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CHPC Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent du patrimoine canadien


NUMÉRO 146 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 26 février 2019

[Enregistrement électronique]

(1535)

[Traduction]

     Nous entamons maintenant la 146e séance du Comité permanent du patrimoine canadien.
    Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones.
    Nous accueillons à titre personnel M. Roger Jones, qui était avec nous tout récemment. M. Jones est conseiller spécial en matière de lois linguistiques auprès du chef national.
    Nous avons aussi avec nous M. Craig Benjamin, qui milite pour les droits des Autochtones chez Amnistie internationale Canada.
    Enfin, nous accueillons Mme Aluki Kotierk et Mme Kilikvak Kabloona, respectivement présidente et chef de la direction de Nunavut Tunngavik Inc. ou NTI.
    Je voudrais d'abord nous excuser auprès des représentantes de NTI. Nous avons essayé de faire accréditer un interprète inuit par le service de traduction à temps pour cette réunion. Nous n’avons pas réussi. Je sais que nous en avons parlé, mais je tenais à présenter des excuses officielles.
    Pour la gouverne des membres du Comité, NTI fera sa déclaration préliminaire en inuktitut. Le témoin lira la déclaration officielle et nous aurons l'interprétation en français et en anglais. Les questions seront posées dans ces deux langues.
    Sur ce, nous pouvons commencer. Monsieur Jones, s’il vous plaît.
    [Le témoin s’exprime en anishinabek.]
    [Traduction]
    Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant votre comité.
    Je peux surtout parler du processus de codéveloppement, auquel j'ai pris part, et je précise que je suis ici de mon propre chef.
    Je suis un entrepreneur indépendant auprès de l’Assemblée des Premières Nations et j’ai été affecté à l’Initiative des langues autochtones pour assurer un leadership au nom de l’APN dans le processus de codéveloppement. Mes opinions sur le processus et sur les résultats sont les miennes et ne peuvent être attribuées à l’Assemblée des Premières Nations.
    Il n’y avait pas de définition de « codéveloppement » lorsque le processus s'est enclenché, ni en cours de route, mais les choses se sont déroulées de façon méthodique, à mon avis.
    L’APN a sa propre structure et sa propre organisation autour du processus, dont un comité des chefs composé de représentants venus de partout au pays, ainsi qu'un comité technique également représentatif de toutes les régions. Le chef national préside le comité des chefs et c'est lui qui a tenu les rênes dans cette affaire en général.
    L’élément le plus important de la structure et de l’organisation de l’APN est l’assemblée des chefs, qui donnait son autorisation et ses directives en cours de route d'après l’information qui émanait des consultations tenues avec les titulaires de droits.
    En ce qui concerne l’interaction entre les parties, une des premières mesures importantes a été de s’entendre sur certains principes fondamentaux relatifs au processus et au résultat attendu d'une loi sur les langues autochtones.
     Il a été établi que nous travaillerions en collaboration, de façon transparente et dans le respect des distinctions et que la loi porterait sur la revitalisation, le rétablissement, la préservation, la protection, le maintien et la promotion des langues des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
     Nous fonctionnions à plusieurs niveaux. Il y avait un processus multilatéral, mais aussi des échanges bilatéraux entre chacune des parties et le gouvernement fédéral.
    Il a été clairement établi aussi que le résultat attendu serait le respect et l'application des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et de l’engagement du gouvernement fédéral envers les relations de nation à nation, de gouvernement à gouvernement ou entre les Inuits et la Couronne.
    On a aussi établi comme principe que le projet de loi reconnaîtrait les langues autochtones comme essentielles à l’autodétermination et qu'il affirmerait, entre autres choses, le droit des peuples autochtones de revitaliser, d’utiliser, de développer et de transmettre leur langue aux générations futures, y compris par leurs propres systèmes et établissements d’enseignement. Chacune des parties mènerait ses propres consultations pour aller chercher des instructions et savoir quelle contribution apporter au processus.
    En ce qui concerne les consultations, le chef national vous a communiqué la semaine dernière le rapport que nous avons produit à la suite des réunions que nous avons tenues dans tout le pays. Nous avons demandé aux gens ce qu’ils attendaient de la loi. Nous n’avons rien décidé à l'avance ni préjugé de quoi que ce soit. C’était entièrement ouvert.
    Les gens qui sont venus travaillaient dans le domaine de la revitalisation des langues: des défenseurs de la langue, des enseignants et des universitaires, mais des titulaires de droits et des aînés aussi sont venus à nos séances nous faire part de leurs attentes. Les commentaires recueillis lors de ces séances étaient très uniformes d’un bout à l’autre du pays, de la Colombie-Britannique aux Maritimes, et jusqu'aux Premières Nations du Grand Nord.
     Le rapport fait un compte rendu général des opinions que nous avons entendues. Nous en avons tiré ensuite un ensemble de 11 principes et c'est l’orientation qui a été donnée par l'assemblée des chefs, conforme à ce que les gens avaient dit qu’ils voulaient voir dans la loi. C’était notre orientation et c’est maintenant notre mesure de référence: est-ce que le projet de loi couvre effectivement ces questions, ces points et ces attentes?
     En ce qui concerne l'aide fédérale à la revitalisation de la langue, nous avons veillé à ce que les gens comprennent que tout ne va pas nécessairement figurer dans la loi; qu'il faudra peut-être y voir en partie par des règlements, ou encore en élaborant des politiques ou en faisant des démarches de financement pour obtenir les autorisations de dépenses qui seront nécessaires pour faire le travail. Ce travail va avoir lieu, il a commencé et il va se poursuivre jusqu'à ce que les intentions énoncées dans le projet de loi se concrétisent.
    J’ai participé à d’autres processus où, après élaboration et traitement d'un projet de loi au Parlement, l’engagement entre la ou les parties autochtones et le gouvernement fédéral a été interrompu. Le travail de mise en œuvre n’a donc pas donné lieu au genre de changements et de mesures de soutien que les gens avaient en tête en concevant le projet de loi. Par conséquent, nous croyons qu’il est essentiel de poursuivre le travail de codéveloppement. S’il y a des questions ou des doutes au sujet de ce que dit la loi dans certaines parties, nous espérons être en mesure d'y faire la lumière en travaillant sur des règlements ou des politiques, ou, comme je viens de le dire, sur le financement — le régime de financement qui doit appuyer la mise en œuvre.
    Nous avions un ensemble de principes fondamentaux, établi d'après notre démarche de consultations, que nous avons fait suivre dans le processus de codéveloppement, lequel a produit à son tour un ensemble de 12 principes, censés éclairer l’élaboration de la loi elle-même. Nous sommes ensuite passés des principes consensuels à l’élaboration d’un document de travail technique. Le document de travail technique prenait la forme d’un schéma ou d’un aperçu de ce que dit maintenant le projet de loi. Nous avons travaillé ensemble à établir ce schéma général.
    Évidemment, il y a eu un mémoire au Cabinet auquel nous n’avons pas pris part; c’est un défi que nous aurions aimé relever, mais ce n'est pas arrivé. Nous avons participé un peu au travail de rédaction. Nous avons eu accès aux premières versions du projet de loi en en faisant la demande à l'exécutif et en signant des ententes de confidentialité.
    Il y a eu des difficultés, surtout en ce qui concerne la transparence, parce que certains résultats des discussions nous ont échappé, et oui, il y a des améliorations à apporter. Nous aurions voulu que l’article 6 soit étoffé par rapport à l’article 35. Il aurait fallu préciser davantage ce qu'en dit la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
(1540)
    Merci.
    Nous passons maintenant à Craig Benjamin, d’Amnistie internationale Canada.
    Je tiens à saluer le peuple algonquin, sur les terres duquel nous avons le privilège de nous réunir, et à remercier les membres du Comité permanent de nous donner l’occasion de témoigner.
    Comme l’a dit votre présidente, je m’appelle Craig Benjamin. Je suis membre du personnel d’Amnistie internationale Canada, où je coordonne les travaux visant à promouvoir les droits des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada.
    Comme plusieurs autres personnes et organismes appelés à comparaître devant le Comité, Amnistie internationale participe activement à la Coalition pour les droits des peuples autochtones, un réseau d’organismes et de particuliers, autochtones et non autochtones, qui se sont engagés à fond dans la création d'instruments internationaux qui protègent les droits des peuples autochtones, notamment la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
    Je voudrais d'abord souligner trois passages du projet de loi qui, à mon avis, sont extrêmement importants dans le contexte du respect des engagements et des obligations du Canada à l’égard des droits des peuples autochtones.
    À l’article 6, auquel Roger Jones a fait allusion, le projet de loi C-91 reconnaît explicitement que:
les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 comportent des droits relatifs aux langues autochtones.
    Le préambule du projet de loi fait observer que les droits relatifs aux langues autochtones sont aussi reconnus dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, que le gouvernement du Canada s’est engagé à mettre en oeuvre intégralement. Le projet de loi dit expressément dans son objet qu'on veut atteindre les objectifs de la déclaration des Nations unies en ce qui touche les langues autochtones.
    De plus, la toute première phrase de ce projet de loi contient la déclaration suivante:
la reconnaissance et la mise en oeuvre des droits relatifs aux langues autochtones sont des éléments qui sont au coeur de la réconciliation avec les peuples autochtones
    Ces diverses affirmations selon lesquelles la préservation et la revitalisation des langues autochtones constituent des droits de la personne protégés par le droit national et international sont importantes et bienvenues. J’espère que cette compréhension des droits linguistiques des peuples autochtones guidera non seulement la mise en oeuvre future du projet de loi, mais aussi l'engagement continu du Parlement à l'égard des responsabilités plus vastes du Canada en matière de langues autochtones.
    Contrairement à d’autres intervenants présents ici aujourd’hui, je ne suis pas un expert en langues autochtones ou en revitalisation des langues. Cependant, le travail avec des partenaires autochtones au Canada a constamment fait ressortir l’importance cruciale des langues ancestrales pour le bien-être des peuples autochtones et la survie de leurs cultures et de leurs traditions distinctes. On dit souvent que tous les droits sont interdépendants et indivisibles, ce que prouve amplement l’importance de la langue pour tous les autres droits que les peuples autochtones cherchent à exercer, dont les droits à l’identité, au gagne-pain et à la subsistance, ainsi qu’à l’éducation, à la santé et à l’autodétermination.
    L’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations unies décrit la relation entre les langues et le savoir traditionnel des peuples autochtones en disant qu'ils sont inséparables et se renforcent mutuellement. Un autre organisme des Nations unies, le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, a déclaré que les langues autochtones portaient en elles les outils par lesquels se définissent et se concrétisent la gouvernance, le droit et la compétence autochtones.
    Dans ce contexte, Amnistie internationale est vivement préoccupée par l’échec continuel du Canada à soutenir suffisamment et durablement les efforts pressants que déploient des organismes des Premières Nations, des Inuits et des Métis pour assurer la protection, la revitalisation et la pratique de leurs langues. Nos collègues de la section francophone d’Amnistie internationale au Canada ont tenu d'ailleurs à souligner l’Année internationale des langues autochtones en lançant une vaste campagne publique pour demander un soutien accru et continu des programmes et des services en langues autochtones.
    Amnistie internationale n’est sûrement pas la seule organisation internationale de défense des droits de la personne à s'en préoccuper. La survie des langues autochtones au Canada est un thème récurrent dans les instances des Nations unies chargées des traités et dans leurs mécanismes spéciaux lorsqu’il est question de savoir si le Canada respecte ou non ses obligations actuelles en matière de droits de la personne.
    En 2016, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, un comité d’experts indépendant qui examine le respect des obligations du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, a demandé au Canada d'intensifier ses efforts pour favoriser la préservation et l’usage des langues autochtones, notamment en assurant leur usage dans les écoles.
(1545)
     Dans son rapport de mission officielle au Canada en 2014, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, M. James Anaya à l'époque, dénonçait le sous-financement de la protection et de la revitalisation des langues autochtones comme une cause centrale de ce qu’il appelait une crise des droits de la personne chez les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
    Comme il ressort amplement de ces exemples, non seulement les peuples autochtones ont clairement le droit de protéger, de revitaliser et de pratiquer leurs langues, mais les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont aussi l’obligation correspondante de favoriser les conditions dans lesquelles ce droit peut être pleinement réalisé et exercé.
    L’article 13 de la déclaration des Nations unies affirme que les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d’écriture et leur littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms pour les communautés, les lieux et les personnes. Le même article appelle les États à prendre des mesures efficaces pour protéger ce droit.
    L’article 14 protège également le droit des peuples autochtones de dispenser l'enseignement dans leur propre langue, et ajoute que les États, en concertation avec les peuples autochtones, prennent des mesures efficaces pour que les Autochtones, en particulier les enfants, vivant à l’extérieur de leur communauté, puissent accéder, lorsque cela est possible, à un enseignement dispensé selon leur propre culture et dans leur propre langue.
    Soumise à des délibérations approfondies pendant des décennies et confirmée à maintes reprises comme un instrument mondial de consensus, la déclaration des Nations unies fait autorité en matière d’interprétation des obligations des États. Elle n'est cependant pas la seule à reconnaître ces obligations. Elle s'est construite en se fondant sur les normes des droits de la personne qui l’ont précédée.
    Je tiens à souligner un fait d'importance capitale: lorsque des groupes identifiés courent un risque accru de violation des droits de la personne, les États sont tenus d'autant plus de protéger et de promouvoir leurs droits. Lorsque l’État lui-même est responsable de la violation de ces droits, il y a obligation de réparation. Le recours standard en droit international exige que l'État fasse tous les efforts raisonnables pour réparer les torts qu’il a causés ou laissé causer et pour empêcher qu'ils se reproduisent à l’avenir.
    Pour respecter l’obligation de réparation, les programmes et les politiques adoptés par le gouvernement du Canada doivent être à la hauteur des graves torts causés aux locuteurs des langues autochtones et à la capacité des peuples autochtones de vivre dans leur propre langue. Par conséquent, ils doivent être suffisants pour répondre aux besoins réels et différents des peuples autochtones de tout le Canada.
    Le projet de loi dont le Comité est saisi ne réglera pas tout, mais nous espérons que son adoption établira une nette volonté et posera des balises claires pour que le gouvernement fédéral respecte ses obligations en matière de droits de la personne à l’étape cruciale, comme l’a dit Roger Jones, de la mise en oeuvre.
    Merci beaucoup.
(1550)
    Merci.
    Nous passons maintenant à Aluki Kotierk et Kilikvac Kabloona, de Nunavut Tunngavik Inc.
     [Le témoin s’est exprimé en inuktitut et a produit un texte traduit.]
    Merci, madame la présidente. Je remercie le Comité de m’avoir invitée aujourd’hui à parler du projet de loi C-91.
    Tout d’abord, je tiens à féliciter le Comité de reconnaître que les langues autochtones doivent être inscrites dans le droit canadien. C’est essentiel si on veut que le Canada retrouve son identité de pays arctique.
    L’inuktut est une des langues autochtones qui se portent le mieux au Canada. Elle serait pratiquée par 84 % des habitants de l’Inuit Nunangat, la terre natale des Inuits au Canada, et de ce fait la plus grande région de langue autochtone au Canada.
    La Loi sur le Nunavut donne à l’Assemblée législative du territoire le pouvoir de légiférer en matière linguistique. C'est ainsi que l’inuktut est devenu une langue officielle du territoire. Nous avons une loi territoriale sur la protection de la langue inuite et un commissaire aux langues. Notre traité de 1993, l’accord du Nunavut, contient aussi certaines dispositions limitées au sujet de l’inuktut.
    Surtout, nous avons lieu d'être optimistes parce que le Nunavut est le seul parmi les provinces et les territoires où la langue maternelle de la majorité est une langue autochtone.
    Je viens d’Igloolik. La station de Hall Beach du réseau DEW est à peine plus éloignée que la distance d'un marathon. Le réseau DEW est une ligne d'alerte avancée qui a été déployée sur 10 000 kilomètres dans l’Arctique en l'espace de deux ans. Il servait à alerter les États-Unis de toute menace aérienne en provenance de ce qui s'appelait alors l’URSS. Il n'y avait pas d'aérodromes ni d'hôtels dans ce temps-là. Il n’y a toujours pas de ports.
    Aujourd’hui, les menaces sont différentes. La mondialisation limite l’innovation et la créativité. Me voici devant vous aujourd’hui, moi qui suis née et qui ai grandi à 70 kilomètres de la station de Hall Beach, pour vous donner l'alerte de loin. Malgré les protections actuelles, l'inuktut est une langue menacée. Chaque année, le nombre de ses locuteurs au Nunavut diminue de 1 %. Il est désolant de constater que les Inuits n’ont pas accès à des programmes et des services essentiels dans leur propre langue. Les obstacles linguistiques entre patients inuits et professionnels de la santé sont une question de vie ou de mort depuis longtemps reconnue chez les Inuits, et ils le sont maintenant dans au moins un rapport de coroner.
    Les Inuits forment 97 % du corps étudiant au Nunavut, et pourtant plus de 75 % de leurs enseignants ne parlent pas inuktut, ce qui équivaut à une sentence de mort pour la langue. La population de l’Inuit Nunangat a un urgent besoin d’une loi linguistique fédérale. L’initiative du gouvernement à cet égard est bienvenue, et le projet de loi C-91 prévoit une reconnaissance et des objectifs auxquels nous adhérons chez NTI. En particulier, NTI cherche depuis longtemps à obtenir l'interprétation positive donnée à l’article 3 et se réjouit de la reconnaissance des droits linguistiques prévus à l’article 35. Malheureusement, ces dispositions ne suffisent pas à préserver et à soutenir l'inuktut. Les Inuits ont offert au gouvernement un certain nombre de propositions concrètes et, à notre avis, raisonnables.
    Cela m’amène à parler de notre déception à l’égard du projet de loi, tant pour son contenu que pour le processus qui y a mené. Natan Obed, le président d’Inuit Tapiriit Kanatami, vous en a beaucoup parlé, et il vaut la peine de le répéter. Depuis 2017, les Inuits ont cherché à être des partenaires constructifs tout au long du processus législatif, en distribuant des énoncés de position, en rédigeant un projet de loi exhaustif sur l'inuktut et en se montrant ouverts au compromis sur le contenu.
    Le contenu du projet de loi accuse un certain nombre de faiblesses majeures, notamment l'absence de tout engagement de financement. On fait bien allusion au financement, mais c'est dans l'objet de la loi et dans des dispositions relatives à la consultation et aux accords à venir. Contrairement à la Loi sur les langues officielles du Nunavut, le projet de loi C-91 ne prévoit aucun droit ni aucune obligation en ce qui concerne la prestation de services fédéraux en inuktut. Il ne garantit aucunement que des programmes et des services essentiels à la santé de la population inuite et à la prospérité de l'économie nordique, comme l’éducation, la santé et l’administration de la justice, seront offerts en inuktut là où le nombre le justifie.
    Bref, malgré tout le respect que j'ai pour les intentions sous-jacentes, le projet de loi C-91 est en grande partie un effort symbolique. Les symboles sont importants, mais ils sont loin de répondre aux besoins, ainsi qu'aux demandes formulées dans le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation. Nous préférons une loi fédérale qui porterait exclusivement sur l'inuktut et qui reconnaîtrait son statut particulier de langue de la majorité dans le territoire.
(1555)
    Il serait possible de grandement améliorer l'actuel projet de loi C-91 en y apportant les amendements suivants: la reconnaissance de l'inuktut comme une langue originale du Canada et la langue première parlée par la majorité des habitants de l'Inuit Nunangat; un engagement à dispenser des programmes et des services fédéraux essentiels en inuktut dans l'Inuit Nunangat, en fonction de la demande et des ressources et si le nombre de bénéficiaires le justifie; une étroite collaboration avec les instances inuites en vue de la réalisation des engagements pris par le Canada au titre de la loi; et un engagement à garantir le financement requis pour la prestation de services comparables à ceux dont bénéficient les autres Canadiens.
    Je vous signale que le projet de loi C-91 pourrait aller beaucoup plus loin. Compte tenu des droits linguistiques des Inuits, des efforts de réconciliation et de la capacité de notre pays à innover, le Canada doit investir dans l'avenir de l'inuktut. Cet objectif est réalisable.
    Je vous remercie. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
    Désolée, nous avons eu des problèmes d'interprétation.
    Merci.
(1600)
    Je vous remercie.
    Nous allons maintenant commencer le tour de questions.

[Français]

    Nous commençons par M. Breton.
    Monsieur Breton, vous avez la parole pour sept minutes.
    Merci, madame la présidente.
    N'y a-t-il pas une présentation de Mme Kabloona?
    Elle fait partie du même organisme.
    Merci, madame la présidente. Je m'excuse, je croyais qu'elle avait été ajoutée à la fin.
    Merci à nos invités d'être avec nous aujourd'hui.
    Je vais commencer par vous, monsieur Jones. Au début de votre présentation, vous avez parlé brièvement du processus de codéveloppement, mais je voudrais que vous alliez un peu plus loin. Avez-vous été inclus dans ce processus? Que pensez-vous de ce processus, qui, à mon avis, est assez important et assez unique?

[Traduction]

    Nous avons élaboré la loi dans un contexte de codéveloppement qui s'inspire peut-être de travaux antérieurs réalisés conjointement par les gouvernements. Que ce soit sous les gouvernements libéraux ou conservateurs, plusieurs projets ont été exécutés en collaboration, de diverses manières.
    Ayant travaillé dans le cadre d'autres initiatives, je dirais que ce projet a probablement été ma meilleure expérience de travail en concertation à ce jour; je ne peux pas parler pour les autres, mais c'est mon expérience personnelle. Tout a commencé par l'engagement pris par le premier ministre, en décembre 2016, visant l'élaboration d'une loi sur les langues autochtones, dans un cadre de concertation non défini à l'avance et exempt de tout préjugé.
    Comme je l'ai dit au début, la relation de travail a évolué au cours des 18 derniers mois. Pour que cette relation de travail produise le contenu législatif souhaité par les gens, nous avons déployé beaucoup d'efforts pour satisfaire leurs attentes. Il y a des défis à relever et je suis convaincu que si on nous avait laissés rédiger le projet de loi dont vous êtes saisis, il aurait été quelque peu différent de celui-ci. Ce projet de loi contient toutefois de nombreux éléments que nous approuvons quant à sa présentation, son contenu et sa substance.
    Comme nous n'avions pas de feuille de route définissant la notion de « codéveloppement », nous l'avons inventée au fil de nos travaux pour finalement en arriver à ce résultat.
(1605)

[Français]

    Merci beaucoup.
    Monsieur Benjamin, vous avez évoqué certains aspects du projet de loi qui pourraient être modifiés ou améliorés. Nous ne croyons pas que le projet de loi est parfait — rien n'est parfait dans ce bas monde. De façon générale, appuyez-vous le projet de loi? Voyez-vous cela d'un bon œil? Je n'ai pas bien saisi, de votre part ou de votre organisation, si vous l'appuyez.

[Traduction]

    Nous trouvons certainement le résultat très positif. Nous n'avons pas l'expertise des autres organisations et je ne suis évidemment pas bien placé pour parler au nom des peuples autochtones; nous devons donc nous en remettre au jugement des autres pour de nombreuses particularités du projet de loi.
    Le cadre essentiel, comme nous l'a expliqué la présidente, la promulgation d'un cadre législatif visant la protection et la promotion des langues autochtones et la reconnaissance que cette question relève des droits de la personne représentent à nos yeux une avancée très positive.

[Français]

    Madame Kotierk, pouvez-vous nous dire de façon un peu plus précise quel genre de soutien est nécessaire, en lien avec le projet de loi ou non, pour assurer la protection et la promotion de votre langue?

[Traduction]

    Qujannamiik.
    J'ai oublié de vous demander si vous aviez reçu une copie des amendements que nous avons proposés.
    Tous les membres...
    Nous les avons présentés en anglais et en français puisque ce sont les langues officielles de ce pays. Comme vous le constaterez, nous proposons l'ajout de plusieurs dispositions dans le projet de loi C-91, désignées par les numéros X1 à X4. Nous proposons également une annexe portant exclusivement sur les langues inuites. Nous avons donc distribué ces documents sur papier.
(1610)

[Français]

     D'accord.

[Traduction]

    Je précise, si vous le permettez, que nous demandons, de manière générale, que les langues inuites soient reconnues comme des langues originales parlées dans l'Inuit Nunangat, que des services essentiels nous soient offerts dans les langues inuites et que le financement à cette fin soit adéquat et équitable.

[Français]

    C'est tout le temps que vous aviez, monsieur Breton.
    Merci.

[Traduction]

    Monsieur Shields, vous avez maintenant la parole pour sept minutes.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    Monsieur Jones, comme vous avez participé à ce processus, j'imagine que vous connaissez bien le projet de loi. Au sujet du paragraphe 24(3) proposé, des témoins nous ont fait part de leur préoccupation concernant Statistique Canada et Bibliothèque et Archives Canada. Vous avez peut-être aussi entendu des commentaires concernant cette disposition, qu'en pensez-vous?
    Au cours de nos consultations, des gens ont exprimé leur préoccupation à l'idée que ces activités soient menées hors de leurs propres communautés. D'après moi, ce malaise est dû au fait que les gens pensent que ces langues leur appartiennent et qu'il leur revient donc de s'occuper de l'enregistrement, de l'archivage et de la préservation. Cela est prévu dans l'article portant sur l'objet de la loi. Il y est précisé qu'il faut notamment soutenir les peuples autochtones dans leurs efforts pour créer des outils technologiques, des documents éducatifs et des enregistrements permanents, notamment des enregistrements audio et vidéo avec des personnes qui parlent couramment ces langues.
    Les peuples autochtones souhaitent pouvoir faire cela eux-mêmes et ils ont les ressources pour le faire. Au lieu de confier ce travail à des instances de l'extérieur, comme Bibliothèque et Archives Canada, pourquoi ne pas nous assurer que les peuples autochtones qui parlent ces langues disposeront de ces outils?
    D'où vient cet article?
    Je pense que cet article signifie que si des instances, des groupes ou des communautés autochtones souhaitent avoir le soutien d'entités extérieures, ils peuvent alors leur demander de l'aide. D'après ce que je comprends, c'est une mesure de renforcement des capacités.
    Si cet article prévoyait des mesures de facilitation, lorsqu'elles sont nécessaires, est-ce que cela ne le renforcerait pas?
    La clarté est toujours utile, et c'est d'ailleurs ce que j'ai dit quand j'ai parlé de la mise en oeuvre. Nous souhaitons que le projet de loi soit le plus clair possible.
    L'un des défis consiste justement à rendre cet article plus clair, parce que la question a été soulevée à plusieurs reprises.
    Oui, je peux confirmer, sans l'ombre d'un doute, que nos gens ont exprimé leur préoccupation à cet égard.
    Je comprends ce que vous voulez dire au sujet des mesures de facilitation, lorsqu'elles sont nécessaires. Cette expertise pourrait être utile à certaines communautés, tandis que d'autres l'ont déjà.
    Oui.
    D'accord.
    Il a également été question de l'article 25 ou 26 qui donne une liste — « gouvernement autochtone ou autre corps dirigeant autochtone, un organisme autochtone ou le gouvernement du Canada ». Certains disent que cette liste n'est peut-être pas représentative de tous les groupes de la région. Qu'en pensez-vous?
    Oui, au cours de nos consultations, nous avons rencontré des gens qui nous ont dit, par exemple, que les gouvernements traditionnels ne sont pas représentés dans ce libellé. Ils disent que la loi devrait être plus détaillée quant aux groupes avec lesquels les gouvernements peuvent collaborer, par exemple, pour des questions de financement. Certaines communautés pensent qu'il faudrait collaborer avec les nations et non avec chaque communauté. Au mieux, nous leur avons répondu que la loi devrait être assez souple pour permettre cela. Maintenant, est-ce que ce libellé permet de le faire? C'est la grande question, n'est-ce pas?
(1615)
    Oui.
    Si vous lisez les définitions, vous constaterez que la définition de « gouvernement autochtone » n'est pas assez large au goût des gens. Ils préféreraient, j'en suis certain, que la loi reconnaisse les gouvernements traditionnels existants.
    Je pense que cet article posera un problème et qu'il faudra élargir la définition, ce qui risque de ralentir le processus. J'espère que ce ne sera pas le cas.
    Madame la présidente du Nunavut Tunngavik, vous avez dit que le financement devrait être « adéquat », et vous avez ajouté le mot « équitable ». Dans ce projet de loi, c'est le mot « adéquat » qui est employé. Pourquoi avez-vous utilisé un autre mot?
    Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne fait que créer le bureau du commissaire. Bien que ce ne soit pas mentionné explicitement, le budget de ce bureau sera probablement plafonné. Je m'attends donc à ce que les groupes autochtones qui parlent des langues autochtones différentes rivalisent entre eux pour obtenir une part du gâteau, au lieu d'y voir là l'occasion de fournir aux habitants des services dans une langue autochtone, comme c'est le cas pour les locuteurs de la minorité francophone qui reçoivent un financement pour ces services.
    Au Nunavut, où l'inuktut est la langue première de la majorité des habitants — c'est la seule région du Canada comptant une population homogène dont 70 % des personnes s'expriment dans leur langue maternelle, l'inuktut —, on s'attendrait à ce que les services essentiels dans les domaines de l'éducation, la justice et la santé, soient dispensés dans des langues inuites.
    J'ai compris, mais vous avez employé un mot différent qui ne figure pas dans vos amendements. Le mot « équitable » n'y est pas utilisé.
    Désolée, votre temps est écoulé.
    Je vous rappelle simplement à tous que les amendements vous ont été transmis par courriel, mais les témoins ont eu la gentillesse d'en apporter des copies papier. Vous les avez donc devant vous également.

[Français]

     Monsieur Nantel, vous avez la parole pour sept minutes.
    Merci, madame la présidente.

[Traduction]

    N'ayez crainte, je vais parler anglais.
    D'abord, je vous remercie tous d'être parmi nous. Je vous signale que je suis loin d'être un spécialiste des questions relatives aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits, mais je pense que tous les Canadiens souhaitent ardemment donner suite à toutes les recommandations de la CVR. Nous parlons ici d'un projet de loi qui clairement... En fait, je ne devrais pas dire « clairement », je devrais simplement poser la question. Ce projet de loi ne propose-t-il pas des mesures à prendre pour empêcher la disparition des langues des Premières Nations, des Métis et des Inuits? Comme vous l'avez dit, l'inuktut est une langue encore amplement parlée. Cela dépasse un peu la portée de ce projet de loi. Vous avez besoin d'un projet de loi distinct. Ai-je raison de dire cela? Ce n'est pas du tout la même chose.
    Je ne pense pas que nous ayons nécessairement besoin d'un projet de loi distinct. Dès le départ, nous avons demandé à avoir notre propre projet de loi sur la langue inuktut. Mais quand nous avons appris que le gouvernement fédéral allait proposer un projet de loi sur les langues autochtones, nous avons dit: « D'accord, nous sommes des gens raisonnables. Nous allons participer à ce processus et demander l'inclusion de dispositions particulières sur les langues inuites. »
    Bien qu'il s'agisse d'un projet de loi omnibus sur les langues autochtones, je pense qu'il est possible de prendre en compte les préoccupations des Inuits. Nous avons fait des efforts pour y arriver.
    Pour répondre à la question de M. Shields, je voudrais expliquer pourquoi j'ai employé un mot différent.
    Dans les amendements, nous employons le terme « comparable ». Je sais que le mot « synonyme » existe en français et en anglais. Dans ces deux langues, je pense que les mots « comparable » et « équitable » ont un sens similaire. Dans la langue inuktut, de nombreux mots ont la même signification, je ne vois donc pas pourquoi on en fait toute une histoire.
    Il n'en reste pas moins que nous nous attendons à recevoir des services équitables et comparables à ceux que reçoivent les autres Canadiens. En ce moment, ce n'est pas le cas, bien que nous soyons des Canadiens du Nunavut.
(1620)
    C'est une excellente précision.
    Dans ce cas particulier, j'ai l'impression que c'est une question de volumes. Vous dites que vous voulez recevoir des services dans la langue de la majorité, ce qui est tout à fait logique. En revanche, nous parlons de toutes ces autres langues qui disparaissent au profit de l'anglais, et parfois du français au Québec, mais surtout de l'anglais. J'ai l'impression que nous parlons de situations complètement différentes.
    Vous dites que votre langue est parlée par la majorité des habitants, elle n'est donc certainement pas en voie de disparition. C'est extraordinaire. Nous valorisons cela et nous devrions promouvoir cela et vous offrir des services adéquats dans cette langue, mais les autres témoins disent qu'ils sont en train de perdre leurs langues. Ce contraste me fascine.
    Permettez-moi d'apporter une précision. Je suis venue ici pour tirer la sonnette d'alarme. L'inuktut est en train de disparaître.
    C'est vrai?
    Au Nunavut, l'inuktut disparaît au rythme de 1 % par année. Je l'ai moi-même constaté dans ma propre famille. Je suis l'aînée de sept enfants. Dans ma famille, les plus vieux parlent l'inuktut, mais pas les plus jeunes.
    Il y a deux ans, je suis allée sur la terre natale de mon père. Il nous a emmenés là où il a grandi, non pas dans la communauté, mais sur la terre. Il m'a dit: « Aluki, viens avec moi pour me servir d'interprète. » Puis il a soupiré et a dit tout doucement à mes propres enfants...
    Quand j'entends parler et que je parle de la loi sur les langues, je dis que c'est une question de vie et de mort pour les gens ne peuvent pas obtenir de services dans le système de santé. Le système scolaire tue la langue quand 75 % des enseignants ne parlent pas l'inuktut dans nos écoles. Il y a 43 écoles, dont une école francophone financée par le gouvernement fédéral.
    Nous nous demandons pourquoi les Inuits ne sont pas plus aigris ou en colère de voir toutes ces inégalités sur leurs terres natales, où leurs enfants reçoivent un enseignement en anglais.
    Est-ce...
    À mon avis, ce n'est pas seulement une question de sécurité. J'ai toujours eu tellement peur que cette loi sur les langues repose sur l'hypothèse que l'inuktut n'est pas menacé, parce que nous savons que cette langue est en déclin.
    Si nous ne faisons rien, notre langue connaîtra le même sort que toutes les autres langues autochtones de ce pays. Je ne veux pas en arriver là.
    Je comprends.
    C'est pour cela que, pour vous, la question du financement demeure...
    Exact.
    ... une zone d'ombre.
    Il est absolument nécessaire que les langues inuites soient soutenues et financées d'une manière équitable et comparable dans l'Inuit Nunangat; comme je le préconise pour le Nunavut, en particulier, les Inuits doivent être traités avec dignité et recevoir les services dont ils ont besoin, sans être obligés de demander à des personnes bilingues de leur servir d'interprètes de manière informelle chaque fois qu'ils ont besoin d'aide.
    N'y a-t-il pas eu récemment un décès en mer à cause d'un malentendu entre la Garde côtière et...
    Les exemples abondent. Certains ont un lien avec la Garde côtière. Des personnes atteintes de tuberculose sont décédées, faute de services. Certaines personnes prétendent que la langue y est pour quelque chose.
    Je peux vous donner de nombreux exemples d'Inuits qui ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin parce qu'ils sont incapables de comprendre clairement la langue.
    J'ai bien vu que vous étiez tous perdus tout à l'heure quand j'ai parlé en inuktut parce que le service d'interprétation laissait à désirer, mais je veux que vous sachiez que c'est exactement ce que vivent les Inuits au quotidien, ici au Canada, dans leur propre pays.
    Oui. Je comprends.
    Vous avez évoqué trois raisons principales de reconnaître l'inuktut comme étant une langue originale du Canada. Le mot « originale » est très précis. Vous avez dit que cette langue est parlée par la majorité des habitants. Vous venez aussi d'évoquer l'offre de services.
    Il y a également un troisième point dans votre document que j'essaie de retrouver ici. Vous parlez d'« étroite collaboration ». Je me demande à quel niveau cela se passe.
(1625)
    Il s'agit d'une étroite collaboration avec les organisations inuites. Je pense précisément au Nunavut. Actuellement, des ententes sur les langues ont été conclues entre le gouvernement territorial et le gouvernement fédéral, mais les organisations inuites ne sont pas parties à ces ententes. Actuellement, il existe une entente relative à la langue française et une autre pour les langues inuites. Si nous regardons comment les choses se passent au Nunavut, le financement du français est 40 fois plus élevé que celui des langues inuites, par habitant.
    Par habitant.
    Vous comprenez à quel point cela est inéquitable.
    D'accord.
    Monsieur Hogg, vous avez maintenant la parole pour les sept dernières minutes.
    Merci. Je vais céder une petite partie de mon temps à M. Vandal.
    Je remercie tous les témoins pour leurs commentaires passionnés et éclairés.
    Monsieur Jones, vous avez dit que vous essayez de trouver une façon de diviser la loi. Premièrement, à l'instar de M. Nantel et d'autres collègues, j'aimerais préciser que je ne suis pas un spécialiste des langues. Vous allez vite constater que je ne suis expert en rien.
    L'un des défis posés par l'élaboration de ce projet de loi, c'est de déterminer ce qui sera compris dans les énoncés de valeurs et dans quelle mesure il devra être adaptable et souple. Certains disent que c'est une mesure très positive, d'autres sont d'avis contraire. Enfin, certains disent qu'il faudrait donner un sens plus concret à la loi. Quand vous avez établi vos 12 principes, comment les avez-vous intégrés ou regroupés en un tout? Comment avez-vous décidé que cela devrait être intégré à la loi ainsi qu'à toute politique ou tout règlement? Pouvez-vous m'expliquer comment vous avez procédé à cet égard?
    Je peux seulement parler de l’expérience de l’APN à cet égard. On nous a demandé d’inclure ces 11 principes essentiels dans la loi. Je sais que le chef national vous les a communiqués la semaine dernière, alors notre objectif était d’essayer de les intégrer dans le corps du texte. Souvent, on nous a répondu qu’on pouvait les inscrire dans le préambule. Mais notre préférence était d’essayer de les intégrer au corps du texte, parce que c’est là que les gens voulaient les voir. Dans le cadre de nos consultations, les gens ont compris la différence entre l’ajout de mots dans le préambule, le corps du texte et le règlement. Tous nos efforts visaient à inscrire le plus grand nombre possible de nos principes dans le corps du texte.
    En même temps, cependant, les gens ont dit que moins c’est mieux quant à la longueur du projet de loi. Par exemple, les articles 31 à 42 du projet de loi portent sur la gestion financière du commissaire aux langues autochtones. Ce n’est pas une question qui préoccupe les gens en général, mais cinq pages du projet de loi y sont consacrées. Nous avons encouragé le gouvernement à inscrire ce principe dans un règlement, une annexe, ou quelque chose du genre. Cela génère de la confusion pour les gens, très franchement, parce que tout à coup, ils pensent qu’il s’agit du commissaire aux langues autochtones plutôt que de leurs priorités.
    Certains témoins nous ont fait valoir qu’inscrire ce principe dans la loi aurait pour effet de le fixer et puis, les choses changent si rapidement, qu'on ne veut peut-être pas perdre cette souplesse. Je suppose que c’est ce que vous suggérez à cet égard.
    Les témoins ont également exprimé des points de vue divergents au sujet du Bureau du commissaire et des directeurs. Comment devraient-ils être nommés? Certains témoins ont souligné qu’ils devraient être nommés géographiquement au lieu d’être représentatifs, c’est-à-dire Inuit, Métis, Premières Nations. Devraient-ils être répartis de cette façon ou géographiquement? Avez-vous une opinion à ce sujet, ou est-ce quelque chose que vous avez exploré?
(1630)
     Eh bien, une partie de la discussion concernant le Bureau du commissaire portait surtout sur le mandat. Quel est son but? Comment peut-on garantir que l’objectif du Bureau se concrétisera? Nous avons parfois dit que les secteurs d’activité étaient importants pour assurer l’efficacité du Bureau. Pour ce qui est du mandat, on pourrait dire que la tâche la plus importante du Bureau, c’est d’abord la surveillance, de s’assurer que le gouvernement respecte les intentions du projet de loi.
    Je suis d’accord avec cette partie.
    C’est un secteur d’activité important. Ensuite, il y a la question de la promotion. Puis, il y a la question de l’enquête sur les plaintes. Je crois qu’une partie de cela s’appliquera à l’organisation éventuelle, mais ce n’est pas la panacée pour le moment. On dit « jusqu’à ».
    Merci.
    Aluki, vous avez dit que la personne nommée au Bureau du commissaire n’avait aucune pertinence, si ce n’est d’être simplement nommée. Comment envisagez-vous le déroulement de ce processus? Comment feriez-vous la distinction? Vous avez brièvement parlé de la possibilité d’avoir votre propre loi. Est-ce la seule façon de procéder, ou y a-t-il moyen de s’assurer que le Bureau du commissaire s’acquitte de ses tâches? Si elles n’étaient pas bien définies ou omises, comme M. Jones l’a suggéré, ou M. Benjamin, qui a parlé uniquement de valeurs, comment cela fonctionnerait-il, à votre avis? Est-ce que cela fonctionnerait d’une façon qui vous semblerait logique?
     J’ai examiné le projet de loi. Je crains que la création d’un bureau de commissaire ne soit que symbolique. Cela n’aide pas un élève de 10 ans qui parle l’inuktitut lorsqu’il va à l’école. J’ignore comment cela va changer la façon dont le gouvernement fédéral protège et assure l’épanouissement des langues autochtones. Cela ressemble à un processus bureaucratique qui permet au gouvernement fédéral de se féliciter et dire: « Nous faisons quelque chose pour les langues autochtones. »
    Comment intégreriez-vous cela? Auriez-vous des paramètres mesurables? « Le gouvernement fédéral doit faire ceci », est-ce le libellé que vous utiliseriez?
    À mon avis, il est important d’avoir des normes objectives qui permettent de mesurer les langues autochtones. Quant au Nunavut et aux langues inuites, lorsque je parle des normes de services et des services essentiels que l’inuktut et les Inuits devraient recevoir, je m’attends à ce que le Bureau du commissaire soit utile à cet égard. Mais pour ce qui est de fournir des rapports au gouvernement du Canada et dire: « Voici comment nous dépensons l’argent pour des activités », je ne pense pas que ce soit un exercice utile.
    Merci.
    Il semble que mon temps soit écoulé. Désolé, Dan.
    C’est tout le temps que nous avions pour ce premier groupe de témoins. Je tiens à vous remercier tous de votre témoignage et de votre aide. Nous allons suspendre brièvement la séance pendant que le prochain groupe de témoins s’installe. Merci.
(1630)

(1640)
     Nous recommençons à zéro. Mais avant, j’aimerais faire une brève intervention. Il y avait beaucoup d’étudiants dans la salle.
    Bonjour. C’est un plaisir de vous voir tous ici. Ils sont au Collège Algonquin, qui fait partie du Nunavut Sivuniksavut, je crois, et qui est l’avenir du Nunavut. Merci d’être venus.
    Nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons Karon Shmon, de l’Institut Gabriel Dumont, Jocelyn Formsma et Christopher Sheppard, de l’Association nationale des centres d’amitié.
    Nous allons commencer par Karon Shmon.
    Bonjour. Je tiens à souligner que nous nous réunissons sur un territoire algonquin non cédé, et je tiens à remercier le Comité de me donner l’occasion de m’adresser à lui aujourd’hui.
    Mon témoignage sera probablement très différent de ceux livrés par le dernier groupe. Je pense que c’était une bonne occasion pour moi d’entendre ce qui a été dit.
    Je vais vous parler un peu de l’Institut Gabriel Dumont. Nous sommes un organisme postsecondaire et culturel métis. Nous sommes établis en Saskatchewan et nous sommes considérés comme la branche culturelle et éducative de la Nation métisse de la Saskatchewan.
    En 1976, nos aînés ont assisté à une conférence culturelle et ils ont décidé que la seule façon de préserver notre culture, notre histoire et notre langue, puis de la raconter de notre point de vue, c’était de créer notre propre institut. En 1980, l’Institut Gabriel Dumont a été fondé sur la recommandation des anciens et des autres participants à la conférence culturelle.
    En 2020, nous célébrerons notre 40e anniversaire. Du côté de l’éducation et de la formation, il s’agit de la conception, de l’élaboration et de la prestation de programmes éducatifs pour les Métis. Je crois que c’était le début de ce que nous appellerions notre programme d’action positive pour les Métis. Nous ne demandons à personne de baisser la barre. Nous demandons à nos employés de se présenter à la barre pour qu’ils puissent travailler et contribuer comme d’autres l’ont fait et continuent à le faire.
    Le programme phare a été la formation des enseignants métis. Au cours de ces 40 années, nous avons diplômé plus de 400 enseignants métis, et ils font une énorme différence dans le système d’éducation. Ils travaillent presque tous dans des écoles provinciales. Au départ, il s’agissait de montrer aux enfants métis qu’ils pouvaient devenir des enseignants s’ils le voulaient, mais ce programme a fait plus que cela: il a démontré que les Métis pouvaient être des chefs de file en matière d’éducation et fait en sorte que le contenu, les perspectives et les façons d'accéder au savoir des Métis fassent partie des programmes d’études. Cette formation doit faire partie du programme d’études, mais elle est dispensée de façon inégale. Voilà l’histoire.
    Quant à la culture et à l’histoire, nous avons la plus grande collection au monde d’objets propres aux Métis au Musée virtuel de l’histoire et de la culture métisses. On y accède environ 40 000 fois par mois partout dans le monde. Ce sont des visites uniques, pas des visites répétées. Nous suscitons de l’intérêt non seulement en Saskatchewan, mais partout au Canada.
    En ce qui concerne notre langue, c’est une partie inextricable de notre culture et de notre patrimoine, et pourtant, elle est en péril. La nation métisse est d’origine canadienne. Elle est unique à ce pays, et cela vaut également pour notre langue, le michif, dont l’existence précède la Confédération. Comme vous le savez sans doute, nous nous appelions la nouvelle nation et nous avons joué un rôle très important dans le commerce des fourrures. Nous étions les intermédiaires — et j’aime toujours ajouter les intermédiaires au féminin — dans la traite des fourrures parce que ces alliances étaient de bonnes pratiques commerciales. Mais cela a aussi donné naissance à la nation métisse, parce que notre peuple pouvait à la fois assurer la liaison et établir des liens familiaux avec les Premières Nations et les Européens qui faisaient la traite à l’époque.
    Puis, avec le temps, nous nous sommes transformés en culture et nous avons développé notre propre langue. C’est le michif et il est unique. Il n’existait pas auparavant. Certaines technologies et approches étaient également propres aux Métis.
    Nous considérons que des gens comme Louis Riel sont des bâtisseurs de la nation, parce qu’ils ont joué un rôle très important dans l’édification du Canada. Notons la première rébellion, en 1869-1870, puis la grande rébellion, en 1885: les Métis ont perdu cette bataille, mais nous avons gagné la bataille des droits. Les Métis se sont cachés parce qu’il était très dangereux de s’identifier comme Métis par la suite. En étant Métis, on était presque certain de rester sans emploi ou d’être persécuté davantage.
    Le gouvernement ne nous a aucunement reconnus. Notre peuple a dû se disperser parce qu’on nous a chassés de nos terres une deuxième fois en nous disant d’aller vivre ailleurs. Ensuite, je pense que la plupart d’entre vous sont au courant de la grande arnaque du processus des certificats. Il s’agissait d’un processus d’indemnisation pour avoir quitté ces terres, mais il y avait tellement de spéculateurs à l’époque qui en ont profité que les Métis n’ont pas obtenu de terres ni d’indemnisation et ils ont été dispersés.
(1645)
     À mon avis, c’est l’une des raisons pour lesquelles notre langue, le michif, est aussi gravement menacée aujourd’hui.
    C’est une terrible tragédie que les Premières Nations aient été reléguées à moins de 1 % du territoire du Canada et qu’elles aient eu besoin de laissez-passer pour partir. Toutefois, je trouve une consolation dans le fait qu’elles aient été rassemblées dans des endroits où leurs langues pouvaient rester intactes jusqu’à tout récemment. Leurs langues étaient utilisées dans la communauté et transmises de génération en génération.
    Lorsque les Métis ont été dispersés, non seulement ont-ils été éparpillés et contraints de quitter leurs milieux familiaux bien établis, mais il s’agit d’une réalité que vous avez camouflée. L’histoire orale nous rapporte que notre peuple cachait le bannock et ne parlait pas sa langue en présence des autres. Alors l’école traditionnelle nous a communiqué le message que notre langue et notre culture n’avaient aucune importance. Encore une fois, on nous enseignait l’histoire du point de vue d’auteurs non autochtones. Nous devions écouter des récits au sujet de la folie de Louis Riel, de sa rébellion contre le gouvernement du Canada et les pères fondateurs, qui étaient les grands héros du Canada.
    Il était difficile d’échapper à ces messages à l’époque, ainsi qu’à l’approche globale qui s’appliquait aux peuples indigènes du Canada. Je n’aime pas beaucoup ce terme. Je considère qu’il s’agit d’un recul par rapport au terme « Premières Nations » ou même « Autochtone » en ce sens qu’il n’est pas fondé sur des distinctions. Si le Canadien moyen était sondé, si vous lui demandiez ce que signifie « indigène », il répondrait « Premières Nations ». Nous recevons des notes de service contenant des choses comme « Indigènes et Métis ». Nous sommes un peuple indigène.
    Nous avons enfin été reconnus, mais avec beaucoup de retard. À la suite des efforts du Métis Harry Daniels, qui a traîné le gouvernement canadien devant les tribunaux, nous avons été reconnus dans la Loi constitutionnelle de 1982, en vertu de l’article 35, de sorte que notre reconnaissance officielle remonte à moins de 40 ans.
    Plus récemment, en 2016, la décision Daniels a été une autre victoire — une autre initiative lancée par Harry Daniels — dans laquelle le gouvernement fédéral a convenu qu’il aurait dû assumer la responsabilité pour les Métis comme il l’a fait pour les Inuits et les Premières Nations.
    Par conséquent, en ce qui concerne ces problèmes, le fait que nous devions vivre dans la clandestinité, que nous soyons dispersés et que l’école traditionnelle ne nous permettait pas d’affirmer notre identité autochtone et que la conservation de nos langues n’avait aucune valeur... Je ne dis jamais que nous les avons « perdues »; je dis qu’on nous les a « enlevées », pour ces raisons.
    La récente exposition de Bibliothèque et Archives Canada, Un peuple dans l’ombre, est assez bien intitulée, car nous avons été présents depuis le début. C’est simplement que cette réalité n’a pas été reconnue, alors nous espérons changer tout cela.
    Le michif est « gravement menacé », et cette expression n’est pas de mon cru. C’est une expression des Nations unies. L’ONU utilise une matrice pour évaluer le genre de danger auquel une langue est confrontée, et il s’agit de la pire désignation. L’expression « langue morte » signifie qu’il n’y a plus de locuteurs, mais lorsque la génération des grands-parents parle la langue et que ses enfants et petits-enfants ne la parlent pas, c’est un facteur crucial.
    Ils sont dispersés, donc ils ne vivent même pas avec des gens ou dans une communauté où ils peuvent pratiquer la langue, alors c’est un autre facteur.
(1650)
    Madame Shmon, je suis vraiment désolée. Je vous ai laissée dépasser un peu le temps qui vous était alloué. Si vous pouviez conclure, ce serait parfait.
    D’accord.
    Je suis ici pour préconiser l’adoption du projet de loi. La majorité des locuteurs sont au Manitoba et en Saskatchewan. Au cours de la dernière décennie, le Manitoba a connu une baisse de 50 % de ses locuteurs michifs, et nous nous approchons de ce pourcentage en Saskatchewan. Ceux qui parlent la langue ont tous entre 65 et 85 ans, alors il est temps que nous nous en occupions, sinon nous perdrons notre langue.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à l’Association nationale des centres d’amitié.
     Avant de commencer notre exposé, nous aimerions également souligner que nous nous réunissons aujourd’hui sur un territoire algonquin non cédé.
    Je m’appelle Jocelyn Formsma et je suis directrice exécutive de l’Association nationale des centres d’amitié.
    [Le témoin s’exprime en cri.]
    [Traduction]
    Je suis membre de la Première Nation de Moose Cree.
    Je m’appelle Christopher Sheppard. Je suis président de l’Association nationale des centres d’amitié. Je suis Inuk. Je suis bénéficiaire du gouvernement du Nunatsiavut au Labrador.
    Nous avons remis deux exemplaires du document de travail de l’ANCA, l'Association nationale des centres d'amitié, en français et en anglais, intitulé Nos langues, nos récits: Pour une revitalisation et un maintien des langues autochtones en milieu urbain.
    Je vais commencer par quelques renseignements sur l’ANCA.
    L’Association nationale des centres d’amitié est un réseau qui regroupe plus de 100 centres d’amitié et six associations provinciales et territoriales d’un océan à l’autre. Les centres d’amitié sont l’infrastructure de prestation de services du réseau de la société civile autochtone et hors réserve la plus importante au Canada. Ils sont les principaux fournisseurs de programmes culturellement pertinents pour les Autochtones vivant en milieu urbain.
    Depuis plus de 70 ans, les centres d’amitié facilitent la transition des Autochtones des régions rurales, éloignées et des réserves vers un milieu urbain, et ils soutiennent de plus en plus ceux qui sont nés et qui ont grandi en milieu urbain. Pour de nombreux Autochtones, les centres d’amitié sont le premier et le principal point de contact pour trouver une communauté, recevoir du soutien et obtenir des renseignements sur des programmes et des services socioéconomiques fondés sur la culture, y compris des programmes de langues autochtones.
    À titre de président de l’ANCA, j’ai signalé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, le 9 mai 2018, qu’en 2015 seulement, les centres d’amitié de l’ANCA ont eu plus de 2,3 millions de contacts avec la clientèle et offert plus de 1 800 programmes et services différents dans de nombreux domaines, y compris la langue.
    Par exemple, au Centre d’amitié First Light de St. John’s, des programmes linguistiques en micmac sont offerts à tous les membres de la collectivité. Les salles de classe et les conversations ont également été enregistrées et diffusées, et rendues disponibles par Webex, afin que n’importe qui puisse participer en personne ou en ligne. Au départ, nous avons proposé trois langues autochtones: le micmac, l’inuktitut et l’innu-aimun. Toutefois, le ministère semblait avoir trop de difficulté à comprendre la prestation de services dans trois langues autochtones, alors on nous a demandé de limiter ce programme à une seule langue.
    Le Centre d’amitié One Sky de Fredericton offre un projet d’aide préscolaire qui permet aux enfants d’apprendre le malécite en toute saison. Le Centre d’amitié Mi’kmaw d’Halifax est partenaire d’un programme de formation axé sur les Autochtones qui favorise l’intégration de la langue et de la culture à l’éducation de la petite enfance. Depuis trois ans, la communauté autochtone de Montréal offre des cours de langue gratuits en innu, en cri, en anishinawbemowin, en atikamekw, en wendat et en inuktitut aux enfants et aux adultes. Le Centre d’amitié autochtone de Calgary offre des cours de cri, de michif et de pied-noir financés par la province, et le Centre d’amitié autochtone du Canada à Edmonton offre des cours de cri.
    Le Centre d’amitié de Dauphin offrait des cours de michif, et l’Association des centres d’amitié autochtones de la Colombie-Britannique recevait 6 millions de dollars pour des programmes linguistiques offerts par le gouvernement provincial.
    L’ANCA est ici pour parler du projet de loi C-91, parce que c’est là où nous en sommes. Nous offrons des programmes linguistiques et nous continuerons de le faire parce que nous devons rendre des comptes aux communautés autochtones qui possèdent et exploitent nos centres avec des budgets limités.
    Depuis 1972, l’ANCA a érigé cette fondation solide au service de sa clientèle qui constitue le tissu même de la population autochtone urbaine au Canada. Nous avons un leadership et un réseau national qui touchent profondément les communautés autochtones urbaines qui demandent du soutien pour l’utilisation et la revitalisation de leurs langues.
    Les Autochtones vivant en milieu urbain valorisent énormément leur identité; ils s’efforcent néanmoins de trouver des façons de maintenir des liens culturels à l’extérieur de leurs communautés. Cette réalité des questions autochtones urbaines est ignorée ou oubliée. Il s’agit d'un moment critique pour veiller à ce que la voix des Autochtones en milieu urbain soit entendue et défendue dans l’élaboration du projet de loi C-91. Le respect des langues autochtones comprend le respect des endroits où les langues autochtones sont nécessaires, y compris le paysage urbain du Canada.
    Avec l’augmentation stupéfiante de plus de 60 % de la population autochtone urbaine en 10 ans seulement, il est clair qu’un mandat national de revitalisation des langues autochtones doit inclure les communautés autochtones urbaines.
(1655)
     Je vais parler un peu du contenu de notre document de travail sur les langues et de notre examen du projet de loi C-91, avant de passer aux questions.
    En mars 2018, l’ANCA a tenu un forum de deux jours, Nos langues, nos récits, auquel ont participé des représentants de toutes les régions du Canada, dans le but de discuter de l’élaboration d’une loi sur les langues autochtones et d'y contribuer, en particulier de parler de la perspective urbaine sur l’état des langues autochtones.
    Plusieurs recommandations et faits saillants découlant de la réunion portent directement sur l’intention du projet de loi C-91. Les participants ont fait part du défi que représente l’apprentissage de leur langue comme langue seconde et de l’importance de l’apprentissage d’une langue par immersion. Pour citer le document de travail:
... « il doit être incorporé dans tous les aspects de la vie des gens d'une manière holistique, et il doit y avoir des opportunités pour parler la langue, à tous les âges au cours du cycle de vie. »
    Ils ont été nombreux à appuyer l'idée que les centres d’amitié en soi jouent le rôle de carrefours centraux pour la revitalisation des langues, notamment en offrant des espaces sécuritaires et culturellement pertinents pour l’apprentissage des langues.
    Ce rassemblement a permis d’affirmer encore une fois à quel point les peuples autochtones sont fiers de leurs langues et de leurs façons de savoir et d’être. Les jeunes ont dit à quel point la langue fait partie intégrante de la fierté qu'ils ressentent et de la façon pour eux de comprendre d’où ils viennent.
    Nous avons recommandé de créer un institut national des langues autochtones, de mener un projet national d’évaluation des besoins en langues autochtones et de faire de la recherche pour les combler, de faire de la représentation pour que toutes les langues autochtones soient reconnues comme langues officielles au Canada, d'appuyer la signalisation en langues autochtones dans les centres urbains du Canada, d'établir un ministère fédéral des langues et de l’éducation autochtones et d'aider les centres d'amitié à devenir des carrefours d’apprentissage des langues autochtones.
    Je vais maintenant parler de certaines dispositions du projet de loi C-91 qui touchent les centres d’amitié et les communautés autochtones urbaines.
    Le projet de loi C-91 reflète l’engagement à fournir un financement adéquat, stable et à long terme en ce qui touche la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement des langues autochtones. Le gouvernement du Canada sait que les peuples autochtones sont les mieux placés pour jouer un rôle de premier plan à cette fin.
    Les centres d’amitié sont des organismes de la société civile en milieu urbain qui appartiennent à des Autochtones et qui sont exploités par eux. L'ANCA nous offre l'occasion de tirer parti de son vaste réseau et de son expertise dans l’exécution des programmes partout au Canada. Il y a des centres d’amitié dans chaque province et territoire, à l’exception de l’Île-du-Prince-Édouard, et chacun offre des services directs à l'intention de la population autochtone en milieu urbain.
    La définition d’« organisme autochtone » dans le projet de loi n’est pas claire quant à savoir si les centres d’amitié sont pris en considération. « Organisme autochtone » s'y entend d'une « entité qui représente les intérêts d’un groupe autochtone ». Les centres d’amitié ne prétendent pas représenter les intérêts d’un groupe autochtone ou de ses membres. En fait, nous représentons une perspective urbaine et nous desservons tous les groupes autochtones et tous les membres, qu’ils soient reconnus par leur communauté ou non.
    Qu’en est-il des médias autochtones? De nombreux organes de communication autochtones offrent des services de radio et de télévision dans les langues autochtones depuis des décennies et il n'en est absolument pas question dans les dispositions législatives.
    Dans la définition de « peuples autochtones », il est fait renvoi au libellé du paragraphe 35(2), soit « Indiens, Inuits et Métis ». L’ANCA serait en faveur d'élargir la définition afin d’y inclure tous les Autochtones, y compris les Indiens non inscrits et les Inuit non bénéficiaires et de préciser ce que l’on entend par Métis. La revitalisation des langues autochtones ne devrait pas être liée à une affiliation politique.
    À l’alinéa 5b)(iii), sous « Objet de la loi », il est question d’aider les peuples autochtones à « créer des documents permanents... des outils technologiques et des documents éducatifs... » sur les langues autochtones. L’ANCA aimerait encourager le développement des objectifs pour appuyer les outils technologiques, les documents éducatifs et les dossiers permanents qui ont déjà été élaborés. Il y a des organismes autochtones qui ont déjà des bases de données, des bandes, des documents, du matériel et des applications.
    Il y a des organes médiatiques autochtones qui travaillent depuis des décennies et qui ont des bobines de matériel linguistique. S’ils avaient accès à du financement et à du soutien, ils seraient en mesure, par exemple, de mobiliser et de numériser ces documents et d'en faciliter l'accès pour le public et les communautés et organismes autochtones, comme les centres d’amitié.
(1700)
    Je ne fais que vérifier, parce que je vous ai laissée dépasser un peu votre temps. Je sais que vous êtes au coeur de tout cela. Auriez-vous quelque chose de plus à nous dire?
    Oui, une dernière chose à dire, puis je conclurai, mais je peux renoncer à la conclusion.
     Si vous vous en tenez à votre dernier point, ce sera bien.
    Grâce au projet de loi C-91, un poste de commissaire est constitué et chargé de diriger la mise en oeuvre et la surveillance. Ce qui n’est pas clair, c’est la façon dont cette disposition sera mise en oeuvre au Canada. Elle ne donne pas l’assurance qu’il rendra des comptes aux peuples autochtones.
    Cette lacune peut avoir des répercussions sur les principaux intervenants de la communauté, y compris les centres d’amitié. L’ANCA voudra que des mesures directes soient clairement définies pour relier les répercussions du projet de loi C-91 à la population autochtone en milieu urbain, y compris l’accès équitable aux ressources.
    Nous recommandons aussi que le commissaire et les trois directeurs aient le mandat spécial d’examiner la revitalisation des langues dans les communautés autochtones des villes, ou qu’un quatrième directeur dont le mandat serait uniquement axé sur les perspectives urbaines soit nommé.
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer directement aux questions et réponses, en commençant par M. Vandal, pour sept minutes.
    Merci beaucoup à vous deux de vos exposés qui étaient excellents.
    Je vais commencer par Karon.
    Selon vous, quels sont les plus grands défis à relever pour protéger et promouvoir la langue michif?
    Je pense que le plus grand défi est le manque de locuteurs et l’âge des locuteurs, parce que nous ne pouvons pas avoir recours aux mêmes stratégies que d’autres peuples autochtones qui ont accès à des foyers de revitalisation linguistique ou à des personnes en âge d’enseigner qui peuvent passer toute la journée avec les élèves.
    Un autre défi de taille est la rapidité avec laquelle nous pouvons nous servir dans la caisse et vendre notre la langue en retour avant de perdre tous ceux qui la parlent parce que nous estimons vraiment que le facteur temps est le défi le plus important.
    Y a-t-il des écoles ou des instituts de langue autres que l'Institut Gabriel Dumont pour apprendre le michif?
    L’Institut Louis Riel de Winnipeg fait aussi beaucoup à ce chapitre. Nous avons une application en deux langues michif différentes, qui est disponible pour les appareils Android et Mac.
    Nous avons beaucoup d’outils en ligne.
    Nous savons que la technologie sera très utile étant donné que peu de gens parlent la langue et qu'ils ne sont pas proches les uns des autres pour collaborer.
    Y a-t-il autre chose au Canada?
    Oui, il y a divers groupes. Je sais qu'il y en a un qui fait du travail linguistique sur la langue michif à Kelowna. À Saskatoon, dans deux écoles, l'accent est mis sur les Métis et on y enseigne le michif.
(1705)
    Bien.
    Encore une fois, cependant, ces établissements font appel à des locuteurs qui ne parlaient pas le michif, mais qui s'y intéressaient.
    Si ce projet de loi est adopté, qu’il y a un budget et que vous avez accès à un certain soutien du gouvernement fédéral, où ces fonds seront-ils injectés?
     Je pense qu’une grande partie de cette somme devrait être consacrée aux banques de langues. Puis, il faudrait créer des ressources, réunir les locuteurs, car les gens ont oublié certaines expressions et certains termes. Une fois ensemble, ils se souviendront de les avoir entendus. Vous constaterez que le nom donné à quelque chose varie d'une communauté à l'autre, mais ensemble, ils s'en souviennent. C’est donc à la fois la profondeur et la portée que nous recherchons dans la conservation de la langue.
    Le perfectionnement des professeurs de langue serait le deuxième volet. Nous avons déjà des programmes pour les enseignants métis. Beaucoup d’entre eux souhaitent devenir professeurs de michif.
    L’Université de la Saskatchewan prépare actuellement un certificat en michif.
    D’accord.
    Vous avez bien dit « banque de langues »?
    Oui, il s’agit simplement de préserver les langues, car si elles disparaissent, nous pourrons consulter ces banques.
    Je comprends.
    Jocelyn et Christopher, vous avez mentionné un certain nombre de programmes linguistiques dans vos centres d’amitié partout au pays. Beaucoup de données ont été transmises très rapidement.
    Avez-vous le nombre approximatif de programmes linguistiques et y a-t-il un modèle ou une pratique qui se démarque par ses résultats ou sa qualité?
    Je ne dirais pas que nous avons une idée précise du nombre de programmes linguistiques offerts dans les centres d’amitié. Ce sont les seuls que nous connaissons.
    Nous saisissons les données. Toutefois, dans un autre dossier, nous n’avons pas été en mesure de mobiliser les données que nous recueillons auprès des centres d’amitié pour avoir une bonne idée de nos programmes.
    Je ne pourrais pas vous dire combien il y a de centres d’amitié. Nous savons seulement qu’ils offrent ce genre de programmes, mais nous ne sommes pas certains de la provenance du financement. Par exemple, à Montréal, on offre des cours de langues différentes depuis plusieurs années. Nous ne savons pas exactement d’où vient le financement. Je ne pense pas qu'il provient des programmes de base des centres d’amitié, mais c’est une possibilité.
    Nous savons que, dans certains cas, les gouvernements provinciaux fournissent des fonds pour appuyer les langues autochtones.
    D’accord.
    Encore une fois, supposons que le projet de loi soit adopté et qu’un budget y soit rattaché. Si vous aviez accès à de l'aide aux fins des programmes, quelle serait la priorité pour les centres d’amitié?
     Les centres d’amitié offrent tellement de programmes différents d’un bout à l’autre du pays qu’il est difficile de dire quel centre d’amitié pourrait offrir quoi. Nous avons des écoles secondaires alternatives, des programmes d’aide préscolaire aux Autochtones, des garderies, des programmes pour les jeunes, des programmes pour les parents, des programmes pour les mères et les enfants et des programmes prénataux. N’importe lequel de ces programmes pourrait être un point pour l’apprentissage linguistique. Certains d’entre eux pourraient simplement offrir des cours hebdomadaires et trouver des personnes sur place pour offrir ces cours de langue.
    Un certain nombre d’applications technologiques et de sites Web ont été élaborés. Les centres d’amitié pourraient peut-être s’inspirer de ce qui a déjà été mis au point et faire appel à des personnes simplement pour converser davantage. Ce que je crains avec la technologie, c’est que, même si c'est bien de mettre au point la technologie, il faut tout de même que les gens se parlent pour revitaliser une langue.
    Je ne sais pas exactement à quoi cela ressemblerait, mais je sais que nous pourrions offrir assez rapidement les programmes dans les communautés si nous pouvions avoir un programme national.
    Je sais, grâce à notre amitié, que vous êtes également présidente du Réseau de télévision des peuples autochtones qui diffuse des programmes en langue autochtone plusieurs heures par semaine —  je ne sais plus combien il y en a. Je sais que vous en avez parlé dans votre exposé, mais pourriez-vous parler du rôle des médias — la télévision et la radio  — non seulement dans la promotion des langues autochtones, mais aussi comme moyens pour les gens d'entendre les langues?
    Je vous demanderais de répondre en très peu de temps.
    Le rôle des médias autochtones est très important et la loi à l'étude n'en témoigne pas. La télévision et la radio sont utilisées depuis des décennies partout au Canada, surtout dans le Nord, non seulement pour utiliser la langue, mais aussi pour transmettre l’information essentielle. Vous pouvez regarder Wawatay, dans tout le Nord de l’Ontario, ou vous pouvez regarder l’Inuit Broadcasting Corporation à Iqaluit. Ces organismes sont essentiels pour faire répandre la langue et faire en sorte que les gens l’entendent tous les jours. On peut penser aux programmes pour enfants que les sociétés inuites ou nordiques ont produits pour que les enfants apprennent très jeunes à parler la langue.
    Je pense que ces exemples méritent d'être étudiés et pris en compte dans le projet de loi, si vous pensez à des ajouts ou à des amendements.
(1710)
    Merci.
    Nous allons maintenant passer à M. Yurdiga, pour sept minutes, s’il vous plaît.
    Merci, madame la présidente.
    J’aimerais vous remercier tous de votre présence aujourd'hui. Vos témoignages sont très importants.
    J’aimerais dire que je suis très impressionné par les centres d’amitié autochtones de ma circonscription et par votre organisme. Il y en a trois chez moi, soit un à Fort McMurray, un à Lac La Biche et un à Cold Lake. Je suis toujours étonné de ce qu'ils réussissent à faire avec un budget si limité. De toute évidence, nos centres d’amitié desservent les Premières Nations et les Métis dans les collectivités de ma région.
    Comment prévoyez-vous que les centres d’amitié participeront à la préservation... par exemple, dans ma région, ce serait le michif, et peut-être le cri? Comment prévoyez-vous aller de l’avant si un programme devait être mis sur pied?
    Jocelyn ou Christopher.
    J'envisagerais le programme en question dans la même optique que l'approche adoptée par les centres d’amitié pour entretenir la culture dans les centres urbains et faire en sorte qu'elle demeure vivante dans son ensemble. Il y a des centres d’amitié qui se sont vu confier de nombreuses pratiques culturelles au cours des 70 dernières années et il y a des exemples de pow-wow urbains et de cérémonies urbaines. Des centres ont établi des programmes pour que la culture demeure intacte et ils les ont ensuite présentés dans les communautés d'appartenance.
    Les centres d’amitié ont vraiment été le point culminant de la volonté des Autochtones de maintenir leurs cultures vivantes même après leur transition et maintenant, cela inclut les langues, que ce soit en les apprenant, en les revitalisant ou en trouvant des façons novatrices de les préserver.
    Nous avons examiné Webex. La raison d’être de Webex n’était pas simplement d’enregistrer; c’était littéralement pour avoir un professeur de langue n’importe où. Si nous n’arrivions pas à trouver un enseignant micmac à St. John’s à l’époque, nous pouvions trouver un endroit où un enseignant pouvait se rendre et donner un cours, peu importe où il se trouvait. C’est bien d’avoir des conversations en personne, mais s'il est possible de voir le professeur à l'écran, même...
    Pour nous, les centres offrent depuis très longtemps l’espace nécessaire à la culture autochtone, et je pense qu’avec la langue, ils offrent le réseau et l’infrastructure qui existent aujourd’hui.
     J’ajouterai rapidement que dans notre rapport, les participants prévoyaient que les centres d’amitié et l’ANCA pourraient être un dépôt central pour les documents, les programmes et les programmes d’études. Nous pourrions conserver, à notre bureau national, des documents qui ont déjà été élaborés et les distribuer. Si nous recevions une demande d’un centre d’amitié local, nous pourrions transmettre ce que nous avons dans ce dépôt. Cela se trouve dans le rapport que nous avons présenté au Comité.
    Merci.
    Karon, nous avons deux groupes de Métis. Il y a les établissements dont le territoire est la base puis il y a les Métis qui sont interreliés dans les centres ruraux et urbains et qui n'ont pas de territoire.
    Lorsque nous parlons des Métis, à mon avis, il y a deux types distincts d’infrastructures. Il y a les établissements et les collectivités urbaines. Avez-vous déjà travaillé avec les établissements? Ils ont une infrastructure en place. Il y a des écoles sur leur territoire. Ils bénéficient de certains avantages.
    Je sais qu’ils nous commandent des ressources, mais je ne peux pas dire que nous ayons travaillé directement avec eux.
(1715)
    D’accord.
    Le michif en Saskatchewan est ce que nous appelons le michif nordique, une langue qui puise beaucoup dans le cri. Le michif qui est gravement menacé est ce que nous appelons le michif patrimonial, qui est la langue d'origine des divers dialectes michif.
     J’envie les établissements où la communauté est tricotée serrée, non seulement en raison du soutien à la langue que procure la proximité, mais aussi en raison de l'infrastructure qui permet d'y parvenir. En outre, une fois qu’il y a une majorité dans l’école, il est beaucoup plus facile de tirer parti de l’appui pour l’inclusion du michif à la grandeur de la Saskatchewan. C’est une communauté métisse; la langue est donc enseignée tous les jours à l’école et les enseignants parlent également le michif. Encore une fois, c’est le michif nordique qui s'appuie surtout sur le cri.
    Chaque région a un type différent de...
    Oui, et nous les appelons toutes les langues. Personne ne veut considérer sa langue comme un dialecte, alors nous les appelons les langues michif. Trois sont parlées en Saskatchewan. L’autre est le français michif, qui est presque entièrement du français.
    Merci.
    Je sais que beaucoup d’organismes métis ont davantage accès à la plateforme numérique que certains de ces établissements, qui ont même de la difficulté à obtenir des services Internet. Ils ont les services de base, mais ils ne fonctionnent pas très bien.
    Pour l'avenir, à quel point est-il, à votre avis, important d'avoir accès à des services cellulaires ou Internet adéquats? Le centre d’amitié a mentionné que c’est une plateforme souvent utilisée et qu'elle est très efficace. Y a-t-il des communautés qui ont du mal à accéder à des programmes autochtones en raison de leur emplacement?
    Oui, il y en a. Depuis 15 ans, nous faisons... Tous les livres pour enfants sont traduits en michif et en anglais et nous incluons un CD qui contient l’audio du texte en michif et en anglais. Si vous êtes dans une région éloignée et que vous n’avez pas accès à des services adéquats, vous pouvez alors à tout le moins avoir recours à ces ressources pour entendre.
     J’ai assisté à une autre réunion aujourd’hui, où on a parlé d’un livre électronique qui peut être téléchargé et qui donne l'impression d'être en ligne sans vraiment l'être. Vous pouvez le télécharger pour l’utiliser n’importe où et je pense que c’est dans cette voie que la technologie se dirige.
    Bien sûr, si on pouvait être branchés et avoir des leçons et de l’enseignement interactifs, je pense que ce serait le scénario idéal.
    Merci.
    Votre temps est écoulé.

[Français]

    Nous allons maintenant passer à M. Nantel pour sept minutes.

[Traduction]

    Merci à tous d’être venus.
    Je devrais m’exprimer en français par principe, vu le sujet que nous étudions.

[Français]

    Voici la grande question que je pose à vous trois. Comment voyez-vous l'« interférence » ou la contribution des provinces en matière linguistique, puisqu'on leur accorde une compétence en éducation, et au Québec, une compétence dans le domaine de la langue?
    Quelle est votre position au sujet du rôle des provinces dont il est question dans le projet de loi?

[Traduction]

    Je pense qu’il faut respecter les deux langues officielles. Dans le cas des Métis, du fait que nous sommes dans le système scolaire provincial... Dans chacune des provinces où le michif est parlé par les Métis, je dirais que le ministère de l’Éducation accepterait de collaborer avec les Métis et serait en accord avec eux.
    S’il y avait un financement fédéral... Les Premières Nations obtiennent leur financement du gouvernement fédéral, puis les provinces établissent les programmes d’études. Je pense qu’il pourrait y avoir des problèmes, mais, si tout le monde a le même objectif — revitaliser les langues autochtones —, je crois que ceux-ci pourraient se régler.

[Français]

    Madame Formsma, voulez-vous ajouter un commentaire?

[Traduction]

    Le peu de cri que je connaisse, je l’ai appris à l’école primaire. Lorsque j’étais enfant à Moosonee — quand même un milieu urbain où il y a un centre d’amitié —, cela faisait partie du programme régulier. J’ai entendu dire qu’on n’offre pas le cri dans le cadre du programme d’études régulier. De plus, c’était un cours facultatif à mon école secondaire. Lorsque j’étais à l’école secondaire, nous avions le choix d’apprendre le cri ou le français. Par la suite, je n’ai pas renoué formellement avec ma langue avant l’université, et c’était là aussi un cours facultatif. Le cours était offert pour la simple raison qu’on avait trouvé un professeur pour le donner, professeur qui nous a fait l’aveu dès le premier jour qu’il avait accepté cette charge pour payer ses cours de pilotage. L’enseignement du cri ne faisait pas partie du programme régulier.
    Je pense que la participation des provinces est énorme. Surtout dans les collectivités urbaines, l’offre d’enseignement d’une langue dans le système scolaire est essentielle et importante. Pour beaucoup de collectivités au Québec, le bilinguisme signifie le français et le cri, l’innu ou l’atikamekw, pas le français et l’anglais. Pour les Autochtones francophones en milieu urbain, la question de la langue est très importante — il faut continuer de la parler et de l’utiliser —, bien qu’ils ne vivent pas dans leur collectivité d’origine.
(1720)

[Français]

    Lors d'une visite à Kahnawake, le chef Norton nous a présenté un programme de maintien de la langue mohawk auquel il tenait beaucoup. C'était un processus énorme. À moins que mon souvenir ne soit pas exact, les gens devaient consacrer tellement de temps à réapprendre la langue mohawk qu'il était hors de question qu'ils travaillent à temps plein en le faisant.
    Cela doit certainement demander des ressources si l'on veut arriver à quelque chose, et iI n'y a pas de budget rattaché à la loi concernant les langues autochtones. J'imagine que ce flou relatif au financement ne vous rassure pas tellement.

[Traduction]

    Pas encore.
    C’est intéressant. Il est parfois difficile de savoir d’où vient l’argent pour certains de ces programmes des centres d’amitié qui offrent des cours de langue. Il se trouve que je suis très proche du directeur général de Montréal autochtone. Ce centre enseigne plus de cinq langues autochtones avec un budget de 100 000 $. Pouvez-vous imaginer une université offrant un programme de langue, ou même une partie de programme, pour 100 000 $? Jamais on ne s’attendrait à autant d’un établissement d’enseignement, mais il faut dire que Montréal autochtone travaille extrêmement fort pour trouver cinq enseignants de langues autochtones différentes, disponibles chaque semaine.
    Le centre a emménagé dans de nouveaux locaux, mais l’espace est insuffisant pour les cours de langue. Quiconque s’attend à ce qu’un budget de 100 000 $ suffise à faire tout cela n’est pas vraiment un partisan du maintien des langues autochtones.
    C’est exact.
    Si je ne m’abuse, au centre d’amitié de Montréal, il y a des gens de 10 ou 12 Premières Nations.
    Ils viennent de partout.
    Si vous regardez nos centres, vous verrez qu’ils se trouvent vraiment dans les grandes agglomérations. À Montréal, il y a différentes Premières Nations, il y a des gens d’autres pays et il y a des Inuits. Il y a un grand nombre d’Autochtones, venant de nombreuses communautés, et vous avez à enseigner six langues autochtones chaque semaine avec un budget de 100 000 $.
    S’attendre à autant de qui que ce soit serait irréaliste, mais pourtant cela ne nous dérange pas de le faire, semaine après semaine. Voilà trois ans qu’on force cette communauté à le faire, et cela nous amène à réfléchir sérieusement à ce qu’il faudrait vraiment. Si nous devions traiter les langues autochtones de la même façon et les enseigner comme on le fait dans un établissement d’enseignement, à quoi cela ressemblerait-il?
    Auriez-vous aimé être désignés nommément dans le projet de loi? Les centres d’amitié n’ont-ils pas quelque chose en commun partout au Canada?
    Je pense qu’il est important que l’aspect urbain y soit reflété. Même dans la définition d’« organisme autochtone », il n’est pas clair s’il s’agit d’entités détenues et exploitées par des Autochtones ou d’organisations représentant des Autochtones.
    Nous sommes des organismes dirigés par des bénévoles. Nous sommes certainement des Autochtones, mais il serait faux de dire que nous représentons tel peuple et tel groupe. Il en est de même des organisations médiatiques et peut-être même des organismes comme celui de Mme Shmon.
    Je pense qu’il est important de mentionner au moins les organisations urbaines. Si vous voulez ajouter notre nom, nous en serions très heureux. Sachant que nous sommes les principaux fournisseurs de services en milieu urbain, je pense que ce serait une bonne chose.
(1725)
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à M. Hogg, pour sept minutes.
    Merci beaucoup.
    Pourriez-vous faire une ventilation des centres d’amitié autochtones au Canada? Selon vous, quel est le pourcentage d’Autochtones qui vivent en milieu urbain et comment sont-ils répartis dans les diverses provinces ou régions du Canada?
    Dans l’un de mes exposés précédents, j’avais donné le chiffre de 61,1 % à l’échelle nationale. Nous avons reçu un courriel de Statistique Canada le confirmant, et je crois l’avoir fourni dans l’un de mes exposés précédents.
    Je n’ai pas la ventilation par province. Peut-être que Jocelyn a ces chiffres quelque part. Au Canada, c’est 61,1 % de tous les Autochtones qui vivent en milieu urbain.
    Je ne sais pas quelle est la ventilation en pourcentage, mais je viens de voir des chiffres sur le site Web du Réseau de connaissances des Autochtones en milieu urbain, uakn.org.
    Dans certaines régions — certaines des grandes villes comme Winnipeg et Edmonton —, le pourcentage d’Autochtones vivant en milieu urbain varie de 8 à 12 %, selon la ville. Sur le site Web que je viens de mentionner et dans les projets de recherche qui ont été entrepris, il y a une petite vignette en bas de page qui donne la ventilation des projets de recherche pour chaque collectivité.
    En Colombie-Britannique, on nous dit qu’il y a plus d’Autochtones dans un rayon de deux kilomètres de Main et Hastings, au centre-ville de Vancouver, que dans le reste de la province.
    C’est vrai.
    Dan me dit que c’est vrai, et il ne vit pas en Colombie-Britannique.
    Auriez-vous une observation à faire à ce sujet?
    J’ajouterais que les Métis sont sous-dénombrés. Statistique Canada n’a rien qui permette de déterminer exactement le nombre de Métis au Canada, notamment dans les centres urbains. Les Métis n’ont jamais trouvé utile de s’identifier comme tels, si bien que, dans les recensements, ils ne déclarent pas nécessairement leur appartenance.
    Cela a commencé avec nos anciens combattants lorsqu’ils se sont enrôlés et qu’on leur a demandé leur origine ethnique. S’ils répondaient « Métis », on leur disait que ça n’existait pas. On regardait leur patronyme, puis, selon sa consonance, on les déclarait Canadiens d’origine écossaise ou d’origine française. Les Métis ont tout simplement laissé tomber.
    La question du recensement sur l’origine pourrait aussi être sentie comme une amorce de discrimination, de sorte que les Métis ne s’identifient pas nécessairement comme tels.
    Là où je voulais en venir — quand j’ai appris que c’était 61,1 % —, c’est que beaucoup d’Autochtones, surtout au centre-ville de Vancouver, sont des gens de la rue. Bon nombre d’entre eux ont beaucoup de difficultés.
    Au cours de nos audiences, les témoins nous ont souvent dit que la langue autochtone est un élément important de la culture, des valeurs, de la capacité d’établir des liens avec autrui, du sentiment d’appartenance.
    Y a-t-il quelque chose que nous pourrions ou devrions faire à cet égard, pour reconnaître la valeur sociale, l’effet social des langues autochtones et pouvoir faire le lien avec les centres-villes, les centres d’amitié?
    À Main et à Hastings, au centre-ville de Vancouver, nous mettons sur pied un grand centre autochtone. Nous avons d’importants éléments. Les gens de la rue ont participé activement à son développement. Nous nous sommes installés dans l'ancienne prison de la vieille ville de Vancouver, un lieu idéal pour eux où ils peuvent discuter de leurs problèmes et pratiquer certains de leurs rituels.
    Il me semble, qu'avec 61 % — et vous rejoignez là-dessus d’autres témoignages que nous avons entendus —, il pourrait y avoir des synergies qui auraient éventuellement une incidence profonde dans certaines de ces zones urbaines.
    Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez ou m’aider à comprendre?
(1730)
    Je dirais d’abord que le Canada doit commencer à élaborer des politiques publiques fondées sur des faits. Nous adoptons des lois linguistiques, et bien que 61,1 % des Autochtones vivent en milieu urbain, ils ne sont pas mentionnés. Nous pourrions peut-être commencer par là. Et ce n’est pas seulement là que le problème existe; il se retrouve partout dans les politiques. C’est un sujet très difficile. De façon générale, il faut avoir des discussions, mais je pense que, si on parle sérieusement de conserver et de revitaliser des langues qui n’existent nulle part ailleurs, c’est déjà une bonne raison de tenir ces discussions.
    Je pense qu’adopter des lois et des politiques publiques en se basant sur les données recueillies à chaque recensement, même si les Autochtones se déclarent toujours autochtones... Nous ne tenons même pas compte des données que nous avons, et c’est là la réalité des centres d’amitié depuis 70 ans.
    Je pense qu’il faut commencer par faire preuve de lucidité dans les lois et les programmes adoptés par le Canada.
    Je vous le dis aussi franchement que possible.
    Je sais que Paul Lacerte a fait de l’excellent travail dans le développement des centres d’amitié autochtones en Colombie-Britannique; il les a multipliés, et tous sont florissants. Il ne s’en occupe plus depuis quelque temps, accaparé qu’il est par la campagne Moose Hide, mais il s’est penché activement sur la valeur que ces centres pouvaient présenter.
     Si vous deviez inclure dans ce projet de loi un énoncé reflétant la valeur dont vous parlez, qu’y mettriez-vous et où est-ce que cela figurerait? Vous avez lancé ce défi en disant que nous devons le faire. Quels faits devrions-nous utiliser? Quelles données devrions-nous utiliser? Que devrions-nous y mettre, étant donné que le projet de loi C-91 porte sur les langues autochtones, tout le monde nous dit qu’il y a une forte corrélation avec...
    Est-ce une erreur de l’inclure ici? Est-ce quelque chose qui pourrait être utile?
    Nous ne voulons pas nous opposer à l’approche fondée sur les distinctions, mais ce qui se produit sur le terrain, c’est que les villes... finissent par être oubliées si l’on s’en tient à ces trois composantes autochtones. Nous les regroupons toutes, mais nous n’en sommes aucune.
    Votre temps est écoulé.
    Non, vous ne pouvez pas poser une autre question. Je laissais simplement le témoin terminer sa réponse.
    Mais elle fait partie de ma question précédente, que je n’ai pas tout à fait…
    Non, le témoin finissait de répondre.
    Exactement.
    Je pense que nous avons déjà dit que nous aimerions que le projet de loi tienne compte des régions urbaines.
    Je signale que nous avons légèrement dépassé le temps alloué. Mme McLeod dit qu’elle avait une question d’environ deux minutes. Si tout le monde est d’accord pour lui accorder ces deux minutes, je l’inviterais à prendre la parole.
    On a suggéré d’établir une annexe désignant les différentes langues, mais j’entends aussi dire que cela pourrait être presque trop restrictif et qu’il serait préférable de ne pas l’avoir. Il semble qu’il y ait un certain nombre de... Vous avez parlé du michif.
    Une annexe est-elle importante ou non?
    Si les centres d’amitié ont quelque chose qu’ils pourraient envoyer au Comité, s’ils ont un libellé qu’ils jugent utile, s’ils ont quelque chose à dire, j’en serais heureuse. Ce que nous avons entendu, c’est que les communautés croient qu’elles ont la propriété de la langue. Pour faire suite à ce qu’a dit M. Hogg, comment cela s’inscrit-il dans la réalité des 60 % qui vivent hors réserve? Je pense que c’est un défi que nous devons relever; je serais heureuse de recevoir un mémoire écrit sur ce sujet.
    Mais pour ce qui est d’une annexe qui énumérerait toutes les langues, pouvez-vous répondre rapidement par « oui » ou par « non »?
    Je dirais non, du fait que cela pourrait devenir une entrave légale, et je pense qu’il y a des communautés de Métis dans les centres urbains.
    Merci.
(1735)
    Voilà qui met fin à la séance d’aujourd’hui.
    Merci à tous, en particulier à nos témoins. Vos interventions nous ont été très utiles.
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