SECU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Comité permanent de la sécurité publique et nationale
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 20 novembre 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Chers collègues, la séance est ouverte.
Je constate qu’il y a quorum. Nous sommes déjà pressés par le temps.
Je remercie M. Zinger de sa patience. Nous vous souhaitons la bienvenue ainsi qu’à Marie-France Kingsley.
Vous êtes tous les deux des témoins parfaitement rodés, alors je n’ai pas besoin de donner de directives. Nous avons hâte de vous entendre.
[Français]
Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole devant votre comité. Je suis ravi d'être ici.
Je vous présente Mme Marie-France Kingsley, qui est directrice exécutive du Bureau. Elle a travaillé pendant bien des années comme directrice des enquêtes et a beaucoup d'expertise au chapitre des opérations.
[Traduction]
En tant qu’enquêteur correctionnel, je salue l’intention du projet de loi C-83, qui propose d’éliminer le recours à l’isolement préventif comme le définissent les Nations unies dans les Règles Nelson Mandela nouvellement révisées (soit moins de 22 heures en cellule). Je crains toutefois que ce projet de loi, dans sa forme actuelle, ne mène pas au résultat prévu et louable et puisse même entraîner une hausse du recours au confinement restrictif. En effet, les unités d'intervention structurées, ou UIS, qui remplaceraient l’isolement préventif ou disciplinaire tel que nous le connaissons, peuvent simplement devenir un isolement léger.
Je m'inquiète particulièrement du fait que le projet de loi ne prévoit pas de supervision indépendante ou externe des placements en UIS et ne traite aucunement de la nécessité de garanties procédurales. L'élimination de l’isolement cellulaire est une chose, mais son remplacement par un régime qui impose des restrictions sur les droits et libertés acquis, sans égard aux principes d’application régulière de la loi et d'équité dans les mesures administratives, est incompatible avec la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et la Charte.
Quand des droits et libertés sont supprimés, il existe une obligation correspondante de fournir des protections qui sont proportionnelles au degré de privation. Les UIS sont, compte tenu de leur conception et de leur objectif, des environnements de confinement restrictif, même si elles permettent plus de temps à l'extérieur de la cellule que l'isolement préventif actuel. En vérité, un détenu hébergé dans une UIS n’aurait pas les mêmes droits que les autres détenus ou ne pourrait pas exercer ces droits, en raison de ce que le projet de loi appelle « des contraintes inhérentes à ce type d'unité et des impératifs de sécurité ». En effet, le projet de loi C-83 propose une version adoucie de l'isolement sans les protections constitutionnelles. Le projet de loi passe trop vite sur les détails et accorde trop de pouvoir discrétionnaire et de confiance aux autorités correctionnelles afin de remplacer l'isolement par un modèle correctionnel non vérifié et mal conçu.
Avant d’aborder plus en détail ces préoccupations, j’aimerais d’abord reconnaître certains des aspects progressistes et positifs du projet de loi.
Je suis heureux de constater que le projet de loi C-83 inscrirait dans la loi l’indépendance clinique et l'autonomie des professionnels de la santé dans les établissements. Cette mesure signifierait effectivement que les décisions cliniques ne pourraient pas être annulées ou écartées par le personnel non médical de l'établissement.
Le projet de loi propose également d’inscrire dans la loi l’accès à des services de défense des droits des patients dans les services correctionnels fédéraux. Une telle mesure permettrait de garantir que les patients en détention comprennent les conséquences de leurs décisions en matière de soins de santé et exercent pleinement leur droit à un consentement libre et éclairé. Ces mesures sont conformes aux normes internationales en évolution concernant les soins et les traitements des personnes incarcérées, y compris les Règles Nelson Mandela révisées, et elles répondent aux recommandations en suspens de l’enquête du coroner sur le décès évitable d’Ashley Smith.
Je suis également heureux de voir que le projet de loi obligerait le Service à tenir compte des facteurs systémiques et historiques qui contribuent à la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale. Cette disposition confirme et codifie la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Gladue, qui oblige déjà les décideurs du SCC à tenir compte de la situation unique des délinquants autochtones dès que leurs droits et libertés sont en jeu.
Si l'on revient à l’intention du projet de loi, il est instructif de noter que les motifs du placement dans une UIS demeureraient pratiquement identiques à ceux prévus dans la loi actuelle portant sur l’isolement. Autrement dit, un détenu pourrait être placé dans une UIS si le directeur a des motifs raisonnables de croire qu’il a compromis sa propre sécurité ou celle d’autres personnes ou encore la sécurité de l’établissement.
Il est important de souligner qu'il s'agit des deux motifs les plus souvent utilisés pour le placement en isolement préventif. Aujourd’hui, 380 détenus sont en isolement préventif dans un établissement du SCC. Un peu moins de la moitié des détenus en isolement y sont placés « volontairement », ce qui signifie qu’ils demandent à être placés en isolement par crainte pour leur propre sécurité ou leur bien-être.
Le projet de loi ne fait aucune mention de la façon dont une UIS, des programmes ou des interventions pourraient gérer une population qui demande volontairement l’isolement, situation qui représente en réalité un échec pour le Service correctionnel du Canada d’offrir une incarcération sûre, sécuritaire et humaine à tous les détenus, indépendamment de leur crime ou de leur vulnérabilité. On n'indique pas non plus clairement comment le projet de loi gèrerait le nombre disproportionné d’Autochtones, qui représentent actuellement 43 % de la population placée en isolement.
On a dit que les UIS étaient différentes de l’isolement cellulaire, parce que les détenus pourraient passer quatre heures en dehors de leur cellule chaque jour, ce qui est deux fois plus que ce que la pratique d’isolement actuelle permet. Bien qu'un minimum de quatre heures en dehors de la cellule soit une amélioration, un maximum de 20 heures à l’intérieur d’une cellule, est toujours une très longue période pour être enfermé.
Je salue l'effort de respecter les Règles Nelson Mandela à cet égard, mais il est important de se rappeler qu’il s’agit de normes minimales pour la préservation de la dignité humaine et de la santé mentale derrière les barreaux. Le Canada n'est certainement pas résigné à respecter simplement des normes minimales. En tant que chef de file mondial, nous devons bien concevoir ce projet de loi, et le faire pour les bonnes raisons.
Le simple fait d’accroître le nombre d'heures que les détenus peuvent passer à l'extérieur de leur cellule ne signifie pas que le Canada aura éliminé tous les méfaits associés au confinement restrictif. Tout gain potentiel de temps passé à l'extérieur d'une cellule peut être compromis par une exigence qui permet au SCC de procéder, sans soupçon précis, à une fouille à nu ordinaire quand un détenu arrive dans une UIS ou la quitte. En effet, cela signifie qu’un détenu qui réside dans une UIS pourrait être fouillé à nu plusieurs fois par jour, ce qui pourrait grandement le dissuader de participer à des activités en dehors de sa cellule.
Le projet de loi a l'intention d'offrir aux détenus placés dans des UIS, des « contacts humains réels », ce qui correspond au libellé et à l'intention des Règles Nelson Mandela pour la réforme des régimes d’isolement cellulaire à l'échelle mondiale. Pardonnez mon scepticisme, mais on ne comprend pas bien comment cet objectif sera respecté par ce projet de loi en particulier. Comme nous ne pouvons que supposer que l'environnement des UIS sera physiquement semblable à celui des unités d'isolement existantes — car aucun renseignement ne suggère le contraire —, nous devons nous demander si cet environnement permettra le respect du critère des contacts humains réels, sans mentionner la prestation efficace de programmes et de services.
Nous savons que les unités d'isolement actuelles ne sont pas propices à l’apprentissage en groupe. En effet, les interventions en isolement, dans la mesure où on peut les appeler ainsi, sont habituellement faites en cellule, derrière une porte close, par l'ouverture dans la porte pour le passage des plateaux-repas ou dans de petits espaces communs situés dans les rangées d'isolement ou près de celles-ci. Inutile de dire que ces espaces sont peu susceptibles de permettre la prestation efficace d’interventions thérapeutiques.
Il est important de souligner que le projet de loi propose d’éliminer l’isolement préventif et disciplinaire. J’ai déjà fait remarquer que l’isolement disciplinaire est rarement utilisé dans les établissements correctionnels fédéraux, en grande partie parce qu’il est considéré comme un fardeau administratif trop important. En raison des libertés en jeu, l’isolement disciplinaire prévoit d’importantes garanties procédurales, dont la communication de renseignements aux détenus, l’accès à un représentant juridique, la tenue d’audiences devant un président indépendant externe et le respect d'un fardeau de preuve plus rigoureux.
Avec le temps, l’isolement préventif est devenu l’option par défaut, utilisé pour contourner les exigences d’application régulière de la loi du système disciplinaire officiel. Les placements en isolement préventif sont tout simplement plus faciles, plus rapides et plus adaptés pour servir les mêmes objectifs de gestion de la population — soit le retrait d’une personne qui représente un risque pour elle-même ou pour les autres ou qui a compromis la sécurité de l’établissement.
Permettez-moi de conclure.
Pour ce qui est de l’avenir de ce projet de loi, je dirais qu’à tout le moins, il faut prévoir des garanties procédurales adéquates et une certaine forme de surveillance et de suivi indépendants des placements en UIS, faute de quoi les intentions louables du projet de loi ne seront pas respectées.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et je demanderais à la présidence de consigner le texte complet de ces remarques au compte rendu, si c’est possible.
Merci. Je vous suis reconnaissante d’être venu. Votre point de vue est intéressant. J’ai lu quelques articles de journaux à ce sujet.
Je voulais commencer là où vous avez terminé, c’est-à-dire qu’à tout le moins, vous avez besoin du droit à des garanties procédurales. Vous en avez parlé.
Il y a deux volets à cela, selon moi: la surveillance et les mécanismes de surveillance appropriés. Si je peux commencer par l’élément le plus fondamental, la décision de placer une personne dans une UIS, trouveriez-vous utile que l'on exige une justification écrite de la décision de placement en UIS de préférence aux autres options envisagées? Cela serait-il utile au processus de surveillance?
La difficulté tient en partie à l'obligation, en vertu d'un principe de droit administratif fort connu, d'harmoniser procédure à suivre et enjeu potentiel, en l'espèce, une privation de liberté.
Dans le cas, par exemple, de l’isolement disciplinaire que le projet de loi éliminerait, on aboutirait à une anomalie, puisqu'on aurait la procédure la plus rigoureuse possible — c’est-à-dire une audience devant un président indépendant externe, un président indépendant, l’accès à un avocat, la capacité de contre-interroger des témoins et l’exigence d’un fardeau de la preuve élevé — alors qu'il n’y a pas de perte importante de liberté. Vu sous cet angle, il est pour le moins bizarre de conserver le président indépendant externe à des fins disciplinaires lorsqu’il n’y a rien à perdre, puisqu'il ne peut plus imposer 30 jours d'isolement carcéral.
Par conséquent, je pense qu’il y a là une excellente occasion de recourir aux présidents indépendants externes pour assurer la supervision de quelque chose comme l'isolement léger. On a toujours besoin de l’application régulière de la loi et de procédures strictes, si l'on veut que ces UIS fleurissent dans tout le système et que toutes les unités à sécurité maximale et une bonne part des établissements à sécurité moyenne deviennent essentiellement des UIS. Il faut une autorité indépendante pour valider les décisions prises par un directeur d’établissement et ces décisions, comme vous l’avez dit, si elles sont valides, pourraient alors être validées par un mécanisme de surveillance externe.
Bien sûr. J'explicitais en fait la première étape de la procédure consistant à demander une justification par écrit des transferts, précisant les motifs ainsi que la liste des autres options envisagées. Cela en plusieurs exemplaires, dont un à remettre au détenu. Je crois qu’une politique semblable a déjà été adoptée. Était-ce en Ontario? Elle n’a pas été adoptée, mais elle figurait dans le projet de loi.
J’essaie simplement de penser à des amendements concrets.
Oui, et vous avez raison, je pense, parce que dans le cadre d'une procédure équitable, on doit connaître les raisons et les motifs de son placement. Une justification écrite est le premier pas dans cette voie, mais à un moment donné — disons dans les 30 jours —, la décision de placement doit être validée par une autorité extérieure, les motifs, et...
Bien sûr. Je ne disais pas que c’était la fin, je cherchais simplement à prendre cet élément comme point de départ.
J’ai une autre question sur le plafonnement du nombre de jours. Un représentant de la Société John Howard nous a dit que dans certaines circonstances, il peut ne pas être possible de fixer un plafond précis et il en a été question dans divers articles.
Qu’il s’agisse ou non des Règles Nelson Mandela, serait-il utile...? J’ai lu dans un éditorial du Toronto Star qu’il serait utile d’avoir un plafond, simplement parce que cela forcerait les gens à réfléchir aux autres solutions, à vraiment examiner les solutions de rechange et je crois qu’ailleurs, on disait que pour la santé mentale d’un détenu, il pourrait être utile de savoir qu’il y a au moins un plafond provisoire avec peut-être une politique qui permettrait de le revoir. C’est le genre de libellé que l’on retrouve également dans le projet de loi C-56, un plafond provisoire qui pourrait être relevé s’il y avait des raisons.
Est-il utile de fixer un plafond provisoire?
Le projet de loi C-56 avait ceci d'intelligent, je trouve, qu'il supposait la libération à l'expiration d'un délai donné. C’est là sans doute que l’on devrait prévoir le recours à une forme quelconque d’arbitrage indépendant. À l’heure actuelle, avec le libellé actuel, c’est le plus tôt possible et tout se fait à l’interne. Il n’y a rien là... tout cela est interne au service, et nous en sommes arrivés, sur le plan des procédures, à un régime moins strict que le régime précédent, mais trop strict sur le plan disciplinaire, de l'avis de certains.
Je n’ai pas beaucoup de temps, mais vous y avez fait allusion et j’aimerais que vous nous donniez plus de détails, si possible. Quel processus de surveillance fonctionnerait? Les avis divergent quant à la date de déclenchement d’un examen de surveillance. Si je me reporte à la loi ontarienne, qui s’appelait, je crois, « Loi de 2018 sur les services correctionnels » — elle n’a pas reçu la sanction royale —, elle suggérait, je crois, qu'un examen externe ait lieu cinq jours après le placement. Différentes versions ont été proposées.
Qu’en pensez-vous? Si vous deviez arrêter un délai, quel serait l’élément déclencheur et où irait-il?
À mon avis, sous sa forme actuelle, la procédure établie est insuffisante, parce qu’il n’y a pas de supervision. La question est de savoir où l'on peut essayer d’introduire un dispositif de surveillance externe dans le texte de ce projet de loi.
Je dirais, étant donné que vous prévoyez au minimum — et c’est une norme minimale, je dirais — quatre heures à l’extérieur de la cellule, que quelque chose comme 30 jours pourrait suffire. On est en territoire inconnu, parce que l'on a des lignes directrices strictes en ce qui concerne les Règles Nelson Mandela à propos des 22 heures au moins dans la cellule et une foule d'études indiquant que c’est très nocif.
On en sait probablement un peu moins sur ces environnements restrictifs, mais je peux vous dire que 20 heures dans une cellule, c’est terriblement long, et il faut un mécanisme de surveillance pour éviter que cela ne devienne la norme pour gérer les délinquants difficiles dans l’ensemble du système.
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence.
Monsieur Zinger, appuyez-vous l’abolition de l’isolement ou s’agit-il d’une mesure nécessaire pour protéger les détenus, les gardiens et maintenant les professionnels de la santé dans les prisons?
Je pense que l’isolement cellulaire tel que défini par les Règles Nelson Mandela de l’ONU devrait être interdit, absolument. C'est bizarre que la loi ne le dise pas. Le projet de loi devrait, je pense, prévoir que l’isolement cellulaire, tel que le définissent les Règles Nelson Mandela, sera aboli dans tous les services correctionnels fédéraux.
La question est de savoir si l'on a besoin de l'isolement disciplinaire pour certaines personnes. Je pense que la réponse est oui. Comme je l’ai dit, je suis toujours surpris qu’en ce qui concerne l’isolement préventif, il n’y ait pas de solution de rechange. On peut maintenant avoir un tribunal disciplinaire dont les membres sont indépendants, qui ne peut imposer que des amendes et peut-être la privation de certains privilèges, et je pense que le Syndicat des agents correctionnels du Canada a dit que même ici, il y a peut-être quelque chose qui manque dans cette équation.
En cas de graves transgressions dans le système pénitentiaire, il faut qu’il y ait des conséquences. À mon avis, pour préserver les présidents indépendants externes, il faudrait peut-être envisager un confinement restrictif pouvant aller jusqu’à quatre heures — c’est-à-dire quatre heures d'isolement disciplinaire — pour un maximum de 30 jours.
Vous avez parlé des agents correctionnels. Êtes-vous d’accord avec le témoignage qu’ils ont présenté devant le Comité, selon lequel il faudrait d’importantes nouvelles ressources pour répondre aux exigences de cette loi? Êtes-vous d’accord avec cela?
Ce sur quoi je suis d’accord, c’est que le Service correctionnel ou le gouvernement a fourni très peu de détails sur la façon dont cela sera mis en oeuvre. Quand on lit le projet de loi tel qu’il est actuellement rédigé, il y a beaucoup de choses qui semblent être soumises à la réglementation, comme le prescrit le règlement. On ne sait pas à quoi ressemblera ce règlement. C’est la raison pour laquelle ce projet de loi suscite beaucoup d’inquiétudes, je pense. On ne sait pas comment il sera mis en oeuvre.
D’après mon expérience, je peux vous dire que c’est toujours dans la mise en oeuvre qu’il y a un risque élevé de ne pas respecter votre intention, l’intention de l’assemblée législative.
Dans le même ordre d’idées, des agents correctionnels et des défenseurs des prisonniers, comme la Société John Howard et la Société Elizabeth Fry, nous ont dit qu’ils considèrent ce projet de loi comme une mauvaise mesure législative. Appuyez-vous cette évaluation du syndicat et de ces deux groupes de défense des prisonniers?
J’en ai parlé en partie. Je pense qu’il y a eu un manque de consultation à ce sujet, et qu’il y a des choses dans le projet de loi qui ne sont pas claires. Par exemple, toute l'idée que le système en place resterait celui de l’isolement disciplinaire, mais sans de graves conséquences, me porte à croire qu’il était mal conçu. Toutes les consultations semblent avoir été faites à l’interne. À ma connaissance, il n’y a pas eu de consultations avec les intervenants externes. C’est pourquoi, je pense, vous vous retrouvez avec un texte qui n’est peut-être pas entièrement abouti. C'est ce que je dirais.
Vous avez parlé du caractère interne des consultations, disant qu'elles semblaient s'être limitées au SCC.
À la page 42 de votre rapport annuel, vous signalez que le Résumé de la situation, portant sur la mutinerie survenue en Saskatchewan, s'écarte considérablement du rapport du comité national d’enquête qui a étudié le même incident. Il s'agit d'un résumé. Il me semble étrange que le rapport du comité national d’enquête diffère de celui du Service correctionnel du Canada. C'est curieux. Cela vous inquiète-t-il?
J’ai deux ou trois questions à poser. Ce que vous avez écrit me préoccupe.
Voici mes questions. Étant donné que vous savez comment les choses se passent, vous qui êtes l'enquêteur correctionnel, qui peut autoriser ces divergences entre le rapport même et son résumé? Voilà la première question.
Vous avez laissé entendre que la crédibilité du SCC est maintenant remise en question. Cela donne-t-il lieu à... Vous venez de dire que les difficultés surgissent des menus détails des dispositions législatives. Nous sommes censés adopter avec une confiance aveugle un projet de loi qui laisse tellement de place à la réglementation que nous ne savons pas quels seront les résultats.
En ce qui concerne la mutinerie survenue en Saskatchewan, je suis assurément très... Tout le rapport gravite autour de l'ouverture, de la transparence et de la reddition de comptes au sein du service. Il y a place pour beaucoup de progrès.
En fait, la lettre de mandat que le ministre a remise à la commissaire m'a beaucoup plu. Il y définit clairement l’orientation que le service devrait prendre et il appuie les valeurs d’ouverture, de transparence et de reddition de comptes. Voilà pourquoi, si j’étais commissaire, j’accueillerais favorablement le contrôle et la validation externes des décisions prises dans l'établissement. Cela pourrait se faire au moyen, par exemple, d'un arbitrage indépendant...
Il ne vous reste plus de temps pour poser une brève question. Je suis désolé, monsieur Motz.
À vous, monsieur Dubé. Vous avez sept minutes.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Je remercie les deux témoins de leur présence aujourd'hui.
On a parlé de l'importance d'avoir un examen indépendant et une validation indépendante, si je peux dire. Plutôt que de réitérer tout ce qui a déjà été dit sur le sujet aujourd'hui, j'aimerais continuer à en parler, mais dans le contexte des professionnels de la santé.
Quand le ministre est venu ici, il a dit que l'une des grandes différences entre la situation actuelle et ce que le projet de loi propose a trait au rôle que pourront jouer les professionnels de la santé.
D'après ce que je comprends, des professionnels de la santé pourraient arriver à une conclusion au sujet de la situation problématique d'un détenu, et il n'y aurait pas d'examen indépendant de cette conclusion. Il n'y aurait donc pas de mécanisme en place pour protéger le détenu. Par exemple, un détenu pourrait avoir besoin de plus de suivi et d'être retiré de l'unité d'intervention structurée, mais si la décision des professionnels de la santé allaient à l'encontre de cela, il se retrouverait à être victime, en quelque sorte, de l'absence d'examen indépendant.
L'une des choses qui est bien dans le projet de loi est cette notion d'indépendance clinique et d'autonomie des professionnels de la santé. Cela reflète aussi très bien les Règles Nelson Mandela. Cette indépendance a pour but d'assurer que l'opinion des professionnels de la santé ne pourra être ignorée par les autorités correctionnelles pour des raisons de sécurité. Je pense qu'il y a toujours un peu de tension entre ces deux groupes.
Est-ce suffisant? Si j'étais plus innovateur et que je voulais instaurer un mécanisme respectant mieux les Règles Nelson Mandela, je suggérerais que le sous-commissaire des services de santé du Service correctionnel du Canada, ou SCC, doive rendre des comptes au sous-ministre de Santé Canada. Cela aurait pour but de créer un lien direct avec le secteur de la santé et de protéger la séparation des fonctions liées à la santé des fonctions des autorités correctionnelles. Ce serait une piste à explorer.
Ce serait plus facile dans les provinces. Dans leur gestion des services correctionnels, les provinces ont des services de santé bien ancrés — elles offrent des services —, alors que cela n'est pas le cas au niveau fédéral. Santé Canada ne fournit pas de services à une clientèle. On pourrait toutefois essayer de faire la même chose que les provinces. La notion de loyauté est toujours une difficulté pour les professionnels de la santé, qui doivent composer avec leur employeur, le SCC et l'ordre professionnel dont ils sont membres, que ce soit l'ordre des médecins ou l'ordre des infirmières.
Je suis désolé de vous interrompre, mais le temps file. Restons sur le thème des professionnels de la santé et des services offerts dans les établissements en question.
Dans votre rapport, il est question du manque de ressources en matière de services psychiatriques. Le libellé de la dernière partie de l'alinéa 32a) du projet de loi, dans sa version française, est ainsi rédigé: « notamment pour des raisons de sécurité ». Je ne tiens pas compte ici de la possibilité que la traduction ne soit pas adéquate, mais dans la version anglaise, le libellé est encore plus tranchant et problématique:
[Traduction]
« for security or other reasons ».
[Français]
S'inquiète-on du fait que les mots other reasons ou « notamment » puissent mener à un manque de services dans les établissements, ce qui ferait en sorte, comme vous l'avez mentionné dans vos propos, qu'on serait porté à continuer à utiliser cet outil comme principale ressource pour traiter des cas nécessitant une diversité de moyens pour favoriser la réhabilitation des détenus?
C'était un peu l'intention du précédent projet de loi C-56, qui énonçait clairement l'interdiction de mettre en isolement des individus ayant des problèmes de santé mentale. Cette interdiction n'existe plus parce qu'on prévoit que les détenus pourront passer au moins quatre heures hors de leur cellule. En revanche, pour quelqu'un qui souffre de graves problèmes de santé mentale, cela reste un environnement très restrictif à mon avis.
Comme on ne sait pas exactement où seront situées ces nouvelles unités d'intervention structurée, il est pertinent de se demander si les détenus pourront bénéficier d'un environnement thérapeutique. Jusqu'à présent, nous ne savons pas si ce seront les aires d'isolement qui seront restructurées et renommées.
Je veux maintenant parler des occasions de sortie de la cellule.
Faudrait-il qu'il y ait une meilleure reddition de comptes à cet égard? Vous avez parlé du contact humain possible lorsque les plateaux d'alimentation sont remis aux détenus. Il y a aussi le fait qu'on pourrait demander à un détenu s'il veut aller dehors à 5 heures du matin alors qu'il fait -40 degrés Celsius, par exemple. Faudrait-il qu'il y ait un mécanisme de reddition de comptes en qui concerne le type d'occasions de sortie qui est offert aux détenus?
Il est essentiel qu'il y ait une surveillance externe. Cela permettrait de valider que tout a été fait pour atténuer les effets négatifs de circonstances très restrictives et pour assurer que l'individu bénéficie des avantages prévus dans le projet de loi relativement aux contacts humains. Tout cela devrait être validé par une personne de l'extérieur afin qu'il y ait reddition de comptes.
[Traduction]
Merci, monsieur le président.
Monsieur Zinger et madame Kingsley, je vous remercie de comparaître encore une fois. Nous vous sommes très reconnaissants de votre travail dans le domaine correctionnel.
Nous avons beaucoup parlé de surveillance. À votre avis, qui devrait l'exercer? Selon les tribunaux de l’Ontario, il serait acceptable que ce soit quelqu’un du SCC qui ne relèverait pas du décideur initial.
Je suis curieuse. Si une surveillance était instaurée, qui devrait l'exercer? Faudrait-il que ce soit vous ou un membre de votre personnel? À votre avis, qui devrait assumer cette responsabilité?
La nature de la discussion a changé. Au départ, il n'était question que d’isolement préventif. Nous en sommes maintenant à ce que j’appelle « l’isolement léger », soit un isolement très restrictif pour lequel il y aurait une procédure à respecter.
Soit dit en passant, il y a eu au cours de la dernière décennie une prolifération de ce type d'« isolement léger ». Nous avons des unités de transition, des unités pour détenus ayant des besoins spéciaux, des unités de milieu de vie structuré, autant de modalités d'isolement aux noms différents qui ne permettent pas de passer toute une journée hors des cellules.
J’ai dit qu’il y avait 380 détenus en isolement. Il y en a probablement beaucoup plus dont la situation correspond à la définition d’une UIS. Une certaine surveillance serait à leur avantage.
Le modèle de président indépendant est probablement bon. Malheureusement, en matière d’isolement disciplinaire, les agents correctionnels contournaient souvent le processus disciplinaire. L’isolement préventif était plus facile, parce qu'il relevait uniquement de l’interne. Il n’était pas nécessaire de se présenter devant quelqu’un de l’extérieur et la charge de la preuve n'était pas très lourde.
Nous pourrions utiliser ce modèle d’arbitrage indépendant. Je l'appliquerais pour les UIS. Une période de 30 jours serait acceptable. Je serais...
C’était justement ma prochaine question. S'il n'y avait pas une période précise ou un certain nombre de jours établi, que se passerait-il si, pour quelque raison, le détenu ne profitait pas du nombre d’heures qu’il peut passer en dehors de la cellule pendant cinq jours consécutifs? Ce pourrait être parce que le détenu le décide, parce que la possibilité de sortir de cellule ne lui est pas donnée, ou alors parce qu'un professionnel de la santé ou le représentant du patient a fait une demande en ce sens. Que se passerait-il si telles étaient les conditions qui justifient un contrôle?
Au lieu d'appliquer pour tout le monde la règle des 30 jours, il se pourrait qu'on intervienne si un détenu n'a pas pu sortir pendant quatre heures cinq jours de suite ou si un professionnel de la santé ou un représentant du patient demande à ce que quelqu'un vienne examiner la situation.
Les deux sont possibles. Le problème est de s’assurer de repérer ceux qui, pendant cinq jours consécutifs, n’ont pas eu de contact humain, par exemple. Comment pouvez-vous...
Il s’agit de rapports, tout se passe à l'interne, etc. S'il est possible d'apporter une certaine rigueur au dispositif, ce pourrait être un élément qui déclenche un contrôle, mais à un moment donné, mettons au bout de 30 jours, il faudrait examiner le cas de tous les détenus. Il faut s'assurer que le Service correctionnel du Canada fait tout son possible pour appliquer l’approche la moins restrictive et il faut veiller à ce que toutes les solutions de rechange soient épuisées au préalable. Le SCC doit s’assurer qu'on a atténué l’effet nocif de ces interventions, qu'on travaille énergiquement à une modification du plan correctionnel qui prévoit l'application successive de diverses mesures, qu'il s'agit d'un cadre thérapeutique. Toutes ces merveilleuses dispositions, qui demeurent très schématiques, car elles seront précisées ultérieurement dans des règlements, devraient être validées par quelqu’un de l’extérieur.
C’est pourquoi je pense, malgré tout, que si la surveillance était déclenchée par des circonstances particulières, cela attirerait également l'attention sur les établissements qui ont peut-être eu un problème. S’il y avait un certain nombre de rapports visant un établissement donné, la commissaire serait prévenue de la possibilité qu'il y ait un problème, notamment sur le plan des ressources.
Je ne suis pas en désaccord. Cela pourrait être un élément déclencheur, mais il faut quand même un examen. Il peut y avoir un processus en deux étapes. Ces problèmes seraient signalés — et je suis d’accord avec la Société John Howard pour dire qu’il y a des cas problématiques qui devraient déclencher un certain type d'examen —, et il y aurait un autre examen après 30 jours.
Vous avez dit qu’il y a actuellement 380 détenus en isolement. Sauf erreur, il y a parmi eux huit femmes. C’est ce que la Société Elizabeth Fry m'a dit.
Lorsque vous avez comparu devant le Comité de la condition féminine, vous avez dit que nous pourrions éliminer l'isolement dans les établissements pour femmes dès demain, mais que ce serait plus difficile dans les établissements pour hommes. J’ai l’impression que le projet de loi a été conçu pour les établissements pour hommes et qu’il sera appliqué aux établissements pour femmes.
Seriez-vous d’accord pour dire qu’il s’agit d’un problème qui touche davantage les prisons pour hommes que les prisons pour femmes?
D'après mes données, qui remontent à la semaine dernière, il y aurait 10 femmes. Du côté des hommes, on en recense 370, dont plus de la moitié sont en isolement depuis plus de 30 jours.
Nous avons des cas extrêmes. Je n’aime pas en parler, mais nous avons certainement des détenus... L’un d'eux est en isolement préventif depuis 510 jours et d’autres le sont depuis 286 jours, 264 jours et 194 jours. Ce sont tous des hommes. C’est beaucoup plus difficile du côté des hommes, j’en conviens.
Quant aux femmes, je voudrais que celles qui souffrent d’une maladie mentale grave et sont placées dans des milieux de vie sûrs et structurés, qui sont des installations à sécurité maximale, soient transférées du système correctionnel vers des services où on peut les soigner, dans un hôpital non rattaché à une prison...
Comme nous n'avons que 20 lits au Canada pour offrir ces soins, il serait un peu difficile d'en arriver là, n’est-ce pas?
L'Institut Philippe-Pinel, l'établissement de Brockville ou les Alberta Health Services seraient probablement tous disposés à faire leur part s'ils étaient correctement rémunérés.
Vous écrivez dans votre rapport que le SCC n’a plus la crédibilité nécessaire pour enquêter sur lui-même. Pourtant, on nous demande d’étudier le projet de loi C-83 et de l’adopter. Une fois que nous l’aurons adopté, le ministre et le SCC nous expliqueront comment il va s'appliquer. Ensuite, ils nous renseigneront sur les coûts, puisque, pour l'instant, ils ne savent pas vraiment à quoi s'en tenir, disent-ils.
Cela laisse un gros point d’interrogation. Voici ma question: recommanderiez-vous l’adoption du projet de loi dans sa forme actuelle?
À mon avis, il n’y a pas eu suffisamment de consultations auprès des intervenants externes. C’est pourquoi vous avez sous les yeux un texte qui nécessite des modifications importantes. Est-il récupérable? Je pense que oui, pourvu que soit ajouté cet élément de surveillance externe. Dans sa forme actuelle, le projet de loi n'est pas à la hauteur, selon moi.
Tout dépend de la latitude qui sera laissée au service pour se gérer et veiller à ce qu'on recoure le moins souvent possible aux UIS. Nous savons très bien que, par le passé, pendant des décennies, les services correctionnels ont fait un abus flagrant de l'isolement préventif. Jusqu'à ce que, enfin, ils décident d'accorder un peu d'attention au problème et d'appliquer la loi en vigueur. Le nombre de mises en isolement a alors diminué d'environ 60 %. Le nombre pourrait augmenter.
Voilà ce qui est important dans le projet de loi. La commissaire est bien intentionnée, et elle souhaite faire diminuer le nombre de détenus en isolement et limiter le recours aux UIS. Je crois aussi le ministre lorsqu’il dit la même chose. Le problème, c’est que le projet de loi ne doit pas reposer sur les seules bonnes intentions du gouvernement actuel et qu'il doit lier aussi les commissaires et les gouvernements à venir. Voilà ce qui m’inquiète. Nous avons vu proliférer les conditions d'incarcération semblables à celles des UIS.
Bien. Merci.
Il y a trois minutes, vous avez parlé d’un détenu qui en est à 510 jours d'isolement, d’un autre qui en est à 280 et d’un autre qui est rendu à 300. En tant qu’enquêteur correctionnel, avez-vous enquêté sur le détenu qui est en isolement depuis 510 jours? Était-il justifié qu’il soit en isolement aussi longtemps? Faites-vous enquête sur ceux qui sont dans des cycles d'isolement de 100, 200 ou 300 jours?
Permettez-moi de poser la question à ma directrice exécutive. Elle peut probablement vous dire, sans donner le nom de ces détenus, ce que nous faisons dans leur cas.
Chacun de nos enquêteurs principaux qui se rend dans un pénitencier et qui rencontre des délinquants va également dans la zone d’isolement. Les enquêteurs ont aussi les chiffres en main, ils discutent avec le directeur des cas d'isolement prolongé et ils demandent à chaque visite sans exception une explication ou un examen de la situation.
Est-il arrivé que des directeurs d’établissement vous refusent cette information? Y a-t-il eu un problème après qu'ils... Avez-vous constaté des problèmes constants par la suite?
Ont-ils refusé de donner l’information? Non. Le SCC doit répondre à nos demandes de renseignements. Il peut y avoir des désaccords. Comme vous le savez, nos recommandations ne sont pas exécutoires, mais nous soulevons les problèmes et nous obtenons des réponses.
Lorsque la réponse vient, il se peut que la raison invoquée par l'établissement soit différente de votre point de vue. Avez-vous pu négocier avec le Service correctionnel du Canada et en arriver à un compromis? Chacun de ces cas d'isolement prolongé est unique.
J’ai une quinzaine d’enquêteurs qui se rendent régulièrement dans les pénitenciers. Ils reçoivent des plaintes et ils rencontrent les directeurs et négocient avec eux. Habituellement, nous parvenons à résoudre le problème.
Il y a des cas difficiles. C’est pourquoi certains de ces cas flagrants sont difficiles. Ou bien ces détenus ne quitteront pas la zone d’isolement, ou bien ils sont tellement connus que, pour les protéger, il faut les laisser dans ces zones d’isolement. Je vais en rester là.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Monsieur Zinger, vous avez mentionné que, compte tenu de l'environnement, il était nécessaire d'avoir des mesures restrictives pour certains individus. Vous faites la différence entre ces mesures restrictives et l'expression « ségrégation légère » que vous avez utilisée.
Quelle est la différence entre ces deux concepts?
C'est une question de nombre d'heures. La durée de l'isolement préventif, ou ce qu'on appelle en anglais
[Traduction]
« solitary confinement »
[Français]
, est définie par les Nations unies comme étant de 22 heures ou plus. Là, on parle de 20 heures.
Il est intéressant de noter qu'il n'y a rien dans le projet de loi touchant l'isolement qui ne puisse être fait en ce moment par le SCC. Ce dernier n'a pas besoin de ce projet de loi pour faire tout ce qui y est indiqué.
Le SCC a déjà réduit cette durée de 23 heures à 22 heures et il peut la réduire encore davantage à 20 heures, simplement en adoptant une politique en ce sens. Il n'a pas besoin d'un projet de loi pour ce faire. Il peut être beaucoup plus dynamique en offrant des programmes pour sortir les détenus de cet environnement plus restrictif. Il est aussi en mesure de donner des soins de santé mentale. Tout cela est à sa discrétion et il peut déjà le faire sans projet de loi.
Avez-vous un nombre à proposer en fait d'heures passées à l'extérieur de la cellule? Quel nombre d'heures serait plus raisonnable que le minimum de quatre heures? Quel devrait être ce nombre d'heures afin qu'il n'y ait pas trop de différence avec celui qui est prévu pour les unités normales?
C'est un peu le défi, ici. Je crois qu'une durée de 20 heures est très restrictive. Il faudrait qu'il y ait un certain degré d'équité procédurale. Si, par exemple, des unités offraient six heures à l'extérieur de la cellule, on n'aurait pas besoin du même degré d'équité procédurale, mais il faudrait quand même maintenir une équité procédurale acceptable.
Dans le rapport de 1997 du groupe de travail sur l'isolement préventif duquel j'étais membre, on mentionnait que c'était soit l'isolement préventif, soit la population générale, mais entre les deux, il y avait toutes sortes de choses et aucune équité procédurale.
Nous sommes un peu déçus à cet égard, parce qu'il faut absolument assurer que, plus l'environnement est restrictif, plus l'équité procédurale est grande. Il faut aussi faire en sorte que le SCC soit dans l'obligation de tout faire pour améliorer les conditions de détention afin que les gens puissent fonctionner dans un milieu moins restrictif.
Dans un autre ordre d'idées, le projet de loi propose une révision de la qualité des soins de santé, surtout lorsqu'un détenu décède. Le médecin fait son examen, puis il y a une révision de la qualité des soins de santé. J'imagine que les professionnels de la santé suivent déjà des protocoles sur la façon d'agir avec les détenus et que, à l'intérieur d'un établissement, ces protocoles tiennent compte du fait qu'un détenu peut être diabétique ou avoir des allergies, par exemple.
Êtes-vous d'avis que cette révision est nécessaire chaque fois qu'il y a un décès? Pour mettre à jour ces pratiques, pourrait-on envisager de faire une révision systématique annuelle et, au besoin, de faire une révision spéciale supplémentaire en raison de nouvelles circonstances?
Il y a à peu près 60 décès par année et je crois que le SCC devrait mener une enquête dans tous les cas. Si les faits sont très simples, on n'a pas besoin de passer trois mois à faire une enquête. Si quelqu'un meurt d'une crise cardiaque, on vérifie dans le dossier pour voir si les soins de santé donnés au préalable étaient appropriés. Cela peut être fait très rapidement.
Selon moi, il faut s'attarder aux cas les plus difficiles, mais ne rien laisser aller. Ce qui peut sembler être une mort naturelle peut être une mort prématurée du fait que les soins de santé n'ont pas été adéquats ou qu'il n'y a pas eu de suivi. Tout cela a besoin d'être revu et on doit faire une enquête indépendante pour chaque décès.
Merci, monsieur le président.
Dans le même ordre d’idées, est-ce que les coroners interviennent lorsqu'il y a des décès dans des établissements du Service correctionnel du Canada? Comment cela se présente-t-il? Comment cela se passe-t-il?
Aux termes de la loi, le service est tenu de mener une enquête. Une fois qu'il s'est réuni, le comité d’enquête a l'obligation de communiquer ses conclusions à mon bureau. Les choses se passent ainsi à chaque décès.
En outre, les coroners procèdent habituellement à un examen, mais cet examen peut se faire des années plus tard.
Cela dépend des provinces. Certaines exigent des examens obligatoires, et le processus est assez long. Parfois, c’est un médecin légiste qui est chargé du travail.
Est-ce que cela vous inquiète que le directeur d’un établissement puisse changer la désignation d’une partie de son établissement?
Oui, parce qu’on pourrait désigner l'ensemble d'un pénitencier comme une UIS. Cela figure dans le projet de loi. C’est pourquoi je m’inquiète de la façon dont cela pourrait, dans des circonstances différentes et compte tenu du fait que le nombre d'heures moyen en dehors de la cellule a diminué au fil des ans... Les services n'ont même pas de données à ce sujet. Il y a eu une prolifération de milieux restrictifs au fil des ans.
Je voudrais discuter brièvement de l’isolement préventif, ou peu importe la terminologie du projet de loi — de l’unité d’intervention structurée, ou peu importe les termes qu'on emploiera.
À votre avis, cela changera-t-il vraiment la façon dont les détenus sont traités?
J’ai parlé de l'aspect punitif. Comme je l’ai dit, ce n’est qu’une partie du tableau d'ensemble.
Le problème tient en partie au fait qu’il n’y a plus d’incitatifs dont les agents correctionnels, dont le personnel correctionnel puissent se servir. Il n’y a aucun renforcement positif. La rémunération des détenus, par exemple, est un excellent incitatif, mais elle n’a pas changé depuis 1981. C’est extraordinaire. En ce moment, le salaire de base d’un député est de 175 000 $; en 1981, il s'élevait à 48 000 $. Dans le système correctionnel, nous avons instauré un régime de privation, et il n’y a aucun moyen de s'en sortir, même si on veut. Il existe maintenant une foule d'économies souterraines parce que les ressources sont insuffisantes. L'alimentation est un problème, et...
Mon temps est limité. Le président semble toujours s'en prendre à moi pour des questions de temps.
Avez-vous déjà travaillé à l'application du programme d’échange de seringues? La loi devrait-elle encadrer cette politique?
Le ministre en a parlé à la Chambre et au Comité. Il a parlé expressément de l'échange de seringues utilisées pour les injections par intraveineuse et d'auto-injecteurs EpiPen. Vous pouvez consulter les transcriptions.
À strictement parler, il n'en est pas question dans le projet de loi, mais je vais autoriser la question.
Le Service correctionnel consacre des dizaines de millions de dollars à la lutte contre les drogues. On croit fermement, depuis les années Harper, à la tolérance zéro à l’égard des drogues. Le problème de cette stratégie, c’est qu’elle s'est soldée par un échec. Elle a échoué dans la société et c'est aussi un échec dans les prisons.
Comment puis-je vous convaincre que c’est un échec? Je dirais que, si on considère le programme des analyses d’urine, on constate qu'il y a eu environ 19 000 analyses l’an dernier...
Juste avant la fin de mon temps de parole, je tiens à ajouter que le système correctionnel laisse tomber les détenus. Il a pour mission de les réadapter. Or, beaucoup d’entre eux se retrouvent en prison au départ à cause de leurs problèmes de toxicomanie. Est-ce exact?
Ce que vous dites, au fond, c’est que notre système laisse tomber les détenus. Nous ne réadaptons personne, puisqu’ils consomment encore les drogues qui leur ont valu d'être incarcérés.
Monsieur Zinger, je suis vraiment désolé. M. Motz a dépassé son temps de parole. Je vous fais mes excuses.
C’est une confession rare de votre part.
Monsieur Spengemann, vous avez les cinq dernières minutes. À vous.
Merci beaucoup, monsieur Zinger et madame Kingsley. Merci de comparaître de nouveau.
Dans les cinq minutes dont je dispose, je voudrais mettre l'accent sur l’aspect humain des services correctionnels. Il est assez juste de dire que, pour une bonne part, le système correctionnel ne favorise pas beaucoup la bonne santé mentale, ni pour la population carcérale, ni pour les agents correctionnels, hommes et femmes. Vous vous souviendrez du rapport que le Comité a produit à ce sujet.
Pouvez-vous brièvement donner au Comité une idée de l’ampleur du problème de santé mentale au moment de l’admission des délinquants dans le système correctionnel et aussi au moment de leur libération. Quels sont les pourcentages? Peut-être pourriez-vous aussi dire quelques mots de la nature du problème, surtout s'il existe des différences entre les deux sexes.
Pour ce qui est de la prévalence, les meilleures données nous apprennent qu’environ 35 % des hommes admis dans les établissements ont un problème de santé mentale qui exige des services psychologiques ou psychiatriques. Chez les femmes, la proportion est de 50 %. Ce sont les chiffres.
C’est là une préoccupation croissante. Bien sûr, il y a un nombre disproportionné de personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale en isolement préventif ou, bientôt, dans les UIS.
Y a-t-il des données sur la santé mentale des détenus au moment de leur libération, lorsqu’ils réintègrent la société canadienne?
Je peux vous parler de ce qui arrive aux détenus atteints de maladie mentale sur le plan correctionnel. Ils sont plus susceptibles de passer plus de temps en prison, d'être placés en isolement, d’être soumis à l’usage de la force, de voir leur libération conditionnelle suspendue ou révoquée. Sur ce plan, donc, leurs résultats sont médiocres.
Le projet de loi est louable parce qu'il propose une conception du changement de culture dans le système correctionnel.
Le projet de loi prévoit une augmentation du nombre de professionnels de la santé mentale. Pouvez-vous dire au Comité quelle idée vous vous faites des femmes et des hommes qui seraient appelés à fournir ces services?
Je demande surtout quel niveau d'expérience du système correctionnel un professionnel de la santé mentale devrait avoir pour pouvoir interagir efficacement avec les détenus qui éprouvent des problèmes de santé mentale et leur donner des services. En d’autres termes, pourrait-il s’agir de professionnels de la santé mentale qui n’ont jamais eu de contacts avec les services correctionnels ou doivent-ils connaître dans une certaine mesure les facteurs aggravants qui peuvent surgir dans le système pour être en mesure d’offrir des services efficaces?
Si la connaissance de ces facteurs est nécessaire, où peut-on recruter ces professionnels?
Dans mon rapport annuel, je parle d’un rapport de John Bradford, qui a examiné le centre régional de traitement. Il existe cinq centres régionaux de traitement, qui sont essentiellement, à l'intérieur du Service correctionnel du Canada, des hôpitaux psychiatriques désignés.
Le rapport est plutôt accablant. L'auteur dit que le niveau des soins dispensés, en ce qui concerne... Les ressources sont nettement insuffisantes et ne se comparent pas à celles des hôpitaux psychiatriques communautaires. Il dénonce un manque de formation. Il recommande en fin de compte que le service se débarrasse de ces centres régionaux de traitement et construise des hôpitaux autonomes, qui seraient confiés à des experts en psychiatrie médico-légale.
Je vous invite à consulter ce rapport pour mieux comprendre la situation.
Monsieur Zinger, je voudrais revenir à l’expression « contact humain réel ». Elle vient de l'ONU et constitue un dénominateur commun.
Cette terminologie a-t-elle une certaine valeur grâce à l'interprétation législative, réglementaire ou, au bout du compte, judiciaire qu'on peut en faire? Dans l’affirmative, pouvons-nous utiliser cette expression pour prendre en compte de façon plus particulière certaines populations vulnérables — en d’autres termes pour appliquer une optique de genre ou de diversité, une optique autochtone et prendre en considération les origines ethniques et religieuses, et les handicaps? Pouvons-nous en arriver à quelque chose avec cette expression, « contact humain réel »?
Cela explique probablement en partie pourquoi il est difficile de comprendre le projet de loi. Ce n’est pas clair, car nous ne savons pas comment le dispositif va se déployer.
Les unités d'isolement, si c’est là que doivent se trouver les UIS, ne sont certainement pas un milieu thérapeutique. Les contacts se feraient par la porte pour le passage des plateaux-repas. Dans la plupart des zones d'isolement, il n'y a pas d'espaces communs. On ne voit donc pas très bien comment les contacts humains pourraient s'établir, car il faudra effectivement emmener les détenus à l’extérieur de ces unités pour trouver des salles de programme ou d’entrevue qui conviennent.
Au nom du Comité, je vous réitère mes remerciements, monsieur Zinger et madame Kingsley. Je vous suis reconnaissant de votre contribution à l’étude du projet de loi.
Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes pour que le prochain groupe de témoins puisse prendre place.
Nous reprenons nos travaux.
Nous accueillons la sénatrice Kim Pate. Bienvenue encore une fois au Comité.
Nous accueillons également Cara Zwibel et Noa Mendelsohn Aviv, de l’Association canadienne des libertés civiles. J'ignore comment vous allez vous partager vos 10 minutes, mais je laisse cela à votre discrétion.
Chers collègues, Mme Mendelsohn Aviv doit nous quitter à 17 h 30 pour prendre un avion. Si vous voulez lui poser des questions, il vaudra probablement mieux le faire sans trop tarder.
Sur ce, j'invite la sénatrice Pate à faire son intervention de 10 minutes, après quoi nous entendrons les représentantes de l’Association canadienne des libertés civiles.
Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à tous les membres du Comité de m’avoir invitée à comparaître.
Ayant vécu et travaillé pendant environ 27 ans sur le territoire algonquin non cédé où nous sommes, je tiens à dire que les répercussions de la colonisation sur les peuples autochtones sont particulièrement graves. J'ai pu le constater, puisque j'ai eu l'honneur et la responsabilité de me rendre dans les prisons pour les jeunes, les prisons pour hommes, comme je le fais depuis près de 40 ans, et aussi dans les prisons pour femmes, pendant les 25 années qui ont précédé ma nomination au Sénat.
Tout cela pour dire que, lorsque le ministre a présenté le projet de loi C-83, il a été affirmé que cette mesure mettait fin à la pratique de l'isolement, au Service correctionnel du Canada, et qu’elle donnait suite aux recommandations du jury qui s'est prononcé au sujet de la mort par homicide d’Ashley Smith. Si le projet de loi avait l'une ou l'autre de ces conséquences ou alors les deux, je serais certainement au nombre de ses plus ardents défenseurs.
En fait, comme nous le savons, le 19 octobre dernier marquait le 11e anniversaire de la mort, évitable, d’Ashley Smith dans l’unité d’isolement de l’Établissement Grand Valley pour femmes. Depuis, très peu de recommandations du jury du coroner ont été mises en oeuvre.
Une idée proposée dans le projet de loi et certainement présentée comme une suite donnée aux recommandations du jury, c’est le recours possible à des intervenants en santé mentale. En fait, ce que le jury recommandait, ce sont des détenues-conseillères, le soutien par les pairs et des intervenantes en santé mentale. Ces intervenantes sont actuellement en place dans les diverses prisons pour femmes. Le jury a également recommandé que des intervenants soient disponibles dans certains pénitenciers fédéraux, en particulier au centre psychiatrique régional, qui est doublement désigné comme hôpital psychiatrique et pénitencier fédéral, mais on n'a pas eu recours à ces intervenants.
Je me ferai un plaisir d'expliquer plus longuement pourquoi on n'a pas eu recours à ces intervenants. C’est en partie à cause du processus que suivent les services correctionnels pour appliquer les dispositions législatives en matière de santé mentale. Ils invoquent ces dispositions pour imposer un traitement de force lorsqu'ils le veulent, mais ils abandonnent ce traitement avant que ne jouent tous les mécanismes de protection, ce qui comprend les intervenants en santé mentale.
Par conséquent, la pratique et le processus qui ont été ceux du Service correctionnel du Canada à cet égard jusqu’à maintenant ne permettent pas d’espérer qu’un nouveau processus sera mis en place simplement parce que le projet de loi serait adopté, d'autant plus que celui-ci supprime un certain nombre d’autres garanties procédurales qui existent actuellement pour encadrer l’isolement.
Je tiens à attirer plus particulièrement l'attention sur un fait: avant que le projet de loi ne soit présenté et depuis qu'il l'a été, il m'est apparu clairement, puisque je me rends dans des pénitenciers fédéraux parce que je donne un cours de droit carcéral à l’Université Dalhousie et que je siège au Comité sénatorial des droits de la personne, que ce qui risque de se produire si le projet de loi est adopté tel quel est déjà commencé dans les pénitenciers fédéraux.
Chose certaine, nous observons la même tendance dans les prisons pour femmes depuis quelque temps. Toutes les femmes considérées comme des détenues à sécurité maximale sont en isolement, car l’isolement est à la fois un lieu de détention et un statut qui place le détenu à part. Toutes les femmes qui purgent une peine de ressort fédéral et sont considérées comme des détenues à sécurité maximale vivent dans des unités d'isolement depuis que celles-ci ont été créées dans les prisons régionales de tout le Canada.
Lorsque j’ai visité les deux ou trois derniers pénitenciers fédéraux au moment où le projet de loi a été présenté, j'expliquais aux étudiants les diverses sections où nous nous trouvions. À un moment donné, par exemple, nous sommes entrés dans l’Établissement Nova pour femmes, et j’ai informé les étudiants que nous étions dans la zone d’isolement. On m’a rapidement corrigée en me disant que ce n’était plus la zone d’isolement; c’était le « Pod C » de l’unité d’intervention intensive. C'est là un exemple très clair et très éloquent qui montre que rien n’a changé sauf le nom de l'unité, dans ce contexte.
Dans les prisons pour hommes, nous avons fait la même observation. J'étais dans l'ignorance car, avant de commencer à participer à l'examen entrepris par le Comité des droits de la personne, il y avait un certain temps que je n'étais plus allée dans les prisons pour hommes, mais toutes les unités et prisons à sécurité maximale pour hommes sont devenues une série d'unités d'isolement.
Cela m’amène à une assertion qui a été faite dans des témoignages antérieurs: la majorité des détenus en isolement seraient là volontairement.
Certains d’entre vous savent qu’en fait, très peu de députés, de sénateurs ou de juges vont dans les pénitenciers, même s'ils ont le droit de s'y rendre, aux termes de l’article 72 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Tous ceux d’entre nous qui y sont allés et qui ont posé cette question précise aux prisonniers savent que, s'ils répondent qu'ils sont là « volontairement », et je place exprès le terme entre guillemets, la plupart précisent que c'est parce qu'ils veulent un répit, une protection, parce qu'ils veulent être mis à l'écart de la population carcérale en général pour quelque autre raison. Le plus souvent, ils se retrouvent là à cause des conditions antérieures d'incarcération.
Lorsque nous leur demandons s’ils voudraient avoir des conditions d'incarcération différentes, comme aller dans l’unité des visites familiales privées s’ils veulent avoir un moment de solitude ou encore avoir accès à des programmes et services afin de passer un peu de temps à l’extérieur des très petites unités d'isolement, les détenus ont toujours répondu qu’ils préféreraient cela. Chose tout aussi importante, lorsque nous avons discuté avec le personnel, il a fait remarquer que de plus en plus de détenus sont en isolement, ce qui avive les tensions dans les prisons et soulève des préoccupations.
Mis à part les travaux du Comité des droits de la personne, je me suis lancée dans un autre projet: je vais rencontrer des groupes de détenus qui ont été mêlés aux activités de gangs. C'est d'ailleurs une autre raison invoquée par des détenus pour aller en isolement. L'Établissement de Stony Mountain est doté d'un très bon programme. Il y a aussi une très bonne intervention dirigée par un certain Richard Sauvé, qui purge lui-même une peine d’emprisonnement à perpétuité. Un certain nombre de sénateurs et d’autres personnes se rendront dans la prison au cours des prochaines semaines pour le rencontrer et discuter du travail qu’on fait pour désamorcer les problèmes et aider les détenus, notamment les Afro-Canadiens et les Autochtones qui acceptent de se mêler aux autres, afin de pouvoir commencer à rompre l'isolement dans la population carcérale.
Un certain nombre d’initiatives n’ont pas été suffisamment étudiées, selon moi, et je demeure d’avis que nous pourrions vraiment faire ce qui est envisagé dans le projet de loi. Pour ma part, je serais heureuse de travailler avec tous les membres du Comité, ainsi qu’avec d’autres gens, pour veiller à ce que le projet de loi atteigne son objectif. Ce que je propose, en fait, c’est que ce projet soit retiré et que nous recommencions tout, en adoptant une nouvelle perspective de façon à vraiment traduire dans les faits l’intention très louable du ministre de la Sécurité publique.
Enfin, je voudrais dire un mot au sujet des lacunes dans la reddition de comptes, ce dont l'enquêteur correctionnel, M. Zinger, vous a déjà entretenu.
Les très rares garanties procédurales qui existent actuellement pour l’isolement préventif seront essentiellement jetées par-dessus bord et la surveillance de cette pratique relèvera en grande partie du Service correctionnel du Canada. J'oserais dire, en toute déférence, qu'il y a là un rôle très important à jouer pour votre comité et peut-être même pour le Comité des droits de la personne et le Comité des affaires juridiques du Sénat. Ces comités pourraient, de concert, mettre en oeuvre une recommandation que le Comité a faite au sujet de la surveillance. Je recommanderais que les examens annuels — et pas seulement des examens aux cinq ans —, soient effectués conformément à la recommandation que vous avez formulée plus tôt au sujet de l’examen des prisons.
Merci. J’ai hâte de répondre à vos questions.
Merci.
Quelle représentante de l’Association canadienne des libertés civiles prendra la parole en premier?
Je vais commencer. Cara interviendra un peu plus tard.
Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité.
Lorsque nous soulevons des préoccupations au sujet de l’isolement cellulaire, la discussion n'a rien d'abstrait. Nous nous inquiétons des préjudices causés à des êtres humains par l’isolement extrême.
Les experts ont bien établi l'existence de ces préjudices et les tribunaux les ont reconnus. Le juge en chef adjoint Marrocco a conclu que les effets de l’isolement et de l’isolement prolongé comprenaient — je ne vais même pas vous donner toute la liste — le désespoir, la dépression, la confusion, les hallucinations et les délires, un nouveau traumatisme pour les femmes et l'érosion de leur estime de soi, la rage, la perte de contrôle, des mutilations, le déclin du fonctionnement mental, la crainte d'un effondrement affectif imminent et l'apparition d'un cercle vicieux dans lequel le comportement extrême et les passages à l'acte chez le prisonnier entraînent une multiplication des altercations physiques avec le personnel de la prison, ce qui fait monter l'exaspération de part et d'autre et mène de nouveau à la mise en isolement.
Selon les tribunaux, 15 jours consécutifs d’isolement, cela présente un risque grave d’effets permanents, observables et négatifs sur la santé mentale. C’est à cause de ces préjudices que les tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario ont jugé inconstitutionnel le régime actuel d’isolement préventif et ont ordonné des changements. Si on veut que le Canada puisse faire respecter la loi, comme c’est son devoir de le faire, et se conformer aux ordonnances des tribunaux, une nouvelle loi doit interdire l’isolement cellulaire d'une durée indéterminée ou prolongée — peu importe la terminologie —, et l'isolement ne doit pas dépasser 15 jours. La loi devrait interdire de placer les personnes atteintes de maladie mentale ou d'un handicap mental en isolement cellulaire et faire en sorte que le recours à l’isolement cellulaire ne soit pas discriminatoire envers les Autochtones, comme c’est le cas actuellement.
Le projet de loi C-83 ne prévoit pas ces protections.
Les tribunaux de l’Ontario et de la Colombie-Britannique ont signalé l’absence de surveillance indépendante et d’examen indépendant, qui sont absolument nécessaires, car un processus d’examen externe indépendant solide pourrait contribuer à renforcer la confiance du public et faire en sorte que les prisons respectent la loi, que les détenus ne soient pas placés en isolement sauf en cas d'absolue nécessité et dans des circonstances exceptionnelles, que personne ne soit détenu en isolement cellulaire prolongé, que les Autochtones aient droit à des programmes adaptés à leur culture et qu’une personne en état de décompensation mentale reçoive des traitements plutôt que d’être laissée à elle-même tandis que son état se dégrade.
Toute nouvelle loi devrait également interdire l’isolement cellulaire de détenus qui ont moins de 21 ans ou ont besoin de protection. Rien ne justifie l'imposition de ces conditions d'incarcération, peu importe comment on les désigne, à de jeunes détenus vulnérables.
L'isolement a des conséquences non seulement pour les détenus, mais aussi pour le personnel correctionnel, qui est réduit à gérer des personnes qui perdent leur emprise sur la réalité ou leur capacité de contrôler leurs réactions. Il y a aussi des conséquences pour la société, car au terme de leur peine, ces détenus réintègrent la société. Si nous voulons que les détenus se réadaptent et puissent réintégrer la société, il faut injecter des ressources dans le système correctionnel. Il nous faut des protections législatives claires, et cette injection de ressources est essentielle si nous voulons rendre la société canadienne plus sûre. Aussi complexe que cela puisse paraître, il existe des outils importants pour instaurer une réforme: des solutions de rechange réelles, mises en œuvre et efficaces, ainsi que d’innombrables recommandations, modèles, rapports et plans de mesures législatives. Ma collègue Cara en parlera dans un instant.
Le rapport de la juge Arbour a paru il y a plus de 20 ans. Cinq années ont passé depuis l’enquête du jury sur l’affaire Ashley Smith, qui a abouti à 104 recommandations. Deux rapports d’experts commandés par l’Ontario sur l’isolement et les services correctionnels sont extrêmement récents.
Je vais prendre une minute pour parler du système carcéral du Royaume-Uni, qui est opérationnel. On y a éliminé l’isolement presque totalement. Les détenus qui ont besoin de protection ou de surveillance sont placés dans des unités plus petites, adaptées à leurs besoins, à leur population, et seuls les cas les plus exceptionnels donnent lieu à une incarcération dans des unités spéciales de surveillance étroite. Sur une population carcérale d’environ 85 000 personnes, une soixantaine d'hommes sont détenus dans ces unités spéciales. Aucune femme n'y est incarcérée.
Comme le disait la sénatrice Pate, si nous voulons nous attaquer au problème de l’isolement extrême des détenus, l'utilisation d'une nouvelle appellation n'apportera aucun changement et ne se traduira pas par un assouplissement suffisant des conditions pour des détenus qui sont seuls dans de minuscules cellules avec des grillages aux fenêtres et une petite cour en béton. Ce qui définit l’expérience de l'isolement, c’est l’isolement extrême, qui cause les préjudices déjà énumérés. Il faut modifier le projet de loi ou la loi de façon que toutes les protections prévues soient accordées à quiconque se trouve en isolement. La loi doit définir la notion d'isolement.
Bien sûr, tout assouplissement des conditions de détention dans ces circonstances est préférable à l'absence d'assouplissement, comme le temps passé hors cellule, y compris les contacts humains, mais je remarque qu'il y a d'énormes exceptions en vertu de l'article 37 proposé, chacune pouvant être utilisée de façon excessive ou abusive, et il est nécessaire de documenter les choses ou d'assurer une surveillance pour veiller à ce que cela ne se produise pas.
De plus, le libellé général de l'alinéa 37(1)c) proposé pourrait exclure un très grand nombre de personnes, qui seraient donc détenues dans un isolement extrême, sans les quatre heures hors cellule ou les deux heures de contacts humains.
De toute façon, l'isolement est encore pratiqué et continuerait de s'appliquer. Si certaines personnes sont d'avis que l'isolement préventif est nécessaire comme mesure de dernier recours à utiliser dans des circonstances exceptionnelles — disons en cas de mutinerie —, ce projet de loi va dans le sens contraire. Il institutionnalise et tente de justifier l'isolement comme pratique carcérale courante. Le Canada peut faire mieux.
Nous sommes loin du genre de réforme des prisons dont nous avons besoin et que nous méritons pour notre sécurité et notre bien-être. Nous en avons besoin aussi parce que cela réduira non seulement les préjudices financiers et mentaux pour les détenus et le personnel correctionnel, mais aussi parce que cela sera mieux pour notre société.
Je vais ajouter un mot avant de céder la parole à Cara.
Pour qu'il y ait une réforme significative, dont le Canada a besoin, il faut qu'il y ait un processus valable. Aucune des organisations qui ont contesté cette loi avec succès devant les tribunaux n'a été consultée au sujet du projet de loi avant qu'il ne soit présenté. Je m'élève contre l'absence de groupes clés de défense des droits des Autochtones aux audiences du Comité, y compris Aboriginal Legal Services et l'Association des femmes autochtones du Canada, qui ont tous deux demandé à comparaître, malgré le fait que les Autochtones sont surreprésentés en isolement cellulaire et que le projet de loi comporte une section consacrée aux délinquants autochtones.
La santé mentale des gens est en jeu. La vie des gens est en jeu. Ce n'est pas le moment d'opter pour une solution de fortune à la va-vite. Je fais écho à la proposition de la sénatrice Pate d'abroger le projet de loi et de consacrer les efforts appropriés à une réforme. Le Canada a eu amplement le temps de le faire et doit mener cet exercice correctement.
Je cède maintenant la parole à ma collègue Cara, qui vous parlera des travaux récents menés en Ontario et des solutions de rechange possibles.
Je vais essayer de parler un peu du modèle que le gouvernement fédéral aurait pu envisager dans le cadre d'un effort véritable en vue de transformer les services correctionnels et de régler certaines des violations des droits fondamentaux qui ont été relevées par les tribunaux de l'Ontario et de la Colombie-Britannique, lesquels ont examiné cette question de près.
La province de l'Ontario a récemment entrepris un travail considérable d'examen de la situation des services correctionnels de la province et de la pratique de l'isolement cellulaire en particulier. La province a bénéficié de deux études approfondies et indépendantes menées par une équipe dirigée par Howard Sapers, l'ancien enquêteur correctionnel fédéral et un expert de premier plan en criminologie et en services correctionnels. Même si elles reconnaissent les différences entre les établissements provinciaux et fédéraux et les détenus qu'ils hébergent, les recommandations formulées dans le rapport Sapers auraient certainement pu servir de fondement solide à la réforme au niveau fédéral. Elles ne sont pas prises en compte dans le projet de loi que le Comité étudie.
En fait, l'Ontario a adopté une loi qui incorpore bon nombre des recommandations de M. Sapers, et cette loi interdit explicitement le recours à l'isolement pour certaines catégories de détenus, c'est-à-dire les personnes enceintes ou qui ont récemment accouché, celles qui s'automutilent de façon chronique ou qui sont suicidaires, celles qui ont une déficience intellectuelle importante, celles qui ont une déficience importante de la mobilité et celles qui ont besoin d'une surveillance médicale.
En Ontario, la loi impose également des plafonds stricts pour le temps qu'un détenu peut passer en isolement, soit 15 jours à la fois et pas plus de 60 jours dans une période de 365 jours. Les placements en isolement font l'objet d'examens réguliers et indépendants.
Le projet de loi que le Comité étudie ne contient aucune disposition de la sorte et, à notre avis, ces changements constituent le strict minimum requis pour remédier aux violations de la Charte inhérentes au régime actuel.
La loi ontarienne précise aussi clairement qu'une visite du directeur de l'établissement ou d'un professionnel de la santé qui a lieu par la fente dans la porte pour les plateaux de repas ne répond pas aux exigences législatives s'appliquant aux visites de ces personnes. La législation fédérale devrait elle aussi rendre compte du fait que la communication qui se déroule par une fente dans la porte ne répond pas à la définition de contacts humains réels, tout comme elle précise qu'une douche ne constitue pas une période hors cellule.
Il devrait également être clair que l'isolement est une solution de dernier recours. On devrait exiger que les autres options qui ont été épuisées avant de décider de placer un détenu en isolement soient documentées, de même que les efforts déployés pour permettre à un détenu d'avoir des contacts humains réels.
En conclusion, le projet de loi C-83 ne représente pas la réforme profonde qui s'impose, et des amendements simples ne le rendront pas conforme à la Charte, comme l'ont expliqué ma collègue et la sénatrice Pate. Ce qui est constitutionnellement nécessaire, à notre avis, c'est la fin de l'isolement cellulaire indéfini et de son utilisation pour les personnes atteintes d'une maladie mentale grave et pour d'autres groupes particulièrement vulnérables.
Merci, madame Zwibel.
Avant de donner la parole à Mme Sahota pour sept minutes, je précise que j'ai l'intention de mettre fin à la réunion à 17 h 35, puis de lever la séance et de la reprendre à huis clos. Des décisions doivent être prises le plus tôt possible par le Comité au sujet d'un certain nombre de questions.
Avec le consentement de mes collègues, nous allons prolonger la séance de cinq minutes.
Madame Sahota, vous avez sept minutes.
Merci madame la sénatrice.
Merci à tous d'être venus aujourd'hui.
Des témoins nous ont parlé à maintes reprises de la surveillance, et le groupe de témoins précédent nous a donné une idée de ce qu'il en pense et de qui devrait être responsable de cette surveillance. Je me demandais si vous pouviez me donner votre opinion à ce sujet également.
À la suite des événements survenus à l'établissement pour femmes, Louise Arbour a recommandé une surveillance judiciaire. Je pense que chaque mesure prise depuis a renforcé les raisons pour lesquelles il s'agit du meilleur modèle et de celui qui devrait être mis en oeuvre, parce que chaque mesure visant à créer des organisations soi-disant indépendantes, que ce soit pour des accusations portées dans les prisons et même lorsqu'il est question de présidents indépendants, a beaucoup à voir avec la personne devant laquelle les détenus et le personnel comparaissent, et la réalité est que, dans la plupart des cas, ces organisations deviennent des ramifications supplémentaires de l'organisme gouvernemental.
Il y a d'excellents présidents indépendants — par exemple, Marie-Claude Landry, qui était à la tête des présidents indépendants au Québec. Lorsqu'elle dirigeait ce processus, tout le monde a reconnu qu'elle était très solide...
Quand vous parlez de « surveillance judiciaire », comment envisagez-vous cela? S'agit-il d'un tribunal quasi judiciaire ou d'un tribunal véritable? Nous savons quel retard accusent les tribunaux, alors comment cela fonctionnerait-il?
Je dirais que c'est possible. La question serait portée devant le tribunal si, en fait, il existait une disposition robuste prévoyant qu'il n'y a pas d'isolement, de sorte que si, pour une raison quelconque, le Service correctionnel décidait qu'un isolement quelconque est nécessaire, il devrait justifier cette décision.
À l'heure actuelle, tout ce qu'il faudrait avec ce projet de loi, avec tout le respect que je vous dois, à l'intérieur de bon nombre des mécanismes proposés, c'est que Service correctionnel Canada établisse un dossier de cas, et d'après ce que nous savons et ce que nous avons vu très clairement dans le cadre de l'enquête sur le cas d'Ashley Smith, ces dossiers sont établis en grande partie dans l'intérêt de ceux qui les créent.
Ashley Smith, par exemple, a été décrite comme étant hors de contrôle et violente tout le temps, et pourtant, lorsque nous avons vu la bande vidéo des témoignages et des contre-interrogatoires des agents correctionnels, ils ont tous dit qu'ils avaient pris connaissance de cette information dans des documents qu'ils avaient lus à ce sujet et qu'elle ne leur venait pas d'une expérience vécue avec elle. Cela renforce la nécessité d'exclure des gens de ce processus.
De la même façon, il semble merveilleux qu'une surveillance externe des soins de santé soit assurée, par exemple, par des gens qui relèvent des autorités sanitaires en milieu carcéral, mais dans chaque cas où cela a été mis en oeuvre — j'ai mentionné le centre psychiatrique régional, et il y a un certain nombre de contextes dans le système pour les jeunes où cette approche a été utilisée —, si les gens demeurent incarcérés et ne font pas l'objet d'un transfèrement, comme l'article 29 vous permettrait de le recommander et de l'exiger, et s'ils ne sont pas transférés directement de la prison à un service administré à l'externe, plutôt que d'avoir recours à des visites de gens de l'extérieur, alors le processus de surveillance est beaucoup moins rigoureux. Au lieu de cela, ce que l'on voit souvent lorsqu'ils demeurent dans le système, et cela m'est arrivé à maintes reprises, que ce soit dans le système pour les jeunes ou au centre psychiatrique régional, c'est le responsable des services de thérapie qui se tourne vers des gens comme moi pour demander qu'un intervenant soit désigné.
Beaucoup d'avocats et de juges ne sont même pas au courant de cela, parce que le simple examen de la loi et les témoignages entendus ne leur permettent pas nécessairement d'avoir une connaissance de première main des conditions d'isolement.
Nous avons entendu un témoin qui était en isolement depuis plusieurs années et qui était extrêmement contre l'élimination de cette mesure, en raison de son utilité, surtout dans les établissements pour hommes. Il a dit qu'elle était nécessaire pour de nombreuses raisons: la sécurité, la maladie mentale et toutes les autres choses que vous avez mentionnées.
Le processus que vous envisagez en est un de surveillance judiciaire. Dans l'intervalle, avant qu'une décision soit rendue, comment pourra-t-on faire face à ce genre de situation à l'interne et en toute sécurité, selon vous? Vous avez également mentionné que les propositions que vous présentez aujourd'hui réduiraient les préjudices pour les agents correctionnels et les détenus. Pouvez-vous nous décrire un peu comment, selon vous, nous pouvons...
Je suis désolée de vous interrompre.
Avant ma nomination, dans le poste que j'occupais auparavant, nous avions recommandé et proposé une approche à Service correctionnel Canada dans le cadre du processus relatif à toutes ces affaires judiciaires.
À l'époque, la Société Elizabeth Fry était la seule organisation qui recommandait l'abolition complète de l'isolement, qui plus est pour les femmes, et pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale. De nombreux autres groupes sont maintenant d'accord avec cela, mais au cours des 20 ou 25 dernières années, nous avons notamment collaboré avec des personnes et commencé à élaborer des options de défense des droits en milieu carcéral, de concert avec les établissements — et, comme vous le savez probablement, il y a des équipes qui s'y rendent une fois par mois —, ce qui a fait en sorte de commencer à supprimer ces obstacles. Nous avions recommandé la mise sur pied d'une équipe chargée d'examiner chaque personne que Service correctionnel Canada envisageait d'isoler, puis nous avons travaillé à un plan d'aide, qui faisait intervenir des acteurs communautaires, des avocats à l'occasion et des responsables de la prison.
Cette initiative a été refusée, et en fait, une des raisons pour lesquelles tant de gens disent que nous n'en avons pas besoin pour les femmes, c'est que certaines de ces mesures étaient en fait incroyablement efficaces, et beaucoup de gens, y compris ceux qui travaillent pour Service correctionnel, ont reconnu que nous n'avions pas besoin de ce processus.
Pour ce qui est d'aller dans les établissements pour hommes et d'y lancer ce genre de débat, je ne pense pas que nous en soyons là. Je manquerais à mes responsabilités si je disais que nous sommes rendus là, mais les arguments que vous avez entendus de la part des hommes et des témoins sont les mêmes que ceux que j'ai entendus des femmes lorsque nous avons entamé ce processus. C'est pourquoi nous commençons à travailler avec les hommes et à aller à la rencontre des personnes condamnées à perpétuité et des gangs de détenus, de même que des groupes d'hommes autochtones, pour tenter de décortiquer cela aussi dans ces contextes.
Tout ce que je veux ajouter... Il n'y a pas grand-chose à ajouter, mais je pense que nous devons comprendre que la façon dont notre système correctionnel fonctionne ne représente pas la seule solution, et c'est pourquoi ma collègue et moi parlons sans cesse de la nécessité d'une réforme en profondeur. Nous examinons certaines des mesures préconisées par le professeur Andrew Coyle, un expert international qui a témoigné en notre nom dans le cadre de l'enquête sur le cas d'Ashley Smith. Lorsqu'il a été interrogé par le jury lors de cette enquête concernant les solutions de rechange à l'isolement, il n'a pas parlé d'une personne enragée en perte de contrôle et en décompensation; il a plutôt repris du commencement, la nuit de l'arrivée d'une personne dans un pénitencier, effrayée et inquiète, mais qui bénéficie d'un soutien par les pairs et de moyens de défense, ainsi que du genre de programmes et de réadaptation qui peuvent être offerts dans le cadre d'une réforme.
Par conséquent, un peu comme la sénatrice Pate, nous dirions que la réforme doit se faire au niveau institutionnel.
Si les ressources nécessaires sont fournies, pensez-vous qu'il pourrait y avoir une réforme, même par...
Absolument. Je pense que c'est en partie ainsi que le Royaume-Uni a réussi à l'éliminer dans tous les cas, sauf dans des circonstances exceptionnelles et difficiles. Il n'est donc pas nécessaire d'isoler 60 personnes à la fois.
Nous allons devoir nous arrêter ici.
C'est incroyable de voir la créativité dont les gens font preuve pour prolonger leur temps de parole.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Il serait utile que les témoins regardent le président de temps en temps pour que je n'aie pas à les interrompre brusquement, mais simplement à les interrompre.
C'est maintenant au tour de M. Motz, que je n'ai jamais eu à interrompre brusquement.
Non, jamais. Merci, monsieur le président.
Merci à madame la sénatrice et au groupe de l'Association des libertés civiles.
Madame la sénatrice, vous avez déjà laissé entendre, et vous l'avez mentionné aujourd'hui, que nous devons abandonner ce projet de loi et essentiellement recommencer à zéro. Le ministre vous a-t-il consulté au sujet de ce projet de loi ou du projet de loi précédent, le projet de loi C-56?
Il y a confusion au sujet des coûts, comme nous l'ont dit M. Zinger au début et des témoins précédents. Il y a eu confusion au sujet de la mise en oeuvre du projet de loi. Nous ne savons pas encore à quoi cela ressemblera. Service correctionnel Canada a dit que certaines prisons pourraient être équipées des détecteurs à balayage corporel. D'autres devront utiliser des scanneurs à ions. Il reste des questions sur la façon dont les unités d'intervention structurée seront reconfigurées dans l'ensemble actuel d'infrastructures de SCC. Beaucoup de choses sont encore en suspens.
Seriez-vous d'accord pour dire qu'il est essentiel de connaître les coûts de mise en oeuvre à l'avance pour savoir quelles seront les répercussions de cette loi sur les détenus et les agents correctionnels, notamment?
Bien sûr, c'est important de le savoir. Je pense que nous avons de l'information sur les coûts. Le directeur parlementaire du budget a mis à jour les chiffres de 2010 de l'ancien directeur parlementaire du budget. D'après les chiffres qui ont été fournis jusqu'à maintenant, nous pouvons voir que le coût des milieux de vie structurés dans les prisons pour femmes, par exemple, était d'environ 533 000 $ par année, par femme.
Maintenant, si c'est le coût des environnements de vie structurés, on peut facilement dire que le coût de ces nouvelles unités sera similaire. Pour les hommes, le coût se situait entre 300 000 $ et 600 000 $. C'est ce dont je me souviens, mais je pourrais...
Il n'est donc probablement pas surprenant que, lorsque le ministre a comparu devant nous et que nous lui avons posé des questions au sujet des coûts, il n'avait aucune idée de ce qu'il en coûtait et il n'était pas disposé à fournir quoi que ce soit. C'est peut-être pour cette raison?
Je ne peux pas parler au nom du ministre. Je sais que l'un des points soulevés par le directeur parlementaire du budget lorsque j'ai demandé la mise à jour des coûts était qu'il ne pouvait pas estimer ce qu'il en coûterait pour la sécurité maximale des femmes. Elles se trouvent toutes dans ces unités séparées, qui correspondent essentiellement à ce que seraient les milieux de vie structurés. D'après les renseignements obtenus, on estime ces coûts à environ un demi-million de dollars par année, par femme.
Si l'on tient compte du nombre de femmes autochtones qui se trouvent dans cette situation et que l'on ajoute à cela les parties du projet de loi qui rendront plus difficiles la mise en oeuvre des éléments progressistes des dispositions législatives actuelles, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous caution, je pense que les coûts seront probablement plus élevés.
Vous avez parlé des détenus autochtones. Pensez-vous que le Comité devrait aller au-delà du simple pouvoir discrétionnaire du ministre et inscrire dans la loi que les collectivités des Premières Nations doivent être consultées au sujet des prisonniers qui sont transférés dans les pavillons de ressourcement?
Eh bien, en fait, s'il s'agit d'une institution gérée par une communauté autochtone, celle-ci est consultée. Ce sont elles qui prennent les décisions. S'il s'agit d'un pénitencier fédéral, alors je pense que c'est Service correctionnel Canada qui devrait prendre les décisions.
Je crois que la façon dont l'établissement fédéral pour femmes a été établi dans la réserve de Nekaneet — il semble que vous faites allusion à celui-là, alors parlons-en...
Je ne parle pas du tout de celui-là. Je parle de la façon générale dont les détenus sont transférés dans les pavillons de ressourcement et de la question de savoir si les collectivités des Premières Nations devraient être consultées.
Je rappelle au témoin et à M. Motz que ce projet de loi porte sur l’isolement, non sur les pavillons de ressourcement ni sur la sécurité maximale ou minimale. Il y a une certaine pertinence indirecte, mais vous pourriez peut-être vous concentrer sur le projet de loi, s’il vous plaît.
Merci de ce rappel, monsieur le président. Je vais m'en tenir au projet de loi.
Avec le texte tel que proposé, une des choses qui vont se produire est que les ententes négociées en vertu des articles 81 et 84, qui concernent les pavillons de ressourcement et les ententes avec les collectivités autochtones — donc, pas les pénitenciers fédéraux, mais les pavillons de ressourcement dirigés par les Autochtones —, seront en fait plus limitées.
De plus, le Service correctionnel a appliqué ces ententes en créant des lits en établissement, au lieu de faire ce dont le vérificateur général parlait aujourd’hui dans le rapport à propos de la libération conditionnelle, c'est-à-dire d'offrir davantage d’options personnalisées, plus près des collectivités, et de négocier davantage avec elles. Le projet de loi ne va pas dans ce sens en supprimant le terme « collectivité » dans « collectivité autochtone », parce que cela n’avait pas encore été appliqué dans sa pleine mesure, et je pense que la politique adoptée par le Service correctionnel du Canada a restreint la portée de la loi.
Si vous me permettez d'intervenir, vous recevrez à ce sujet les mémoires des Aboriginal Legal Services et de l’Association des femmes autochtones du Canada, dont nous appuyons les positions.
Merci.
Madame la sénatrice, il y a des agents correctionnels qui se sont dits très préoccupés par ce projet de loi. Pensez-vous qu’ils ont raison de s'en faire, avec la façon dont le projet de loi est rédigé actuellement?
Je ne connais pas leurs préoccupations en détail, mais je pense qu'on s'inquiète notamment du manque de consultation.
D’après notre expérience, il y avait deux opinions divergentes chez les agents correctionnels lorsque nous visitions les établissements avec le comité des droits de la personne. L’une était la position officielle et l’autre venait souvent de ceux qui travaillent sur le terrain — qui sont dans le feu de l'action, si vous voulez — dans les établissements. Beaucoup parmi eux préconisaient un apport plus solide des collectivités et moins de ces mesures restrictives qui risquent d'être imposées par ces unités d’intervention s'il n'y a pas de surveillance.
La réponse dépend donc de l'agent à qui vous posez la question. Je vous encourage à visiter ces établissements pour voir ce qui s'y passe réellement.
Merci.
Apparemment, mon temps est écoulé, et je n’essaierai pas d'en « glisser une vite » comme Ruby.
Oh, ce n’était pas gentil.
M. Dubé, qui n’essaie jamais d'en glisser une, a la parole pendant sept minutes.
On vient juste de me la couper.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie toutes les trois de votre présence.
J’ai quelques questions sur le libellé du projet de loi. Je vais simplement les lancer et vous demander d'y répondre à tour de rôle, vous, sénatrice, et nos amies de l’Association canadienne des libertés civiles.
La première est l’absence de l’expression « le moins restrictif possible » qu'on trouvait dans le projet de loi C-56, qui avait aussi ses lacunes, mais nous ne sommes pas ici pour en discuter.
L’autre formulation sur laquelle j'aimerais vous entendre toutes les trois est celle de l’alinéa 32a), où on peut lire: « notamment pour des raisons de sécurité ». J'ai interrogé de nombreux témoins à ce sujet parce que je crains qu’on veuille maintenir le statu quo et recourir à ce type d'incarcération pour parer à d’autres problèmes inhérents à notre système correctionnel.
Pouvez-vous vous prononcer toutes les trois — ou toutes les deux, selon la manière dont vous voudrez répondre — sur ces deux questions de libellé du projet de loi?
Je vais commencer par la première.
L'expression « le moins restrictif possible » est une norme constitutionnelle. Il est tout simplement inadmissible, en vertu du droit constitutionnel canadien, de détenir des gens dans un état de confinement qui n'est pas nécessaire et qui n’est pas le moins restrictif possible.
C’est une question importante et je pense que le libellé devrait figurer dans la loi parce que c'est ainsi qu'on assure le respect des droits constitutionnels et des droits garantis par la Charte. S'il faut enlever des droits à des gens, il faut aussi que les mesures de protection soient énoncées dans la loi pour qu’il n’y ait pas de confusion, que le public sache que le Parlement fait son travail correctement et sérieusement et que le Service correctionnel le sache aussi.
Je suis d’accord.
J'ai apporté des tableaux; je n’ai pas présenté de mémoire dans la forme habituelle, mais j’ai pensé que ce pourrait être utile au Comité. Je les ai en français et en anglais et je me ferai un plaisir de les distribuer pour que vous puissiez voir en quoi consiste la loi actuelle, ce qui est proposé et quels sont les commentaires. Un des problèmes est exactement celui relevé par Mme Mendelsohn.
De plus, votre remarque au sujet de l'emploi du mot « notamment » est très judicieuse parce que cela crée une sorte de catégorie fourre-tout: le Service correctionnel a toute latitude pour déterminer quelle autre conduite ou quelle autre circonstance pourrait justifier de mettre quelqu'un en isolement.
J’ai pris une note au sujet du prochain point, et excusez ma pause du début. Vous avez entendu parler de la loi ontarienne, mais ce qu’on ne vous a pas dit, c’est que la version initiale proposait en fait qu’au moins quatre prisons commencent sans unités d’isolement, tellement les participants au processus étaient convaincus qu'elles pourraient fonctionner de cette façon. Il a fallu des pressions politiques pour qu'on renonce à cette idée.
Je pense que le Canada est depuis longtemps un chef de file en matière de droits de la personne, et c’est un domaine où nous pourrions servir clairement d'exemple. Nous ne devrions pas voir les normes de l’ONU comme un plafond, mais plutôt comme un plancher.
J'aimerais revenir à l’expression « le moins restrictif possible », pour ma propre gouverne et celle de mes collègues.
Si je ne me trompe pas, elle a été retirée à un moment donné de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Je pose la question parce que nous entendons parfois l’argument selon lequel, vu qu’il s’agit d’une obligation constitutionnelle, cela n'a pas besoin de figurer dans la loi parce que c’est protégé de facto. Pendant très longtemps, cela figurait pourtant dans la loi, jusqu’à une date assez récente, si je ne m’abuse.
Merci.
L’autre question que je voulais poser, sénatrice Pate, concerne ce que vous avez constaté en visitant des établissements, où l’on emploie déjà des termes qui ne sont pas tout à fait les mêmes en langage parlé, mais des termes assez proches qu'on peut se demander s’il s’agit d’un changement réel ou d’une retouche superficielle.
Encore une fois, j’aimerais entendre tous nos témoins à ce sujet. On nous a parlé lors de la séance d’information technique — et la commissaire et le ministre ne l’ont pas nié quand je le leur ai demandé, et l’enquêteur correctionnel en a parlé à son tour — de la possibilité de désigner des zones existantes comme des unités d'intervention structurée, des UIS. Autrement dit, d'un point de vue structurel, tout serait identique sauf le nom, et certaines des dispositions de ce projet de loi seront peut-être sans effet.
Je me demande ce que vous en pensez.
Au-delà des zones désignées UIS, comme je l’ai dit dans mon exposé, dans toute situation d'isolement extrême — qu’on parle de sécurité maximale, d’observation médicale, de handicap ou de quoi que ce soit —, le tort causé à un être humain est si grand que deux juges au pays ont conclu que ce régime ne peut pas durer parce qu’il est inconstitutionnel et qu’il viole des droits fondamentaux.
Par conséquent, nous devrions nous préoccuper non seulement de la désignation de zones en UIS, mais aussi des conditions dans lesquelles les gens sont détenus. Toute nouvelle loi doit reconnaître que le problème est la détention dans des conditions d’isolement, et c’est là qu'il faut mettre en place des protections.
Plus strictement que cela, ces juges ont pris leurs décisions sans visiter les unités. Avec le comité des droits de la personne, lorsque nous sommes allés dans les unités à sécurité maximale, tous les sénateurs ont reconnu qu’il s’agissait bel et bien de conditions d'isolement, sans que personne ne le dise. Il suffit de voir à quoi les détenus ont droit, à quoi ils n’ont pas droit, ce qu'est l'intervention réelle ou le contact humain réel, qui est au mieux négligeable.
La réalité, c’est que des gens vivent avec deux, trois ou parfois quatre autres personnes dans des espaces communs qui sont plus petits que la superficie de cette...
Je m’en voudrais de ne pas poser une question à l’Association canadienne des libertés civiles pendant que vous êtes ici.
D’une part, le gouvernement dit que ce projet de loi se veut une réponse aux décisions des tribunaux de l'Ontario et de la Colombie-Britannique, mais d’autre part, ces décisions font l'objet d'un appel. Est-ce que cela ne vous dérange pas? Je ne suis pas certain si la décision de l'Ontario est en appel, mais je sais que celle de la Colombie-Britannique l’est.
Le gouvernement n’a pas interjeté appel de la décision qui disait que la loi était inconstitutionnelle en raison de l’absence d’un examen indépendant, alors cette décision tient toujours. Notre association a interjeté appel de tous les motifs pour lesquels le tribunal a jugé que ce n’était pas inconstitutionnel, alors cette partie-là se poursuit.
Pour répondre à votre question — et j’ai essayé de l'aborder dans mon exposé —, ce projet de loi ne répond pas aux motifs d’inconstitutionnalité que nous invoquions dans notre cause et que la Colombie-Britannique invoquait dans sa cause et que les juges ont constatés. Il n'en parle pas. La décision de l’Ontario a été rendue il y a 12 mois, presque jour pour jour. D’une façon ou d’une autre, le Comité s'y prend trop tard, mais cela n'améliore pas le projet de loi.
Merci de votre présence.
Je vous remercie, sénatrice Pate, de défendre cette cause depuis tant d'années.
La première question n’a rien à voir avec le projet de loi, mais elle s'y rattache d'une certaine façon.
Reconnaissez-vous qu’on fait plus d’investissements après 10 ans de compressions épouvantables dans les services correctionnels, et qu’il y a un changement d’attitude? Je ne dis pas que tout est parfait, mais avez-vous constaté une différence d’attitude au ministère et chez le ministre en ce qui concerne les services correctionnels et les investissements?
Je vous pose la question à toutes les deux.
Nous avons certainement constaté une différence dans le langage.
Par exemple, lors de nos visites dans les établissements et de nos rencontres avec les cadres supérieurs et tous les témoins qui viennent de l’administration centrale et des administrations régionales, le langage semble beaucoup plus progressiste que ce que nous entendions depuis un certain temps. Toutefois, d’après notre expérience, cela ne s’est pas répercuté ne serait-ce qu'un échelon plus bas. Lors de nos visites, nous recevons souvent un exposé de la direction, puis rendus dans l’établissement même, nous voyons quelque chose de diamétralement opposé.
Je sais que vous avez lu le rapport sur la prison à sécurité maximale d’Edmonton, et il est vrai qu'on ne peut pas guérir du jour au lendemain quelque chose qui s'infecte depuis si longtemps.
Je veux juste souligner que je suis vraiment fière de ce que le ministre essaie de faire. Il est vraiment important de maintenir ce cap si on veut changer le système de fond en comble.
Chose certaine, l’enseignante en moi dit qu’il faut répéter au moins 29 fois avant que la leçon commence à rentrer.
Le problème, cependant, c’est que s’il y avait une réelle volonté, beaucoup d’entre nous auraient été invités à prendre part à la démarche. Malheureusement, la démarche apparaît plutôt cynique si, en fait, vous ne passez pas à l’étape suivante et ne mobilisez pas les personnes qui, comme moi, ont beaucoup investi pour que cela fonctionne.
Cette question s’adresse probablement davantage à vous: qu’entendez-vous par « isolement »? Vous avez parlé des établissements pour femmes, où l’enquêteur correctionnel nous a dit qu’il y avait actuellement 10 femmes en isolement. Comme je disais tantôt aux représentantes des libertés civiles, j’ai l’impression que ce projet de loi vise les établissements pour hommes et non ceux pour femmes, parce que les circonstances sont très différentes. Il n’y a pas autant de gangs dans les prisons pour femmes.
Vous parliez de Stony Mountain. J’étais là-bas en 2016 et j’ai vu une des unités où se trouve ce que vous avez appelé, je crois, le « pod C ». Pourquoi pensez-vous que cela ne peut pas fonctionner?
Je reviens en arrière. Une des raisons pour lesquelles Louise Arbour a recommandé que les femmes servent de porte-étendard des services correctionnels, c’est exactement ce que vous avez souligné, à savoir que nous pourrions apporter beaucoup plus d'éléments progressistes qui, selon notre expérience, profiteraient ensuite aussi aux hommes. Les pavillons de ressourcement en sont un exemple parfait. Ils ont d’abord été mis à l’essai auprès des femmes.
Ce que nous pouvons faire, toutefois, c’est tirer des leçons de ce qui se passe et commencer à défaire la culture qui s'est ancrée dans les services correctionnels, en particulier dans les prisons pour hommes. C’est en partie pourquoi je commence à travailler avec ces hommes qui essaient en fait de changer les choses.
Je ne pense pas qu’il faille des unités séparées pour y parvenir. Je pense que nous pouvons travailler avec un certain nombre de personnes qui veulent voir un changement digne de ce nom. Déjà, en mettant au défi certains des hommes à qui j'ai demandé comment ils allaient faire pour passer à la sécurité moyenne, ils savent qu’ils devront accepter de se mélanger aux autres et qu’ils devront négocier.
Le Service correctionnel a toujours dit que cela commence dès qu’on entre en prison, et non à un moment donné par la suite. Nous ne faisons pas cela.
Je ne suis pas du tout en désaccord avec vous, mais lorsque j’ai demandé au ministre et à la commissaire quand elle était ici au sujet de ces unités comme les « pods » de Stony Mountain, je crois que c’était la raison d'être de ces unités. Il était question de quatre à six unités réunies, où les gens capables de s’entendre, comme deux gangs qui ne s'entretuent pas en prison, pouvaient manger ensemble. C’est l’intention derrière tout cela.
Si on commence par la séparation, la tension ne fait qu'augmenter. Mme Mendelsohn a parlé d'établissements au Royaume-Uni qui ont travaillé là-dessus, et j’ai moi-même pris part à certaines des réformes au Royaume-Uni qui visaient à éliminer la ségrégation, à éliminer les milieux de sécurité maximale et à recourir plutôt à une sécurité plus dynamique. Bien sûr, il ne s’agissait pas de mettre les gens en danger, parce que personne ne veut cela, mais de miser sur des façons de changer les comportements en favorisant les relations. Ce n’est pas en mettant les gens derrière des barrières, parce qu'alors il est plus facile, si on ne s’entend pas, de crier à travers un mur que de se résoudre à négocier.
Il ne me reste que deux minutes et j’aimerais vous poser une question sur la surveillance. Je l’ai posée aussi aux témoins précédents.
Si nous ajoutions quelque chose à propos de la surveillance pour qu’elle soit déclenchée au bout de cinq jours lorsque les conditions ne sont pas respectées, ou par le représentant du patient ou le professionnel de la santé, est-ce que cela apaiserait certaines de vos craintes?
Pour moi, non, parce que je sais comment ces mécanismes-là fonctionnent à l’heure actuelle.
S’il n’y a pas eu jusqu’à maintenant de véritables consultations à ce sujet, je ne vois pas comment ces mécanismes seraient mis en place dans le milieu carcéral sans pression de l'extérieur.
À l’heure actuelle, c’est considéré comme indépendant lorsque les gens de la santé mentale interviennent. Lorsque j’ai communiqué avec eux en Saskatchewan, ils n’avaient reçu aucun appel. La procédure de prise en charge est engagée dès que la personne a reçu des médicaments ou des injections de force, selon le cas, puis elle renonce à être prise en charge, ce qui signifie que l'intervenant en santé mentale n’a jamais été appelé.
Si, par « conditions », vous entendez que les gens puissent passer quelques heures hors de leur cellule, avoir quelques heures de contact humain, et que ce serait la seule forme de surveillance outre celle du représentant du patient et de l'intervenant en santé mentale, cela ne serait absolument pas suffisant de toute façon, parce qu’il faut un droit de regard sur le placement en isolement et sur la décision de garder quelqu'un dans cette situation.
Toutes nos objections ont été enregistrées. Si l’une ou l’autre de ces choses doit continuer, il faut qu’il y ait une surveillance afin qu'on sache pourquoi telle personne est gardée en isolement et pourquoi elle s'est retrouvée là pour commencer.
Merci.
Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui.
Je vous écoutais, madame Aviv, parler de surveillance. Croyez-vous que dans ce projet de loi — et je crois que c’est déjà dans la loi du Service correctionnel du Canada —, on doive stipuler que le directeur d’établissement a le droit de décider de placer une personne dans une zone de ségrégation, ou quel que soit le nom qu’on lui donne — dans le quartier C ou B, D ou E? Croyez-vous qu'il faille inscrire dans la loi que le directeur doit avoir le droit de prendre cette décision, et qu’il doit ensuite la faire examiner?
Cela dépend beaucoup de ce qu'on entend par ségrégation. Je ne suis pas sûre que nous ayons le genre de réforme ou de loi dont nous avons besoin pour justifier la moindre forme d’isolement. Même les cas les plus difficiles — ceux qui ont décompensé — peuvent toujours avoir des contacts avec quelqu’un en milieu carcéral. Ils peuvent et ils doivent le faire, pour leur propre bien et pour celui de l’établissement.
S’il y a une situation d’urgence, comme une mutinerie, et que vous avez besoin d'un confinement de toute urgence, alors je pense que les gens qui sont sur place doivent avoir le pouvoir de décision. Ce pouvoir ne devrait pas donner lieu à des abus ni être utilisé à outrance ou mal utilisé. Lorsque nous parlons de la plus courte durée possible, nous parlons d’une journée ou deux, et non de 15 jours qui se prolongent et qui se prolongent au point d'entrer dans les moeurs institutionnelles.
Très bien. Je vous remercie, mais si quelqu’un dans l’établissement où se trouve la personne devient violent ou si la personne est menacée de mort par un autre détenu, quelqu’un doit avoir le pouvoir de la placer dans un endroit où elle est protégée.
Êtes-vous d’accord?
Oui, mais cela ne veut pas dire nécessairement qu'il faut la mettre en isolement, ou qu'il ne peut y avoir une surveillance juridique à très brève échéance.
À minuit, quelqu’un devient très violent. Qui va accorder cette surveillance? Allez-vous appeler un juge pour l'obtenir, ou est-ce que quelqu’un au sein de l’établissement doit prendre cette décision en premier lieu, quitte à ce que la surveillance arrive plus tard? Vous semblez dire qu’il faut soumettre chaque décision à un droit de regard.
Non, je ne crois pas avoir dit cela, monsieur Eglinski.
Ce que je disais allait en fait dans votre sens. En cas d’urgence, il doit y avoir quelqu’un sur place qui peut s'occuper de la situation. Il n’est pas nécessaire que cela se traduise par une mise en isolement, et il devrait y avoir une surveillance externe appropriée dès que possible après coup.
Il est très difficile de répondre dans l'abstrait. En Ontario, le juge en chef adjoint Marrocco a parlé d’un examen au bout de cinq jours et d'une surveillance externe obligatoire à ce moment-là. Je pense qu’il est très possible, si vous voulez revoir le placement en isolement plus tôt que cela... Encore une fois, nos objections sont enregistrées, et je signale en passant que le projet de loi ne prévoyait même pas que la personne soit transférée dans une unité d’intervention structurée pendant cinq jours.
Cependant, le projet de loi ne traite pas des situations d’urgence; il traite du transfert d'une personne dans un autre secteur de l'établissement comme si c'était normal dans la vie carcérale. Nous ne parlons pas de la même chose. Il y a des urgences, et il faut y faire face.
Oui, certainement, absolument. C’est ce qui me préoccupe: la sécurité des prisonniers et des gardiens.
Oui, je vais vous donner un exemple.
Il y a à peine deux semaines, j’ai reçu un appel d’une personne dans un établissement parce que, après tant d'années, je connais beaucoup de membres du personnel et beaucoup de prisonniers. Voici un exemple de ce qui aurait pu dégénérer en une situation d'urgence très différente.
Quelqu’un était en détresse. Un membre du personnel a pris la décision de m’appeler, même si c’était après les heures de travail — ce n'était pas dans le neuf à cinq habituel —, parce qu’on pensait que je pourrais peut-être engager un dialogue susceptible d'amener un résultat très différent de ce vers quoi on se dirigeait, c’est-à-dire l'isolement, la contention, l’aspersion au poivre et ainsi de suite.
C’est le genre de choses dont on parlait plus tôt, des choses à mettre en place dès le début. Si vous avez ce genre de relations et que vous savez qui saura s'y prendre avec cette personne pour l’amener ailleurs, cela peut se faire en cas d’urgence et cela s'est déjà fait. Des décisions de ce genre ont été prises par des employés de première ligne, des directeurs d’établissement et des cadres supérieurs du Service correctionnel du Canada, selon mon humble expérience.
Je pense qu’il y a moyen de faire les choses différemment. Oui, les gens doivent pouvoir prendre des décisions, mais les choix qu’ils font dépendent de ce qu’ils ont à leur portée.
Merci.
Avant de suspendre la séance, je tiens à remercier la sénatrice Pate, Mme Mendelsohn Aviv — j’espère que vous attraperez votre vol — et Mme Zwibel. Merci de votre contribution à l’étude du projet de loi C-83.
Nous allons nous arrêter pendant une minute ou deux, le temps de libérer la salle pour une discussion à huis clos.
[La séance se poursuit à huis clos.]
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication