CHPC Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent du patrimoine canadien
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 4 octobre 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte. Comme nous disposons d'un intervalle très bref, j’ai discuté de certaines des restrictions avec les témoins. J’ai indiqué à tous les partis qu’en raison du manque de temps, j’étais enclin à annuler la séance, à moins que les membres trouvent une solution de rechange sur laquelle ils peuvent s’entendre. Je crois comprendre que tous les partis se sont entendus sur une procédure de rechange selon laquelle chaque groupe de témoins provenant de l’extérieur de l’Ontario disposera d’un temps de parole de sept minutes. Ensuite, nous passerons à des séries de questions de six minutes que les néo-démocrates amorceront, suivis des conservateurs et des libéraux. En fonction de cela, je vais vous demander d’aller de l’avant.
Premièrement, nous composons avec la possibilité d’entendre trois exposés distincts, n’est-ce pas?
Consentons-nous à cela? Fort bien.
Je vais demander à M. Emon d’amorcer son intervention de sept minutes.
Premièrement, permettez-moi de remercier le comité de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui. Pour gagner du temps, je vais couper court à certaines des observations préliminaires que j’avais l’intention de formuler.
Je fais des recherches sur la loi islamique et sur la façon dont les musulmans et l’Islam sont traités en Europe, en Amérique du Nord, en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est. C’est dans ce contexte que je vous fais part de mes réflexions au cours de la présente discussion.
J’espère démontrer aujourd’hui que l’islamophobie imprègne déjà les activités quotidiennes du gouvernement dans notre pays. Pour illustrer cette dynamique systémique, j’analyserai trois exemples d’activités gouvernementales.
Mon premier exemple est le cas du renvoi sur la polygamie, en 2011, en Colombie-Britannique. L'affaire a découlé d’une enquête criminelle sur le comportement polygame des chefs de l’Église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours de Bountiful, en Colombie-Britannique. Les faits de l’affaire sont bien connus. Depuis les années 1990, les enquêtes et les poursuites étaient paralysées en raison de la remise en question de la constitutionnalité de l’article du Code criminel interdisant la polygamie.
Le renvoi demandait au tribunal :
L’article 293 du Code criminel est-il conforme à la Charte canadienne des droits et des libertés?
D’une façon générale, neutre et imprécise, la question traite de la polygamie sans que son contexte soit pris en considération. Ce faisant, le renvoi libère le tribunal et les avocats gouvernementaux du carcan factuel que représente la communauté religieuse chrétienne composée de gens aisés de race blanche, et leur donne l’occasion de discuter de la pratique islamique et, donc, étrangère de la polygamie.
Le procureur général de la Colombie-Britannique a embauché mon collègue, Mohammed Fadel, alors que l’amicus nommé par le tribunal m’a engagé pour obtenir des affidavits quant à la polygamie.
Le tribunal a examiné nos affidavits, qui traitaient tous deux de la règle de droit historique et immuable relative à la polygamie, telle qu’on la retrouve dans des textes de loi islamiques et telle qu’elle est appliquée dans les États à majorité musulmane. Plus important encore, le tribunal a reconnu l’absence de données empiriques sur les pratiques des musulmans au Canada. Dans le renvoi, une opinion ouvertement déterminée de l’Islam était présentée pour caractériser la polygamie comme un concept étranger allant à l’encontre des valeurs canadiennes.
Le renvoi soulève deux questions pertinentes en ce qui a trait à notre enquête sur l’islamophobie en tant qu’entreprise systémique.
La première question est la suivante. En l’absence de toute donnée pertinente sur les pratiques des musulmans au Canada, comment mon affidavit entrait-il en ligne de compte dans la question des droits garantis par la Charte conférés aux personnes? Essentiellement, deux hypothèses non énoncées étaient avancées, la première étant que, si un texte religieux présente une notion, les musulmans doivent y souscrire, s’en préoccuper ou la suivre d’une façon ou d’une autre. Cette hypothèse illustre la raison pour laquelle la simple mention de la haine contre les musulmans est systémique et fait abstraction des rouages de l’islamophobie.
La deuxième hypothèse était que, bien entendu, les musulmans respectent servilement les textes portant sur la polygamie, compte tenu des images de harems établis dans des pays islamiques et d’hommes musulmans hypersexualisés que l’Europe véhicule depuis longtemps et qui colorent la culture principalement coloniale du Canada.
Passons à la deuxième question, à savoir la façon dont mon affidavit était lié au racisme systémique. Les accusés de Bountiful, en Colombie-Britannique, étaient riches, de race blanche et membres d’une dénomination chrétienne. D’un point de vue racial, ils étaient étiquetés comme appartenant à l’image majoritairement coloniale de l’État canadien. Le renvoi a permis de redéfinir la communauté de Bountiful, en Colombie-Britannique, comme étrangère et dangereuse en l’associant à l’Islam, en dépit du fait que les pratiques conjugales des musulmans du Canada étaient sans rapport avec les délibérations.
Soyons clairs. Je ne critique pas la décision définitive rendue relativement au renvoi. J’utilise plus tôt cet exemple pour démontrer comment une variété de décisions ordinaires, bureaucratiques, discrétionnaires et — plus important encore — riches en symboles, que le gouvernement prend dans le cadre de ses activités quotidiennes, contribuent à l’entreprise systémique de l’islamophobie. En outre, il est clair dans ce contexte que j’ai, par inadvertance, participé aussi à cette entreprise, mais c’est exactement ainsi que les préjugés systémiques fonctionnent; ils font appel à chacun de nous.
Mon deuxième exemple concerne le projet de loi canadien de 2015, mieux connu sous son titre abrégé de Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares. La loi ciblait certaines pratiques conjugales, comme les mariages forcés et la polygamie, qui sont toutes deux associées à certaines communautés de couleur et certaines pratiques religieuses, en particulier celles de la communauté musulmane.
Je vais me concentrer maintenant sur le titre, qui est encore une fois le résultat de décisions discrétionnaires du gouvernement qui sont imprégnées de pouvoir et de signification symboliques. Dans le titre abrégé, le terme qui suscite mon intérêt est le mot « barbare ».
Le mot « barbare » et les termes connexes ont longtemps été appliqués aux musulmans et à l’Islam, et ils ont longtemps inspiré l’idéal impérial du XIXe siècle, à savoir le « fardeau de l’homme blanc ». Le pape Urbain II a employé le terme « barbare » dans le discours qu’il a prononcé en 1095 pour inaugurer la première croisade contre les musulmans de Jérusalem, et le mot « barbare » sous-tend le poème rédigé par Rudyard Kipling en 1899 et intitulé le Fardeau de l’homme blanc.
Il va presque sans dire que ceux qui appliquent le terme « barbare » à d’autres personnes se considèrent implicitement comme leurs opposés, c’est-à-dire supérieurs et civilisés. Pour le pape Urbain II, le caractère barbare des musulmans tenait au fait qu’entre autres choses, ils ne possédaient aucune loi ou, du moins, aucune bonne loi.
Passons à 2015 et à la loi sur la tolérance zéro. Il est difficile de ne pas remarquer comment l’emploi du mot « barbare » et les dispositions portant sur la polygamie ciblent symboliquement une communauté musulmane racialisée que l’on imagine imprégnée d’une mauvaise culture et assujettie à de mauvaises lois, qui vont toutes à l’encontre de la primauté du droit canadien.
Mon troisième et dernier exemple met l’accent sur le Centre canadien d’engagement communautaire et de prévention de la violence qui a été créé récemment et qui vise à lutter contre la radicalisation, la violence et l’extrémisme. Sa directrice principale, Mme Ritu Banerjee, s’est adressée au Comité au cours de la première journée d’audiences du Comité.
Les programmes comme celui-ci, habituellement connus sous le nom de programmes de « lutte contre l’extrémisme violent », ou LEV en abrégé, ont été créés dans la foulée des attaques du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center. Le mythe entretenu, c’est que ces programmes ne ciblent pas exclusivement les musulmans, et il est vrai qu’ils évoquent souvent le spectre des groupes de militants de droite. La présentation de Mme Banerjee ne mentionnait effectivement pas l’extrémisme ou le terrorisme islamique. Elle traitait seulement de l’extrémisme de droite.
Mme Banerjee a néanmoins longuement abordé les façons systémiques dont l’islamophobie s’immisce dans les activités quotidiennes du gouvernement. Par exemple, elle a parlé favorablement de l’initiative Someone. Le site Web de cette initiative expose divers projets liés aux médias sociaux qui portent sur de grandes idées comme l’empathie et l’esprit critique. Cependant, il y a un projet qui est entièrement composé d’analyses critiques des vidéos de l’EIIS. L’initiative Someone perpétue donc l’idée déjà trop répandue qui relie l’Islam au terrorisme, à des fins de lutte contre la radicalisation. Cela n'est nullement surprenant.
Le Brennan Center of Justice de l’école de droit de l’Université de New York a enquêté sur des programmes européens ou américains similaires, et il est parvenu à des conclusions semblables.
Les programmes de LEV se servent de l’extrémiste musulman comme d’un paradigme analytique qui peut être élargi pour analyser tous les autres groupes, qu’il s’agisse de militants de droite ou de protestataires autochtones.
Dans ces trois exemples, je me suis non seulement décrit comme un participant à l’entreprise systémique de l’islamophobie, mais j’ai aussi critiqué des projets dirigés par différents partis au pouvoir. Je l’ai fait pour vous donner à entendre que la lutte contre l’islamophobie ne peut pas être une question partisane, même s’il est tentant d’en faire un enjeu partisan afin de réaliser des gains électoraux dans les années à venir.
L’étude du Comité nous donne l’occasion de nous exposer aux regards des autres, aussi désagréable que cela puisse être, afin d’être un modèle de leadership responsable et de montrer à tous au Canada à quoi cela peut ressembler.
Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à Mme Zine, qui dispose de sept minutes. Elle est professeure de sociologie et d’études musulmanes facultatives à l’Université Wilfrid Laurier.
Merci. J'ajouterais que je me spécialise dans les études sur l'islamophobie et la lutte contre le racisme.
J'effectue des recherches sur les communautés musulmanes au Canada depuis la fin des années 1990. Plus récemment, j'ai réalisé une étude nationale de six ans sur les répercussions de l'islamophobie sur la génération des attentats du 11 septembre de jeunes musulmans au Canada, au cours de laquelle j'ai mené des entrevues approfondies auprès de 130 jeunes musulmans des quatre coins du pays afin d'examiner les effets de l'islamophobie et de la présente lutte au terrorisme sur leur sentiment d'identité, de citoyenneté et d'appartenance. J'aimerais vous faire part de certains constats que j'ai faits dans le cadre des études que j'ai réalisées au cours des deux dernières décennies.
Je commencerai par la terminologie, car il semble qu'une grande confusion règne sur ce que l'islamophobie est et n'est pas dans le cadre de vos procédures.
Certains se sont dits mal à l'aise quant à l'utilisation du mot « islamophobie » dans la motion M-103, faisant valoir que le fait de l'employer dans une motion non exécutoire pourrait contrevenir aux lois canadiennes et porter atteinte au droit d'expression. Le Canada est toutefois doté de solides lois contre les discours haineux qui précisent ce qui peut être dit ou non dans le cadre d'un désaccord licite.
Même si la loi permet de critiquer la religion, il en va autrement de la diabolisation d'une confession particulière. Ce genre d'incitation à la haine et de calomnie devient associé à ses adhérents et peut susciter la violence islamophobique. Cela s'est déjà produit quand Alexandre Bissonnette est entré dans une mosquée de Québec le 29 janvier dernier au cours de la prière du soir et a abattu six musulmans de sang-froid.
Avec ces faits à l'esprit, je veux vous donner la définition de travail d'« islamophobie » que j'ai élaborée afin d'en saisir les dimensions complexes. La définition que j'emploie englobe « une crainte ou une haine de l'islam et des musulmans » pour reconnaître que ces attitudes se transforment en des formes individuelles, idéologiques et systémiques d'oppression qui étayent des relations de pouvoir précises. Cette large définition souligne le fait que la sociologie de l'islamophobie est dynamique, comporte de multiples facettes et ne repose pas que sur des croyances ou des attitudes négatives.
J'intègre le racisme contre les musulmans dans la catégorie plus vaste de l'islamophobie à titre de manifestation. Même si on fait preuve de violence, de haine et de discrimination envers des organismes musulmans, ces actes dépendent de la diabolisation de l'islam pour maintenir et reproduire leur logique raciale. L'un n'existe pas sans l'autre.
Dans ce cadre conceptuel, les actes individuels d'oppression prennent notamment la forme d'insultes, de vandalisme ou d'attaques. Je me souviens qu'après les attentats du 11 septembre, mon fils Ousama s'est fait traiter de terroriste, et a été intimidé et menacé en raison de son nom, de son identité et sa foi. Les 1,5 milliard de musulmans que compte le monde ont assumé la culpabilité et la responsabilité collectives de ces attentats comme aucune autre communauté n'a jamais dû le faire quand les auteurs sont blancs. Le terrible massacre qui s'est produit à Las Vegas en fin de semaine montre qu'on fait exception pour les blancs, puisque l'auteur est considéré comme un homme au comportement déviant dont les actes n'ont pas de répercussions sur le reste de son groupe social.
Cependant, après les attaques perpétrées récemment à Edmonton, lesquelles ont été attribuées à un réfugié somalien musulman, on a signalé des actes de violence et de harcèlement contre des femmes visiblement de confession musulmane. Lors d'une attaque de violence islamophobique sexospécifique, une femme s'est fait fracasser une bouteille de verre sur la tête dans le transport en commun, alors que d'autres incidents commencent à être signalés. L'attaque tragique d'Edmonton a été suivie d'une série de rassemblements contre l'immigration et l'islam tenus par des groupes de suprémacistes blancs dans diverses régions du pays, ce qui encourage encore plus les réactions islamophobes. Nous devons veiller à juguler ces cycles de violence.
Les crimes haineux contre les musulmans ont augmenté au taux alarmant de 253 % de 2012 à 2015. Ce ne sont pas que les musulmans qui sont victimes de harcèlement et de violence islamophobes; tous ceux qui sont perçus comme étant musulmans le sont aussi. Par exemple, des sikhs considérés à tort comme des musulmans et leurs gurdwaras ont été attaqués. Par exemple, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a récemment été identifié erronément comme un musulman et harcelé publiquement.
Les formes systémiques d'oppression sont régies par des pratiques institutionnelles comme le profilage racial ou le refus d'accorder des emplois et des logements. En 2002, j'ai réalisé une étude sur l'itinérance chez les musulmans de Toronto et j'ai découvert qu'après les attentats du 11 septembre, des propriétaires refusaient de louer des appartements à des gens dont le nom avait une consonance musulmane. La capacité d'avoir accès à un logement sécuritaire et abordable devrait être un droit de la personne qui n'est pas entravé par le racisme et la discrimination.
Les politiques canadiennes favorisent également une oppression systémique et devraient être examinées à la lumière de cette motion. Mon collègue l'a fort bien expliqué; je vais donc passer à autre chose, mais je voulais également souligner que le projet de loi 94, c'est-à-dire la charte des valeurs du Québec interdisant le port du niqab dans la sphère publique, a un effet considérable en suscitant et en favorisant les formes d'islamophobie fondées sur le sexe. Il importerait de s'interroger sur le rôle de l'État dans la promotion du racisme systémique.
Le profilage racial et religieux cible des musulmans canadiens. Les jeunes que j'ai interrogés intériorisent cette surveillance et surveillent soigneusement leurs actions pour être certains de ne pas être confondus avec des terroristes quand ils vont jouer au jeu de guerre avec des balles de peinture dans le Nord ou sont vus en train de jouer à des jeux vidéo violents. Mon cadet a reçu un appel du Service canadien du renseignement de sécurité quand il a été élu président de l'association des étudiants musulmans de son université, comme cela a été le cas d'autres présidents d'association d'étudiants musulmans.
Les jeunes musulmans de la génération des attentats du 11 septembre voient leurs identités politisées et surveillées par la police à un très jeune âge. Sécurité publique Canada doit être informé du fait que l'islamophobie favorise le recrutement dans les groupes islamistes radicaux, et que la lutte contre les initiatives extrémistes violentes a eu un effet contre-productif et destructeur dans d'autres pays.
Bien entendu, il existe des fondements idéologiques à toutes ces pratiques, comme le fait que les musulmans soient dépeints comme des terroristes et des menaces en puissance à la sécurité publique dans les médias, la culture populaire et la politique publique.
En terminant, je veux formuler des recommandations concrètes afin de rendre les priorités de la motion M-103 réalisables.
D'abord, je voudrais recommander que la recherche et la documentation sur l'islamophobie, le racisme systémique et la discrimination religieuse soient désormais considérées comme une priorité au chapitre du financement fourni par l'entremise du Conseil de recherches en sciences humaines, et que les priorités en matière de financement du Conseil des arts du Canada et de Patrimoine canadien incluent les domaines qui contribuent à lutter contre la représentation erronée des groupes raciaux et religieux.
Je recommanderais enfin de considérer comme une pratique exemplaire le modèle de centres jeunesse du Conseil de l'Europe, dans lesquels des pairs offrent du mentorat et de la formation à propos des droits de la personne et de la lutte contre l'islamophobie, le racisme et toutes les formes de discrimination.
Merci. J'espère que dans l'avenir, le débat continuera de faire fond sur les possibilités que la motion M-103 offre afin d'établir une société plus juste et plus inclusive.
Merci beaucoup.
Nous entendrons maintenant Ihsaan Gardee, directeur exécutif, et Eve Torres, coordonnatrice des affaires publiques, du Conseil national des musulmans canadiens.
Monsieur le président, distingués membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous afin de vous faire part du point de vue du Conseil national des musulmans canadiens sur l'étude que vous effectuez à propos du racisme systémique et de la discrimination religieuse, notamment l'islamophobie. Comme nous disposons de peu de temps, nous vous remettrons également un mémoire écrit, qui complétera le témoignage de vive voix que nous ferons aujourd'hui.
J'expliquerai brièvement que le CNMC est une organisation citoyenne non partisane sans but lucratif dont la mission consiste à protéger les droits de la personne et les libertés civiles, à lutter contre la discrimination et l'islamophobie, à favoriser la compréhension mutuelle et à faire connaître les préoccupations publiques des communautés musulmanes du Canada. Selon la motion, votre tâche est la suivante:
établir une approche pangouvernementale pour la réduction ou l’élimination du racisme et de la discrimination religieuse systémiques, dont l’islamophobie, au Canada, tout en assurant l’adoption de politiques fondées sur les faits, qui soient d’application globale et axées sur la communauté.
Il s'agit là d'une tâche importante, qui vous est confiée à point nommé et qui est essentielle au bien-être constant des Canadiens et des nouveaux arrivants. La discrimination systémique et religieuse a au Canada une longue et triste histoire, s'exprimant actuellement de bien des manières, dont le racisme envers les Autochtones et les Noirs, et l'antisémitisme. Le Comité doit porter attention à toutes ces formes de racisme et s'en préoccuper.
Comme nous le savons et l'avons entendu dire, l'islamophobie est explicitement nommée dans la motion, alors que d'autres exemples précis ne le sont pas. Certains considèrent et continuent de considérer que cela pose un problème. À notre avis, à titre d'organisme oeuvrant aux premières lignes de la lutte contre l'islamophobie et recevant un nombre régulier et croissant de plaintes relatives à la discrimination et au harcèlement envers les musulmans, nous jugeons que la référence directe à l'islamophobie est tout à fait appropriée. Cela cadre avec d'autres mesures que le gouvernement a prises, notamment l'adoption à l'unanimité de la motion M-103 en 2015, laquelle condamnait précisément l'antisémitisme.
L'étude du Comité est également importante en raison de l'attaque tragique perpétrée le 29 janvier au centre culturel islamique de Québec, attaque qui a fait six victimes et de nombreux blessés parmi les fidèles, et a laissé derrière elle des familles dévastées. Il s'agit de la pire tuerie de masse commise dans un lieu de culte au cours de l'histoire canadienne, et elle s'est produite dans le contexte amplement prouvé d'expressions de plus en plus nombreuses de haine et de discrimination envers les musulmans. Mes collègues vous ont d'ailleurs fait part des statistiques à cet égard.
Le fait d'accorder une attention particulière à l'islamophobie n'en rend pas moins importantes toutes les formes de discrimination systémique, mais constitue plutôt une admission des réalités actuelles sur le terrain et un signe important indiquant que le gouvernement reconnaît l'urgence de la situation.
On a également entendu de nombreux propos alarmistes sans fondement sur l'utilisation du terme « islamophobie » dans la motion et les travaux du Comité. Depuis des décennies, les institutions de défense des droits de la personne du monde occidental et du Canada définissent l'islamophobie de manière claire comme étant la haine, l'hostilité, les préjugés et la discrimination envers les musulmans. La Commission ontarienne des droits de la personne en fait la définition suivante, à laquelle la CNMC adhère:
L’islamophobie inclut le racisme, les stéréotypes, les préjugés, la peur et les actes d’hostilité dirigés contre des personnes musulmanes précises ou les adhérents à l’islam en général. En plus de motiver des actes individuels d’intolérance et de profilage racial…, l’islamophobie peut amener les gens à penser que les musulmans constituent de plus grandes menaces à la sécurité sur le plan institutionnel, systémique et sociétal.
Bien entendu, tous les termes ont des limites, et celui d'« islamophobie » ne fait pas exception. De divers points de vue, ses limites pourraient être déterminées, mais il serait inacceptable de s'attendre à ce que ce terme soit plus clair que d'autres termes équivalents, comme celui d'antisémitisme. Son sens est clair et son usage s'est largement répandu au sein des communautés musulmanes et de la société en général du Canada.
L'expression de la haine au Canada n'est limitée que par les dispositions du Code criminel, lesquelles établissent un seuil très élevé aux fins de condamnation, et par les lois relatives aux droits de la personne, lesquelles interdisent la discrimination et le harcèlement dans des domaines circonscrits de la vie, comme l'emploi, le logement et les services. En dehors de ces contextes assez limités, l'expression de la haine est parfaitement légale au Canada.
L'expression de la haine et le racisme ne sont toutefois pas inoffensifs. De nombreuses études ont montré qu'ils nuisent à la santé mentale et au bien-être des groupes touchés, et contribuent au sentiment d'aliénation des membres de ces groupes. L'expression de la haine et le racisme jouent un rôle important dans la discrimination et le harcèlement. Il importe également d'admettre le problème d'intersectionnalité, qui fait qu'une personne portant un certain nombre de marqueurs peut faire l'objet de différentes formes de discrimination. Par exemple, une musulmane noire est victime de discrimination fondée sur le sexe, la race et la religion. Même si l'expression de la haine à l'extérieur des limites établies par la loi est légale et est une conséquence nécessaire de la liberté d'expression, il faut comprendre qu'elle a un effet toxique sur la cohésion de la société canadienne et constitue un fardeau écrasant pour les groupes minoritaires ciblés.
[Français]
Je travaille auprès des communautés musulmanes du Québec depuis plus de 15 ans. J'ai pu constater les progrès des Québécois musulmans, mais j'ai aussi vu les nombreuses barrières d'acceptation sociale qu'ils doivent surmonter.
Malheureusement, pendant des années, on a parlé des musulmans qui ont été rabaissés et stigmatisés par des discours politiques ou des commentaires publics et médiatiques. Pourtant, les musulmans du Québec n'ont pas vu leurs points de vue, leurs défis et leurs préoccupations être pris très au sérieux.
Pendant ce temps, la montée des groupes d'extrême droite au Québec est devenue très problématique. Le CNMC soutient qu'il existe un lien direct entre l'expression haineuse et la violence contre les groupes minoritaires. Plusieurs politiciens québécois ont toutefois reconnu que l'atmosphère créée par le discours islamophobe avait contribué à l'émergence de la violence contre les musulmans québécois, qui a abouti à l'acte terroriste contre le Centre culturel islamique de Québec, mais aucune mesure concrète n'a vraiment été prise.
Le traumatisme causé par cet attentat imprègne encore les communautés musulmanes québécoises. J'ai rencontré les familles des victimes ainsi que la communauté élargie, et je peux dire que les communautés sont extrêmement inquiètes pour leur avenir, surtout pour celui de leurs enfants. Ce type de défi commence seulement à être entendu par le gouvernement provincial et quelques partis de l'opposition.
Je serai heureuse d'en parler un peu plus pendant la période des questions.
[Traduction]
Pour ce qui est des recommandations concrètes, le CNMC considère que les mesures et les démarches stratégiques suivantes devraient être prises.
D'abord, le Parlement devrait déclarer que le 29 janvier est un jour de souvenir et d'action quant à l'islamophobie au Canada.
De plus, tout comme le budget a été soumis, avec raison, à une analyse de l'égalité entre les sexes, il faudrait élargir cette approche afin d'effectuer une analyse axée sur la diversité, l'équité et l'inclusion. Quand des décisions concernant les dépenses s'appuient sur des politiques et des motifs sous-jacents, elles peuvent avoir une incidence bien plus considérable que si l'on tente de s'attaquer à un phénomène social après les faits.
En outre, le gouvernement fédéral devrait créer au sein du ministère du Patrimoine canadien une direction de lutte contre le racisme qui travaillerait avec ses équivalents provinciaux, comme la Direction générale de l'action contre le racisme de l'Ontario. Cette direction devrait prendre les devants en élaborant un plan d'action national contre le racisme et être dotée d'un financement adéquat pour appuyer la communication, l'éducation et des mécanismes de reddition de comptes sur l'expression de la haine, la discrimination et le racisme.
Sachez en outre que même si le Code criminel comprend des restrictions sur l'expression de la haine, la société en général et même les corps de police les comprennent mal. Il est essentiel que ces restrictions soient mieux expliquées au grand public et que les efforts déployés à l'appui de leur application soient renforcés. Il faudrait également prodiguer une meilleure formation sur ces dispositions et leur application aux services de police du Canada.
Enfin, les organismes d'application de la loi devraient suivre régulièrement et tenir à jour une formation sur les activités de maintien de l'ordre sans préjugé et les approches axées sur les victimes quand vient le temps de lutter contre les crimes haineux. Cette formation devrait être offerte par des personnes et des unités adéquatement formées ou par des experts de l'extérieur reconnus.
Monsieur le président, nous ne pouvons pas faire des interventions de cinq minutes, puisque nous devons voter à 16 h 53 et qu'il est 16 h 31.
Je ne pense pas que nous puissions faire 15 minutes, car il n'est pas réaliste de penser que nous pouvons nous rendre à la Chambre en 9 minutes.
Si nous continuons de parler, nous ne poserons aucune question.
Nous avions une entente, et je vais procéder comme prévu.
Madame Kwan, vous avez la parole pour cinq minutes.
Je pense que lorsque la sonnerie d'appel retentit, vous avez besoin du consentement unanime pour continuer.
Nous avions une entente quand nous pensions que la sonnerie d'appel retentirait 10 minutes plus tard qu'elle ne l'a fait.
Merci, monsieur le président.
Je crains que nous ne manquions le vote à la Chambre. Par conséquent, si nous pouvions effectuer des interventions de trois minutes, cela me conviendrait, monsieur le président.
Merci.
Je remercie tous les témoins de leurs exposés empreints de réflexion.
Pour ce qui est des mesures à prendre dans l'avenir, ce qui est au coeur de ce que nous tentons d'accomplir ici, vous avez tous présenté des recommandations à cet égard.
À propos de ces recommandations, certaines communautés m'ont indiqué qu'il faudrait adopter une stratégie nationale pour éduquer la population quant aux questions de diversité relatives à la race et aux croyances religieuses, le tout reposant sur une approche interconfessionnelle.
Je me demande si chacun d'entre vous peut me donner une brève recommandation en moins d'une minute.
Je peux en faire deux. Je pense que l'éducation multiculturelle à l'école primaire est une bonne nouvelle au chapitre du multiculturalisme. Quand je reçois des étudiants en droit dans mon cours d'études critiques de la race, ils ne savent pas comment parler de la race, des politiques raciales ou de la sociologie de la race.
Je suis désolée, mais je vais vous interrompre un instant. Cela signifie-t-il que le gouvernement fédéral doit financer les conseils scolaires pour que les enseignants eux-mêmes suivent des journées de perfectionnement professionnel pour apprendre les différences culturelles afin de pouvoir les expliquer à leurs élèves?
Cela exigerait assurément une coordination fédérale-provinciale.
Je dirais également que les universités publiques offrent une excellente tribune de réflexion au sujet de la diversité dans une perspective plus systémique. Elles constituent souvent le meilleur endroit pour se pencher sur la complexité de notre culture démocratique à la lumière de la diversité qu'elle renferme. Il est toutefois rare qu'elles se livrent à ce genre d'exercice sans un incitatif externe comme, par exemple, une recommandation d'un comité parlementaire.
Je vais simplement vous rappeler la troisième recommandation que j'ai formulée. Il faudrait que le gouvernement fédéral mette sur pied au sein de Patrimoine canadien une direction de la lutte contre le racisme qui pourrait travailler de concert avec ses équivalents provinciaux, dont la direction ontarienne qui a entrepris une étude à ce sujet.
Oui, merci. Désolée de vous interrompre. C'est bien beau de vouloir créer une direction, mais le problème c'est que l'on n'a pas le financement nécessaire, au niveau d'un conseil scolaire par exemple, pour offrir ces séances d'information. On ne peut pas simplement dire à la province de financer ces programmes. Si l'on veut une approche pancanadienne, ne faudrait-il pas que le gouvernement fédéral finance cette stratégie au bénéfice de toutes les provinces et de tous les conseils scolaires au pays?
Cet exercice devrait s'inscrire dans le plan d'action national contre le racisme dont j'ai recommandé la mise en oeuvre, ce qui exigerait, comme M. Emon l'a souligné, une coordination entre les provinces et le gouvernement fédéral.
Monsieur le président, je crois que nous nous sommes déjà entendus au sujet de la façon de procéder. Je dirais que c'est irrecevable parce que...
Merci beaucoup, monsieur le président.
Pour que les choses soient bien claires, toute forme de haine, de discrimination, de persécution ou de violence à l'encontre des musulmans est tout à fait condamnable. De tels agissements devraient être punis avec toute la rigueur de la loi. Je précise en outre que c'est à nous que le terme « islamophobie » pose problème, bien que ce ne soit pas [Inaudible].
Monsieur Gardee, vous avez indiqué que le sens de ce terme est très clair pour les gens de la communauté musulmane, mais nous avons entendu les témoignages de membres de cette communauté qui ont justement de très sérieuses préoccupations quant à sa signification possible. Et voilà que Mme Zine nous propose aujourd'hui même une nouvelle définition de l'islamophobie, la septième à nous avoir été présentée jusqu'à maintenant.
Je suis un peu inquiet, car lorsqu'il est question de haine, de persécution et de discrimination, il faut que tout soit bien clair. Mme Zine a aussi mentionné que la diabolisation de l'islam devrait être considérée comme un comportement criminel. Je me demande à partir de quel moment une critique de l'islam devient de la diabolisation. Par ailleurs, êtes-vous d'accord avec la définition de l'islamophobie utilisée par le conseil scolaire du district de Toronto?
J'aimerais répondre, car vous m'avez mal citée. Je n'ai jamais dit que la diabolisation de l'islam devait être considérée comme un comportement criminel.
J'ai simplement dit qu'il y a des lois sur les crimes haineux qui fixent les balises à l'intérieur desquelles une personne peut exprimer son désaccord en toute légitimité. J'ai indiqué que les musulmans sont en quelque sorte marqués au fer rouge par cette diabolisation et peuvent ensuite être victimes de violence islamophobe en raison de ces idées qui circulent. Je ne dis pas que ceux qui les propagent devraient être considérés comme des criminels.
Vous parlez des différentes définitions qui existent. Si vous demandiez à toutes les personnes ici présentes de vous donner leur définition du racisme, vous obtiendriez autant de versions qu'il y a de gens dans la salle. En effet, ce n'est pas tout le monde qui s'en tient à une définition théorique, mais cela n'empêche pas les gens de comprendre de quoi il s'agit et de reconnaître l'islamophobie lorsqu'ils en sont témoins.
Je crois que certains collègues ont voulu savoir pour quelle raison on exigeait de la définition de l'islamophobie un degré de précision supérieur à ce que l'on recherche pour d'autres définitions. Même la définition de la culture a évolué au fil des siècles, et il en existe peut-être 40 ou 50 versions différentes. Pourquoi en exigeons-nous davantage pour l'islamophobie?
J'ai essayé de proposer une définition de travail qui pourrait contribuer à nos efforts pour faire disparaître l'islamophobie. J'ai d'ailleurs collaboré avec l'UNESCO et le Conseil de l'Europe à des projets de sensibilisation qui se servaient d'une définition semblable pour trouver des moyens de contrer l'islamophobie. C'est une définition opérationnelle qui existe déjà et qui a été utilisée dans d'autres contextes nationaux.
Monsieur le président, il faut le consentement unanime pour continuer et vous ne l'avez pas obtenu. Je suis désolée, mais je vais devoir...
Eh bien, je dépose une motion d'ajournement, laquelle ne peut pas faire l'objet d'un débat, alors...
Mais une motion d'ajournement a été présentée et il ne peut pas y avoir de débat à ce sujet. Malgré tout le respect que je vous dois, monsieur le président, je vais donc contester votre décision.
La présidence est là pour s'assurer que tout se passe de façon juste et démocratique, conformément aux règles...
D'accord, mais j'ai contesté votre décision, et cela ne peut pas faire l'objet d'un débat; nous devons mettre cette motion aux voix.
Nous avons établi la marche à suivre au début de la séance par consentement unanime, et vous voudriez maintenant...
Il reste 20 secondes à Mme Zine pour répondre et j'aimerais qu'elle puisse terminer.
Mme Pam Damoff: Pourquoi ne voulez-vous pas poser la question au greffier?
Le vice-président (L'hon. Peter Van Loan): Madame Zine, vous avez 20 secondes pour terminer votre réponse, après quoi nous passerons du côté des libéraux.
Eh bien, je pense que tout cela illustre bien les divergences qui peuvent exister quant à toutes sortes d'objectifs, de définitions ou de manières de faire les choses. Ce n'est pas parce que certains membres de la communauté peuvent comprendre le phénomène différemment que les définitions généralement utilisées à l'échelle internationale et sur diverses tribunes ne sont pas tout à fait valables. Ces définitions ont leurs mérites propres.
Merci.
Je vous prie de m'excuser, mais je ne vais pas utiliser mes trois minutes au complet, car nous sommes appelés pour aller voter. C'est la raison pour laquelle nous devons précipiter les choses.
Je m'adresse à tous nos témoins. Pourriez-vous nous faire part par écrit de vos commentaires au sujet des forces et des faiblesses du plan stratégique ontarien de lutte contre le racisme?
Par ailleurs, le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale a rendu public le 13 septembre dernier un rapport renfermant des recommandations à l'intention du Canada. Si vous avez des commentaires à ce sujet également, je vous serais reconnaissante de nous les communiquer par écrit. Je vous remercie.
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