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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 008 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 22 mars 2016

[Enregistrement électronique]

(1105)

[Traduction]

    Je déclare ouverte la huitième séance de la présente session parlementaire du Comité permanent de la sécurité publique et nationale.
    Avant de commencer, je tiens à souhaiter la bienvenue à nos visiteurs au fond de la pièce — il s'agit d'élèves du secondaire de Montréal, de Toronto, d'Ottawa, de Winnipeg et peut-être d'autres endroits. Ils sont ici avec le CAPCJ. Nous promettons de nous comporter de façon exemplaire pendant que vous nous regardez. Merci d'être venus.
    Nous poursuivons notre étude des blessures de stress opérationnel et du syndrome de stress post-traumatique, en particulier chez les agents de la sécurité et les premiers intervenants. Nous recueillons des renseignements pour bien comprendre comment ces deux éléments touchent les agents de la sécurité publique.
    Nous avons invité des témoins à venir nous faire part de leurs connaissances, du point de vue de la théorie ou de la recherche, mais aussi de leur expérience clinique. Dans notre premier groupe, nous accueillons Nicholas Carleton, professeur associé au département de psychologie à l'Université de Regina, et Mike Dadson, directeur exécutif et clinique au sein du Veterans Transition Network, de Langley, en Colombie-Britannique.
    Nous allons commencer par vous, monsieur Carleton. Si vous pouviez prendre 10 minutes pour prononcer vos remarques liminaires, nous enchaînerons tout de suite après avec M. Dadson.
    Merci beaucoup de m'avoir invité à parler avec vous aujourd'hui. Je suis psychologue clinicien agréé et professeur à l'Université de Regina. Je suis spécialisé dans les questions d'anxiété, de traumatisme et de douleur puisque j'étudie les réactions traumatiques depuis les 15 dernières années.
    Mes travaux de recherche sont subventionnés, entre autres, par les Instituts de recherche en santé du Canada et la Saskatchewan Health Research Foundation. J'ai une petite pratique privée dans laquelle je traite principalement des agents de la GRC et des agents de la sécurité publique qui souffrent du syndrome du stress post-traumatique et d'autres blessures de stress opérationnel.
    Les Canadiens ont reconnu le besoin de déployer des efforts soutenus pour appuyer nos militaires; nos agents de la sécurité publique, qui englobent une vaste gamme de personnes, comme les policiers, les pompiers et les paramédics; ainsi que les agents de correction, les répartiteurs du 911, et les anciens combattants et leurs familles. Comme vous l'a mentionné mon collègue, le Dr Sareen, nous avons réalisé des progrès particulièrement importants pour ce qui est d'offrir des services de santé mentale aux militaires, mais il nous en reste autant à faire pour en offrir aux groupes de la sécurité publique.
    Nos agents de la sécurité publique ont des milieux de travail uniques, où l'exposition à des événements traumatisants est la règle plutôt que l'exception. L'exposition n'est pas la même pour les agents de la sécurité publique et le personnel militaire — elle n'est ni meilleure ni pire, seulement différente. Nos agents de la sécurité publique sont déployés au pays dans un milieu où l'incertitude est constante, souvent pendant des décennies. Ils jouent des rôles complexes, comme ceux de protéger, d'appliquer la loi et de faire du développement communautaire. En conséquence, ils ont besoin de ressources spéciales et spécialisées pour assurer leur bonne santé mentale.
     J'ai récemment vu nos groupes de premiers intervenants faire preuve d'un leadership exceptionnel en matière de santé mentale, et ce, de façon constante. En effet, on observe une hausse des demandes de la part de tout le personnel de la sécurité publique pour offrir des solutions, des interventions et des stratégies préventives fondées sur des preuves afin d'améliorer la santé mentale. La justification est claire: ils en sont presque rendus à un point critique. La hausse dramatique des blessures de stress opérationnel signalées commence à l'emporter sur la stigmatisation qui a empêché tant de personnes de parler pendant si longtemps. Cependant, ces mêmes personnes ont aussi souligné le besoin de solutions fondées sur des preuves appuyées par des travaux de recherche d'experts.
    Notre gouvernement a pour mandat de développer le plan d'action national coordonné sur le syndrome du stress post-traumatique pour notre personnel de la sécurité publique. Ce mandat a été suivi, le 29 janvier, de la table ronde nationale sur le syndrome du stress post-traumatique tenue par notre ministre de la Sécurité publique à l'Université de Regina.
    La table ronde a réuni des chercheurs éminents avec des dirigeants du gouvernement et de la sécurité publique, tous en faveur d'élaborer de toute urgence un plan d'action national coordonné grandement axé sur la recherche.
    Les Canadiens sont dotés d'un mécanisme national établi pour appuyer et coordonner la recherche dans le domaine de la santé et en communiquer les résultats. L'Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans, l'ICRSMV, représente un réseau de 40 universités et facilite le développement de nouvelles capacités de recherche et l'application efficace des connaissances.
    Au cours des 18 derniers mois, l'Université de Regina, membre fondateur de l'ICRSMV, travaille en étroite collaboration avec les chefs de file de la recherche d'autres universités membres, des universitaires internationaux éminents et nos dirigeants de la sécurité publique pour mettre en place un institut canadien de recherche et de traitement axé sur la sécurité publique, afin d'appuyer les politiques, pratiques et programmes fondés sur des preuves en ce qui touche la santé mentale des intervenants de la sécurité publique.
    L'institut qui se développe rapidement compte une gamme de leaders dans des disciplines variées provenant d'universités de partout au Canada, ainsi que des représentants clés de la Commission de la santé mentale du Canada, de l'ICRSMV, de la GRC, de l'Association des anciens de la GRC, de l'Association canadienne des chefs de police, de l'Association canadienne des policiers, des Chefs paramédics du Canada, de l'Association des paramédics du Canada, de l'Association canadienne des chefs de pompiers et de l'Association internationale des pompiers, pour n'en nommer que quelques-uns.
    Les membres de l'institut évaluent déjà l'incidence de la mise en oeuvre du Programme En route vers la préparation mentale avec le service de police de Regina et d'autres, et font de la recherche sur l'intégration officielle de la santé mentale dans les politiques, l'éducation, les pratiques et le soutien. Ils ont mené à bien le premier de plusieurs rapports d'évaluation de programmes après avoir évalué les preuves relatives aux programmes d'intervention en cas de crise et de soutien par les pairs pour les premiers intervenants canadiens et le déploiement de ces derniers.
    En ce moment, l'institut s'apprête, dans un premier temps, à mener un sondage national sur la prévalence des maladies mentales pour raffiner les estimations radicalement différentes associées au personnel de la sécurité publique.
    Deuxièmement, il doit demander à Statistique Canada de mener une étude de faisabilité à l'appui d'une enquête épidémiologique de référence en ce qui touche la santé mentale des intervenants de la sécurité publique.
    Troisièmement, il doit mener une étude pilote des traumatismes simulés haute fidélité et des scénarios de formation pour que nous puissions mieux comprendre, au plan empirique et expérimental, les variables de risque et de résilience des blessures de stress opérationnel, ce qui permettra d'éclairer les procédures en matière de stress post-traumatique.
(1110)
    Quatrièmement, il doit mettre en oeuvre une évaluation biospychosociale exhaustive et continue des cadets et des officiers de la GRC au moyen de technologies de pointe pour évaluer l'incidence de l'intégration des interventions fondées sur des preuves pendant leur formation initiale, leur service et leur apprentissage continu. La recherche sera sans précédent au niveau mondial et au plan historique: elle fournira des renseignements cruciaux concernant les variables de risque et de résilience pour informer les médecins spécialistes de la santé mentale du personnel de la GRC, d'autres agents de la sécurité publique, de l'ensemble de leurs familles et, au bout du compte, de tous les Canadiens.
    L'institut peut aussi trouver des solutions pour essayer de faire face à la difficulté de répondre à la demande de services de santé mentale, comme ceux qui ont été récemment soulignés par l'ombudsman militaire. La solution requiert que nous fassions trois choses: premièrement, que nous nous assurions que les patients ont accès à des spécialistes appropriés qui utilisent correctement des traitements fondés sur des preuves; deuxièmement, que nous appuyions la formation et l'accréditation de plus de spécialistes; et troisièmement, que nous soutenions les travaux de recherche qui améliorent les soins fondés sur des preuves et trouvions des modèles de prestation de soins novateurs.
    À cette fin, l'institut s'apprête aussi à prolonger les travaux faits à l'Université de Regina sur la thérapie cognitivocomportementale par Internet, qui peut accroître notre accès à des traitements fondés sur des preuves hautement efficaces, privés, populaires et largement déployables dans le cadre d'un système national de soins par paliers pour tout le personnel de la sécurité publique. Si les ressources le permettent, l'essai pilote de ce système en Saskatchewan et au Québec peut commencer dès 2017; notre personnel de la sécurité publique pourrait bénéficier d'un accès pancanadien dès 2018.
    L'institut peut aussi insister sur les pratiques fondées sur des preuves. En effet, bien des agents de la sécurité publique semblent recevoir des soins qui ne sont pas appuyés par des données empiriques, et c'est inadmissible. En conséquence, les membres de l'institut ont travaillé avec l'Alberta Paramedic Association pour élaborer de nouvelles normes pour la prestation de soins de santé mentale à leurs membres. Nous avons aussi vu qu'on s'efforçait d'améliorer la qualité des soins de santé mentale et l'accès par l'intermédiaire de l’Association canadienne des thérapies cognitives et comportementales, qui s'affaire à accréditer les praticiens et à assurer l'accès à des soins fondés sur des preuves. Voilà quelques exemples de personnes qui travaillent d'arrache-pied pour faire en sorte que les personnes qui ont le plus besoin de nos pratiques fondées sur des preuves y aient accès.
    Les solutions pour le personnel de la sécurité publique éclairent les solutions pour la population en général. En outre, il s'agit de nos dirigeants communautaires et de nos modèles qui peuvent faciliter les changements d'attitude et les actions en faveur de la santé mentale à l'échelon communautaire au Canada. Nous avons des dirigeants, dont vous tous, qui veulent faire fond sur les initiatives que j'ai soulignées aujourd'hui.
    J'estime qu'une réponse complète et adéquate au mandat du premier ministre exige que nous fassions ce qui suit: premièrement, que nous investissions dans l'institut canadien de recherche et de traitement axé sur la sécurité publique; deuxièmement, que nous fassions en sorte que l'institut demeure indépendant tout en collaborant avec les gouvernements fédéral et provinciaux, les universitaires, les décideurs et les principaux intervenants; et troisièmement, que nous encouragions les traitements par l'intermédiaire de thérapies cognitivocomportementales par Internet et de cliniques offrant des soins par paliers qui sont financées grâce à des partenariats entre les organismes fédéral et provinciaux et les commissions d’indemnisation des travailleurs.
    L'institut peut alors faire quatre choses: premièrement, utiliser des preuves pour guider un plan d'action national pour la recherche et le traitement axé sur le personnel de la sécurité publique qui tienne compte du leadership de notre personnel de sécurité publique; deuxièmement, faciliter les projets de recherche interdisciplinaires ponctuelles et longitudinales pour que nous puissions parler avec autorité des variables associées au risque, à la résilience et au rétablissement; troisièmement, élaborer des ressources en ligne fondées sur des preuves reconnues à l'échelle nationale pour les blessures de stress opérationnel afin d'appuyer nos clients, leurs familles, et leurs fournisseurs; et quatrièmement, travailler en collaboration afin de faciliter l'accès pancanadien du personnel de la sécurité publique à des normes minimales de prévention fondée sur des preuves, des interventions précoces et des programmes de traitement.
    Nous pouvons et nous devons faire mieux. Ces solutions ne sont plus ambitieuses; elles sont atteignables. En nous servant de notre personnel de la sécurité publique comme modèles dans nos collectivités, nous pouvons mener et diffuser de meilleures évaluations et procéder à de meilleures interventions. Nous pouvons aussi opter pour des stratégies préventives qui réduisent les risques, accroissent la résilience et améliorent la santé mentale, d'abord pour ces membres essentiels de nos collectivités et, ensuite, pour l'ensemble des Canadiens.
    Nous nous réjouissons à la perspective d'avoir votre appui. Merci.
(1115)

[Français]

     Merci, docteur Carleton.
    Monsieur Dadson, vous avez la parole.

[Traduction]

    Je suis Mike Dadson, professeur adjoint à l'Université de la Colombie-Britannique et membre du comité consultatif pour le centre de thérapie de groupe et de traumatisme. Je suis aussi le directeur clinique et le directeur national du Programme de transition des vétérans. En outre, je suis membre du conseil de l'International Society for the Study of Trauma and Dissociation. Je suis un aumônier ordonné et je gère un centre de traitement des traumatismes et un centre de formation ici à Langley, en Colombie-Britannique, qui offre des services à environ 200 personnes par semaine.
    Je suis ici pour parler au Comité principalement à titre de clinicien et à la lumière de mon expérience du Programme de transition des vétérans, programme expérientiel de groupe en opération depuis 18 ans qui a fait l’objet de travaux de recherche et a été élaboré par l'intermédiaire de l’Université de la Colombie-Britannique. Au fil des ans, nous avons été témoins des difficultés qu’éprouvent les anciens combattants et les premiers intervenants à solliciter des traitements de santé mentale. Nous constatons la présence de nombreux obstacles qui les en empêchent. Nous sommes d’avis qu’il existe de nombreux traitements appuyés par de la recherche et fondés sur des données empiriques, mais que bien des premiers intervenants n’y ont pas accès, car ils doivent faire preuve d’un niveau si élevé de compétence et subir tant de pression que s’ils finissent par craquer, montrer des signes de faiblesse ou demander de l’aide, ils sont perçus comme étant des ratés ou des faibles qui sont incapables de continuer à travailler. Demander de l’aide pourrait mettre leur carrière en péril. Nous l’avons vu régulièrement avec les anciens combattants: même s’ils souffrent clairement de blessures de stress opérationnel ou même de syndrome de stress post-traumatique, ils continueront à travailler dans leur domaine et s’abstiendront de demander des traitements précoces, car ils croiront que le faire pourrait nuire à leur carrière, alors qu’un traitement précoce pourrait, au contraire, la prolonger.
    Ils gèrent des situations très hors normes. Ils ne vivent pas un accident ou un événement isolé; ils sont exposés à de multiples situations de stress traumatisantes ou à incidence élevée. Ils disent souvent, même lorsqu’ils parlent à des thérapeutes, qu’ils vont leur causer du tort en raison des horreurs dont ils ont été témoins. La façon dont ces expériences traumatisantes ou ces blessures de stress opérationnel le rôle sexospécifique masculin ou les attentes masculines de leur postes se recoupent, car ils sont hautement… On s’attend à ce qu’ils se comportent selon les normes masculines, c’est-à-dire qu’ils soient des hommes forts, fonceurs, compétents, indépendants qui ne demandent pas d’aide. Ce ne sont pas des agneaux, ce sont eux qui, dans les faits, offrent de l’aide. Lorsqu’ils ont eux-mêmes besoin d’aide, ils ont beaucoup de mal à en demander parce que cela va à l’encontre de la culture même de leur milieu de travail.
    En réponse à cette question, le Programme de transition des vétérans a été élaboré en fonction des besoins des premiers intervenants. Nous avons rencontré les premiers intervenants, nous avons travaillé avec eux et nous leur avons demandé ce qui les aiderait à apaiser ces préoccupations. Nous offrons un programme multidisciplinaire axé sur une approche fondée sur les forces et une aide par les pairs. Nous travaillons en groupes et nous ne faisons pas qu’aider ou offrir de la thérapie à des particuliers, nous leur enseignons des techniques très élémentaires et des techniques de communication de base qui peuvent les aider à s’entraider. Cette démarche, en soi, normalise l’expérience, ce qui importe vraiment pour ces premiers répondants parce que cela les aide à reconnaître qu’ils peuvent rester les guerriers qu’ils ont l’impression d’être, tout en faisant place à la possibilité qu’ils pourraient aussi avoir besoin d’aide.
    Ils trouvent aussi qu’il est facile de se parler entre eux de leurs expériences, des horreurs dont ils ont été témoins, car ils savent qu’ils les ont vues chacun de leur côté. Ils ne disent rien de nouveau lorsqu’ils discutent en groupe. Cela normalise leurs expériences et fait en sorte qu’ils puissent recevoir de l’aide. Nous atténuons les expériences en leur offrant attention et soutien, ce qui réduit l’anxiété et l’évitement pour leur permettre d’approfondir ensemble leurs expériences communes. Cela les aide à normaliser l’expérience et à ensuite faire le travail qu’ils ont besoin de faire.
(1120)
    Dans les faits, ils se mettent au défi l’un l’autre de faire le travail, car ils estiment que cela fait partie de leur nouvelle bataille, de leur nouvelle carrière ou de leur nouvel emploi.
    Nous utilisons des termes qui déstigmatisent. Par exemple, au lieu de dire « aller en thérapie », nous parlons de « tenter de poser des valises » ou « simplement essayer de passer à travers une situation ». Au lieu de parler d’expériences émotionnelles, nous parlerons d’expériences sensorielles. Nous commencerons par le corps et leurs réactions physiques, que nous normaliserons.
    Nous croyons qu’une des raisons pour lesquelles notre programme est aussi couronné de succès est que la moitié des personnes ont été encouragées à y participer par d’autres anciens combattants ou intervenants de première ligne. C’est donc dire qu’elles viennent déjà avec l’idée de recevoir de l’aide qui diffère un peu de celle qu’elles ont reçue par le passé. Autrement dit, elles ne se heurteront pas aux mêmes obstacles qu’avant.
    Voici un exemple d’obstacle pour des anciens combattants. Pour recevoir des traitements pour le syndrome de stress post-traumatique, ils doivent montrer qu’ils en souffrent vraiment. Ils doivent donc répéter leur histoire un certain nombre de fois, encore et encore, à diverses personnes qui pensent vraiment en termes cliniques. Elles ne sont pas là pour offrir de la thérapie, mais bien pour déterminer si les gens sont admissibles, s’ils souffrent bien du syndrome de stress post-traumatique. Il n'est pas utile de répéter un récit ad nauseam dans ce contexte. Cela crée de l’évitement — ils finissent même par éviter de demander de l’aide.
    Nous voyons beaucoup d’anciens combattants qui ne reçoivent même pas de services d’ACC parce qu’ils ne peuvent pas suivre ce processus. Leur blessure les empêche de le faire, si bien qu’ils ne reçoivent pas de traitements.
    En conséquence, 50 % de nos participants n’ont pas fait appel à Anciens Combattants Canada pour bénéficier de leurs services. Nous avons un taux de fidélisation de 90 %, ce qui signifie que peu de gens qui ont suivi notre programme l’ont abandonné. Lorsqu’ils le font, c’est habituellement pour des raisons familiales ou médicales. Je connais une seule personne qui a abandonné le programme parce qu’elle avait décidé de ne pas continuer; il ne lui convenait pas.
    Nous sélectionnons les participants, alors nous n’acceptons pas tout le monde. Si une personne est très suicidaire ou souffre de troubles psychotiques, elle ne participera pas à notre programme. Elle doit d’abord régler certains de ces problèmes. Cela dit, le taux de réussite de notre programme est très élevé. Sur plus de 600 participants, pas un seul ne s’est enlevé la vie.
    À ce stade, ce qui nous préoccupe surtout ce sont les listes d’attente partout au Canada qui font en sorte que certains anciens combattants peuvent attendre un an ou deux, selon leur région, pour pouvoir suivre notre programme. Cependant, s’ils le suivent, nous sommes persuadés qu’ils risquent beaucoup moins de se suicider, dans la mesure que maintenant nous… Notre recherche montre que le nombre de cas de dépression a baissé et que les tendances suicidaires sont minimisées.
    Ce qui me préoccupe, c’est qu’une des personnes sur la liste d’attente se suicide… Je suis troublé de penser qu’on aurait pu l’aider considérablement alors qu’elle attendait de pouvoir obtenir nos services.
    Nous sommes sur le terrain, en quelque sorte. Nous sommes ici pour parler au Comité de certaines des difficultés auxquelles nous voyons les anciens combattants faire face alors que nous leur offrons des traitements thérapeutiques.
     Je pense que je vais m’arrêter ici.
    Merci beaucoup, monsieur Dadson.
    Nous allons commencer notre série de sept minutes avec Mme Damoff.
    Merci à vous deux d'avoir accepté de nous parler dans le cadre de cette étude très importante.
    Monsieur Carleton, vous aviez mentionné que les premiers intervenants font face à des défis allant au-delà de ceux auxquels les militaires sont confrontés. Je me demandais si vous pourriez nous donner un complément d'informations à cet égard et expliquer pourquoi vous pensez que c'est le cas et si cela fait en sorte que les premiers intervenants soient plus difficiles — ou peut-être différents — à traiter que ceux qui ont servi dans les forces armées.
    Oui. Je dois m'assurer d'être très clair à ce sujet. Je ne crois pas qu'ils vivent des traumatismes plus éprouvants que ceux que subissent les militaires. Je crois qu'ils les vivent très différemment.
    Par exemple, lorsque nous déployons nos militaires en Afghanistan, nous les déplaçons d'une zone sécuritaire à une zone non sécuritaire, puis nous les ramenons dans une zone sécuritaire. Il y a une différence importante entre ce cas de figure et ce que nous faisons avec notre personnel de la sécurité publique ou nos premiers répondants. C'est comme si nous les déployions dans une zone non sécuritaire pendant 25 ou 30 ans. Ils vivent dans un état permanent d'incertitude. Le premier jour, ils seront peut-être en train de prendre un café avec la personne qu'on leur chargera le lendemain d'arrêter, de ressusciter ou de réadapter. En fait, nous les déployons dans leurs propres collectivités, ce qui est très différent comme type d'exposition.
    Comme l'a dit M. Dadson, nous leur demandons en outre de vivre le traumatisme sur une base quotidienne. Par exemple, on demande aux travailleurs paramédicaux de gérer des événements traumatisants en cours et qui ne peuvent attendre, et c'est ce qu'ils doivent faire, jour après jour, et même parfois plusieurs fois par jour. Or, si l'on regarde l'effet que cela peut avoir sur les premiers répondants et sur le personnel de la sécurité publique, on constate qu'il y a une dose-réponse beaucoup plus élevée que ce que l'on pourrait constater dans la plupart des autres cas.
    Avec les militaires, les doses-réponses seront peut-être plus déraisonnables et plus intenses pendant une période déterminée, mais on les ramène dans une zone sécuritaire qu'ils croient sécuritaire et qui l'est en raison du travail du personnel de la sécurité publique. Tandis que c'est le personnel de la sécurité publique qui doit veiller à garder l'espace sécuritaire.
(1125)
     En comparant les blessures de stress opérationnels et l'état de stress post-traumatique, je constate que la définition de l'état de stress post-traumatique est assez précise. Y a-t-il un lien entre les deux? En faisons-nous assez pour traiter les gens avant qu'ils ne tombent dans un état de stress post-traumatique ou lorsqu'ils sont aux prises avec des sentiments de dépression, d'angoisse ou qu'ils ont des problèmes de toxicomanie?
    « Blessures de stress opérationnel » est un terme très général qui englobe une variété de choses: l'état de stress post-traumatique, certes, mais aussi la dépression, la toxicomanie et les troubles paniques, pour ne nommer que celles-là. L'exposition à un événement traumatisant peut donner lieu à une foule de séquelles, et la plus commune de ces séquelles est le rétablissement. En effet, la grande majorité des gens — même au sein du personnel de la sécurité publique — finissent par se rétablir.
    Cela dit, je ne crois pas que nous en faisons assez, même de loin, par rapport à ce qu'eux font. Et nous sommes assurément bien loin du compte en ce qui concerne la prestation de traitements imminents et pour nous assurer de disposer de traitements efficaces. Je suis d'accord avec M. Dadson. L'un de nos plus grands problèmes est l'écart énorme qui existe entre le moment où une personne constate qu'elle souffre de quelque chose et celui où elle commence à recevoir un traitement efficace. C'est quelque chose qu'il nous faut corriger. Comme pour toute forme de soins, plus vite on se met à traiter une blessure ou un problème de santé, plus fortes sont les chances de se retrouver avec un pronostic général positif.
    L'un de vous a-t-il déjà travaillé avec les agents des services correctionnels? C'est un secteur qui n'est pas souvent abordé. Nous parlons de nos premiers répondants et de nos vétérans, mais nous ne parlons pas de ceux qui travaillent aux services correctionnels. Je me demandais si l'un de vous a de l'expérience à cet égard.
    J'ai une certaine expérience avec les services correctionnels. Nous invitons les premiers répondants à participer à nos programmes. Nous nous retrouvons donc avec un ou deux premiers répondants et, parfois, un agent des services correctionnels se joint à nous.
    Les agents des services correctionnels sont comme les répondants de la police, les ambulanciers ou les pompiers, sauf que leur contexte est différent. L'effet qu'un traumatisme aura sur eux dépend du contexte dans lequel ils se trouvent.
    Comme mon collègue l'a dit à propos des vétérans, ils sont comme des instruments contondants. Les militaires seront exposés à des situations horribles et traumatisantes. Ils les vivront avec des camarades et ils quitteront les lieux avec des camarades. Cette présence agit souvent comme tampon par rapport à l'expérience vécue, car ils sentent qu'ils font partie d'une communauté solide ou d'une meute, ce qui leur donne de la force.
    Les choses sont un peu différentes pour les policiers, puisqu'ils sont constamment sur le terrain et qu'ils se servent de l'engagement social comme d'un moyen pour contrôler les foules. Ils doivent sans arrêt scruter leur environnement afin de repérer les menaces possibles et, lorsqu'ils en voient une, ils doivent se garder de répondre avec un instrument contondant. Ils doivent recourir à une réponse plus nuancée. Ils se servent de leurs aptitudes sociales afin de dédramatiser un incident ou d'empêcher qu'une situation se transforme en quelque chose de violent. La violence, si elle a lieu, se manifeste très rapidement. Il leur faut alors décider s'ils vont se battre ou battre en retraite, ou s'ils vont prendre l'initiative de l'agression afin de tenter de mater cette autre agression, ou d'être en mesure de contenir la situation ou de la contrôler.
    Dans le cas des pompiers, le contexte est différent. C'est la même chose pour ceux qui travaillent dans le système carcéral, le contexte est différent. En fait, le milieu carcéral devient l'endroit où ils vivent. Ils voient des choses comme des détenus qui s'automutilent, des détenus qui se suicident à petit feu et d'autres qui essaient de faire la vie dure aux gardiens. Ils sont exposés à ce genre de choses sur une base quotidienne et ils doivent fournir des soins à ces personnes qui essaient délibérément de les blesser sur le plan psychologique.
    M. Nicholas Carleton: Je suis d'accord.
    Ma prochaine question est un peu différente. Un homme d'Oakville qui avait vécu une dépression à la suite d'un infarctus a attribué son rétablissement à l'activité physique. Considérez-vous que l'activité physique peut jouer un rôle dans le traitement de certains de ces problèmes associés aux blessures de stress opérationnel et à l'état de stress post-traumatique?
(1130)
    Je crois que oui. Un de mes collègues, le Dr Gordon Asmundson, effectue actuellement une étude sur la thérapie par l'exercice utilisée dans le contexte d'une intervention plus vaste pour contrer l'état de stress post-traumatique. De façon générale, l'exercice est une très bonne chose, point final, surtout lorsqu'il est fait de la bonne façon.
     Cela dit, je crois qu'il faut absolument se garder de croire que l'exercice est une panacée. L'exercice ne règlera pas tous les problèmes, mais c'est une bonne idée de commencer à en faire. L'exercice peut-il réduire l'anxiété, alléger les effets de la dépression, améliorer l'humeur et la santé mentale? Toutes les preuves semblent indiquer que oui.
    Je suis d'accord. L'exercice peut faire un bien considérable, mais ce n'est pas toujours un traitement possible. Lorsqu'une personne est déprimée au point de ne plus vouloir sortir du lit, l'exercice n'est pas une option. Si ses blessures de stress opérationnel sont aussi d'ordre physique et qu'elle n'est plus en mesure de bouger comme elle l'a toujours fait, l'exercice peut être un rappel des choses qu'elle pouvait faire avant, mais qui lui sont maintenant interdites. Tout dépend du contexte.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Rayes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui pour partager leur expérience dans ce domaine.
    On parle souvent de ce qui se passe après l'événement et du traitement. Vous en avez d'ailleurs fait mention. Cependant, j'aimerais vous entendre parler de ce qui arrive avant. Selon la culture des organisations, des premiers répondants, de nos soldats, de l'armée et de la GRC, est-ce que tout est fait pour se préparer aux risques?
    Je vais faire une comparaison très simple avec un athlète qui participe à une compétition. On va le préparer psychologiquement et physiquement à des situations malheureuses qui pourraient survenir lors d'une compétition. De la même façon, intervient-on avant même que le problème survienne? Sensibilise-t-on les employés et les intervenants de tous les secteurs? Pouvez-vous nous parler d'études ou de recherches qui ont été faites à ce sujet?

[Traduction]

    Je peux parler un peu de cela et de l'un des plus grands problèmes auxquels nous sommes confrontés à l'heure actuelle.
    Tout d'abord, oui, je crois que nous pourrions faire plus. Deuxièmement, je pense que certaines organisations travaillent dans le sens de ces mesures de prévention.
     L'un des plus grands problèmes a été et continue d'être que nous ne disposons pas de données soutenues par la pratique aussi solides qu'il le faudrait pour donner une réponse claire à une question comme celle-ci: admettons que vous pouviez vous permettre une poignée d'interventions, lesquelles choisiriez-vous pour assurer la meilleure prévention possible, pour améliorer la résilience et pour réduire les risques?
     Nous pouvons vous donner les grandes lignes, mais l'une des choses que nous avons constatées, c'est qu'il est très difficile d'entreprendre les études longitudinales prospectives qui nous permettraient de « croquer » les personnes avant qu'elles ne soient blessées, de cerner quels aspects sont associés à chaque membre d'un grand groupe et de faire un suivi au fil des ans. Si nous avions ce type de renseignements, nous serions en mesure de vous répondre: « Telle variable est associée à la résilience, et telle autre, au risque. » Il faut pour cela un engagement très fort de la part des chercheurs, des cliniciens, de l'État et des organismes de sécurité publique. C'est un effort collectif. C'est l'une des choses qui nous réjouissent et que nous nous apprêtons à commencer avec la GRC; il s'agit de renseignements d'une importance cruciale.
     Nous pouvons quand même vous communiquer certaines généralités. Toutefois, les détails qui nous permettraient de fournir de l'information très pertinente nécessiteront des investissements dans la recherche à long terme, ce qui demande aussi des collaborations de grande envergure. C'est ce que nous essayons de faire et c'est ce que nous amorcerons cette année. Nous espérons donc être en mesure de vous donner de meilleures réponses dans un avenir très rapproché.
    Si je puis ajouter quelque chose à cela, c'est qu'il est difficile de réussir ces recherches et d'y accéder. Selon moi, l'une des raisons qui expliquent cette difficulté est le fait que le mandat de ces organisations — l'armée, la GRC et les services des incendies — est de servir et de protéger. Pour les militaires, on dit« la mission, l'équipe, soi-même »; le soi arrive en dernier. Cela fait partie de la culture organisationnelle et de cette culture « hypermasculine » dont les militaires ont besoin pour faire leur travail. Ces principes font partie de la zone tampon. Malheureusement, ce sont eux qui nous empêchent d'être en mesure d'investir le milieu pour mener à bien nos recherches, car ils peuvent aussi engendrer une culture qui n'accorde pas d'attention particulière à la prévention et au rétablissement. L'accent est mis sur la réussite de la mission ou sur la protection du public.
     Lorsque des vétérans, des membres de la GRC et des pompiers n'arrivent pas à être à la même hauteur que la norme, à vivre la norme, ils se retrouvent en retrait de cette culture et ils commencent à s'enfoncer. Ils sont déjà blessés alors qu'on ne les a même pas reconnus en tant que tels, mais lorsqu'ils n'arrivent plus à cacher leur blessure, ils commencent à sortir de cette culture. Ils s'aliènent du groupe qui les aidait à temporiser la manifestation de leurs symptômes. C'est quand ils sortent du groupe que l'on peut commencer à voir les effets des blessures de stress opérationnel ou l'état de stress post-traumatique.
     Il est difficile pour une organisation comme le ministère de la Défense nationale de faire de la recherche et de chercher à protéger les gens quand son attention et son mandat portent sur la mission et non sur la protection. À l'évidence, on cherche à protéger des vies, mais cela n'empêche pas les gens de subir des blessures de stress opérationnel. En effet, leur stress est continuel: leur mandat est de réussir la mission.
    Ce qui se passe pour les vétérans — surtout quand ils commencent à sortir du groupe et qu'ils n'arrivent plus à fonctionner avec la même intensité qu'auparavant —, c'est qu'on leur confie des rôles ou des travaux qui sont beaucoup moins exigeants que ce à quoi ils étaient habitués, et qu'ils se voient déjà comme « finis ». À présent, ce sont eux les blessés. Ils sont perçus — et la culture corrobore cette vision — comme des blessés, ce qui ne fait qu'empirer leurs symptômes. Il est impératif de commencer à les traiter à ce moment-là, soit avant qu'ils sortent de l'armée ou qu'ils présentent une demande d'aide au ministère des Anciens Combattants. Je n'ai pas encore vu d'empressement particulier de la part de ces organismes pour aider ces personnes à trouver leurs maux et pour traiter ces maux avant qu'ils ne s'aggravent.
    M. Nicholas Carleton: Si vous me le permettez, je vais poursuivre dans la même veine que M. Dadson...
    Excusez-moi. Allez-y.
(1135)

[Français]

     Si vous me le permettez, j'aimerais dire un mot à ce sujet. Je vous laisserai continuer par la suite.
     Si je comprends bien, il n'y a pas d'études et de recherches à ce sujet. Il n'y a pas vraiment de formation de base pour préparer ces employés, ces soldats et ces premiers répondants aux risques potentiels qui pourraient arriver. Selon vous, avant même que l'on fasse des recherches, y a-t-il un travail qui se fait au départ auprès de ces gens lors de leur formation de base dans les différentes institutions scolaires, universitaires ou de formation?

[Traduction]

     Comprenez-moi bien. Oui, il y a un peu de recherche. Le problème, c'est qu'il n'y en a pas assez, et pas assez de recherche longitudinale prospective, ce qui est essentiel. Nous avons participé à des recherches dans ce domaine, lesquelles ont été amorcées par des membres de l'équipe à l'échelle du pays. On tente de répondre à certaines de ces questions.
    Je tiens par ailleurs à souligner que la GRC nous accorde un soutien extraordinaire depuis que nous avons porté cette question et la possibilité d'une recherche à son attention. Je crois que son soutien vient du fait qu'elle reconnaît elle aussi que ce type de données nous permettra de repérer les blessures beaucoup plus rapidement et d'intervenir suffisamment tôt pour transformer une blessure potentiellement débilitante et susceptible de constituer un motif d'exclusion en un mal guérissable. Il est tout aussi important pour ces organisations que pour les personnes concernées — et ce l'est pour nous tous — de garder leurs effectifs actifs et en santé.
    Merci, monsieur Carleton.
    Monsieur Dubé.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de participer à cette rencontre aujourd'hui.
    Avant de poser mes questions, j'aimerais préciser que je les pose dans l'important contexte des recommandations que nous allons faire au gouvernement. Dans cet esprit, nous voulons évidemment améliorer la situation. Je vais brièvement continuer à parler de la recherche, plus spécifiquement des données disponibles.
     Si je me souviens bien, lors de notre dernière réunion, nous avons entendu un psychiatre mentionner qu'Anciens Combattants Canada et les Forces armées canadiennes étaient 15 ans en retard en ce qui concerne les premiers répondants par rapport aux agents correctionnels ou aux agents de libération conditionnelle. Constatez-vous qu'il y a bel et bien un grand écart entre ce dont disposent les gens qui sont touchés par notre étude et ce dont disposent les membres et les ex-membres des Forces armées canadiennes, c'est-à-dire les anciens combattants? Si oui, que pouvons-nous faire selon vous pour corriger cette situation?

[Traduction]

    Surtout en ce qui concerne les vétérans, je crois qu'il y a un laps de temps considérable qui s'écoule entre le moment où ils apprennent qu'ils devront renoncer à la vie militaire en raison du stress opérationnel ou d'un état de stress post-traumatique et le moment où ils sortent effectivement de l'armée. Cela peut parfois prendre deux ans avant qu'on les libère. Ils savent qu'ils sont sur le point d'être libérés, alors leur travail leur semble de moins en moins important ou pertinent parce qu'ils comprennent qu'ils ne vont pas faire la chose qu'ils aiment faire, qu'ils ne peuvent plus la faire.
     Il leur faut deux ans pour sortir, puis il leur faut parfois de six mois à un an avant d'avoir accès aux services d'Anciens Combattants Canada. C'est beaucoup trop long. Pour certains d'entre eux — qui sont parfois dans un état psychologique et physique précaire, car il peut y avoir des complications —, c'est trois ans sans traitement. Ce hiatus a des conséquences sur la vie de leurs familles, sur leur confiance en eux-mêmes et sur leur capacité de s'investir dans leur carrière. Il ouvre la porte à la toxicomanie, à la dépression et aux troubles d'anxiété.
    J'ai travaillé avec des vétérans qui étaient revenus d'Afghanistan depuis six ans. Un de ces militaires n'était pas capable d'aller marcher avec ses enfants en raison de ce qu'il avait vu là-bas. Il était suivi par un psychologue depuis six ans, mais il ne lui avait pas encore parlé des blessures dont il avait été témoin et qui l'empêchaient de se promener avec ses enfants.
    Pour moi, c'est une question cruciale. Comment pouvons-nous aider ces personnes à recevoir de l'aide immédiatement plutôt que de les faire attendre trois ou six ans avant d'entamer un processus de rétablissement? Il y a des traitements qui peuvent les aider. Nous savons que nous pouvons leur venir en aide si nous leur permettons d'accéder aux services...
(1140)
    Je m'excuse de vous interrompre, mais mon temps est compté.
    Je n'ai peut-être pas posé ma question correctement. L'écart dont je parle est celui qui existe entre les données disponibles au sujet de l'état de stress post-traumatique chez, entre autres, les vétérans, et celles qui sont disponibles pour les agents des services correctionnels et les premiers répondants. Là où j'essaie d'en venir, c'est que nous avons appris lors d'une autre réunion qu'il y avait de plus en plus de données sur les vétérans, mais très peu — parfois aucune — sur les premiers répondants, les agents des services correctionnels et les agents de libération conditionnelle.
     C'est l'écart dont je parle, ce qui n'enlève rien aux excellents points que vous venez d'évoquer. Y a-t-il un écart entre ces groupes? Que pouvons-nous faire pour remédier à cela?
    La citation qui, je crois, est exacte, provient de mon collègue Jitender Sareen.
    Pour combler cet écart — et il faut absolument qu’il le soit —, il est impératif que le gouvernement investisse dans un institut de recherche sur la sécurité publique et un centre de traitement. Ce serait l’occasion de mettre sur pied une équipe d’experts pancanadienne, interdisciplinaire et interuniversitaire qui collaborerait avec le milieu de la sécurité publique afin d’obtenir le plus rapidement possible les meilleures données de façon à combler cet écart et à résoudre certaines des questions fondamentales que l’on se pose. On disposerait ainsi d’une série de statistiques épidémiologiques fiables sur l’étendue des problèmes associés aux blessures liées au stress opérationnel. Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure de vous communiquer des données fondamentales solides dans ce domaine.
    Effectivement, un horizon de 15 ans est probablement réaliste. La meilleure chose à faire pour l’instant serait d’investir dans une équipe de recherche qui sera en mesure de vous donner le plus rapidement possible les meilleures données disponibles. On peut certes obtenir également des données grâce à des investissements ponctuels, mais le gouvernement nous aiderait davantage en mettant sur pied une équipe pancanadienne.

[Français]

     Merci beaucoup.
    J'aimerais revenir à la question que ma collègue, Mme Damoff, a posée et que je trouve intéressante.
    Il s'agit de la question des zones sécuritaires et des zones qui ne le sont pas. Je trouve que c'est un élément intéressant. Vous en avez parlé brièvement, mais j'aimerais en entendre davantage à ce sujet.
    Comment l'approche doit-elle être différente pour les premiers répondants et les agents correctionnels comparativement aux membres des Forces armées canadiennes? La relation entre collègues devient-elle plus importante? Il faut que ce soit quelque chose de constant et de quotidien, alors que pour un ancien combattant, cela se passe au moment de son retour à la maison.

[Traduction]

    Je crois en effet que l’appui de la part de collègues et les relations entre collègues sont assez essentielles. Mais je le répète, il faut faire d’autres recherches pour avoir des données sur les questions que vous vous posez, car les traumatismes sont différents — ni meilleurs ni pires —, mais différents en raison de leur durée.
    Les victimes doivent pouvoir mieux gérer l’incertitude et les états de stress de faible intensité, mais prolongés. Depuis longtemps, la recherche montre que les contrariétés quotidiennes subies dans la collectivité sont beaucoup plus perturbantes qu’une crise majeure. Certes, une crise majeure n’est pas négligeable, mais les contrariétés quotidiennes qui nous minent ont également de graves conséquences.
    Pour le personnel de la sécurité publique qui vit ces contrariétés — et dans son cas il peut s’agir de traumatismes liés au stress —, il faut trouver de meilleures solutions, des solutions différentes. Il s’agit de mettre sur pied de meilleures équipes. Certes, l’appui de la part des pairs est important, mais il n’y a pas beaucoup de recherches menées sur le type d’appui à offrir, en quelle dose et de quelle façon.
    Je dis donc oui à l’appui de la part des pairs, mais il nous faut également une série différente de solutions plus globales et plus adaptées à ce type d’exposition prolongée.
(1145)
    Merci.
    Monsieur Dadson, vous avez parlé d’utiliser d’autres termes pour tenir compte de la culture qui rend difficile la parole sur ces questions. Je me demande s’il n’est pas possible de changer cette culture, de façon à ce que nous n’ayons même plus à en parler en ces termes et à ce que les gens se sentent à l’aise d’en parler en utilisant les mots qui conviennent. Pouvons-nous faire quelque chose pour changer cette culture ?
    Je ne connais probablement pas assez le domaine pour donner des conseils sur le changement de culture dans les institutions. Je suis par contre en mesure de parler de changements de culture entourant les traitements.
    La recherche montre que l’approche adoptée face à la thérapie est quelquefois plus féminine, étant donné que les femmes ont beaucoup plus fréquemment recours que les hommes à la thérapie. Les agences dont nous parlons ont un effectif essentiellement masculin et elles ne s’occupent pas nécessairement d’eux de la façon dont ils devraient être traités. Prenons l’exemple d’une heure de traitement d’un homme qui fait partie de la GRC ou qui est premier répondant. C’est seulement après 40 ou 50 minutes qu’il commencera à entrer dans le vif du sujet. Les hommes sont habitués à travailler dur. Dans notre programme, nous les faisons travailler pendant quatre jours d’affilée en thérapie, de façon à ce qu’ils travaillent dur entre eux.
    Voilà ce dont je peux parler, du déroulement de la thérapie et de la façon dont les cultures sont forgées. Je pense en fait que l’armée doit forger la culture de façon à ce que les hommes et les femmes qui la composent puissent le plus facilement survivre aux situations de combat. Par contre, l’armée ne sait pas comment les aider à partir. Elle sait comment les recruter et elle sait comment les aider à survivre — ce à quoi elle excelle —, mais elle ne sait pas comment les aider à partir. Et je ne demanderais pas non plus aux institutions d’accomplir cette tâche, puisque cela ne relève pas de leurs compétences.
    Merci, monsieur Dadson.
    Monsieur Mendicino.
    Monsieur Carleton, j’ai des questions précises à vous poser au sujet de la thérapie cognitivo-comportementale et la prévention des troubles de stress post-traumatique ou TSPT. On convient généralement que les gens qui souffrent de ces troubles doivent pouvoir compter sur un appui et un traitement adéquats, n’est-ce pas?
    Oui.
    L’une des recommandations que vous avez faites dans votre exposé liminaire est que la série de traitements comprenne un traitement factuel et une thérapie cognitivo-comportementale, n’est-ce pas?
    Absolument.
    Est-ce que la thérapie cognitivo-comportementale est efficace?
    Oui. Elle a fait l’objet de nombreuses études, en fait des centaines et probablement des milliers, selon lesquelles elle est efficace. Évidemment, rien n’est parfait, mais elle permet en fait d’améliorer considérablement les symptômes.
    Tout cela suppose qu’elle a été validée, n’est-ce pas?
    Oui, à maintes reprises.
    On y a eu recours dans toutes sortes de cultures et de domaines de travail?
    Oui, on l’utilise en fait dans le monde entier. C’est probablement l’un des protocoles de traitement des maladies mentales le plus sûrement appliqué et évalué de façon empirique. Il ne s’agit pas d’un traitement unique — ce serait une erreur de le désigner ainsi —, mais d’une série de protocoles.
    Pourriez-vous me parler en premier lieu des facteurs qui incitent les gens souffrant de TSPT à rester en thérapie cognitivo-comportementale, puis en second lieu, des facteurs qui les amèneraient à abandonner prématurément la thérapie?
    Je ne sais pas si j’ai le temps de tous vous les citer, mais je nommerai les plus importants.
(1150)
    Oui, donnez m’en un aperçu en 60 secondes, car j’ai d’autres questions à vous poser.
    D’accord.
    La capacité d’établir un rapport est probablement l’élément le plus critique pour que quelqu’un poursuive le protocole de traitement. Peu importe ce dont il s’agit, mais la personne doit avoir le sentiment d’établir un lien. Qu’il s’agisse de thérapie cognitivo-comportementale ou de tout autre protocole de traitement, ce qui importe c’est d’établir un lien. La personne doit sentir que vous avez noué un lien. Dans la mesure où ce lien représente un soutien et qu’il est maintenu, la plupart du temps, les gens poursuivent le traitement. C’est lorsque le lien n’arrive pas à se nouer que les gens décrochent.
    De façon générale, je dirais qu’il s’agit d’une relation. Que la thérapie réussisse ou échoue, il faut toujours qu’il y ait une relation. C’est ce qui se passe après la création du lien qui permet de différencier les traitements vraiment efficaces de ceux qui pourraient l’être encore davantage.
    Est-ce que le fait de revivre des expériences traumatisantes mine la confiance dans la relation?
    Pas si cela se fait correctement. Les données recueillies jusqu’ici montrent que si cela est fait correctement et dans le bon contexte, le fait de revivre une expérience traumatisante est en réalité un élément essentiel d’un traitement à long terme réussi. Je pense que l’un des éléments clés est l’amorce de la relation. À partir de là, on bâtit la confiance et l’on s’engage dans des protocoles de traitement fondés sur les faits et nécessaires à la réduction des symptômes.
    Quels sont les deux grands protocoles qui permettent d’éviter l’érosion de la relation?
    Les protocoles qui permettent d’éviter l’érosion de la relation?
    Oui.
    Je ne pense pas qu’il y ait des protocoles permettant d’éviter l’érosion d’un rapport. La clé de la réussite est en partie l’expérience clinique et une bonne supervision pendant la période de formation. À ce stade, les deux grands protocoles permettant d’offrir un traitement des troubles de stress post-traumatique fondés sur les faits seraient le recours à une exposition prolongée et à la thérapie par le traitement cognitif.
    L’exposition prolongée, et quel est le deuxième?
    Cela dépend des opinions, mais l’exposition prolongée serait certainement le principal protocole privilégié, suivi de la thérapie par le traitement cognitif. À cela s’ajouterait probablement l’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires.
    D’accord.
    Pouvez-vous parler brièvement de la thérapie cognitivo-comportementale comme moyen de prévenir l’apparition de troubles chroniques liés au stress post-traumatique? Peut-elle être utilisée comme moyen prophylactique dans le cadre de la formation des premiers répondants ou des intervenants dans d’autres catastrophes naturelles?
    Je dirais que oui.
    La méthode n’a pas encore été explicitement mise à l’épreuve sur le long terme. C’est justement l’une des choses que nous voulons faire dans le cadre de la prochaine étude de recherche, mais il n’y a aucune raison de penser que l’intégration, dans la formation, de certains des éléments fondamentaux que nous appelons « psycho-éducatifs » puissent être autre chose que bénéfiques.
    C’est un domaine expérimental que l’on n’a pas encore vraiment exploré, étudié ou validé.
    Pas encore, je crois. Des chercheurs canadiens comme le Dr Keith Dobson, par exemple, ont établi certains faits à partir du programme de sensibilisation intitulé « En route vers la préparation mentale », qui a été intégré à la formation. Nous aimerions ainsi voir une intégration beaucoup plus poussée et à un stade précoce de certains des protocoles de la thérapie cognitivo-comportementale dans la formation qui est offerte.
    Nous n’avons pas le temps d’entrer dans les détails, mais j’aimerais avoir d’autres commentaires écrits sur le sujet, à savoir la thérapie cognitivo-comportementale et la prévention. Si vous pouviez y donner suite, le Comité et mes collègues vous en seraient très reconnaissants.
    Finalement, y a-t-il des facteurs qui rendent une personne plus susceptible d’avoir des troubles de stress post-traumatique ou des traumatismes liés au stress opérationnel?
    Je ne pense pas qu’il y ait des facteurs qui rendent quelqu’un plus ou moins susceptible de développer des troubles de stress post-traumatique.
    Et d’ailleurs, je vous invite à vous pencher sur les deux scénarios suivants. Un agent est témoin d’une scène après une semaine pendant laquelle il a pu se reposer et a été appuyé par son équipe. Personne n’a été malade et l’on a disposé de toutes les ressources nécessaires. Face à cette scène traumatisante, la réaction sera très différente si pendant cette même semaine l’agent a travaillé très fort, n’a pas beaucoup dormi, a eu des problèmes chez lui et s’est surpassé au travail parce qu’un de ses collègues était absent. En plus de cela, la voiture accidentée était de la même couleur que la voiture de sa conjointe. Sur la scène de l’accident, les enfants ressemblaient à ses propres enfants et tout lui semblait familier, mais ce n’était pas ses enfants.
    Face à une même scène traumatisante, mais dans des circonstances différentes, vous aurez, comme vous pouvez l’imaginer, des réactions très différentes. Il est donc très difficile de déterminer des variables individuelles. Nous espérons pouvoir, dans un proche avenir, dégager des généralités, mais nous ne serons jamais en mesure de dire que telle personne est toujours plus vulnérable ou que telle autre est toujours moins vulnérable.
(1155)
    Vous avez cinq minutes, madame Gallant.
    Merci, monsieur le président.
    On dit que plus vite quelqu’un est traité pour des TSPT, plus grandes sont ses chances de guérison. La détection précoce est donc un élément clé.
    On dit par exemple que chez les pompiers, après un incendie ou autre incident du genre, les premiers répondants se réunissent pour parler de ce qui s’est passé. Avant de rentrer chez eux, on leur remet une brochure décrivant une liste de symptômes ou de comportements à surveiller. S’ils en reconnaissent un certain nombre, ils sont invités par leur commandant ou leur chef à demander de l’aide.
    Les soldats des Forces canadiennes ne suivent pas de procédure de ce genre en revenant d’un théâtre d’opérations, mais il me semble que les agents de la GRC en ont une. Savez-vous s’il est d’usage à la GRC de tenir une réunion à la suite d’un incident?
    Je pense que vous parlez de ce qu’on appelle généralement un programme de gestion du stress lié aux incidents critiques et plus particulièrement d’une séance d’aide après un stress causé par un incident critique. On en parle d’ailleurs beaucoup en ce moment.
    Je sais que la GRC procède à des formes de débreffage. Mais elle ne le fait pas systématiquement après un incident traumatisant. Ce serait pour elle, comme pour toute autre organisation d’ailleurs, impossible à faire au plan logistique.
    S’agissant de l’efficacité d’une telle méthode, nous venons de terminer un vaste examen des modèles de programmes de gestion du stress lié aux incidents critiques, de séances d’aide après un stress causé par un incident critique et de soutien par des pairs qui sont appliqués dans l’ensemble du pays pour le personnel de la sécurité publique et en particulier les premiers répondants. Les faits que nous avons recueillis pour appuyer ou pour rejeter un modèle particulier ou cette méthode en général sont pour l’instant extrêmement limités.
    Nous ne disons pas que ces méthodes ne marchent pas, nous ne disons pas non plus qu’elles marchent. À ceux qui nous demandent s’ils devraient appliquer tel ou tel modèle, nous disons que la recherche est limitée et que nous ne le savons pas.
    Les expériences personnelles, y compris les traumatismes subis avant d’entrer dans l’armée, peuvent déterminer l’apparition de TSPT après un incident.
    Je ne sais pas quelle est la situation dans votre province, mais en Ontario, il y a une pénurie de médecins, de spécialistes et même de psychologues. Pour pouvoir consulter un psychiatre ou l’un de ces patriciens, et pour que ces consultations soient couvertes par l’assurance — si vous avez la chance d’en avoir une —, vous devez être recommandé par un médecin de famille.
    Le problème ne viendrait-il pas en partie du fait que certaines provinces n’offrent pas les services médicaux de base?
    Je dirais que cela fait certainement partie des défis à relever. Je pense d’ailleurs que Pierre Daigle, l’ombudsman militaire, a déclaré qu’on avait beau engager des psychologues, on n’arrivait pas à répondre à la demande. Je ne vois pas pourquoi cela serait différent ailleurs au Canada. La situation est d’autant plus difficile qu’on recherche des gens hautement spécialisés.
    Si l’on a réussi à voir son médecin de famille — en supposant que cela soit possible et en gardant à l’esprit tous les éléments que nous avons mentionnés —, on a maintenant une recommandation, mais c’est sans compter la liste d’attente. On peut être dirigé vers certains programmes, comme celui de Langley, qui est hautement intégré et vraiment bien structuré, mais pour lesquels les listes d’attente sont interminables et qui se limitent à une région donnée. Je ne peux certainement pas envoyer tout le monde à Langley ou ailleurs.
    Il y a des pénuries de base et il y a des pénuries de spécialistes. Nous devons donc sérieusement envisager des solutions novatrices si nous voulons offrir au personnel de sécurité publique un soutien fondé sur des données probantes. Nous avons des options. D’autres pays ont trouvé des moyens de gérer ces problèmes. Je pense donc que nous devons nous en inspirer pour trouver des solutions adaptées à notre situation.
    Ce serait aussi vrai alors pour cette période de transition, la longue période entre le moment où la personne quitte les forces et reçoit peut-être un traitement et celui où elle relève d'Anciens Combattants et doit trouver un médecin civil.
    Les Forces armées canadiennes ont fait d'énormes progrès. La question que je me pose, c'est pourquoi vous n'utilisez pas — ou pourquoi elles ne le font pas, de façon générale — les modèles de traitement des forces et ne les appliquez pas à la GRC, car de nombreuses études ont été réalisées et un grand nombre de personnes ont recours à ces divers programmes. Par exemple, nous avons le War Horse Project, le programme Compagnons courageux et le système CAREN, qui est ici à Ottawa, ainsi que les études. La RASM annoncera un projet au Manitoba lundi ou mardi prochain qui décrira les différents types de TSPT.
(1200)
    Quelqu'un voudrait-il répondre très brièvement?
    Je pense que nous utilisons le modèle axé sur des données probantes... Je collabore avec les chercheurs qui travaillent avec les militaires et étudient ce genre de questions, et je peux vous dire que, lorsqu'on peut le faire et qu'il est approprié de le faire, nous échangeons des renseignements. Nous le faisons en partie en raison de nos relations avec l'Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans. Le Dr Jitender Sareen est l'un des médecins qui travaillent avec moi et la grande équipe canadienne.
    Nous utilisons ce modèle, mais ce n'est pas parce qu'il fonctionne pour les militaires qu'il va fonctionner exactement de la même manière pour notre personnel de la sécurité publique. Nous avons besoin d'un plus grand nombre d'études à long terme pour nous assurer que nous fournissons des renseignements fondés sur des données probantes pour appuyer nos politiques, de façon générale, car nous voulons procéder avec prudence.
    Merci, monsieur Carleton.
    Comme nous avons commencé environ six minutes en retard, monsieur Di Iorio, vous disposez de deux ou trois minutes, si vous voulez poser quelques questions brèves.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Docteur Carleton et monsieur Dadson, je vous remercie de votre présence et de votre précieuse collaboration.

[Traduction]

    Monsieur Carleton, au début de votre déclaration, vous avez parlé de « solutions axées sur des données probantes » pour le TSPT. Pourriez-vous nous faire part de quelques-unes de ces solutions?
    Pour les solutions axées sur le traitement, il y en a une variété. Il existe de nombreux traitements axés sur des données probantes, dont l'exposition prolongée et la thérapie cognitive. Pour ce qui est des protocoles axés sur des données probantes à long terme, comme je l'ai dit, il manque de recherches pour démontrer les stratégies de prévention qui fonctionneront ou pas. Il y a aussi les traitements intégrés comme ceux qui sont offerts à Langley. Il y a toutes sortes de protocoles de traitement axés sur des données probantes qui peuvent être mis en place.
    J'aimerais vous parler de quelques-uns de ces protocoles, soit les protocoles les plus efficaces sur lesquels vous avez lu ou que vous avez trouvés.
    L'exposition prolongée, lorsqu'elle est offerte par une personne qui a l'expérience voulue et qui a été supervisée, est probablement le traitement pour le trouble de stress post-traumatique que l'on appuie le plus. Il y a également la thérapie cognitive et l'EMDR. Il peut également y avoir une thérapie comportementale dialectique. Ce sont les traitements qui sont administrés après que le diagnostique a été posé, donc lorsqu'ils sont adéquatement administrés par une personne qui possède les compétences appropriées, ce sont là des solutions axées sur des données probantes qui, comme les recherches l'ont prouvé, réduisent les symptômes du trouble de stress post-traumatique.
    Qu'en est-il de l'exposition prolongée? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet et nous expliquer plus en détail comment elle est appliquée et pourquoi elle est efficace?
    L'exposition prolongée s'applique généralement à une personne, qui est suivie par un psychothérapeute qui a la formation appropriée. On commence par une série de séances sur la psycho-éducation. On peut inclure de la relaxation musculaire progressive. On peut avoir recours également à l'exposition intéroceptive, selon les symptômes du patient. Par conséquent, on procéderait à ce que l'on appelle à une thérapie par exposition, généralement à l'exposition par l'image, pour que le patient commence à se remémorer le traumatisme.
    L'un des symptômes importants du trouble de stress post-traumatique que nous connaissons est l'évitement. Il est tout à fait logique que lorsqu'on vit une expérience traumatisante, on ne veut pas y repenser. Malheureusement, le comportement d'évitement peut souvent aussi causer les symptômes associés au trouble de stress post-traumatique.
    Cela devient donc un mécanisme de facilitation. On revit le traumatisme de façon appropriée, dans un environnement approprié, en demandant au patient de raconter ce qui s'est passé, de se remémorer le traumatisme, et le psychothérapeute travaille avec lui pour mettre un baume sur la plaie, pour ainsi dire. La thérapie n'efface pas le souvenir, mais on peut faire en sorte que le traumatisme soit moins troublant pour le patient. On espère pouvoir en faire un souvenir regrettable plutôt qu'un traumatisme qui refait surface tous les jours dans la vie du patient.
    Voilà qui résume l'exposition prolongée.
    J'ai bien peur de devoir mettre fin à nos discussions avec ce groupe de témoins. Nous pourrions continuer encore longtemps, mais nous avons d'autres témoins à entendre.
    Merci beaucoup du temps que vous nous avez accordé aujourd'hui. Attendez-vous à ce que nous vous adressions d'autres questions lorsque nous nous pencherons sur certains des traitements et sur les recommandations que nous pourrions vouloir faire.
    Nous allons faire une courte pause pour accueillir les prochains témoins.
(1205)

(1205)
    Nous accueillons maintenant, par vidéoconférence, de Toronto, Donna Ferguson, psychologue au Centre de toxicomanie et de santé mentale, CAMH. Nous avons également parmi nous Judith Pizarro Andersen, qui travaille à la faculté de médecine à l'Université de Toronto.
    Merci à vous deux. Nous allons commencer avec notre invitée par vidéoconférence, au cas où nous aurions des problèmes et serions obligés de nous reconnecter. Nous allons donc entendre votre déclaration en premier, madame Ferguson. Vous avez 10 minutes, puis ce sera à votre tour, madame Andersen.
    Merci.
    Mesdames et messieurs les membres du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, je vous remercie de me donner l'occasion de vous faire part aujourd'hui de mon point de vue sur cet important sujet.
    Mon nom est Donna Ferguson. Je suis psychologue clinicienne et directrice de la pratique en psychologie au Centre de toxicomanie et de santé mentale à Toronto. Le CAMH est l'un des plus grands centres universitaires de sciences de la santé sur la santé mentale et la toxicomanie. Nous combinons les soins cliniques, la recherche et l'éducation pour transformer la vie des personnes souffrant de troubles mentaux et de toxicomanie.
    Le trouble de stress post-traumatique, ou TSPT, est un problème important sur lequel nous mettons beaucoup d'efforts au CAMH. Le TSPT survient quand une personne vit directement un événement traumatisant ou en est témoin, ou quand une personne est exposée directement de façon répétée ou extrême aux détails horrifiants d'un événement traumatisant. Le TSPT perturbe le fonctionnement social et professionnel ainsi que d'autres sphères de la vie. Les symptômes du TSPT sont l'évitement des événements traumatisants, des pensées envahissantes, des flashbacks et des cauchemars, et un état d'hyperéveil, dont une très grande irritabilité et des troubles du sommeil.
    Un Canadien sur 10 développera un TSPT, mais ce nombre est deux fois plus élevé chez les premiers répondants en raison du risque d'exposition quotidienne aux facteurs de stress traumatiques. Le taux de suicide des premiers répondants est aussi élevé. Entre le 29 avril et le 31 décembre 2014, 27 premiers répondants se sont enlevé la vie. En mars 2015, ce nombre était passé à 40 au Canada. C'est un problème croissant et urgent auquel nous devons trouver une solution.
    Alors, comment peut-on s'assurer que les premiers répondants aux prises avec un TSPT reçoivent l’aide dont ils ont besoin pour retrouver la santé et revenir au travail? Nous n’avons pas toutes les réponses, mais je vous partage aujourd’hui trois recommandations qui, selon moi, aideront les premiers répondants atteints d’un TSPT sur leur chemin vers la guérison.
    Premièrement, toutes les provinces doivent adopter une loi qui permet aux premiers répondants d'avoir plus rapidement accès à leurs prestations d'accident du travail. De nombreux premiers répondants ont dû prouver que les événements traumatisants qu’ils ont vécus en milieu de travail avaient contribué directement à leurs symptômes et à leur diagnostic de TSPT, ce qui les a empêchés d'avoir accès rapidement à des soins appropriés. En février 2016, l'Ontario a déposé un projet de loi visant à créer une présomption que le TSPT diagnostiqué chez les premiers répondants est automatiquement lié au travail. Le retrait de l'obligation de prouver le lien de causalité entre le TSPT et l'événement vécu en milieu de travail accélérera le traitement des réclamations par les compagnies d’assurances et, par conséquent, l’accès au traitement et aux ressources. Si elle est adoptée, cette loi obligera aussi les employeurs à mettre en place des plans de prévention du TSPT dans leur milieu de travail. Nous devons nous assurer que tous les premiers répondants canadiens sont protégés par une loi semblable.
    Deuxièmement, les premiers répondants doivent être en mesure de travailler dans des milieux sécuritaires sur le plan psychologique et exempts de toute stigmatisation. De nombreux premiers répondants souffrent d'un TSPT, mais n'ont jamais été diagnostiqués. Certains peuvent vivre au quotidien avec les symptômes du TSPT et ressentir une grande détresse, mais ils ont peur d’en parler à leurs amis, à leur famille, à leurs collègues ou à leurs supérieurs par crainte de représailles. Ils ont peur que leurs collègues les rejettent et que leurs supérieurs les rétrogradent injustement.
    Certaines personnes ont encore beaucoup de difficulté à parler de leur santé mentale, surtout les premiers répondants dont le travail leur demande d'être inébranlables en tout temps. Les premiers répondants font partie d’une culture qui accepte mal la faiblesse. Nombreux sont ceux qui croient que le travail passe en premier et que leurs vies, leurs sentiments et leurs familles arrivent deuxièmes. Cette attente est accompagnée d'une très forte pression exercée sur les personnes qui sont régulièrement les témoins d'effondrements, de destructions, de décès et de carnages. Il est difficile de travailler dans ces conditions chaque jour, mais ça l'est encore plus pour les personnes atteintes d'un TSPT qui doivent composer avec des souvenirs envahissants d'événements traumatisants liés au travail, des rêves provoquant un sentiment de détresse ou des cauchemars, des troubles du sommeil et de l'hyperéveil. Et c'est encore plus difficile quand vos collègues et vos supérieurs vous disent de « prendre sur vous » et de tourner la page.
    Il est important de créer un milieu de travail positif pour les premiers répondants, un milieu qui accorde la priorité à la santé mentale, qui lutte contre la stigmatisation et qui donne de la psychoéducation sur le TSPT. De telles mesures empêcheront que le TSPT s'aggrave et peut-être même que des personnes se suicident, favoriseront un rétablissement rapide et aideront à réussir le retour au travail ou à assurer le maintien au travail. Parmi les mesures qui peuvent être appliquées pour créer un milieu de travail positif, on retrouve l'adoption des normes de la Commission de la santé mentale visant à assurer la sécurité psychologique dans le milieu de travail ou l'élaboration d'une stratégie de santé mentale pour les employés qui comprend de la formation et de la psychoéducation sur les symptômes et les défis du TSPT.
(1210)
    J'ai un exemple de cas pour vous. Une femme âgée de 48 ans a travaillé comme policière pendant près de 21 ans. Elle a souffert de symptômes de TSPT non diagnostiqué pendant les cinq premières années de sa carrière. Elle a continué de travailler malgré ces symptômes, vivant un événement traumatisant après l'autre jusqu'à ce qu’une dernière goutte d'eau fasse déborder le vase. Elle a vécu un événement traumatisant qu'elle ne pouvait plus mettre derrière elle et elle a cessé de travailler. Elle a consulté son médecin de famille qui lui a prescrit des médicaments pour traiter son TSPT et elle a reçu un diagnostic officiel de TSPT.
    En quelques mois, sa demande a été acceptée par la CSPAAT et elle a été référée à un psychologue de sa région. Un an plus tard, elle a repris le travail à temps plein, mais avec des tâches modifiées. Elle a été affectée à des tâches administratives et elle ne pouvait pas travailler sur la route en première ligne pendant au moins deux ans. Elle a eu de la difficulté à retourner au travail, car ses collègues l'agaçaient et lui jouaient constamment des tours. Ses supérieurs se sont moqués d'elle et on l'accusait de se dérober à son devoir. Ses collègues l'inondaient de la quasi-totalité de la paperasserie et lui disaient que c'était son nouveau travail. Ce fut une période très difficile pour elle, car elle ne disposait pas du soutien dont elle avait besoin pour se rétablir et continuer à travailler. Elle consultait un psychologue et s'était rétablie avant de revenir au travail, mais elle a vécu une rechute. Elle était démoralisée et ses symptômes se sont détériorés en raison du manque de soutien au travail.
    Ma troisième recommandation est que tous les premiers répondants aient accès à un traitement factuel pour le TSPT. Il est non seulement important que les premiers répondants souffrant d'un TSPT puissent avoir accès à du soutien et à des traitements, mais aussi qu'ils puissent avoir accès au bon traitement qui leur permettra de se rétablir.
    Le traitement factuel du TSPT comprend la thérapie cognitivo-comportementale. Un premier type de thérapie, appelée « exposition prolongée », met en jeu l'exposition en imagination ou le traitement de l'événement traumatisant afin d'aider à réduire l'intensité et la fréquence des pensées envahissantes, des flashbacks et des rêves provoquant un sentiment de détresse.
    Un autre type de thérapie cognitivo-comportementale est l'exposition in vivo ou réelle. Pour ce type de traitement, le thérapeute aide le client à établir une échelle ou une hiérarchie des situations traumatisantes que le client évite tout en évaluant le niveau de détresse de chaque situation et en travaillant à réduire ce niveau de détresse au fil du temps.
    Quand un premier répondant qui a reçu un diagnostic de TSPT peut avoir accès à ces traitements, ses chances de réussir son retour au travail et de revenir à une vie productive sont bonnes.
    Une étude américaine sur la thérapie cognitivo-comportementale et les résultats à long terme pour le TSPT a indiqué que les patients ayant suivi une thérapie cognitivo-comportementale ont remarqué une réduction de l’intensité de leurs symptômes et, surtout, de leurs symptômes d’évitement plus marqués que ceux qui ont reçu du counseling par encouragement.
    J'ai un autre exemple de cas. Un homme âgé de 40 ans travaille comme policier depuis près de huit ans. Il souffre d'un TSPT non diagnostiqué depuis un événement traumatisant où lui et sa famille ont été menacés par un suspect qu'il venait d’arrêter. La menace et le harcèlement présumé de ce suspect ont duré plusieurs mois avant que de nombreux symptômes de TSPT commencent à se manifester. Finalement, après une année complète de consultations avec un médecin de famille, un diagnostic de TSPT a été posé et des médicaments ont été prescrits pour en atténuer les symptômes. Après quelques mois, sa demande à la CSPAAT a été approuvée, il a été retiré du travail et on me l'a référé pour une évaluation et un traitement psychologiques. J'utilise la thérapie cognitivo-comportementale avec ce client en plus de certaines techniques de gestion de la colère et d'apprentissage social afin de diminuer sa très grande irritabilité qui était un problème important pour lui. Après près d'un an de traitements, il était prêt à commencer son processus de retour au travail. Il a effectué un retour progressif au travail dans de nouvelles fonctions avant de reprendre son ancien poste de policier à temps plein.
    Depuis son retour à temps plein, sa qualité de vie s'est améliorée. Il a maintenant une meilleure relation avec sa famille et il socialise à nouveau avec ses amis. Sa colère est contrôlée et il est entièrement fonctionnel au travail, s'occupant même de certains problèmes liés à la stigmatisation dans son milieu de travail. Il reçoit des éloges de ses supérieurs pour son travail. Cet homme m'a dit que la thérapie cognitivo-comportementale que j'ai utilisée lui a sauvé la vie et qu'il m'était très reconnaissant de lui avoir permis de reprendre sa vie avec sa famille et ses amis ainsi que son travail dont il est très fier et dans lequel il est très bon.
(1215)
    Mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie à nouveau de m’avoir donné l’occasion de vous parler aujourd’hui. Nous sommes reconnaissants de votre travail visant à élaborer un cadre ou un plan d’action national pour les premiers intervenants souffrant du SSPT. J’espère que les renseignements et les recommandations que je vous ai donnés vous aideront dans les prochaines étapes de votre travail.
    C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
    Merci beaucoup.
    Nous vous prions de ne pas nous quitter, car nous aurons des questions pour vous bientôt.
    Je donne maintenant la parole à Mme Andersen.
    Je suis ici pour parler des interventions fondées sur des données probantes visant à prévenir le SSPT et les BSO chez les premiers intervenants. Mes antécédents comprennent plus de 10 ans de travail effectué auprès des premiers intervenants, des anciens combattants et des policiers, tant à titre de chercheuse scientifique dans deux hôpitaux américains pour anciens combattants que, plus récemment, comme universitaire attachée à l’Université de Toronto. Mes recherches visent les coûts en santé et en rendement résultant du stress grave et chronique vécu par les premiers intervenants exposés à des événements traumatisants. Je présenterai des affirmations clés, puis je formulerai des recommandations.
    Premièrement, les blessures de stress opérationnel et le syndrome de stress post-traumatique sont associés à de lourds coûts en soins de santé, à des maladies physiques et à une mortalité précoce. Mes collègues et moi avons démontré que les policiers courent deux ou trois fois plus de risques d’être atteints de maladies chroniques, comme les maladies cardiovasculaires, le diabète et même le cancer, comparativement à la population générale. Selon les données du département des Anciens combattants des États-Unis, le coût des soins de santé pour le traitement d’un premier intervenant souffrant du SSPT s’élève à presque cinq fois le coût du traitement d’un premier intervenant n’en souffrant pas, en raison des frais associés au traitement des maladies physiques et mentales concomitantes.
    Deuxièmement, la recherche montre clairement que les premiers intervenants courent davantage de risques de voir se déclarer des BSO ou le SSPT après avoir vécu des événements graves très stressants les ayant exposés à une situation traumatisante, comme un enfant victime d’abus graves, ou après avoir été obligés d’avoir recours à la force mortelle. Pourtant, durant leur formation sur le recours à la force, les premiers intervenants n'apprennent pas adéquatement à gérer les réactions de stress psychologiques ou biologiques graves susceptibles de causer des BSO ou le SSPT.
    Mes collègues et moi l'avons constaté nous-mêmes. Nous avons rassemblé des milliers d’heures de données d’ordre psychologique et biologique auprès de premiers intervenants, tant durant leur formation que lors de situations urgentes survenues pendant qu’ils étaient en service actif. Nous avons recueilli des données sur des facteurs comme la fréquence cardiaque, la respiration, les mouvements du corps, la distorsion sensorielle, les réactions de peur et les hormones de stress. Nos recherches montrent que les réactions extrêmes de stress ont en réalité un effet négatif sur le rendement des premiers intervenants, ce qui augmente le risque qu’ils ne se servent pas de leurs techniques de désescalade durant une situation qui exige le recours à la force mortelle et qu’ils commettent une erreur. Les situations de ce genre sont directement reliées à l’apparition des BSO ou du SSPT.
    Troisièmement, des interventions en résilience scientifiquement validées visant le stress associé aux situations graves et au recours à la force sont essentielles à la prévention des BSO et du SSPT. Seules des méthodes fondées en science permettent d’évaluer l’efficacité d’une intervention quant à l’atteinte du résultat voulu et de justifier l’investissement financier dans cette intervention.
    Le Canada se trouve à une étape cruciale du processus de choisir la meilleure façon de lutter contre les BSO et le SSPT chez les premiers intervenants. Le Comité envisagera les interventions disponibles et proposées nécessitant un budget de formation limité. Il est donc essentiel que nous précisions ce que nous considérons comme une intervention en résilience fondée sur des données probantes. Des programmes à grande échelle de renforcement de la résilience, initialement créés pour les militaires, sont maintenant appliqués à des organisations policières. Le programme En route vers la préparation mentale en est un exemple. Or, aucune étude fondée sur des données probantes et aucun essai clinique randomisé ne montrent que ces programmes préviennent réellement les BSO et le SSPT chez les premiers intervenants.
    Un des problèmes, comme les recherches l’ont montré, c’est que les apprentissages faits en classe ne sont pas facilement transférables lorsqu’il est question d’habiletés motrices comme celles enseignées dans les cours sur le recours à la force. Il peut donc être trompeur de supposer que les programmes de résilience donnés en classe influenceraient le recours à la force et les comportements dans des situations réelles. De fait, les données biologiques objectives montrent que si nous voulons réduire la physiologie du stress mésadaptée associée aux BSO et au SSPT, nous devons intervenir directement dans la formation sur les situations graves très stressantes, y compris la formation sur le recours à la force.
    Il n’y a au monde que très peu de chercheurs qui travaillent à l’élaboration de programmes de prévention des BSO et du SSPT fondés sur des données probantes — c’est-à-dire des données obtenues au moyen d’essais cliniques randomisés. Je sais qu’il en existe un groupe aux États-Unis. À ma connaissance, notre équipe est une des seules au Canada qui se livre à ce type de travaux. Je vais vous présenter les bases de notre programme.
(1220)
    Premièrement, notre méthode scientifique, fondée sur toutes les données objectives que nous avons recueillies, montre que la formation sur le recours à la force et les techniques de désescalade devrait être donnée par des instructeurs en recours à la force, et non en classe par des professionnels de la santé ou autres. Les policiers qui travaillent dans ce milieu très dur sont plus réceptifs lorsque la formation est donnée par des instructeurs en recours à la force. Les sujets abordés devraient aider les policiers à envisager la gamme complète de leurs choix, y compris la désescalade verbale et l’application de techniques moins mortelles de recours à la force, de façon à éviter que les rencontres s’intensifient inutilement, ce qui peut mener à des BSO et au SSPT.
    Deuxièmement, nous mettons en œuvre des stratégies qui maximisent la façon d’acquérir des apprentissages nouveaux et de les conserver. Ce point est essentiel parce que dans des situations très stressantes, les réactions naissent des réflexes les plus automatiques et les plus instinctifs. L’application de techniques de contrôle physiologique dans des situations graves peut supplanter les réactions naturelles qui empêchent un policier d’envisager la gamme complète de méthodes appropriées de recours à la force et de désescalade.
    Troisièmement, la formation devrait être personnalisée et adaptée à chaque policier. Dans le cadre de notre programme, les appareils que les policiers utilisent sont dotés de nouvelles technologies. Ces appareils peuvent analyser les mesures du système nerveux sensoriel du policier pendant le déroulement de scénarios hautement réalistes de formation policière — des situations comme des prises d'otages, des fusillades dans les écoles et des interventions auprès de personnes en détresse. C'est très important qu'ils soient exposés, durant leur formation, à des scénarios très réalistes de ce genre.
    Quand les policiers reçoivent de l'information sur leur propre corps et leurs réactions de stress, les instructeurs experts chargés de la formation sur le recours à la force peuvent créer une instruction individualisée afin de permettre aux policiers d'apprendre les facteurs qui déclenchent des réactions chez eux et les méthodes pour supplanter ces réactions dans des situations de recours à la force. À l’heure actuelle, la formation des premiers intervenants est générale; la même formule est appliquée à tous. De toute évidence, la formation que suivent certains policiers ne répond pas à leurs besoins. Nous l'avons constaté même au sein des équipes tactiques fédérales les plus spécialisées. La formation personnalisée leur a aussi été utile. Les agents couraient moins le risque de tirer sur la mauvaise personne, comme une personne tenant un cellulaire plutôt qu'une arme. Ce sont ces situations qui causent les BSO et le SSPT.
    Nous avons des recommandations basées sur ces données. Premièrement, il faut davantage de soutien pour la recherche et l’intervention scientifiques fondées sur des données probantes. Il faut allouer plus de financement juste-à-temps aux chercheurs. Les cycles de financement actuels, qui prennent huit ou neuf mois, sont trop longs. Nous ratons des occasions de travailler avec des organisations qui tentent de répondre à la demande de la population d’augmenter la formation policière et qui finissent par adopter des programmes de formation non fondés sur des preuves. Nous ne disposons pas des fonds nécessaires pour leur offrir des programmes fondés sur des données probantes.
    Deuxièmement, nous devons élaborer des normes minimales d’évaluation du rendement des programmes de formation policière au chapitre de la qualité et des résultats obtenus par les policiers et par le public qu’ils servent. Je le répète, il existe des programmes, mais ils ne reposent pas sur des données probantes. Il faut établir des normes de qualité des programmes. Les données probantes, les études scientifiques, les essais cliniques randomisés et les données d’études pilotes sont essentiels. De plus, il faut financer le suivi longitudinal à grande échelle pour comprendre à quelle fréquence et avec quelle intensité nous devons former les policiers pour prévenir les BSO et le SSPT. La société fait peser des menaces toujours changeantes sur la sécurité et le bien-être des policiers. Nous devons tirer profit des appareils technologiques les plus récents et de la neurobiologie de l'apprentissage pour satisfaire les besoins changeants de la société.
    Troisièmement, il faut établir un centre d’excellence pour la formation policière fondée sur des données probantes. Fait surprenant, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de centre d’excellence mondial en formation policière. En établissant un centre national, le Canada pourra jouer un rôle de premier plan, sur la scène internationale, dans l’élaboration d’une formation policière de la plus haute qualité en recours à la force et en gestion du stress dans le cadre de situations graves. Le Canada pourra créer et exporter de nouveaux programmes de formation policière, ce qui profitera encore davantage au domaine policier à l’échelle internationale et renforcera la réputation et la bonne volonté du Canada.
    Enfin, nous devons exiger la certification des instructeurs de la police et des installations de formation en fonction de normes et pratiques exemplaires de haute qualité.
(1225)
    Nous recommandons que les instructeurs de la police soient tenus de renouveler leur certification régulièrement et de maintenir un degré élevé de connaissances actuelles au moyen de programmes de formation continue, ce qui est très comparable à ce que l’on exige des professionnels de la santé et des médecins. En outre, il est avantageux sur le plan financier d’intervenir contre les BSO et le SSPT. Même s’il n’était pas aussi exhaustif que le nôtre, un programme américain a permis de réduire de 14 % les coûts annuels de soins de santé chez les premiers intervenants. Vous pouvez donc imaginer que si la somme est de plus de 1 000 $ par année par employé, dans une organisation de 500 policiers, cela représenterait une économie de plus d’un demi-million de dollars qu’on pourrait investir dans la formation.
    Merci.
(1230)
    Merci beaucoup, madame Andersen.
    Mme Damoff lancera la série de questions de sept minutes. Je devrais vous avertir que nous allons devoir terminer environ trois minutes avant 13 heures, je crois, car le Comité doit approuver un budget.
    Merci beaucoup.
    Madame Andersen, vous avez beaucoup parlé de la formation policière.
    Avez-vous mené des recherches auprès d'autres premiers intervenants, en particulier les agents correctionnels? Vous avez dit qu'il fallait traiter les anciens combattants et les premiers intervenants différemment. Faut-il aussi traiter les agents correctionnels différemment?
    Pour préciser, il y a une différence entre la formation préventive, c'est-à-dire celle faite avant que quelqu'un soit atteint d'une BSO ou du SSPT, et la formation post-thérapeutique. Je sais que Mme Ferguson peut vous parler de « l'avant » et de « l'après ». Puisque nous étudions la biologie des réactions de stress et que nous intervenons sur ce plan, je présume que tous ont une physiologie semblable. J'ai travaillé aux États-Unis avec des anciens combattants atteints du SSPT, qui présentent un risque élevé de souffrir de troubles de santé physique, mais je n'ai pas fait d'interventions visant la prévention avec eux. J'ai effectué des interventions auprès de policiers, de forces spéciales, d'équipes tactiques, de recrues et de policiers de première ligne.
    On nous a parlé précédemment de l'utilisation de ressources en ligne pour le traitement. Y a-t-il des possiblilités semblables d'avoir recours à des ressources en ligne pour favoriser la prévention?
    Encore une fois, je conseille au Comité de se méfier, car aucune donnée probante n'appuie ces méthodes. La formation en ligne et par PowerPoint peut sensibiliser les gens au SSPT et aux BSO, mais la neurologie de l'apprentissage montre que pour établir un lien entre la pensée rationnelle — la façon dont on devrait faire quelque chose ou ce qu'on sait qu'on devrait faire — et les mouvements à effectuer dans des situations très stressantes, il faut les pratiquer ensemble, de manière active. Je le répète, dans des situations graves très stressantes, les réactions automatiques de combat ou de fuite prennent le dessus. Ainsi, si vous ne vous êtes pas pratiqué à transformer ces réactions en gestes appropriés, vous allez reprendre un comportement instinctif, ce qui vous met à risque de commettre des erreurs et vous expose aux BSO et au SSPT. Vraiment, une utilisation efficace de l'argent, du moins en ce qui touche la prévention liée au recours à la force, c'est de faire les deux choses en même temps plutôt que de rester assis et d'écouter.
    J'ai une question pour vous deux.
    Elle porte sur ce que le gouvernement fédéral appelle l'analyse comparative entre les sexes plus, ou l'ACS+. J'aimerais savoir si des études ou des travaux se sont penchés sur les différences entre les hommes et les femmes quant au traitement et à la prévention. Faut-il prendre en considération l'âge ou d'autres facteurs sociaux au lieu d'adopter un traitement universel?
    Madame Andersen, pouvez-vous répondre en premier?
    Je vais seulement parler du côté de la prévention.
    Nous avons étudié les données biologiques de policiers et de policières. Nous avons constaté que lorsqu'ils et elles se trouvent dans des situations graves réelles ou d'apprentissage, leurs réactions physiologiques, leurs hormones de stress — le cortisol et l'adrénaline —, leur fréquence cardiaque et leur respiration montent en flèche d'un côté comme de l'autre. L'intensité de ces facteurs est élevée et elle varie selon la complexité de la situation. Les deux sexes sont donc similaires sur ce plan. Je recommanderais que la formation sur le recours à la force et les interventions faites avant l'apparition d'une BSO et du SSPT soient semblables, mais je crois que les traitements postérieurs seraient peut-être différents.
    Du côté du traitement, je sais qu'il existe des études. Par exemple, je crois que Ruth Lanius a examiné certaines différences neurobiologiques dans les cerveaux des hommes et des femmes en ce qui touche leurs symptômes du SSPT. Des faits montrent que différentes parties du cerveau des hommes sont activées, tandis que les réactions cérébrales des femmes sont plus tempérées. À mon avis, pour traiter et cibler le SSPT, il faut absolument adopter une approche individualisée et non universelle. Qu'il soit question de différences entre les sexes ou même de différences individuelles entre les premiers intervenants qui entrent dans mon bureau, qu'ils soient pompiers, policiers, agents correctionnels ou ambulanciers paramédicaux, je pense qu'il faut vraiment se pencher sur leurs symptômes. Par exemple, si les symptômes d'une personne comprennent moins la tendance à revivre l'événement, comme des cauchemars, des flashbacks ou des souvenirs envahissants, mais que l'évitement et l'irritabilité accrue sont très présents, je me concentrerais sur la hiérarchie d'évitement de situations pour régler cela, ainsi que sur des techniques de gestion de la colère et d'acquisition de compétences sociales pour aider la personne à maîtriser l'irritabilité accrue.
(1235)
    Vous avez parlé du nombre et de la crise de suicides. C'est tragique. À votre avis, quels programmes sont les plus efficaces pour empêcher ces troubles de santé mentale d'atteindre la proportion d'une crise?
    Je crois que la première chose qu'il faut faire, c'est évaluer la culture du milieu de travail. Je suis convaincue que la stigmatisation en milieu de travail représente un obstacle immense pour les gens. Je pense que le manque de soutien que les premiers intervenants ressentent au travail est un grave problème. Tout commence là, avant même qu'ils admettent être atteints du SSPT ou qu'ils demandent des soins. Beaucoup de gens n'admettent pas qu'ils souffrent du SSPT, ils continuent pendant longtemps et ils pensent parfois que le suicide est la solution parce qu'ils n'ont pas d'autres recours. Ils croient que s'ils disent la vérité, ils se feront réprimander ou persécuter, et ils sont tout simplement incapables de gérer les conséquences potentielles de la révélation qu'ils sont atteints du SSPT.
    Vous parlez uniquement des TSPT. Est-ce la seule cause des suicides ou il y a aussi la dépression ou d'autres blessures de stress opérationnel? L'utilisez-vous comme terme général qui englobe les autres causes?
    C'est une bonne question. Vous savez, souvent, les gens qui sont touchés par les TSPT souffrent d'une maladie concomitante. Souvent la personne fait une dépression ou souffre de troubles anxieux, de troubles paniques ou d'autres problèmes parallèles comme l'alcoolisme ou la toxicomanie. Puisqu'un certain nombre d'autres problèmes se présentent lorsqu'une personne souffre de TSPT ou d'une BSO, nous examinons tout en même temps. Je parle des TSPT parce que c'est principalement ce que nous voyons dans notre programme, mais nous nous occupons de nombreux problèmes parallèles également. Nul doute qu'ils contribuent tous à la suicidabilité de même qu'à la détérioration des symptômes, et qu'ils nuisent au rétablissement.
    Merci.
    Monsieur O'Toole.
    Je vous remercie toutes les deux de comparaître devant nous. Je vais revenir sur le sujet qu'a abordé Mme Damoff.
     Madame Ferguson, je veux vous remercier personnellement. Lorsque j'étais ministre des Anciens Combattants, nous consultions souvent bon nombre des ressources que produit le CAMH, surtout celles qui concernent le suicide et, en fait, nous avons consulté votre organisme à quelques reprises sur la façon dont nous signalions publiquement les cas de suicide, par exemple. Votre réputation mondiale et les outils que vous fournissez sont fort appréciés.
    À ce sujet, nous sommes confrontés à des cas terribles — comme la semaine dernière — de gens qui ont l'impression que le suicide est leur seule option. Bien entendu, nous essayons tous de briser les préjugés, de sorte que ces personnes n'hésitent pas à demander de l'aide et à suivre un traitement. En ce qui concerne la couverture médiatique de ces cas, en particulier, comme nous l'avons constaté il y a quelques années pour plusieurs anciens combattants ou militaires, l'Association des psychiatres du Canada et le réseau de prévention du suicide ont des lignes directrices sur la couverture médiatique. Que recommande le CAMH quant à la façon de présenter l'information adéquatement à cet égard en indiquant qu'il existe des traitements et de manière à ne pas mettre sur un piédestal les gens qui ont des difficultés et qui en arrivent là?
     C'est une bonne question. Je fais un peu de travail dans les médias, et mon expérience personnelle m'a appris qu'ils sont très bons, tout d'abord, pour déterminer minutieusement ce que nous devrions faire et ce que nous ne devrions pas faire concernant les entrevues, comme ne pas faire une entrevue qui pourrait amener des gens à glorifier cela et qui ne place pas les choses dans une juste perspective. Je sais qu'ils sont très bons à cet égard.
     Par ailleurs, lorsque nous nous préparons pour ces entrevues avec les médias, nous réfléchissons bien à la façon dont nous voulons faire mieux connaître le sujet et informer les gens sur les TSPT ou les troubles mentaux et les suicides. Évidemment, nous ne connaissons pas les cas particuliers. Nous devons vraiment être prudents à cet égard. Nous ne faisons qu'expliquer en partie le lien entre les troubles mentaux et les suicides. Nous parlons également des améliorations qu'il est possible d'apporter et de la prévention, et nous nous concentrons vraiment sur le traitement factuel pour les gens qui ont vraiment besoin d'aide pour accéder à des soins adéquats.
(1240)
    Oui, je suis toujours inquiet quand je lis des choses à ce sujet. Il est important de ne pas dissimuler les statistiques, par exemple, mais parfois, on ne fournit pas de renseignements sur les options de traitements, comme celles offertes par le Réseau de transition des vétérans et certains programmes que vous administrez. Les reportages ne traitent que de la triste fin de la vie d'une personne, et non des traitements que nous aurions dû mieux faire connaître.
    Je vais peut-être céder une partie de mon temps à Mme Gallant. Au cours des prochaines minutes, j'aimerais parler d'une idée qui me posait problème à l'époque où j'étais ministre. C'est que certaines familles, premiers intervenants ou militaires, aimeraient qu'un monument soit construit en honneur des gens qui ont servi, mais qui se sont suicidés. Personnellement, j'y voyais un problème. Pour certaines familles, qui souhaitent qu'on se souvienne de leur membre, c'est une option. Ce que je craignais, et je leur ai dit, c'est que cela fasse en sorte que le nombre de familles qui sont dans la même tourmente augmente, car ériger un tel monument pourrait amener des gens à se dire que s'ils se suicident, le monument fera en sorte qu'ils ne seront jamais oubliés.
    Pourriez-vous nous donner votre point de vue?
    Vous savez, je pense que je serais déchirée moi aussi à cet égard. Je comprends que d'un côté, des gens pourraient se dire qu'ils seraient vénérés, presque, s'ils choisissaient de passer à l'acte. D'un autre côté, des premiers intervenants m'ont dit que le fait de voir qu'une personne s'est suicidée, même si on l'a mise sur un piédestal en quelque sorte, leur rappelle qu'ils ont une raison de vivre et que ce n'est pas de cette façon qu'ils veulent partir.
    À mon avis, les gens ont différents points de vue à cet égard. Je pense que nous devons être très prudents quant à la façon dont nous donnons l'information, de sorte que nous n'amenions pas des gens à penser que c'est la bonne chose à faire et que c'est ce qui se produira s'ils se suicident.
    Je suis déchirée moi aussi à cet égard, car on veut aussi honorer leur mémoire.
    Madame Andersen, votre expérience aux États-Unis pique ma curiosité. J'aurais aimé que nous ayons le temps de faire une comparaison entre la situation des hôpitaux pour anciens combattants aux États-Unis et celle de notre système de santé publique intégré.
    Vous semblez vous baser grandement sur des données probantes et sur des études randomisées contrôlées, ce que j'aime, en passant. Lors de la séance précédente, un psychiatre de Winnipeg a parlé de l'usage de la marijuana à des fins médicales et a expliqué que bien qu'il y ait beaucoup de rapports isolés sur le soulagement des symptômes, par exemple, pratiquement aucun guide clinique ne préconise le recours à la marijuana pour traiter les TSPT. En fait, il y a lieu de croire que cela peut nuire aux gens qui souffrent de TSPT.
     Avez-vous examiné cela? Pouvez-vous nous donner votre avis?
     En fait, une des conseillères avec laquelle j'ai collaboré dans l'un des hôpitaux pour anciens combattants menait une étude sur la toxicomanie et les TSPT. En bref, dans le cadre de son étude — il ne s'agit pas de la mienne —, elle a constaté que parfois, l'utilisation d'un produit comme celui-là, ou d'alcool, peut soulager les symptômes sur le coup, mais des problèmes d'anxiété peuvent réapparaître. C'est tout ce que je dirai à ce sujet.
    Dans le cadre de toute intervention, je crois vraiment en la collecte de données biologiques objectives. Si nous voulons savoir si la marijuana traite les symptômes, nous ne pouvons pas nous baser uniquement sur des auto-évaluations. Pour la collecte de données, j'ai toujours demandé aux policiers de s'auto-évaluer: leur niveau de stress, leur confiance par rapport à la situation, et leurs résultats. Souvent les auto-évaluations donnaient des résultats inverses à ce que j'observais sur le plan physique et par rapport à leurs erreurs.
     C'est la même chose dans le cas d'un programme comme En route vers la préparation mentale. Je sais qu'il y a eu des enquêtes, par auto-évaluation, sur la mesure dans laquelle le transfert concernant l'utilisation de la force est bénéfique, mais ce qui m'inquiète, c'est que les gens disent ces choses parce qu'ils veulent bien paraître dans l'organisation. Lorsque j'ai parlé aux premiers intervenants, dont certains ont une attitude très machiste, j'ai constaté que la réalité ne correspond pas toujours à ce qu'indique l'enquête.
(1245)
    Merci.
    Monsieur Dubé.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Mesdames, j'ai une question qui s'adresse à vous deux.
    On a beaucoup parlé des données disponibles. J'aimerais savoir s'il y a beaucoup de lacunes à cet égard. J'ai en fait posé la même question au témoin précédent. On constate qu'il y a une différence entre les données disponibles sur les anciens combattants et celles sur les premiers répondants ou les agents correctionnels et qu'il y a des lacunes à cet égard.
    Êtes-vous d'accord à ce sujet? Quels sont vos constats à propos de ces questions? Je vous laisse toutes les deux répondre à la question.

[Traduction]

    Je crois que ces lacunes sont attribuables au fait qu'on a mené très peu de recherches, et nous n'avons donc pas l'information nécessaire. Si on investissait davantage dans la recherche, plusieurs chercheurs seraient heureux de commencer à recueillir des données objectives dans ces différents domaines, afin que nous puissions cerner leurs différences.
    Encore une fois, si vous parlez de physiologie du stress, à la fois en ce qui concerne les traitements et la prévention, on peut déceler des tendances biologiques similaires pour chaque personne, mais je crois qu'il est essentiel de pratiquer une intervention personnalisée et ciblée qui se fonde sur les symptômes présentés par chaque personne, comme l'a dit Mme Ferguson. Nous devons mener davantage de recherches.
    Madame Ferguson.
    Je conviens également qu'il y a toujours des lacunes et que nous devons mener davantage de recherches. Lorsque j'ai consulté les recherches axées sur les traitements et celles sur les résultats obtenus à la suite de traitements fondés sur des faits probants, par exemple, elles indiquaient en grande partie que d'autres recherches étaient nécessaires, et que nous devons vraiment mener davantage de recherches axées sur les premiers intervenants et les anciens combattants. Je crois qu'il s'agit d'un enjeu récurrent et qu'il faut mener des recherches continues dans ce domaine.
    J'aimerais maintenant aborder la question de la culture — elle a été soulevée à quelques reprises —, c'est-à-dire la culture qui nuit aux discussions sur la stigmatisation, etc. Encore une fois, j'aimerais entendre l'avis des deux témoins.
    Je me méfie toujours des comparaisons, car elles peuvent être trompeuses, et cela peut sembler un peu ridicule, mais je pense au hockey et à la façon dont, à un moment donné, on force les joueurs à suivre un certain processus lorsqu'il y a un risque de concussion. Est-ce le type de mesure que nous devrions explorer dans les cas où on croit qu'une personne pourrait souffrir d'un TSPT? Devrions-nous imposer un processus pour veiller à ce que les gens ne retournent pas au travail s'ils présentent des symptômes de TSPT?
    Je dirai seulement qu'en ce qui concerne la prévention, la terminologie est très importante. J'ai une formation en psychologie et lorsque j'ai commencé à travailler avec les premiers intervenants et les policiers, j'utilisais des mots comme « mental », « relaxation », etc. Les participants réagissaient de façon visiblement négative et ils n'acceptaient pas ces notions. Ils se disaient que c'était du yoga ou quelque chose de ce genre.
    J'ai commencé à utiliser des mots comme « tactique » et « lié au combat » — des mots plus machos —, et ils acceptent maintenant les principes que nous enseignons. Nous devons faire attention aux mots que nous utilisons et à la façon dont nous expliquons les notions. Je ne crois pas que forcer une personne... Eh bien, je vais laisser Mme Ferguson répondre à cette question.
    Je suis d'accord. Je fais la même chose avec mes clients. Je pense également que nous devons vraiment aider les gens et favoriser la création d'un milieu dans lequel ils se sentent libres de parler de leurs émotions et de leur expérience.
    Malheureusement, nous vivons depuis trop longtemps dans un monde où les gens qui souffrent de ces symptômes craignent réellement d'en parler dans leur milieu de travail, car ils ont peur des conséquences. En effet, ils craignent que leurs partenaires, leurs supérieurs ou leurs collègues refusent de travailler avec eux sous prétexte qu'ils sont pratiquement malades.
    C'est la partie qui m'inquiète réellement. Encore une fois, c'est ce que me disent le plus souvent les premiers intervenants que j'évalue et que je traite régulièrement.
    Je conviens que nous pourrions améliorer la terminologie. Nous pourrions utiliser leurs termes. J'ai toujours l'impression qu'il faut parler aux gens dans la langue qu'ils comprennent, et si cela fonctionne pour eux, il faut absolument utiliser cette technique. Je crois aussi qu'il faut créer une culture qui favorise les discussions et les mesures liées aux maladies mentales, aux symptômes, à la guérison et au retour au travail.
(1250)
    J'ai une question de suivi, et encore une fois, elle s'adresse aux deux témoins. La terminologie est une chose, mais lorsque vous commencez à parler de terminologie, c'est parce qu'une conversation est déjà en cours. Je présume que c'est ce qui me préoccupe au sujet de ce que j'entends. Ma question initiale concernait les personnes qui ne font même pas partie de cette conversation.
    C'est une chose de parler du type de mots qui doit être utilisé, mais comment encourageons-nous ces personnes à demander de l'aide, afin d'en arriver au point où il est temps de nous préoccuper de la terminologie utilisée?
    Je crois vraiment que si nous intégrons ces notions à la formation sur le recours à la force et que nous utilisons ces mots lorsque l'éveil physiologique atteint un certain niveau, ce sont les mêmes symptômes — la surstimulation physiologique, etc. — qui se manifestent dans un cas de TSPT. Si nous pouvons faire en sorte que ces gens soient à l'aise de parler de ces notions dans leur milieu le plus macho, c'est-à-dire pendant la formation sur le recours à la force, nous pouvons ensuite trouver des façons de transférer ces comportements pour qu'ils demandent de l'aide à leurs pairs, etc. Malheureusement, j'ai un exemple de cas. Je travaille avec un grand service policier des États-Unis dont les agents viennent tout juste de suivre la formation « En route vers la préparation mentale » qui vise directement la stigmatisation. Les officiers formés pour le recours à la force m'ont dit qu'ils connaissaient une personne dans leur service qui souffrait et que personne ne disait rien à cet égard. Je leur ai dit qu'ils venaient de recevoir la formation « En route vers la préparation mentale », et qu'ils étaient donc prêts à agir en conséquence. Toutefois, ils ont répondu qu'ils ne diront rien et qu'ils n'aideront pas cette personne. Ce problème n'a donc pas été résolu.
    Je crois que même dans le cadre des stratégies en matière de santé mentale pour les employés dans lesquelles on évalue tout d'abord la culture pour tenter ensuite d'offrir des activités de sensibilisation, tenter de pousser les gens à réfléchir à la question et à en discuter représente un très bon début. Encore une fois, il ne faut rien imposer ou forcer, mais il faut vraiment créer une culture dans laquelle les gens sont au moins à l'aise de parler du sujet.
    Merci beaucoup.

[Français]

     Monsieur Di Iorio, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Pizarro Andersen, madame Ferguson, je vous remercie de nous offrir votre précieuse collaboration.
    Madame Pizarro Andersen, mes questions vont d'abord s'adresser à vous simplement parce que vous êtes ici parmi nous, mais si vous croyez que Mme Ferguson peut compléter vos réponses, je vous demanderais de l'inviter à le faire.
    Vous savez sans doute que les tests de psychométrie sont maintenant utilisés abondamment pour la sélection du personnel, qu'il s'agisse d'équipes sportives, d'emplois ou de postes variés.
    Savez-vous si des tests de psychométrie sont utilisés pour identifier les personnes qui sont les plus à risque?

[Traduction]

    Eh bien, je ne peux pas vous nommer un test de psychométrie particulier qui permettrait de repérer les personnes les plus à risque. Nous sommes en mesure de repérer des trajectoires biologiques qui présentent un risque. Certains des officiers que j'ai testés manifestaient un stress extrêmement élevé pendant toute la durée de leur journée de travail, ce qui présente un risque extrêmement élevé non seulement pour leur santé, mais également en ce qui concerne le développement d'un TSO ou d'un TPST.
    La question de l'utilisation des dispositifs de dépistage biologique lors du recrutement des employés fait évidemment l'objet d'un débat, car on ne peut pas refuser un emploi à une personne en raison de son rythme cardiaque très élevé ou pour une autre raison semblable sans soulever des préoccupations éthiques. Je crois que si on s'abstenait de le faire au moment du recrutement, on pourrait le faire au début de l'entraînement. On pourrait tenter de personnaliser les interventions en fonction des caractéristiques physiologiques. Si ce n'était pas possible, on pourrait alors recommander que la personne choisisse un emploi différent, peut-être au sein du service policier, mais pas dans le service de première ligne.

[Français]

    Dans un autre ordre d'idées, j'aimerais souligner que les autorités provinciales ont adopté, il y a presque 100 ans, des schémas de responsabilité sans faute pour l'indemnisation des accidents de travail. En outre, il y a une quarantaine d'années, les maladies professionnelles ont été reconnues. On ne parlait pas seulement de causes physiologiques mais également de causes psychologiques, ce qui a permis l'indemnisation des travailleurs souffrant de ces maladies et de lésions professionnelles. Par exemple, on a reconnu le cas de victimes de harcèlement sexuel au travail.
    J'aimerais savoir pourquoi, selon vous, le trouble de stress post-traumatique est maintenant un sujet d'actualité. Est-ce dû à des événements qui ont eu lieu au cours des dernières années?
    Il y a 10, 20 ou 30 ans, on a entrepris ces démarches et identifié d'autres maladies professionnelles. Pourquoi est-ce précisément maintenant qu'on parle autant du trouble de stress post-traumatique?
(1255)

[Traduction]

    J'aimerais seulement ajouter — et je crois que Mme Ferguson peut le confirmer — qu'à mon avis, l’intensification de l’activité médiatique, qui a provoqué des discussions, au sein de la population, sur les fusillades et l'utilisation de la force par les policiers, ainsi que sur la notion de la brutalité policière, a mis la santé mentale des policiers au centre des préoccupations. Je sais que les médias ont joué un rôle à cet égard.
     Oui, je suis d'accord. Je crois aussi que l'occurrence de suicides a grandement suscité l'attention du public, alors on s'intéresse de plus en plus à la question et les gens y sont plus sensibles.
     Beaucoup de premiers intervenants sont aux prises avec des problèmes d'assurance et d'assurance invalidité, et c'est une des raisons qui a mené à l'adoption de cette loi en Ontario. On tente simplement de voir comment mieux comprendre la problématique, comment la résoudre, et comment aborder la question du traitement, du rétablissement et des soins.
    Je pense que cela existe depuis de nombreuses années. Le STPT a été appelé de bien des façons, dont « traumatisme dû au bombardement ». Au fil des ans, les termes ont évolué, mais les symptômes sont demeurés les mêmes. Seulement, aujourd'hui, le regard qu'on pose sur eux est différent et, pour diverses raisons, nous y portons beaucoup plus attention.

[Français]

     Monsieur le président, si vous me le permettez, je vais poser une autre question?
    Madame Pizarro Andersen, vous avez parlé de situations qui peuvent être évitées. Pouvez-vous nous indiquer brièvement ce que peuvent faire les employeurs, les syndicats et les employés pour diminuer l'occurrence de ce trouble?

[Traduction]

    Encore là, il est crucial que les agents disposent de tous les outils nécessaires. Nous ne pouvons évidemment pas réduire le nombre d'appels qu'ils reçoivent, et ils sont confrontés à des situations qui nous feraient probablement prendre nos jambes à notre cou. Cela fait tout simplement partie de leur travail.
    Il est primordial pour les syndicats de soutenir des interventions fondées sur des données probantes en matière de prévention. Ils doivent veiller à ce que leurs employés bénéficient d'une formation étendue sur le recours à la force qui soit adaptée à chaque agent, de façon à ce qu'ils puissent maintenir une santé mentale et physique optimale et intervenir le plus calmement possible, sans autant que possible envenimer la situation. Cela permettrait de réduire d'emblée les probabilités de souffrir d'une blessure de stress opérationnel et d'un syndrome de stress post-traumatique.
    Les organisations doivent investir dans ce genre de formation. On dépense pour la formation, mais bien souvent, la formation offerte sur le recours à la force ne satisfait qu'aux normes minimales, soit d'une journée par année. Bill Lewinski, un chercheur américain qui travaille dans ce domaine, a affirmé que les athlètes universitaires recevaient une formation plus complète en quatre ans que celle que reçoivent les agents de police en 40 ans pour leur travail.
    Merci. J'ai bien peur que nous devions nous arrêter ici.
    Merci beaucoup, mesdames Ferguson et Anderson. À vous entendre, on comprend que ce n'est pas seulement un travail pour vous, mais une vocation. Nous vous sommes très reconnaissants pour ce que vous faites. Merci pour vos recherches, votre pratique clinique et pour votre témoignage.
    Cela devrait nous prendre une minute ou deux, chers collègues. Souhaitons que nous pourrons nous en tenir à la formule habituelle.
     Nous avons un budget pour l'étude en cours. C'est une demande de budget de projet. Cela concorde avec nos prévisions totales pour l'année, et il n'y a rien d'inhabituel. Le budget ne prévoit pas de frais de déplacement. Je veux simplement savoir si vous avez des questions à ce sujet. Autrement, je suis prêt à recevoir une motion pour mettre aux voix ce budget, qui s'élève à 38 700 $, tel quel.
    M. Matthew Dubé: J'en fais la proposition.
    Le président: M. Dubé en fait la proposition. Avez-vous des questions ou des commentaires? Nous pourrons toujours y revenir à mesure que progressera l'étude.
    Tous ceux qui sont pour?
    (La motion est adoptée.)
    Le président: Monsieur Dubé.
(1300)
    Je vais mettre mon chapeau de leader du NPD à la Chambre et vous demander ce qu'il en est pour jeudi. Nous allons probablement fonctionner à la manière d'un vendredi, alors peut-être que vous pourriez nous indiquer ce qui nous attend pour les deux ou trois prochaines séances.
    Je me tourne vers le greffier, car je n'ai pas été mis au courant. Pour le moment, la séance de jeudi est prévue pour 11 heures, et nous aurons une heure à consacrer à l'étude, et une heure pour entendre les témoins. Il n'y aura que deux témoins. La séance du Comité se terminerait à midi, puis le sous-comité se réunirait de midi à 13 heures pour planifier les prochaines étapes et examiner la liste de témoins potentiels. Est-ce que cela pourrait changer si on devait fonctionner à la manière d'un vendredi?
    Une voix: La période de questions est à 11 heures.
    Le président: La période de questions est à 11 heures les vendredis. Alors, bien sûr, notre calendrier va changer. On se croirait dans Alice au pays des merveilles. Si jeudi reste un jeudi, nous allons nous réunir à 11 heures pour une heure, puis le sous-comité va aussi se réunir pour une heure. Si jeudi est traité comme un vendredi, la réunion du Comité n'aura pas lieu, je présume. C'est clair?
    M. Matthew Dubé: Merci.
    Le président: Très bien. Le greffier va nous tenir au courant.
    Merci. La séance est levée.
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