SECU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la sécurité publique et nationale
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 4 octobre 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Je déclare la 27e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale ouverte.
Bienvenue à nos témoins. Merci d’être là pour aider le Comité dans son travail.
Nous en sommes encore à définir les limites de l’étude sur le cadre de sécurité nationale du Canada et nous voulons savoir comment les Canadiens envisagent le besoin d’équilibre entre les préoccupations en matière de sécurité nationale et le respect des droits civils et des droits de la personne.
Voici ce que nous ferons. Nous réviserons la législation et nous émettrons des recommandations au gouvernement sur les modifications législatives nécessaires pour atteindre l’équilibre souhaité par les Canadiens. Nous nous pencherons également sur les autres enjeux qui pourraient surgir pendant les audiences.
Les audiences auront lieu à Ottawa. Elles seront alimentées par des experts, ainsi que par des organismes qui œuvrent dans le domaine. Nous tiendrons également cinq séances ailleurs au Canada.
Vous êtes les premiers témoins de cette toute nouvelle étude. Vous avez l’occasion unique et précieuse de contribuer à notre travail.
Nous débuterons par les déclarations du commissaire à la protection de la vie privée, M. Therrien, puis de M. Wark, après quoi le Comité leur posera des questions.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie les membres du Comité de m’avoir invité à comparaître devant eux aujourd’hui.
Mes commentaires porteront principalement sur le Livre vert du gouvernement qui a été publié récemment. Nous présenterons notre réponse officielle au ministère de la Sécurité publique d’ici au 1er décembre. Pour l’instant, j’aimerais vous faire part de mes commentaires préliminaires. J’espère qu'ils vous seront utiles alors que vous vous apprêtez à consulter les Canadiens dans plusieurs villes du pays.
L’objectif du Livre vert est d’engager une discussion et un débat au sujet du cadre de sécurité nationale du Canada, ce qui est plus large que la réforme apportée par le projet de loi C-51, la Loi antiterroriste de 2015. Je suis parfaitement d’accord qu’il faut revoir l’ensemble du cadre législatif, et non pas seulement les modifications apportées par le projet de loi C-51. Cependant, pour faire cet examen de façon complète, il ne faut pas seulement se concentrer sur les défis auxquels font face les organismes de sécurité nationale et d’application de la loi. Il faut aussi tenir compte des changements législatifs et autres qui ont eu une incidence sur les droits de la personne, y compris l’échange d’information à l’échelle internationale et le besoin d’adopter des règles pour prévenir une autre tragédie comme celle qu’a vécu Maher Arar.
Pour que nos lois soient bien adaptées aux réalités d’aujourd’hui, il est important de tenir compte de toutes les leçons que nous avons tirées depuis 2001, y compris des révélations d’Edward Snowden sur les activités de collecte et d’échange de renseignements du gouvernement, des autres risques connus en matière de protection de la vie privée et de droits de la personne, entre autres ceux identifiés lors de commissions d’enquête, ainsi, évidemment, que des menaces et des incidents terroristes récents.
Lors de mes déclarations publiques au sujet du projet de loi C-51, j’ai exprimé des préoccupations importantes concernant l’échange d’information à grande échelle autorisé par la nouvelle Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada. J’ai signalé que des seuils plus bas en matière de communication pourraient entraîner la communication de grandes quantités de renseignements concernant des citoyens respectueux des lois. Edward Snowden a bien démontré comment les pouvoirs de surveillance du gouvernement peuvent résulter en une surveillance de masse. Or, malheureusement, on n’aborde pas, dans le Livre vert, l’abaissement des normes juridiques relatives à l’échange d’information.
Lors du dépôt du projet de loi C-51, le gouvernement faisait valoir que la loi était nécessaire parce que certains organismes fédéraux ne disposaient pas de pouvoirs juridiques clairs en ce qui a trait à l’échange d’information sur la sécurité nationale. Le Livre vert, quant à lui, traite de la complexité de l’échange d’information, qui peut empêcher les renseignements de se rendre à la bonne institution à temps. Ces explications qui nous renvoient à la complexité de l’ancienne loi ne nous renseignent pas clairement sur ses lacunes. Il devrait être possible d’identifier les situations dans lesquelles il n’existe pas de pouvoirs juridiques pour partager l'information à des fins de sécurité nationale mais, jusqu’à maintenant, on ne l’a pas fait. J’encourage fortement le Comité à poser des questions précises à ce sujet. En énonçant plus clairement les problèmes découlant de l’ancienne loi, on pourra trouver plus facilement une solution proportionnée.
[Traduction]
Le Livre vert porte sur les difficultés rencontrées par la police qui souhaite obtenir ce qu’on appelle des renseignements de base sur les abonnés, jugés relativement inoffensifs puisqu’ils ne comprennent pas le contenu des communications. Or la recherche approfondie menée par mes collègues du commissariat et d’autres experts techniques démontre que ces renseignements concernant les abonnées, ou métadonnées, sont loin d’être anodins. Daniel Weitzner, le fondateur de l’Internet Policy Research Initiative, au MIT, considère que les métadonnées sont probablement plus révélatrices que le contenu même des communications, puisqu’il est beaucoup plus facile d’analyser les tendances dans un grand échantillon de métadonnées et de les relier avec des événements concrets que d’effectuer une analyse sémantique de tous les courriels et de toutes les conversations téléphoniques de quelqu’un.
Le GCHQ, l’organisme de renseignement sur les transmissions du Royaume-Uni, a affirmé publiquement qu'aux fins du renseignement, les métadonnées sont plus révélatrices que le contenu des communications. Si, comme on le suggère dans le Livre vert, la nouvelle législation doit tenir compte des attentes en matière de vie privée que les Canadiens ont à l'égard des métadonnées, alors les Canadiens devraient être avisés clairement des renseignements personnels que ces métadonnées peuvent révéler sur eux.
Dans le Livre vert, on présente un scénario dans lequel un policier veut obtenir des métadonnées d’un fournisseur d’accès Internet, mais qu’il n’y parvient pas parce que l’enquête en est à ses débuts et qu’on ne possède pas assez de preuves pour convaincre un juge de donner son autorisation. Nous comprenons qu’il puisse être utile d’obtenir des renseignements en début d’enquête, comme on le dit dans le Livre vert. Ce que nous ne comprenons pas bien, c’est pourquoi ni le seuil de preuve nécessaire pour obtenir l’autorisation judiciaire — sous la forme d’une ordonnance de production ou d’un mandat — ni l’exception fondée sur l’urgence articulée dans l’affaire R. c. Spencer ne peuvent être satisfaits.
Je tiens à préciser qu'une ordonnance de préservation peut être obtenue en cas de motifs raisonnables de soupçonner, un critère très facile à rencontrer. Dans ce contexte, nous pressons le Comité de demander au gouvernement d’expliquer précisément en quoi les seuils actuels ne sont pas raisonnables et comment les autorisations administratives pour obtenir des métadonnées, en lieu et place des autorisations judiciaires, protégeraient suffisamment les droits garantis par la Charte.
Le chiffrement, un autre enjeu soulevé dans le document de travail, représente un dilemme particulièrement difficile. D’une part, en tant qu’outil technologique, le chiffrement est extrêmement important, voire essentiel, pour la protection des renseignements personnels dans le monde numérique. D’autre part, du point de vue juridique, les personnes qui l’utilisent et les entreprises qui l’offrent à leurs clients sont aussi assujetties aux lois et aux mandats judiciaires pouvant exiger l’accès à des renseignements personnels légitimement nécessaires lorsque la sécurité publique est en jeu. Ultimement, la question est de savoir s’il est possible d’accorder un accès autorisé à l’État sans entraîner de vulnérabilités technologiques qui mettraient en péril la protection des renseignements personnels d’un grand nombre de citoyens. Si ce n’est pas possible, je crois qu’il est important de se demander lequel de ces deux enjeux publics majeurs devrait prévaloir. Nous devrions en avoir plus à vous dire à ce sujet d’ici le mois de décembre.
Le Livre vert énumère plusieurs mécanismes de responsabilisation, dont la surveillance ministérielle, les examens judiciaires, les examens parlementaires et les examens menés par des organes indépendants. En ce qui concerne l’examen parlementaire, j’aimerais souligner que le projet de loi C-22, qui propose la création d’un comité de parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, répond au besoin de responsabilisation démocratique et met le Canada à niveau avec les autres démocraties occidentales. Je tiens toutefois à signaler que nombre d’organismes qui ont un rôle à jouer en ce qui a trait à la sécurité publique et nationale ne sont pas assujettis à un examen d’experts indépendants. Il s’agit, à mon avis, d’une omission à laquelle il faudra remédier.
Comme je l’ai mentionné, nous déposerons une réponse écrite officielle au Livre vert dès que nous aurons analysé pleinement certaines des nouvelles propositions qu’il contient. Dans l’intervalle, je serai heureux de répondre à toutes vos questions. Je crois, par exemple, qu’il serait important de discuter du fait que la surveillance d’Internet pour prévenir la radicalisation ne devrait pas créer un climat qui donnerait l’impression aux Canadiens qu’ils ne peuvent plus jouir de leurs libertés fondamentales.
Merci beaucoup. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Bonjour monsieur le président. Bonjour à tous les membres du Comité. Je suis heureux d’avoir l’occasion de présenter mon point de vue sur le Livre vert sur la sécurité nationale et sur les consultations en ligne auprès des Canadiens.
Ma déclaration préliminaire portera sur les quatre enjeux suivants: l’importance et l’intérêt de consulter les Canadiens sur les enjeux de sécurité nationale; les propositions relatives aux procédures de consultations; le Livre vert; et certains problèmes liés au Livre vert.
Commençons avec l’importance de consulter les Canadiens. Toutes les sociétés démocratiques cherchent à parvenir à ce qu’on appelle souvent l’équilibre entre la sécurité et la protection de l’État et de ses citoyens et la protection des libertés civiles. La quête d’un tel équilibre ne peut reposer uniquement entre les mains du gouvernement. Non seulement elle nécessite un engagement démocratique, mais elle dépend ultimement de la perception de la légitimité démocratique. Le gouvernement canadien privilégie depuis trop longtemps une gestion paternaliste des enjeux de sécurité nationale, caractérisée par l’obligation des citoyens de faire preuve d’une confiance quasi aveugle, par un souci exagéré de protéger ses secrets et par la certitude de l’incapacité de la société de pleinement comprendre les problèmes de sécurité nationale, voire d’y répondre adéquatement. Bref, seul le gouvernement sait de quoi il parle.
Ce genre d’attitude est pourtant complètement dépassée et obsolète, particulièrement depuis l’apparition des nouvelles menaces à la sécurité au lendemain de la Guerre froide et l’ascension du terrorisme mondial après les attentats du 11 septembre. Il est impératif de répondre aux nouvelles attentes en ce qui a trait aux connaissances des citoyens et à leur participation aux discussions sur la sécurité nationale.
En avril 2004, lors de leur mandat précédent, les Libéraux ont présenté la toute première stratégie canadienne en matière de sécurité nationale. Ce fut un important effort d’éducation publique, qui ne s’est malheureusement plus jamais répété. Récemment, le gouvernement libéral est allé encore plus loin en décidant de mener des consultations publiques pour connaître le point de vue des Canadiens sur un équilibre efficace entre la sécurité nationale et la protection des droits, en partie en réaction au débat public et parlementaire houleux entourant l’introduction de nouvelles mesures antiterroristes dans le projet de loi C-51 par l’ancien gouvernement.
J’appuie complètement le principe des consultations publiques sur la sécurité nationale, particulièrement dans le sillage du projet de loi C-51. Je suis aussi convaincu que ces consultations peuvent avoir un impact réel, et ce, de deux façons: d’abord en améliorant la compréhension du public en ce qui concerne les menaces à la sécurité nationale et leurs réponses; ensuite en améliorant les lois et les politiques gouvernementales. Je ne partage pas le point de vue voulant que ces consultations ne soient qu’une formalité vide de sens servant uniquement à des fins politiques. Si nous décidons, comme certains l’affirment dans les médias, que ces consultations publiques et la question de sécurité nationale ne sont qu’une façon de tricoter avec la rondelle, alors notre démocratie est dans un bien mauvais état.
Le deuxième enjeu, dont je parlerai très brièvement, est la question de savoir comment maximiser l’utilité des procédures de consultation sur la sécurité publique. Une telle consultation est un événement sans précédent au Canada, et je ne connais aucun exemple du genre chez nos plus proches alliés. Il s’agit d’une expérience dont nous ne pouvons prédire les résultats. Les réponses du public pourraient dépasser les attentes du gouvernement, du moins en nombre. Le ministre de la Sécurité publique a récemment annoncé avoir déjà reçu près de 7 000 réponses, et ce, deux mois avant la fin des consultations en ligne. Le gouvernement a affirmé qu’il utiliserait ces consultations pour améliorer les lois et les politiques, sans toutefois fournir de détails sur la façon dont il comptait gérer les résultats des consultations.
J’ai deux souhaits à formuler à cet égard. Je souhaite que le gouvernement crée un comité consultatif d’experts indépendant chargé d’étudier les réponses du public, d’en faire un résumé et de présenter des recommandations. Je crois que cela est essentiel pour s’assurer que le gouvernement ait accès à des perspectives aussi précieuses que variées, en plus de l’expertise de ses fonctionnaires. Mon deuxième souhait est que le gouvernement s’engage à rédiger un livre blanc sur la sécurité nationale, une nouvelle stratégie en matière de sécurité nationale inspirée de la démarche du Livre vert. De plus, j’aimerais qu’il s’engage, dans une volonté de transparence, à faire des rapports périodiques au Parlement et à la population canadienne concernant sa stratégie en matière de sécurité publique. J’espère, évidemment, que le Comité appuiera cette proposition.
Concernant le Livre vert, comme vous le savez, les livres verts sont censés être des études pertinentes analysant un vaste éventail de possibilités ou d’options, sans prendre position quant à la politique à privilégier. Le Livre vert du gouvernement, intitulé Notre sécurité, nos droits, a été publié le 8 septembre 2016, après une longue et difficile gestation. Il en existe deux versions: la version courte, qui compte 21 pages, et la version longue, le Document de contexte, qui en compte 73. De plus, les Canadiens sont invités à consulter le rapport public sur la menace terroriste publié avant le Livre vert. Le Livre vert lui-même a été rédigé par un groupe de travail dirigé par la sous-ministre adjointe principale de la sécurité et de la cybersécurité nationale du ministère de la Sécurité publique; il est donc le résultat d’un exercice interne.
Le Livre vert se penche sur 10 sujets afin de promouvoir, comme le souligne le ministre dans son message d’introduction, « un cadre de sécurité nationale qui maintien la sécurité et respecte les droits ». J’aborderai très brièvement chacun de ces sujets.
Les deux premiers, qui concernent la responsabilisation et la prévention, répondent aux promesses de la campagne libérale. Les quatre suivants — la réduction de la menace, la communication d’information, le programme de protection des passagers et les mesures de lutte contre le terrorisme prévues au Code criminel — répondent directement aux débats entourant le projet de loi C-51.
Les deux sujets suivants concernent les procédures d’inscription à la liste des entités terroristes et le financement terroriste. Les raisons de leur présence dans le Livre vert sont un mystère pour moi, et je ne trouve pas qu’ils soient particulièrement propices au débat public. Ce sont des sujets très techniques et guère controversés.
Les deux derniers sujets portent sur ce qu’on pourrait appeler les problèmes juridiques non résolus et épineux. Le premier, les capacités d’enquête dans le monde numérique, revisite le débat législatif et public stérile concernant ce qu’on a longtemps appelé l’accès autorisé. Le problème du renseignement et des preuves remonte à la décision de créer le SCRS en 1984 afin de séparer le travail policier du travail de renseignement de sécurité. On a récemment étudié la question plus en profondeur, bien sûr, dans le contexte, de l’enquête et du rapport du juge Major dans l’affaire du vol Air India.
À mon avis, au moins huit de ces dix sujets méritent de faire l’objet d’un débat public. Ce sont tous des enjeux structurels et, dans certains cas, des enjeux directement liés à la loi anti-terrorisme actuelle. De ces huit enjeux, celui qui soulève le plus de questions est la capacité d’enquête dans le monde numérique. Le Canada a besoin d’une nouvelle approche en matière de sécurité numérique et de collecte de renseignement numérique, une approche intégrant des protections solides des droits et de la vie privée. En ce qui a trait à la collecte de renseignement numérique, nous devons mieux comprendre les pouvoirs de collecte de métadonnées des organismes canadiens du renseignement, ainsi que l’utilisation des renseignements provenant des médias sociaux, une pratique désormais répandue. De plus, nous avons besoin de meilleurs contrôles afin d’assurer le respect de la vie privée.
J’éprouve certains regrets concernant la structure du Livre vert. Je pense qu’il limite beaucoup trop le cadre du débat public en n’incluant que les menaces terroristes. De plus, il ne fournit pas suffisamment d’information sur l’organisation de la communauté canadienne de la sécurité et du renseignement, de même que sur ses capacités actuelles de gérer les menaces. Nous ne pourrons trouver d’équilibre entre la sécurité et les droits au Canada si nous n’avons pas les connaissances nécessaires pour comprendre les menaces, les réponses possibles à ces menaces et nos droits.
Pour conclure, j’aimerais aborder des problèmes que j’ai relevés dans le Livre vert lui-même.
La version courte du Livre vert se veut une démarche complètement neutre, à la fin de laquelle on pose des questions d’ordre général. Dans la version longue, on semble davantage orienter la réflexion publique en s’attardant à des enjeux précis, ce qui nous amène à nous demander, du moins à mon avis, dans quelle mesure le gouvernement a déjà arrêté ses idées ou obtenu des avis officiels sur certains enjeux.
Il est important, je crois, que le gouvernement écoute réellement la population et garde l’esprit ouvert concernant les lois et les politiques dans ce domaine extrêmement complexe. Par ailleurs, je crains une certaine étroitesse d’esprit et une lourdeur bureaucratique concernant les sujets suivants.
En matière de responsabilisation, le Livre vert ne s’attaque pas suffisamment aux problèmes liés au système actuel d’examen externe indépendant des organismes de sécurité et de renseignement, et ne traite pas des questions de transparence, d’éducation publique et de la pérennisation du savoir public.
Concernant la prévention, les experts nous mettraient en garde d’adhérer trop rapidement à une théorie de la radicalisation menant à la violence, qui ne refléterait pas les résultats des recherches menées à ce jour et pourrait s’avérer problématiques à d’autres égards.
En ce qui a trait à la réduction des menaces, le Livre vert ne pose pas certaines questions fondamentales comme celles-ci: les capacités de réduction des menaces prévues dans le projet de loi C-51 sont-elles nécessaires? Et si oui, qui devrait avoir le pouvoir de les déployer? On n’y fait aucune distinction entre les circonstances extrêmement différentes des activités de réduction des menaces au pays et des opérations de réduction des menaces à l’étranger.
Au chapitre de la communication d’information sur la sécurité nationale, aucun effort n’est fait pour questionner réellement le changement de définition au coeur de la LCISC, la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada, soit la partie 1 du projet de loi C-51. Cette nouvelle définition provient, comme vous le savez, de la partie 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, « menaces envers la sécurité du Canada »; or cela réfère à une autre chose complètement, qu’on appelle habituellement une « activité portant atteinte à la sécurité du Canada ».
Concernant la protection des passagers, les Canadiens ont besoin d’un engagement de transparence entourant la liste de passagers indésirables afin d’éliminer la crainte de la voir grossir de façon incontrôlable. Je ne parle pas d’une transparence absolue, mais d’un rapport annuel à partir de données générales sur la liste de la LSDA, qui rendraient impossible toute identification, ainsi que de l’information publique sur la façon dont on construit la liste de la LSDA.
Pour ce qui est des capacités d’enquête dans le monde numérique, il s’agit d’une discussion importante qui devra aborder la question du contrôle entourant la collecte de métadonnées et l’utilisation des renseignements provenant des médias sociaux.
Au chapitre du renseignement et des éléments de preuve, il est important de comprendre que cet enjeu va bien au-delà des considérations juridiques et qu’il inclut notre contexte historique et les relations entre la GRC et le SCRS, en particulier.
Je n’ai pas abordé ces préoccupations, mais je répondrai à vos questions sur le sujet avec plaisir. J’espère avoir l’occasion de rediscuter de ces enjeux avec le Comité, particulièrement lorsque les modifications au projet de loi C-51, de nouvelles politiques ou de nouvelles lois verront le jour.
Merci.
Merci beaucoup.
Je veux profiter de l'occasion pour assurer aux deux témoins que notre Comité est indépendant du gouvernement. Notre examen du cadre de sécurité nationale tiendra compte du Livre vert, mais ne s'y limitera pas. C'est pour cette raison que nous avons entrepris ces audiences. Je tenais simplement à réitérer notre indépendance.
Nous allons commencer M. Mendicino, qui posera ses questions pendant les sept prochaines minutes.
Merci aux deux témoins.
J'aimerais d'abord poursuivre sur la lancée du Président. Non seulement l'examen de notre Comité est indépendant, mais il sera alimenté à la fois par les grands paramètres du Livre vert et par vos témoignages et ceux des futurs témoins, qui nous sont communiqués, nous l'espérons, de façon objective et impartiale, du moins jusqu'à un certain point. Nous analyserons l'information colligée au moment de préparer notre rapport et d'émettre les recommandations qui pourraient en découler.
J'espère que vous nous croirez de bonne foi, monsieur, car nous le sommes.
Cela dit, permettez-moi de vous poser quelques questions, car nous avons peu de temps.
M. Therrien, j'ai lu le plus récent rapport de votre Commissariat. On y recommande que le Parlement règle le problème de surveillance. Vous avez mentionné le sujet dans votre déclaration préliminaire. Jusqu'à quel point le projet de loi C-22 faillit-il à cette tâche? Avez-vous encore des préoccupations à cet égard? D'après vous, sommes-nous parvenus à atteindre un équilibre avec les droits?
Le projet de loi C-22 représente un certain progrès dans la mesure où il prévoit la création d'un comité de parlementaires. Il est important que les ministères et organismes qui travaillent dans le secteur de la sécurité nationale soient supervisés, surveillés et examinés par des élus. La légitimité démocratique de ce comité est extrêmement importante. Mais je ne crois pas que cela suffise. Les parlementaires insuffleront de la légitimité démocratique, mais ce ne sont pas des spécialistes dans le domaine.
Je pense que nous avons besoin d'une révision par des élus et d'une révision par des spécialistes de ces enjeux de sécurité nationale, de droits humains, etc. Or le projet de loi C-22 ne prévoit pas d'examen par un groupe d'experts. Seulement trois organismes chargés d'assurer la sécurité nationale sont soumis à ce genre d'examens. La majorité des 17 organismes de sécurité nationale, c'est-à-dire les organismes qui peuvent recevoir de l'information en vertu de la LCISC, ne sont soumis à aucun examen indépendant.
Je crois qu'il est important, pour avoir un portrait d'ensemble, que tous les organismes impliqués dans la sécurité nationale soient surveillés et soumis à un examen indépendant. Pour ce qui est de la façon de faire. Devrait-on privilégier un seul organe d'examen? Devrait-on en créer plusieurs? Il faudrait en discuter. Mais je persiste à croire que tous les ministères et organismes impliqués dans la sécurité nationale devraient être soumis à un examen indépendant.
Seriez-vous prêt à dire qu’il s’agit d’une première étape et que, dans le cadre du mandat qui leur sera confié, les membres du comité de surveillance développeront l’expertise à laquelle, je crois, vous vous attendez? N’est-ce pas similaire au processus législatif et au chemin que les autres nations ont dû parcourir?
C’est une première étape, bien sûr, mais je maintiens qu’un examen indépendant par des experts est nécessaire pour assurer le suivi des activités de l’Agence des services frontaliers du Canada, par exemple, qui n’avait pas vraiment d’autorité en matière de sécurité nationale avant le 11 septembre, mais qui est aujourd’hui un joueur très important dans l’univers de la sécurité nationale. Je reste convaincu qu’il est essentiel que l’ASFC et d’autres organismes, mais particulièrement l’ASFC, en raison de son rôle important dans la sécurité nationale, soient soumis à l’examen d’experts indépendants.
Passons maintenant au deuxième sujet que j’aimerais aborder avec vous. Cela concerne la LCISC.
Dans votre rapport, vous recommandez de modifier le seuil juridique, ou le seuil d’inclusion, qui permettrait à différents ministères et organismes du secteur public de se partager de l’information. Actuellement, si je comprends bien, les ministères peuvent se partager de l’information dans la mesure où celle-ci est pertinente dans le cadre de leur mandat. Vous recommandez d’élever ce seuil pour limiter la communication d’information à celle nécessaire au mandat de l’organisme qui la reçoit.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous croyez ce changement nécessaire et, si vous avez le temps, pouvez-vous nous donner un exemple concret de son application?
Bien sûr.
Le problème avec le critère de la pertinence, c’est que le seuil est tellement bas que cela pose un risque même pour les personnes qui ne sont pas soupçonnées d’activité criminelle ou terroriste.
Revenons un peu en arrière, une meilleure communication de l’information afin de détecter les menaces à la sécurité nationale est une bonne chose. Je n’ai aucun problème avec l’objectif de lier la communication d’information avec la détection de menaces à la sécurité nationale. Mais pour atteindre un équilibre adéquat entre, d’une part, l’identification et la réduction des menaces et, d’autre part, la protection de la vie privée et des droits de la personne, le seuil qui autorise la communication d’information entre les ministères est important. Cela peut avoir l’air un peu technique, mais c’est extrêmement important.
À ce propos, n’est-ce pas précisément parce que les menaces qui existent aujourd’hui sont différentes de ce qu’elles étaient il y a 20 ou 30 ans, et même plus récemment, que nous devons établir un seuil présentant la souplesse appropriée pour ne pas paralyser l’échange de renseignements entre ministères?
Je ne crois que relever le seuil lorsque c’est nécessaire entraînerait une paralysie des ministères. Il est important que chaque organisme au sein du gouvernement puisse échanger des renseignements en vue de…
Pouvez-vous nous donner rapidement un exemple de la façon dont cela pourrait s’appliquer? Que signifie « nécessaire » selon votre point de vue?
Premièrement, le critère de la nécessité est par exemple utilisé en Europe, ce qui signifie qu’il existe. On le trouve également dans certaines lois provinciales et dans des lois sur la protection des renseignements personnels qui ne sont pas centrées sur la sécurité nationale. Un tel seuil existe donc.
Je souhaite avertir les membres du Comité que nous tiendrons des audiences sur le projet de loi C-22, et que nous y consacrerons beaucoup de temps. Si nous prenons ici du temps pour discuter du projet de loi C-22, nous ne pourrons progresser davantage dans l’étude des enjeux liés à la sécurité nationale. Donc, concentrons-nous sur les questions à l’étude.
Monsieur Miller, vous disposez de sept minutes.
Un grand merci aux témoins de leur présence.
Bienvenu à nouveau, monsieur Therrien. Vous étiez ici la semaine dernière, je crois.
Vous vous êtes montré critique à l’égard du projet de loi C-51. J’ai en main un article de la Presse canadienne sur l’échange de renseignements. On peut y lire ce qui suit :
Citoyenneté et Immigration Canada, l’Agence des services frontaliers du Canada, le Service canadien du renseignement de sécurité et un quatrième organisme dont le nom a été caviardé dans les documents ont tous eu recours aux dispositions de la Loi.
L’article poursuit en indiquant que, malgré les critiques que vous avez formulées à l’égard du projet de loi C-51 et de l’échange de renseignements, vous avez participé à l’ensemble de la phase de mise en oeuvre.
Comme vous avez participé à la mise en oeuvre du projet de loi, êtes-vous toujours critique à son égard? Cela semble contradictoire.
Je préférerais présenter mon degré de participation et d’engagement autrement, je dois dire.
Je n’ai pas une grande participation dans l’application de la LCISC, ou de ce qui était le projet de loi C-51. Ce à quoi je participe, c’est la réalisation d’un examen indépendant de la manière dont l’exécutif et les ministères utilisent et mettent en application cette loi. Je ne joue aucun rôle dans son application. Ce que je fais, c’est examiner comment elle est appliquée.
D'accord.
J’aimerais vous poser une autre question. Selon le consensus général, dans tout ce que j’ai lu et entendu sur Aaron Driver, le prétendu terroriste qui a été arrêté à Strathroy, tous les organismes, ou la plupart, ont affirmé que sans l’échange de renseignements, M. Driver pourrait dans ce cas ne pas avoir été arrêté.
À propos de l’échange de renseignements, beaucoup diront: je souhaite protéger mes renseignements personnels autant que possible et je n’aime pas l’idée de leur échange, mais nous vivons dans un monde qui aujourd’hui est différent. En général, si je n’ai rien à me reprocher, je n’ai aucune inquiétude à avoir à ce sujet, et si cela contribue à faire en sorte qu’un autre M. Driver soit arrêté, ce n’aura été qu’un petit sacrifice.
Pourriez-vous commenter cet échange de renseignements et la possibilité qu’il ait contribué à l’arrestation de M. Driver, et nous dire en quoi vous pouvez toujours le critiquer?
Je ne dispose pas des faits entourant les événements qui concernent M. Driver. Ce que cela me donne à penser, c’est que les affirmations selon lesquelles la LCISC, ou le projet de loi C-51, a été utile ou nécessaire… Je suis ouvert à ce qu’on m’en fasse la démonstration, mais ni…
Oui. Ce que je veux dire, c’est que le gouvernement de l’époque… Vous affirmez qu’un échange accru de renseignements aurait contribué à identifier M. Driver en tant que terroriste, et je suis ouvert à ce qu’on me fasse la démonstration de cela. J’encourage fortement le Comité à demander aux représentants du gouvernement et à d’autres représentants, y compris ceux des organismes de sécurité nationale, s’ils auraient l’amabilité de démontrer en quoi l’ancienne loi était inefficace à ce chapitre.
Qu’est-ce qui dans l’ancienne loi empêchait l’échange du type de renseignements que vous affirmez aujourd’hui être nécessaire? Je ne remets pas en question l’utilité de l’échange de renseignements. C’est utile, mais il est nécessaire de démontrer pourquoi l’ancienne loi était inefficace, afin que vous, les parlementaires, puissiez évaluer les raisons pour lesquelles elle devait être remplacée pour atteindre l’objectif souhaité.
D’accord, je vais manquer de temps.
Voici le dernier point que j’aimerais aborder avant de céder la parole à M. Brassard. Je ne suis pas un expert en la matière, mais j’étais présent dans l’enceinte parlementaire le 22 octobre il y a deux ans. De nombreux prétendus experts de l’application de la loi affirment que si à l’époque ils avaient détenu les pouvoirs que leur confère le projet de loi C-51, notamment en ce qui concerne l’échange de renseignements, il est fort probable que le caporal Cirillo serait toujours en vie aujourd’hui. Le prétendu terroriste serait peut-être aussi toujours en vie, mais il s’agit là d’une autre question. J’estime très nécessaire de souligner ce fait.
Je vais maintenant céder la parole à M. Brassard.
D’accord. Très rapidement, monsieur Wark, vous avez parlé de problèmes concernant la « neutralité suspecte » du livre vert et avez indiqué que celui-ci tendait à orienter le débat public vers une décision forclose, mais d’un autre côté vous avez affirmé qu’il s’agissait d’un processus sans précédent compte tenu des 7 000 réponses reçues.
Vous avez également dit qu’un groupe d’experts-conseils devrait examiner ces réponses. Proposez-vous qu’un groupe d’experts-conseils examine certaines des discussions que tiendra ce comité dans l’ensemble du pays, qu’il diffuse les résultats et qu’il formule une conclusion?
Monsieur Brassard, je vous remercie.
Je pourrais certainement le faire. Ce que j’avais en tête, c’est que si le gouvernement est pour recevoir une quantité diluvienne de réponses, ce qui serait l’issue la plus souhaitable d’une consultation de la sorte, et que, selon ce qu’indiquent les données scientifiques, il ne dispose peut-être d’aucun plan concernant la façon de traiter un tel volume d’information, il pourrait être très utile qu’un groupe supplémentaire jette un regard critique sur les commentaires et suggestions découlant du processus de consultation.
À quoi la composition de ce groupe d’experts-conseils ressemblerait-elle? Quels types d’experts-conseils devraient en faire partie selon vous?
Je rechercherais des gens possédant des connaissances spécialisées en droit de la sécurité nationale relatives aux pratiques en matière de sécurité nationale, à l’application de la loi, au renseignement, aux libertés civiles et aux questions de protection des renseignements personnels. J’estime qu’il serait possible de réunir un groupe diversifié et utile de la sorte, et qu’il serait peut-être nécessaire d’entendre d’autres voix. L’idée principale qui sous-tend cette proposition est qu’un tel groupe apporterait une grande valeur au gouvernement en effectuant un tri des réponses reçues. Il contribuerait également à donner plus de légitimité à la manière dont le gouvernement répondra aux commentaires et suggestions, et pourrait proposer des idées nouvelles, inventives et originales quant au traitement à apporter à ces commentaires et suggestions dans le cadre du processus qui mènera à des modifications législatives et des politiques.
À mes yeux, il s’agit d’une suggestion pratique et le mandat du groupe pourrait certainement avoir une portée dépassant le seul traitement des commentaires et suggestions, si le gouvernement décidait ou le Comité proposait d’y intégrer des éléments qui vous seront présentés durant le processus de consultation auprès de la population canadienne.
[Français]
Merci monsieur le président. Je remercie nos témoins de leur présence.
J'avoue que j'ai un sentiment de déjà-vu, car nous entendons les mêmes préoccupations exprimées l'année dernière, en comité.
Ma première question s'adresse à vous deux, messieurs. On parle de l'importance de la surveillance des experts. Le poste d'inspecteur général du SCRS a été aboli. Est-ce que c'est le genre de poste qu'on pourrait rétablir? Je comprends que ce n'est qu'un parmi d'autres, mais je le mentionne à titre d'exemple de fonctions qu'il faudrait rétablir pour assurer cette surveillance indépendante.
L'inspecteur général jouait certainement un rôle utile. Je n'ai pas d'avis particulier sur la mécanique — encore une fois: un comité, plusieurs comités, comment diviser les rôles de surveillance —, autre que de dire que toutes les agences qui oeuvrent dans ce domaine devraient faire l'objet d'une surveillance. Ensuite, si tous les ministères font l'objet d'une surveillance, il peut y avoir différents modèles de systèmes, plus ou moins efficaces, plus ou moins coûteux. Cependant, si tous les ministères font l'objet d'une surveillance réelle, sérieuse, je pense que ce serait satisfaisant.
[Traduction]
Monsieur Dubé, j’ajouterais qu’il nous faudrait probablement rester concentrés sur le problème que nous tentons de résoudre. L’inspecteur général était un petit bureau au sein de ce qui est devenu le ministère de la Sécurité publique et il faisait rapport sur les activités du SCRS directement au ministre.
Selon moi, le véritable problème auquel nous devons nous attaquer a déjà été soulevé par le commissaire, celui-ci étant qu’au sein du système actuel d’examen par des experts indépendants, nous avons créé un mode de fonctionnement en vase très clos qui fait en sorte que les différents organismes d’examen indépendant ne peuvent évaluer qu’un organisme à la fois sans pouvoir relier les divers examens à l’intérieur d’une sorte de vue d’ensemble stratégique, et sans pouvoir aborder la collectivité de la sécurité et du renseignement dans son ensemble.
Il y eut un temps où la collectivité de la sécurité et du renseignement était petite. Aujourd’hui, elle est grande. Je crois que le gouvernement a même de la difficulté à en déterminer la taille. On dénombre entre 17 et 20 organismes assumant diverses fonctions en lien avec la sécurité nationale et le renseignement.
Je n’ai pas de solution pour cela. Le ministre de la Sécurité publique a songé à l’idée de créer ce qu’il a appelé un super CSARS. Malheureusement, selon mon point de vue, le livre vert lui-même n’évoque en rien cette possibilité. En fait, je dirais que l’une des façons dont le livre vert oriente le débat avec un peu trop de vigueur, c’est en faisant en sorte que ne soit pas abordée la question d’un renforcement de l’examen indépendant pour s’assurer qu’il soit stratégique et puisse établir des liens entre toutes les activités. On y trouve même en allusion l’idée que si ce nouveau comité de parlementaires devait être créé dans le cadre du projet de loi C-22, il pourrait ne pas être nécessaire d’ajouter un échelon supplémentaire d’examen indépendant, ce qui selon moi constituerait un terrible recul.
[Français]
Merci.
Monsieur Therrien, j'aimerais revenir sur les informations inquiétantes que la Presse canadienne a obtenues grâce à la Loi sur l'accès à l'information. Cela concerne les renseignements que recueille le SCRS au sujet de Canadiens détenus à l'étranger qui s'adressent à des bureaux consulaires.
Est-ce que c'est un exemple de situations qu'on pourrait réviser, parce que trop de latitude est laissée aux autorités? Il y a eu le cas de M. Arar. Il pourrait aussi s'agir d'un Canadien qui a tout simplement perdu son passeport et s'est trouvé dans une situation turbulente, quelque part dans le monde.
J'en reviens à mes remarques préliminaires. Je crois que c'est une bonne chose que le Livre vert aille au-delà du projet de loi C-51.
Par contre, quand on lit le Livre vert et le document de discussion sur les questions de partage de renseignements, par exemple entre le ministère des Affaires étrangères ou Affaires mondiales Canada et le SCRS, on n'y traite que de partage de renseignements à l'intérieur du Canada. On n'y traite pas du partage de renseignements sur le plan international, donc avec les pays où oeuvrent nos diplomates.
Alors, il faut examiner l'ensemble du cadre législatif, l'ensemble des politiques qui sont pertinentes en matière de sécurité nationale pour avoir une bonne idée et s'assurer que les leçons qu'on a tirées — je l'espère — de septembre 2001 sont appliquées. Considérer seulement le projet de loi C-51, considérer seulement le partage de renseignements à l'intérieur du pays, c'est insuffisant. Il faut examiner l'ensemble de la situation.
[Traduction]
Monsieur Wark, vous avez mentionné la liste d’interdiction de vol. Bon nombre des problèmes à cet égard semblent découler du fait qu’on utilise la liste américaine et de certaines incongruités. Quand nous parlons d’échange de renseignements, cela concerne aussi en partie nos alliés, pas seulement ce qui se passe dans les ministères du gouvernement du Canada.
Vous pourriez peut-être nous en dire davantage sur une partie des problèmes que vous voyez à cet égard et sur la façon de les résoudre?
Certainement.
D’abord, je pense que probablement tous les Canadiens s’entendent sur le fait que, si possible, au Canada, nous souhaitons éviter les problèmes que les Américains ont eus avec la multiplication de leurs listes d’interdiction de vol, des listes aux frontières, des listes de surveillance, et ainsi de suite, qui est une machine réellement hors de contrôle. Cela a un impact sur le Canada, à tel point que des Canadiens peuvent se retrouver sur différentes listes américaines.
Nous échangeons des renseignements avec les États-Unis et nos autres alliés. À mon avis, un des problèmes concernant la façon dont le projet de loi C-51 aborde les améliorations au Programme de protection des passagers, lesquelles étaient nécessaires selon moi, mais qui peuvent être peaufinées dans la législation révisée, consiste en ceci que tout le système d’échange des renseignements avec les alliés, en ce qui a trait au contenu de ces renseignements et aux circonstances des échanges, n’a pas été clairement défini de la façon qui convient.
À mon sens, je pense qu’il serait important pour rassurer la population, et dans une optique de transparence pour le ministre responsable, le ministre de la Sécurité publique, que celui-ci publie un rapport annuel qui indique simplement le nombre de personnes qui figurent sur la liste du Programme de protection des passagers. Il ne s’agit pas de donner des noms, mais d’indiquer leur nombre pour que les Canadiens n’aient pas le sentiment que cette liste est hors de contrôle, trop volumineuse, ou pour qu’ils n’aient pas de crainte d’un autre ordre, à savoir que cette liste est trop restreinte et que le gouvernement ne fait pas son travail.
Je pense que ce serait une action importante qui constitue aussi une importante mesure de contrôle et de responsabilisation. C’est une des choses que j’aimerais voir se concrétiser. Je pense qu’on peut envisager d’autres façons d’améliorer les dispositions du projet de loi C-51 pour la protection des passagers, entre autres la responsabilité qui incomberait au ministre de répondre aux demandes d’appels pour le retrait de la liste. C’est là une disposition très maladroite pour l’instant dans le projet de loi C-51.
[Français]
[Traduction]
En ce qui concerne mes questions, je voudrais m’éloigner un peu du rôle du gouvernement et du cadre juridique et me concentrer un peu sur la société canadienne et la culture canadienne par rapport à la sécurité nationale.
Monsieur Therrien, pour faire suite à la dernière phrase de votre présentation, vous énoncez qu’il serait important d’examiner de quelle façon la surveillance sur Internet visant à prévenir la radicalisation devrait éviter de créer un climat dans lequel les Canadiens ordinaires sentent qu’ils ne peuvent pas se prévaloir de leurs libertés fondamentales, les libertés individuelles, je présume. Je voudrais aussi ajouter que ces mesures ne devraient probablement pas menacer le tissu social.
Je voudrais demander à chacun de vous quelles sont ses perceptions… non pas les vôtres individuellement sur notre cadre de sécurité nationale, mais votre perception de la perception des Canadiens par rapport à la sécurité nationale. Comment réfléchit-on dans la société canadienne, dans la culture canadienne, à la sécurité nationale depuis la décennie et demie qui a suivi le 11 septembre?
Donnez-nous une vision aussi précise que possible pour la compréhension du comité et des Canadiens dans l’ensemble. Ce que je tente de faire ici, c’est de vérifier avec vous la résilience potentielle de la société canadienne à l’égard de la radicalisation, ou la volonté des citoyens de protéger ce qu’ils possèdent et ce qu’ils chérissent contre ce qui est décrit comme une menace extérieure croissante et potentiellement insaisissable.
C’est une excellente question, monsieur, et je pense qu’il serait difficile pour vous tout comme pour moi, peut-être, de lui donner une réponse réellement précise, détaillée et fondée sur des données probantes. J’ai un point de vue sur cette question, un point de vue qui ne date pas d’hier, mais qui a évolué depuis le 11 septembre.
Je pense qu’il faut avant toute chose dire que ce que j’appelle la littératie canadienne sur les questions de sécurité nationale est très faible. Ce n’est pas la faute des Canadiens en soi. Je considère que la faute revient carrément aux gouvernements qui ne parviennent pas à éduquer et à informer adéquatement les Canadiens sur les menaces à la sécurité nationale et sur les ressources dont nous disposons pour y répondre. J’espère que le nouveau gouvernement libéral modifiera la façon de faire qui avait cours dans le passé, et il se peut que le livre vert soit le signe que telle est son intention. Mais je crois qu’il faut agir en ce sens de façon systématique.
J’ai souvent répondu aux questions des médias, chaque fois qu’un incident terroriste a eu lieu ou a été déjoué au Canada. La question porte souvent sur la réaction des Canadiens. Mon sentiment personnel à cet égard, et il ne s’agit que de cela, est que la société canadienne a été remarquablement résiliente. Heureusement, nous n'avons pas été aux prises avec un trop grand nombre de complots terroristes réels ou déjoués depuis le 11 septembre. Mais dans les cas où nous avons dû faire face à des attaques de ce type, par exemple l'incident sur la Colline du Parlement ou au Québec, ou dans l’affaire Aaron Driver et dans d’autres conspirations qui ont été déjouées grâce à l’application de la loi et au travail du renseignement, je ne vois pas de signe de réaction démesurée ou de panique chez les Canadiens, ni de confusion quant au contexte. Je ne vois pas non plus le contraire, ce sur quoi s’interrogent souvent les observateurs extérieurs au Canada, c’est-à-dire que le pays est trop laxiste sur ces questions.
Je pense que nous sommes capables d’avoir un dialogue mûr sur les menaces à la sécurité nationale et que nous engageons ce dialogue. Le défi pour nous par rapport à ce dialogue consiste en ceci que, bien que les menaces terroristes ou autres soient réelles, nous ne sommes pas dans l’épicentre de ces menaces. Nous pouvons être touchés par elles à n’importe quel moment de la journée, mais nous ne sommes pas dans l’épicentre. Nous ne sommes pas un pays européen directement confronté au même degré que la France, par exemple, ou l’Allemagne, ou l’Italie. Nous ne sommes pas les États-Unis. Mais notre pays peut être touché par ces menaces. C’est un peu plus difficile d’appréhender la réalité.
À l’avenir, et je terminerai sur ce point, je pense qu’il est essentiel que nous élargissions le dialogue sur la sécurité nationale. Au cours de la dernière décennie, nous nous sommes concentrés sur le terrorisme comme menace et de temps en temps, cela est raisonnable, mais je pense que ce point de vue n’est pas suffisamment large pour le genre de dialogue qui sera nécessaire à l’avenir. Nous devons faire face à d’autres sortes de menaces importantes à la sécurité nationale, menaces que nous devons aborder à l’échelle nationale, notamment les cybermenaces, et aussi les conséquences pour la sécurité des changements climatiques maintenant et plus tard, lesquels auront des conséquences sur nous et sur toute la société. Ainsi, moins nous tarderons à lancer ce dialogue qui débordera le simple terrorisme, et plus cela sera bénéfique pour nous. Je suis certain que la société canadienne est en mesure d’avoir ce dialogue.
Je suis d’accord avec l’idée que le niveau de littératie est faible. Je ne prendrai qu’une minute pour parler de l’importance pour le gouvernement d’être plus transparent à cet égard.
Dans le livre vert, par exemple, en ce qui a trait aux nouvelles ressources d’enquête, on demande apparemment aux Canadiens quelle est leur perception de la sensibilité des métadonnées, car ce document laisse entendre que la réponse des Canadiens sur leur sensibilité quant à leur perception des métadonnées pourrait influer sur le type de cadre légal qui s’ensuivrait. Ce pourrait être une bonne question à poser, mais pas avant d’avoir expliqué aux Canadiens ordinaires qui sont les personnes dont on veut connaître l’opinion ce qu’il y a derrière les métadonnées, parce que les gens n’ont pas la moindre idée de ce qui se cache derrière les médatonnées.
Je soulève simplement ce point pour indiquer qu’il est essentiel de faire preuve de plus de transparence. Certes, il y a des limites à la transparence quand il est question de sécurité nationale, mais il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’on peut et qu’on doit en faire davantage pour renseigner la population, afin que le débat politique et social ayant trait au juste équilibre entre la sécurité et les droits de la personne se déroule dans un environnement où le public qui participe est informé le mieux possible.
Merci.
Très brièvement, une fois que la société canadienne sera mieux éduquée, quel rôle devra-t-elle à votre avis jouer d’abord et avant tout pour établir une meilleure sécurité, mais aussi pour s’assurer que nous ne perdrons pas nos droits individuels et les valeurs sociales que nous avons travaillé si fort à bâtir?
Le genre de processus qui a été lancé constitue un excellent point. Si un plus grand nombre de Canadiens sensibilisés participent à un exercice comme celui qui a été lancé par le gouvernement et à celui que vous menez maintenant, je pense que cela permettra d’adopter de meilleures lois, et ce qui est encore plus important, des lois qui font davantage consensus dans la société.
Mon collègue vient d’en parler, est-ce que les Canadiens savent seulement ce que sont les métadonnées? Je pense que vous êtes tous les deux d’accord sur le fait que l’éducation est essentielle dans l’établissement d’un bon cadre pour la sécurité nationale.
Il est 17 h 27. Monsieur Généreux est le suivant. Nous lui accorderons cinq minutes si tout le monde est d’accord.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Je remercie aussi les témoins.
Monsieur Wark, vous avez dit tout à l'heure que le Livre vert était très orienté vers le terrorisme et très peu vers les technologies de l'information qui, aujourd'hui, sont omniprésentes dans la vie de l'ensemble des Canadiens. Nous avons cela dans les mains. Nous sommes une menace à nous-mêmes, si on veut le voir ainsi.
Parlez-nous un peu de ce que vous auriez aimé voir dans le Livre vert par rapport à l'équilibre entre le terrorisme et les nouvelles technologies.
[Traduction]
Merci, monsieur.
J’aurais espéré… mais peut-être était-ce un peu irréaliste dans le contexte politique du livre vert et en sachant que ceci constitue une expérience sans précédent… entendre une déclaration préliminaire plus large sur les types de menaces à la sécurité nationale auxquelles sont confrontés les Canadiens à présent ou dans l’avenir. Cela permettrait en partie aux Canadiens d’avoir une idée de la portée du processus pour qu’ils puissent donner leurs impressions de façon appropriée sur les instruments dont ils pourraient souhaiter le déploiement contre cet ensemble de menaces.
C’est une chose de demander aux Canadiens quelles seraient à leur avis les meilleures réponses contre le terrorisme. Il est plus complexe et peut-être plus important de leur demander ce qui, à leur avis, constitue le meilleur ensemble d’outils pour faire face à cet éventail de menaces à la sécurité nationale. On a besoin d’éducation, et on a besoin que les gens comprennent que le terrorisme n’est qu’une menace à la sécurité nationale parmi d’autres, et qu’elle n’est peut-être pas la plus grave.
Je m’inquiète du fait que si nous mettons trop l’accent sur la politique, la réglementation et les modifications à la loi, qui se concentrent simplement sur la question du terrorisme, nous allons nous retrouver avec des lacunes dans les ressources, des lacunes juridiques et des lacunes stratégiques qui nuiront à notre capacité de contrer d’autres types de menaces.
Le livre vert a été conçu en grande partie en réponse aux promesses faites durant la campagne électorale et aux questions soulevées par le projet de loi C-51, mais je pense qu’il aurait pu être utile qu’on reparte à zéro en ce qui a trait à toute la question de savoir quelles sont les menaces auxquelles doivent s’attaquer les Canadiens, menaces contre lesquelles nous avons besoin d’outils appropriés, et de quelle façon nous créons cet équilibre que le gouvernement a tant à coeur. Ce n’est pas seulement une question de technologie. Cela porte aussi sur les conséquences d’autres changements dans notre univers, y compris les changements climatiques. C’est à l’ordre du jour de bon nombre de nos alliés. Cette menace arrive au premier rang parmi les menaces à la sécurité nationale au Royaume-Uni dans leurs évaluations annuelles des menaces. Elle est parmi les priorités de l’énoncé annuel du directeur national des renseignements de sécurité quant aux menaces qui pèsent sur la planète, et qu’il présente au Congrès. Nous n’avons même pas amorcé le dialogue sur la nature de l’impact des changements climatiques sur la sécurité pour le Canada comme acteur dans le monde et pour le Canada dans ses propres frontières. Moins nous tarderons à amorcer ce processus, moins nous tarderons à élargir le dialogue, et le mieux ce sera pour nous.
[Français]
Malheureusement, nous n'avons pas eu le texte de cette présentation — c'est du moins mon cas. Je ne sais pas s'il a été distribué. J'aurais aimé qu'on nous le donne, monsieur le président. J'ai seulement le texte de la présentation de M. Therrien.
Si le Comité le veut bien, j'aimerais que vous nous fassiez part, dans un document d'une page, de l'équilibre que le Comité devrait ménager entre les différents éléments. Nous pouvons poser des questions à des gens.
Comme le président l'a dit, nous sommes en train de mettre la table. Monsieur Therrien, vous avez d'ailleurs fait une très belle présentation. Ce que vous avez dit est très intéressant. Cela nous permet de déterminer quels sont les aspects importants à prendre en compte. Nous devons jeter un maximum d'éclairage sur cette question. En bon québécois, on va passer la gratte le plus large possible pour essayer de comprendre l'ensemble de tous les aspects liés à cela. Si c'était possible de nous fournir un document comme celui-là, je l'apprécierais.
Est-ce qu'il me reste du temps, monsieur le président?
Monsieur Therrien, j'ai bien aimé votre présentation. Si je comprends bien, le projet de loi C-51 a été adopté, mais vous avez des réserves sur l'équilibre en matière de liberté d'expression ou, autrement dit, les libertés fondamentales des gens.
Croyez-vous que cela constitue une menace pour les Canadiens, dans ce cas?
Je répondrais peut-être à la question précédente, qui porte sur le lien entre les normes de preuve et le risque pour les Canadiens ordinaires.
Prenons l'exemple de personnes qui voyagent à l'étranger.
Est-il nécessaire, dans un tel cas, que tous les renseignements portant sur l'ensemble de ces voyageurs soient acheminés au SCRS pour que celui-ci puisse déceler les menaces à la sécurité nationale — et cela est associé à une norme de pertinence — ou ne devrait-on pas plutôt lui faire parvenir uniquement les renseignements dont il a besoin pour faire son travail?
Est-ce qu'il y a une menace?
Nous sommes en train d'étudier la façon dont le projet de loi C-51 a été mis en oeuvre. Nous avons constaté que cela avait été utilisé une cinquantaine de fois l'année dernière. Nous poursuivons l'examen.
Est-ce que cela indique qu'il y a une surutilisation?
Probablement pas, mais il est trop tôt pour le dire. Ce que je dis, c'est que les normes de preuve, qui permettent le partage de renseignements, créent un risque potentiel important pour des gens qui n'ont rien à se reprocher, des citoyens ordinaires qui ne devraient pas faire l'objet d'analyses de la part du SCRS.
Comment essaie-t-on de trouver les outils juridiques qui permettraient à l'État de protéger la population sans toutefois mettre en péril les libertés, la vie privée des citoyens ordinaires?
Je pense que, pour vous, cette question est très importante.
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