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Bonjour à tous. Je crois que nous devrions commencer la réunion maintenant.
Ce matin, nous accueillons un premier groupe de témoins, qui représentent l'Association des nouvelles radio, télévision et numériques.
Messieurs Koenigsfest et Andy LeBlanc, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez 10 minutes pour présenter votre exposé, puis nous vous poserons des questions.
Vous connaissez le sujet de notre étude et les questions auxquelles nous cherchons des réponses. Nous souhaitons recueillir des commentaires en vue de déterminer si les Canadiens ont accès à des nouvelles locales, à une programmation régionale et à du contenu canadien, et ce, indépendamment de l'endroit où ils vivent au pays et de la plateforme médiatique qu'ils consultent. Nous cherchons aussi à savoir si la concentration des médias a eu une incidence sur cet accès, et si les médias numériques ont favorisé ou entravé cet accès. Enfin, nous nous tournons vers l'avenir, en vue de définir comment favoriser l'élaboration de lois, de politiques et de programmes qui assureront aux Canadiens l'accès à nouvelles locales et à du contenu local, régional et canadien.
Monsieur, je vous cède la parole.
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Bonjour madame la présidente, bonjour mesdames et messieurs les membres du comité.
Je vous remercie de nous donner l'occasion de présenter notre exposé et de répondre à des questions concernant des enjeux qui revêtent une importance cruciale pour les Canadiens.
Je suis Ian Koenigsfest, président de l'Association des nouvelles radio, télévision et numériques du Canada, ou RTDNA Canada, d'après l'acronyme anglais. Je suis accompagné d'Andy LeBlanc, ancien président de l'Association et membre du comité directeur de celle-ci.
Au cours des prochaines minutes, nous vous expliquerons comment notre association renforce le journalisme au Canada grâce à un code de déontologie actualisé, nous vous parlerons de notre congrès national et de notre programme de prix et nous vous ferons part de nos recommandations visant à assurer la viabilité du journalisme local au pays.
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Je vais commencer par vous présenter un bref historique de notre association.
Les origines de RTDNA Canada remontent à 1962. À la fin des années 1950 et au début des années 1960, quelques directeurs de l'information du domaine de la radio et de la télévision faisaient partie de l'association américaine des directeurs de l'information radio-télévision.
En 1962, ils ont décidé de créer un pendant canadien de cet organisme, et c'est ainsi qu'est née l'Association canadienne des directeurs de l'information radio-télévision. Quarante-neuf ans plus tard, soit en 2011, celle-ci a été rebaptisée Association des nouvelles radio, télévision et numériques afin de tenir compte du contexte technologique d'aujourd'hui et d'inclure le journalisme numérique dans son mandat, en plus du journalisme en radiotélédiffusion. Ce changement a également été l'occasion d'étendre l'adhésion, jusqu'alors réservée aux directeurs de l'information ou aux chefs des nouvelles, à l'ensemble des journalistes actifs.
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Notre programme de prix, qui récompensent les journalistes en radiotélédiffusion, et maintenant ceux qui oeuvrent pour des médias numériques, a été lancé il y a 50 ans et, encore aujourd'hui, un prix décerné par la RTDNA est considéré comme une grande marque de reconnaissance de l'excellence en journalisme.
Malgré les préoccupations concernant l'industrie de la radiodiffusion et le journalisme local, notre programme de prix n'a jamais été aussi solide. Nous avons reçu plus de 700 candidatures cette année. Des prix sont remis dans des dizaines de catégories concernant du contenu vidéo, audio et numérique, d'abord dans chacune des quatre régions du pays — donc à l'échelle locale —puis à l'occasion de notre congrès national.
En plus de décerner des prix régionaux et nationaux, la RTDNA souligne les contributions exceptionnelles à l'industrie grâce à son prix d'excellence pour l'ensemble des réalisations et son prix du président. Ces prix ont notamment été remis à des personnes comme Lloyd Robertson, Linden MacIntyre, Vicki Gabereau, Robert Hurst, Henry Champ, Lowell Green, Rex Murphy, Craig Oliver, Dick Smyth, Knowlton Nash et Jack Webster.
Le mois prochain, nous rendrons hommage à Peter Mansbridge, à Tom Clark et à Lisa LaFlamme à l'occasion de notre congrès national.
L'an dernier, le prix du président a été remis symboliquement aux journalistes canadiens. Voici un extrait du texte de présentation:
En tant qu'association, nous sommes extrêmement fiers de notre code de déontologie, qui a été mis à l'épreuve à maintes reprises [...] Ce code est considéré comme la norme en matière d'excellence en journalisme [parlé] et numérique au Canada [...] Au sein de notre industrie, les fondements de la liberté journalistique ont été profondément menacés, et nos membres n'ont pas manqué à leur devoir.
C'est pourquoi, en 2015, RTDNA Canada a décerné son prix du président aux journalistes canadiens, qui ont fermement défendu les valeurs énoncées dans le code de déontologie, mais également l'essence même de l'intégrité journalistique.
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Nos fondateurs ont suivi les normes et les pratiques de l'association américaine jusqu'à ce que RTDNA Canada adopte son propre code de déontologie en 1970. Des changements mineurs ont été apportés à celui-ci au fil des ans, mais au cours de la dernière année, il a fait l'objet d'une importante refonte. Si nos membres acceptent les modifications proposées lors du congrès national, le nouveau code d'éthique journalistique remplacera le code actuellement en vigueur, qui est appliqué par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision, le CCNR, pour juger du bien-fondé des plaintes formulées par le public. Le CCNR a adopté la nouvelle version du code; il ne reste donc plus qu'à obtenir l'aval de la RTDNA.
Avec ce nouveau code, nous voulons encourager tous les journalistes actifs à respecter le code d'éthique journalistique de la RTDNA et à s'en servir pour guider leur travail, en plus des normes et des pratiques adoptées par les services de nouvelles et les journalistes indépendants. Le nouveau code s'applique à toutes les plateformes. Notre code de déontologie a servi de norme aux diffuseurs canadiens; nous espérons maintenant qu'il servira à départager les sources de contenu en ligne qui relève de l'information journalistique des imposteurs qui présentent de l'information tendancieuse ou qui désinforment délibérément le public.
Bien que nous nous réjouissions de la liberté d'expression qui existe au Canada, nous devons nous veiller à ce que le public continue d'avoir accès à de l'information factuelle, neutre et objective qui lui permet de se renseigner et de se faire une opinion et grâce à laquelle la population et les législateurs sont en mesure de prendre des décisions éclairées.
Le code actuellement en vigueur comporte 14 articles; la nouvelle version proposée est divisée en cinq grands aspects: l'exactitude, l'esprit d'équité, l'indépendance, l'intégrité et le respect. Ce code, comme c'est généralement le cas de documents du genre, vise à protéger l'intérêt public. Des faits exacts et dignes de foi rapportés de façon impartiale et indépendante en sont la raison d'être, tout comme ils constituent le fondement du journalisme.
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Certaines des possibilités sur lesquelles votre comité pourrait se pencher comprennent les suivantes.
Premièrement, la RTDNA recommande que le mandat du Conseil canadien des normes de la radiotélévision, le CCNR, soit élargi de manière à inclure les journalistes des médias électroniques qui s'engagent à respecter notre code d'éthique journalistique. Le CCNR pourrait traiter les plaintes officielles concernant ces journalistes de la même manière qu'il le fait actuellement dans le cas des radiodiffuseurs conventionnels. Deuxièmement, la RTDNA recommande que des capitaux de démarrage soient accordés aux sites de nouvelles en ligne véritablement locales qui s'engagent à respecter les normes journalistiques. Troisièmement, la RTDNA pourrait administrer, en collaboration avec des représentants de l'industrie, un fonds qui contribuerait à assurer la viabilité de la couverture de l'actualité locale dans des municipalités de partout au pays. Quatrièmement, la RTDNA recommande que des fonds soient alloués pour financer la recherche concernant l'incidence de la concentration des médias sur la qualité du travail journalistique à l'échelle locale et nationale ainsi que les répercussions sur des collectivités de l'ensemble du Canada de facteurs en constante évolution qui touchent le journalisme parlé, écrit et électronique.
En conclusion, nous demandons également au comité de tenir compte du fait que le journalisme local est un élément essentiel de la démocratie canadienne.
Nous vous remercions encore une fois, madame la présidente, messieurs, mesdames, de nous avoir donné l'occasion de vous faire part de notre point de vue.
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J'ai toujours pensé que votre organisation avait une approche descendante et axée uniquement sur les directeurs de l'information. Dans les petits marchés et les moyens, votre remise de prix national faisait courir tout le monde en février. Bien franchement, les journalistes de la salle de nouvelles n'en savaient rien avant la nomination de leur reportage pour le prix national.
Je vais me monter très critique, car j'ai travaillé dans une salle de nouvelles pendant 39 ans. Les reporters ne se sont jamais vraiment reconnus dans votre organisation. Celle-ci a toujours privilégié une approche descendante. Les directeurs de l'information allaient à vos réunions. Ils ne nous en disaient jamais rien, sauf si votre organisation tenait sa réunion annuelle dans notre ville cette année-là.
La situation s'est-elle améliorée? Si je puis me permettre, nous n'entendions jamais parler de vous à moins que la réunion annuelle n'ait lieu à Saskatoon. Dans le cas d'une nomination pour un prix national, si l'on savait à l'avance qu'un prix m'attendait, je pouvais alors avoir la chance d'aller à Brandon, ou à Winnipeg, ou à l'endroit où vous teniez votre réunion.
Je trouvais que votre organisme avait une approche descendante et qu'elle ne ralliait pas les journalistes. Est-ce que les choses ont changé au cours des trois ou quatre dernières années?
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Oui, et je vous remercie de votre question.
Nous sommes allés à Saskatoon en 2006, si je ne m'abuse. Je crois que c'est la dernière fois que nous y sommes allés. En 2011, lorsque nous avons changé le nom de l'organisation, nous l'avons aussi réaiguillée pour indiquer qu'elle n'était pas seulement pour les directeurs de l'information, mais ouverte aux journalistes. Je dirais qu'il y a eu un virage important dans le fonctionnement de l'association, pour la rendre plus accueillante envers les étudiants, par exemple, et les journalistes. Lors du dernier congrès, les journalistes qui assistaient aux présentations étaient probablement plus nombreux que les directeurs de l'information et les chefs de nouvelles.
C'est une critique qui est fondée, mais je dirais que le réaiguillage a débuté en 2011. Nous continuons d'en faire un groupe ouvert et diversifié. Notre intention, maintenant que nous avons notre nouveau code de déontologie, est d'aller encore plus loin pour rallier le plus grand nombre de personnes possible.
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Voilà l'orientation à prendre, et je crois que vous le savez. Vous devrez obtenir le concours de quelques journalistes.
Dans bien des salles de nouvelles au pays, il n'y a pas de perfectionnement professionnel. On procède par tâtonnement, et si l'on rate son coup, on se retrouve dans le bureau le lendemain. Il faut s'occuper de cette question au Canada, car de nombreux directeurs de l'information sont tellement occupés par leurs tâches administratives à l'heure actuelle qu'ils n'ont pas le temps de s'occuper des journalistes et des réalités quotidiennes afin d'améliorer la qualité du produit en onde.
Vous avez fait valoir, et vous avez entièrement raison, que nous travaillons de très longues heures. Tous les bureaux journalistiques du pays doivent combler les heures, et bon nombre d'entre eux en font plus, mais la qualité n'est pas au rendez-vous, comme vous l'avez souligné.
J'aimerais que vous nous parliez de la façon dont nous allons permettre aux journalistes de se rattraper, car j'ai remarqué que la qualité du journalisme au Canada au cours des 40 dernières années s'est grandement détériorée.
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Je venais d'un marché classé C ou peut-être B. Avec la diminution de la radiodiffusion à Red Deer, à Kamloops et dans tous ces petits marchés, j'ai vu des journalistes qui ont eu des difficultés lorsqu'ils sont arrivés dans un marché de moyenne envergure.
Par le passé, les journalistes apprenaient le métier dans de très petits marchés avant de passer à ceux de moyenne envergure. Aujourd'hui, il n'y a plus de petits marchés. Je pense que c'est là où je veux en venir. Peut-être que votre organisation devrait se concentrer sur ce point, car les personnes au bas de l'échelle dans les salles de nouvelles ont beaucoup de difficultés, à l'heure actuelle.
Elles arrivent avec fort peu d'expérience. Les salles de nouvelles ne consacrent pas suffisamment de temps au perfectionnement professionnel. D'ailleurs, pendant les 40 ans où j'ai travaillé dans la radiodiffusion, il n'est jamais arrivé que l'on prévoie du temps pour le perfectionnement professionnel.
Pouvez-vous en parler, car le perfectionnement professionnel est inexistant, il n'y en a jamais d'offert. Aucune salle de nouvelle n'offre du perfectionnement professionnel. La gestion se fait au jour le jour, 24 heures sur 24, 7 jours semaine. Tant qu'il n'y a pas de gaffe, personne n'a de compte à rendre.
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Merci, madame la présidente.
[Traduction]
De toute évidence, le marché est en évolution.
[Français]
Je vous remercie d'être ici pour présenter un point de vue intéressant, soit celui des gestionnaires des différents services de nouvelles.
Je constate une évolution dans le domaine de l'information. À l'époque où votre organisation a été créée, la télévision venait d'apparaître. Elle devenait soudainement un média professionnel, parallèlement aux médias imprimés. Comme le soulignait ma collègue Mme Dabrusin, vous vous retrouvez maintenant en concurrence avec des membres de nouveaux médias que vous essayez d'intégrer. Ils sont venus changer la donne.
C'est comme si l'information était en danger, comme si la démocratie était en danger du fait que nous recevons de moins en moins d'information. Je constatais encore ce matin, en écoutant TVA, que le même journaliste était affecté à la fois aux incendies, à la grève des ingénieurs de la Ville de Montréal et à l'accueil des réfugiés à l'aéroport Trudeau. Il n'y a plus de journalistes spécialisés. Ils doivent toucher à tout, à tout moment. La situation est la même à Radio-Canada.
J'ai l'impression que les journalistes et les directeurs de nouvelles vous fournissent directement des informations. Collaborez-vous aussi avec des organisations internationales? Nous savons que le problème est mondial. La démocratisation de l'information, notamment avec YouTube, dont le principe est de s'exposer à l'écran, est un phénomène mondial. Ainsi, tout le système est mis au défi.
Avez-vous des échanges avec d'autres organisations du même type que la vôtre sur le plan international, ailleurs qu'aux États-Unis?
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En parlant de l'actualité locale et des médias, vous avez dit quelque chose de fort intéressant à propos des médias sociaux et de l'actualité locale. Vous avez dit que les médias grand public tiennent encore le haut du pavé, ou, du moins, qu'ils sont mieux disposés à l'égard de l'actualité locale que les médias sociaux. Pourtant, les médias sociaux sont de plus en plus souvent les médias. Ils deviennent de plus en plus grand public, il n'y a qu'à voir comment les jeunes s'informent.
Je suis d'accord avec vous au sujet des agrégateurs; ils n'entrent pas dans la même catégorie que les producteurs de contenu. C'est certain. Toutefois, vous comprenez la difficulté qui se pose au comité. La population demande de l'actualité locale. Elle en veut plus. Elle n'a jamais eu accès à autant de médias. Pourtant, si l'on examine la couverture de l'actualité locale, le contenu qui leur est présenté, et les compressions qu'ont dû faire ces organisations, eh bien, c'est la quadrature du cercle. Je sais que vous savez que je m'y connais un peu, mais malgré toutes mes années d'expérience, je ne sais pas. Nous nous tournons vers des organisations comme la vôtre.
Je me doute que ces questions vous gardent probablement éveillé la nuit. Comment résoudre la quadrature du cercle, étant donné qu'il y a un changement générationnel, que c'est l'avenir et que celui-ci se joue maintenant?
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Nous en avons très souvent discuté avec beaucoup de gens, à commencer par le fait, très élémentaire, que tous les journalistes sont dans les médias, mais que les médias sociaux ne font pas nécessairement du journalisme. Une personne qui fait du journalisme social peut rapporter les événements avec exactitude, ou pas. Elle peut avoir un autre but. Elle peut tenter de déformer l'information.
Une certaine justice populaire s'exerce lorsqu'une personne se comporte vraiment mal dans les médias et nous l'avons tous vu. C'est l'équivalent d'un lynchage public dans les médias sociaux. Les gens peuvent être contrôlés.
En réalité, à une échelle très locale, nous craignons qu'un jour les nouvelles locales, l'information sur ce qui se passe, viennent uniquement de gens qui ont des motivations et un parti pris. Ils ne soumettent pas l'information au genre de filtre qu'utilise un journaliste qui compte des années d'expérience et sait filtrer les choses qui se passent et poser les bonnes questions. Nous craignons qu'un jour cela ne se fasse pas au niveau local.
Je pense que nous pourrions probablement dire qu'à une échelle très localisée, un grand nombre de petites localités du pays n'ont pas de représentation locale dans les médias, comme un journaliste sur place qui écrit ce qui s'y passe.
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Je vous remercie tous les deux pour la présentation que vous avez faite ce matin.
Comme M. Seamus vient de le mentionner, les médias sociaux ne remplacent pas les médias locaux. Je veux que nous continuions à en parler.
Monsieur LeBlanc, je pense que c'est une chose que vous avez dite plus tôt. Nous constatons une détérioration, peut-être, de certains types de reportages.
Vous parliez de la crédibilité des journalistes, de la formation et de ce genre de choses, des qualifications et des normes que vous respectez. J'aimerais que vous commentiez le code de déontologie dans le contexte actuel et de ce qu'il faudrait, selon vous, pour l'avenir ou suffit-il de s'assurer que plus de gens ont les compétences nécessaires?
Par ailleurs, j'aimerais que vous parliez de la qualité de l'analyse de la recherche en journalisme, qui serait aussi nécessaire, selon vous.
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Je vais parler de la recherche et laisser M. LeBlanc parler du code.
Comme, à notre connaissance, il ne se fait pas actuellement de recherche sur ce sur quoi le comité se penche, nous sommes en faveur de tels travaux de recherche, et je sais qu'il y a un grand nombre d'écoles de journalisme et d'universités qui sont bien équipées pour faire cette recherche. Nous pensons que cela nous permettra, à notre association et à nos membres, de mieux comprendre les répercussions exactes auxquelles les petites localités sont confrontées avec la fin des reportages locaux et les répercussions que les reportages publiés dans les médias en ligne, numériques et sociaux ont sur ces collectivités.
Je pense qu'il faudrait entreprendre des recherches sans tarder, car le paysage change rapidement. C'est devenu cliché de dire cela, mais c'est vrai. Avec la prochaine application de média social, c'est toute la nature de la collecte et de la diffusion des nouvelles et des idées qui changera.
Nous appuyons cette idée et le faisons avec un sentiment d'urgence. Cela nous permettrait — l'industrie et les journalistes en exercice au Canada — de bien comprendre la nature mouvante du secteur et ce qu'il faut faire pour rester à la fine pointe de ces changements et être en mesure de veiller à ce que les collectivités reçoivent des nouvelles locales.
Nous appuyons cela et nous appuyons l'idée que les chaînes ne sont pas seules en cause, mais aussi les journalistes locaux. Cela concerne les gens que vous avez mentionnés dans les salles de nouvelles à Kamloops et dans les petites localités du pays, qui travaillent souvent dans des situations épouvantables et essaient de donner ce qu'on exige d'eux.
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Le code de déontologie existe depuis des années. Il remonte vraiment aux origines de la RTNDA aux États-Unis. Au fil du temps, en raison de l'évolution de la technologie et ainsi de suite, il a fallu le moderniser — ou en raison de circonstances qui ont mené à de grands questionnements sur l'éthique, il y a eu plus de discussions qui se sont traduites par des modifications du code.
Au cours des dernières années, notre association a entendu de ses membres qu'il fallait le mettre à jour, car bien des choses qu'il contenait s'appliquaient très bien à la radio et à la télévision et aux outils utilisés par la radio et la télévision, mais, en réalité, presque tous les journalistes sont maintenant des journalistes numériques. Il est certain que la radio et la télévision utilisent du matériel numérique maintenant. Un journaliste de la presse écrite utilise maintenant du matériel numérique et, très souvent, affiche des vidéos sur le site du journal. Qu'est-ce qui le différencie des autres?
La différence réelle se situe dans le code. N'importe qui, de nos jours, peut se munir d'une caméra. Nous avons tous des caméras. Il y a probablement 30 caméras dans cette pièce en ce moment, en comptant nos iPhone et le reste. Nous pourrions tourner une vidéo et elle pourrait se retrouver assez facilement au bulletin d'informations de ce soir. La technologie le permet. C'est le filtre éthique qui manque parfois aux personnes qui tiennent la caméra.
Nous avons réexaminé le code l'année dernière et l'avons mis à jour de manière à ce qu'il soit indépendant de la plateforme de sorte que, peu importe le matériel utilisé, qu'il soit numérique ou autre, les règles s'appliqueraient. L'exactitude n'est pas une chose variable.
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Je vais y répondre. Je ne suis pas certain d'avoir une réponse complète à donner, mais je pense que c'est un peu comme l'oeuf et la poule. Qui est venu en premier, ou qui est parti en premier? Est-ce que les gens ont quitté la collectivité et, donc, les journalistes locaux ont quitté la collectivité? Les deux sont-ils liés? Y a-t-il un lien de cause à effet? Je ne le sais pas vraiment.
Dans une étude organisationnelle que j'ai lue récemment — je ne sais plus si c'était au Royaume-Uni ou aux États-Unis — et qui se penchait sur l'engagement des citoyens, en particulier au niveau local, à l'échelon des petites collectivités, on indiquait que dans les petites localités où il y avait un journalisme local, les gens étaient plus engagés. Le nombre de personnes qui allaient voter et qui participaient à des activités civiques était beaucoup plus élevé que dans les endroits où le journalisme local était absent.
Est-ce la cause? Cela demande une étude plus approfondie, comme pour bien d'autres choses, mais il semble certes y avoir un lien. Nous savons, d'après les résultats des votes, que c'est au fédéral que le taux de participation des électeurs est le plus élevé. À l'échelon provincial, cela baisse d'un cran, et à l'échelon municipal, dans bien des cas, moins d'un électeur admissible sur trois exerce son droit de vote. Cela reflète-t-il...
Parfois, je me pose certaines questions au sujet de l'information et de l'offre télévisuelle. Notre but est de vérifier certaines choses. Je pense que le Parlement fait son travail, c'est-à-dire tâcher de trouver des solutions à un problème grave qui va aller en s'accroissant.
L'autre jour, j'écoutais la station de télévision KING 5, une station de Seattle affiliée à NBC. Une publicité m'a surpris. Il s'agissait d'une publicité institutionnelle de 30 secondes, ou même une minute — cela m'a paru assez long —, où l'on vantait les mérites du diffuseur.
[Traduction]
Le radiodiffuseur local le fait.
[Français]
C'était intéressant, mais je crois que ces mesures sont un peu extrêmes.
Parfois, j'ai l'impression que l'industrie qui fournit du contenu sur nos plateformes habituelles est un peu comme l'industrie du meuble au Canada, qui se fait vampiriser par les Chinois. On pense qu'il faut absolument payer un sofa 500 $. Je m'excuse, mais si on veut s'assurer qu'il sera fabriqué par des ouvriers qui ont de bonnes conditions d'emploi, ce ne sera pas possible.
Actuellement, la concurrence est semblable à celle que la musique a vécue il y a 10 ans, alors que, tout d'un coup, l'offre de musique est devenue gratuite. Or comment concurrencer la gratuité?
Nous convenons tous que notre étude a pour but de démontrer que l'information régionale compte, qu'elle soutient la construction d'un sentiment d'identité des gens d'une région. Que ce soit dans le journal, à la radio ou à la télévision, cela met de la vie dans un endroit qui, grâce à cela, n'est plus une espèce de banlieue-dortoir au milieu d'un champ où il n'y a plus d'identité locale.
Ne pourrait-on pas suivre la piste intéressante de sites comme GoGaspe.com, par exemple? Quelqu'un nous en a parlé. C'est un agrégateur de nouvelles, de médias locaux et de publicités locales. Pourrait-on imaginer que nos grands consortiums convergents accepteraient, par exemple, que les télés communautaires diffusent leur contenu qui traite de nouvelles locales? Par exemple, aujourd'hui on a parlé de chez nous à la télé nationale. Est-ce une avenue? Je pense qu'il faut repenser le modèle.
Avant de vous laisser la parole, j'aimerais rappeler que, dans le temps où j'y oeuvrais, le monde de la musique croyait avoir toutes les réponses. Toutefois, il a fallu attendre Steve Jobs pour qu'on pense aux chansons à 99 ¢. Sommes-nous rendus à vendre nos nouvelles 99 ¢?
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Je tiens à remercier nos témoins.
Nous parlons du journalisme et de la capacité de faire preuve d'intégrité journalistique dans les nouvelles, entre autres. C'est une question sur laquelle nous nous penchons depuis un certain temps, et nous avons entendu bien des témoignages à ce sujet. Or, vous êtes la première personne à nous dire que c'est possible avec un code d'éthique. Je vous remercie beaucoup d'être venu.
Je propose maintenant que nous suspendions la séance pour deux minutes afin de nous préparer à entendre notre prochain témoin par vidéoconférence. Mais avant, je dois souligner que la sonnerie d'appel se fera entendre à 10 heures pour les votes de 10 h 30. Nous avons un témoin à entendre. Je voulais obtenir un consensus, ou que nous décidions si nous devrions accorder à cette personne une demi-heure, puis partir vers 10 h 15 ou un peu plus pour arriver à temps pour le vote de 10 h 30.
Puis-je obtenir le consensus là-dessus? Sommes-nous d'accord?
Je suis très heureux de participer à cette séance aujourd'hui.
Essentiellement, je veux vous parler du modèle d'affaires des journaux et de la façon dont nous avons réussi, avec La Presse et La Presse+, à transformer notre industrie de façon majeure.
Pour commencer, je dirai que les affaires, dans le domaine des journaux, sont assez simples. Il y a deux composantes: celle des revenus publicitaires et celle des revenus générés par le lectorat.
Au cours des sept dernières années, les journaux imprimés en Amérique du Nord ont perdu 63 % de leurs revenus, soit 29 milliards de dollars. Pendant tout ce temps, les journaux n'ont réussi à générer que 700 millions de dollars supplémentaires en revenus sur Internet. On parle donc d'une perte de 29 milliards de dollars, d'un côté, et de revenus d'à peine 700 millions de dollars, de l'autre côté. Il est donc facile de comprendre que cette industrie connaît une crise profonde. Je ne pense pas qu'un secteur industriel, quel qu'il soit, même dans le secteur traditionnel du textile au Québec, ait connu de telles difficultés aussi rapidement.
Le deuxième fait important est que les intentions de lecture sont également à la baisse. Dans un sondage qui est réalisé au Canada depuis 1998, on demande aux citoyens s'ils ont lu ou ont l'intention de lire un journal, payant ou gratuit, cette semaine. Or les résultats indiquent qu'entre 1998 et 2011, les intentions de lecture, qu'il s'agisse d'un journal payant ou gratuit, ont connu une baisse considérable. On parle de 45 % chez les 16-24 ans, de 54 % chez les 25-34 ans et de 33 % chez les 35-54 ans. Seuls les baby-boomers, c'est-à-dire les 55 ans et plus, sont encore intéressés à lire un quotidien.
Depuis les derniers résultats du sondage de 2011, nous avons noté une croissance extraordinaire du côté des technologies, notamment une pénétration accrue des téléphones intelligents et du développement des applications. Si on posait la même question aujourd'hui, les chiffres seraient totalement frappants.
Lorsqu'on sonde les intentions de lecture, si on s'arrête sur la définition des postboomers, qui est variable, et qu'on l'envisage dans son sens large, on note que cette génération constitue aujourd'hui 47 % de la population canadienne. Ces gens, dont l'âge varie entre 20 et 40 ans, ne sont aucunement intéressés à lire un journal, qu'il soit en format papier ou écrit. C'est donc dire que cette industrie ne doit pas uniquement être appuyée, mais qu'elle doit avant tout être modifiée complètement.
À La Presse, nous avons créé un nouveau média. À partir d'une page blanche, nous avons exploité le plein potentiel de la tablette. Nous avons tenu à conserver l'ADN de La Presse. Je crois beaucoup en la démocratie. Lorsqu'on voit tout ce qui se passe aujourd'hui au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde, on réalise à quel point la démocratie est importante. Le fait d'avoir une salle de nouvelles de qualité et un grand nombre de journalistes dans un marché comme Montréal est, selon moi, une garantie de démocratie. Je crois que les journaux et les journalistes jouent un rôle très important dans la démocratie. En modifiant notre structure et en exploitant la tablette, nous avons réussi à créer un nouveau média. Vous allez voir que les résultats sont assez encourageants.
Essentiellement, nous voulions être un média de masse, un média engageant. Vous pourrez constater que les gens nous consacrent effectivement un nombre assez important de minutes par jour, ce qui nous permet d'obtenir un haut CPM. Je parle ici du montant que nous demandons aux publicitaires pour placer leurs annonces sur notre produit pour tablettes. Nous voulions que le profil de nos lecteurs soit plus attrayant, plus jeune, et que notre outil destiné aux annonceurs soit plus performant. Nous voulions également changer notre modèle d'affaires, ce que nous avons réussi. Nous avons investi 40 millions de dollars dans le développement d'une application. De cette somme, 2 millions de dollars ont été consacrés à la recherche, tant sur les consommateurs que sur les annonceurs.
Le quotidien papier La Presse fêterait cette année son 132e anniversaire. Il a connu en 1971 un sommet historique en matière de tirage. On dit que les journaux en format papier sont vraiment un produit des baby-boomers, et c'est la réalité. On parle ici de 221 000 exemplaires vendus.
Il y a eu par la suite un déclin graduel. Nous avons changé les presses rotatives au début de l'an 2000 dans le but d'obtenir plus de couleurs, notamment. Nous avons fait de l'impartition. La diffusion a alors connu une légère croissance pour atteindre 207 000 exemplaires. Nous avons ensuite lancé La Presse+ sur tablette. Or nous obtenons en moyenne 260 000 ouvertures par jour. Cela signifie qu'en 30 mois d'existence, La Presse+ sur tablette a réussi à déclasser, dans un même marché, un journal qui existe depuis 132 ans. Cela vous montre à quel point la technologie aujourd'hui avance rapidement et comment les modes de consommation changent aussi.
Il est intéressant de voir que, si l'on présente un produit de qualité avec une technologie qui permet aux gens de consulter l'information de façon différente, cela fonctionne. Les gens veulent continuer à s'informer et à consommer des produits culturels. On le voit à la télévision. Il y a une diminution assez importante des heures d'écoute de la télévision traditionnelle. Ce n'est pas que les gens ne veulent pas être informés ou se divertir; ce que les gens disent, au fond, c'est que la façon traditionnelle de le faire ne correspond plus à leurs besoins.
Regardez ce qui arrive quand on offre un produit adapté aux consommateurs. En moyenne, les gens consacrent à la lecture de La Presse+ 40 minutes pendant la semaine, 60 minutes le samedi et 50 minutes le dimanche.
C'est sur le plan du profil des lecteurs que nous avons fait des gains majeurs. Regardez la colonne de droite et vous verrez que 46 % des lecteurs de La Presse traditionnelle en format papier étaient âgés entre 25 et 54 ans. Il faut savoir que 52 % de la population du Québec est âgée entre 25 et 54 ans. Nous offrons un produit numérique de qualité et bien présenté, c'est-à-dire La Presse+ pour tablettes, et 63 % des lecteurs ont entre 25 et 54 ans. Nous sommes aujourd'hui l'un des rares médias traditionnels à avoir réussi à augmenter sa pénétration du marché des 25-54 ans. C'est la même chose concernant le revenu familial. Nous rejoignons une catégorie de gens qui ont des revenus, qui sont actifs dans la société et qui veulent participer et collaborer.
Cela met fin à ma présentation.
Je vais répondre à vos questions.
Monsieur Crevier, je vous remercie de votre présentation et d'être présent aujourd'hui par vidéoconférence. Il y a d'autres moyens efficaces de communication numérique qui sont appréciés.
C'est une histoire assez intéressante. Votre journal est très reconnu et vous avez éliminé le papier. Vous avez vraiment pris des risques, mais, selon vos résultats, c'était certainement un investissement payant.
Je me demande ce que vous faites maintenant de tous ces profits. D'après l'information dont nous disposons, il semble que vos revenus aient augmenté. Compte tenu de cela, il faudrait savoir si les autres suivront ce modèle.
Cependant, la question la plus importante est la suivante: quel a été l'impact sur la presse locale ou sur le contenu local et régional à l'extérieur des grandes villes?
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Il y a deux éléments. Je vais vous répondre de façon très large, mais je vais quand même vous faire comprendre ce que j'appelle le coeur de l'industrie.
Vous avez vu tout à l'heure les tableaux sur la propension à la lecture. Les jeunes ne veulent plus lire un journal papier. Peu importe la qualité du journal qu'on leur présente sur papier, ils ne le liront pas davantage. À long terme, d'ici 10 ans, le journal papier en noir et blanc, qui n'est pas interactif ni mis à jour chaque minute, connaîtra une fin inévitable. Les jeunes grandissent avec des tablettes, des iPhone et des téléphones intelligents. Nous sommes partis de là.
Il faut aussi comprendre comment fonctionne un réseau de distribution. Je vous donne un exemple. Nous livrions La Presse jusque dans des régions éloignées comme La Tuque. Un camion ne peut pas faire plus que 65 arrêts. C'est le mode de distribution. Si on recule il y a 50 ans, le camion faisait 50 arrêts. Il arrivait à La Tuque, qui était très loin de Montréal, et il laissait une centaine d'exemplaires. À la fin, juste avant que nous fassions le virage vers les tablettes, il faisait le même trajet, mais il ne laissait que cinq exemplaires à La Tuque. Ces coûts de distribution sont gigantesques.
À La Presse, nous avons réussi à réduire de 80 millions de dollars nos frais de camionnage, d'impression et d'encre. Ce ne sont pas des éléments à valeur ajoutée. Dans un média, les éléments à valeur ajoutée sont les gens qui font les nouvelles, de même que ceux qui vendent de la publicité; ils génèrent des revenus. Tout le reste, c'est un mode industriel. C'est le mode industriel qui change.
Pour répondre à votre question au sujet des régions, je dois dire que toutes les études démontrent que les journaux locaux vivront un peu plus longtemps que les journaux dans les grands marchés, mais c'est le même sort qui les attend. Il faut faire un virage vers les plateformes numériques.
La compétition entre les grands joueurs numériques en région est beaucoup moindre que celle qui a cours dans les grands marchés avec Google, Facebook et tous les sites Internet, mais c'est inévitable: ce que les villes vivent, les régions le vivront aussi.
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L'édition du samedi, que nous avons conservée, nous amène 8 % de nos revenus. Par ailleurs, 88 % de nos revenus aujourd'hui proviennent de la plateforme numérique. Nous sommes le premier média au monde à atteindre ce pourcentage.
Je vais vous donner une information sans nommer de compagnies, puisque je ne veux pas parler de nos compétiteurs ou d'autres joueurs canadiens. J'ai un tableau devant moi, que nous pourrions peut-être mettre à l'écran. Ce tableau montre le rendement, sur le plan des revenus, de La Presse depuis 2011. Le quotidien A est le plus gros groupe de quotidiens au Canada, alors que le quotidien B arrive au deuxième rang. Ce sont des compagnies publiques. Par conséquent, les chiffres que je vous donne ne sont pas confidentiels, sauf ceux de La Presse.
Nous avons commencé notre stratégie numérique en 2010. À l'époque, les trois joueurs mentionnés avaient, dans l'ensemble, des revenus publicitaires de 100 millions de dollars. En 2015, La Presse a été capable d'en conserver pour une valeur de 73 millions de dollars. Le joueur A, le joueur le plus important au Canada, a été capable d'en garder pour une valeur de 50 millions de dollars, alors que le joueur B a été capable d'en garder pour une valeur de 41 millions de dollars. Ces chiffres sont sur une base annuelle. Cela veut dire que nous avons été capables de garder 32 millions de dollars de plus de revenus annuellement qu'un de nos compétiteurs.
Nous sommes très satisfaits de ce rendement. Nous commençons, cette année, à enregistrer des gains par rapport à l'an dernier. Je pense que c'est la première fois. Nous avons même eu un meilleur rendement, à mon avis, à titre de média traditionnel, que les autres médias de la télévision et de la radio dans le marché de Montréal au cours de la dernière année.
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Premièrement, quand nous avons décidé d'adopter le modèle pour tablettes, personne au monde ne publiait un journal sur tablette de façon quotidienne. Certains outils permettaient de faire une mise en page sur la tablette, mais ils étaient utilisés davantage par des magazines ou par des hebdomadaires.
Produire un journal quotidien est toute une tâche. Je vous donne un exemple. Au Canada, on aime beaucoup le hockey. Quand un match de hockey se termine à 22 h 30, il faut qu'on puisse voir toute l'information sur le même écran. Je ne sais pas si vous connaissez le modèle de La Presse+. Il y a des écrans avec de multiples fonctions. Vous avez tous les résultats sur un seul écran. Vous appuyez sur différents boutons. Il faut donc avoir un journaliste qui écrit, un chroniqueur qui écrit, un vidéographe qui travaille sur le montage de vidéos des buts marqués, un photographe qui travaille sur le montage de photos, un statisticien qui fournit les statistiques. Il n'y avait pas de tels outils auparavant, mais maintenant, cet outil permet à cinq ou six personnes différentes de travailler sur un écran en même temps.
Quand nous nous sommes lancés dans notre projet, il a fallu développer, à partir de zéro, cinq logiciels importants de production. Nous en avons développé certains nous-mêmes et nous en avons fait développer d'autres par des compagnies canadiennes, américaines et même européennes. Une de nos applications importantes a été développée par un partenaire allemand. Il a fallu trois ans pour développer cela. Cela a été très long.
Aujourd'hui, une organisation pourrait le faire beaucoup plus rapidement. Par exemple, le Toronto Star a implanté un produit similaire au nôtre, avec notre application. Il a réussi à le faire en neuf mois.
Voilà à quoi ont ressemblé les trois premières années.
Il y a un autre élément. Nous avions quand même été en relation pendant 132 ans avec les lecteurs de notre version papier. Nous ne voulions pas bousculer les gens. Nous avons donc effectué, tous les six mois, une étude d'amélioration pour savoir où les gens étaient rendus. À la toute fin, les seules personnes qui n'avaient pas migré vers la tablette étaient celles qui étaient davantage réfractaires à la technologie. Nous avons mis des programmes sur pied pour aider ces personnes à s'acheter une tablette, à l'activer et à faire le transfert. Nous avons procédé de façon très respectueuse de nos lecteurs. En fait, nous avons si bien communiqué notre projet que, à la toute fin, quand nous avons cessé d'imprimer une version papier, il n'y a presque pas eu de plaintes ou de manifestations d'agressivité. Nous avons bien accompagné les gens. Nous avons bien fait notre travail.
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Votre question est intéressante. Parfois, il y a des écarts considérables entre ce que nous souhaitons et ce que le marché est capable d'assumer. Vous avez totalement raison.
Ce qui est fascinant avec notre application La Presse+, c'est qu'elle nous permet de savoir exactement comment les gens utilisent le temps qu'ils consacrent à la lecture.
Je disais plus tôt que nous avions un tirage de 221 000 exemplaires papier en 1971, et de 207 000 un peu plus tard. En tant qu'éditeur, je ne pourrais pas vous dire qui lit la version papier chaque jour. Même pour l'édition du samedi, je serais incapable de vous dire qui a lu quoi, quelles pages, quelles sections. Avec La Presse+, par contre, je peux savoir exactement ce que lisent les gens et le temps qu'ils y consacrent.
Le dimanche est en effet le jour où nous enregistrons le plus haut taux de lecture, en ce qui a trait au nombre de lecteurs et au temps consacré à cette activité. Les gens ont le temps de lire, le dimanche. Toutefois, les annonceurs sont absents. Nous ne savons pas pourquoi. Ils n'ont pas compris que c'était un marché fantastique pour eux, parce que les gens ont plus de temps à consacrer à la lecture en famille.
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Merci, madame la présidente.
Tout d'abord, je tiens à vous dire à quel point je suis fier de vous et du Québec. Je crois que vous avez vraiment réinventé le modèle. La présidente des Éditions La Presse, Mme Caroline Jamet, a passé de nombreuses années dans l'industrie de la musique, et son expérience a certainement contribué à ouvrir de nouveaux horizons. Elle a vu l'écrasement d'une pensée chauvine. Vous avez été très courageux de changer de modèle. Je suis ému, parce que j'estime que c'est en maîtrisant ses outils qu'un peuple devient résilient. Vous êtes parvenus à maîtriser un outil et c'est très courageux de votre part.
Je peux attester que l'expérience de lecture des nouvelles est interminable. Pour ma part, je peux en lire durant toute la fin de semaine. Les samedis matin, les enfants se plaignent parce que nous passons beaucoup de temps à lire le journal, et même à regarder les publicités, car soudainement les publicités sont interactives. Il y a là une pensée originale et innovatrice qui est très saine pour notre société.
J'en arrive à ma question. Lorsque vous partagez votre programme avec d'autres journaux, cela débouche-t-il sur un modèle d'affaires, un modèle d'exportation de votre protocole Internet à l'échelle internationale?
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Comme le temps file, je vais vous poser mes questions en rafale et vous laisser y répondre séparément.
Pour ce qui est de la publicité, est-ce aussi payant? Cela devrait être le cas, mais sinon, que devrait-on faire pour vous aider à attirer la clientèle?
De toute évidence, ce modèle est avantageux. Ce sont les annonces publicitaires de notre communauté et les articles qui touchent celle-ci qui représentent un journal. Il n'y a aucune raison pour que cette chimie soit désavantagée par la publicité qui se fait ailleurs sur Internet.
Le format actuel vous permet-il d'atteindre vos objectifs de vente, et, dans le cas contraire, pourquoi est-ce le cas?
Soit dit en passant, je remercie M. Van Loan d'avoir été très souple en permettant que cette présentation nous soit remise même si elle est seulement en français.
J'aimerais aussi souligner, en ce qui concerne votre lectorat, le passage en douceur que vous avez évoqué. Je pense que vous êtes des pionniers, un exemple à suivre. Je vous dirai même que ma mère, qui a 83 ans, s'est acheté un iPad. Elle est allée dans un Best Buy pour obtenir votre formation. C'est très amusant. Vous avez vraiment redirigé votre clientèle en douceur. Si, à 83 ans, les Canadiens sont capables de prendre le virage, c'est qu'il y a de l'avenir.
Est-ce que vos clients publicitaires vous suivent?
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Il en a fallu beaucoup, à l'époque, parce que nous étions les premiers. Aujourd'hui, il y a des possibilités pour ceux qui veulent acquérir notre technologie ou une technologie similaire. Je suis convaincu que c'est la seule façon de procéder.
Il y a quatre ans, le trafic externe de La Presse sur nos sites Internet, sur les téléphones et sur l'ordinateur se constituait essentiellement de gens qui faisaient de la recherche sur Google, soit nos propres abonnés, soit des gens de l'extérieur. Aujourd'hui, il provient de Facebook. Toute la consommation se fait aujourd'hui par l'entremise d'applications.
Si j'avais un conseil à vous donner, ce ne serait pas de soutenir une industrie qui est mourante. En effet, sa mort est inévitable. En voyant les chiffres sur la publicité, les transferts vers le numérique et la propension à la lecture, on comprend que cette industrie ne pourra pas survivre. Certains vont y arriver. Je pense que ce sera le cas du New York Times, du fait qu'il est plus spécialisé et qu'il a fait sa marque. En outre, les gens peuvent l'inclure dans leur compte de dépenses de bureau. Cela dit, les fonds nécessaires devraient être injectés dans le système non pas pour soutenir cette industrie, mais pour la transformer.
Il n'est pas nécessaire d'investir à long terme. Si vous vous engagez dans ce que j'appelle l'appui à long terme, vous allez créer un système de bien-être social — veuillez excuser l'expression. Autrement dit, il s'agit d'investir cet argent pour aider les entreprises à se transformer. N'oubliez pas qu'au Canada, nous avons été les champions pour ce qui est du développement d'une industrie culturelle et de production, et ce, à côté du géant américain. Nous avons toujours été des précurseurs. Nous avons bâti un système fantastique. Or ce système est aujourd'hui menacé, au même titre que tous les autres systèmes publics et privés sont menacés. Il y a de l'argent et de la technologie, aujourd'hui. On avait une compagnie Internet...
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Premièrement, je dois vous dire que j'ai été nommé éditeur de
La Voix de l'Est quand j'avais 29 ans. La première fois que j'ai dirigé une entreprise de communication, c'était à
La Voix de l'Est. Donc, je connais bien le marché de Granby.
Le problème que pose notre application, c'est que la production du contenu nécessite des salles de nouvelles composées d'à peu près une centaine de personnes. L'application La Presse+ est très intéressante sur le plan graphique. Donc, nous avons besoin de graphistes, de vidéographes et de photographes. Cela prend quand même des ressources assez considérables. Plus notre application évolue, plus nous développons de nouvelles fonctionnalités. Nous avons ici un laboratoire d'une centaine de personnes. La moitié de ces personnes font évoluer l'application afin d'offrir de nouvelles fonctionnalités, et l'autre moitié des personnes améliorent la productivité de l'application.
Avec le temps, nous allons arriver à une version allégée de notre application, ce qui permettra à une plus petite salle de nouvelles d'en produire le contenu, mais aujourd'hui, il faut que la salle de nouvelles soit composée de plusieurs ressources pour ce faire.
Par contre, les journaux régionaux ne sont pas devant la nécessité de se transformer aujourd'hui. Je pense qu'ils ont encore trois, quatre ou cinq ans devant eux pour le faire. Des technologies seront probablement développées, et même notre technologie devrait favoriser les plus petits journaux d'ici quelques années.