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Merci, monsieur le président. Bonjour à toutes et à tous. J'espère que vous m'entendez bien.
Un de mes collègues et moi-même avons entrepris une recherche dont la préoccupation principale est la consommation par les Canadiens de produits culturels canadiens, plus spécifiquement du côté du journalisme. C'est dans ce cadre que je vais tenter de situer la question de l'information locale et régionale.
Aux niveaux local et régional, il nous semble que les défis sont à peu près les mêmes qu'au niveau des grandes régions et qu'au niveau national. Cela pose un certain nombre de défis, que vous connaissez bien et sur lesquels je ne m'appesantirai pas.
Le premier, bien sûr, est la multitude de produits culturels offerts au public canadien. Elle provoque un fractionnement des publics, une dispersion de l'attention et un bouleversement qui forcent pratiquement tous les acteurs à se repositionner.
Dans ce contexte, d'autres phénomènes transforment les habitudes de consommation, par exemple l'invitation à consommer à la pièce des produits télévisuels ou audiovisuels. On parle de « budget temps », soit du temps consacré à ce type d'activités alors qu'il y a une sollicitation considérable pour des activités qui ne sont pas liées directement à des produits culturels, par exemple des activités de plein-air ou de tourisme. On parle aussi de budget financier et de consommation de produits culturels. Les données nous montrent qu'il y a eu un transfert vers les infrastructures de distribution, autrement dit, des sommes que les gens sont susceptibles d'investir là-dedans.
Par ailleurs, il y a le financement de ces activités. C'est un deuxième grand défi qui se pose, surtout dans une période de transformation où les acteurs doivent investir de façon substantielle dans des innovations, qu'il s'agisse de médias existants, de transferts ou de réorganisations. Comme on le dit, il faut des poches profondes pour survivre pendant des périodes où la rentabilité n'est pas toujours au rendez-vous. Tout le monde a entendu parler de l'expérience que le groupe Gesca a entreprise avec La Presse +, sans trop savoir s'il ferait ses frais. L'aspect touchant le financement est très important.
Du côté de l'information journalistique, il y a eu un changement de contexte sur le plan de la distribution. Auparavant, cette information était diffusée au moyen de supports comportant d'autres contenus, virtuels ou symboliques. Ceux-ci pouvaient avoir une dimension ludique et de divertissement. Il y avait aussi, bien sûr, de la publicité. On parle ici d'un lieu d'expression publique, non seulement pour les organisations et les institutions, mais aussi, dans une certaine mesure, pour les individus. Or tout le monde sait que ces quatre contenus d'expression publique, si on peut dire, se séparent tranquillement et que cela cause toutes sortes de problèmes du côté de l'information journalistique.
En matière de consommation, l'écart entre la ville et la campagne était aussi un grand défi. Il y a des mouvements de population depuis très longtemps et ceux-ci privilégient l'urbanisation. Or il s'avère que l'arrivée d'Internet et des infrastructures électroniques a eu comme effet d'amoindrir cette distinction entre la campagne et la ville. Elle est maintenant moins draconienne.
Pour ce qui est du paysage médiatique, il y a dans la région de Québec, par exemple, quatre acteurs principaux dans le domaine de l'information locale et régionale. L'entreprise Transcontinental, qui est propriétaire d'hebdomadaires, est devenue extrêmement importante. Elle fait elle-même le transfert sur support numérique. Bien sûr, ce transfert s'accompagne de quelques tâtonnements, mais il est clair qu'elle veut passer au multimédia dans les sous-régions où ses hebdomadaires sont distribués.
Dans la région de Québec, il y a aussi Québecor qui, par l'entremise de MATV, tente quelque chose qui se situe entre la télévision de divertissement et la télévision participative. Nous n'avons pas d'évaluation à ce sujet, mais il semble qu'il y ait des périodes de transformation à tous les six mois. Beaucoup d'expérimentation se fait dans ce domaine, qui relève de la télévision.
Il y a aussi dans la région de Québec des médias communautaires déjà existants dont certains jouent un rôle, non pas sur le plan de la formation journalistique comme telle, mais sur celui de la production culturelle régionale. Je pense aux premières chaînes de radio communautaire, par exemple CKRL, pour n'en nommer qu'une seule.
Bien sûr, il y a Radio-Canada, qui nous paraît aussi traverser une période de repli accéléré. En effet, sa capacité de produire de l'information régionale et locale dans la région a beaucoup diminué. J'ajoute évidemment Le Journal de Québec et Le Soleil, qui procèdent à des repositionnements périodiquement et qui traversent eux aussi, dans une certaine mesure, une période de repli.
Un autre changement extrêmement important touche davantage l'information locale et régionale que l'information en général, mais dans le cas de cette dernière, l'arrivée d'un genre de concurrence provenant de distributeurs étrangers a des effets très significatifs. C'est pour traiter de cette question que notre étude a été réalisée. Il s'agissait de déterminer comment, en termes de consommation quotidienne par les Canadiens, se faisait le transfert entre des produits offerts à partir de l'étranger et des produits offerts localement.
Sur le plan local, on peut dire que le jeu a changé. L'ensemble des médias constituait véritablement un ensemble. Il y avait une dynamique, une interaction entre les médias pour ce qui est de l'information locale et régionale. La situation pouvait se comparer à celle d'un orchestre de chambre, qui comprend un nombre limité d'instruments. Or maintenant, il s'agit d'un grand orchestre, mais qui n'a pas de chef. Il y a des instruments, c'est-à-dire les médias, et certains prennent le leadership de temps à autre.
Toute une dynamique, liée au fractionnement de l'écoute, fait en sorte que les médias se repositionnent les uns par rapport aux autres. Dans ce contexte, des médias traditionnels comme Radio-Canada ou Le Soleil s'alimentent beaucoup à partir des médias sociaux et ces derniers le font largement à partir de sites Internet ou de blogues d'individus, d'entreprises ou d'organisations.
À l'heure actuelle, la circulation de l'information implique beaucoup de monde. Nous sommes dans une période de transition où nous ne savons plus très bien qui sont les principaux producteurs d'information quotidienne sur le plan régional. C'est un très grand défi.
Il y a aussi une question sur laquelle nous ne nous penchons pas vraiment, à savoir l'information de qualité par rapport à ce qui pourrait être considéré comme de l'information plus banale ou plus ludique. Cette question se pose dans le contexte de cette dynamique d'interactions, ce jeu de l'orchestre des médias régionaux. Nous sommes véritablement face à un défi.
Dans ces conditions — et je termine là-dessus —, on peut penser au rôle crucial qu'a joué Radio-Canada pendant l'entre-deux-guerres. Radio-Canada a été effectivement un facteur très important de cohésion pour les Canadiens, qu'il s'agisse des infrastructures ou des contenus. Il y avait des échanges entre les régions et ainsi de suite. Ce rôle pourrait être renouvelé et Radio-Canada pourrait de nouveau agir comme un genre d'épine dorsale dans ce nouveau contexte. Il pourrait être l'un des principaux producteurs, mais il lui faudrait probablement réorganiser son fonctionnement interne, de même que ses investissements.
Je vous remercie.
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Au Canada, le CRTC constitue la principale source de données sur la radiodiffusion. Lorsqu'on passe en revue ses décisions, on constate que, depuis 2000, le conseil a approuvé bien au-delà de 50 changements à la propriété de radiodiffusion, lesquels se chiffrent à plus de 13 milliards de dollars.
Le tableau 1 montre l'une des conséquences de ces changements. En 2014, les cinq principaux propriétaires ont gagné 82 % du total des revenus des stations de radio et de télévision.
Le tableau 2 indique que parmi les 57 communautés ayant des stations de télévision privées, 54 sont desservies par au moins un des cinq principaux télédiffuseurs. Les stations de télévision locales indépendantes ne desservent que 17 communautés.
Quel est l'effet de la concentration de la propriété sur la diffusion des nouvelles locales?
Les tableaux 3, 4 et 5 montrent que les dépenses consacrées à la programmation locale et aux bulletins de nouvelles locales télévisées ont diminué et qu'il y a eu des compressions de personnel à mesure que s'est effectuée la concentration de la propriété de la télévision.
En ce qui a trait à la programmation, le tableau 6 énumère ce que le CRTC entend par nouvelles télévisées. Les nouvelles à la radio ne sont pas définies. Le tableau 7 présente les données sur la programmation que les stations de radio font parvenir tous les mois au CRTC, mais le nombre de bulletins de nouvelles locales diffusés à la radio est inconnu à défaut d'être déclaré.
Le tableau 8 résume une étude sur les nouvelles radiophoniques locales que le forum a effectuée en se servant des décisions du CRTC. Dans les années 1980, les stations de radio diffusaient en moyenne 10,2 heures de nouvelles par semaine. Dans les années 2000, les stations d'information proposaient 4,2 heures par semaine, ce qui correspond à une réduction de 58 %.
Le tableau 9 présente les données sur la programmation que les stations de télévision ont envoyées tous les mois au CRTC. Le tableau 10 révèle que certaines stations de télévision ont considéré comme des nouvelles locales originales des programmes produits à l'extérieur de leur communauté ou par des stations de radio.
À notre avis, les données du CTRC sur la quantité de nouvelles locales originales produites par des stations de télévision ne sont pas fiables.
Le tableau 11 présente les données fournies par les stations de télévision relativement aux nouvelles locales originales qu'elles ont diffusées chaque semaine en 2000 ainsi que les exigences courantes du CRTC. Le CRTC exige la diffusion d'une programmation locale par les stations de télévision privées, mais il ne précise pas le nombre d'heures de nouvelles locales ou de nouvelles locales originales. Cette exigence a été abandonnée en 1999.
Le 25 janvier, le mois dernier, le CRTC a parlé de redéfinir le concept de nouvelles locales. Cette redéfinition soulève des problèmes, car, comme l'indique le tableau 12, les émissions-débats, les documentaires historiques et les téléthons seraient alors considérés comme des nouvelles locales, ce qui dilue le concept.
Le tableau 13 donne la liste des données que le CRTC recueille auprès des radiodiffuseurs au sujet de leurs activités annuelles. Comme le conseil ne leur demande pas combien de journalistes ils emploient, leur capacité de recueillir des nouvelles est inconnue. En général, peu de renseignements sont obtenus sur la présence journalistique des radiodiffuseurs sur Internet ou sur leurs nouvelles ressources en ligne.
En bref, monsieur le président, il existe très peu de données sur l'accès général des Canadiens à des bulletins de nouvelles locales concernant leur communauté ou sur la capacité des stations à produire ces nouvelles.
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Que doit-on faire à propos des bulletins de nouvelles locales?
Ce qui est actuellement proposé est la création d'un autre fonds pour les nouvelles locales télévisées. Le CRTC a approuvé en 2003 le premier fonds, le Fonds de production local pour les petits marchés. Depuis 2013, les cinq principaux radiodiffuseurs ont reçu 16,8 % du financement. Le CRTC a également approuvé le FAPL en 2009, et les cinq principaux télédiffuseurs ont reçu 80 % du financement provenant de cet autre fonds.
Le mois dernier, le CRTC a été chargé d'établir un nouveau fonds pour les nouvelles locales. Ce fonds transférerait à des stations de télévision privées des millions de dollars provenant d'abonnés de services par câble et par satellite qui soutiennent actuellement des chaînes communautaires. On ne sait pas quelles répercussions le fonds aurait sur les nouvelles locales télévisées. À titre d'exemple, la société BCE a dit qu'elle ne diffuserait pas plus de nouvelles locales même si ce fonds est mis sur pied.
Il est évident qu'il n'y a pas de solution miracle au problème de la diffusion de nouvelles locales. Il faut se rendre à l'évidence: les lacunes considérables dans les données sur la programmation locale font en sorte qu'il est impossible de savoir si les objectifs du Parlement en matière de radiodiffusion locale sont atteints et si la concentration de la propriété a nui à la diffusion de nouvelles locales ou l'a favorisée. La destruction systématique des vieux dossiers du CRTC accentue ces lacunes. Le forum craint que des politiques fondées sur des hypothèses plutôt que sur des faits créent de nouveaux risques. Les politiques peuvent donner l'impression de favoriser certaines personnes aux dépens des autres. Elles pourraient échouer si elles mettent l'accent sur les mauvais problèmes.
Nous avons trois recommandations à vous présenter ce matin.
Premièrement, le Parlement a besoin de faits, pas d'hypothèses. Le CRTC devrait consulter le public au cours de la prochaine année dans le but de revoir ses systèmes de collecte et de déclaration de données. Comme l'a déjà dit le dirigeant de CTV au CRTC: « Vous ne pouvez pas gérer ce que vous ne mesurez pas. »
Deuxièmement, si le Parlement veut que des bulletins de nouvelles soient diffusés aux Canadiens, des niveaux applicables et appliqués de diffusion de nouvelles locales originales doivent être établis. Le CRTC a renoncé à ce genre de conditions au début des années 1990 en affirmant que la concurrence fonctionnerait aussi bien que la réglementation pour assurer aux Canadiens la diffusion d'un contenu local. Bien entendu, dans le domaine de la télévision privée, le nombre de concurrents est passé de 30 à 17.
Presque toutes les émissions de télévision locales autres que les bulletins de nouvelles ont été annulées, et environ 30 % des emplois dans les stations de télévision ont été supprimés. La pratique qui consiste à produire dans un centre éloigné les bulletins de nouvelles locales pour ensuite les réintégrer est omniprésente. Certaines stations de télévision diffusent des émissions de radio et prétendent qu'il s'agit de nouvelles, et des stations de radio diffusent la bande audio d'émissions de télévision. Selon un sondage, 81 % des Canadiens croient que les nouvelles télévisées locales sont importantes, mais les télédiffuseurs disent qu'ils ne peuvent pas se permettre d'en présenter à défaut de pouvoir les monnayer.
Le 1er février, le forum a donc demandé au CRTC de rétablir les conditions de licence pour ce qui est de la radiodiffusion de nouvelles locales originales. C'est une approche réglementaire qui s'était révélée très efficace des années 1970 aux années 1990. Le président du groupe de travail a rejeté ce concept en disant qu'il était purement nostalgique. Ce rejet était plutôt étrange, car, le 12 janvier, le CRTC n'a pas donné suite aux demandes d'organisations ethniques qui souhaitaient la tenue d'audiences publiques sur l'annulation en mai par Rogers de tous les bulletins de nouvelles diffusés dans les langues minoritaires à l'intention de communautés de Vancouver, de Calgary, d'Edmonton et de Toronto, ce qui s'explique justement par le fait que le CRTC n'a pas établi de conditions de licence pour les bulletins de nouvelles locales.
Si le Parlement veut que des nouvelles locales soient diffusées, le CRTC devrait être tenu d'établir des conditions de licence, notamment pour ce qui est des heures de diffusion et des dépenses liées à des bulletins de nouvelles locales produits dans les communautés que les stations de radio et de télévision sont autorisées à desservir, des bulletins qui portent principalement sur ces communautés. Le CRTC peut agir en ce sens lors du renouvellement des licences de radio et de télévision au cours de la prochaine ou des deux prochaines années.
Troisièmement, le Parlement doit savoir si ses objectifs liés à ses systèmes de communications sont atteints. Les dispositions en vigueur de la Loi sur le CRTC ont été écrites il y a des dizaines d'années. Elles n'expliquent pas si ni comment le CRTC devrait gérer l'aspect Internet ou ses ramifications et elles ne l'obligent pas à servir l'intérêt public.
Donner suite à la première recommandation, celle visant à obtenir de meilleures données, placera le Comité dans une position favorable au cours des prochaines années en vue de déterminer, le cas échéant, si la législation canadienne sur les communications doit être adaptée à la réalité du XXIe siècle.
Monsieur le président, de toute évidence, les stations de radio et de télévision locales aident vos collègues et vous à rester en contact avec vos communautés et vos concitoyens. Elles vous aident à savoir ce qui se passe dans vos circonscriptions.
Certains affirment que nous ne devrions pas nous en faire avec les changements qui s'opèrent dans les médias et qu'Internet offre toutes sortes de sources d'information, mais la majorité de cette information provient d'agrégateurs qui puisent dans du contenu tiré de publications professionnelles ou produit par des journalistes de radiotélévision.
Votre Comité et le CRTC devraient avoir pour objectif de s'assurer que, pendant cette période de perpétuelle ébullition, les Canadiens ne perdent pas un élément essentiel à leur vie, à savoir les nouvelles locales, qui, comme l'a si éloquemment mentionné Walter Robinson de l'équipe Spotlight du Boston Globe, permettent aux gens de prendre des décisions réfléchies dans une société démocratique.
Nous serons heureux de répondre à vos questions lorsque les autres témoins auront terminé leurs exposés.
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Monsieur le président, chers membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. C'est avec plaisir que je suis venu vous parler de la situation des médias au Canada, en mettant l'accent sur leur concentration.
Je veux vous faire part de quatre faits.
Le premier est que les médias ont généralement connu une énorme croissance économique et sont devenus structurellement plus diversifiés compte tenu de l'émergence de tout nouveau secteur au cours des 20 à 30 dernières années. C'est très prometteur, mais cela pose également des risques considérables.
Deuxièmement, la concentration des médias demeure étonnamment forte partout dans le monde, et le Canada ne fait pas exception.
Troisièmement, les nouveaux médias ne remplacent pas les médias traditionnels, mais ils sont importants et interagissent avec eux d'une manière très complexe dont nous allons parler.
Quatrièmement, je terminerai avec une demi-douzaine de recommandations au sujet de ce qui pourrait être fait.
Tout d'abord, je mentionne que je fais de la recherche au Canadian Media Concentration Research Project, dont je suis le directeur, et je vous invite tous à examiner les rapports que nous publions chaque année pour obtenir une explication complète de certaines choses dont je parlerai aujourd'hui. Deux questions m'intéressent particulièrement: cartographier la croissance et le développement économiques des médias au Canada sur une période de 30 ans; et cartographier l'évolution de la concentration des médias pendant la même période pour tout simplement déterminer si cette concentration s'accentue ou non.
J'effectue ce travail parce que, comme Monica et M. MacKay, je sais que le pays est aux prises avec un grave manque de données. Beaucoup de personnes ont toutes sortes de points de vue, mais nous avons peu de données pour y donner suite. Je crois qu'il est important de faire de bons travaux de recherche et d'avoir de bonnes données probantes à notre disposition.
Je pense également qu'il est important de parler de la manière dont je définis les médias, car je ne les définis pas de façon limitée, distinctive ou isolée. Ma définition est extensive pour englober toutes les parties constituantes. J'examine ces parties constituantes séparément et je les regroupe ensuite à l'aide de ce que j'appelle l'approche de l'échafaudage afin d'obtenir une vue d'ensemble.
Quand je parle des médias, j'englobe les téléphones cellulaires, les téléphones traditionnels, l'accès à Internet, la câblodistribution, la télédiffusion, la télévision payante, les journaux, la radio, les magazines, les moteurs de recherche, les sites de médias sociaux, les sources de nouvelles en ligne, les navigateurs et les systèmes d'exploitation. Nous devons examiner l'univers médiatique dans son ensemble, car toutes ces parties constituantes interagissent de plus en plus, et nous ne pouvons pas les étudier séparément de manière adéquate.
Que savons-nous? Nous savons certaines choses. Nous savons que les médias ont pris beaucoup d'expansion au cours des 30 dernières années, en passant d'une valeur de 19 milliards de dollars en 1984 à une valeur de plus de 75 milliards en 2014, la dernière année pour laquelle un ensemble complet de données est disponible.
Certains médias connaissent une croissance rapide; d'autres stagnent ou sont en déclin; et certains sont réadaptés et sur la voie de la reprise. L'industrie de la musique est l'exemple parfait du dernier type de médias.
Nous avons assisté à l'émergence de tout nouveau média, notamment les téléphones cellulaires, l'accès à Internet, les nouvelles en ligne et les moteurs de recherche. Il convient également de souligner l'expansion rapide du monde de la télévision payante.
Les revenus des industries de la téléphonie sans fil, de l'accès à Internet, de la télévision par protocole Internet, de la publicité sur Internet, de la télévision payante et spécialisée ainsi que de la télévision dans son ensemble augmentent considérablement.
Certains domaines ont stagné, dont la radio et la câblodistribution au cours des dernières années. D'autres domaines connaissent un déclin considérable, comme les journaux, les magazines et la télédiffusion. Comme je l'ai dit, l'industrie de la musique est sur la voie de la reprise.
Depuis 2008, la croissance de l'économie des réseaux médiatiques a été lente et léthargique, ce qui correspond à la situation économique générale de notre époque.
Je crois qu'une des choses que nous pouvons déduire de la description générale que je viens tout juste de vous faire, c'est que dans le nouvel environnement médiatique, ce n'est pas le contenu qui est roi, mais la connectivité. C'est important aux fins des discussions sur les politiques.
Nous vivons dans une ère d'abondance de l'information, pas de pénurie. Le Canada compte 695 chaînes de télévision, 1 100 stations de radio et 92 quotidiens payants. Les blogues d'experts abondent. La plupart des Canadiens possèdent un téléphone intelligent. Chaque minute, 100 heures de vidéo sont téléchargées sur YouTube. En 2014, le Canada comptait environ trois millions d'abonnés de Netflix, et, selon certaines estimations, ce chiffre est d'environ quatre millions aujourd'hui. Environ 18 millions de personnes sont abonnées à Facebook ou s'en servent.
Que font les gens avec les médias à leur disposition?
Eh bien, les Canadiens utilisent largement et depuis longtemps une grande variété de médias selon les normes internationales. Il en est ainsi depuis l'apparition du bon vieux service téléphonique au début du XXe siècle, et cela se poursuit aujourd'hui avec les téléphones intelligents et Internet.
Comme je l'ai déjà dit, c'est la connectivité, et non le contenu, qui a connu la plus forte croissance dans l'environnement médiatique. Les gens utilisent toujours les médias traditionnels. Ils regardent encore la télévision et des films, lisent encore beaucoup les journaux et écoutent toujours de la musique. Toutefois, ils utilisent leur téléphone intelligent, leur ordinateur portatif, leur ordinateur de bureau et leur téléviseur à écran géant dans leur chambre. Ils vont aussi au cinéma, par exemple. Nous avons les mêmes médias, mais ils ont été détachés des supports traditionnels et se trouvent dans un ensemble grandissant d'appareils de diffusion.
En examinant ce que font les gens, nous constatons que ce n'est pas que les jeunes ne suivent plus les nouvelles, c'est qu'ils le font de façon différente, et le type de nouvelles qu'ils suivent ne correspond peut-être pas à ce que des gens plus âgés comme nous souhaiteraient. Il s'agit plutôt d'informations sur le mode de vie et de nouvelles personnelles. C'est sur ce plan qu'on s'interroge. Les jeunes s'informent également en utilisant Facebook, Twitter, Reddit et Google. Ces sources attirent des gens en grand nombre, mais seulement l'espace d'un instant et de façon superficielle, et il est difficile d'en calculer la valeur.
Quel mal y a-t-il à cela? Plusieurs éléments ressortent.
Tout d'abord, l'accès à Internet, aux téléphones cellulaires et à d'autres outils est loin d'être généralisé. Un Canadien sur cinq n'a pas de téléphone cellulaire ou de connexion Internet à la maison. Il y a un lien important entre le revenu et l'accès. Environ le tiers des gens du quintile de revenu inférieur n'ont pas accès à un cellulaire et à peine un peu plus de la moitié, environ 56 %, ont accès à Internet à la maison. Tous les gens du quintile de revenu supérieur ont les deux. On parle d'inégalité liée aux revenus.
Les médias qui dépendent des revenus publicitaires ont de graves problèmes à l'heure actuelle à cause d'un certain nombre de facteurs dont nous parlerons. Neuf journaux quotidiens ont cessé de paraître depuis 2008, et 13 journaux quotidiens gratuits et 16 journaux ont modifié leur calendrier de publication. Quatre stations de télévision ont fermé leurs portes. Ce ne sont pas de bonnes nouvelles pour les principaux moteurs du milieu des nouvelles.
De plus, en 2014, le revenu moyen par utilisateur de Facebook était de 28 $, et ce toute l'année. Pour un abonnement au Globe and Mail, on parle d'un peu plus de 500 $. Nous pouvons constater qu'il y a une différence sur le plan de l'importance des ressources.
Le point important que je veux soulever aujourd'hui, c'est qu'au Canada, la concentration est très forte dans la plupart des branches des médias, bien que ce ne soit pas uniforme, et je donnerai quelques exemples plus tard. Dans bon nombre de secteurs, la concentration est très forte. Dans l'ensemble des médias, la concentration est très forte, et ce, selon les normes canadiennes et internationales et selon des mesures empiriques qui sont souvent utilisées pour évaluer l'état de la concurrence et de la concentration.
Au Canada, l'intégration verticale est vraiment très forte et inhabituelle selon les normes internationales. De plus, elle a doublé entre 2008 et 2013 et se maintient depuis. Les quatre grands conglomérats de médias du pays ont différents secteurs d'activités: ils mènent des activités dans les télécommunications et ont une grande variété d'éléments d'actifs en télévision, et dans certains cas, des actifs de journaux et l'accès Internet. Il s'agit de Bell, Shaw, Rogers et Québecor. Ensemble, ces quatre entreprises possèdent environ 60 % de l'univers médiatique. La tendance s'accroît fortement. Nous avons une plus grande part, mais un nombre réduit de joueurs contrôle une part accrue des médias. En contrôlant tant les conduits que le contenu, ils déterminent comment l'univers médiatique se déploie de nos jours.
En examinant ce qui se passe, nous constatons qu'il y a, comme je l'ai dit, des domaines où les choses vont bien. Quels sont-ils? Le phénomène de la concentration semble très peu présent dans le secteur de la radio et celui des revues. Les nouvelles sur Internet laissent poindre la lumière à l'horizon. Les Canadiens consultent un très large éventail de sites Web nationaux, traditionnels, nouveaux et étrangers, et la diversité des sources tend à s'accroître, et non l'inverse.
Dans quels secteurs observe-t-on une concentration? La concentration dans le secteur des journaux est modérée, mais elle s'est beaucoup accrue en raison de l'acquisition récente des journaux de Sun par Postmedia, une transaction très importante. Elle a fait grimper le niveau de concentration de façon significative. En télévision, le niveau de concentration est généralement très élevé. Dans le secteur de la télévision par câble et par satellite, il est modéré.
Parmi les secteurs où l'on remarque une forte concentration, il y a la télévision par ondes hertziennes et la télévision payante, et pour vous montrer qu'Internet n'y échappe pas, permettez-moi de vous nommer les volets de l'univers médiatique dans lesquels on retrouve les niveaux de concentration les plus élevés.
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Je veux tout d'abord dire que je suis vraiment très sceptique en ce qui concerne les subventions. À mon sens, l'idée d'imposer une quelconque taxe pour les fournisseurs de services Internet ou les propriétaires de conduits afin de financer du contenu est un non-sens; c'est voué à l'échec et il devrait en être ainsi.
Une partie du problème concernant le système canadien, c'est l'idée que nous le percevons comme un système, plutôt que comme un ensemble de blocs Lego, disons, que nous fixons ensemble pour former différentes choses qui reflètent nos désirs. En concevant les choses comme un système, nous avons créé un labyrinthe de fonds secrets qui passent d'une poche à une autre avec la bénédiction de l'organisme de réglementation. Je ne crois pas du tout que cela nous est utile.
Les subventions qui existent déjà sont déjà bien généreuses, au-delà de ce que nous donnons à la Société Radio-Canada chaque année qui, je crois, devrait recevoir un financement important. Il est juste de rétablir les fonds qu'elle a perdus. À mon avis, elle a une mission essentielle. Toutefois, en dehors du financement de la Société Radio-Canada, j'ai calculé en gros, pour un exposé que j'ai présenté il y a un mois ou deux, les subventions que nous versons au Fonds des médias du Canada, au Fonds du Canada pour les périodiques et aux industries de la musique et de l'enregistrement sonore, et il s'agit d'environ 800 millions de dollars.
Je pense que nous devons retirer chacune des petites subventions qui font en sorte que — si vous me le permettez — les cloaques d'initiés et de quémandeurs de l'industrie font la queue devant l'abreuvoir; et regrouper les fonds dans ce que nous appelons un fonds pour les médias et la culture en général. Nous retirons l'argent des mains des diffuseurs. Nous le retirons des mains des EDR, des compagnies de câblodistribution. Ils ne jouent aucun rôle dans le financement, dans la gestion et pour ce qui est de retirer des sommes.
Comme l'a souligné Monica, une petite partie des fonds destinés à l'amélioration de la programmation locale retournent directement dans les poches des grands conglomérats qui, à mon avis, ont placé les entités de diffusion dans une situation très précaire en raison des décisions insensées sur le regroupement qui ont été prises et d'un grand projet qu'ils ont entrepris à la fin des années 1990 concernant la convergence et l'ère des « .com ». Nous devons y mettre fin et nous ne devrions absolument pas leur donner la moindre subvention.
Je crois qu'il nous faut maintenir les subventions que nous avons, car nous devons reconnaître — et nous le reconnaissons dans le droit de la propriété intellectuelle — que l'information et les nouvelles sont un bien public. Le public n'a jamais payé les frais complets pour les nouvelles nulle part dans le monde, que ce soit dans le passé ou de nos jours. Les seules personnes qui ont payé les frais complets pour les nouvelles, ce sont les intervenants financiers et les marchands riches qui veulent des avantages à temps, secrètement et en exclusivité. Pour tous les autres — pour la population générale, et de façon à ce que les gens vivent dans une société démocratique — nous avons une série de subventions.
Il y a trois sources de subventions. Il y a les annonceurs. Nous constatons qu'il y a des difficultés sur ce plan actuellement. Il y a les subventions gouvernementales, et on en compte un nombre important au Canada. Je crois que c'est une bonne chose, mais nous devons les regrouper. Enfin, nous avons de riches mécènes; cela peut être bien également, mais nous devons faire quelque chose au sujet du regroupement.
J'ai un dernier point à soulever. Nous devons aussi reconnaître — et nous pourrons peut-être en parler plus tard — qu'il se passe de bonnes choses sur le plan du nouveau type de journalisme qui est en train d'émerger.
Il y a tout d'abord les gens qui pensent toujours que le ciel est en train de nous tomber sur la tête, soit les cassandres, qui disent que la concentration des médias est une mauvaise chose, que la situation se détériore et que la démocratie est sur la corde raide essentiellement pour toujours. Depuis le début de mes études, il y a 35 ans, je vois cette idéologie.
Il y a les cassandres, et les autres, les autruches, soit les gens qui pensent que les choses vont mieux que jamais. Le ciel est bleu, et comment pourrions-nous être dans une meilleure situation que celle que nous vivons présentement? Les autruches disent que nous vivons dans un environnement où l'information abonde et que les gens qui pensent à la concentration des médias à l'ère d'Internet sont des dinosaures.
Il y a donc les cassandres, les autruches, et il y a les gens qui s'enfouissent la tête dans une montagne de données pour essayer d'établir un lien direct entre les gens qui sont propriétaires des médias et un reflet d'une idéologie politique ou d'un parti pris. On ne peut pas faire cela. Il ne peut y avoir un simple lien causal dans un cadre institutionnel complexe comme celui-là. C'est une quête futile. Les chercheurs du pays qui ont effectué les meilleures recherches, Colette Brin, Soderlund et Hildebrandt, arrivent à la même conclusion que d'autres chercheurs dans le monde. Les avis sont partagés et les preuves ne sont pas concluantes.
La dernière approche consiste à tenter de mettre ensemble les bons éléments des autres approches, et elle correspond à ma vision, j'imagine. Je me base sur d'autres points de vue qui m'ont appris des choses au fil des ans. Je pense que les sociétés, depuis toujours, oscillent entre l'ouverture et la fermeture dans les communications, et il est présomptueux de penser que notre époque est exceptionnelle et que les forces de la consolidation, de la concentration et du contrôle ont disparu du paysage en quelque sorte, comme s'il s'agissait d'espèces disparues. Je ne crois pas que ce soit le cas. À mon avis, nous devons prendre de très grandes mesures préventives pour nous assurer que nous avons toutes les conditions qui ont le plus de chance de nous mener vers le système médiatique le plus démocratique possible.
Cela signifie qu'il faut adopter des mesures structurelles importantes, ce qui inclut des mesures de prévention de la concentration des médias; s'assurer que les conduits sont ouverts et que les opérateurs ne se comportent pas comme des éditeurs; et veiller à ce que nous ayons les ressources qui conviennent. C'est ce qui a le plus de chance de produire un environnement médiatique favorisant un système démocratique. Par conséquent, nous devrions limiter au minimum la réglementation sur le contenu ou le comportement de tous genres
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Je n’ai pas étayé cela encore, mais l’idée d’une Société canadienne des communications est attrayante. C’est l’idée d’utiliser le système postal comme réseau général de livraison.
C’était le cas avec le service des postes des États-Unis dès sa création en 1792, et ce, jusque tard dans le XXe siècle. Certaines personnes ont réalisé des analyses et indiqué que le niveau des subventions en dollars actuels se situait dans les milliards de dollars par année. S’il est un signe révélateur, c’est que les journaux représentaient 95 % du poids du système de distribution postale, alors qu’ils ne représentaient que 5 % des revenus. C’est une énorme subvention que le gouvernement des États-Unis consentait pour encourager la liberté de la presse parce qu’il voulait cultiver la vitalité de la presse. Ce qu’il a fait, c’est verser d’énormes subventions à la presse sous la forme d’un service de livraison générale.
Ce que je me dis, c’est que nous pourrions essayer de mettre cela au niveau, compte tenu du siècle qui s’est écoulé, et voir si nous pouvons trouver une solution fondée là-dessus pour aujourd’hui. Nous avons des bureaux de poste partout au pays. Installons-y des mâts pour la communication sans fil. Le bureau de poste pourrait être l’endroit où aller chercher un téléphone cellulaire. Le bureau de poste a la culture d’un exploitant public. Le principe, c’est qu’il y aurait une séparation structurelle entre CBC/Radio-Canada, qui s’occupe du contenu, et le volet livraison. Ce serait semblable à ce que j’ai décrit pour la séparation structurelle dans les entreprises privées qui sont intégrées verticalement. Ce pourrait être quelque chose de ce genre.
L’une des choses que j’ai entendues quelques fois ici, c’est que Winseck est contre les subventions. Je ne veux pas dire que je suis contre les subventions. Je tiens à préciser que je suis tout à fait d’accord avec les subventions pour CBC/Radio-Canada et pour le fonds relatif au contenu général, parce que les nouvelles sont un bien public.
J’ai essayé de bien faire comprendre cela. Moi, Dwayne Winseck, je n’ai pas la fantaisie de croire que les nouvelles sont un bien public parce que je pense que les gens devraient manger du kale. Dans une perspective économique, les nouvelles forment un bien public et elles n’ont jamais fait l’objet d’une solution axée sur le marché, sauf pour un petit segment, comme je l’ai dit, de financiers et de marchands qui veulent profiter du commerce que procure l’avantage du temps, du secret et de l’accès exclusif. Pour tous les autres, c’est subventionné.
Vous pouvez choisir la source de vos subventions. Voulez-vous un riche mécène? Quel en est le coût? Voulez-vous que ce soit le gouvernement? Quel est le coût de cela? Voulez-vous que cela vienne des annonceurs? Quel est le coût de cela? Rien n’est gratuit.
Il faut que vous reconnaissiez que les nouvelles ne sont pas un bien économique normal. Le droit d’auteur se fonde là-dessus. Nous avons créé un ensemble de lois pour réglementer un type de propriété particulier — l’information et les nouvelles —, parce que cela ne correspond pas aux autres types de propriété que nous avons. C’est une question d’équilibre. Ce sont des arrangements d’ordre social qui sont sujets à changement au fil du temps. C’est ce que nous devons faire aujourd’hui. Il faut affronter cela, réaliser que nous avons besoin de subventions et déterminer qui en aura, et qui n’en aura pas.
J’essaie de dire que nous ne devrions pas donner de subventions à ceux qui ont fait exploser le système. Nous ne devrions pas acheminer les subventions à travers un labyrinthe opaque comme nous le faisons depuis un demi-siècle. Nous ne devrions pas permettre aux intervenants commerciaux existants d’être à la fois ceux qui versent des subventions, ceux qui les administrent et ceux qui les reçoivent. Les conflits d’intérêts que cela entraîne sont évidents pour quiconque demande ou regarde les faits honnêtement.