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Merci, monsieur le président.
Le B'nai Brith est le plus vieil organisme juif composé de membres du Canada. Par l'entremise de sa Ligue des droits de l'homme, qui tient une ligne téléphonique de lutte contre les crimes haineux et prépare une vérification annuelle des incidents antisémites, c'est le premier défenseur des droits de la personne de la communauté juive du Canada.
Le B'nai Brith a témoigné devant le Comité en 2015, où il a mis l'accent sur notre appui d'un aspect particulier du projet de loi en lien à la création d'une infraction pour la promotion du terrorisme, à la saisie de propagande terroriste et à la suppression de propagande terroriste dans les systèmes informatiques. Nous avons formulé plusieurs recommandations d'amendements. Mon collègue David Matas, qui a agi à titre de conseiller juridique principal pour le B'nai Brith au Canada, fera le point sur notre position dans sa déclaration.
Nous savons que la communauté juive est particulièrement vulnérable à la propagande haineuse un peu partout dans le monde, et un grand nombre des organisations terroristes les plus puissantes, telles que le Hamas, le Hezbollah et Daech, comptent sur la promotion de la haine qui met l'accent sur l'antisémitisme pour inspirer des actes terroristes.
Il y a de nombreux exemples à l'échelle internationale, tels que l'attaque contre le supermarché Hyper Cacher contre les Juifs français, qui était liée aux attentats de Charlie Hebdo, et l'attaque horrible dans un centre religieux juif à Mumbai qui s'est inspiré d'un grave attentat islamiste survenue en 2008.
En fait, des attaques terroristes contre les Juifs se produisent partout dans le monde. La communauté juive est bien consciente de la menace à laquelle elle est confrontée et sait, en raison d'incidents survenus dans le passé, qu'elle continuera de faire l'objet d'attentats terroristes tant et aussi longtemps que l'incitation à la haine et à la radicalisation se poursuivra dans le monde.
On a tendance à penser que les actes terroristes ne se produisent qu'à l'étranger, mais c'est un problème qui touche le Canada aussi. Au pays, il y a le centre commercial de West Edmonton qui appartient à des Juifs et des entreprises juives un peu partout dans le monde qui ont été la cible de menaces terroristes par le groupe Al-Chabaab, par opposition aux centres commerciaux qui n'appartiennent pas à des Juifs. Nous ne sommes pas à l'abri de ces menaces au Canada.
Le rapport de 2016 sur la menace terroriste pour le Canada cite que le Hezbollah, un groupe terroriste listé soutenu par le régime iranien, utilise ses réseaux mondiaux et canadiens à des fins de recrutement, de financement et d'approvisionnement. Le Hezbollah demeure une menace terroriste non seulement pour la communauté juive, mais aussi pour tous les Canadiens, et on soupçonne qu'il a des antécédents d'activités terroristes internationales, dont le bombardement en 1994 d'un centre communautaire juif en Argentine. C'est l'une des raisons pour lesquelles le B'nai Brith a appuyé la fermeture de l'ambassade iranienne en 2012 et croit qu'elle ne devrait pas rouvrir ses portes avant que le régime iranien cesse d'appuyer la terreur et l'antisémitisme.
La vérification annuelle du B'nai Brith sur les incidents antisémites révèle que l'antisémitisme au Canada est demeuré relativement constant depuis 2011. Malgré l'absence de conflit actif en Israël en 2015, 1 277 incidents ont été signalés cette année-là. Le harcèlement, y compris le harcèlement en ligne, a augmenté de façon générale sur une période de cinq ans. Le vandalisme a atteint son plus bas niveau en 15 ans cette année-là, tandis que la violence a légèrement diminué de 10 incidents. Nos données pour 2016 seront rendues publiques au printemps prochain.
Notre premier ministre est à Washington aujourd'hui pour rencontrer pour la première fois le président Donald Trump. Les Canadiens souhaitent maintenir des relations positives avec les États-Unis pour assurer des passages frontaliers et des échanges commerciaux efficaces et rapides. Pour ce faire, il faut prendre notre sécurité nationale très au sérieux. Les efforts de lutte contre le terrorisme et la radicalisation au Canada doivent reconnaître que des groupes identifiables précis — ce qui comprend les juifs, les LGBTQ, les musulmans, les femmes et autres — sont souvent la cible de violence, et nous devons créer un cadre équilibré pour protéger les groupes sociaux vulnérables contre le terrorisme tout en maintenant des principes importants de liberté d'expression au sein de la société.
Bien des gens oublient souvent que les groupes musulmans minoritaires sont également la cible de groupes terroristes islamistes radicaux. Notre communauté salue et appuie le Programme fédéral d'infrastructure de sécurité, qui répond aux besoins en matière de sécurité des communautés à risque. Il est regrettable que les enfants qui grandissent au Canada à l'heure actuelle soient amenés à prendre conscience qu'une présence policière est nécessaire aux synagogues juives durant les Grandes Fêtes en raison de la menace permanente de crimes haineux et d'actes de violence.
La haine est enseignée et peut être une source d'inspiration vers la violence menant à la radicalisation. À cet égard, nous ne devrions pas oublier que les discours haineux au Canada pourraient jouer un rôle pour sensibiliser les gens aux efforts futurs de radicalisation, que ce soit en personne ou par Internet, en les désensibilisant à l'humanité de leurs semblables. Récemment, le B'nai Brith a dénoncé une émission de télévision locale en arabe à Toronto, AskMirna, qui faisait la promotion du déni de l'Holocauste. La chaîne de télévision Rogers ignorait qu'il y avait des problèmes avec le contenu, puisqu'elle se base sur le régime de confiance et un processus de plaintes. Il y a encore beaucoup à faire pour éliminer les filières qui favorisent la haine dans la société canadienne, même à la télévision et dans les journaux.
Voilà qui met fin à mes remarques liminaires, et M. Matas fera le point sur notre position.
Au nom du B'nai Brith Canada, j'aimerais aborder une question qui a été soulevée dans le Livre vert « Notre sécurité, nos droits ». La question, qui est formulée à la page 46 du document d'information, est la suivante: « Croyez-vous que la section de la définition de ‘propagande terroriste’ référant au fait de préconiser ou de fomenter des actes de terrorisme en général devrait être retirée de cette définition? »
Notre réponse à cette question est non. La liberté d'expression est un droit qu'il faut défendre farouchement, mais il en va de même pour le droit d'être protégé contre le terrorisme. De façon générale, les droits de la personne doivent être considérés comme un tout, et les droits doivent être équilibrés avec ceux des autres. Dans la pratique, cela signifie que les droits d'un groupe doivent être équilibrés avec ceux d'un autre groupe. Dans ce cas-ci, c'est le droit à la sécurité des victimes et des victimes éventuelles de terrorisme qui doit être équilibré avec la liberté d'expression de ceux qui préconisent ou fomentent la perpétration d'actes de terrorisme.
Nous percevons l'ajout à la définition de « propagande terroriste » d'infractions en lien avec la défense ou la promotion du terrorisme en général comme moyen de rééquilibrer la situation à la lumière de l'augmentation des menaces terroristes avec lesquelles sont confrontés le monde entier et le Canada. Le monde a changé, et l'équilibre doit changer également. Les victimes et les victimes éventuelles doivent être mieux protégées que dans le passé. Il faudra examiner si cet ajout va trop loin, mais du point de vue conceptuel, le changement est logique.
Nous avons trois suggestions qui, selon nous, sont conformes à l'esprit de la mesure législative.
La première consiste à importer une défense contre les infractions en lien avec la défense ou la promotion du terrorisme qui existe déjà pour les infractions relatives à la promotion de la haine. Le Code criminel prévoit actuellement que nul ne peut être déclaré coupable de fomenter volontairement la haine qui voulait, de bonne foi, attirer l'attention, afin qu'il y soit remédié, sur des questions de nature à provoquer des sentiments de haine contre un groupe donné. Une mesure semblable pourrait être rédigée pour les infractions en lien avec la défense et la promotion d'actes terroristes.
La deuxième consiste à ce que l'infraction prévue dans la loi interdise la promotion et la défense d'« infractions de terrorisme en général » sans préciser quelles sont ces infractions. Nous présumons que l'expression « infractions de terrorisme en général » vise les infractions de terrorisme énoncées dans la définition de cette expression prévue dans le Code criminel. Nous suggérons que peu importe si cette présomption est vraie ou non, l'expression « infractions de terrorisme en général » soit définie de manière à ce que les infractions visées soient claires.
La troisième suggestion se rapporte à l'obligation d'obtenir le consentement du procureur général. Une obligation d'obtenir le consentement, que nous appuyons, comporte son lot de problèmes. Le procureur général concerné est le procureur général du gouvernement fédéral pour les territoires seulement. Pour les provinces, les procureurs généraux concernés sont les procureurs généraux dans les provinces où les infractions présumées surviennent. Notre expérience avec l'infraction de fomenter volontairement la haine est que certains procureurs généraux étaient très réticents à autoriser que des poursuites soient intentées relativement à ce type d'infractions, même dans des cas clairs.
D'après notre expérience avec les lois sur les discours haineux, nous avons appris qu'en autorisant un membre du public d'intenter des poursuites contre un autre membre du public sans effectuer de contrôle au préalable contribue très peu à la protection de la liberté d'expression. Inversement, légiférer une obligation d'obtenir le consentement du procureur général constitue un obstacle de taille au fonctionnement efficace de la loi.
Nous suggérons de mettre en place des lignes directrices en plus de l'obligation d'obtenir le consentement du procureur général. Nous espérons que les procureurs généraux n'auront pas à lutter contre la défense et la promotion d'actes de terrorisme suffisamment pour qu'ils deviennent des experts en la matière. Ces lignes directrices leur seraient utiles.
Nous avons quelques propositions à faire concernant ces lignes directrices, mais elles pourraient évidemment être ajoutées. Voici quelques-unes de nos suggestions.
Premièrement, de façon générale, le consentement devrait être accordé si le Bureau du procureur général est convaincu hors de tout doute raisonnable que des poursuites mèneront à une condamnation.
Deuxièmement, compte tenu de la gravité d'une infraction d'acte terroriste, l'exercice du pouvoir discrétionnaire de ne pas intenter des poursuites et de ne pas accorder le consentement, même si on est convaincu hors de tout doute raisonnable que des poursuites mèneront à une condamnation, n'est pas inhabituel.
Troisièmement, le droit à la liberté d'expression est un facteur qui doit être pris en considération au moment de déterminer si on autorise des poursuites, mais le droit des victimes éventuelles d'être protégées contre le terrorisme et la menace du terrorisme doit avoir préséance.
Quatrièmement, les considérations liées à la liberté d'expression en soi ne devraient pas justifier le refus d'autoriser des poursuites lorsque l'infraction a été établie.
Cinquièmement, une personne commet une infraction si elle fait personnellement la promotion d'actes de terrorisme ou incite une autre personne à le faire.
Sixièmement, la défense ou la promotion du terrorisme comprend la glorification du terrorisme à des fins d'émulation.
Septièmement, pour qu'une infraction en lien avec la défense ou la promotion du terrorisme soit commise, il n'est pas nécessaire qu'il y ait un lien direct entre la défense ou la promotion du terrorisme et un acte terroriste précis.
Huitièmement, pour qu'une infraction soit commise, il n'est pas nécessaire d'établir qu'une personne a été incitée ou poussée à commettre un acte de terrorisme parce qu'on en a fait la promotion.
Je vais m'arrêter ici. Notre approche générale, en proposant les amendements et en suggérant des lignes directrices, c'est qu'une loi qui criminalise la défense ou la promotion du terrorisme ne devrait pas être invoquée trop facilement, mais ne devrait pas être lettre morte non plus.
Merci.
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Merci de votre invitation à comparaître devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Les musulmans sont assiégés de toutes parts depuis les attentats du 11 septembre et, de façon générale, sont exclus du discours public les concernant, alors nous vous remercions de nous donner l'occasion de faire partie du processus de réexamen du cadre de sécurité nationale du Canada.
L'Islamic Society of North America du Canada, ou l'ISNA du Canada, a été constituée en société en 1982 et est le fruit de l'Association étudiante musulmane des États-Unis et du Canada, qui a été créée au début des années 1960. Nous comptons environ 1 000 membres au pays, de Vancouver à l'Île-du-Prince-Édouard.
Je suis Safiah Chowdhury. Je détiens une maîtrise de philosophie en histoire et en études islamiques de l'Université d'Oxford et je suis membre du comité exécutif de l'ISNA du Canada.
Je suis accompagnée de Katherine Bullock. Elle est titulaire d'un doctorat en sciences politiques de l'Université de Toronto et enseigne la politique islamique au campus de Mississauga de l'Université de Toronto. Elle a été élue au conseil d'administration de l'ISNA du Canada en 2015.
L'ISNA du Canada est un organisme communautaire qui répond aux besoins spirituels, psychologiques, éducatifs et sociaux de la communauté musulmane. Elle travaille dans les mosquées et les écoles islamiques, aide les pauvres par l'entremise de dons de bienfaisance, organise des banques alimentaires, offre des services de pastorale aux membres de la congrégation, et organise des festivités, conférences et congrès religieux, des mariages, des activités familiales et des funérailles.
L'ISNA du Canada fait la promotion d'une vie paisible et en harmonie avec ses voisins. Elle fait partie de la communauté interconfessionnelle canadienne. Elle est présente dans les expériences quotidiennes des musulmans au Canada. Nos imams, nos chefs religieux, traitent constamment avec un grand nombre de personnes qui s'adressent à eux pour obtenir de l'aide dans les situations de la vie, et surtout en situation de crise.
En tant que Canadiens qui travaillent étroitement avec les communautés et les familles, nous comprenons et partageons le besoin de protéger la société contre la violence. Nous reconnaissons que nous vivons dans un monde de plus en plus mondialisé et numérique et que les menaces contre notre sécurité peuvent provenir de n'importe où et n'ont jamais été aussi difficiles à détecter. Cette violence et ces menaces compromettent non seulement notre sécurité mais aussi la qualité de vie que nous chérissons tant et qui nous permet de nous épanouir.
Nous savons que vous entendrez et que vous avez déjà entendu les témoignages de nombreux organismes, musulmans et non musulmans, tels que le Conseil national des musulmans canadiens, l'Association canadienne des juristes musulmans et d'autres organismes de défense des libertés civiles, qui vous diront ou vous ont déjà dit que la Loi antiterroriste, le terrifiant projet de loi et maintenant le projet de loi préconisent la crainte que suscitent les menaces aux dépens des droits réels. Le projet de loi compromet la Charte des droits et libertés. Les gens dont les droits sont compromis, qui se sentent maintenant ciblés et qui, ironiquement, ne se sentent pas en sécurité, sont les quelque 1,1 million de musulmans au pays.
Nous ne sommes pas ici pour répéter ces arguments, que nous appuyons pour la plupart. Comme nous vous l'avons dit, nous ne sommes pas des juristes. En tant que représentantes d'un important organisme communautaire, nous sommes ici pour vous parler de l'incidence que cette mesure législative de lutte contre le terrorisme a sur nos communautés, sur notre dignité et sur notre capacité de nous épanouir. Nous aborderons deux points plus particulièrement. Le premier est la façon dont les discours sur le terrorisme intensifient les craintes à l'égard des musulmans. Le deuxième a trait à l'incidence sur la liberté d'expression.
En ce qui concerne l'islamophobie, depuis les attentats du 11 septembre, on a enregistré une hausse marquée du nombre de crimes haineux à l'encontre de musulmans au Canada. Puisque la « guerre contre le terrorisme » cible les musulmans comme étant la principale source de terrorisme, les communautés musulmanes — des citoyens ordinaires qui sont à la maison ou qui se rendent au travail, à l'école, à l'épicerie ou au centre communautaire — sont scrutés.
Des données de Statistique Canada révèlent que les crimes contre les musulmans augmentent malgré la baisse générale d'attaques axées sur l'identité à l'encontre d'autres communautés. Malgré ces données, en tant que musulmans canadiens, nous savons que les cas ne sont pas tous rapportés. Les gens dans notre communauté ne signalent pas les crimes haineux. Nous avons tendance à nous dire que ce sont des actes isolés, perpétrés par des loups solitaires, car c'est ce qu'on nous a toujours dit.
Nous sommes confrontés à cette situation malgré la hausse de l'extrémisme de droite au Canada, qui croît à un rythme alarmant. Des documents internes du SCRS, un organisme de ce comité, font état que l'extrémisme de droite et la suprématie blanche sont les principales sources idéologiques responsables de 17 % des attaques perpétrées au Canada. C'est plus que l'extrémisme islamique. Nous savons fort bien que les extrémistes de droite dirigent souvent leur haine à l'endroit de la communauté musulmane, que ce soit sous forme de harcèlement dans la rue, d'une attaque à la bombe à Peterborough ou, l'exemple le plus récent survenu le 29 janvier, l'assassinat sans pitié de six musulmans dans une mosquée de Québec qui avaient été ciblés au préalable par ces loups solitaires militant pour la suprématie blanche. Ces actes de violence commis par des individus empreints de haine n'ont pas encore été jugés devant les tribunaux en tant qu'actes de terrorisme, une expression qui ne semble s'appliquer qu'aux musulmans.
D'après ce que je sais au sujet des auteurs d'attaques antimusulmanes, ils sont motivés par des discours dangereux qui présentent les musulmans comme étant un problème, une menace pour la sécurité de l'État. Les discours entourant la Loi antiterroriste et le projet de loi le démontrent. En fait, dans votre propre livre vert sur la sécurité nationale, les seules menaces qui ont été cernées proviennent d'organisations ou de pays associés à l'Islam.
Pour être honnête, c'est une situation étrange à gérer. Les discours sur la sécurité nationale ciblent et stéréotypent les musulmans, qui sont de plus en plus souvent victimes d'infractions liées au terrorisme en raison de ces discours.
Nous nous retrouvons donc dans la position périlleuse de devoir nous protéger contre les menaces de violence parce que le monde et notre pays nous considèrent comme étant la menace.
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Bonjour. Je m'appelle Katherine Bullock. Au début de la session universitaire, j'explique habituellement à mes étudiants pourquoi je m'appelle Katherine Bullock et je suis habillée comme cela. Je me suis convertie à l'Islam en 1994 et j'ai commencé à porter le voile cette année-là. J'ai décidé de ne pas changer de nom lorsque je me suis convertie.
Ce que je dis à mes étudiants, c'est que l'un des principaux problèmes du projet de loi — ou de l'approche générale du Canada en matière de lutte contre le terrorisme —, c'est la transition de ce qu'on appelle la sphère de la criminalité vers la sphère de la prévention. Au lieu de se concentrer sur ceux qui « vont » commettre une infraction, on se concentre sur ceux qui « peuvent » commettre une infraction. Ainsi, on passe au domaine de l'interprétation.
Dans un environnement où l'islamophobie est croissante, cette sphère devient un milieu où l'on problématise et l'on criminalise les communautés de foi musulmane pour leurs pratiques quotidiennes. Le fait d'avoir une barbe ou de porter le voile devient une menace possible pour la sécurité plutôt qu'une expression spirituelle. Nous l'avons constaté avec les récentes restrictions de voyages imposées par les États-Unis aux personnes qui montrent des signes de religion musulmane, simplement pour ce qu'ils sont.
En tant que professeure du système universitaire, j'accorde une grande importance à la liberté d'expression, de pensée et de conscience. Je m'inquiète particulièrement de voir le projet de loi mener à la restriction de ces valeurs libérales fondamentales.
Lors d'une récente table ronde avec de jeunes musulmans, on a constaté que bien que la plupart d'entre eux voyaient l'engagement politique et civil à titre d'élément fondamental de l'identité canadienne, ils étaient aussi d'avis qu'il n'y en avait pas assez dans leur communauté. Ils ont notamment cité la peur des jeunes de se faire attaquer pour avoir exprimé leur opinion sur des sujets controversés à titre de raison.
Le dernier sondage d'Environics sur l'opinion des musulmans canadiens, réalisé en 2016, a donné lieu à des résultats similaires: 1 personne sur 6 — ou 17 % des personnes interrogées — faisait valoir qu'elle hésitait à s'exprimer sur de tels sujets en raison de sa race, de son ethnicité ou de sa religion. Ce sentiment est surtout présent chez les musulmans nés au Canada -— 32 % —, chez les musulmans de moins de 35 ans — 24 % — et chez les musulmans qui ont connu des difficultés à la frontière, soit 27 %.
Ces résultats sont troublants pour au moins trois raisons. D'abord, bien sûr, parce que c'est le signe qu'un segment de la société démocratique sent qu'il ne peut pas exprimer son point de vue comme le reste des citoyens; une démocratie ne peut pas fonctionner ainsi. Le deuxième problème, c'est que le sentiment d'inhibition, de ne pas se sentir libre de s'exprimer, est plus important chez les musulmans nés au Canada et les jeunes, qui sont l'avenir de notre communauté; c'est ce segment de la communauté musulmane qui devrait se sentir le plus « Canadien ». Enfin, ceux qui hésitent à exprimer leurs opinions politiques ou sociales font aussi état d'un sentiment d'appartenance plus faible au Canada, à 13 %. Je suis certaine que vous savez déjà que la meilleure défense pour le Canada, c'est une population qui a un fort sentiment d'appartenance au pays.
Dans sa valorisation du projet de loi C-51, Candice Malcolm, une journaliste à TheRebel, fait valoir que bien que nos droits et libertés soient sacrés et ne devraient jamais être sacrifiés inutilement, la liberté ne veut rien dire si nous ne sommes pas en sécurité. En fait, ce n'est pas vrai. Au fil des siècles, les gens ont sacrifié leur vie pour la liberté de leur pays. La sécurité sans la liberté, c'est le Chili de Pinochet, l'URSS de Staline, la Chine de Mao et le Cuba de Castro.
Nous ne voulons pas faire des musulmans un canari dans la mine, en faire des boucs émissaires, des prisonniers politiques ou des prisonniers de conscience. Lorsqu'on tente de définir ce qui constitue un soutien au terrorisme, on s'engage sur une pente glissante, puisque les traditions et concepts musulmans fondamentaux — des concepts nobles comme la sharia, le hijab et même le djihad, qui est souvent dénoncé à tort comme étant une « guerre sainte », mais qui signifie en fait le « combat pour la justice » — sont réduits par l'islamophobie à un discours interdit dans une démocratie libérale.
Les jeunes, les convertis, les musulmans non renseignés et la communauté en général doivent pouvoir participer à des séminaires, à des conférences, à des tables rondes et à des conversations privées au sujet de ces versets religieux, de ces traditions et de ces concepts, ceux-là mêmes que les extrémistes musulmans utilisent lorsqu'ils tentent de justifier leur recours à la violence: que reste-t-il du djihad, quelles sont les règles appropriées de participation à la guerre, que signifie la participation aux démocraties laïques, qu'est-ce que l'extrémisme du point de vue islamique, qu'est-ce que la sharia et qu'est-ce que le califat?
Le projet de loi , le projet de loi , la Loi antiterroriste précédente et le tourbillon médiatique, surtout dans les médias de droite, ne nous laissent pas de place pour étudier ces questions. Une pensée qui ne peut pas faire l'objet d'un débat ouvert sera déformée par la noirceur.
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À mon avis, ce qui est ressorti de ce séminaire risque de ne pas vous plaire, car les participants ont été très critiques à l’égard de l’approche du gouvernement au concept de la lutte contre la radicalisation.
En tenant compte des questions entourant le « will » par opposition au « may », de la montée de l’islamophobie, de l’entrave à la liberté d’expression et du ciblage de l’identité musulmane à titre d’identité religieuse associée au radicalisme, on constate que cette approche préventive se concentre sur l’Islam, comme si l’Islam était le problème, alors qu’elle ignore tout le contexte sociopolitique.
Par exemple, les jeunes étaient bouleversés de voir les troupes canadiennes affronter les musulmans en Afghanistan. Les gens considèrent que c’est injuste à l’égard des musulmans. Cela n’a rien à voir avec la religion ou l’identité religieuse. C’est une question de savoir comment réagir aux enjeux politiques dans le monde.
La lutte contre la radicalisation se concentre trop sur la religion et oublie le contexte. Elle ne tient pas compte de la violence de l’État, de l’exclusion, de la discrimination, de l’islamophobie et de l’éloignement, notamment.
Il ne s’agissait pas d’un groupe d’experts sur la politique ni d’un forum pour permettre aux représentants gouvernementaux de prendre des notes en vue de créer des politiques. Il était plutôt question d’une approche académique.
Je devrais probablement m’arrêter ici. Je me comporte comme un professeur: je parle trop longtemps.
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Nous allons parler à tour de rôle, mais de façon homogène. Merci de nous donner la parole en premier. Je vous assure, monsieur le président, qu'il serait dommage de perdre le contact avec Béatrice Vaugrante.
Depuis les attaques terroristes du 11 septembre aux États-Unis, on affirme à tort qu'il existe un lien entre la sécurité nationale et les droits de la personne. Selon le discours, il est inévitable de compromettre l'un des deux objectifs pour atteindre l'autre, car une sécurité accrue passerait par une protection moindre des droits de la personne, tandis qu'une plus grande considération des droits de la personne nuirait inévitablement à notre sécurité.
Cela ne saurait être plus faux.
Les gouvernements ont une obligation vitale. Ils sont entre autres responsables de défendre les droits de la personne, de prévenir les attaques terroristes et de tenir responsables les personnes qui posent ces gestes. Il est également essentiel que les lois et les mesures adoptées pour lutter contre le terrorisme soient conformes aux droits internationaux de la personne. Ces deux responsabilités ne se font pas concurrence. Elles représentent une seule et même chose.
Le présent examen du cadre de sécurité nationale du Canada donne une bonne occasion de rejeter cette fausse dichotomie et d'affirmer que l'approche la plus rigoureuse pour assurer la sécurité nationale se fonde sur le plein respect des droits de la personne.
Le moment choisi pour tenir vos délibérations et la nécessité de faire cet examen sont des éléments essentiels. C'est opportun et urgent. C'est opportun étant donné qu'une occasion comme celle-ci d'effectuer un vaste examen de notre cadre de sécurité nationale se présente rarement. Il ne faut pas la gaspiller.
C'est également opportun étant donné qu'une série de leçons ont été apprises au Canada au cours des 15 dernières années grâce à des cas individuels, à des décisions des tribunaux ainsi qu'à des recommandations des Nations unies qui mettent en évidence le coût humain des pratiques de sécurité nationale appliquées aux dépens des droits et qui indiquent les réformes nécessaires.
Il est urgent d'agir pour trois raisons.
Premièrement, comme nous le soulignons dans notre mémoire — vous avez aussi entendu beaucoup d'autres personnes le mentionner — de nombreuses lois, politiques et pratiques canadiennes en matière de sécurité vont à l'encontre des obligations internationales de notre pays en ce qui a trait aux droits de la personne. Il faut corriger ces lacunes.
Deuxièmement, Aministie internationale continue de documenter des violations importantes, graves et, dans beaucoup de cas, recrudescentes des droits de la personne. Ces violations sont associées aux pratiques de sécurité nationale utilisées dans le monde. Dans ce contexte, il est essentiel que le Canada s'engage dans une autre voie et donne un meilleur exemple.
Troisièmement, la situation est beaucoup plus urgente depuis l'élection du président des États-Unis, Donald Trump. Le président Trump a clairement indiqué qu'il s'oppose, par exemple, à l'interdiction de recourir à la torture dans le cadre d'opérations de sécurité nationale. Face à ce mépris des droits de la personne de la part de notre plus proche partenaire en matière de sécurité nationale, il est absolument essentiel de renforcer comme jamais auparavant notre propre cadre de sécurité nationale en prenant une position claire par rapport au respect des droits de la personne.
Amnistie internationale a recommandé que l'approche du Canada en matière de sécurité nationale soit axée sur les droits de la personne et comporte trois principaux éléments.
Je vais maintenant donner la parole à ma collègue, Béatrice Vaugrante, qui parlera des deux premiers éléments, et je parlerai ensuite du troisième.
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Merci beaucoup, monsieur le président. Je vais m'exprimer en français.
Les droits de la personne constituent le premier pilier, le pilier fondamental. Au moment de l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme, en 1948, les gouvernements ont noté que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables était le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. Cela veut dire que les droits humains sont donc aussi le fondement de la sécurité.
La relation entre la sécurité et les droits humains a par la suite été au coeur des étapes de l'élaboration de traités contraignants en matière de droits humains. Certains droits, comme la liberté d'expression, sont définis de façon à reconnaître les limites inhérentes à certains impératifs, comme la sécurité nationale, mais ces limites sont étroitement définies et soigneusement circonscrites. D'autres droits, comme la liberté et la sécurité de la personne, n'ont pas de limites inhérentes, mais peuvent être suspendus pendant une courte période de temps, lorsqu'un gouvernement fait face à une menace publique pour la vie de la nation.
Enfin, il existe un certain nombre de droits — dont l'interdiction de la torture et des mauvais traitements ainsi que le droit à la liberté de religion — qui ne peuvent être abrogés en aucune circonstance. Cette approche montre que les gouvernements ont été à l'écoute de la relation interconnectée entre les droits et la sécurité.
Par conséquent, la première recommandation d'Amnistie internationale est de demander que le Canada reconnaisse explicitement le respect des droits de la personne en tant que pilier fondamental du cadre de sécurité nationale du Canada. Il est bien d'avoir un pilier fondamental, mais encore faut-il évidemment des garanties efficaces pour le rendre effectif.
Notre deuxième recommandation est que le Canada adopte quatre garanties essentielles. Aujourd'hui, il n'y a pas de références spécifiques et encore moins d'obligations de respecter les droits contenus dans la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi canadienne sur les droits de la personne et les normes internationales en matière de droits de la personne dans la plupart des lois sur la sécurité nationale, à l'exception de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
La première garantie devrait être que toutes les lois canadiennes sur la sécurité nationale soient modifiées...
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Je vous remercie beaucoup, et je suis désolée pour les interprètes.
Toutes les lois canadiennes sur la sécurité nationale devraient être modifiées pour inclure une disposition exigeant que la législation soit interprétée et appliquée conformément à la Charte canadienne des droits et libertés, à la Loi canadienne sur les droits de la personne et aux normes internationales contraignantes en droit international.
En outre, il devrait y avoir une mention particulière et contraignante sur les droits les plus fréquemment en jeu, notamment les suivants: le droit à la vie; l'interdiction de la torture et des mauvais traitements; l'interdiction de la discrimination; les garanties contre l'arrestation illégale, la détention arbitraire et les procès inéquitables; les libertés d'expression, d'association et de réunion; la liberté de religion; les droits à la vie privée; et la protection contre le refoulement.
Ensuite, l'une des leçons claires mises en évidence dans l'enquête sur l'affaire Maher Arar a été l'insuffisance des organes et des processus actuels d'examen et de surveillance de la sécurité nationale au Canada. Dans le cadre de son mandat, le juge O'Connor a proposé un nouveau modèle complet d'examen intégré qui soumettrait toutes les agences à un examen approfondi par des entités qui possèdent les pouvoirs nécessaires et qui opèrent de façon intégrée. Malheureusement, 10 ans plus tard, cette recommandation n'a pas été reprise.
Dans le projet de loi , il y a bien un comité parlementaire sur la sécurité nationale, mais cette proposition n'est pas suffisante.
De là découle notre garantie no 2. Dans le cadre du projet de loi , le modèle canadien d'examen et de surveillance des agences chargées des opérations de sécurité nationale doit être réformé afin que toutes les agences soient soumises à un examen solide et en temps réel par des entités expertes et indépendantes et qui sont capables de coopérer les unes avec les autres de manière intégrée.
Troisièmement, les mesures de sécurité nationale qui empiètent sur les droits devraient être exceptionnelles et non permanentes. Pourtant, les mesures de sécurité adoptées par les gouvernements sont rarement temporaires. La plupart des dispositions relatives à la sécurité nationale sont intégrées dans le droit canadien, et certaines violent ou compromettent les dispositions relatives aux droits de la personne. Un examen régulier permet de se prémunir contre cette possibilité.
Donc, à titre de garantie no 3, le Parlement devrait veiller à ce que les lois sur la sécurité nationale soient régulièrement révisées, au moins tous les trois ans.
Enfin, notre dernière mesure proposée est de rendre compte des violations des droits de la personne liées à la sécurité nationale dans les dossiers du passé. Bien sûr, les compensations et les excuses officielles qui ont été fournies à Maher Arar et à Benamar Benatta sont de rares cas de réparation pour les personnes qui ont été visées par des violations graves.
MM. Almalki, Abou-Elmaati et Nureddin n'ont pas été indemnisés pour les violations de droits de la personne documentées dans un rapport d'enquête judiciaire de 2008 de l'ancien juge Frank Iacobucci, de la Cour suprême du Canada. Omar Khadr n'a reçu aucune réparation pour les violations de la Charte confirmées par les jugements unanimes de 2008 et de 2010 de la Cour suprême du Canada. D'autres cas aussi demeurent non résolus.
Notre quatrième garantie consiste donc à désigner un juge ou un autre expert indépendant pour examiner rapidement et régler, conformément aux principes internationaux relatifs aux droits de la personne, tous les procès en instance concernant les demandes de réparation relatives aux violations des droits de la personne commises dans le cadre des opérations de sécurité nationale.
Mon collègue Alex Neve va conclure.
Merci.
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La première recommandation est la reconnaissance des droits de la personne comme un pilier fondamental. La deuxième recommandation est l'adoption d'un certain nombre de mesures efficaces de protection des droits de la personne dans notre cadre de sécurité nationale. La troisième recommandation est, bien entendu, l'adoption d'un certain nombre de réformes qui sont nécessaires pour assurer le respect de nos obligations internationales en matière de droits de la personne.
Je n'ai pas le temps de toutes les passer en revue. J'aimerais seulement attirer votre attention sur neuf réformes nécessaires selon nous.
Premièrement, il faut réformer la législation canadienne pour assurer le respect de l'interdiction absolue d'expulsion dans les cas impliquant un risque de torture.
Deuxièmement, il faut mettre fin aux procédures relatives à un certificat de sécurité ainsi qu'à d'autres procédures d'immigration liées à la sécurité qui ne respectent pas les normes internationales en matière de procès équitable.
Troisièmement, il faut annuler ou réformer les directives ministérielles sur l'échange de renseignements et la torture, selon lesquelles des renseignements peuvent actuellement être communiqués à d'autres gouvernements même s'ils peuvent mener à la torture. De façon similaire, ces directives autorisent également la réception de renseignements même s'ils ont été obtenus par la torture.
Quatrièmement, il faut modifier les définitions liées au terrorisme pour protéger le droit de manifester et la liberté d'expression, car dans plusieurs lois distinctes, les exceptions qui protègent actuellement ces droits pour toutes sortes d'infractions relatives au terrorisme sont incohérentes.
Cinquièmement, pour assurer le respect des obligations en matière de droits de la personne, le mécanisme qui permet au SCRS d'obtenir des mandats pour réduire les menaces doit être réformé. Le SCRS et tous les autres organismes canadiens ne devraient pas projeter d'activités qui violent la Charte ou qui manquent aux obligations internationales en matière de droits de la personne.
Sixièmement, il faut abolir l'infraction qui consiste à promouvoir la perpétration d'actes de terrorisme en général, car elle est vague, va trop loin et viole la liberté d'expression. Les infractions criminelles existantes à propos d'inciter, d'aider ou d'encourager la perpétration d'un acte, et les autres infractions similaires sont adéquates.
Septièmement, il faut réformer le régime d'échange de renseignements de manière à mieux protéger les droits de la personne, notamment à l'aide de mesures de protection rigoureuses visant à assurer la pertinence et l'exactitude de l'information transmise.
Huitièmement, dans le but de satisfaire les exigences en matière d'équité, il faut mettre à jour les dispositions relatives aux appels concernant le projet de liste de personnes interdites de vol.
Neuvièmement, il faut abolir les dispositions relatives à l'engagement assorti de conditions qui autorisent la détention sans que des accusations soient portées. Dans le projet de loi C-51, le prolongement de la période de détention et l'affaiblissement des critères autorisant ce genre de détention ne sont pas conformes aux normes internationales sur les arrestations et la détention arbitraires.
Merci beaucoup, monsieur le président.
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La difficulté, évidemment, est que l'État a, d'une part, l'obligation d'assurer la sécurité et de maintenir l'ordre et, d'autre part, celle de sauvegarder nos valeurs fondamentales de liberté, d'égalité et de justice. Nous devons trouver le moyen terme comme, je pense, les témoins précédents l'ont souligné. Nous devons nous assurer de toujours revoir nos lois et notre cadre, ce que, je pense, le Comité fait actuellement.
C'est une tâche très utile. En fin de compte, nous ne pourrons pas jouir de ces valeurs si nous n'assurons pas l'ordre et la sécurité aux citoyens. Pourquoi le Canada attire-t-il les immigrants? Parce que c'est une société stable, disciplinée, où on est en sécurité et où on peut vivre en accord avec ses valeurs.
Nous vivons dans un monde globalisé où nos institutions et une grande partie de nos lois conçues au XIXe et au XXe siècle sont inadaptées aux vicissitudes du XXIe siècle. La difficulté est de désormais façonner de nouvelles institutions de gouvernance pour essayer de comprendre les phénomènes dont nous sommes les témoins, tant ceux qui respectent la loi que ceux qui sont illégaux ou illicites.
Nous y sommes parvenus en partie en effaçant les frontières, c'est-à-dire en cessant de nous les représenter comme des lignes tracées dans le sable et en réfléchissant à ce à quoi elles ressemblent dans un monde où, par exemple, les données ou les capitaux se déplacent partout avec une liberté relative.
Je sors d'une séance d'une heure au Sénat, où nous avons discuté du financement du terrorisme. Il importe de fonder nos discussions sur les faits plutôt que sur diverses propositions. Dans ces discussions, les propositions sont toujours nombreuses, mais elles se fondent sur relativement peu de faits.
Le gouvernement fédéral organise 85 examens, et j'ai toujours pensé qu'il était important de discuter du cadre de sécurité nationale. Tous ces examens sur le cyberespace, la politique de défense et le projet de loi C-51 se font isolément. Je pense qu'il importe d'avoir une discussion qui embrasse tous ces sujets.
Le problème que certains appellent « sécuritarisme » m'inquiète. Depuis le 11 septembre 2001, nous avons très bien réussi à conférer à divers problèmes une dimension sécuritaire. Il n'y a pas de manière plus coûteuse de les régler, en partie parce que chaque dollar consacré à la sécurité échappe à l'augmentation de la prospérité, de l'harmonie sociale et ainsi de suite. Alors, comment nous en sortir?
Je pense que le plus important, ce que le Comité fait déjà, est de nous assurer de discuter de façon plus éclairée de ces questions, que je crois mal comprises.
Relativement au mandat du SCRS qui est de réduire les menaces, le public n'a pas compris que, en principe, l'organisme ne pouvait pas parler aux parents s'il croyait que leur enfant avait de mauvais projets. Il semble bien que le mandat donne de bons résultats.
Le problème de la conversion des renseignements en preuves est mal compris, même chez les avocats qui pensent bien le connaître et qui ont comparu devant le Comité.
La liste d'interdiction de vol: la plupart des Canadiens ne comprennent pas que lorsque d'autres Canadiens deviennent interdits de vol, la principale raison n'est pas le programme de protection des passagers, mais le survol du territoire américain par la majorité des vols canadiens. Des noms sont tirés d'autres listes. On croit, à tort, que le gouvernement canadien est en faute.
Voici quelques sujets succincts de réflexion sur ces problèmes.
Nous cherchons des outils efficaces et d'une grande portée, parce que, dans le contexte actuel, les menaces sont difficiles à neutraliser et que nous devons innover. L'innovation dans la sécurité soulève toujours des clameurs. Dans d'autres domaines, santé, éducation et ainsi de suite, l'évolution va de soi. Nous voulons modifier certains des cadres. Notre environnement nous aiguillonne. Nous voulons donc nous assurer de pouvoir innover.
Des conversations intéressantes portent sur l'information numérique. Avons-nous, au Canada, moins de problèmes qu'ailleurs grâce à notre excellent travail et à l'efficacité si grande de nos organismes et de nos lois ou parce que notre problème n'est pas si important?
Une question se pose sur l'allocation des ressources. Depuis octobre 2014, nous avons consacré des ressources exorbitantes à la lutte contre le terrorisme, au détriment de la plupart des autres aspects de la sécurité nationale. Le crime organisé a le champ libre. Pour le comprendre, il suffit de lire certaines des évaluations de la menace. Sommes-nous dans le juste milieu? Nous affronterons la menace persistante de l'extrémisme criminel et de l'extrémisme criminel violent. Nous devons nous assurer d'adapter nos lois.
L'importance stratégique du renseignement d'origine électromagnétique est également mal comprise. Je pense que les innovations qui devraient se produire dans le milieu du renseignement d'origine électromagnétique n'ont actuellement pas lieu. Depuis le 11 septembre 2001, le gouvernement a implicitement créé des mandats non fondés. Actuellement, la plus grande partie de la facture de la lutte contre le terrorisme est refilée aux provinces et aux autorités locales. Qu'allons-nous faire pour les appuyer?
La confusion persiste sur la radicalisation. J'emploie toujours l'image de la pyramide des opinions et celle des actions. Ce sont des problèmes distincts. La pyramide des opinions est coiffée par les idées que nous préférerions être tues, tandis que la pyramide des actions conduit aux actions de l'extrémisme violent, que nous préférerions ne pas être commises.
Les opinions qu'on préférerait être tues et la radicalisation de masse des gens les professant sont des problèmes complètement séparés de la commission de la violence. En soi, la religion ou la radicalisation ne causent pas une grande partie de la violence que nous observons. Un certain nombre d'autres facteurs interviennent et ils se combinent différemment pour aboutir à différentes manifestations. La religion sert souvent à justifier la violence plutôt qu'à la provoquer. Si la religion la provoquait, la violence serait beaucoup plus répandue.
J'inciterais le gouvernement à moins songer à neutraliser l'extrémisme radical, quelles qu'en soient les opinions, qu'à prévenir l'extrémiste violent.
Dans le cyberespace, nous sommes l'objet de menaces importantes. Les pertes, dans l'économie mondiale, au profit d'organisations scélérates ont été estimées, l'année dernière, à 1 000 milliards de dollars. C'est une menace. Nous comprenons maintenant la nature de la menace que pose le cyberespace pour les institutions démocratiques et la façon dont le crime organisé et d'autres éléments exploitent rationnellement le cyberenvironnement à leur profit.
Par rapport à la frontière canado-américaine, une grande partie de l'utilité intrinsèque du cadre de sécurité nationale est d'assurer notre prospérité, parce que, après le 11 septembre 2001, nous avons vu les conséquences de la fermeture de la frontière des États-Unis. Il est indispensable de faire comprendre aux Canadiens qu'ils sont leurs partenaires. Nous devons donc nous rappeler la dispense de Kingston de 1938 et la déclaration d'Ogdensburg de 1940, dans lesquelles nous avons convenu de collaborer avec nos partenaires américains pour soustraire l'Amérique du Nord et d'autres parties du monde aux conflits et d'oeuvrer collectivement à la sécurité régionale et internationale. Cette coopération avec les Américains, sans égard aux changements d'administration aux États-Unis, reste la priorité des priorités.
J'ai cinq recommandations à formuler.
La première vise le modèle du quartier général des communications du gouvernement sur la cybersécurité. Bien sûr, le Royaume-Uni est un État unitaire, où le modèle est donc quelque peu plus facile à appliquer, mais il nous faut charger un organisme de la coordination des efforts de cybersécurité dans notre pays. Les problèmes découlant d'actions collectives sont tout simplement ahurissants.
La deuxième vise la GRC. Nous avons besoin d'une organisation capable de maintenir assidûment l'ordre aux échelons fédéral et national. À cette fin, il faut la restructurer en une organisation complètement indépendante, avec ses propres fonctions de recrutement, de rémunération et ainsi de suite. Cette organisation censée accomplir les priorités fédérales et nationales ne peut pas consacrer 85 % de ses ressources, de son temps et de ses énergies au maintien de l'ordre sous contrat. Elle manque ainsi aux obligations contractées à l'égard des Canadiens sur ses priorités fédérales et nationales.
La troisième concerne l'Agence des services frontaliers du Canada. On discute depuis longtemps à Ottawa des responsabilités à lui confier. Pourquoi une organisation est-elle chargée des points d'entrée au Canada et une autre l'est-elle du territoire entre ces points? Qu'une seule organisation s'en occupe, et je propose l'Agence, mais, bien sûr, ça ne plaira pas à ceux qui tiennent à leur budget.
La quatrième est un éventuel centre du renseignement de sources ouvertes, dont le Canada a besoin. Nous manquons souvent le coche faute d'accéder efficacement aux renseignements de sources ouvertes d'une manière compatible avec nos obligations constitutionnelles et juridiques à l'égard de la protection de la vie privée des Canadiens.
La cinquième est de financer davantage la recherche, pour dissiper l'incompréhension et les nombreuses méconnaissances qui existent au Canada. En fin de compte, nous voulons aussi leur trouver des solutions trouvées au Canada et adaptées au cadre législatif canadien ainsi qu'aux priorités et aux attentes des Canadiens.
Je pourrais m'étendre sur un certain nombre d'autres sujets, mais je m'arrêterai ici pour le moment.
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Absolument. Notre souci, c'est l'équité et la transparence du processus d'appel.
Nous sommes heureux de constater que, grâce au projet de loi , on légifère sur tout le système, qu'il existe dorénavant des normes claires et un processus établi d'appel et qu'on sait à quoi s'en tenir.
Cependant, pendant les débats sur le projet de loi , beaucoup d'autres organisations et la nôtre ont souligné l'opportunité d'une procédure d'appel prévue dans la loi, mais nous craignions que ce ne soit pas assez. Nous reconnaissons la nécessité de compromis et de conciliations, mais ça ne donnait pas vraiment à quelqu'un la possibilité de se défendre.
Effectivement, il ne s'agit pas d'un procès au criminel et peut-être manque-t-il des garanties de l'application régulière de la loi à protéger dans un procès au criminel, mais, néanmoins, je pense que chacun reconnaît la gravité énorme des enjeux. Il s'agit de pouvoir prendre des vacances; pour les familles, de se visiter. C'est essentiel à nos existences. Je pense aussi que des témoins antérieurs ont dit que l'interdiction de vol peut, en soi, être très dégradante et très déshumanisante.
Voilà pourquoi il est si important de réformer la procédure d'appel pour augmenter l'accès à l'information invoquée contre les personnes interdites de vol et leur permettre de mieux répondre aux allégations.