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Bonjour et merci de m’avoir invité à présenter la position de la Writers’ Union of Canada.
Notre organisation représente 2 100 auteurs professionnels de partout au pays, et nous présidons en outre l’International Authors Forum, qui compte plus de 700 000 membres dans le monde.
Le droit d’auteur est au coeur de la façon dont nous, créateurs, gagnons notre vie: si vous érodez le droit d’auteur, vous érodez le revenu des écrivains. C’est aussi simple que cela. Dans le meilleur des cas, gagner sa vie comme écrivain est difficile. La situation a été infiniment plus difficile au cours de la dernière décennie, alors que nous avons assisté à la vaste perturbation du numérique dans les secteurs de la création. On dit que le contenu est roi à l’ère du numérique, mais les créateurs de ce contenu sont payés et traités comme des serfs.
En 2012, le Parlement a demandé aux auteurs et aux éditeurs du Canada de faire confiance à une nouvelle approche — à un nouveau modèle — s'articulant autour de la copie à des fins éducatives et d'utilisation équitable, et de respecter cette approche. Ce qui a suivi a été tout sauf équitable pour les écrivains. Ce fut un désastre directement ressenti par nos membres. À l'occasion d'un récent sondage auprès des auteurs canadiens, nous avons reçu près de 1 500 réponses, et voici ce qu’on nous a dit.
Les auteurs ont subi une baisse de 27 % de leurs revenus au cours des trois dernières années seulement.
Si l'on remonte à 20 ans en arrière, nos revenus réels ont diminué de 78 %.
Le revenu net moyen que rapporte l’écriture n’est que de 9 400 $.
Pire encore, les revenus tirés des redevances sur les droits d’auteur dans le domaine de l'éducation ont diminué en moyenne de 42 % en cinq ans en raison des reproductions gratuites illégales par le secteur de l’enseignement.
En 2012, alors que le Parlement réformait la Loi sur le droit d’auteur, les écrivains savaient que le chemin à venir serait difficile. Évidemment, nous nous sommes adaptés. De plus en plus de nos auteurs membres s’autopublient, et la Writer's Union offre des ateliers de perfectionnement professionnel sur l’autoédition, sur la promotion du livre et sur la publicité. De nombreux auteurs optent pour l’entrepreneuriat, mais on s’attend maintenant à ce qu’ils en fassent plus pour moins ou, pire encore, plus pour rien.
Comme nos partenaires de l'édition pourront vous le confirmer, la production de contenu n’est pas gratuite. La recherche, la rédaction, la réécriture, l’édition, le graphisme, la mise en page et la distribution coûtent cher, et voilà que, désormais, les auteurs sont tenus de travailler gratuitement pour le secteur de l’éducation. En fait, les changements proposés récemment à la Commission du droit d’auteur du Canada n'ont fait que confirmer notre servage. La réalité pour les écrivains canadiens est que la Commission du droit d’auteur n’a aucune prise. Nous travaillons pour elle, mais n'avons rien en retour. Nous consacrons temps et efforts pour faire approuver les tarifs, et, lorsqu’ils le sont, le secteur de l’éducation n'en tient tout simplement pas compte.
Nous avons demandé des dommages-intérêts préétablis pour nos tarifs afin d’encourager les établissements d’enseignement à se conformer, mais le gouvernement a refusé d’apporter ce simple changement. Nous sommes découragés et déçus de cette décision.
Nous devrions peut-être nous tourner vers les Européens pour trouver un équilibre entre le droit d’auteur, la protection de la vie privée et le contenu en ligne à l’ère numérique. Le Parlement européen a récemment adopté une directive définissant les règles de protection et de financement du contenu par des plateformes technologiques géantes qui ont longtemps évité la réglementation. Les directives exigent que les plateformes et les agrégateurs en ligne paient les licences pour l’utilisation de fragments de contenu.
De plus, la directive impose une plus grande responsabilité aux plateformes pour le partage légal de contenu en ligne, une mesure qui devrait aider à lutter contre le piratage de contenu et offrir aux auteurs une nouvelle possibilité de licence pour l’utilisation de leur travail en ligne. Les Européens perturbent les perturbateurs et disent à la Silicon Valley qu’un modèle d’affaires fondé sur la main-d’oeuvre gratuite des autres est inacceptable.
Une autre perturbation du secteur des technologies pourrait également s’avérer utile pour les créateurs. On dit de plus en plus qu’une nouvelle technologie décentralisée pourrait permettre aux créateurs d'esquiver les plateformes centralisées et de se connecter directement aux lecteurs. Cette technologie, appelée « registre distribué » ou « chaîne de blocs », existe depuis des décennies et est devenue célèbre récemment avec les cryptomonnaies comme Bitcoin. La chaîne de blocs pourrait maintenant perturber le secteur du livre.
Comment fonctionne la technologie? Les plateformes d’Amazon, d’Apple, de Facebook et de Google sont essentiellement des bases de données relationnelles centralisées. Ce sont des intermédiaires qui contrôlent notre relation avec les lecteurs et facilitent les transactions commerciales.
En revanche, dans le cas de la technologie du grand livre distribué, il n'y a pas d’autorité centralisée contrôlant une base de données. Au lieu de cela, les transactions sont stockées dans des grands livres immuables, qui sont reproduits sur de nombreux ordinateurs dans un réseau poste-à-poste. Comme le grand livre existe en plusieurs endroits, il est vraiment difficile à pirater.
Les transactions peuvent être regroupées en blocs numériques sur une chaîne, d'où le nom de chaîne de blocs. Dans le cas d’un livre, ces blocs de transactions peuvent être destinés à l’auteur, à la publication, à la distribution et, en fin de compte, à l’achat par le lecteur. La technologie pourrait avoir plusieurs applications pour les auteurs. Cela pourrait garantir l’attribution d’une oeuvre numérique à un auteur ou à un détenteur de droits. Grâce à des contrats intelligents, la chaîne de blocs pourrait distribuer et authentifier pour les lecteurs tout document protégé par le droit d’auteur et, au moyen d’un portefeuille numérique, pourrait distribuer automatiquement, directement et immédiatement les redevances aux auteurs.
Un certain nombre d’entreprises technologiques en démarrage utilisent déjà la technologie pour distribuer du contenu et récompenser les créateurs, y compris les éditeurs de chaînes de blocs Publica.io, Smoogs.io, Po.et et authorship.com. Access Copyright a lancé Prescient Innovations Lab, son laboratoire d’innovation, pour construire et tester une technologie de chaîne de blocs axée sur le créateur. La Writers’ Union appuie Access Copyright dans ce travail de pionnier.
La Writers’ Union of Canada s’est engagée à innover et à donner à ses membres les moyens d’adopter de nouvelles technologies, de nouvelles compétences et de nouveaux modèles d’affaires pour survivre. Compte tenu de l’état lamentable de nos gains, nous avons peu à perdre et beaucoup à gagner.
Il y a peut-être quelque chose de prometteur dans la nouvelle technologie à l’horizon pour nous aider à développer de nouveaux modèles de rémunération novateurs. Cependant, il est essentiel de renforcer le droit d’auteur. L'utilisation équitable doit être équitable, et non gratuite, pour les éducateurs, et nous avons besoin d’une Commission du droit d’auteur qui soit plus qu’un tigre de papier. Des dommages-intérêts préétablis importants donneront à la Commission du droit d’auteur un certain mordant à l’égard de ceux qui refusent de payer leurs tarifs.
Si nous valorisons la culture, nous devons valoriser le travail de ceux qui la produisent. La Writers’ Union présentera un mémoire détaillant les idées dont j’ai parlé, et nous serons heureux de répondre à vos questions.
Merci.
:
Je remercie le président et les membres du Comité de m’avoir invitée à témoigner au nom d’Universités Canada.
Nous représentons les 96 universités canadiennes, dont la mission d’enseignement, de recherche et d’apprentissage est essentielle pour fournir aux étudiants canadiens les compétences dont ils ont besoin dans l’économie du savoir.
Merci à chacun d’entre vous pour le rôle essentiel que vous jouez dans l’examen législatif de la Loi sur le droit d’auteur du Canada, particulièrement en ce qui concerne les modèles de rémunération des artistes, y compris des écrivains et des industries créatives.
Les universités de partout au pays jouent un rôle essentiel dans le soutien des communautés créatives du Canada. Du magnifique nouveau campus de l’Emily Carr School of Art and Design au Purdy Crawford Centre for the Arts, sur le campus de Mount Allison, les universités sont des carrefours pour les créateurs canadiens.
C’est pour cette raison, et en raison de l’importance d’une approche équilibrée en matière de droit d’auteur, qu'Universités Canada et ses établissements membres ont participé activement à l’examen de la loi par le comité de l'industrie, et qu’ils ont contribué à l’examen de la politique culturelle canadienne effectué par le gouvernement du Canada en 2016.
Je suis très heureuse d’être accompagnée aujourd’hui d’Allan Bell, bibliothécaire adjoint des programmes et services numériques à l’Université de Colombie-Britannique. Comme les autres universités au pays, l’Université de Colombie-Britannique a mis en oeuvre des mesures exhaustives pour assurer le respect de la Loi sur le droit d’auteur. M. Bell se fera un plaisir de répondre à vos questions sur la façon dont le droit d’auteur est respecté sur les campus.
[Français]
Les universités sont des productrices, des propriétaires et des utilisatrices de documents protégés et plaident pour une démarche équilibrée en matière de droits d'auteur.
Les universités stimulent la créativité d'un millon d'étudiants, permettent aux chercheurs de donner libre cours à leur curiosité intellectuelle et renforcent les collectivités.
Notre secteur respecte le droit d'auteur et aide les artistes et les industries de la création, émergents et établis, à réussir.
Nous sommes pleinement conscients des difficultés financières réelles qu'éprouvent de nombreux artistes canadiens, dont les musiciens et les auteurs. Cependant, nous savons aussi que l'utilisation équitable dans le domaine de l'éducation n'est pas la cause de ces difficultés.
La cause réside plutôt dans les perturbations engendrées par les technologies numériques, qui changent la façon dont le contenu est consommé dans le monde entier. Voilà le principal problème à surmonter pour les titulaires de droits d'auteur.
Lors de leur témoignage devant votre comité le 22 mai dernier, les fonctionnaires fédéraux ont longuement parlé des répercussions des bouleversements numériques sur les industries canadiennes de la création. Ils ont aussi reconnu que changer la Loi sur le droit d'auteur n'était pas la stratégie la plus efficace pour améliorer la rémunération des créateurs.
C'est ce que nous observons aussi sur les campus partout au pays.
[Traduction]
Les universités valorisent les documents protégés par le droit d’auteur qu'elles s’engagent à respecter. Les dépenses des bibliothèques universitaires canadiennes augmentent chaque année, dépassant 1 milliard de dollars au cours des trois dernières années combinées; cependant, pour répondre aux besoins changeants de leurs milieux respectifs, les bibliothèques changent ce qu’elles achètent.
De nos jours, les étudiants demandent un accès de 24 heures sur 24 à de multiples plateformes. Par exemple, à l’Université de Colombie-Britannique, les ressources numériques de la bibliothèque sont passées de 21 % en 2002 à 82 % en 2017. C’est un changement de 60 % en seulement 15 ans. Au cours de la même période, la circulation des collections imprimées de la bibliothèque a diminué de façon constante. Près de 70 % des collections d’imprimés de la bibliothèque ne sont jamais sorties des tablettes et ont été encore moins empruntées depuis 2004. Je dis bien 70 %.
On a également assisté à une augmentation marquée de l’utilisation des systèmes de réserve électronique plutôt que des trousses de cours imprimées. Autrement dit, les nouvelles plateformes d’accès au matériel didactique améliorent les possibilités d’éducation offertes aux étudiants et rendent les études universitaires plus abordables et accessibles.
Contrairement aux livres imprimés, les contenus numériques auxquels accèdent les bibliothèques universitaires sont généralement assortis de droits de reproduction. Les contrats déterminent les conditions d'utilisation de ces contenus et si la règle de l'utilisation équitable s’applique. Dans la plupart des cas, le contenu est partagé au moyen de liens protégés par des verrous numériques plutôt que sous la forme de copies, de sorte que les campus partout au pays comptent de moins en moins sur l'utilisation équitable. Cela étant, le fait de limiter l'utilisation équitable par le biais d'une modification de la Loi sur le droit d’auteur ne serait pas un outil efficace pour subventionner une industrie qui, comme nous venons de l’entendre, essaie de s’adapter à l’évolution des valeurs et des habitudes de consommation de sa clientèle.
La Cour suprême du Canada a déterminé que l'utilisation équitable est un droit et a reconnu à maintes reprises l’importance de concilier les intérêts en matière de droit d’auteur. Cinq arrêts historiques rendus par la Cour en 2012 ont transformé la façon dont le droit d’auteur est géré et ont changé la façon dont le système d’éducation aborde le droit d’auteur. Toutefois, le contexte juridique de l'utilisation équitable continue d’évoluer. Plusieurs affaires judiciaires sont toujours en instance. Le Parlement devrait permettre aux tribunaux de poursuivre leur travail avant d’intervenir davantage sur le plan législatif.
Bien que la limitation de l'utilisation équitable à des fins d’éducation ne soit pas une solution, le gouvernement peut tout de même trouver des façons d'atténuer les effets de la perturbation numérique sur les créateurs. Nous encourageons les membres du Comité à songer à des politiques et des programmes qui pourraient aider directement les créateurs et appuyer les industries qui contribuent à la commercialisation des oeuvres des créateurs. Par exemple, les programmes et les organismes fédéraux de financement offrant un soutien direct aux créateurs actuels pourraient être renforcés. On peut songer à des organismes comme le Conseil canadien des arts, qui gère un programme appelé le droit de prêt public, qui offre une compensation financière aux auteurs admissibles pour les redevances perdues en raison de l’accès public à leurs livres dans les bibliothèques canadiennes.
En ce qui concerne le soutien à l’industrie, des programmes comme le Fonds du livre du Canada ou Exportation créative Canada, qui sont tous deux gérés par le ministère du Patrimoine canadien, aident les éditeurs et d’autres organismes, y compris les organismes sans but lucratif et les gouvernements autochtones, à permettre au contenu créatif canadien d'atteindre les marchés locaux et mondiaux.
Enfin, un investissement accru dans l’apprentissage intégré au travail et l’entrepreneuriat pour les étudiants de toutes les disciplines, y compris tout l'éventail des disciplines en beaux-arts et dans les arts en général, aidera à préparer les diplômés canadiens à l’économie créative mondiale qui est en pleine en évolution. La prospérité future du Canada et le succès de nos industries créatives dépendent d’un échange d’idées et de connaissances. Des changements au concept d'utilisation équitable endigueraient ce flux vital, entravant l’éducation, la recherche, l’innovation et la création qui sont essentielles à une économie culturelle dynamique et florissante.
Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Nous serons heureux de répondre à vos questions, dont M. Bell, qui vous donnera plus de détails sur la façon dont les documents protégés par le droit d’auteur sont consultés et gérés à l'échelon institutionnel.
[Français]
Je vous remercie beaucoup.
:
Merci beaucoup et bonjour à tous.
Nous tenons tout d’abord à vous remercier tous de nous avoir donné l’occasion de comparaître devant le Comité, et nous sommes bien sûr heureux d'avoir été invités à donner notre point de vue sur la question cruciale de la rémunération des créateurs et du droit d’auteur au Canada.
Je m’appelle David Swail. Je suis président du Canadian Publishers’ Council. Je suis accompagné de Kevin Hanson, président de Simon & Schuster Canada et vice-président du Canadian Publishers’ Council.
Ce matin, j’exposerai brièvement nos principales préoccupations au sujet de la rémunération des créateurs au Canada et je vous présenterai également nos solutions, y compris certaines modifications législatives et la création conjointe d’une agora numérique pour les éducateurs canadiens.
Tout d’abord, si vous me le permettez, je vais vous parler un peu du Canadian Publishers’ Council et de ses membres.
Notre organisation représente 16 des plus grands éditeurs du Canada, qui oeuvrent dans tous les segments de notre industrie, y compris l’édition commerciale, l’enseignement supérieur, l'école de la maternelle à la 12e année et le secteur professionnel.
Nos membres sont une combinaison d’entreprises canadiennes et de filiales canadiennes d’éditeurs mondiaux, comme Penguin Random House, HarperCollins, Simon & Schuster, Pearson et Scholastic, entre autres.
Les revenus totaux de nos membres en 2017 étaient de 853 millions de dollars. Collectivement, nous employons directement plus de 3 000 travailleurs du savoir très qualifiés et des milliers d’autres qui travaillent à la pige et à contrat comme rédacteurs, rédacteurs en chef, experts, concepteurs, illustrateurs et chercheurs, et j’en passe. Toutes nos entreprises membres sont à but lucratif, et la plupart d'entre elles ne reçoivent aucune subvention gouvernementale.
Nous sommes très fiers de faire partie d’une industrie très dynamique et prospère. Je pense que cet aspect est souvent négligé dans les discussions sur l’état du secteur.
Les Canadiens comptent parmi les lecteurs les plus alphabétisés et les plus compréhensifs au monde, et nos auteurs sont aujourd'hui célébrés comme jamais auparavant, tant au Canada qu’à l’étranger. Nos maisons d’édition en éducation sont largement reconnues pour leur expertise et sont des acteurs clés contribuant à des initiatives mondiales au sein de leurs entreprises partout dans le monde. Nous voulons continuer à miser sur ce succès et à développer les écrivains et les éditeurs canadiens et à attirer davantage d’auteurs canadiens dans le monde entier.
Nos membres sont très engagés dans la rémunération des créateurs, comme on peut s’y attendre. En fait, notre activité dépend beaucoup de cet aspect. Selon les derniers chiffres, nos membres avaient plus de 9 000 auteurs canadiens imprimés au Canada. Nous indemnisons des milliers de créateurs canadiens de multiples façons, que je vais décrire rapidement.
Il y a d’abord l’emploi direct. Nous employons directement des réviseurs, des écrivains et des concepteurs. Nous dépensons environ 226 millions de dollars chaque année, et les coûts connexes comprennent les prestations, les pensions, l’assurance-emploi, etc. Nous sommes de grands employeurs; en fait, nous sommes le plus grand groupe d’employeurs directs dans le secteur.
La sous-traitance et la pige sont des domaines où nous engageons des créateurs à contrat pour travailler avec des artistes, des photographes, des illustrateurs et des experts dans une vaste gamme d’activités d’édition. Au total, nos dépenses de pigistes et d’entrepreneurs sont de l’ordre de 15 millions de dollars par année.
Les redevances et les avances versées aux auteurs sont une partie très importante de ce que nous faisons. Nous versons des redevances de prépublication aux auteurs et aux autres créateurs pour un montant d’environ 36 millions de dollars chaque année. Comme vous le savez probablement tous, une bonne partie de ce total n’est jamais vraiment couvert par les ventes des livres. En d’autres termes, nous subventionnons la création d’oeuvres créatives et culturelles canadiennes à hauteur de plusieurs millions de dollars chaque année en tant qu’entreprises à but lucratif. Ce faisant, nous maintenons l’emploi et la participation des créateurs.
Voyons comment le modèle d’indemnisation des créateurs a été touché, d’après ce que nous avons constaté, par la modernisation du droit d’auteur, et en particulier par l’exception relative à l’utilisation équitable pour l’éducation.
La première perturbation, et la plus évidente, dont nous avons tous entendu parler, est celle découlant de la répartition des licences collectives dans le secteur de l’éducation, à l’extérieur du Québec. Il est établi que l’effondrement quasi total de ces licences coûte aux créateurs quelque 30 millions de dollars par année, et que les redevances sur les licences ont diminué d’environ 90 % depuis 2012.
Pour les écrivains, dont la rémunération annuelle, comme l’a récemment publié la Writers’ Union, est estimée à quelque 9 400 $ par an, c'est un coup dur pour leurs revenus.
Il y a aussi un effet d’entraînement important pour nos membres. Nos éditeurs trouvent de plus en plus difficile d’engager les créateurs, en particulier dans des projets d’édition pédagogique, alors qu’ils se tournent vers d’autres moyens plus fiables de gagner leur vie et qu’ils voient les redevances diminuer.
L'effet corollaire, et peut-être plus préoccupant à moyen et à long terme, tient à ce que l’investissement dans les ressources d’apprentissage canadiennes diminue. Plusieurs éditeurs importants de livres destinés aux classes de la maternelle à la 12e année ont abandonné leur programme d’édition, ce qui a entraîné d’importantes pertes d’emplois. Comme je l’ai mentionné, ce sont des emplois bien rémunérés et fondés sur le savoir qui, selon nous, sont essentiels à l’avenir de notre pays et de notre économie. Oxford University Press, McGraw-Hill et Emond Montgomery se sont tous retirés du secteur de la maternelle à la 12e année au cours des dernières années parce que, selon eux, ce marché n’est plus commercialement viable.
Selon Statistique Canada, l’industrie du livre a perdu environ 3 800 emplois depuis 2012, ce qui représente une baisse de 27 %. La réduction des investissements a également, comme on pouvait s’y attendre, réduit la qualité et la quantité de ressources d’apprentissage canadiennes pour les élèves de la maternelle à la 12e année en particulier, et il ne s’agit pas seulement des manuels imprimés.
Les éditeurs canadiens, membres de notre regroupement et les entreprises canadiennes de l’ACP ont été des chefs de file mondiaux dans le développement des technologies d’apprentissage. Nous avons élaboré des solutions canadiennes et adapté des plateformes mondiales pour les étudiants canadiens, et c'est ce que nous faisons avec beaucoup de succès depuis de nombreuses années. Ces efforts ont donné lieu à une réorientation majeure de l’investissement dans l’édition, pour moins d’imprimés et plus de technologies adaptées aux besoins des étudiants, technologies donc plus efficaces, plus actuelles et souvent moins coûteuses pour les clients du secteur de l’éducation. Cet investissement et l’amélioration des résultats d’apprentissage qui en découlent pour les étudiants sont intrinsèquement menacés dès que le marché du contenu rémunéré est dilué ou érodé. Nous risquons également de réduire le nombre de récits et de voix d'origine canadienne utilisés dans nos salles de classe, les créateurs et les éditeurs réduisant leur temps et leur investissement dans ce secteur.
Pour maintenir les réalisations considérables du Canada en éducation, nous devons donc encourager plutôt que de pénaliser l’investissement et l’innovation dans les ressources éducatives canadiennes. C’est essentiel aux résultats des étudiants canadiens et à leur capacité de soutenir la concurrence sur un marché du travail de plus en plus mondial.
Pour résumer, je dirais qu'en plus de la rémunération directe des créateurs, les domaines qui sont le plus durement touchés par ce que nous considérons comme une loi très mal définie en matière de droit d’auteur sont les emplois, les investissements et l’innovation. Je ne peux penser à aucun gouvernement au monde qui voudrait d'un tel bilan. Si l’on ajoute à cela la diminution de la culture canadienne et la perte de récits et de voix d'origine canadienne dans nos salles de classe, on aura une idée précise de ce que des lois ambiguës nous ont fait depuis 2012.
Passons maintenant aux solutions, dont nous sommes beaucoup plus intéressés à parler.
Parallèlement à l’adoption des technologies en éducation, l’utilisation de...
L’utilisation d’extraits demeurera une solution dans les salles de classe, comme le montrent les millions de copies qui se font pour les cours chaque année. Pour faciliter l’accès à ce contenu, nous proposons la création d’un portail en ligne ou « agora numérique », qui pourrait être beaucoup plus utile pour les éducateurs, les élèves et les étudiants, que l’approche essentiellement papier qui prévaut actuellement.
Avec l’Association des éditeurs canadiens, nous avons fait des recherches initiales sur ce concept, et nous nous sommes tournés vers le Québec pour un modèle appelé « SAMUEL », qui nous semble un très bon point de départ. Nous pensons que c’est une étape importante, ce projet qui vise à normaliser l’utilisation commerciale du contenu éducatif qui a tant souffert du manque de clarté de la loi actuelle.
Il s'agira donc d'en modifier le libellé, car une agora numérique ne saurait suffire à elle seule. Beaucoup d’entre nous, dans le secteur de la création, avons proposé des solutions très concrètes, en commençant par l’harmonisation des dommages-intérêts préétablis dont nous avons entendu parler. Nous encourageons le gouvernement à envisager ces solutions et nous serions heureux de vous revenir avec le libellé que nous avons proposé ces derniers mois.
Pour terminer, nous demandons au Comité de formuler dans son rapport une recommandation très précise qui oblige le gouvernement du Canada à répondre à l’appel lancé par l’industrie de l’édition en vue de trouver une solution à nos problèmes, en envisageant le financement de l’agora numérique et en remaniant la loi de manière à rétablir le marché commercial des ressources pédagogiques.
Merci. Je serai très heureux de répondre à vos questions le moment venu.
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Les universités canadiennes sont concurrentielles, mais nous ne sommes pas en concurrence avec les éditeurs d’imprimés ou les administrateurs des droits collectifs au sujet des redevances. Nous sommes en concurrence à l’échelle internationale pour produire les meilleures recherches et créer les meilleurs environnements pédagogiques. Pour ce faire, les meilleurs outils...
Honnêtement, les documents imprimés sont remplacés par du contenu numérique amélioré. Plus que des mots sur une page, il s'agit d'un contenu accessible à nos étudiants 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et qui fait l’objet d’une licence directe. Il n’y a pas de besoin de reprographie avec le contenu numérique que nous avons directement sous licence. Dans notre cas particulier, 54 % de ce que nous fournissons par notre système de réserve électronique est déjà autorisé par la bibliothèque. Une autre tranche de 10 % est disponible grâce au contenu en libre accès. L’analyse de l’utilisation équitable ne porte que sur 19 % du contenu. Nous obtenons des licences ponctuelles pour le reste.
C’est une répartition assez courante dans la plupart des universités. En réalité, ce n’est pas fondé sur l’utilisation équitable telle qu'énoncée dans la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, mais sur l'arrêt historique que la Cour suprême du Canada a rendu en juillet 2012, reconnaissant que le rôle de l'enseignant consiste à « faciliter la recherche et l'étude privée des élèves » et quand il fait des copies, c'est pour « permettre à ceux-ci de disposer du matériel nécessaire à l'apprentissage ». Il ne poursuit donc pas une fin distincte de celle de l'enseignement. Selon la Cour suprême, « l'enseignant/auteur des copies et l'élève/utilisateur qui s'adonne à la recherche ou à l'étude privée poursuivent en symbiose une même fin ».
De ce fait, la Cour suprême a décidé que l’exception relative à l’utilisation équitable permet aux enseignants de faire des copies d’oeuvres protégées par le droit d’auteur et de les distribuer aux élèves dans le cadre de l’enseignement en classe sans que l’élève ne le demande au préalable, sous réserve de conditions appropriées, et nous avons créé ces conditions appropriées dans notre système de réserve électronique. De plus en plus de nos professeurs se servent de notre système à l'issue de cet arrêt.
Ce n’est pas l’utilisation équitable qui pose problème. Le problème — et je me solidarise avec les auteurs à cet égard également —, c’est qu’en raison de la perturbation numérique, nous avons transféré la plupart de nos achats à des licences numériques. Pour l’exercice 2016-2017, nous avons consacré 14 millions de dollars aux licences numériques, des licences qui ne sont pas assujetties à un droit d’auteur ou à une licence de reproduction après coup.
Nous avons dépensé 1,5 million de dollars pour des monographies, et 1,2 million de dollars pour des publications en série. Il y a certains domaines, comme le design, où nous continuons à imprimer, mais pour la plupart des revues et pour beaucoup, beaucoup des livres que nous obtenons, nous leur accordons directement des licences.
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Eh bien, malheureusement, monsieur Bell, même si je ne veux pas parler au nom de tous les membres du Comité, il devient de plus en plus évident, même pour les conservateurs...
Des voix: Oh, oh!
M. Pierre Nantel: Voilà pourquoi je souriais. Lorsque M. Blaney vous a posé des questions à ce sujet, la réalité, c’est que son prédécesseur, Peter Van Loan, avait l’impression qu’on avait abusé de cette exception relative à l’utilisation équitable.
Bizarrement, avec la négociation collective — nous nous battrons toute la fin de semaine sur la négociation collective et le système postal —, la négociation collective est un droit au Canada, et les éditeurs l’ont organisée du mieux qu’ils ont pu pour y arriver. Au Québec, ça fonctionne, mais on dirait que ce n'est pas le cas dans le reste du Canada.
C’est pourquoi si je vous demande s’il y a une utilisation équitable des factures d’électricité ou d’assurance, vous allez me dire, eh bien, c’est... Oui, je comprends, mais le principe, c’est que ces sociétés ne reçoivent plus d’argent, un point c’est tout. Pfft. Ces gens essaient de gagner leur vie. Il en va de même pour le personnel d'hydro que pour celui de la cafétéria à l’université. Voilà où je veux en venir.
Je pense que nous les politiciens — je suis là depuis sept ans —, nous avons entendu tous les groupes de pression dire à quel point telle ou telle chose est importante, à quel point ils y tiennent, etc. La réalité, c’est que nous devons nous réunir et la réalité, c’est que nous avons vu il y a cinq ans que l’exception relative à l’utilisation équitable a créé des dommages importants. Tout le monde était bien intentionné, je dirais, mais la réalité, c’est que nous devons en discuter et parvenir à un règlement.
À ce sujet, s’il me reste un peu de temps, je vais demander à MM. Hanson et Swail de me parler davantage des problèmes plus précis de la maternelle à la 12e année que vous apportez ici. Il y a, bien sûr, le paiement des droits d’auteur, mais aussi, pour moi, tout au long de ces années scolaires, il faudrait que ce soit uniquement pour la littérature canadienne, un point c’est tout.
Je ne vais pas faire un cours d’histoire, mais notre secteur a beaucoup évolué. Par le passé, les affaires étaient principalement axées sur l’importation de produits étrangers — en grande partie américains, mais aussi britanniques. Aujourd'hui, non seulement nous sommes un chef de file dans l'offre de ressources éducatives sur le marché canadien, mais nous sommes aussi reconnus mondialement, en particulier pour la qualité du travail de nos auteurs et de nos créateurs. Si cette transition a eu lieu, c'est parce que nous avons bâti un secteur qui raconte des histoires canadiennes, par des auteurs canadiens et avec des voix canadiennes. Ce virage est tout aussi important dans le domaine de l’éducation qu'il l'a été pour des éditeurs d'ouvrages d'intérêt général, comme Simon & Schuster.
Le meilleur exemple que je puisse donner est celui de la Oxford University Press. Quand l'éditeur a décidé se retirer du secteur des manuels scolaires destinés aux élèves de la maternelle à la 12e année — en raison de préoccupations concernant l’interprétation de l’utilisation équitable —, il avait en sa possession un manuscrit pour un livre sur l’histoire canadienne. Il l’a fait circuler dans le reste du secteur pour voir si une autre maison d'édition voulait se charger de le publier, mais personne n'en a voulu.
C'est un exemple bien réel de manuel d’histoire canadienne mort dans l'oeuf, parce que l'un des plus éminents éditeurs au monde craignait que le marché canadien ne soit pas porteur, et voilà que nous n’avons pas d’autre manuel d’histoire canadienne pour le remplacer. Cet exemple peut s’appliquer à pratiquement chaque discipline à laquelle on peut penser.
Prenons les STIM — la science, les mathématiques, etc. — nous savons à quel point il est essentiel que nos étudiants soient compétitifs dans ces disciplines. Là encore, nos activités dans le domaine reposent sur la création d'exemples canadiens, sur la pertinence du contenu au contexte canadien pour les élèves de la maternelle à la 12e année, et cela est sérieusement compromis. Quand on retire du système une bagatelle comme 30 millions de dollars... sans compter que ce n’est pas un secteur très lucratif ni très rentable en partant.
L’éducation en Colombie-Britannique est différente de ce qu’elle est à Terre-Neuve. Je peux créer un manuel sensationnel pour l’Ontario, mais il sera invendable au Manitoba. Je dois en créer un tout nouveau. Voilà qui n'est pas très efficace au départ. Par conséquent, ce n’est pas un secteur très lucratif et la marge de profit est faible. Ajoutez à cela les interprétations de l’utilisation équitable, ce n’est pas étonnant que des entreprises prennent la décision de se retirer. Cela fait mal à tout le monde, mais surtout aux étudiants.
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Merci, madame la présidente.
J’aimerais avoir 17 minutes. Je ne suis ici que depuis trois ans, et c’est peut-être l’une des rares fois où libéraux, néo-démocrates et conservateurs en arrivent à un consensus à ce sujet.
[Français]
Je veux juste clarifier une chose. Hier, nous avons annoncé de l'aide à la création pour les journalistes, et aujourd'hui, nous discutons des auteurs et du droit d'auteur.
[Traduction]
Je compatis avec M. Blaney et son gouvernement d'alors qui, en 2012, ont visiblement travaillé en très étroite collaboration avec les auteurs, les responsables du droit d’auteur, les universités et les établissements d’enseignement pour en arriver à un accord. Il s'agissait de négocier un compromis équitable, de respecter l’utilisation équitable et la règle des 10 %. Je me souviens d’avoir reproduit des chapitres de cet accord et d’avoir acquitté les droits de reproduction.
Glenn Rollans, qui a comparu devant le Comité, a dit qu'un montant de 26 $ couvrirait tous les tarifs d’Universités Canada. Ces 26 $ par étudiant contribueraient à réduire les 50 millions de dollars qui manquent dans le système. Je dis 50 millions de dollars... j’ai entendu parler de 30 et 50 millions de dollars, mais selon les documents que j'ai ici, il s'agirait de 50 millions de dollars.
Je suis un fier diplômé universitaire. J'ai étudié à l’Université de l’Alberta. J'ai étudié à Oxford. J’ai représenté des universités d’un bout à l’autre du pays en tant que leader étudiant. Ce qui s’est passé, c’est que le gouvernement, le droit d’auteur et les auteurs se sont lancés dans ce qui s’est révélé être un pacte digne de Faust avec un secteur de l’économie que je respecte beaucoup. L’entente conclue en 2012 n’a pas été respectée par les universités. Pourquoi choisissez-vous de payer des honoraires d'avocats et d’aller en cour, sans courir aucun risque, plutôt que de tout simplement payer les auteurs?
Vous pourriez aller voir des leaders étudiants et leur dire: « Mettez sur la table deux bouteilles de vin bon marché ou une bouteille d'un grand cru, ou mettez la moitié d'un jeu vidéo pour vous assurer que les auteurs qui écrivent sur les personnes LGBTQ, les Autochtones, les personnes handicapées, les personnes de couleur et l'histoire canadienne puissent voir leurs livres sur les étagères des universités, en format papier ou numérique. »
Nous nous sommes hissés au premier rang mondial en intelligence artificielle. Les Chinois essaient de nous surpasser. Mais à moins que vous ne régliez ce problème et commenciez à respecter l’entente conclue en 2012, nous n'aurons pas de manuels scolaires canadiens produits par l'intelligence artificielle.
Un casse-tête semblable se pose maintenant avec l’examen du droit d'auteur de 2017. Pourquoi choisissez-vous d’aller devant les tribunaux, alors qu'il n'y a aucun risque? Madame Therrien, permettez-moi de vous faire part de ceci, parce que nous pouvons nous montrer sélectifs dans les décisions à citer. En 2017, le juge Michael Phelan de la Cour fédérale a écrit ceci. Je cite:
Il est tout à fait arbitraire d'établir qu'une limite équitable correspond à 10 % d'une oeuvre, à un seul article ou à toute autre limitation.
Qualitativement, les parties copiées peuvent constituer le fondement même, voire la totalité de l'oeuvre d'un auteur.
Qui plus est, écoutez ceci, c'est tout à fait renversant: « permettre aux universités de copier gratuitement ce pour quoi elles ont déjà payé » n’est pas juste.
Aidez-moi à faire la quadrature du cercle. Pourquoi allez-vous devant les tribunaux, tandis que vous ne risquez rien, plutôt que de vous mobiliser et d'obtenir 26 $ par étudiant pour rémunérer les auteurs?
Merci beaucoup de votre question. Je comprends très bien la passion et l’énergie que vous y mettez. Je dis cela très sérieusement.
C’est une question d’équilibre et de transition. Nous vivons une période de transition qui a commencé avant 2012 et qui, depuis, ne cesse de s'accélérer. En 2011, savions-nous seulement où nous en serions en 2017? Pas vraiment.
Je pense que l’un des défis que le Comité doit relever en ce moment — et que le secteur entier doit relever puisque, comme vous le dites, nous sommes tous interreliés —, c’est d’essayer de prévoir ce que nous devons faire à l’avenir et établir un modèle d’affaires qui nous permettrait à tous, collectivement, d’utiliser au mieux l’argent des contribuables. N’oublions pas que l'éducation est entièrement financée par les contribuables en Ontario et au Canada, donc où utilisons-nous ces ressources, et dans quel but? Dans quelle mesure devrions-nous payer pour les ressources?
Bien sûr que nous devrions payer pour les ressources. Nous continuons de payer pour les ressources. Nous avons déjà abordé la question, alors je ne vais pas répéter, mais nous continuons à nous acquitter des droits d’auteur.
Les modèles d’affaires changent. Nous avons dû changer notre façon d’acquérir des ressources. Nous avons dû nous tourner vers les collections numériques. En même temps, Access Copyright devait sans doute modifier son répertoire. Il semble que les choses évoluent aussi de ce côté-là. Les maisons d’édition ont elles aussi changé leur façon de faire des affaires.
Nous devons continuer d’évoluer ensemble d’une manière qui profite aux contribuables et aux étudiants canadiens, mais qui en même temps respecte le droit à l’utilisation équitable.
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Je comparais devant vous aujourd’hui au nom du Canadian Copyright Institute, une association d'auteurs, de producteurs, d'éditeurs et de distributeurs d’oeuvres protégées par le droit d’auteur. Fondé en 1965, l’Institut cherche à promouvoir une meilleure compréhension du droit d’auteur.
Nous soutenons fermement deux modèles de base pour la rémunération des auteurs et des éditeurs. Le premier est le modèle traditionnel de l’éditeur, selon lequel ce dernier détient et gère les droits des auteurs professionnels et assure la publication, la conception graphique, la production, la commercialisation, la vente et la distribution de leurs oeuvres. Le deuxième est l’exercice et la gestion de certains droits par des sociétés de gestion collective représentant les auteurs et les éditeurs. Les deux modèles sont importants et se soutiennent mutuellement. Les sociétés de gestion collective font des expériences pour fournir à des éducateurs des sources pratiques de matériel protégé par le droit d'auteur et les maisons d'édition continuent d’expérimenter de nouvelles méthodes de diffusion, y compris de nouvelles façons de rendre les oeuvres disponibles.
Avant la création d'Access Copyright, en 1988, qui s’appelait alors CANCOPY, il était coûteux d'obtenir l'autorisation de copier du contenu publié protégé par le droit d’auteur. Aujourd'hui, la société de gestion collective Access Copyright représente plus de 12 000 auteurs et 600 éditeurs canadiens et, en raison d'ententes conclues avec d’autres sociétés de gestion collective, un nombre incalculable d'auteurs et d'éditeurs de partout dans le monde.
Lorsque les autorisations générales d'Access Copyright sont devenues disponibles dans les années 1990, la fastidieuse tâche d'obtenir des autorisations individuelles auprès des détenteurs de droits a été remplacée par des licences collectives négociées, couvrant la plus grande partie des documents protégés par un droit d'auteur. Les licences collectives sont devenues la norme pour la reproduction de contenu dans les écoles et autres établissements d’enseignement, pour qui il était facile, efficace et peu coûteux d'accéder au contenu des publications canadiennes et étrangères d’Access Copyright et de Copibec. Les auteurs et les éditeurs étaient payés par ces sociétés de gestion collective.
Aujourd'hui, la reproduction en masse, systématique et à grande échelle, de contenu protégé par droit d’auteur qui se fait dans les établissements scolaires — sans compensation aucune — vient saboter les modèles de rémunération que je viens de décrire et lèse tant les auteurs que les éditeurs. La reproduction remplace l'achat de livres et d'autres publications auprès des éditeurs, elle se substitue à la demande d'autorisation de reproduire des extraits de publications, principalement auprès des sociétés de gestion collective. Encouragés par la modification de 2012 à la Loi sur le droit d’auteur, qui élargissait les droits d'utilisation équitable au secteur de l'éducation, les établissements d'enseignement ont décidé que la plus grande partie du matériel reproduit n'avait pas à être payée. Ils ont promulgué des lignes directrices arbitraires permettant, par exemple, de reproduire 10 % d’une oeuvre, ou encore un chapitre d'un livre, un article de périodique ou de journal, un poème entier ou une oeuvre artistique complète provenant d'un recueil d'oeuvres diverses.
Ces lignes directrices reflètent plus ou moins les lignes directrices contenues dans les licences que les établissements scolaires avaient négociées avec Access Copyright et auxquelles ils se sont conformés pendant plus de 20 ans, à cette différence près que les nouvelles lignes directrices ne prévoient aucun revenu. Le marché de la vente et de l’octroi de licences pour le matériel protégé par le droit d’auteur est dorénavant sérieusement saccagé, tant pour les éditeurs que pour les auteurs. Dans une industrie où les marges de profit des éditeurs sont étroites et le revenu des écrivains et des auteurs est faible, une réduction de revenus est lourde de conséquences.
Avant de présenter nos recommandations précises, j'aimerais préciser que nous accueillons favorablement les amendements proposés dans le projet de loi d’exécution du budget, le projet de loi , qui vise à accélérer les procédures de la Commission du droit d’auteur, y compris la gestion de cas et les nouveaux échéanciers. Nous affirmons en général notre appui au rôle de la Commission du droit d’auteur dans l’établissement des tarifs et la médiation des différends sur les conditions d'octroi de licences entre les utilisateurs et les sociétés de gestion collective.
Les recommandations que nous présentons au Comité aujourd'hui se divisent en deux catégories toutes deux essentielles au fonctionnement des deux modèles de rémunération que nous avons décrits. Les premières portent sur le matériel pouvant faire l'objet d'une licence de reproduction d'une société de gestion collective, et les autres, sur l’applicabilité et les recours visant à décourager la violation et à encourager les utilisateurs à négocier sérieusement avec les sociétés de gestion collective sur l’utilisation du matériel protégé par le droit d’auteur.
Premièrement, nous recommandons que la reproduction à des fins éducatives dans les établissements scolaires soit clarifiée par des paramètres clairs, par voie de règlements ou à même la Loi sur le droit d’auteur. Il existe déjà un certain nombre d'exceptions précises pour les établissements d’enseignement, mais l'inclusion de l'éducation en tant que fin d’utilisation équitable ouvre la porte à une violation massive du droit d'auteur.
L’Australie offre un exemple de licence obligatoire à l'intention des établissements d'enseignement. Cette licence est délivrée par une société de gestion collective désignée par le gouvernement australien et assujettie à des lignes directrices. Au Royaume-Uni, la reproduction d’extraits d’une oeuvre à des fins éducatives et non commerciales est limitée à au plus 5 % de toute oeuvre pendant une période de 12 mois, et ce, uniquement dans la mesure où aucune licence n’est disponible pour cette reproduction.
Il s’agit d’une exception précise et non d’une catégorie de l'utilisation équitable.
Au Canada, la reproduction aux fins d’éducation devrait être assujettie à l'autorisation d'une société de gestion collective ou du détenteur d'un droit d'auteur. Pour la plupart des établissements d’enseignement, il s'agirait d'une licence globale ou générale, qui consiste soit en un accord négocié entre une société de gestion collective et les utilisateurs de son répertoire — sous réserve de la surveillance de la Commission du droit d’auteur —, soit en un tarif administré par une société de gestion collective et assujetti à l’approbation de la Commission du droit d’auteur, habituellement établi à la suite d'une audience.
Deuxièmement, nous recommandons qu'il soit clairement précisé que les tarifs approuvés par la Commission du droit d’auteur sont obligatoires. Il ne devrait pas y avoir d’incertitude quant à l’application des redevances établies par la Commission. Il est peu probable que le secteur de l’éducation paie volontairement des tarifs.
Troisièmement, nous recommandons l’abrogation d’une disposition introduite dans la Loi sur le droit d’auteur en 2012, qui réduit les dommages-intérêts préétablis imposés aux contrevenants non commerciaux à des montants insignifiants. Tout détenteur d’un droit d’auteur dont l’oeuvre est violée devrait avoir droit à des dommages-intérêts suffisamment élevés pour être dissuasifs, indépendamment du fait que le contrevenant ait une intention commerciale ou non commerciale ou qu’un autre détenteur de droit d’auteur ait choisi de recevoir des dommages-intérêts du même défendeur. Peu d’auteurs ou d’éditeurs ont les ressources requises pour intenter les poursuites nécessaires pour prouver l'existence de dommages réels. L'établissement de dommages-intérêts permet d'éviter autant de poursuites.
Quatrièmement, nous recommandons que les dommages-intérêts préétablis dont disposent les sociétés de gestion collective soient harmonisés à un niveau suffisamment significatif pour assurer une meilleure conformité aux licences et tarifs approuvés par la Commission du droit d’auteur. À l’heure actuelle, les sociétés de gestion collective comme la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, la SOCAN, peuvent opter pour l’attribution de dommages-intérêts dont le montant est de 3 à 10 fois celui des redevances applicables. Ce recours devrait être à la portée de toutes les sociétés de gestion collective, y compris les sociétés comme Access Copyright. Autrement, le paiement rétroactif des redevances applicables est le pire scénario qui puisse arriver à un contrevenant.
Rien ne peut justifier le fait que les musiciens et les auteurs-compositeurs méritent d’être payés pour l’utilisation de leur oeuvre, mais non les auteurs et les artistes visuels. Nous recommandons que toutes les sociétés de gestion collective des droits d’auteur aient le droit de percevoir des dommages-intérêts préétablis d'un montant entre 3 et 10 fois celui du tarif. Ce système, qui fonctionne bien depuis 20 ans pour l'exécution des droits musicaux par les sociétés de gestion collective, devrait être élargi aux sociétés de gestion collective représentant les détenteurs d'autres droits d'auteur.
Nous estimons que des modifications à la Loi sur le droit d’auteur qui iraient dans le sens des recommandations proposées permettront d'assurer aux auteurs et aux éditeurs une rémunération plus équitable tout en offrant aux utilisateurs un meilleur accès aux oeuvres de création. De telles modifications contribueront grandement à rétablir un marché fonctionnel pour le contenu canadien et profiteront à tous les Canadiens.
Merci.
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Oui, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
Merci, madame la présidente et membres du Comité, de m’avoir invité à cette réunion. Je m’appelle Paul Verhaegh et je suis directeur régional pour les Prairies et le Nord de la Professional Writers Association of Canada, la PWAC, une association canadienne qui représente ceux et celles qui ont fait de l'écriture leur profession.
Le droit d’auteur est un instrument fondamental pour nos membres. Sans le droit d’auteur, ils ne seraient pas propriétaires de ce qu’ils produisent. Dans une telle situation, être écrivain serait un passe-temps non rémunéré plutôt qu’un moyen de gagner sa vie.
Deux questions préoccupent particulièrement nos membres. Premièrement, la règle de l’utilisation équitable prévue par la Loi sur le droit d’auteur pour les établissements d’enseignement. Nous croyons que l’exception relative à l’utilisation équitable pour les établissements d’enseignement a fait l’objet d’abus, et ce, aux dépens des éditeurs et des auteurs.
Nous tenons à signaler que cette exception ne peut pas se limiter à la simple mention de l'utilisation équitable. Pour être juste, la mention de l'utilisation équitable devrait préciser que la reproduction partielle d’une oeuvre existante est acceptable lorsqu'elle sert à appuyer ou à illustrer un point soulevé dans un texte éducatif, mais qu'elle ne doit pas constituer le point de départ. La reproduction de plus de quelques pages d’une oeuvre existante — a fortiori celle d’un chapitre entier — devrait être exclue de l’exception et donner lieu au versement d'une compensation. Transformer le droit d’auteur en « droit de reproduction » mine le secteur de l’édition et ruine la profession d’écrivain.
Le deuxième point porte sur la prolongation de la durée de protection du droit d'auteur de 50 à 70 ans après le décès du créateur. C'est déjà le cas dans de nombreux pays, mais pas au Canada, du moins pas encore. La Professional Writers Association of Canada a tendance à favoriser la prolongation.
Certains diront qu’une telle prolongation ne profite qu’aux héritiers du créateur et non au créateur lui-même. Nous ne voyons pas dans cet argument une raison de ne pas étendre la protection du droit d’auteur, puisque dans notre société, c’est la règle et non l’exception que les héritiers profitent de ce qu’une personne disparue a créé et produit au cours de sa vie.
En dernier lieu, j’aimerais faire une remarque générale au sujet de la Loi sur le droit d’auteur. Nous vivons à une époque d'avancées technologiques rapides, et le rythme auquel les nouvelles technologies apparaissent n'est pas près de ralentir. Les lois, y compris les lois sur le droit d’auteur, ne dureront que si elles sont suffisamment fonctionnelles pour faire une place aux futurs développements technologiques. Par conséquent, la Professional Writers Association of Canada dit ceci: acceptez et assumez le changement technologique, mais protégez les droits de propriété des créateurs.
Merci beaucoup.
Je m’appelle Doreen Pendgracs. Je viens du Manitoba et je suis la vice-présidente nationale de la PWAC. Nous sommes très heureux de pouvoir participer à la discussion.
J’étais présente durant l’heure précédente et j’ai été heureuse de voir témoigner la Writers’ Union of Canada, dont je fais partie également, car je suis une auteure hybride. J’écris des livres et j’ai l'habitude d'être publiée, j'ai aussi publié à compte d'auteur, je fais de la rédaction à la pige et un certain nombre d’autres choses.
Ce que je tiens à dire surtout, c’est que la plupart des auteurs de nos jours doivent s'adonner à d’autres activités pour avoir de quoi vivre parce que, comme vous l’avez entendu durant l'heure précédente, le revenu annuel moyen d’un auteur pigiste est de 9 400 $, ce qui est très en deçà du seuil de pauvreté, j'en suis sûre. La plupart des auteurs prennent donc d’autres emplois afin de pouvoir survivre et payer leurs factures.
Quant à moi, je gagne plus d’argent en parlant de mon art qu'en le pratiquant comme tel, ce qui comprend des sujets comme la vente de livres, la rédaction d’articles à la pige et la pratique d'autres genres d’écriture.
Le métier d'écrivain en a beaucoup perdu depuis que la numérisation s'est répandue. J’ai commencé à faire de la pige en 1993; dans les années 1990 et même au début des années 2000, je pouvais tirer un revenu très décent de mon écriture, mais lorsque le monde numérique s’est ouvert, les tarifs ont dégringolé. Il y a maintenant un très grand nombre d’auteurs qui écrivent gratuitement, juste pour se faire connaître, parce qu’on leur dit que cela leur donnera la visibilité nécessaire pour accéder à un marché plus lucratif, mais ce n’est pas vrai: une fois qu’on se retrouve dans le ghetto des auteurs qui travaillent pour presque rien, il est très difficile d’en sortir.
Par conséquent, nous avons dû pour la plupart nous trouver d’autres gagne-pain, parce que nous nous faisons évincer. Les auteurs qui gagnaient bien leur vie et qui écrivaient à un dollar ou à deux dollars le mot doivent maintenant se contenter de 50 cents le mot dans bien des cas, parce que de nombreuses publications ont réduit leurs tarifs. Certaines ne paient rien du tout pour du contenu et n'offrent rien d'autre que de la visibilité.
Je suis un écrivain de voyage, j’aime bien me déplacer là où mon écriture m'appelle, mais il y a de plus en plus de gens dans la population — les nouveaux retraités — qui pratiquent gratuitement ce genre d'écriture, parce qu’ils n'ont pas de souci d'argent. Ils veulent juste faire un voyage.
En tant qu’auteurs professionnels, nous voyons bien que nous sommes aux prises avec tellement de groupes différents qui se fichent d'être payés ou non. Les plus gros, je suppose, sont les moulins à contenu qui sévissent en Inde et au Pakistan. Ces gens-là vont écrire pour rien ou vendre pour cinq dollars un article complet, parce que c’est le tarif dans leur marché.
J’ai été très encouragée d'entendre durant l'heure précédente que certains membres du Comité comprennent l’importance d’Access Copyright et de ses efforts pour protéger les droits des écrivains. J’ai siégé au conseil d’Access Copyright pendant six ans à titre de membre de la communauté des créateurs, et j’attachais une grande importance à ce que nous faisions.
Malheureusement, Access Copyright n’est plus que l’ombre de ce que c'était. Les revenus ont tellement baissé qu’on a dû réduire les locaux et le personnel et qu'on n'est plus en mesure d’offrir le même genre de service aux membres. En outre, comme vous l’avez entendu tantôt, il y a trois fois plus de membres qu’avant, alors les gens s'agglutinent là en pensant que cela va les aider, mais au bout du compte, ce n’est pas le cas.
Il y a tellement de choses qui empêchent les auteurs de bien gagner leur vie. Quelqu’un a dit quelque chose durant l'heure précédente que je tiens à réfuter: c'est l’idée que le Conseil des arts du Canada a un programme de prêts publics qui procure un revenu aux auteurs. Ces programmes ne paient pas de redevances pour les oeuvres non romanesques, comme les guides de voyage ou les livres de croissance personnelle, et malheureusement pour moi, mes livres n’ont jamais été admissibles parce qu’il s’agit surtout de guides de voyage. J’ai écrit un livre sur le bénévolat; on m’a dit que c'était un livre de croissance personnelle et on l’a disqualifié.
Ces programmes existent certes, mais ils aident surtout les auteurs d'oeuvres littéraires, et c’est la même chose avec les subventions du Conseil des arts. Il y a donc tout un groupe d’auteurs comme nous qui sont laissés pour compte et qui essaient de gagner leur vie, mais cela devient de plus en plus difficile.
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Madame la présidente et membres du Comité, je vous remercie de nous avoir invités à venir témoigner devant vous aujourd'hui.
Je me présente, Arnaud Foulon, vice-président du Groupe HMH et président de l'Association nationale des éditeurs de livres, ou l'ANEL. Je suis accompagné de Johanne Guay, vice-présidente à l'édition du Groupe Librex et présidente du comité du droit d'auteur et du droit des membres de l'Association. Notre directeur général, Richard Prieur, est également parmi nous.
L'ANEL regroupe une centaine de maisons d'édition canadiennes de langue française de toutes tailles et établies dans quatre provinces. Ces maisons publient annuellement environ 5 000 titres, allant du roman au guide pratique, en passant par l'ouvrage scientifique, le manuel scolaire, le livre d'art, la poésie ou le théâtre.
Historiquement, l'ANEL a toujours plaidé pour une réaffirmation et un renforcement du droit d'auteur. En 2009, nous présentions un mémoire à Patrimoine canadien et à Industrie Canada sur la réforme du droit d'auteur à l'ère numérique. En 2012, nous proposions plusieurs amendements dans notre mémoire déposé auprès du comité législatif chargé du projet de loi . Aucun des amendements présentés alors ne fut retenu.
Nous nous retrouvons devant vous, en 2018, pour discuter des modèles de rémunération des créateurs, alors que les technologies bouleversent les modèles traditionnels. Soyons clairs, il est ici question de la valeur associée aujourd'hui à une oeuvre au regard du travail investi pour la créer, la produire, la diffuser et, ultimement, du prix que l'utilisateur est prêt à débourser pour y avoir accès.
Nous souhaitons échanger sur la façon dont le numérique et les technologies continuent de modifier notre métier, mais également sur les changements dans les habitudes des lecteurs et l'utilisation qui est faite des oeuvres littéraires. À cet effet, nous aborderons brièvement quelques points. D'abord, nous ferons une lecture de l'impact de cette loi sur les éditeurs et les citoyens canadiens. Ensuite, nous donnerons un exemple de ce que cette loi n'a pas accompli. Enfin, nous ferons une réflexion sur le métier d'éditeur à l'ère du numérique, et nous terminerons sur nos attentes à la suite de cet exercice.
Espérons que le secteur du livre et, plus largement, celui de la culture canadienne, seront mieux écoutés cette fois-ci et que votre travail redonnera aux créateurs un cadre légal leur assurant la stabilité nécessaire pour innover dans la création, la production et la diffusion de livres canadiens. Le droit d'auteur a toujours été et reste un droit de nature économique destiné spécifiquement à rémunérer le travail des créateurs et à réguler le marché des oeuvres de l'esprit.
Depuis sa modernisation, en 2012, la Loi canadienne sur le droit d'auteur, fortement critiquée sur la scène internationale, est devenue l'exemple à ne pas suivre. Cette mauvaise réputation est surtout due à l'ajout de plusieurs exceptions, dont celle à des fins d'éducation. En plus de ne pas respecter le test en trois étapes de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, dont le Canada est signataire, la Loi a eu et continue d'avoir un impact économique considérable sur l'édition canadienne et ses auteurs.
Ces cinq dernières années, les distributions de redevances ont chuté de 80 % pour Access Copyright. Au Québec, la Société de gestion collective des droits de reproduction, ou Copibec, a vu la redevance universitaire par étudiant diminuer de près de 50 % et le montant perçu par un titulaire de droits par page reproduite chuter de 23 %. Le résultat en est que les redevances versées aux auteurs et aux éditeurs dégringolent alors que, paradoxalement, la population étudiante grimpe.
Je ne m'attarderai pas sur la question des pertes de revenus des sociétés de gestion, mais je veux m'arrêter sur l'opposition au secteur du livre que manifestent les établissements d'enseignement et les associations étudiantes. Cette opposition, nous devons le souligner, découle principalement de deux décisions de la Cour suprême, en 2004 et en 2012. En créant un droit des usagers, reconduit dans les larges exceptions d'utilisation équitable dans la Loi de 2012, particulièrement dans le domaine de l'éducation, on évacue la réflexion sur la place des créateurs dans le développement de la culture de nos sociétés. Pire, on associe le droit d'auteur à un principe malsain qui limite l'accès aux oeuvres de l'esprit, ce qui est évidemment complètement fallacieux. Au contraire, depuis maintenant une cinquantaine d'années, les milieux de l'éducation et de l'édition collaborent pour offrir aux élèves et aux étudiants un accès à des manuels scolaires et à une littérature nationale diversifiée, riche et de grande qualité.
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Je vais parler de ce que la Loi de 2012 n'aura pas réussi à accomplir.
Comme l'ANEL le mentionnait récemment dans son témoignage devant le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie, cette loi n'aura pas réussi à contrer le piratage. Non seulement celui-ci prolifère, mais les outils mis en place pour effrayer les contrevenants sont inefficaces. En laissant reposer le fardeau de la preuve sur le titulaire de droits bafoué, en minimisant les peines, en n'imposant qu'un régime d'avis et avis aux fournisseurs d'accès Internet, le législateur n'a pas rempli son mandat, comme en témoigne l'augmentation des dépenses des éditeurs en frais juridiques pour défendre leurs auteurs. Le gouvernement doit resserrer les règles pour contrer le piratage, ou tout au moins élargir le régime de copie privée aux appareils de lecture et de partage de contenu.
Le législateur doit s'assurer que les Canadiens sont sensibilisés au respect du droit d'auteur et à l'utilisation qu'ils peuvent faire des oeuvres, surtout lorsque celles-ci sont numériques. On confond systématiquement « accessibilité » et « gratuité ». Or, alors que l'accessibilité est un faux problème, la gratuité est parfaitement illusoire: l'utilisateur achète de plus en plus d'appareils électroniques et de logiciels, dont la courte durée de vie force une réinvestissement périodique, et il s'abonne de plus en plus à des services en ligne.
Les priorités glissent des contenus aux contenants, pendant que la valeur des biens se déplace des contenus vers les technologies pour accéder à ces contenus, contribuant ainsi à la dévaluation des biens culturels et aux pertes de revenus des ayants droit. Alors que le prix des abonnements à ces services technologiques augmentent, les ventes de livres, elles, diminuent.
Les données du Fonds du livre du Canada montrent une baisse des ventes nettes des ouvrages canadiens de plus de 63 millions de dollars entre 2010 et 2017, avec une chute importante entre 2011 et 2013 de plus de 41 millions de dollars. Seulement pour le secteur de l'édition francophone, on note une diminution de 30 millions de dollars. Pour le Québec, les données de l'Observatoire de la culture et des communications du Québec indiquent une baisse de plus de 119 millions de dollars des ventes totales de livres neufs entre 2010 et 2017.
Je vais maintenant parler du développement du numérique chez les éditeurs.
Aujourd'hui, nous publions à la fois des oeuvres en formats papier et numérique, et nous explorons de plus en plus la production et la commercialisation du livre audio et multimédia. Ces nouveaux formats nécessitent à la fois une adaptation à l'interne par nos maisons d'édition et un investissement financier, mais également par les autres acteurs du secteur du livre.
Les éditeurs constatent que le développement du numérique amène un réinvestissement qui n'est nullement compensé par une augmentation des revenus. Plusieurs estiment que la part de la chaîne de valeur qui leur revient ne correspond pas à l'importance du travail qu'ils font. Ce réinvestissement n'est pas uniquement associé à la création de livres numériques et au développement de nouvelles compétences, mais aussi aux nouvelles pratiques de commercialisation du livre papier dans le monde numérique.
Il faut comprendre que le risque financier de l'éditeur revient à l'éditeur; c'est l'éditeur qui paie. Dans le cas d'une production numérique, les salaires moyens en culture sont loin d'être ceux du domaine des technologies. L'industrie du livre ne doit pas être définie par un format, mais jugée sur la valeur des contenus et sur sa capacité à en créer; c'est notre métier.
Sur ce point, je voudrais dire un mot sur la volonté des ministères de l'Éducation de rendre les écoles et les établissement d'enseignement de plus en plus numériques.
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Il n'y a pas de problème.
En conclusion, je dirai simplement qu'il est urgent que le gouvernement mette à contribution tous ceux qui profitent du travail des créateurs canadiens, sans quoi on risque de se retrouver devant des classes qui possèdent le dernier cri en matière de tableaux blancs interactifs, mais sans contenu de qualité pour justifier leur utilisation à des fins éducatives.
Qu'attendons-nous du législateur? Qu'il remplisse sa mission de travailler à ce que cesse la contrefaçon, que la Loi ait du mordant et, s'il n'arrive pas à mettre en place ne serait-ce que de pistes de solutions, qu'il se convainque enfin que la copie privée n'est pas une taxe, mais un soutien à la culture.
Nous nous attendons à ce qu'il revoie le principe d'utilisation équitable à des fins d'éducation en définissant étroitement l'éducation et en restreignant les interprétations prodigues du milieu de l'enseignement.
Nous nous attendons à ce qu'il mette en oeuvre une promotion efficace du droit d'auteur et de son respect auprès des utilisateurs, particulièrement dans les milieux de l'éducation.
Finalement, il faudrait qu'il responsabilise les fournisseurs d'accès Internet en exigeant qu'ils informent leurs abonnés sur le droit d'auteur et qu'ils collaborent au retrait de l'accès aux contrevenants, le cas échéant.
Au nom du vibrant milieu de l'édition francophone canadienne, nous vous remercions de votre attention.
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Vous soulevez plusieurs éléments dans vos questions.
Pour commencer, l'Association regroupe effectivement des éditeurs de partout au Canada, dont un nombre important d'éditeurs francophones hors Québec. Pour la culture canadienne, ces éditeurs sont d'une importance capitale. Il est donc essentiel de les écouter, de les entendre et de les respecter.
Je reviens maintenant à ce que vous disiez sur l'utilisation équitable et la baisse de revenus qui en découle et qui a une incidence tant sur les auteurs et les éditeurs que sur les ayants droit. De toute évidence, l'approche retenue, qui permet une définition floue du terme « équitable » et laisse aux tribunaux le soin de résoudre les questions qui pourraient survenir, a engendré des coûts. Il y a eu des cas, au Québec et dans d'autres provinces, où les éditeurs ont dû investir de l'argent et embaucher des conseillers juridiques pour faire respecter les droits de certains auteurs.
Il faut comprendre ce qui suit. Tout à l'heure, nous parlions des coûts associés à un livre. Le premier engagement que prend l'éditeur est envers l'auteur. Dans le contrat qu'il signe avec l'auteur, l'éditeur s'engage à faire respecter et rayonner l'oeuvre. Or, aujourd'hui, il y a une légère distorsion dans la Loi en vertu de laquelle le rayonnement de l'oeuvre par le biais de l'utilisation équitable qu'en font certaines institutions d'enseignement échappe un peu au cadre du droit d'auteur auquel nous sommes attachés. En effet, nous avons signé une entente avec notre auteur pour faire respecter ce droit.
Or c'est là que survient la baisse de revenus dont il est question. Cette utilisation, qui est faite de manière équitable par certains, mais beaucoup moins équitable par d'autres, favorise un rayonnement parallèle de l'oeuvre qui se confond avec celui résultant du piratage et d'autres réalités dont parlait également ma collègue Mme Guay. Ne nous faisons pas d'illusions: le piratage existait avant l'ère numérique. Le secteur numérique n'a pas inventé le piratage, mais il l'a beaucoup aggravé.
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Merci, madame la présidente.
Que c'est dur, n'est-ce pas, d'être dans le marché de la création?
Personnellement, j'ai vécu la descente aux enfers du milieu musical après 22 ou 23 ans dans ce domaine. C'est vrai que cela n'a jamais été plus difficile que maintenant,mais, comme vous le dites, nous ne partons pas de très haut. Alors, ce n'est pas si mal.
Je crois que tout le monde a été surpris d'entendre que seulement 10 % de la vente des livres revenaient à l'auteur. Je ne dis pas cela pour blâmer les éditeurs, mais plutôt pour constater l'état de la situation. Ce sont des normes internationales. Le Québec a suivi. C'est la même chose du côté de l'édition de la musique, où 50 % reviennent à l'auteur et 50 % à l'éditeur. Ce sont des normes.
C'est inévitable puisque nous menons une étude qui nous fait constamment découvrir de nouveaux enjeux. Nous avons bien compris — j'ai entendu M. Blaney en parler tout à l'heure — que vous êtes une personne de plus à ajouter à liste des gens dont l'utilisation équitable est allée trop loin. Cela a créé des dommages, bien évidemment.
Il me semble que, ce matin, c'est la première fois que nous apprenons la valeur des pertes liées au piratage. Kim Thúy est ma voisine d'en face. Je ne savais pas qu'elle se faisait voler sur Internet à ce point.
En matière de vol de musique, nous l'avons vécu depuis belle lurette avec le pair à pair. Depuis qu'il y a une offre légalisée, comme iTunes et d'autres, cela a fait que les gens y vont moins. Toutefois, nous avons bien entendu dire qu'il est possible, de nos jours, d'enregistrer sur ordinateur des contenus diffusés en continu. Les gens vont sur les services de diffusion en continu et volent des contenus.
En ce qui concerne le piratage de textes, par exemple le fait qu'un ouvrage de Mme Thúy se retrouve sur une plateforme illégale, quel est le processus? Est-ce cela fonctionne comme Napster, est-ce un pair à pair?
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Merci bien, madame la présidente.
J'aimerais commencer par dire qu'il serait très important, à un moment donné, de savoir si les collègues de M. Blaney, MM. Yurdiga et Shields, qui siègent au Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie, sont d'accord sur la perspective de M. Blaney sur la question de l'utilisation équitable. Cela reste à voir.
[Traduction]
Monsieur Harnum, j’ai fait quelques recherches. Je veux savoir si votre boule de cristal en 2018 est aussi bonne qu’en 2009. Voici un extrait du rapport que votre organisme a présenté à des comités semblables avant l’examen de 2012. Votre opinion était télégraphiée vu qu'on disait dans le titre même que l’utilisation équitable n’était pas une bonne idée.
Voici ce que vous déclariez:
On a décrit l'utilisation équitable comme un système extrêmement mauvais qui ne vaut guère plus que le droit d’embaucher un avocat.
On peut lire ensuite que le Royaume-Uni, l’Union européenne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande étaient contre ces méthodes et qu'il y avait amplement de recours dans la loi canadienne pour protéger les auteurs tout en permettant aux gens d’avoir accès à ce matériel.
Voici ce qui m'intéresse vraiment dans ce que vous disiez à l’époque:
Loin de résoudre les problèmes de droit d’auteur, l'utilisation équitable ne ferait que les exacerber. Ses inconvénients sont nombreux. L'utilisation équitable provoquerait de l’incertitude, des poursuites coûteuses et laisserait les décisions importantes en matière de politique publique aux tribunaux plutôt qu’au Parlement. Elle réduirait les revenus des créateurs canadiens, qui sont essentiels à leur croissance autonome. Elle minerait les modèles légitimes d’octroi de licences, y compris les licences collectives de droits d’auteur.
C’est un rapport très prémonitoire qui date de 2009.
Nous savons qu’il y a encore de belles réussites. Nous savons que les créateurs canadiens exportent du contenu. Il y a la foire du livre de Francfort. Nous savons que des histoires canadiennes sont transposées au cinéma et que des gens sont payés pour cela.
On nous dit que le secteur de l’éducation est un véritable gâchis. Nous avons parlé plus tôt aujourd’hui du tarif de 26 $ imposé aux universités. De la maternelle à la 12e année, c’est 2,41 $ que les conseils scolaires ne sont pas prêts à payer pour s’assurer que les auteurs reçoivent leur juste part. Ce n’est même pas deux ou trois tablettes de chocolat dans ce pays, et certainement moins qu’un café latté pour l’enseignant, alors je ne comprends pas.
Nous avons maintenant un régime où nous tenons le bâton, c’est-à-dire le tarif. Il faudrait aussi une carotte pour que tout le monde puisse jouer à égalité sur le terrain, pour que nos belles histoires soient publiées, que vous soyez payés et que les éducateurs puissent éduquer? Reste-t-il des carottes, ou sommes-nous maintenant enfermés dans un cadre où il n'y a que le bâton?
Je m'adresserai ensuite à vos collègues ici présents, mais à vous d'abord, monsieur Harnum.