nouvelle série de questions, avec les libéraux.
Madame Dzerowicz, vous avez la parole pour trois minutes.
Je vous remercie des excellents exposés que vous nous avez présentés. J'ai beaucoup appris en vous écoutant.
J'aurais deux grandes questions à poser, et j'espère avoir assez de temps pour le faire.
Dans le cadre de notre étude, nous sommes appelés à formuler une série de recommandations. L'une d'entre elles va toucher l'éducation et la communication. M. Barlow, vous avez évoqué certaines des difficultés qui se posent à cet égard. Compte tenu des moyens de communication et des possibilités de formation dont on dispose aujourd'hui, les difficultés qui surgissent sont à peine croyables. Auriez-vous quelques recommandations précises à nous faire quant à ce qu'il nous faudra garder à l'esprit lorsque viendra le temps de formuler nos propres recommandations?
Monsieur Barlow, pourrais-je vous demander de répondre en premier, après quoi, j'aurais quelques questions à poser au sénateur Sinclair.
Il est clair que notre enseignement souffre de problèmes systémiques. Or, les enseignants sont maîtres dans leur salle de classe. On peut leur demander d'adopter telle ou telle méthode, ou d'enseigner tel ou tel sujet, mais c'est essentiellement à l'enseignant de décider, et le principal de l'école n'y peut rien, pas plus que la commission scolaire, vu l'existence d'un système scolaire avec des programmes officiels. C'est dans ce contexte-là qu'il nous faut étudier les problèmes qui se posent.
Une autre partie du problème vient du fait que les écoles doivent s'en tenir au programme officiel, alors que nous souhaiterions, en plus, enseigner un certain nombre de choses, notamment, en matière de culture et de langue. Or, on risque alors de surcharger les enfants en les bombardant de choses qu'ils n'ont pas le temps d'absorber.
Il ne semble pas y avoir de solution facile, mais nous devons néanmoins tenter de cerner les problèmes systémiques et de les régler un à un.
Permettez-moi une observation.
Cinquante-deux pour cent des habitants de ma circonscription sont nés ailleurs qu'au pays. C'est dire combien il est important d'évoquer, dans le cadre de l'enseignement qui leur est dispensé, le problème de la discrimination systémique. C'est en effet quelque chose qu'ils ont eux-mêmes éprouvé. Il s'agit, d'ailleurs, d'un problème général qui ne touche pas uniquement les nouveaux arrivés.
Auriez-vous également, monsieur le sénateur, des recommandations sur ce point?
Ma première recommandation serait de lire le rapport de la CVR, tout au moins le résumé. Je sais que c'est beaucoup à lire et on hésite sans doute devant la taille du document, mais il comporte des photos et cela devrait en faciliter la consultation. Les appels à l'action ont un but pédagogique et ils attirent l'attention sur les divers problèmes que nous avons évoqués. Ma première recommandation serait donc de lire le rapport.
Ensuite, il nous faut reconnaître que les nouveaux arrivants ne se sentent guère concernés par ce pan de notre histoire; ils ont leur propre passé. Mais je ne cesse de rappeler aux nouveaux arrivants, et à ceux qui les prennent en charge, qu'ils ont eux aussi leur part de responsabilité dans ce qui sera notre avenir, et que s'ils veulent exercer correctement ces responsabilités, il leur faut être au courant de ce qui s'est passé.
Nous allons maintenant entamer notre dernier segment de trois minutes, la parole passant à Mme Kwan, du NPD.
Merci, monsieur le président. Je tiens également à remercier nos témoins.
Monsieur Barlow, vous avez été pris par le temps, mais vous alliez nous citer quelques exemples pratiques de ce que nous pourrions faire au niveau des recommandations. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à cet égard?
J'ai évoqué le besoin de soutenir les efforts de réconciliation, et de trouver les moyens d'oeuvrer de concert avec les divers groupes afin d'y contribuer. L'initiation à la compétence culturelle, dans la mesure où l'enseignement est conçu et assuré correctement, peut donner de bons résultats. Il nous faut étudier plus à fond les divers systèmes et discerner les problèmes qu'ils présentent. J'ai cité l'exemple de la pauvreté et des états d'esprit particuliers qui en découlent.
Une des difficultés rencontrées par votre organisation, et par de nombreux organismes et organisations communautaires travaillant en ce domaine est l'insuffisance des ressources financières et humaines. Cela étant, devrions-nous recommander au gouvernement fédéral d'adopter une stratégie nationale de soutien aux ONG et aux groupes à but non lucratif tels que le vôtre, afin d'appuyer leurs effets? Il faudrait par ailleurs que cette stratégie soit individualisée, et adoptée à la situation particulière des diverses communautés.
Oui, tout à fait, car la société civile peut faire des choses que le gouvernement, lui, ne peut pas. Le gouvernement doit, en effet, procéder à de longues études et à des discussions interminables. Or, nous pouvons, nous, intervenir un peu plus rapidement.
J'ai évoqué les programmes mis en place à l'intention des Autochtones vivant en ville, et j'en ai souligné les carences. On cite mon organisation comme exemple d'une coalition urbaine qui pourrait servir de modèle aux autres villes du Canada, mais le financement de mon organisation est loin d'être satisfaisant. On peut, entre autres, lui reprocher de ne financer que mes propres fonctions. Or, j'arrive bientôt à l'âge de la retraite et tout ce qui se fait, en matière de perfectionnement notamment, ne concerne que mes seules fonctions et non l'organisation dans son ensemble. Or, il nous faut élargir l'organisation afin qu'elle devienne, effectivement, une coalition stable et solide capable d'intervenir comme il convient.
Je tente, de concert avec la ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, de faire évoluer la situation, et dans l'ensemble du pays les divers groupes oeuvrant en ce domaine discutent des changements qui permettraient de mettre en place, à l'intention des habitants des villes, une stratégie, un système capable de soutenir notre action, étant donné que c'est en ville que vit la majorité des Autochtones.
Pourriez-vous nous dire, également, ce que le Comité pourrait faire afin de s'inspirer de ces pratiques exemplaires et, en améliorant notre manière de faire, parvenir aux résultats que nous souhaitons tous?
Oui. Nous avons remis un exemplaire de notre exposé à la ministre des Relations-Couronne Autochtones et des Affaires du Nord, mais je pourrais vous en distribuer des copies.
Lisez le rapport. Le rapport de la CVR traite assez complètement de la question. C'est un document très utile.
Bon, le gouvernement affirme vouloir donner suite à ces recommandations, mais qu'en est-il de tout cela sur le plan pratique?
Le gouvernement a déjà pris certaines mesures, mais le problème est que les efforts sont en grande partie fournis par la société civile et que les intervenants devraient être davantage épaulés.
Je vous remercie, monsieur Sinclair et monsieur Barlow.
Je tiens en particulier à remercier M. Barlow, qui a fait ressortir combien il est important que les gens s'initient à l'histoire. Quelqu'un m'a interpellé l'autre jour au sujet de John A. MacDonald. Je lui ai demandé s'il savait que MacDonald avait, en 1885, déposé un projet de loi reconnaissant le droit de vote aux Autochtones. Il ne le savait pas. J'ai ajouté que ce projet de loi devait en même temps accorder le droit de vote aux femmes, mais le texte a suscité une telle opposition que ce n'est qu'en supprimant les dispositions touchant le vote des femmes que MacDonald est parvenu, en 1887, à faire adopter son projet de loi par la Chambre des communes. Le droit de vote a ainsi été reconnu aux Autochtones, mais pas aux femmes. Puis, en 1897, sous le gouvernement Laurier, le vote a été à nouveau retiré aux Autochtones, qui ne l'ont retrouvé que sous le gouvernement Diefenbaker. Or, lors de la récente controverse au sujet de MacDonald, cet épisode a été, pour ainsi dire, passé sous silence. Ce sont des détails historiques que les gens devraient connaître. Je vous remercie de nous avoir rappelé combien cela est important.
On me dit que M. Nantel souhaite intervenir pour déposer un avis de motion, et, de l'avis des collaborateurs de la présidence, le mieux serait de régler la question dès maintenant.
Cela veut dire que les personnes qui ne font pas partie du Comité vont devoir quitter la salle. Je suis désolé, mais vous allez devoir attendre dans le couloir.
Les membres du Comité conviennent-ils de procéder à huis clos?
Ne pourrions-nous pas attendre la fin de l'heure suivante? Nous n'avons pas la moindre idée de ce qui va être proposé.
Il s'agit d'une motion qui a été, me semble-t-il, distribuée à tous les membres du Comité. Elle concerne l'audition de la ministre, qui viendrait exposer devant le Comité ses nouvelles conceptions en matière de politiques culturelles.
Je vais suspendre la séance quelques instants afin que nous puissions poursuivre à huis clos.
[La séance se poursuit à huis clos.]
[La séance publique reprend.]
Le Comité reprend ses travaux.
Nous accueillons deux autres témoins. Il s'agit de M. Mohammed-Nur Alsaieq, coordonnateur en communication au Forum musulman canadien, et de M. Samer Majzoub, président.
Nous accueillons en outre, au nom de l'Association canadienne des avocats musulmans, M. Faisal Bhabha, professeur agrégé à Osgoode Hall Law School, une excellente faculté de droit, et Me Yavar Hameed, avocat.
Chaque formation aura 10 minutes pour nous présenter un exposé, mais vous pouvez vous répartir comme vous l'entendez le temps qui vous est imparti. Je dois vous prévenir que dans environ 13 minutes, je vais devoir quitter la salle, non pas parce que j'aurai trouvé inacceptable quelque chose que vous avez pu dire, mais simplement parce que je suis attendu ailleurs. La présidence sera assurée par M. Vandal.
La parole est au Forum musulman canadien, qui dispose de 10 minutes.
Je vous remercie de l'occasion qui nous est donnée de prendre la parole devant vous. Je m'appelle Samer Majzoub. Je suis président du Forum musulman canadien. Je suis accompagné de M. Mohammed-Nur Alsaieq, membre de notre conseil d'administration. C'est avec plaisir que nous comparaissons aujourd'hui devant le Comité.
Je tiens à dire d'emblée que nous condamnons sans réserve les attentats terroristes qui se sont produits, hier à Edmonton et aujourd'hui à Las Vegas. On constate que la terreur n'est pas l'apanage d'une race ou d'une religion.
Permettez-moi, maintenant, de vous dire quelques mots du Forum musulman canadien. Il s'agit d'une organisation créée en 1994. Notre raison d'être est double: oeuvrer à la défense des droits et encourager la participation citoyenne. Nous tentons, en effet, de réunir les membres de notre communauté autour des problèmes qui nous sont communs et que nos membres éprouvent, tant au Québec que dans l'ensemble du pays. Aujourd'hui, je voudrais aborder la question de l'islamophobie. Depuis le début, le Forum musulman canadien et moi-même prenons en effet la question très au sérieux. Ainsi que vous le savez sans doute, c'est nous qui avons, avec M. Frank Baylis, lancé la pétition e-411 afin de lutter, justement, contre l'islamophobie.
L'islamophobie est un grave problème et on ne saurait mettre en doute ni son existence ni celle de la discrimination à l'endroit des musulmans. C'est ce que démontrent les statistiques, et ce qu'on peut constater dans la vie quotidienne. On en a connu divers incidents en 2017, dont celui qui a visé la mosquée à Québec. On ne peut pas nier la réalité des faits et le phénomène est indiscutable.
Le 1er octobre 2015, l'Assemblée nationale a dénoncé l'islamophobie à l'unanimité. Le 26 octobre 2016, la Chambre des communes a, elle aussi à l'unanimité, dénoncé ce type de comportement, adoptant, en mars 2017, la motion M-103, qui vise, elle aussi, l'islamophobie.
Nous sommes encouragés par le fait que, si les musulmans sont effectivement victimes d'actes discriminatoires, de haine et de violences, personne désormais ne le conteste. Mais, ce qui est contesté, en particulier dans les médias, et ces derniers temps aussi par une partie de la classe politique, c'est la question de savoir si l'on devrait même employer le terme « islamophobie ». Se pose, en effet, cette question de vocabulaire, mais la réalité du problème n'est pas pour autant mise en doute.
L'islamophobie est un concept élaboré vers la fin des années 1990 par des militants politiques qui souhaitaient attirer l'attention du public sur la discrimination pratiquée à l'encontre de citoyens de confession musulmane. Il ne s'agit d'ailleurs pas de quelque chose propre au Canada ou au Québec, mais d'un phénomène mondial. Ces attitudes et ces comportements se retrouvent dans de nombreux pays, même aux États-Unis. À Genève, les Nations unies ont établi un comité spécial chargé de lutter contre l'islamophobie partout où elle se manifeste.
Le mot lui-même n'est pas nouveau. Ce n'est pas quelque chose que nous avons inventé, et il existe en effet depuis longtemps. Encore faudrait-il s'entendre sur ce qu'il signifie au juste. C'est là une des questions sur lesquelles nous nous sommes penchés, nous, mais aussi les médias et certains partis politiques. Le mot peut être défini de plusieurs manières. J'ai relevé de nombreuses définitions, mais je souhaiterais aujourd'hui, n'en évoquer qu'une ou deux afin de préciser un peu ce dont il s'agit.
Selon José Pedro Zúquete, il s'agit d'un état d'esprit très répandu, essentiellement inspiré par la peur, et portant les gens à des amalgames en vertu desquels l'islam est désigné comme l'ennemi, comme l'« autre », dangereux, immuable et monolithique, qui mérite naturellement l'hostilité des Occidentaux. Selon une autre définition assez répandue, l'islamophobie serait un rejet de l'islam, essentiellement fondé sur des préjugés et des stéréotypes visant les musulmans, collectivement et individuellement. Cette mentalité, qui comporte des éléments émotionnels, cognitifs, et évaluatifs peut être à l'origine de comportements tels que la discrimination et la violence.
Les spécialistes ont donné de l'islamophobie de nombreuses définitions et de nombreuses explications.
En ce qui nous concerne, nous avons opté pour la définition suivante: il convient d'entendre par islamophobie, le fait de critiquer ou d'émettre des opinions fielleuses pouvant, directement ou indirectement, être une cause d'humiliation, d'atteinte à la réputation ou d'incitation à la haine et à la violence contre un individu ou un groupe d'individus, pour la simple raison qu'ils sont de confession musulmane.
On voit donc qu'il existe de multiples définitions de l'islamophobie, mais la Chambre des communes est parfaitement en droit de parvenir à sa propre définition.
Venons-en au terme même d'islamophobie, lorsqu'il s'agit d'atteinte à la personne ou aux biens de musulmans, à des attaques contre des mosquées ou des centres communautaires. Évoquons, à titre de comparaison, l'antisémitisme et le profilage racial. Chacun sait qu'on entend par antisémitisme toute haine dirigée contre des citoyens d'origine juive. Cela s'appelle antisémitisme, et personne n'en nie l'existence.
Mais, alors que l'on sait que les Arabes sont des Sémites, comment se fait-il que l'on n'appelle jamais antisémitisme les attaques dirigées contre des Arabes? Pourquoi? Or, étant donné les similarités sur le plan de l'ascendance, et de l'analogie qui peut être dressée au niveau politique et communautaire, on ne comprend pas très bien pourquoi il peut en être ainsi.
Il en va de même du profilage racial. Dès qu'on parle de profilage racial, ce qui vient immédiatement à l'esprit, c'est l'image de citoyens d'ascendance africaine, d'Afro-canadiens qui sont particulièrement repérés. C'est alors qu'on parle de profilage racial. Que des personnes appartenant à d'autres races se fassent comme cela repérer particulièrement, il sera rare que l'on parle de profilage racial.
Le troisième exemple est celui du dénigrement. Quand une race est dénigrée, ce n'est généralement pas la race blanche.
Il existe donc en ce domaine toute une terminologie, les mots s'appliquant plus particulièrement à telle ou telle race.
Je voudrais conclure en disant que certains affirment que l'emploi du mot « islamophobie » tend à restreindre la liberté d'expression. Or, ce n'est pas du tout l'objectif visé et nous en rejetons l'idée même. Nous ne cherchons aucunement un prétexte pour borner la liberté d'expression. Nous sommes, en effet, partisans de cette liberté qui est une composante essentielle de nos sociétés démocratiques.
Nous ne voulons pas voir de limites imposées à la liberté d'expression.
Je vais en rester là et passer la parole à mes collègues. C'est avec plaisir que j'apporterai les précisions qu'on voudra bien me demander.
Je vous remercie.
Merci, monsieur le président.
Avec mon collègue, Yavar Hameed, nous représentons l'Association canadienne des avocats musulmans. L'ACAM est une organisation regroupant des avocats qui se reconnaissent en tant qu'avocats canadiens musulmans. Nos membres proviennent de divers horizons et travaillent dans des domaines très variés.
Nous sommes avocats, mais l'approche que nous prônons souligne combien il est urgent que le Parlement effectue les études et les recherches qui permettront de mieux comprendre le phénomène de l'islamophobie. Il ne s'agit aucunement d'inventer un nouveau concept juridique, ou de définir un ensemble de pratiques interdites devant faire l'objet d'une législation spéciale. Il s'agit simplement, selon nous, de reconnaître l'existence d'un problème social que l'on doit chercher à comprendre et à documenter, afin de donner une assise plus solide aux politiques du gouvernement et aux décisions des tribunaux. Voilà, en quelques mots, notre position.
Pourquoi le Parlement devrait-il se pencher sur l'islamophobie? En effet, la police enquête déjà sur les agressions, le vandalisme, les discours haineux et la terreur antimusulmane, autant de crimes parfois motivés par le racisme. Les tribunaux de l'ordre civil interviennent en cas de coups et blessures, et de diffamation écrite et orale. Il y a des ombudsmans, des commissions des relations du travail, des procédures qui permettent de porter plainte contre la police, et divers autres recours administratifs qui permettent de se pourvoir en cas d'actes discriminatoires. Bon nombre de ces procédures ont un caractère quasi judiciaire, ce qui veut dire que l'organisme devant qui est exercé un recours peut trancher au regard des normes applicables en matière de droits de la personne ou de droits garantis par la Charte. Or, pour comprendre les faits qui leur sont soumis, ces organismes doivent étudier les preuves de discrimination systémique.
L'existence d'une discrimination systémique ne permet pas en soi de conclure à la responsabilité de tel ou tel individu, mais nous permet cependant de mieux comprendre le contexte dans lequel ces faits s'insèrent. Il y a néanmoins un problème dans la mesure où ces divers organismes ne sont pas spécialisés en droits de la personne. Ils n'entretiennent pas de relation intime avec le contexte social. Leur formation les a préparés à élucider les faits qui leur sont soumis, mais il leur faudrait en outre des preuves des conditions sociales sous-jacentes, preuves qu'ils ne peuvent généralement obtenir que d'experts-témoins. C'est dire que le droit ne permet guère de protéger les gens contre l'islamophobie. Ce sont en effet les responsables politiques, les administrateurs, les policiers, les décideurs, tant judiciaires qu'administratifs, qui doivent saisir toute l'étendue du problème et de ses manifestations sociales afin de mieux appréhender le contexte d'où peut naître un litige.
Ceux qui comprennent le mieux l'islamophobie sont les spécialistes des sciences sociales, dont c'est le métier d'observer la société. Dans leurs livres et dans leurs rapports, ils consignent les résultats de leurs observations. Les chercheurs en sciences sociales ont pu observer que la lutte contre le terrorisme et les propos de discorde proférés en public visent surtout l'islam et que cela a entraîné un certain nombre de retombées sur le plan social. Notre société est en effet obsédée par la manière de se vêtir d'un petit nombre de femmes, par la manière dont les gens prient et par leurs lieux de prière, par les gens avec qui ils sont en rapport. Certains ont proposé que l'on sélectionne les immigrants en fonction des valeurs auxquelles ils adhèrent, et qu'on leur fasse passer un test de loyauté.
En même temps, les spécialistes affirment, eux, que la vraie menace provient des extrémistes blancs. Des Blancs se sont rendus coupables d'attaques contre des musulmanes, contre des personnes qu'ils considèrent comme des étrangers, contre des personnes appartenant à des minorités ethniques, dans des autobus et dans des centres d'achat, dans diverses régions de notre pays. Ils ont assassiné six fidèles qui priaient dans une mosquée à Québec, et des Canadiens font l'objet d'attaques verbales ou physiques simplement en raison de leur apparence, ou de l'appartenance qu'on leur prête. Les musulmans continuent malgré tout à être tenus pour des terroristes, et demeurent pour cela des objets de haine.
Nous savons d'ailleurs que ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. En tant qu'avocats canadiens musulmans, nous sommes à l'écoute des membres de notre communauté et nous savons qu'une partie du problème provient du fait que, par crainte, les gens hésitent à signaler les incidents racistes. Nous en savons assez pour être persuadés de l'existence d'un sérieux problème, et nous en savons assez pour savoir combien nous sommes loin de tout savoir. C'est pour cela que nous souhaitons que le gouvernement se penche plus attentivement sur le problème afin de mieux saisir de quoi il s'agit au juste.
L'islamophobie n'est pas un concept juridique. C'est un terme qu'utilisent les chercheurs en sciences sociales pour décrire un véritable problème de société. Il n'est pas impossible de définir le phénomène, mais il n'est pas réaliste d'en attendre une définition achevée, et il ne faut pas, à cet égard, se montrer trop exigeant. On a déjà perdu trop de temps à tenter de parvenir à une définition entièrement satisfaisante, alors que l'on n'a pas consacré le temps nécessaire aux efforts qui permettraient de mieux comprendre un problème dont aucune personne raisonnable ne peut mettre en doute l'existence. Cela dit, nous proposons une définition pratique qui ne s'écarte guère des définitions dont vous avez eu connaissance. C'est simplement qu'en tant qu'avocats nous avons circonscrit le phénomène que nous définissons tout simplement comme de la haine ou de la discrimination antimusulmane.
Nous savons tous qu'on entend par antisémitisme la discrimination ou la haine contre les juifs. Nous savons tous qu'on entend par homophobie la discrimination ou la haine contre les gais, ou contre les personnes LGBTQ. Il n'est donc pas difficile ou illogique d'appliquer, par analogie, ce raisonnement à l'islamophobie.
Le phénomène revêt deux aspects importants; l'aspect individuel et l'aspect systémique. On entend par islamophobie systémique un ensemble de comportements, de pratiques ou de politiques qui reposent sur des critères ou des hypothèses discriminatoires, et qui ont des incidences sur l'ensemble d'un groupe. L'islamophobie est le nom que l'on donne au système d'obstacles structurels qui se sont combinés et aggravés après le 11 septembre. Il en a résulté des comportements d'exclusion, des obstacles et des difficultés que des gens subissent, tant dans leur vie publique que dans leur vie personnelle, simplement en raison de leur profil ethnique. Lorsqu'on laisse ces exclusions, ces difficultés, ces obstacles s'installer au sein de nos institutions, il devient beaucoup plus difficile de les discerner et de les supprimer. C'est pourquoi il est absolument essentiel de se pencher attentivement sur les incidences de discrimination systémique.
Au niveau individuel, l'islamophobie peut être considérée comme une sous-catégorie de discrimination. Nous sommes en contact quotidien avec des membres de la communauté musulmane du Canada, et nous-mêmes nous éprouvons parfois, dans la vie quotidienne, ces actes discriminatoires auxquels les gens sont exposés dans le courant de leurs activités ordinaires ou en raison de contrôles excessifs ou de la surveillance exercée par l'État. Cette discrimination est faite de mépris, de préjugés, d'aversions et de méfiance. Elle naît de peurs irrationnelles, de croyances irréfléchies, voire d'opinions exprimées par des soi-disant spécialistes de la question. Parfois cette discrimination s'exprime dans des termes en apparence neutre et résulte souvent des bouillonnements qu'entraînent la réaction contre le multiculturalisme, la réaction contre le politiquement correct, ou la réaction contre les adaptations raisonnables.
On l'observe dans les comportements critiques et hostiles à l'égard de la religion ou des croyances que l'on prête à tel ou tel groupe. Des partis pris inavoués peuvent avoir pour effet de priver les groupes visés d'avantages auxquels ils auraient pourtant droit, ou d'occasions auxquelles ils pourraient prétendre. Ces comportements peuvent être difficiles à déceler. Ils peuvent avoir des résultats qui passent inaperçus et qu'il est donc difficile de corriger. C'est pourquoi il est tellement important de se pencher avec attention sur les attitudes et les comportements qui permettent à ce type de phénomène de prendre racine dans notre société.
J’ai peu de choses à ajouter à ce que mon collègue vient de vous dire, si ce n’est que j’aimerais vous entretenir de la façon dont l’État canadien fait preuve d’aveuglement face aux dangers inhérents à l’islamophobie et vous dire ce que nous proposons pour lutter contre cet aveuglement.
Il faut en effet réaliser que non seulement l’islamophobie obscurcit notre jugement, mais aussi qu’elle aveugle tellement l’État que celui-ci ne parvient plus à détecter les dangers réels. Faut-il nous surprendre qu’alors que le suprématiste blanc Alexandre Bissonnette préparait son attaque meurtrière contre la mosquée de la ville de Québec, la GRC fabriquait des preuves contre John Nuttall et Amanda Korody, deux héroïnomanes convertis à la religion musulmane et vivant de l’aide sociale qui tentaient de se désintoxiquer? Les accusations de terrorisme à leur endroit ont été abandonnées l’an dernier lorsqu’un tribunal a conclu qu’ils avaient été piégés par la police.
Cela fait maintenant plus de 20 ans que les plus hauts tribunaux du pays ont reconnu que l’application de la loi subit les effets de partis pris inconscients, comme c’est le cas dans toutes les relations sociales. Ces partis pris sont façonnés par l’histoire, par le contexte social, par des hypothèses sous-jacentes et par des préjugés préexistants.
Comme mon collègue l’a rappelé, dans le domaine juridique, nombreuses sont les dispositions qui permettent de s’attaquer aux diverses formes possibles d’islamophobie manifeste. Nous pouvons aussi faire appel à la législation sur les droits de la personne qui protège contre la discrimination dans les domaines du logement, des contrats, de l’emploi, etc. En ce sens, l’ajout de la notion d’islamophobie est conforme aux principes de la jurisprudence sur les droits de la personne, mais on observe des lacunes flagrantes dans la recherche empirique qui permettraient de comprendre la cause de ce que mon collègue a appelé le déficit de déclarations d’actes haineux ou discriminatoires contre les musulmans du Canada. Les organisations de la société civile, comme nombre de celles dont nous avons entendu les représentants, reçoivent à titre confidentiel des plaintes et des renseignements sur les crimes haineux, mais seul un petit nombre de ceux-ci donnent lieu à des enquêtes ou à des jugements. L’avocat que je suis reçoit régulièrement de telles plaintes.
Les commentaires sur le profilage religieux par l’État figurant dans le Rapport sur les événements concernant Maher Arar adoptent la vision la plus étroite possible et sont, pour l’essentiel, de nature générique, même si ce rapport met avant tout l’accent sur le caractère illégal des actions de la GRC. Le commissaire Dennis O’Connor précise que, étant donnée la tendance à cibler les musulmans et les Arabes dans l’ensemble des activités liées à la sécurité nationale, les membres de ces collectivités sont probablement plus exposés aux risques de violations des droits de la personne. Ce rapport constitue un point tournant dans l’évolution des pratiques en matière de sécurité nationale, mais, dans ce contexte, l’islamophobie a pris pratiquement toute la place dans cette enquête et dans ses suites.
De même, en dépit des commentaires cinglants de la Cour suprême dans l'affaire Omar Khadr et d'un versement de 10,5 millions de dollars à M. Khadr, nous ne savons pas encore comment le gouvernement va s’y prendre pour tirer les leçons de ses erreurs avec une stratégie prospective de lutte contre l’islamophobie s’appliquant aux pratiques en matière d’affaires étrangères et de partage d’informations, et dans le cadre de son implication dans la lutte mondiale contre le terrorisme.
Maître Hameed, vous avez épuisé votre temps de parole.
Je tiens à remercier tous les intervenants de leurs exposés.
Nous passons maintenant à la première période de questions et de réponses de sept minutes.
Monsieur Virani, la parole est à vous.
Monsieur le président, M. Baylis et moi allons nous partager les questions.
Je vais en poser immédiatement quelques-unes qui ne devraient me prendre qu’environ la moitié du temps qui nous est imparti.
Il est très important que nous soyons tous ici. Je tiens tout particulièrement à vous remercier d’avoir déposé la pétition e-411 et d’avoir ainsi soulevé un sujet aussi important au niveau national.
Monsieur Majzoub, j’aimerais vous demander quels commentaires vous inspirent la hausse du sentiment antimusulman, en particulier dans la province de Québec, avec la plus grande visibilité de groupes comme La Meute. En quoi ce phénomène se distingue-t-il des autres et devrions-nous ou non aborder les choses de façon sensiblement différente dans votre province?
Je voudrais également demander aux avocats présents parmi nos témoins comment nous pourrions encourager les gens à déposer des plaintes, et également comment nous pourrions faciliter les poursuites. Nous avons entendu des témoins qui nous ont parlé de la nécessité d’obtenir le consentement du procureur général pour entamer des poursuites dans les cas d’incitation à la haine. Nous en entendrons d’autres plus tard qui aborderont également ce point. Quels commentaires cela vous inspire-t-il et quels sont les éléments qui, à votre avis, constituent des entraves, ou non, aux poursuites?
Pour terminer, j’aimerais que chacun de vous nous dise dans quelle mesure les médias ont contribué à fomenter des divisions. Vous nous avez tous dit que, dans le climat actuel, les gens n’hésitent pas à faire preuve de plus de hardiesse. Nous savons que des manifestations ont été organisées.
Je dois vous avouer que je trouve assez troublant de voir le contenu de certains médias marginaux, comme ceux du groupe Rebel Media, qui sert souvent de plateforme prônant la division. Nous connaissons ce groupe et la couverture qu’il a faite des événements de Charlottesville a même amené le leader de l’opposition à se retirer de ce groupe. La semaine dernière, nous avons entendu devant ce comité Mme Brazza et M. Cameron dont les textes continuent à paraître sur le site de Rebel Media.
Que pensez-vous de plateformes comme celle-là et de ce qu’elles font pour favoriser les divisions que nous, nous nous efforçons si énergiquement de combattre?
Je vous remercie.
Je trouve que l’existence du site de Rebel Media est en soi inquiétante, aussi bien au Québec que dans le reste du Canada. Il est vrai qu’après l’attaque terroriste de janvier 2017 dans la ville de Québec, les manifestations d’islamophobie dans la province de Québec sont devenues plus visibles. C’est en tout cas l’impression que nous avons eue. Elles ont donné lieu à un plus grand nombre de signalements que dans n’importe quelle autre province. Après cette attaque terroriste, et malheureusement aussi après l’adoption de la motion M-103 par la Chambre des communes, nous avons constaté un accroissement de ce type de manifestations. Les sentiments d’islamophobie se sont également manifestés très clairement dans le Canada anglophone.
Pour revenir à votre question, nous avons été parmi les premiers à faire état des préoccupations et des inquiétudes que soulèvent les groupes d’extrêmes droites, comme La Meute ou d’autres. Quels sont les dangers que présente un tel groupe? Tout d’abord, ils s’opposent ouvertement aux musulmans, aux immigrants et à tous les nouveaux venus dans ce pays. Ensuite, ils ont tendance à faire état de leurs antécédents militaires et ils organisent des patrouilles dans les rues de la ville de Québec. Leur objectif est de mettre un terme à l’islamisation de la ville de Québec. Ils créent ainsi un sentiment d’islamophobie qui commence à se répercuter sur la sécurité des citoyens du Québec. J’ignore si vous suivez les nouvelles au Québec, mais on constate que les grands médias dans cette province donnent maintenant la parole à de tels groupes.
Il y a un autre phénomène vraiment étrange concernant tout spécialement le comportement des services de police et de renseignements. C’est un problème que nous avons déjà soulevé. Si vous suivez les médias sociaux, vous constatez que ces groupes y expriment leur haine et leur volonté de violence, et pourtant personne ne les contre. Ils ont même menacé d’abattre le premier ministre du Canada. Ils attaquent des musulmans et se livrent à diverses actions. Les services responsables de notre sécurité semblent n’agir que très rarement contre ces groupes.
Pour conclure, je vous dirai que ces groupes sont de plus en plus visibles. Cela ne veut pas dire que le nombre de leurs membres augmente. Ce qui est inquiétant est qu’ils sont de plus en plus acceptés par la société, en particulier dans la province de Québec.
Je vous remercie, monsieur Majzoub.
Je donne maintenant la parole à monsieur Baylis, pour les trois minutes qui lui restent.
Je tiens tout d’abord à féliciter MM. Majzoub et Alsaieq de l’excellent travail qu’a fait le Forum musulman canadien pour lutter contre l’intolérance et la discrimination au Canada.
Au sujet de l’emploi du mot « islamophobie », que vous avez tous deux utilisé, certains prétendent qu’on ne peut pas critiquer l’islam. Pour eux, utiliser ce mot revient à entraver la liberté d’expression.
Pas du tout. Ce n’est pas notre intention et nous ne voulons pas cela. Il faut être très clair à ce sujet.
Certains ont voulu politiser cette question. Nous ne demandons en aucune façon de limiter les critiques à l’endroit de l’islam. Il a été critiqué de l’intérieur et c’est ce qui lui a permis d’évoluer au cours des 1 400 dernières années. Il n’est aucunement question pour nous de vouloir brider la liberté d’expression. Nous nous contentons de bien préciser la définition de l’islamophobie qui suscite la haine et la violence contre les citoyens de foi musulmane.
Monsieur Bhabha, cela cadre-t-il aussi avec votre vision de l’islamophobie, soit que cela n’entrave pas la liberté d’expression?
Eh bien, je ne crois pas que l’étude de l’islamophobie implique des menaces plus importantes de restrictions par l’État nuisant de la liberté d’expression que l’étude de toute autre forme de discrimination. Nous avons déjà des lois qui brident la liberté d’expression dans le cas des propos haineux et de la diffamation. Le fait d’étudier l’islamophobie et celui d’adopter certaines mesures contre celle-ci ne brideront en rien la liberté d’expression.
Il faut en même temps rappeler que, dans ce pays, il n’y a pas de principe constitutionnel garantissant la liberté totale d’expression. C’est en 2013 que la Cour suprême du Canada a validé les restrictions imposées à la liberté d’expression d’un individu en estimant que celui-ci ne pouvait arguer de la Bible pour propager publiquement des commentaires discriminatoires et blessants sur les membres des communautés LGBTQ. Cette décision, dite Whatcott, repose sur la recherche soigneuse d’un équilibre entre les principes de liberté d’expression et ceux de la lutte contre les discriminations. Nous avons dans ce pays une longue tradition de dialogue constant entre les notions de liberté d’expression et d’égalité. Malheureusement, ceux qui cherchent à miner cette importante tradition constitutionnelle canadienne lèvent le drapeau, et ce faisant…
Afin de bien préciser ce point, imaginons que j’ai une critique à formuler contre l’islam. Cela ne signifie pas que je suis… L’islamophobie n’entrave pas mon droit de critiquer une religion ou une autre.
Je participe tout le temps à des discussions critiques sur l’islam. Cela fait partie de ma religion, et même de mon existence. Il n’y a pas de problème à critiquer l’islam, mais il y en a un à haïr l’islam.
Avez-vous quelque chose à ajouter en ce qui concerne le volet des poursuites dans les cas d’incitation à la haine?
Nous sommes d’avis que l’ensemble des mesures pénales en vigueur constitue un outil efficace. En ce qui concerne les dispositions en la matière, nous pensons pour l’essentiel que l’infrastructure législative en place est bien adaptée. Il nous faut simplement mieux comprendre d’où les plaintes proviennent et où les incidents se produisent. Nous devons chercher à nous procurer des données sur ces questions. Il n’y en a pas actuellement. Nos commentaires portent donc essentiellement non pas sur le seuil ou sur la question du consentement…
Je vous remercie, maître Hameed.
Nous passons maintenant avec M. Reid à la seconde série de questions.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Ces exposés étaient fort intéressants, et je vous en remercie vivement, messieurs.
Monsieur Bhabha, avec votre permission, j’aimerais commencer par vous. Dès le tout début de vos commentaires, et vous l’avez répété par la suite, vous nous avez dit ne pas vouloir interdire quelque forme que ce soit d’expression. Vous avez poursuivi en nous donnant une définition de l’islamophobie. Tout en nous conseillant de ne pas chercher une définition parfaite, vous nous en avez fourni une qui me paraît fort bonne pour tenter d’aller de l’avant. Je dirais qu’il s’agit d’une définition de travail puisque le fait d’en disposer nous permet de lancer la discussion, que cette définition soit parfaite ou non, et que c’est là un exercice utile. Je tenais à vous le dire. Parmi toutes celles que j’ai entendu proposer, devant ce comité ou dans d’autres contextes, c’est celle qui me paraît la meilleure.
Vous avez également évoqué la décision de la Cour suprême en nous rappelant fort à propos que, dans la décision Whatcott, le plus haut tribunal du pays a jugé inacceptable de brandir des versets de la Bible pour inciter à lapider des homosexuels. Cela m’amène à vous poser cette question. Je crois savoir qu’on pourrait trouver des passages similaires dans le Coran ou dans le Hadith. Les tribunaux seraient-ils alors justifiés d’imposer les mêmes restrictions sur l’interprétation ou sur l’utilisation de ces passages, comme ils l’ont fait concernant ceux de la Bible dans le cas Whatcott?
En vérité, c’est une question de compétences. À titre d’exemple, l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été abrogé en 2015 à la suite de pressions politiques. Ce texte aurait pu permettre de limiter la liberté d’expression dans le cas de discours haineux. Cette abrogation est le fruit de la volonté de nombreux Canadiens qui se sont regroupés pour formuler énergiquement cette demande. Ils ont ainsi exercé des pressions sur les législateurs pour qu’ils prennent les mesures qu’ils voulaient voir adopter.
S’il y a bien un texte de loi qui s’applique à la liberté d’expression, et s’il devait y avoir un cas similaire au cas Whatcott, avec le même type de prétention reposant sur un texte formulé différemment, je m’attendrais à voir appliquer les mêmes principes.
Très bien. Je voulais simplement vous poser cette question. Je vous remercie de votre réponse. Je la trouve très éclairante.
Un peu plus loin, vous nous avez dit, et je vous cite: « Il n’y a pas de problème à critiquer l’islam, mais il y en a un à haïr l’islam. » Je me demande si vous ne vouliez pas plutôt nous dire que le problème est de haïr les musulmans.
La distinction est intéressante parce que je crois que celle qu’on fait entre l’islam et les musulmans est factuelle, mais je crois qu’elle est également devenue politique, utilisée parfois pour des motifs que je caractériserais de haineux ou de discriminatoires. On peut s’en prendre à une entité abstraite comme l’islam, mais le problème tient à la définition que l’on retient de l’islam lorsqu’on veut l’attaquer. Critiquer l’islam peut être considéré comme islamophobe si vous définissez l’islam de façon plus large que les seuls éléments que vous voulez critiquer.
Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre et je tiens à être prudent.
Il y a des gens qui sont convaincus que l’islam est fondamentalement une religion de violence. Je suis convaincu qu’ils ont tort. Je suis historien et j’accorde la plus grande importance aux faits historiques.
Nous pouvons tous citer quelques exemples de ce type de pensée. J’ai ici un ouvrage de Christopher Hitchens, un athée notoire qui a intitulé son livre God Is Not Great. Il condamne et ridiculise l’islam, le christianisme et le judaïsme, et les met tous dans le même panier. Je peux également vous parler d’Ayaan Hirsi Ali qui estime aussi que l’islam est fondamentalement une religion de violence. Née musulmane, elle est devenue athée.
Diriez-vous que les comportements et les paroles de l’un comme de l’autre traduisent une forme d’islamophobie? Je pourrais vous donner d’autres exemples, même si je suis réticent à les citer, concernant ce type de discours. Faut-il voir là une forme de discours qui devrait être interdite par la loi?
Je vois. Vous posez là deux questions de nature très différente.
Notre société m’autorise, si je le veux, à affirmer que tous deux sont islamophobes et à défendre ce point de vue. Ce n’est pas nécessairement ma position. Il y a des gens qui ont fait cela.
J’ai eu l’occasion de rencontrer Christopher Hitchens. C’est un homme fort aimable qui a collaboré étroitement avec de nombreux musulmans, et je connais quelques-uns d’entre eux. Quant à savoir si ce type d’opinion devrait pouvoir être sanctionné en application de la loi, c’est une question totalement distincte. Je peux fort bien vivre en étant d’avis qu’ils sont islamophobes. Ils peuvent prétendre ne pas l’être et avoir des partisans. C’est la nature même de la liberté d’expression.
Je ne me vois pas passer de la conviction qu’ils tiennent des propos islamophobes à une demande d’une forme quelconque de sanctions de l’État. J’imagine d’ailleurs que tout discours qui n’a rien de haineux serait protégé par la Constitution. Je m’attends à ce que l’État protège ce type d’expression. Je pourrais par contre critiquer ces personnes en leur opposant mes propres opinions. C’est la nature même de la liberté d’expression. Je n’ai pas à être d’accord avec eux pour respecter leurs droits. Je peux contester ce qu’ils disent.
Je suis pleinement d’accord avec vous.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je vous ai fait part de mon préambule à cet endroit. Je ne partage pas les avis, ni de l’un ni de l’autre, sur ce sujet. J’ai voulu vous poser la question parce qu’il me semble qu’elle est au coeur du sujet. Il y a des gens qui craignent que ce comité décide de formuler à l’intention du gouvernement une recommandation visant à imposer davantage de restrictions sur la parole, y compris sur la critique des religions, et que le gouvernement entérine cette recommandation. Je pense qu’ils sont dans l’erreur, mais je crois que cela permet de formuler le problème que vous abordez dans vos commentaires.
L’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme se lit comme suit:
Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.
Nombreux sont ceux qui estiment que cette formulation autorise le prosélytisme, ce qui implique de dire que les autres religions sont dans l’erreur, en tout ou en partie. Cette interprétation est celle prônée par les musulmans, les chrétiens et quelques autres. Le prosélytisme vous est-il déjà apparu comme une forme d’islamophobie lorsque quelqu’un critique l’islam parce qu’il estime que vous devriez vous convertir à sa foi?
Si quelqu’un voulait tenter de me convertir à sa religion, verrais-je cela comme une forme d’islamophobie? S’il me disait que mes croyances sont erronées…
Ces gens-là vous disent effectivement que vous êtes dans l’erreur, ils pourraient par exemple vous dire que vous êtes victime de l’oeuvre du diable. Qui sait ce qu’ils pourraient dire?
M. Faisal Bhabha: En effet.
M. Scott Reid: Ma question est donc: cela fait-il d’eux des islamophobes?
C’est là un des témoignages les plus importants. Je vous en remercie. Je prie les autres témoins de bien vouloir m’excuser de ne pas les avoir interrogés, mais c’est vous qui avez fait la citation qui m’a amené à vous interroger sur cette dimension. Merci beaucoup.
Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que tous les témoins pour les exposés qu’ils nous ont présentés.
Je voudrais approfondir la question du déficit des signalements. Comme vous le savez, quantité d’incidents sont de nature discriminatoire au titre de la race, de la religion, etc. Je me demande si les témoins pourraient nous faire des suggestions qui nous permettraient de prendre connaissance des cas vécus de discrimination survenant au quotidien dans nos communautés.
Je commence par vous, maître Hameed.
L’une de nos recommandations est de faire davantage de recherches sur la question. C’est une nécessité. Le gouvernement pourrait s’atteler à la tâche et la société civile pourrait participer à ce travail. Les chercheurs pourraient se rendre dans les communautés. Le problème qui se pose dans les cas de déficit des signalements est que les gens éprouvent une certaine appréhension à s’impliquer, que ce soit en participant à un processus systémique, en utilisant des mécanismes de plainte, en remplissant des formulaires ou en témoignant auprès de fonctionnaires.
Pour réaliser une telle recherche, avec des enquêteurs se rendant dans les communautés et documentant la situation, et il y a des moyens de le faire, il faut être sensible à la situation des communautés, et se rendre dans celles-ci.
L’étape à laquelle nous voyons une lacune importante est, une fois cette recherche terminée, de l’amener au niveau des décideurs en matière de politique. C’est à ce niveau qu’il faut améliorer les choses.
Cela fait maintenant de nombreuses années, 10 ou 15, que nous avons… Nous nous sommes dotés il y a peu d’une ligne 1-800 accessible à tous les Canadiens, pas uniquement à la communauté musulmane, mais vraiment à tous ceux qui sont confrontés à des pratiques discriminatoires ou qui sont attaqués pour ce qu’ils sont. Notre expérience en la matière, même si c’est une question qui relève davantage du niveau local que du niveau fédéral, est que ce problème comporte deux facettes.
Tout d’abord, il y a les personnes qui viennent de pays dans lesquels les gens hésitent à s’adresser à des représentants de l’ordre, en particulier aux services de sécurité.
Ensuite, et c’est le point le plus important, notre expérience jusqu’à maintenant nous montre que les services de sécurité, partout, ne prennent pas au sérieux les plaintes déposées auprès d’eux. Je vais vous donner un exemple. Si une femme subit des discriminations parce qu’elle porte un hijab, et qu’elle va déposer une plainte à la police, on commence à lui poser des questions: « Avez-vous un témoin? Qui était présent? Allez-vous bien? Quel type de violence avez-vous subie? Êtes-vous allée à l’hôpital? » Si cette femme n’est pas en mesure de répondre à toutes les questions, elle va ressentir une forme de découragement. Puisqu’il n’y a pas d’autres personnes qui soient prêtes à témoigner de cet incident, il n’est pas vraiment nécessaire pour vous… Le Forum musulman canadien s’est adressé aux autorités et aux responsables des administrations municipales pour s’attaquer à ce problème.
Ces femmes sont confrontées à un autre problème. Même si la police prend au sérieux leurs plaintes, il n’y a pas réellement de suivi. C’est là un autre motif de découragement des plaignantes qui nous a amenés à demander aux autorités, aussi bien au niveau des villes qu’à celui des provinces, de veiller à ce que les services de police soient sensibilisés à ces questions pour prendre ce type de cas très au sérieux et pour en faire réellement le suivi lorsqu’ils ont fait l’objet d’un signalement.
Je vous remercie.
Je tiens à mettre l’accent sur les recommandations parce qu’une partie de notre travail porte sur ce que nous devrions faire dans la situation actuelle. Nous savons que le comportement de certains leaders qui se trouvent à l’extérieur du pays génère de l’agitation. Je crois qu’il suscite la crainte et la haine et parvient à normaliser la discrimination de toute une série de comportements. Je n’irai pas plus loin sur cette voie-là.
Étant donné tout cela, notre travail consiste, en partie, à nous demander ce que nous pouvons faire à ce sujet. Quelle approche pangouvernementale pouvons-nous retenir? C’est ainsi que, par le passé, nous disposions d’une stratégie nationale de lutte contre le racisme qui est maintenant en quelque sorte tombée en désuétude. Certains membres de notre dernier groupe de témoins ont suggéré qu’il faudra peut-être scinder notre travail en deux parties, l’une consacrée au racisme et l’autre aux discriminations religieuses. Ils ont estimé que nous devrions avoir deux grandes orientations distinctes.
Je suis curieuse de savoir si vous pouvez nous éclairer sur les mesures que nous devrions prendre. Je m’intéresse plus précisément à une stratégie qui mettrait l’accent sur un point de vue national de façon à ne pas disposer d’une seule orientation, mais de couvrir tout le pays.
J’aimerais dire quelque chose sur cette forme de comparaison entre le racisme et la discrimination religieuse, parce que je crois que nous ne pouvons pas en tirer des conclusions générales s’appliquant à toutes les religions.
Dans le cas des musulmans, et lorsque nous parlons d’islamophobie, on se trouve en vérité à la jonction de la discrimination religieuse et du racisme, alors que ce n’est peut-être pas le cas pour les autres discriminations religieuses. Je sais que de nombreux groupes chrétiens s’inquiètent de l’empiétement sur les libertés des diverses églises. Cela me paraît être un problème différent de celui qui concerne la nature spécifique de l’islamophobie, qui se rapproche davantage de l’homophobie et de l’antisémitisme, car il s’agit d’une forme de discrimination croisée. Dans le cas des musulmans, cette discrimination repose sur la religion, mais également sur d’autres facteurs comme l’altérité perçue, le caractère étranger, la couleur, mais pas toujours la couleur parce que nous sommes une communauté diversifiée comportant de nombreuses races et que cela amène beaucoup de gens à demander « Que voulez-vous dire? ».
Permettez-moi de vous donner un exemple. Ma propre mère est blanche de peau. C’est une Québécoise de vieille souche devenue musulmane il y a 40 ans et qui porte le hijab depuis 25 ans. Au cours des 10 dernières années, elle s’est fait dire à diverses occasions de retourner d’où elle vient, soit en vérité dans un petit village du Québec rural où elle ne serait probablement pas la bienvenue du fait de son apparence. Cet exemple montre bien ce qu’on entend par races et qu’il ne s’agit pas en réalité de couleurs de la peau ni de texture des cheveux.
J’en ai quelques-unes à vous faire. L’une d’elles, et je ne parle pas de stratégie nationale, serait de recueillir cette information et de la communiquer aux corps de police. Je mettrais de l’avant le projet de loi C-59, plus précisément les questions qui n’ont pas été abordées par le projet de loi C-51, et je transmettrais cette information au corps de police pour les éclairer sur ces questions.
Ensuite, j’ouvrirais un répertoire des plaintes. S’il existe déjà des mécanismes de plaintes au sein des services, il me semble qu’on devrait en mettre un sur pied qui ait la préséance sur les autres pour recueillir cette information, pour la regrouper, afin que nous ayons une idée des types de discriminations auxquelles sont confrontés les musulmans. Il faudrait procéder à une forme de regroupement.
Ma dernière recommandation serait d’améliorer la surveillance. On discute beaucoup de ces questions. Nous pouvons nous aussi participer à ces débats. À la suite de l’affaire Arar, nous savons que la surveillance est déficiente. Il nous faut améliorer les méthodes utilisées, mais la seule façon d’y parvenir est de commencer par comprendre la nature du problème.
Je vous remercie, maître Hameed.
Il nous reste quelques minutes avant 17 h 30.
Monsieur Breton, vous avez la parole.
[Français]
Très bien, monsieur le président.
J'aimerais poursuivre sur la lancée de Mme Kwan au sujet des recommandations que vous pourriez présenter au gouvernement pour diminuer le racisme en général. Messieurs Majzoub et Alsaieq, je vous laisse les quelques minutes restantes pour nous en parler.
[Traduction]
Je vous remercie d’avoir posé cette question.
Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais conclure en disant que lorsque nous comparaissons devant vous, nous ne nous voyons pas comme des objets étrangers provenant d’une autre planète. Nous venons à la Chambre des communes à titre de Canadiens. Mes quatre enfants sont nés au Canada. C’est ce que nous voulons pour l’avenir de tous les Canadiens parce qu’à chaque fois que nous abordons cette question nous entendons: « C’est un immigrant qui vient je ne sais d’où. » C’est ainsi qu’on nous traite. Nous voulons être traités sur un pied d’égalité. Nous ne demandons pas de favoritisme.
Je terminerai en vous disant que nous vous disons que nous voulons être traités sur un pied d’égalité tout comme nous le sommes quand il s’agit de nos obligations. Nous payons nos impôts. Nous sommes soumis à la loi. Nous sommes tous traités de la même façon. Nous aimerions être traités également sur un pied d’égalité en ce qui concerne nos droits et nos libertés.
Je vous remercie de votre attention.
[Français]
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