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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous remercie de m’avoir invitée à venir vous parler de l'important projet de loi que vous étudiez.
Certains d’entre vous savent peut-être que la Société John Howard offre des services à l'appui de la réintégration des détenus dans la collectivité et d’autres services partout au pays. Nous desservons une soixantaine de collectivités. Nous sommes tous particulièrement préoccupés et engagés à veiller à ce que la justice pénale soit juste, efficace et humaine dans les services correctionnels. L’isolement préventif est un problème de longue date pour nous. Même si le projet de loi vise à mettre fin à l’isolement cellulaire et à l’isolement préventif, il y a un risque très réel que ce projet de loi perpétue les torts causés par l’isolement cellulaire prolongé sous un autre nom. Dans ces brèves remarques préliminaires, je tiens à souligner ces risques.
L'analyse du projet de loi du point de vue de l’équité, de l’efficacité et de l’humanité révèle sa vulnérabilité sur les trois plans.
Tout d’abord, l’isolement prolongé est inhumain en raison de ses conséquences désastreuses sur la santé physique, psychologique et mentale. Selon la définition de l’ONU, l’isolement cellulaire prolongé consiste à détenir des personnes pendant 22 heures par jour ou plus sans contacts humains réels pendant plus de 15 jours consécutifs, et il est considéré comme une forme de torture. Peu importe la façon de désigner l'isolement, qu'on l'appelle isolement cellulaire, isolement préventif ou intervention structurée, si le résultat effectif est que les gens sont dans des cellules pendant 22 heures par jour ou plus sans contacts réels pendant plus de 15 jours, c’est inhumain.
J’aimerais souligner quelques éléments au sujet de ce caractère inhumain.
Les troubles mentaux sont exacerbés par le placement en isolement. Il n’y a rien dans ce projet de loi qui protège les prisonniers atteints de maladie mentale contre un isolement prolongé. Des professionnels de la santé sont maintenant tenus de faire des visites quotidiennes, mais ils n’ont pas protégé tous ceux, nombreux, qui se sont suicidés dans des cellules d’isolement. Devon Sampson en est un exemple récent. Selon le projet de loi, les professionnels de la santé peuvent seulement faire une recommandation au décideur, qui est un fonctionnaire du SCC non indépendant. Les prisonniers atteints d'une maladie mentale risquent de voir leur état se détériorer considérablement et de souffrir s'ils sont placés en isolement dans l’unité d'intervention structurée.
Le paragraphe 36(1) proposé prévoit pour le détenu la possibilité de sortir de sa cellule pendant quatre heures ou plus par jour et pendant au moins deux heures par jour dans le cadre d'activités se rapportant à « des programmes, des interventions ou des services qui l'encouragent à atteindre les objectifs de son plan correctionnel ». J’insiste sur le mot « possibilité », parce que je pense que les groupes de témoins précédents vous ont donné l’impression que les prisonniers sortaient de leur cellule pendant quatre heures par jour. Une possibilité, c'est l'éventualité que quelque chose se produise, mais, à moins que cela ne se produise effectivement, les détenus sous responsabilité fédérale feront l’objet d’un isolement cruel.
Il n'y a pas d'infrastructure — je parle de ressources matérielles et humaines — pour permettre aux prisonniers de passer autant de temps constructif à l’extérieur des cellules. Les propositions contenues dans le projet de loi ne sont pas chiffrées et, par conséquent, aucune ressource n’a été affectée à la mise en oeuvre du projet de loi. Il semble que ce projet de loi soit présenté un peu prématurément, parce qu’il n’y a pas vraiment de moyen de connaître l'éventail de programmes de soutien qui seront offerts aux gens dans les unités d'intervention structurée.
Ces possibilités sont prévues au paragraphe 36(1) proposé, mais le paragraphe 37(1) les supprime pour diverses raisons. Il en énumère trois principales. La première est le refus du détenu. La deuxième est le défaut de se conformer à des instructions raisonnables. Et la troisième regroupe des circonstances prescrites non définies qui sont raisonnablement nécessaires à des fins de sécurité.
S’il n’y a pas d’infrastructure suffisante, il est facile de refuser de donner aux prisonniers quatre heures de sortie de cellule par jour pour des raisons de sécurité. Il y a beaucoup d’autres raisons pour lesquelles les prisonniers restent dans les cellules aujourd'hui, et nous y reviendrons un peu plus tard.
Il n’y a pas non plus de définition de « contacts humains réels » dans le projet de loi. Il ne s'agit pas simplement de communiquer avec des agents correctionnels ou d’autres prisonniers ou de marcher seul dans une cour en béton. Il faut définir clairement ce qu’on entend par « contacts humains réels ».
Deuxièmement, le processus est injuste. Le droit correctionnel stipule qu’un déni des libertés résiduelles déclenche l’application de l’article 7 de la Charte. Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’affaire May c. Ferndale Institution en 2005, un placement dans des circonstances plus contraignantes constitue un déni des libertés résiduelles. Le projet de loi n'est pas conforme au principe de justice fondamentale.
En éliminant l’isolement préventif, le projet de loi supprime, en fait, les droits procéduraux des personnes placées en isolement ou dans une unité d'intervention structurée pour des raisons disciplinaires. Il n’y a plus de président indépendant chargé de décider. Il n’y a pas de limite quant à la durée pendant laquelle les droits résiduels peuvent être limités, et il n’y a pas de droit de représentation pour ceux qui sont soumis à ce confinement plus restrictif. Toutes les décisions relatives aux unités d'intervention structurée sont laissées à la discrétion du SCC, sans surveillance ou arbitrage indépendant, sans limite de durée du placement et sans avocat ou représentant pour les détenus. L’absence de garanties liées à la justice fondamentale lorsqu'il y a privation de libertés résiduelles est injuste.
Par ailleurs, de nombreux détenus ordinaires, notamment ceux qui sont placés dans des établissements de plus haute sécurité, n’ont pas droit à deux heures par jour de programmes ou de services pour les aider à réaliser les objectifs de leur plan correctionnel. Si ces programmes et interventions ne sont pas accessibles au même degré pour la population carcérale générale, un sentiment d'injustice risque de se répandre et d'entraîner de l'agitation dans les prisons.
Les dispositions relatives à l’isolement disciplinaire permettaient de sanctionner les détenus qui commettaient des infractions en établissement par un déni proportionnel des libertés résiduelles dans un système qui offrait une certaine garantie en matière d’application régulière de la loi. En vertu de ce projet de loi, non seulement les détenus seront privés de ces garanties, mais ils auront droit à un minimum de deux heures de programmes par jour pour les aider à réaliser les objectifs de leur plan correctionnel. Comme les prisonniers respectueux des règles n’auraient probablement pas accès à des programmes aussi intensifs, on établit un système de récompenses pervers qui sera perçu comme injuste par d’autres détenus.
Troisièmement, l’abolition de l’isolement préventif en faveur des unités d'intervention structurée sera probablement inefficace. L’abolition de l'isolement préventif est un changement radical dans un climat institutionnel opposé au changement. Pour que la perspective des unités d'intervention structurée présentée au Comité par le ait des chances de se concrétiser, il faudra compter sur des ressources suffisantes pour obtenir les programmes d’infrastructure et le personnel nécessaires, mais aussi sur la volonté des autorités correctionnelles, qui résistent généralement au changement, de mettre en oeuvre ces dispositions conformes à cette perspective et de donner la possibilité de sortir de cellule.
L’abolition de l’isolement préventif pourrait nuire à la sécurité des prisonniers et du personnel. La capacité de séparer rapidement les détenus qui s’attaquent les uns aux autres ou s'attaquent au personnel est une mesure à court terme importante pour réduire la violence. Les prisons peuvent être des endroits terriblement violents, et les gens peuvent y être blessés. Le Syndicat des agents correctionnels du Canada nous dit que l'élimination de l’isolement préventif fera augmenter la violence. Si les autorités correctionnelles estiment que leur capacité de prévenir la violence est réduite, cela aura une incidence sur la façon dont le projet de loi sera mis en oeuvre.
La Société John Howard n’a pas préconisé l’abolition totale de l’isolement préventif, de crainte que l’incapacité des agents correctionnels de séparer rapidement les prisonniers qui s’attaquent les uns aux autres représente un danger. Nous avions également peur que, à moins que le cadre législatif existant fonde les décisions en matière d’isolement préventif, de nouvelles unités servent à isoler les prisonniers, mais sans les garanties législatives nécessaires — ce qui reviendrait à un isolement cellulaire sous un autre nom.
Nous voulons qu'un régime susceptible de laisser des prisonniers seuls dans leur cellule pendant 22 heures par jour soit plus juste et plus humain. Nous pensons que le moyen de s'y prendre est de limiter le temps passé en isolement à 15 jours consécutifs et à 16 par année, de charger un arbitre indépendant de rendre les décisions et de s'occuper du placement et du maintien en isolement.
En conclusion, il n’y a rien dans le projet de loi qui interdirait l’isolement prolongé. Les torts désastreux causés à Ashley Smith, à Eddie Snowshoe et à d’innombrables autres personnes n’auraient pas été soulagés par ce projet de loi si le SCC avait décidé de les garder en isolement. En toute conscience, nous vous invitons instamment à ne pas adopter le projet de loi C-83.
Je suis accompagnée de Lawrence Da Silva. Je pense qu’il est important que vous entendiez des gens qui ont effectivement fait l'expérience de longues périodes d’isolement préventif et d’autres types de placement. Je pense qu’il peut vous expliquer plus clairement les réalités et les effets de la culture carcérale qui feront en sorte qu’il sera difficile pour les gens de sortir de leur cellule pendant cette période et que ce régime sera difficile à gérer.
Je suppose que j’ai utilisé tout notre temps.
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Merci. Je tiens d’abord à souligner que nous sommes sur le territoire non cédé du peuple algonquin.
Comme on l’a dit, je suis directrice de la mobilisation et des affaires juridiques à l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. Nous sommes une organisation-cadre composée de 24 sociétés Elizabeth Fry du Canada qui travaillent avec et pour les femmes et les jeunes filles criminalisées. Ensemble, nous travaillons à l’instauration d’un Canada sans prisons, car nous appuyons la formation axée sur les droits de la personne, nous offrons des programmes et des services de prévention et nous facilitons la réinsertion des femmes dans la collectivité.
À titre de directrice de la mobilisation et des affaires juridiques, j’ai le privilège de travailler avec plus de 20 bénévoles — dont certaines, comme Mme Pierini, que vous entendrez un peu plus tard, ont déjà été incarcérées. Nous nous rendons dans les prisons pour femmes tous les mois pour y surveiller les conditions de détention.
Même si j’ai une formation d’avocate, la meilleure éducation que j’ai reçue jusqu’à présent me vient des femmes que j’ai rencontrées dans les prisons canadiennes. J’espère vous faire comprendre certaines des préoccupations dont elles m'ont fait part au sujet du projet de loi .
Lorsque la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été déposée la première fois, on l'a considérée comme une loi sur les droits de la personne, qui faisait suite aux violations des droits de la personne et à l'augmentation du taux d'incarcération. Mais, depuis son adoption, ce sont les dispositions axées sur la sécurité qui ont été exploitées, tandis que des dispositions comme les articles 81 et 29, qui visent la remise en liberté, ont été sous-utilisées. Notre organisme, de concert avec le Bureau de l’enquêteur correctionnel, documente cette tendance depuis des décennies, et nous croyons que le projet de loi n’aura pas l’effet escompté et, en fait, que certaines parties du projet de loi représentent une véritable régression sur le plan des garanties législatives comme celles dont Mme Latimer a déjà parlé et sur le plan de la remise en liberté.
J’aimerais d’abord vous parler de l’article 81. Le projet de loi remplace le terme « collectivité autochtone » par « corps dirigeant autochtone ». Cependant, il s’agit d’un terme non défini qui aura certainement une incidence sur les personnes aptes à présenter une demande d'entente en vertu de l’article 81. Il n’y a pas de changements correspondants à la loi pour assurer ou même appuyer l’élaboration d’autres ententes en vertu de l'article 81, comme l’a demandé le Bureau de l’enquêteur correctionnel dans son dernier rapport. Cela nous laisse croire que les changements limiteront, en fait, davantage une disposition déjà sous-utilisée, à un moment où le nombre de femmes autochtones incarcérées représente pour beaucoup, notamment pour le BEC, une crise des droits de la personne.
Les modifications apportées à l’article 29 vont à l’encontre de l’objet législatif de la disposition et auront un effet particulier sur les femmes détenues. Le nombre de femmes ayant des besoins complexes en santé mentale est en hausse selon le dernier rapport annuel du BEC. Plus de la moitié des femmes incarcérées ont des besoins en santé mentale, comparativement à 26 % des hommes. La nature des besoins des femmes en matière de santé mentale renvoie uniquement aux effets durables des mauvais traitements passés.
La Commission canadienne des droits de la personne signale que les femmes utilisent l’automutilation comme mécanisme d’adaptation pour survivre à la douleur émotionnelle qui découle des expériences traumatisantes de violence et de mauvais traitement vécues pendant l’enfance et à l’âge adulte. Le taux plus élevé de violence subie par les femmes incarcérées entraîne des taux d’automutilation et de tentative de suicide beaucoup plus élevés que chez les hommes. Les effets multiplicateurs de la race et du sexe ont des répercussions discriminatoires distinctes sur les femmes autochtones placées dans des établissements fédéraux, et cela a une incidence sur leur expérience de l’incarcération du début à la fin.
Le Bureau de l’enquêteur correctionnel a largement fait état d'une redéfinition semblable de l’article 81 dans son rapport intitulé Une question de spiritualité. Le SCC a réaffecté l’argent et les ressources destinés à la remise en liberté dans le cadre d'ententes en vertu de l'article 81 vers des maisons de transition internes censées offrir des programmes axés sur les besoins des Autochtones. À ce jour, l’article 81 est sous-utilisé, et l’accès aux programmes autochtones en établissement est sérieusement restreint.
L’article 29 est également sous-utilisé depuis toujours, et cette modification permet de transférer les femmes dans des unités d’intervention structurée à l’intérieur de la prison, malgré le fait que de nombreux rapports et commissions expliquent que l’environnement carcéral n'est pas apte à répondre à des besoins complexes en santé mentale. Cela s’applique aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Il faut investir davantage dans l’article 29, et les modifications, dans leur forme actuelle, vont probablement nuire aux stratégies de remise en liberté.
De plus, l’article 29.1 proposé permet la création de systèmes de classification supplémentaires, élaborés selon des règles non écrites, de sorte que nous n’avons aucun moyen de savoir à quoi ressembleront ces systèmes ni d'en parler ici aujourd’hui.
Et ce, malgré le fait que le système d'évaluation initiale de SCC, selon le rapport de l'automne 2017 du vérificateur général, fait en sorte que des femmes sont inutilement placées dans des établissements à sécurité plus élevée, ce qui retarde injustement leur accès aux programmes et nuit à leurs chances de réussite en matière de libération et de réinsertion sociale. Nous avons des raisons de croire — Mme Pierini en parlera plus tard — que ce ne sera pas différent dans ces unités d'intervention structurée.
L'ACSEF reconnaît depuis longtemps, probablement à cause des visites que nous effectuons en prison et de nos rencontres avec les femmes touchées, que l'isolement pratiqué dans les prisons canadiennes prend de nombreuses formes et appellations, qui vont au-delà de ce que l'on désigne habituellement comme l'isolement cellulaire ou l'isolement préventif.
Je vais aborder rapidement quelques-uns des points concernant les unités d'intervention structurée et, premièrement, cette notion de contacts humains réels, dont Mme Latimer a déjà parlé.
Dans l'affaire récente de la BCCLA et du Canada — il s'agit de la BCSC 62 de 2018 —, le procureur général a fait valoir que l'isolement préventif n'est pas une forme d'isolement cellulaire puisque les détenus ont quotidiennement la possibilité d'avoir des contacts humains réels, mais le tribunal a conclu qu'il ne s'agissait pas de contacts humains réels et que les interactions courantes entre le personnel et les détenus ne peuvent pas être considérées comme tels.
Sans définition, nous n'avons aucun moyen de savoir quelle sera la situation. C'est entièrement à SCC, qui a des antécédents de lacunes dans la mise en oeuvre des recommandations, quand il n'omet tout simplement pas de le faire, qu'il revient de déterminer à quoi ressembleront les contacts humains réels, ou plus tard, aux tribunaux de décider. Entretemps, combien de personnes en souffriront?
Pour ce qui est de la durée, dans l'affaire de la BCCLA, le maximum de 15 jours prescrit par les règles Mandela — ce qui représente une norme minimale — a été considéré comme un maximum « généreux », compte tenu des preuves accablantes du préjudice psychologique qui peut se produire après seulement quelques jours dans des conditions d'isolement.
Enfin, les motifs du transfèrement sont énumérés dans le projet de loi , notamment:
a) de fournir un milieu de vie qui convient à tout détenu dont le transfèrement dans l'unité a été autorisé et qui ne peut demeurer au sein de la population carcérale régulière notamment pour des raisons de sécurité;
La définition des raisons de sécurité est très vaste et fait en sorte que de nombreuses personnes pourraient être visées par cette disposition en raison de comportements liés à leur santé mentale qui sont considérés comme de mauvais comportements.
SCC a l'obligation de prendre des mesures d'adaptation pour les détenus ayant une déficience mentale qui ne peuvent pas fonctionner dans la population carcérale en général. S'il est incapable de répondre aux besoins de ces détenus sans augmenter leur cote de sécurité ou les isoler, que ce soit dans des unités d'isolement, des unités de garde en milieu fermé ou des unités d'intervention structurée, il devrait les transférer dans un établissement de traitement communautaire approprié.
Je terminerai en disant que, comme M. Zinger l'a mentionné dans son communiqué de presse après le dépôt du rapport annuel de cette année, il existe déjà des unités semblables aux unités d'intervention structurée proposées dans ce projet de loi. À l'Établissement Nova pour femmes, le personnel a renommé l'unité d'isolement « Pod C » et permet aux femmes qui s'y trouvent de passer plus de temps à l'extérieur de leur cellule et d'avoir plus d'interactions sociales. Bon nombre des femmes qui y sont détenues en isolement s'y sont retrouvées en raison d'incidents d'automutilation. Elles se considèrent toujours comme étant en isolement, et leur santé mentale se détériore tout comme elle le ferait en isolement.
Le fait d'appeler ces conditions d'isolement autrement, même avec de légères améliorations, ne change pas l'expérience ou l'impact préjudiciable de ces conditions.
Je vais céder la parole à Alia.
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Merci, monsieur le président.
Le Syndicat des agents correctionnels du Canada représente plus de 7 300 membres qui travaillent dans les établissements carcéraux de tout le Canada. En tant qu’agents du maintien de l’ordre, nous formons une composante cruciale de Service correctionnel Canada et permettons ainsi au SCC de remplir son mandat de maintien de la sécurité publique 24 heures par jour, 365 jours par année.
Le rôle que joue l'isolement dans le système correctionnel canadien, tant au niveau provincial que fédéral, a récemment suscité beaucoup d'attention. La question de l'isolement a été examinée avec soin, et ses conséquences ont été analysées et débattues tant par les universitaires que par les critiques du système de justice.
Avec le dépôt du projet de loi , le SCC sera forcé de changer radicalement sa manière de gérer les populations carcérales. L’adoption de ce projet de loi se traduira par des changements aux politiques opérationnelles qui vont manifestement affecter les opérations dans nos pénitenciers fédéraux, ce qui aura une incidence sur le personnel et les détenus.
Par conséquent, UCCO-SACC-CSN, dont les membres sont un partenaire important dans la prestation de services correctionnels efficaces, souhaite prendre part aux discussions entourant ces changements. Le but de ce rapport est donc de faire connaître notre point de vue, celui des agents correctionnels, sur les impacts potentiels de ces changements.
Si le projet de loi est adopté, le SCC sera forcé de mettre en place une politique qui modifiera de façon draconienne la manière dont il gère les segments les plus difficiles de la population carcérale. Comme nous l'avons vu avec les récents changements apportés à la politique du SCC par la DC 709, où le recours à l'isolement a été remplacé par les unités d'intervention structurée, le SCC aura encore plus de difficulté à réaliser son mandat, soit exercer une surveillance sécuritaire et humaine sur les populations carcérales. Nous sommes préoccupés par ces révisions, car elles semblent réduire la possibilité de recourir à l'isolement pour assurer la sécurité d'un détenu ou celle du personnel, comme il est dit à l'article 37.3.
Nous ne voulons en aucun cas insinuer que le projet de loi est sans mérite. Nous notons par ailleurs que des outils, tel le scanneur corporel prévu dans ce projet de loi, amélioreront la capacité des agents correctionnels de réduire toute forme de contrebande, une réalité qui met en péril la sécurité des gens qui travaillent et vivent dans les établissements fédéraux. Cependant, afin de mettre en oeuvre avec succès l'entièreté de ce projet de loi, un engagement beaucoup plus grand sera requis de la part du gouvernement fédéral.
Bien que le projet de loi vise à modifier plusieurs composantes clés de la structure du SCC, la plus importante, relativement aux opérations de sécurité, est l'élimination des unités d'isolement au sein des établissements fédéraux. Même si UCCO-SACC-CSN reconnaît que l'efficacité d'un système correctionnel repose sur sa capacité d'adaptation, il faut se rappeler que nos membres ont la tâche d'assurer la sécurité des détenus et du personnel carcéral dans les pénitenciers.
Si on élimine l'isolement préventif et disciplinaire, la capacité de garder le contrôle des diverses populations sera substantiellement touchée. Nous comprenons que le recours trop fréquent à l'isolement comme mesure disciplinaire peut avoir un résultat négatif. II y a néanmoins des situations où une réponse immédiate à un comportement dangereux est nécessaire.
En 2007, nous avons été témoins de l'impact inattendu des changements à la politique correctionnelle, nommément la DC 709, « Isolement préventif » et la DC 843, « Interventions pour préserver la vie et prévenir les blessures corporelles graves ». Ces politiques ont considérablement réduit la possibilité du SCC de gérer ses établissements à l'aide de l'isolement. Quoique inspirés par de bonnes intentions, ces changements ont mené à une hausse de la violence dans les milieux carcéraux fédéraux.
Les données préliminaires publiées par le Bureau de l'enquêteur correctionnel sur les répercussions de ces modifications donnent quelques indications sur les retombées opérationnelles de ces changements. L'analyse révèle une nette corrélation entre la réintégration de ces détenus dans la population de l'établissement et les incidents violents. Le nombre de détenus réintégrés est passé de 5 501 en 2012 à 4 025 en 2017, tandis que le nombre de détenus qui ont quitté l'isolement et ont été impliqués dans une attaque est passé de 244 à 321, selon le Bureau de l'enquêteur correctionnel.
En outre, l'enquêteur correctionnel Ivan Zinger affirme que la nouvelle stratégie consistant à limiter l'isolement prolongé a eu la conséquence inattendue d'engendrer davantage d'attaques violentes derrière les barreaux. II implore le Service correctionnel du Canada de renforcer la supervision et l'évaluation des risques afin d'améliorer la sécurité des détenus. Alors que M. Zinger suggère que ces changements ont eu des conséquences inattendues, la position d'UCCO-SACC-CSN a toujours été catégorique quant au résultat à prévoir.
Au cours des deux dernières années, nous avons observé que des établissements ont été le siège de plus en plus de violence, malgré des baisses de population, à cause de la réduction organisationnelle des mesures de contrôle, c'est-à-dire l'isolement, d'où le lien avec la hausse des agressions. UCCO-SACC-CSN ne préconise pas l'isolement inutile des détenus, mais cherche plutôt à maintenir sa disponibilité comme outil de gestion des populations sans restrictions déraisonnables ni sa suppression complète.
II faut également considérer la nature transitoire du projet de loi . S'il est adopté, tous les détenus assujettis à l'isolement disciplinaire ne le seront plus, aux termes des articles 39 et 40. Sa mise en oeuvre entraînera des changements immédiats à la gestion des délinquants violents dans les populations carcérales, sans égard à la façon dont ils seront dorénavant gérés.
Le projet de loi vise à remplacer l’isolement par des unités d’intervention structurée, dont les détails sont encore vagues. Ce projet de loi permettra à la commissaire de « désigner à titre d’unité d’intervention structurée tout pénitencier ou tout secteur d’un pénitencier » pour l’incarcération de détenus qui ne peuvent être maintenus avec la population pour des raisons de sécurité ou autres. Voilà ce que dit l'article 31.
De plus, dans le projet de loi , les références à l’isolement ont été effacées et remplacées par « unités d’intervention structurée ». À ce stade-ci, UCCO-SACC-CSN est d’avis que les seules unités appropriées pour gérer les détenus qui ne peuvent séjourner avec la population carcérale générale pour des raisons de sécurité ou autres sont les unités d’isolement existantes du SCC. Reste à savoir si ce projet de loi va engendrer la fermeture d’unités d’isolement ou, plus simplement, une nouvelle dénomination plus politiquement correcte, comme le propose l'article 31.
Indépendamment de l’endroit où sont situées les unités d’intervention structurée dans les établissements fédéraux, le projet de loi vise aussi à modifier la manière dont est géré le segment le plus difficile de la population carcérale. Les détenus vivant dans les unités d’intervention structurée auront l’occasion d’interagir avec les autres détenus pendant au moins deux heures, ainsi que le droit de passer quatre heures à l’extérieur de leur cellule.
Malgré les bonnes intentions qui inspirent ces changements, ces derniers ne sont pas envisageables avec le personnel et l’infrastructure actuels. Plusieurs des détenus actuellement placés en isolement le sont pour leur propre protection puisqu’ils sont extrêmement vulnérables. Si on veut leur assurer le degré d'interaction exigé dans le projet de loi, il faudra qu'un nombre déjà limité d’agents correctionnels exercent sur ces détenus une surveillance directe et constante.
Inversement, l’incapacité de gérer des détenus incompatibles mènera à des tragédies comme celles vécues dans les établissements d’Archambault et de Millhaven, où des détenus ont été assassinés, lors d'incidents distincts, au début de 2018.
De façon générale, si le modèle des unités d’intervention structurée remplace les unités d’isolement, nous espérons que ces changements seront mis en œuvre graduellement afin qu’ils puissent être adéquatement évalués et corrigés, si nécessaire.
Il est encourageant de noter que le commissaire conserve le pouvoir discrétionnaire de prolonger au-delà de 30 jours le statut d’unités d’intervention structurée, ce qui permet aux agents correctionnels de gérer les délinquants à risque élevé, instables ou au comportement autodestructeur sans être limités par des délais contraignants.
Avec la mise en place des unités d’intervention structurée, la possibilité pour le SCC de restructurer les installations existantes pour respecter les critères établis dans le projet de loi demeure floue. Les changements découlant de l’adoption de ce projet de loi vont limiter la capacité d’un établissement de répondre aux besoins de certains détenus et de ceux de la population carcérale en général, de respecter son mandat et de fournir un environnement de travail sécuritaire à ses employés.
Si ces changements sont adoptés, l’implantation de changements structurels significatifs sera nécessaire pour continuer à se conformer aux priorités stratégiques cruciales.
Les changements proposés dans le projet de loi permettront au commissaire d'« attribuer à tout pénitencier ou secteur d’un pénitencier une cote de sécurité "sécurité minimale", "sécurité moyenne", "sécurité maximale", "niveaux de sécurité multiples" ou toute autre cote de sécurité réglementaire ». C'est ce que propose l'article 29.1.
D’un point de vue opérationnel, ce libellé semble plutôt vague. Dans le passé, les établissements du SCC ont été construits avec une norme de sécurité en tête. Tenter de modifier la norme attribuée après la construction d’un pénitencier, voire d’un secteur à l’intérieur d’un pénitencier, semble en contradiction avec la conception originale. Sans compter que procéder ainsi compliquera sensiblement les stratégies de gestion de la population carcérale.
Les pouvoirs du commissaire relativement au transfèrement de détenus entre divers niveaux de sécurité des pénitenciers sont aussi élargis. Cela consolide le pouvoir du commissaire d'autoriser le transfèrement des détenus à différents niveaux de sécurité, par exemple, le transfèrement d’un détenu avec une cote de sécurité maximale dans un secteur à sécurité moyenne. Vu les conséquences sur le plan de la sécurité de ces transfèrements, nous estimons qu’il est prudent de solliciter l’avis des agents correctionnels dans ces décisions, car ce sont les personnes qui connaissent le mieux le comportement des détenus et les conséquences possibles.
De plus, UCCO-SACC-CSN demande, depuis 2005, la création d’unités spéciales de détention pour les femmes. En effet, malgré les efforts déployés, certaines délinquantes affichent des comportements qui ne peuvent tout simplement pas être contrôlés de façon sécuritaire dans les établissements réguliers, selon le modèle actuel d'infrastructure.
Dans des circonstances similaires chez les détenus masculins, le SCC a la possibilité de transférer un détenu autrement ingérable dans une unité d’intervention structurée. Par le passé, faute d’options, des délinquantes ont été placées en isolement pendant de trop longues périodes. Cependant, en vertu de l’orientation énoncée dans le projet de loi , le SCC sera peut-être forcé de transférer ces détenues sur une base régulière et continue pour se conformer à la loi.
Les mêmes circonstances qui ont marqué l’incarcération d’Ashley Smith deviendront plus courantes, ce qui ne servira ni le détenu ni le mandat législatif du SCC. Pourtant, tant que des modifications ne seront pas apportées aux infrastructures, nous devrons accepter cette réalité.
Suivant l’élimination de cet outil d’isolement, le SCC sera forcé de gérer les groupes de détenus en créant des sous-populations. Dans les faits, ces détenus se retrouveront isolés, sans toutefois être placés en isolement.
Je remarque que le président me fait signe.
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Je vais le faire. Merci.
Tout d’abord, je tiens à rappeler que je me trouve sur le territoire non cédé du peuple algonquin.
C’est un honneur de comparaître pour parler du projet de loi à l'étude. Je suis le directeur général des Native Counselling Services of Alberta. Je travaille dans ce domaine depuis que je suis devenu agent de libération conditionnelle, il y a 40 ans. Je m'appuie donc sur de nombreuses années d’expérience, tant au Canada qu’à l’étranger. Nous exploitons à Edmonton deux pavillons de ressourcement en vertu de l’article 81, un pour les hommes et un pour les femmes, ce dernier étant du reste le seul pavillon de ressourcement pour les femmes en vertu de l’article 81.
Je vais me concentrer principalement sur la partie du projet de loi qui concerne les Autochtones. Je vais mettre l'accent sur la responsabilisation des pavillons de ressourcement et vous entretenir de quelques aspects clés de notre travail.
Premièrement, je voudrais parler de la formulation utilisée dans le projet de loi lui-même et de certains des changements proposés aux articles 79.1 et 84.1, où le libellé proposé dans le premier article est « corps dirigeant autochtone » au sens de « Conseil, gouvernement ou autre entité ».
Nous proposons de remplacer cette définition par ceci: « corps dirigeant autochtone » au sens de Conseil, gouvernement ou autre « organisation autochtone » autorisé à agir pour le compte d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones titulaires de droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Constitution.
On élargit un peu le libellé. Il y a une raison à cela. Ma collègue d’Elizabeth Fry m’a fait part de ses préoccupations à cet égard. Notre préoccupation découle d’une conversation que nous avons eue avec les chefs de l’Alberta et certains de nos dirigeants communautaires pour nous assurer qu’il s’agit d’une organisation autochtone qui offre effectivement ces services.
Plus loin, à l’article 81.1, on parle des organisations autochtones. Toutefois, nous proposons également que le gouvernement définisse clairement ce qu’est une organisation autochtone: une organisation dont la majorité des membres du conseil d’administration sont des membres des Premières Nations, des Métis ou des Inuits, qui a des compétences et des modalités de prestation de programme inspirées d'une vision du monde autochtone, et dont plus des deux tiers du personnel, dans les pavillons de ressourcement en particulier, s’identifient comme étant des Autochtones.
L’article 80 du projet de loi se lit ainsi:
Dans le cadre de l’obligation qui lui est imposée par l’article 76, le Service doit offrir des programmes adaptés aux besoins des délinquants autochtones.
Nous recommandons instamment que le Service correctionnel du Canada soit tenu, par la loi ou une politique, d’offrir aux délinquants autochtones des programmes adaptés à leur culture et fondés sur des données probantes autochtones.
Quant aux modifications proposées à l’article 81, nous recommandons l’ajout d’un paragraphe 81(4) afin que le ministre puisse déléguer tous les pouvoirs aux termes d'accords conclus en vertu de cet article, de sorte que le directeur puisse s’acquitter pleinement de ses responsabilités en matière de soins, de garde et de surveillance des délinquants dans un pavillon de ressourcement. Je parle précisément de cela parce que nous venons de renouveler notre accord, et rien dans la loi ne permet au ministre de déléguer ce pouvoir. Cela est prévu dans notre accord, mais pas dans la loi. Nous aimerions certainement que cela y figure.
De plus, le paragraphe 83(1) du projet de loi stipule:
Il est entendu que la spiritualité autochtone et les chefs spirituels ou aînés autochtones sont respectivement traités à égalité de statut avec toute autre religion et tout autre chef religieux.
Nous recommandons d’ajouter ce qui suit: « Il doit être fait appel aux aînés pour toutes les interventions concernant les délinquants autochtones, y compris, mais non exclusivement, les questions de santé mentale, de comportement et de discipline. »
Nous avons actuellement recours aux services des aînés dans tous les domaines, dans notre pavillon de ressourcement. C’est très efficace. C’est un moyen très efficace de rendre des comptes et leur action est considérée comme une intervention. Il y a quelques années, j’ai participé à une intervention lors d'une mutinerie, et nous avons fait venir des aînés pour aider à régler le problème. Cette solution a été très efficace. Cela ne fonctionne pas toujours, mais cela devrait certainement être considéré comme une possibilité importante.
Enfin, en ce qui concerne les articles 86 et 87, les modifications proposées sont les suivantes:
Les soins de santé s'entendent des soins médicaux, dentaires et de santé mentale dispensés par des professionnels de la santé agréés ou par des personnes qui agissent sous la supervision de tels professionnels.
Ces services coûtent cher, mais nous n'approuvons pas cette proposition. Nous proposons que les fournisseurs de soins de santé soient sur place. De plus, cela signifie que le professionnel de la santé doit être sur place en tout temps. Les soins de santé sont une préoccupation constante pour tous les délinquants. La modification proposée pourrait empirer la situation.
Je ne vais pas aborder des questions précises, mais je voudrais parler en général de l’unité d’intervention structurée. Pour répondre à la question que vous avez posée tout à l'heure, j’aime à croire que le projet de loi est inspiré par d'honorables intentions et qu’il peut être efficace.
Je suis au courant du problème de violence. Je connais le niveau de violence dans les établissements et l’importance de la sécurité des autres délinquants et du personnel. Je sais aussi que les aînés sont parfois en danger à cause de la violence. Nous appuyons ce genre d'isolement des délinquants.
S'il s'agit de savoir si nous sommes certains que ces politiques sont réellement respectées et mises en oeuvre, donnons-en la garantie. Une des façons de le faire, c’est de demander à tous les établissements à sécurité moyenne et maximale d’avoir un ombudsman sur place qui relève de l’enquêteur correctionnel. Si c’est bien ce qui préoccupe l'opinion publique ou mes collègues, l’une de nos garanties serait de demander que l’ombudsman sur place soit présent pour examiner ces cas. Cela nous aiderait à éliminer le genre de préoccupations que certains d’entre nous et certains de mes collègues peuvent ressentir.
Merci. Je suis prêt à répondre à vos questions.