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D'accord. Merci beaucoup, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité. Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui. C'est très gentil de votre part.
J'ai invité Daniel à se joindre à moi, parce que c'est un expert en matière de droit d'auteur.
J'ai une proposition à faire au gouvernement du Canada en vue de la modification de la Loi sur le droit d'auteur. J'attends depuis 10 ans ce moment de vous en parler. C'est une proposition assez simple et je vais vous l'expliquer à l'aide de la présentation PowerPoint que j'ai préparée pour vous.
Ma proposition vise à modifier le paragraphe 14(1) de la Loi sur le droit d'auteur. En vertu de la loi actuelle, il faut attendre 25 ans après la mort d'un auteur ou d'un compositeur qui a transféré ou cédé ses droits pour les récupérer. C'est ainsi que cela se passe. Si vous écrivez un scénario, un livre ou une chanson et que vous en cédez les droits d'auteur à une société, vous devez attendre 25 ans après votre mort pour les récupérer. Je pourrais le répéter, mais je crois que deux fois suffisent.
À titre comparatif, la loi sur le droit d'auteur des États-Unis a été modifiée en janvier 1978. Le gouvernement américain a décidé que le droit d'auteur devait revenir à l'auteur et au compositeur, sur demande, 35 ans après la cession. Lorsque vous cédez vos droits à une société ou que vous concluez une entente pour votre livre ou votre chanson, ces droits vous sont rendus 35 ans plus tard et vous décidez si vous voulez les laisser à la société ou les garder pour vous.
Je propose de modifier le paragraphe 14(1) de la Loi sur le droit d'auteur, afin d'y lire « 25 ans à compter de la cession des droits » plutôt que « 25 ans à compter de la mort de l'auteur ». C'est tout ce qu'il faudrait faire. J'en serais rendu à la dernière partie de ma déclaration, soit les raisons du changement.
Mais avant cela, est-ce que nous devrions demander à M. Gervais de faire ses commentaires ou est-ce que je continue avec ma proposition?
Merci beaucoup, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité. Je vous remercie de m'inviter à témoigner devant vous aujourd'hui. Je suis désolé de ne pas pouvoir être là en personne.
Comme vous le savez tous, la politique en matière de droit d'auteur est un exercice d'équilibre difficile ou, devrais-je dire, un ensemble d'exercices d'équilibre entre les créateurs, par exemple, et ceux à qui ils confient l'exploitation commerciale de leur travail. Les autres exercices se font par exemple entre les exploitants commerciaux et le public, entre les grands intermédiaires en ligne et les titulaires des droits d'auteur, entre les éducateurs et les titulaires des droits d'auteur et entre les bibliothécaires et les titulaires des droits d'auteur. La liste est longue, mais aujourd'hui je veux surtout me concentrer sur le sujet abordé par Bryan, c'est-à-dire l'équilibre entre les créateurs et les personnes à qui ils confient l'exploitation — l'utilisation commerciale — de leur travail.
Le droit d'auteur vise à encourager les nouveaux créateurs à gagner leur vie en créant de nouvelles oeuvres d'art et les créateurs établis à continuer de produire les oeuvres que nous aimons et qui nous permettent d'apprendre. Il y a un lien direct entre le droit d'auteur et de nombreuses formes de création littéraire et artistique. Nous reconnaissons tous l'importance de la création dans la société. C'est pourquoi ces politiques et leur incidence sur la création de nouvelles oeuvres artistiques et littéraires sont essentielles au progrès culturel et économique.
J'aimerais souligner un point. Il est vrai que certains amateurs — des gens dont la création n'est pas la profession — contribuent réellement au progrès humain, mais ce n'est pas la règle. Peu importe comment on le définit, le talent n'a pas été distribué de façon égale. Il est vrai que même le talent brut doit être travaillé, alimenté et développé. J'aime donner l'exemple de Mozart, qui a commencé à composer alors qu'il était enfant, mais qui n'a rien composé que nous écoutions encore 250 ans plus tard avant l'âge de 21 ans. La valorisation du talent au fil des décennies est une fonction très importante dont la politique en matière de droit d'auteur peut s'acquitter. Pour ma part, je préfère de loin regarder les oeuvres de Denys Arcand, de James Cameron ou de Denis Villeneuve plutôt que de regarder une vidéo, aussi adorable soit-elle, sur YouTube.
L'argument culturel à l'appui des créateurs est solide, mais l'argument économique est important également. Au sein de cette économie du savoir, la créativité remplace la production des biens matériels. Par conséquent, en vue du développement humain et économique, les politiques doivent veiller à ce que les personnes qui veulent repousser leurs limites créatives, notamment en créant de nouvelles oeuvres d'art et de nouvelles connaissances, puissent le faire.
Cela m'amène à l'article 14. L'une des caractéristiques clés des droits d'auteur, c'est qu'ils sont transférables, à l'exception du droit moral, bien entendu. La transférabilité vise à permettre aux auteurs de travailler avec des intermédiaires commerciaux comme les sociétés de production cinématographique, les maisons de disques, les éditeurs de livres et de musique, et ainsi de suite. Ces sociétés commercialisent le travail des auteurs et leur permettent de monnayer leur talent et leur art; elles leur permettent donc d'en vivre et de continuer de créer. C'est souvent le mécanisme clé qui permet aux auteurs de faire le travail... d'avoir le temps de se consacrer à cette fonction unique qui est très importante pour le progrès culturel et intellectuel.
La capacité de transfert et d'octroi de licences aux tiers est essentielle au régime de droit d'auteur du Canada et d'ailleurs. Je vais vous donner un exemple simple: les romanciers et les essayistes qui souhaitent voir leurs livres publiés par un éditeur doivent pouvoir lui donner une sorte de droit exclusif. La presque totalité des transferts de droit d'auteur se fonde sur une relation contractuelle ouverte et la négociation. Cela signifie que les parties négocient en fonction de leur position respective. Leur poids variera en fonction de divers facteurs. Par exemple, un auteur inconnu qui publie son premier roman et qui travaille pour un grand éditeur se considérera probablement comme très chanceux et signera tout ce qu'on lui demandera de signer.
Il est aussi vrai que dans la plupart des cas, il est très difficile de prédire le succès commercial d'une nouvelle oeuvre. D'innombrables romans ont été rejetés par les éditeurs. Marcel Proust, Rudyard Kipling, Louisa May Alcott et de nombreux autres se sont fait dire qu'ils n'avaient aucune chance de réussir. Or, leurs oeuvres ont été lues par des millions de personnes et sont toujours lues aujourd'hui. Bon nombre d'excellentes chansons ont été rejetées par les éditeurs de musique et sont devenues de grands succès. Cela signifie qu'il y a un risque évident à investir dans le développement des nouveaux auteurs et dans la production des nouvelles oeuvres des artistes établis.
La question que nous soulevons, Bryan et moi, est la suivante: quelle est la période d'exploitation commerciale raisonnable nécessaire pour permettre à un éditeur ou à un producteur de récupérer son investissement et de faire un profit?
Bon nombre des lois nationales d'autres pays reconnaissent qu'il est insensé de laisser le cessionnaire être titulaire des droits d'auteur pendant tout ce temps. Comme l'a fait valoir Bryan, même les États-Unis — qui ne sont pas réputés pour être les amis des auteurs — ont adopté une disposition de réversion dans la loi sur le droit d'auteur de 1976.
Je vais vous lire une phrase du rapport du Congrès des États-Unis sur cette nouvelle loi. On y lit ce qui suit au sujet de la disposition de réversion:
Une telle disposition est nécessaire en raison de la position de négociation inégale des auteurs émanant notamment de l'impossibilité de déterminer la valeur d'une oeuvre avant qu'elle ne soit exploitée.
De plus, selon le rapport, en vertu de la loi américaine, on ne peut renoncer à ce droit à l'avance ni l'échanger. Sans égard à la méthode choisie par le législateur, la loi doit reconnaître la position de négociation inégale des auteurs et son injustice. Le fait de permettre la réversion des droits après une période raisonnable représente un moyen très efficace d'atténuer cette inégalité.
D'autres pays ont choisi de restreindre la capacité contractuelle de transférer les droits, surtout ceux associés à des oeuvres futures. C'est probablement parce qu'ils présument que les auteurs qui acceptent un tel transfert n'ont pas d'autre choix que de le faire en raison de leur position de négociation inégale. C'est le cas de la Belgique, de la France et de l'Espagne, pour ne nommer que trois pays. L'Allemagne va encore plus loin et donne aux auteurs le droit de révoquer l'autorisation donnée à un éditeur si une nouvelle forme d'exploitation apparaît. Au cours des décennies qui suivent le transfert des droits d'auteur, il est presque certain que la situation se produira.
La loi canadienne, tout comme la loi du Royaume-Uni de 1911 sur laquelle elle est fondée, prévoit la réversion, mais dans la plupart des cas, la disposition est dépourvue de sens. Comme l'a expliqué Bryan, l'auteur doit se conformer à une condition difficile afin d'exercer ce droit: il doit d'abord mourir et ses héritiers doivent ensuite attendre 25 ans.
De nombreux efforts pourraient être faits pour atteindre un meilleur équilibre en matière de droit d'auteur, mais je soutiens respectueusement qu'il est temps de rééquilibrer la relation entre les auteurs et les personnes qui exploitent leur travail par l'entremise d'un contrat. Les États-Unis exigent une période de 35 ans. Le Canada pourrait, à mon humble avis, faire encore mieux et prévoir un droit de réversibilité de 25 ans.
Plusieurs exigences administratives de la loi américaine doivent être adoptées au Canada. Seulement trois conditions devraient être prises en compte en vue d'une réversion. Premièrement, que la réversion ne se fasse qu'à la demande de l'auteur. Deuxièmement, que le cessionnaire soit avisé suffisamment à l'avance de l'intention de l'auteur. Troisièmement, qu'un avis public soit publié. La Commission du droit d'auteur pourrait s'en charger, par exemple.
Voilà qui conclut ma déclaration préliminaire. Je peux répondre à toutes les questions du Comité, notamment au sujet d'autres composantes de la rémunération des auteurs. Merci beaucoup.
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C'est une question plus importante, comme votre collègue l'a évoqué.
Je vais être honnête avec vous: cela n'a jamais été facile. Au début, c'était difficile de me faire connaître. Comme Daniel l'a mentionné, de nombreux auteurs se font montrer la sortie. Cela m'est arrivé aussi au Canada. Les gens ne sont tout simplement pas intéressés. C'est le sort des artistes. Vous devez y retourner.
En fait, lorsque j'ai signé mon premier contrat, c'était pour 1 $, car légalement au Canada, pour qu'il y ait un contrat, il faut 1 $. Après quelques années, j'ai dit au président de la maison de disque, « Vous savez, j'ai signé ce contrat pour 1 $ et vous ne l'avez jamais envoyé ».
Il a répondu: « Je vais vous l'envoyer. Il est accroché sur mon mur. C'est un chèque de 1 $. Je ne l'ai jamais encaissé. »
C'est ce qui arrive. Vous signez un contrat pour une somme dérisoire au début. Si vous êtes chanceux et que vous avez la machine qui vous appuie, vous pouvez susciter beaucoup d'intérêt. Oui, les médias sociaux sont très importants pour les artistes de nos jours, mais il n'y aucune garantie et vous ne savez pas combien de temps votre carrière durera.
Je suis choyé, et je remercie le public canadien, car j'ai pu continuer de produire des chansons et d'être reconnu au pays et dans le monde entier au cours de ma carrière, alors je suis reconnaissant. Je suis l'un des rares, alors je suis ici, mais je n'ai consulté aucun de mes collègues dans l'industrie pour connaître leurs opinions sur la question. Je suis venu ici à titre personnel pour dire que je pense que nous pouvons faire mieux au Canada.
Je pense que je vais commencer l'exposé en vous racontant brièvement comment tout s'est déroulé et que je suis intervenu.
En 2017, j'ai visité le Millbrook Cultural and Heritage Centre. La nation Millbrook est une petite nation de ma circonscription, mais elle est très progressiste. Elle a un formidable centre culturel et patrimonial, dont Heather Stevens est gestionnaire et conservatrice. On y expose de nombreux artéfacts. Elle m'a expliqué en quoi ils consistent et m'a montré cette robe — j'ai distribué la photo pour que tout le monde la voie — dans son propre présentoir en verre.
Je l'ai admirée, et Heather m'a dit que ce n'était pas le vrai artéfact, mais une réplique. Le vrai se trouve en Australie. Elle m'a dit qu'elle tente de le récupérer depuis les années 1990, mais compte tenu de différents obstacles, on n'a pas réussi à le rapatrier.
Je me suis dit que c'était inacceptable. Par conséquent, quand je suis revenu, Joel et moi avons regardé pour voir si une loi, un programme ou une initiative du gouvernement pouvait aider une petite nation comme celle de Millbrook à récupérer ses artéfacts. Nous savions où ils se trouvaient — soit légalement en Australie et ainsi de suite —, mais en général, nous voulions savoir si le gouvernement pouvait aider d'une certaine façon. Il n'y en avait aucune.
Nous avons donc décidé de rédiger ce projet de loi d'initiative parlementaire, surtout pour donner une voix aux peuples autochtones et pour qu'il y ait une stratégie de la part du gouvernement pour les aider à récupérer leurs artéfacts. Nous avons commencé ainsi, avec le tout petit objectif d'ajouter une voix — c'est ainsi que j'aime le dire — à celles des peuples autochtones.
Ce qui est étonnant, c'est que lorsque j'ai déposé la motion à l'étape de la première lecture, j'ai parlé pendant 2 minutes et 37 secondes. J'ai parlé de la robe qui se trouve en Australie pour présenter le projet de loi. Trois semaines plus tard, l'ambassade d'Australie a appelé pour demander si l'ambassadrice pouvait venir me voir. J'ai répondu: « Bien sûr ». Je n'ai pas fait le lien. Je pensais tout simplement qu'elle faisait son travail et établissait de bonnes relations. Elle est venue, s'est assise et nous avons parlé quelques instants. Tout à coup, elle m'a dit qu'elle avait communiqué avec les gens du musée de Melbourne, où la robe se trouve, et qu'ils étaient prêts à commencer les négociations pour la rapatrier. J'étais estomaqué. Je n'y croyais pas. Deux minutes et 37 secondes à la Chambre étaient préférables à 30 ans d'efforts de la part du peuple autochtone.
Le moment où elle me l'a dit fut pour moi très important. Je n'y croyais pas. Elle m'a donné le nom des personnes avec qui communiquer à Melbourne. Elle était très ouverte. Quand je lui ai demandé pourquoi elle avait fait ces démarches, elle m'a répondu que la communauté indigène de l'Australie, qui est florissante et dotée d'un riche patrimoine et d'une riche culture, veut récupérer ses artéfacts. Comment alors les Australiens pourraient-ils demander au Canada ou à d'autres pays de bien vouloir les retourner s'ils n'en font pas autant? Le processus est donc entamé.
Ce qu'il y a de magique pour moi, c'est qu'une jeune autochtone néo-écossaise, de la bande de Millbrook, négocie avec une jeune indigène australienne. Cela ne se fait pas entre l'Australie et le Canada ou l'inverse, mais plutôt entre Premières Nations séparées par 15 000 kilomètres. C'est très significatif pour moi. Je pense que cela indique la direction que nous prenons en tant que pays et que planète en ce qui a trait aux relations avec les autochtones et au respect que nous leur témoignons.
Nous avons déjà eu une incidence grâce au projet de loi , même s'il n'a pas été adopté. Nous n'avons pas récupéré la robe, mais les démarches à cette fin sont entamées. J'ai bon espoir que nous la récupérerons, ainsi que les autres artéfacts.
J'ai fait circuler cet article. Il n'est pas rédigé dans une ou l'autre des langues officielles, mais plutôt en chinois. Ce projet de loi d'initiative parlementaire vient de Chine. Je sais en quoi il consiste, car ma photo se trouve dessus.
Des voix: Oh, oh!
M. Bill Casey: On a également bien épelé mon nom; c'est la chose importante.
Cela témoigne de l'incidence de la mesure législative. Nous avons reçu des appels de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne, des États-Unis et d'ailleurs concernant les détails du projet de loi. Nous avons reçu un appel de la secrétaire générale de la Commonwealth Association of Museums, qui représente 52 pays et des milliers de musées. Elle a laissé entendre qu'elle utiliserait ce projet de loi en tant que modèle pour d'autres pays qui tentent de récupérer leurs artéfacts — surtout des pays africains, dont une grande partie des artéfacts sont disséminés partout dans le monde.
Nous avons donc déjà eu une incidence. Une famille nous a entre autres appelés pour nous dire qu'elle a des artéfacts autochtones et qu'elle ne sait pas quoi en faire. Grâce à ce projet de loi, il y aurait un endroit où les envoyer. La famille nous a dit qu'elle veut que les artéfacts soient remis aux bonnes personnes, à celles qui les possédaient auparavant. Elle ne sait pas quoi en faire.
Ce projet de loi ouvrira les portes à la restitution des biens culturels.
Hier, j'ai reçu un courriel du chef Dean Nelson, dans lequel il disait :
[...] je suis le chef politique du peuple de Lil'wat.
C'est celui de Mount Currie, en Colombie-Britannique.
Il écrivait ensuite :
Je vous remercie de vos efforts pour le dépôt du projet de loi C-391. Je travaille au même projet de rapatriement. Si nous pouvons vous aider dans vos efforts, faites-nous signe.
Nous avons entendu des peuples autochtones de tout le pays. Au début, notre consultation était locale, dans notre communauté autochtone, mais, depuis, nous avons consulté des dizaines de musées et de communautés autochtones pour être sûrs que nous nous y prenions de la bonne manière.
Au début, nous n'avions aucune idée de la force que ça finirait par avoir. Nous ne faisions qu'ajouter une voix, la nôtre. Nous voulions nous entendre, mais des pays de partout dans le monde semblent vraiment tenir à rentrer en possession de leurs biens culturels.
Par hasard, le printemps dernier, j'ai assisté à la réunion de l'Association touristique autochtone, où la principale question à l'ordre du jour était le rapatriement des biens culturels pour des motifs économiques. Pas tellement pour la préservation du patrimoine et de la culture. Pour des motifs économiques, parce que les éventuels visiteurs des Premières Nations veulent vraiment connaître leur histoire et leur patrimoine et voir aussi les objets qu'ils ont façonnés. Ils veulent voir l'histoire. Les jeunes s'intéressent à la confection des objets. Ils veulent voir s'exprimer le talent, connaître les méthodes en usage dans les années 1500 à 1700. Voilà toute la question des biens culturels.
Aux États-Unis, dont la démarche a été peu différente, la loi sur la protection des lieux de sépulture et le rapatriement des biens culturels autochtones exige leur confiscation. Notre projet de loi ne va pas aussi loin. Ça signifierait que si les biens ont été offerts ou obtenus par des moyens infâmes, le gouvernement du Canada possède les structures et la politique pour aider les Premières Nations à les rapatrier.
La nation de Millbrook compte de 1 500 à 2 000 âmes, selon la méthode de dénombrement. Malgré son imagination et son inventivité incroyables et son excellent travail, il n'en demeure pas moins que cette petite population ne possède pas les ressources pour s'occuper du rapatriement de ce vêtement traditionnel. Mais, si le projet de loi est adopté, ce que j'espère que vous nous aiderez à obtenir, elle aura un endroit à qui s'adresser pour obtenir des conseils sur son rapatriement, sa conservation, sa restauration et sa garde.
Vous avez tous entendu parler du musée brésilien rasé par le feu, il y a une semaine ou deux. Beaucoup d'objets autochtones canadiens y ont été détruits, des objets inestimables, disparus à jamais, faute d'être convenablement conservés. Peut-être nous pourrons prévenir de telles destructions si nous pouvons faire adopter le projet de loi, puis nous faire restituer ces biens et les conserver convenablement.
J'ai été ravi de m'occuper de ce dossier, ravi d'en discuter avec des Autochtones de tout le pays et du monde entier. Quelle tâche agréable! Une opinion d'abord exprimée par des moyens modestes a fini par faire boule de neige. J'apprécie l'attention que vous lui avez accordée.
Je dois reconnaître l'excellent travail de Heather Stevens.
Merci beaucoup, Heather.
J'en dis autant sur vous, Joel.
Sur ce, je m'arrête. J'accueillerai avec plaisir vos observations, vos questions et tout le reste.
Merci beaucoup.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, bonjour.
Je me nomme Heather Stevens. Je suis une Micmaque de la nation de Millbrook, en Nouvelle-Écosse, comme Bill l'a dit. Je suis venue parler du projet de loi . Je parlerai un peu de son historique et de moi.
Je suis la superviseuse des opérations du Centre culturel et patrimonial de Millbrook, dans la Première Nation de Millbrook. Nous y conservons des objets façonnés par notre peuple micmac il y a 7 500 ans. Songez-y. Ils sont très anciens.
J'oublie mes notes un instant. À proximité du centre, il se trouve, à Mi'kmawey Debert, un chantier de fouilles archéologiques où nous avons mis au jour des objets façonnés par notre peuple qui remontent à il y a 13 600 ans. Remarquez que ces objets ne se trouvent pas non plus dans notre centre. Nous espérons les y accueillir.
Nous sommes chanceux et honorés d'y conserver des objets vieux de 7 500 ans.
Je suis venue parler de notre lutte pour essayer de rapatrier dans son pays d'origine un objet sans prix de notre histoire culturelle, un costume micmac, datant des années 1840, qui se trouve au musée de Melbourne, en Australie. Notre musée en possède une photo, comme Bill l'a dit, mais l'objet se trouve rangé quelque part au musée de Melbourne.
À mon arrivée au Centre du patrimoine de Glooscap et au Musée Mi'kmaq, qui est maintenant le Centre culturel et patrimonial de Millbrook, j'étais adjointe aux programmes. À l'époque, la photo du costume se trouvait dans la même vitrine, et je me suis souvent demandé pourquoi nous n'avions qu'une photo. Pourquoi ne possédions-nous pas ce costume historique, pour le montrer à tous les Micmacs de la Mi'kma'ki, la terre des Micmacs dans notre langue, le faire toucher, leur apprendre directement cette partie de notre histoire?
Ceux qui avaient essayé de l'acquérir avec le concours de la Confédération des Micmacs du continent et le Centre du patrimoine de Glooscap m'ont répondu que les tracasseries administratives excessives avaient eu raison de leur optimisme. Malgré mon irritation extrême, je ne pouvais rien faire dans le poste que j'occupais.
À mon arrivée, finalement, dans mon poste actuel, je me suis fait un devoir, non seulement à moi, mais un devoir à tout le personnel, de parler du costume à tous les visiteurs de notre centre, dans l'espoir que, un jour, quelqu'un nous écouterait et nous aiderait. Ce jour est venu à la fin de l'année dernière, quand le député est venu au centre, pour une question tout à fait étrangère. J'avais pris sur moi de lui faire visiter le musée. Quand nous sommes arrivés devant la vitrine, je lui ai parlé de la valeur de la pièce et de l'inanité de mes efforts. C'est alors que m'est apparue dans ses yeux une lueur que je n'avais jamais encore vue, la lueur de l'espoir.
À partir de là, a collaboré avec moi à l'acquisition de ce costume micmac historique et sans prix et à son retour à la place qui lui revenait de droit. Peu après, j'ai noué contact avec une employée worimi du musée de Melbourne à qui j'ai parlé du costume. Elle a pu comprendre ce que ce vêtement signifiait et le désir de le rapatrier à sa place légitime, et sa participation à ce retour l'emballe tellement.
Actuellement, le dossier évolue lentement, mais je suis très optimiste: si le projet de loi est adopté, nous ouvrirons une porte qui permettra à d'autres Premières Nations d'obtenir la restitution d'objets qui leur appartiennent légitimement, et elles pourront faire connaître leur histoire. La diffusion de cette histoire parmi les Micmacs et d'autres pourrait favoriser la découverte d'objets directement inspirés par ce costume et d'autres faits historiques.
Il s'agit d'un sentiment de reconnaissance des torts et de la mise en branle d'un processus de réconciliation pour les Premières Nations. Comme beaucoup d'autres Autochtones, j'ai le sentiment que ce serait un pas dans la bonne direction, qui nous permettrait de renouer avec notre passé qui nous a été ravi si longtemps.
Voilà. Je vous remercie, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, du temps que vous m'avez accordé.
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J'ai senti que Millbrook avait épuisé tous ses moyens. J'ai parlé à des directeurs de musée et ils parlent de rapatriement, mais pas avec les communautés autochtones. J'ai le sentiment qu'ils ne leur donnent pas l'aide qu'elles méritent. L'objectif est d'amplifier la voix des petites communautés autochtones comme Millbrook pour qu'elles ne soient pas laissées à elles-mêmes pour la réalisation de cette tâche.
Pour l'argent, ça fait partie de la stratégie. Ce costume, si j'ai bien compris, est estimé à 500 000 à 600 000 $. Pour le moment, cette valeur estimée a été ramenée à zéro. En effet, le projet de loi prévoit son rapatriement sans frais. C'est ainsi que la stratégie nationale que je réclame pourrait se révéler utile. C'était l'un des obstacles qui ont arrêté les premiers qui ont tenté de le rapatrier. En ajoutant notre voix... je dirai seulement qu'il a suffi de 2 minutes 37 secondes à la Chambre des communes. C'est significatif. Je ne dirai pas que de l'argent ne sera pas débloqué, mais il n'est pas nécessaire. Il est surtout question, dans mon esprit, d'aide aux communications et au transport, ce genre de choses. La garde est vraiment importante. C'est là toute la question.
Voici un livre écrit par Ruth Philipps, que j'ai rencontrée. C'est presque la bible des biens culturels autochtones. On y trouve tout l'historique des déplacements de ce costume, ici, dans le chapitre intitulé « Les voyages d'un costume micmac dans le monde ». Tout est dit dans ce livre extraordinaire. L'auteure a fait des recherches stupéfiantes. Elle y cite Huyghue, l'acquéreur, en 1843:
[...] Huyghue était convaincu du sort inévitable et tragique qui guettait les traditions culturelles des Autochtones et leur mode de vie: “Hélas! Pauvres vestiges d'une nation autrefois puissante, vous ressemblez aux feuilles qui restent dans l'arbre après que toutes les autres se sont flétries [...]”
Voilà pourquoi l'acquéreur de 1843, voulait le préserver. Il chérissait les traditions et la culture micmaques. On le lit dans ce livre stupéfiant, dont l'écriture a coûté cinq années à son auteure.
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Très bien. Merci. Si seulement...
Il est réconfortant d'assister à la renaissance économique de la ville et au retour de sa prospérité. C'est intéressant.
Comme vous le savez, je me suis prononcé à la Chambre pour ce projet de loi. Ma circonscription abrite un musée autochtone assez important à Blackfoot Crossing. Pour ce qui concerne certains des enjeux dont j'ai parlé, et vous avez peut-être entendu certains d'entre nous les aborder, et l'intérêt du rapatriement des biens culturels, je pense que vous nous rendez un fier service, mais comment renforcer les dispositions pour que, après le retour de ces biens, ils continuent de remplir leur vocation?
C'est en partie le problème qu'éprouve le musée de Blackfoot Crossing. Il possède une abondance d'objets. Certains d'entre eux proviennent du musée Glenbow de Calgary, l'un des plus grands dépôts d'objets autochtones, mais, malgré le retour de ces objets dans ce musée, ils ne sont pas exposés. Je l'ai visité. Je sais qu'on y expose des objets, mais beaucoup ne le sont pas. Comment nouer ce rapport pour favoriser leur exposition après leur rapatriement?
Ensuite, quand il est question de coûts, je pense qu'il faut... Ce n'est pas seulement le transport auquel on n'a pas songé, mais à l'expertise muséale, dans un certain sens, parce que le musée n'a pas été consulté à ce sujet. Nous devons trouver une façon de financer non seulement le retour mais aussi l'entreposage, l'exposition et la garde. Ça ne se borne pas au rapatriement. Nous avons besoin d'un mécanisme de soutien grâce à l'association de nos musées pour renforcer la fonction de dépôt à l'endroit où retournent les objets.
Il faut renforcer le projet de loi en ce qui concerne le financement, parce qu'une organisation formidable représente les musées et possède énormément de talent, mais ça n'a pas de suite dans le projet de loi ou le projet de loi n'en tient pas compte. Il faut agir sur ce point.
Enfin, une remarque, peut-être. Je possède une oeuvre d'art notable, don d'un Autochtone. Est-ce que je devrais me faire du souci à son sujet? Se pourrait-il que ce bien personnel...? Qu'en est-il de la possession d'une importante oeuvre d'art autochtone? Est-ce que je risque désormais qu'on me demande de la restituer? La prudence est de mise, parce qu'il se trouve d'importantes oeuvres d'art autochtone un peu partout, qui sont très précieuses.
J'ai terminé. Si vous voulez répondre...
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J'aimerais répondre à une partie de la question.
Premièrement, aucun élément ne traite de la confiscation d'un artefact acquis légalement. La robe a été acquise légalement.
M. Martin Shields: Oui.
M. Bill Casey: L'homme l'a achetée en 1843 et l'a léguée au musée à son décès. C'était tout à fait légal. Cela ne fait aucun doute.
Il n'est nullement question de confiscation ici. J'avais commencé à vous parler des États-Unis, et je ne crois pas avoir terminé ce que je disais. Des lois américaines précisent qu'une institution qui reçoit des fonds fédéraux doit restituer les artefacts autochtones. Ce n'est pas notre démarche; nous misons sur la collaboration. La stratégie faciliterait la restitution d'une œuvre d'art, qu'elle ait été acquise illégalement, qu'elle soit sur le marché ou qu'une personne souhaite la rendre, comme dans votre cas, par exemple.
Je souscris aussi entièrement à ce que vous avez dit au sujet des conditions d'entreposage et d'exposition sécuritaires. Ce n'était pas le cas au Brésil et les Brésiliens ont perdu ces artefacts à jamais. Perdus à jamais. Imaginez!
Cela fait partie de la stratégie. Nous commençons à peine à effleurer la question. Ces aspects de la stratégie pourront être mis au point au fil du temps, lorsque nécessaire.
Vous avez soulevé d'excellentes questions et les propositions d'amendements sont les bienvenues.
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Tout à fait, mais nous voulons d'abord les rapatrier d'Australie et d'autres pays, si possible.
J'habite en Nouvelle-Écosse, mais cette robe est connue des Autochtones de la Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve. Ils en connaissent l'existence, et elle fait l'objet de discussions. Elle fait partie d'eux, de leur culture. Si nous réussissons à la rapatrier, elle se retrouvera à Millbrook, où elle sera exposée pour l'ensemble du Canada atlantique, puisqu'il s'agit d'un artefact micmac. Ils y accordent une grande importance, et je les comprends.
Les gens en parlent. Samedi soir, j'ai participé à une activité du Conseil des Autochtones de la Nouvelle-Écosse. Il y avait des danseurs, des percussionnistes et des artistes interprètes, tous vêtus de répliques de tenues traditionnelles. Cet objet permettrait de fabriquer des répliques plus exactes. C'était un événement incroyable.
J'ignore s'il y a des pow-wow dans votre région, mais il y en a chez nous. Ce sont événements absolument extraordinaires. On y fait renaître les cérémonies traditionnelles et la culture, comme les danses, les chants, les artefacts et les oeuvres d'art. C'est incroyable. Ce n'est qu'un début, mais ils gagnent en importance et sont de plus en plus fréquents. Millbrook accueille chaque été l'un des plus impressionnants pow-wow. C'est tout simplement formidable. Même l'événement de samedi, un souper, était fantastique. Il y avait des danseurs et des oeuvres culturelles, même si cela avait simplement lieu dans un hôtel. Cela aurait été beaucoup mieux s'ils avaient eu d'authentiques artefacts.
Comme je l'ai dit, si cette robe revient à Millbrook, ce sera la fête dans tout l'est du pays.
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Je pense que vous voyez que j'espère que ce projet de loi ira loin. Il doit s'accompagner d'une stratégie de ce genre. Je réclame la même stratégie que vous, et elle devra comprendre tout ce que vous dites, en plus des ressources nécessaires. Il y a beaucoup de choses qui doivent être prises en compte.
Nous venons d'accepter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous allons l'adopter. Cette déclaration prévoit que nous prenions des mesures spéciales pour aider les économies des Premières Nations. Voilà un exemple de mesure spéciale. Si nous pouvons les aider à établir ce que vous décrivez, soit les installations nécessaires pour exposer ces objets, ce sera déjà énorme.
Tout le monde semble s'intéresser à l'histoire autochtone. Je m'y intéresse, en tout cas, et je sais que la plupart des gens s'y intéressent, mais ils manquent de ressources. On y revient toujours dans tout ce que nous faisons et dans tout ce que nous voulons faire. Tout revient toujours à cela. Nous l'avons adoptée. Nous avons accepté de prendre des mesures spéciales.
Le principal enjeu pour l'Association touristique autochtone du Canada était celui des artefacts. Je n'en avais aucune idée, mais je venais tout juste de déposer mon projet de loi . Je me suis rendu à une réunion à l'édifice du Centre, et c'était le principal sujet abordé. Ils n'étaient pas au courant de mon projet de loi, mais leur principale préoccupation était la restauration des artefacts pour qu'ils puissent les exposer et attirer les touristes. Cela contribuerait à payer pour cela. Ce pourrait être un plan d'affaires viable. Les communautés pourraient exposer leurs artefacts, et il leur en coûterait tant. Ce pourrait être un bon plan d'affaires à présenter pour financer tout cela.
La stratégie est d'aider les Premières Nations comme celle de Millbrook à trouver une solution. Je ne demande pas qu'on y consacre une fortune, mais j'aimerais qu'on adopte une stratégie pour aider les Premières Nations. Il est certain qu'il arrivera que ce ne soit tout simplement pas viable. Si telle robe coûtait 500 000 $ ou 600 000 $ il y a 10 ou 15 ans, elle coûtera probablement beaucoup plus cher aujourd'hui. Ce sera alors impossible pour nous de la financer, mais si l'on en parle, comme la Chambre des communes le fait, nous pourrions peut-être la récupérer à coût nul.
Heureusement, Millbrook a de bonnes installations, bien construites, dotées des protections environnementales et contre les incendies nécessaires, mais vous avez raison de dire que ce n'est souvent pas le cas. Ce pourrait être un volet de la stratégie. Si nous reconnaissons que ces artefacts constituent une ressource formidable — et c'en est une — peut-être trouverons-nous les moyens de les exposer. Que pensez-vous de cette réponse?