Passer au contenu

SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 094 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 1er février 2018

[Enregistrement électronique]

(1100)

[Traduction]

    Notre premier témoin est Laurence Rankin, de l'Association canadienne des chefs de police.
    Comme vous êtes à Vancouver, j'espère que nous ne vous avons pas obligé à vous lever trop tôt pour témoigner.
    Nous avons aussi Paul Martin, chef du service de la police régionale de Durham.
    Je crois que vous allez partager votre temps. Alors à vous la parole.
    Tout d'abord, au nom de l'ACCP, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à témoigner devant le Comité. Laurence et moi sommes très heureux de comparaître devant vous.
    Laurence va commencer par vous donner un aperçu du mandat du Comité sur la sécurité nationale et le contre-terrorisme. Puis nous vous décrirons un peu le contexte expliquant la perspective de l'ACCP. Enfin, nous répondrons à vos questions.
    Je vais maintenant passer la parole à Laurence, qui présentera la première partie de notre allocution.
     [Difficultés techniques] L'Association canadienne des chefs de police, ou ACCP, a pour mandat de diriger de nombreuses activités pour soutenir la coordination et la collaboration entre les divers organismes canadiens de maintien de l'ordre qui interviennent dans les cas de menace à la sécurité nationale. Pour cela, l'ACCP a établi des structures visant à gérer les incidents et à échanger des renseignements pour collaborer à la protection de la sécurité des Canadiens.
    Le Comité sur la sécurité nationale et le contre-terrorisme de l'ACCP a pour mandat d'harmoniser l'action des services de police qui, à l'échelle du Canada, visent à déceler les activités criminelles liées au terrorisme et menaçant la sécurité nationale ainsi qu'à empêcher de telles activités, à en dissuader les auteurs potentiels et à intervenir le cas échéant.
    Ce comité s'est fixé cinq priorités: premièrement, « promouvoir la collaboration et l’intégration au sein des corps policiers ainsi qu’avec les partenaires appropriés des secteurs public et privé dans les domaines de la sécurité et du renseignement »; deuxièmement, « améliorer la capacité à répondre de manière coopérative et intégrée »; troisièmement, « élaborer des processus et favoriser une communication active à tous les niveaux »; quatrièmement, « poursuivre les réformes législatives »; cinquièmement, « promouvoir l’information et la formation en matière de lutte contre le terrorisme et de sécurité nationale ».
    Au cours de cette dernière année, le comité s'est concentré sur plusieurs initiatives. Je vais vous en présenter trois aujourd'hui.
    La première est le Guide sur le contre-terrorisme provincial et territorial. Il a été conçu de manière à appuyer l'élaboration de stratégies de contre-terrorisme à l'échelle régionale, provinciale et territoriale.
    Ce guide contient 11 activités principales réparties sur 4 grandes stratégies, dont la première vise à écarter les contrevenants de toute activité terroriste. La deuxième cherche à déceler les activités d'individus et d'organismes qui risquent de se transformer en menaces terroristes. La troisième vise à arracher aux terroristes les moyens et les occasions de mener leurs activités. La quatrième vise à effectuer des interventions proportionnelles, rapides et organisées, face aux activités terroristes afin d'en atténuer les effets.
    La seconde initiative est axée sur l'intégration des structures d'intervention provinciales et territoriales. Les coprésidents du Comité sur la sécurité nationale et le contre-terrorisme ont rencontré les chefs de police de toutes les régions du pays dans l'espoir d'adopter une approche intégrée commune d'enquête et d'intervention contre les activités terroristes.
    La troisième initiative est la création, en août 2015, d'un sous-comité du Comité sur la sécurité nationale et le contre-terrorisme chargé de contrer l'extrémisme violent. Ce sous-comité se concentre sur l'élaboration de matériel de formation commun en comblant les lacunes de la recherche et en y ajoutant un outil d'évaluation de l'efficacité des programmes que nous dirigeons.
    Voilà donc les trois grandes initiatives sur lesquelles nous nous concentrons.
    Merci, monsieur le président. Je vais poursuivre.
    Partant de ce que Laurence vous a dit au sujet de l'harmonisation et de la collaboration entre les services de police fédéraux, provinciaux et municipaux, je dirais que le Comité devrait se pencher sur trois grandes préoccupations liées au maintien de l'ordre. Il y en a bien sûr beaucoup plus que cela, mais nous vous en présentons trois à examiner de près: les engagements de ne pas troubler l'ordre public par des activités terroristes, l'épineux problème du renseignement à déposer en preuve et, enfin, le chiffrement.
    Les engagements de ne pas troubler l'ordre public par des activités terroristes atténuent certaines menaces à la sécurité des citoyens canadiens, mais pas toutes. Ces engagements contribuent à les atténuer dans certains cas, mais n'oublions pas qu'ils s'accompagnent de conditions. Par exemple, disons qu'un individu soumis à l'un de ces engagements n'a pas le droit, pour des raisons évidentes, d'utiliser un ordinateur ou d'accéder à Internet. Malheureusement, les agents de police ne disposent actuellement d'aucun mécanisme pour veiller à ce que l'individu respecte réellement ces conditions. Voilà donc un problème à examiner.
    Dans le cas de l'épineux problème du renseignement à déposer en preuve, nous savons bien que le renseignement et le maintien de l'ordre évoluent dans des espaces totalement différents. J'en ai discuté avec des collègues bien plus informés que moi, et ils m'ont dit que dans ce domaine, on cherche depuis plus de 15 ans qui aura le pouvoir d'améliorer la rapidité, la circulation et la direction de la transmission des renseignements pour que nous les recevions plus rapidement. Les incidents comme celui d'Aaron Driver ont démontré aux services policiers la lenteur de la transmission des renseignements et la rapidité avec laquelle il faudrait les transmettre pour détecter les menaces à la sécurité nationale, puis pour les écarter et les éliminer complètement.
    Le Comité pourrait étudier les moyens d'y parvenir. Dans son rapport, la commission sur le 11 septembre a souligné très clairement l'urgent besoin de transmettre les renseignements entre les différents organismes. À l'heure actuelle, les services de police transmettent beaucoup de renseignements, mais le Comité devrait surveiller ce problème tout au long du cheminement du projet de loi.
    Quant au chiffrement, on parle beaucoup aux États-Unis de « going dark », soit de pratiquer des communications non interceptables. Le chiffrement, qu'il se fasse dans l'appareil même ou à l'aide d'applications qui l'effectuent bout à bout, cause de gros problèmes aux services de maintien de l'ordre. Il complique beaucoup la surveillance des individus qui commettent des activités criminelles, qu'il s'agisse de terrorisme ou de crime organisé. Nous en avons vu de nombreux exemples chez nous, et même partout ailleurs en Ontario et au Canada.
    Il est crucial que nous nous concentrions sur les principes et non sur la technologie. Les autorités désignées par une instance judiciaire pourraient ainsi intercepter les communications d'individus ou de groupes qui soutiennent des activités criminelles ou terroristes.
    Les lois qui régiraient l'accès à ces communications seraient en principe celles qui régissent déjà d'autres formes d'interception de télécommunications, les entreprises garantissant l'accès aux données en cas de besoin, les mandats délivrés par les autorités compétentes ainsi que les délais imposés et les examens habituels.
    Je remets tout cela aux bons soins du Comité pour qu'il s'y attarde en étudiant le projet de loi. La communauté du maintien de l'ordre se préoccupe avant tout de ces trois grands facteurs: les engagements de ne pas troubler l'ordre public par des activités terroristes, l'épineux problème du dépôt du renseignement à la preuve et le chiffrement.
    Merci beaucoup de nous avoir consacré de votre temps.
(1105)
    Merci, chef Martin et chef adjoint Rankin.
    M. Spengemann est notre premier intervenant. Vous avez sept minutes, monsieur.
    Chef Martin et chef adjoint Rankin, merci de vous être joints à nous. Nous vous remercions pour votre service et pour l'expertise que vous présentez au Comité.
    Tout d'abord, pourriez-vous donner au Comité un aperçu du contexte actuel des menaces à la sécurité nationale? Vous vous concentrez sur le terrorisme et sur le contre-terrorisme. Quelle en est l'ampleur par rapport aux autres menaces auxquelles notre pays fait face, comme les cybermenaces contre nos infrastructures essentielles?
    Nous surveillons cela en tout temps. Toutefois, notre comité s'inquiète beaucoup du retour des combattants de la liberté et de l'écroulement du califat. Voilà notre vrai problème. Nous pouvons bien sûr observer nos homologues européens et ceux du Groupe des cinq pour prévoir ce qui risque de se passer chez nous.
    Nous y pensons continuellement, mais les attaques terroristes peuvent prendre de nombreuses formes. Vous avez parlé des cyberattaques. Nous avons les attaques physiques commises à l'étranger et même chez nous, en fait, à Edmonton, où des individus se sont radicalisés. Cela nous inquiète continuellement.
    Permettez-moi d'ajouter une chose. Je reconnais que les enquêtes liées à la sécurité nationale relèvent de la compétence fédérale. Nous sommes souvent beaucoup plus susceptibles, en tant qu'organisme municipal, de nous engager ou de faire face au problème dès le premier point de contact. Nous constatons que les problèmes que nous abordons et qui pourraient avoir un lien avec la lutte contre le terrorisme ou avec la sécurité nationale englobent souvent les sujets que nous examinons, c'est-à-dire les composantes cybernétiques des crimes. Ajoutons que ces problèmes sont souvent liés au chiffrement ainsi qu'à la radicalisation, que nous cherchons à atténuer avec la collaboration de la GRC et surtout avec les équipes intégrées de la sécurité nationale, les EISN, auxquelles nous avons détaché quelques-uns de nos membres.
    Merci beaucoup.
    Il est évident que le terrorisme et l'extrémisme nous menacent gravement. Peut-on aussi affirmer, puisque vous avez mentionné l'implosion du califat et le retour des combattants de la liberté, que le recrutement qu'effectuent les groupes extrémistes de droite et les groupes terroristes internationaux comme al Shabaab ainsi que les derniers combattants de l'État islamique nous menacent encore? Autrement dit, risquons-nous encore de faire face à la radicalisation et au recrutement de jeunes Canadiens vulnérables dans ces groupes?
(1110)
    Je suis d'accord avec cette affirmation. En fait, les individus qui cherchent à recruter des gens pour les inciter à la violence le font dans le cyberespace de manière très efficace. Nous avons là, avec le retour des combattants de la liberté, l'une des plus graves préoccupations de notre comité. Nous nous efforçons d'aborder ce problème aussi.
    En Colombie-Britannique, par exemple, le ministère de la Santé publique et le bureau du Solliciteur général luttent fortement contre la radicalisation au niveau municipal et provincial, avec l'aide du gouvernement fédéral. Nous créons un centre pour éliminer ce problème avant que les jeunes radicalisés passent à l'action. Ce centre permet à différents fournisseurs de services communautaires de collaborer afin de réorienter les jeunes déjà engagés sur la voie de la radicalisation.
    Merci beaucoup. Ces renseignements nous aident énormément.
    J'ai une question de suivi à vous poser. En fait, vous y avez déjà presque répondu. De par votre expérience dans les services de police, outre votre service à l'Association canadienne des chefs de police, sauriez-vous de quelles ressources centrales nous disposons pour atténuer le risque de voir la radicalisation se répandre? Je parle de radicalisation vers un groupe d'extrémistes de droite, comme l'individu qui a commis le massacre de Sainte-Foy il y a un peu plus d'un an. Rien n'indique qu'il faisait partie d'un groupe, mais nous pouvons presque dire qu'il s'est radicalisé lui-même contre les groupes terroristes islamiques. Quelles connaissances possédons-nous pour empêcher les jeunes Canadiens de tomber dans ce piège?
    Nos services de police ont adopté une approche polyvalente. Nous enseignons aux agents à reconnaître les signes de la radicalisation. Le moyen le plus efficace est probablement l'engagement communautaire de nos services de police, surtout à l'échelle municipale, sur le terrain... Je sais que l'organisme fédéral, comme l'a souligné Laurence, mène des enquêtes sur la sécurité nationale, mais les services de police locaux sont plus aptes à observer ces signes. Nous mobilisons les collectivités pour différentes raisons. Nous visons avant tout à ce que les gens fassent confiance aux services de police et aillent leur dire s'ils voient des résidents de leur quartier se radicaliser.
    Nous nous efforçons aussi d'éduquer les jeunes qui se font dire qu'un acte de violence les couvrira de gloire ou autre. Nous leur démontrons qu'en réalité, c'est tout à fait le contraire.
    Si vous me permettez, il me reste seulement une minute, alors je vais vous demander quelques précisions à ce sujet.
    Voyez-vous un profil, pour ne pas dire un stéréotype, une tendance incitant ces jeunes à se radicaliser ou à se faire recruter? Peut-être un profil socioéconomique, racial, religieux ou culturel? Peut-être aussi des réseaux auxquels ils se joignent? Avons-nous déjà cerné un facteur qui nous montrerait dans quelle direction nous diriger?
    Laurence me corrigera si je me trompe, mais nous en avons discuté au comité, et nous avons conclu que les personnes qui se radicalisent n'ont pas de caractéristiques communes.
    En termes très généraux, ces individus sont vulnérables par le fait qu'ils se sentent marginalisés, qu'ils ne font confiance à personne, qu'ils n'ont aucun soutien et qu'ils sont solitaires. Je pense que nous avons là un profil très vague, mais du point de vue du statut socioéconomique et de l'âge, nous n'avons rien du tout.
(1115)
    Malheureusement, nous allons devoir vous arrêter ici, monsieur Spengemann.
    Monsieur Motz, vous avez sept minutes.
    Merci, chef Martin et chef adjoint Rankin, de vous être joints à nous aujourd'hui.
    Je vais revenir à ce que l'un de vous a dit tout à l'heure au sujet des engagements de ne pas troubler l'ordre public par des activités terroristes. Nous savons que le projet de loi C-59 passe de l'affirmation « il est vraisemblablement nécessaire » à « il est nécessaire » de prévenir une activité terroriste pour obtenir un engagement de ne pas troubler l'ordre public.
    Il est extrêmement difficile de démontrer qu'un engagement de ne pas troubler l'ordre public assorti de conditions est nécessaire pour prévenir un acte de terrorisme. Il faudrait pour cela autant de preuves que pour prouver une accusation criminelle, pour déposer une dénonciation.
    Pourriez-vous expliquer au Comité l'importance des engagements de ne pas troubler l'ordre public. Avec quelle fréquence vous en êtes-vous servi? Pensez-vous que cette nouvelle exigence présente un risque pour les Canadiens?
    Voyez-vous, les dossiers indiquent que la GRC a utilisé des engagements de ne pas troubler l'ordre public 14 fois. Elle a utilisé cinq fois le 810.011, présenté dans le cadre de la Loi antiterrorisme de 2015. Aucun engagement n'est en vigueur à l'heure actuelle, mais je vous donne les statistiques.
    Un resserrement des exigences cause toujours des inquiétudes. Comme je l'ai dit, les engagements de ne pas troubler l'ordre public ne sont pas des remèdes universels. Ils n'élimineront pas nécessairement le risque, mais ils l'atténueront. Ils n'élimineront pas toutes les menaces, mais en effet, on s'inquiète chaque fois que les exigences se resserrent. Nous pensons à l'heure actuelle disposer d'un certain nombre d'outils qui nous permettent de détecter et de dissuader, puis d'intervenir contre le terrorisme dans notre pays.
    Monsieur le chef adjoint, avez-vous quelque chose à ajouter?
    Une fois en vigueur, ces engagements ont l'avantage, entre autres choses, de nous permettre de surveiller continuellement l'individu si les conditions comprennent un suivi GPS. Nous pouvons interroger l'individu et le surveiller. Cela nous aide beaucoup à gérer certains des risques que pose l'individu. Toutefois, ces engagements ont leurs limites, comme l'a dit le chef dans son allocution. Il est en effet difficile de surveiller le respect de certaines conditions, comme l'accès à Internet si l'individu se sert d'un ordinateur à son domicile.
    Nous disposons des engagements de ne pas troubler l'ordre public, mais le projet de loi C-59 présente un autre problème, celui des arrestations préventives. La nouvelle version semble limiter ces arrestations à la « nécessité » de prévenir une activité terroriste. L'ancien projet de loi C-51 autorisait l'arrestation si elle était « susceptible d'empêcher » une activité terroriste. En fait, un représentant du ministère de la Justice a confirmé devant le Comité, au début de notre étude, que les exigences à respecter pour effectuer une arrestation préventive avaient été resserrées. Il a dit que la police devrait démontrer qu'il existe un lien plus étroit entre les conditions à imposer à l'individu ou les motifs de son arrestation et la prévention d'une activité terroriste.
    Alors, comme dans le cas des engagements de ne pas troubler l'ordre public, pensez-vous que le resserrement de ces exigences nuira à la capacité qu'auront les services de maintien de l'ordre d'effectuer des arrestations préventives liées au terrorisme?
    Je répondrai simplement en disant qu'il se pourrait que ce soit le cas. Les arrestations préventives et l'engagement assorti de conditions sont conçus pour donner à la police le temps de déterminer s'il existe des preuves qu'un acte terroriste se prépare. Il est vrai qu'ils permettent aussi aux juges de peser la preuve et l'existence — ou non — d'un crime. Lorsque l'on rehausse un certain seuil, on ouvre la porte à certaines possibilités.
    J'aimerais ajouter que, si l'on rehausse le seuil dans la mesure qui est proposée, ce moyen pourra être utilisé dans un moins grand nombre de situations, puisque nous devrons prouver qu'il est nécessaire pour contrecarrer des activités terroristes. En effet, le seuil serait haussé et nos moyens s'en trouveraient limités.
    Merci.
    J'ai encore une question pour chacun d'entre vous. Il me reste environ trois minutes.
    Monsieur Martin, vous avez évoqué trois sujets d'inquiétude au sein de votre association de policiers: les engagements de ne pas troubler l'ordre public — dont nous avons parlé —, la conversion du renseignement en preuve et le chiffrement. Certains témoins nous ont fait part de leurs réflexions et nous ont suggéré des améliorations au projet de loi dans sa forme actuelle, d'où le débat que nous tenons à présent, avant la deuxième lecture. Il est heureux que nous puissions apporter des changements.
    Si vous aviez à modifier le projet de loi C-59 en plaçant la sécurité publique au premier plan — tout en gardant à l'esprit l'équilibre des droits et de la vie privée —, quels changements apporteriez-vous et comment procéderiez-vous?
    J'aimerais vous entendre tous les deux à ce sujet, si possible.
(1120)
    Faites-vous référence au chiffrement en particulier?
    Quel que soit l'aspect du projet de loi.
    D'accord. Je parlerai du chiffrement, puis je passerai la parole à Laurence. Je suis au fait du débat qui oppose la vie privée et les droits individuels à la sécurité et au bien-être collectifs. Comme je l'ai dit d'entrée de jeu, il s'agit des principes gouvernant l'interception de communications privées, par opposition à la technologie actuellement en usage. J'ai encouragé le Comité à se pencher là-dessus dans son étude du projet de loi.
    Les sociétés de télécommunication sont tenues de conserver ces renseignements un certain temps, renseignements qui seront examinés s'il y a une autorisation judiciaire en bonne et due forme. Ce n'est peut-être pas le cas aujourd'hui dans les applications et autres choses du genre. Pour ce qui est du comment, vous êtes sans doute mieux placé que moi pour répondre à cela.
     Il s'agit des principes gouvernant l'interception de communications entre des personnes ayant l'intention d'infliger des souffrances par le biais du terrorisme ou du crime organisé, par opposition à la technologie en usage.
    Si je devais résumer ma pensée, voilà ce que je demanderais aux membres du Comité d'examiner.
    Au fond, il faut réformer la loi pour suivre le rythme de l'évolution technologique, telles les normes de conservation des données dans les entreprises. À mesure que leur durée de vie raccourcit, il devient de plus en plus difficile pour les policiers de recueillir ces données.
    Comme je l'ai dit, en augmentant les pouvoirs autorisant les demandes d'ordonnance au Canada pour des données étrangères et la défense d'un accès efficace et légal... Nous soutenons que, en cas d'autorisation judiciaire, il doit y avoir un mécanisme d'accès à la preuve. Nous pouvons observer l'exemple de l'Australie et de l'Union européenne en matière de loi sur la cybercriminalité. Nous sommes conscients du fait que le commerce et les interactions passent par des données sécurisées et par la communication dans le monde actuel. Cela dit, lorsque nous disposons d'une ordonnance judiciaire et que, malgré cela, nous n'avons pas accès aux renseignements contenus dans un ordinateur, même si le matériel est visé par une autorisation judiciaire, voilà qui pose problème pour la police. Au-delà de la sécurité nationale, ce sont toutes les facettes de la lutte policière contre le crime organisé qui sont en cause. Plus que jamais, tous les crimes sur lesquels nous enquêtons ont une dimension cybernétique, qu'ils soient liés à la sécurité nationale ou non. Il arrive que les difficultés nous semblent insurmontables. Il faut trouver l'équilibre et comprendre que, si l'ordonnance d'un tribunal nous permet d'entrer dans une maison, elle ne nous permet pas de pénétrer dans un ordinateur si celui-ci est chiffré.
    Merci, monsieur Motz.
    Monsieur Dubé, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président. Je vous remercie également tous les deux de votre présence.
    Lors de la dernière législature, nous avons tenu un débat sur le projet de loi C-51. Parmi les critiques exprimées, on a dit que, tout en parlant abondamment des lois visant à protéger les Canadiens, on oubliait souvent de donner à la police les ressources nécessaires. Pensons au Fonds de recrutement de policiers provenant du gouvernement fédéral. Comme vous le savez, il s'agissait d'accorder un financement supplémentaire aux provinces et aux municipalités. Ce fonds a été supprimé et n'a jamais été réinstauré. Nous souhaiterions qu'il soit rétabli de façon permanente. Au-delà des paroles portant sur les lois et les procédures, quelle est l'importance des ressources vous permettant d'outiller et de former convenablement les hommes et les femmes qui sont en première ligne pour protéger les Canadiens?
    C'est une très bonne question.
    Par le biais du Comité, j'ai discuté avec nos collègues de la Gendarmerie royale du Canada dans l'ensemble de la province et à l'échelle nationale. J'en ai aussi discuté à l'échelle locale, bien entendu. Je vous dirais que le genre de menace terroriste que nous observons — menace qui remonte, selon plusieurs, à ce moment charnière qu'a constitué le 11 septembre 2001 — accapare beaucoup nos ressources. Qu'il s'agisse de la GRC ou des forces policières locales, nous avons dû détourner des ressources pour affronter cette menace sérieuse et continue. En fonction des événements mondiaux, ce sont plus ou moins de ressources qui sont mobilisées.
    Nous avons alloué des ressources à la lutte au terrorisme, mais nous n'avons pas été à même de renflouer les services s'occupant d'activités plus traditionnelles comme le crime organisé ou d'autres affaires qui relèvent de la police, que ce soit à l'échelle fédérale ou dans les autres paliers de compétence.
    C'est donc un véritable problème. Il y a des limites à tenter de faire plus avec moins. Que fait-on quand les choses commencent à filer entre les mailles du filet?
    Avant que mon discours ne tourne au prêche, je passe la parole à Laurence.
(1125)
    Pour faire suite aux remarques du chef Martin, je dirai que, au municipal, nous tentons d'augmenter le nombre de détachements affectés à l'équipe intégrée de la Division E de la GRC. Nous n'avons que deux membres en détachement actuellement. Nous passerons à trois, mais j'aimerais que ce nombre augmente encore davantage.
    Au cours des six dernières années, mon unité du Service de police de Vancouver, qui s'occupe de lutte au terrorisme et de sécurité nationale, est passée de 13 à 268 dossiers sans que nos effectifs soient augmentés. En réalité, il y a eu une réduction des effectifs, puisque, comme le chef Martin l'a dit, nous devons nous occuper d'autres affaires comme la guerre de gangs régionale qui sévit en ce moment. Nos ressources sont tout juste suffisantes. On fait appel à nous d'emblée lorsqu'il y a une possible alerte à la bombe, des propos contre le gouvernement liés à l'État islamique ou à Al-Qaïda, des circonstances suspectes comme dans le cas de gens prenant des photos d'infrastructures importantes, ou encore des personnes qui participent à des activités terroristes ou radicales. Sur notre territoire de compétence, nous examinons d'abord ces dossiers, puis, s'il y a menace pour la sécurité nationale, nous les transmettons à l'équipe intégrée.
    Nous nous occupons nous-mêmes d'une bonne partie de la formation en interne, qu'il s'agisse d'un projet de formation d'agents d'information antiterroriste ou d'Opération SECURUS, qui vise, en partenariat avec le secteur privé, à faire de la formation en entreprise pour reconnaître les menaces terroristes éventuelles.
    Cela dit, nous avons une excellente relation avec l'équipe intégrée. Seulement, nous sommes au bout de nos ressources — je précise ici que je ne parle pas au nom de la GRC.
    Combien de dossiers pourraient être traités si on leur allouait simplement des ressources supplémentaires sans modifier la loi? Il est toujours hasardeux de formuler des hypothèses en ce domaine, en politique, alors je comprendrai si vous préférez éviter cet écueil.
    À mon avis, il s'agit de s'occuper des dossiers plus rapidement. Je ne sais pas si nous allons forcément... Nous allons toujours canaliser nos ressources vers les priorités majeures; nous nous en occuperons donc plus rapidement, cela va de soi. Dans le cas des dossiers un peu moins prioritaires, les délais pourraient être plus longs.
    Certaines personnes ont fait état du fait qu'il ne s'agit pas seulement des combattants étrangers rentrant dans leur pays ou de la radicalisation telle qu'on la voit sur l'Internet. L'extrémisme de droite est en résurgence au Canada. C'est un phénomène qui s'est manifesté dans certains actes aux États-Unis et aussi au Québec, comme on le sait. Ces événements se produisent simultanément.
    Pour répondre à votre question, je dirais qu'il s'agit de traiter un plus grand nombre de priorités plus rapidement, pourvu que nous disposions des ressources pour ce faire.
    Vous avez parlé de la conversion du renseignement en preuve, mais c'est un enjeu qui s'étend aux accusations de terrorisme. Sauf erreur de ma part, dans le cas des événements d'Edmonton, les accusations de terrorisme perdent de leur intérêt puisque les accusations liées aux autres crimes qui ont été commis — les différentes formes de violence — suffisent à la poursuite.
    Est-il difficile de faire la part entre ce qui est terrorisme et ce qui ne l'est pas? Comment le problème se pose-t-il dans votre travail?
    Chef Martin, puis-je répondre?
    Je vous en prie.
    Pour faire suite à vos propos, je dirai que pour prouver qu'il y a menace à la sécurité nationale, nous devons accumuler des preuves démontrant que le crime était motivé par des visées politiques, religieuses ou idéologiques à l'intérieur des frontières canadiennes.
    Vos remarques sont justes. La difficulté tient au fait que les enquêteurs doivent examiner un crime qui comprend éventuellement l'accomplissement d'un meurtre. Bien que la sécurité nationale puisse être en jeu, les éléments d'une accusation traditionnelle pour meurtre sont réunis et l'enquête est lancée.
    Une autre difficulté s'ajoute à la question de savoir s'il s'agit, d'une part, d'un crime traditionnel, ou, d'autre part, de terrorisme ou de menace à la sécurité nationale. Je parle ici de l'arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada qui établit des délais prescrits entre l'arrestation et l'accusation d'une personne et sa condamnation. Nous devons donc nous dépêcher de recueillir la preuve. Si nous disposons de preuves pour une accusation pour meurtre, sans avoir à fouiller pour prouver qu'il y a une dimension politique, religieuse ou idéologique au crime, voilà qui pose problème et les policiers doivent prendre une décision. Évidemment, étant donné la nature de l'acte criminel, il y a des discussions avec la GRC. Reste que ce sont là les défis que nous rencontrons.
    Si je pouvais parler d'une dernière difficulté...
(1130)
    Pouvez-vous ajouter un dernier élément en réponse à une autre question, je vous prie, une question de Mme Damoff, éventuellement?
    Madame Damoff, vous avez sept minutes.
    Je voudrais commencer par vous remercier tous les deux pour votre travail et pour votre présence et votre témoignage aujourd'hui. Merci beaucoup.
    Je souhaite d'abord aborder la question du chiffrement. Dans le contexte de notre étude sur le cadre de la sécurité nationale, les chefs de police ont parlé ici même de la nécessité d'un accès aux données chiffrées. Ensuite, le Comité s'est déplacé à travers le pays. D'autres témoins nous ont dit et répété que le chiffrement n'est plus ce qu'il était pendant les deux guerres mondiales, à l'époque où l'on pouvait déchiffrer le code et tout allait bien. En fait, quand on ouvre un accès aux bonnes personnes comme vous, on l'ouvre également aux mauvaises personnes. J'ai parlé à un grand nombre de gens qui travaillent dans le domaine. Ils m'ont dit que c'était indéniablement le cas.
    Vous vous trouvez dans une situation délicate, puisque vous ne voulez pas que les mauvaises personnes aient accès facilement aux données. Voulez-vous vous exprimer sur le sujet? Y a-t-il des éléments dans le projet de loi qui vous aideraient dans votre travail sans pour autant aider les personnes ayant de mauvaises intentions à mettre la main sur les données?
    L'un ou l'autre peut répondre à la question.
    Je répondrai en premier. Je ne sais pas s'il existe une réponse simple à cette question.
    Je dirais que le chiffrement constitue un obstacle qui nous empêche de nous faire une idée précise de la preuve que détient la personne qui fait l'objet d'une enquête. J'ai discuté avec quelques-uns de nos policiers spécialisés dans la criminalité informatique. Selon eux, le code de la technologie de chiffrement actuelle peut être percé un jour et il y aura une solution de rechange. Sinon, à force de recherche, nous trouverons un moyen, un moyen détourné, si l'on veut, de percer le code de chiffrement. Peu importe nos solutions, je crois que les gens qui ont de mauvaises intentions se débrouilleront ou découvriront les mêmes moyens que nous. Nous réalisons maintenant que, dans certains cas, la police n'est pas aussi bien outillée que les criminels à ce chapitre. Voilà la situation dans laquelle nous nous retrouvons sans cesse.
    Nous parlons des terroristes. Nous avons évoqué le 11 septembre, l'État islamique et Al-Qaïda; c'est là une dimension du problème. Vous avez aussi mentionné l'extrême droite. Nous l'avons vue à Sainte-Foy et à Las Vegas aux États-Unis. Nous avons tendance à négliger cela. Pourriez-vous nous parler des défis que vous rencontrez? Quand nous avons parlé au ministre, il a indiqué que ce genre d'acte était perpétré par des « loups solitaires » radicalisés et que les forces de l'ordre et la Sécurité publique avaient bien du mal à y faire face. Nous voyons un certain nombre d'exemples d'une telle radicalisation dans l'extrême droite, mais nous n'en parlons pas beaucoup.
    L'un de vous deux peut-il aborder cette question?
    J'ai la chance de vivre dans une circonscription où se trouve une professeure d'université dont la spécialité est l'extrémisme de droite. Grâce à elle, j'ai quelques connaissances sur le sujet. On ne saurait sous-estimer l'extrémisme de droite, au Canada ou ailleurs dans le monde.
    Selon ce que j'en comprends, la principale différence entre l'extrémisme de droite et l'extrémisme islamique tient au degré d'organisation des groupes. Lorsque vous parlez des « loups solitaires », il se peut qu'ils ne soient pas tout à fait seuls, mais ils ne sont sans doute pas aussi bien organisés que d'autres groupes à l'échelle nationale ou internationale. Voilà la principale différence, à ma connaissance. Il n'en demeure pas moins que cette menace est toujours présente au pays et ailleurs dans le monde; elle ne doit pas être sous-estimée.
     Passons au projet de loi à proprement parler. Nous avons entendu un témoignage à ce sujet. Il y a aussi eu une lettre ouverte mentionnant la nouvelle infraction qui était comprise dans le projet de loi C-51, soit la défense et la promotion de la perpétration d'actes terroristes en général et la définition très large de « propagande terroriste ». Lorsque le ministre était présent, nous avons parlé du fait que ce libellé a été modifié dans le projet de loi C-59 parce que, étant trop vague, il n'était pas applicable dans les tribunaux et n'avait jamais donné lieu à des accusations.
    Avez-vous le sentiment que ces modifications vous aideront à porter des accusations qui pourront être retenues dans les tribunaux?
(1135)
    C'est en effet un changement. Le seuil est un peu différent, mais le fait de « conseiller » de commettre une infraction est mieux établi en droit que le fait de « promouvoir » la même chose. Ce qui me semble se rapprocher le plus de la notion de « défense et promotion », c'est probablement la loi en matière de crime haineux. Cette loi a donné lieu — rarement, mais tout de même — à des activités et des poursuites. Du point de vue qui est le mien, à l'Association canadienne des chefs de police, l'idée de « conseiller » de commettre une infraction est mieux établie en droit et est mieux à même de nous permettre de porter des accusations.
    Il va sans dire que nous souhaitons que des accusations puissent être portées et suivre leur cours dans les tribunaux.
    La définition sera un peu plus restreinte. Il ne s'agit pas simplement de défendre une position sur YouTube et d'en faire la promotion. En fin de compte, les chances de réussite s'en trouveront sans doute accrues, selon les informations dont nous disposons.
     On nous a aussi parlé des difficultés qui découlent du fait que les forces de l'ordre travaillent en vase clos. Il y a la GRC et le SCRS. Selon vous, l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement établi dans le projet de loi C-59 contribuera-t-il à faire en sorte que les renseignements soient échangés plus rapidement? Vous êtes-vous penché sur cet aspect de la question?
    Je sais que dans les quartiers généraux de la sécurité nationale du SCRS, les échanges de renseignements avec la GRC sont constants. Dans mon propre service, j'ai entendu dire que les lettres de divulgation sont acheminées directement à la GRC. Elles ne sont pas communiquées à d'autres services comme l'escouade antiterroriste ici même en Ontario.
    Un flot ininterrompu d'échanges d'informations entre la GRC et le SCRS transite par les quartiers généraux de la sécurité nationale. À l'échelon fédéral, les échanges sont très fluides, je crois. La question est de savoir comment étendre cela à tous les services dans l'ensemble du pays.
    Merci.
    Monsieur Paul-Hus.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie également les témoins.
    Vos témoignages sont très importants en ce qui concerne la sécurité nationale. Notre objectif premier est de voir si le projet de loi C-59 va permettre aux corps policiers que vous représentez de continuer à faire leur travail.
    D'après ce que je sais, le terrorisme et le retour des combattants islamiques vous préoccupent beaucoup. De son côté, le gouvernement nous a confirmé, sans nous dire grand-chose, qu'il y avait certains contrôles, mais, de votre côté, vous semblez nous dire qu'il y a un problème.
    Pouvez-vous me donner plus d'information à cet égard? Y a-t-il un problème de communication entre les services du renseignement du Canada, la GRC et les corps policiers que vous représentez, lesquels sont davantage régionaux et municipaux?

[Traduction]

    Je ne dirais pas qu'il y a un problème en ce qui concerne les communications, si vous parlez du phénomène du retour des combattants étrangers. Ce n'est pas tant le partage de l'information qui pose problème. Il s'agit vraiment de savoir si nous avons les ressources nécessaires. S'ils reviennent en masse, nous avons besoin de ressources pour déterminer quelles sont leurs activités au Canada et si leurs intentions sont louables ou non.
    D'autres pays accueillent ces personnes en plus grand nombre que le Canada, mais lorsque les combattants étrangers reviennent ici, nous devons nous assurer de déterminer ce qu'ils ont en tête. À l'heure actuelle si j'ai bien compris, mais je peux vérifier les chiffres exacts, très peu de personnes ont été accusées par contumace ou ont été inculpées après leur retour ici. Nous avions des preuves pour étayer l'accusation quand elles sont revenues sur notre territoire.
    Bon nombre de ces gens reviennent du théâtre d'opérations. Nous ne savons pas quelles étaient leurs activités dans leur intégralité, mais nous savions qu'ils étaient là et qu'ils préparaient quelque chose. Nous n'avons pas de preuves suffisantes pour étayer des poursuites. Comme l'a dit le chef adjoint Rankin, il s'agit de savoir si nous avons les ressources nécessaires pour faire de la surveillance et nous assurer qu'ils ne mèneront pas d'activités qui vont nuire aux citoyens canadiens.
    Laurence.
(1140)
     Quatre voyageurs à risque élevé ont été accusés par contumace. Comme l'a dit le chef Martin, il est difficile de recueillir des preuves de ce que les combattants étrangers faisaient à l'étranger dans un théâtre de guerre. Il nous est possible de recueillir des éléments de preuve ou que l'on nous fournisse ces éléments, de l'information ou des renseignements, mais cela s'accompagne d'une série de mises en garde qui rendent souvent leur utilisation impossible. On craint que la vie des personnes qui ont fourni ces renseignements soit mise en danger ou que les techniques d'enquête utilisées par un organisme ne soient divulguées.
    Souvent, l'information est transmise à la GRC, qui peut la remettre aux services de police des administrations concernées. En gros, cependant, elle est tenue secrète en raison des mises en garde en place. En fin de compte, si nous portons des accusations contre une personne, tous les renseignements recueillis ou utilisés par la police ou la GRC doivent être divulgués au tribunal. Ce sont là les obstacles qu'il faut surmonter avant de pouvoir porter des accusations avec succès. Nous devons examiner tous ces facteurs et déterminer si les résultats de l'enquête demeurent valides si nous éliminons certains éléments d'information qui ne peuvent être divulgués en audience publique.

[Français]

     On vient de parler de gens qui sont allés à l'étranger faire le djihad et qui en sont revenus; c'est un problème. Or il y en a un autre, celui-là à l'interne, au Canada. Vous avez mentionné que, à Vancouver, le nombre de dossiers d'individus identifiés est passé de 13 à 268 et qu'il y avait un problème de ressources.
    Aux fins de notre étude, nous avons besoin de savoir si des éléments du projet de loi C-59 peuvent réduire votre capacité légale d'intervention. Il a été question de la nécessité de demander un mandat à un juge pour intervenir, si on voyait une possibilité d'infraction de nature terroriste.
    Selon vous, le projet de loi C-59 comporte-t-il des dispositions problématiques susceptibles de nuire à votre travail sur le terrain?

[Traduction]

    C'est une question importante. Malheureusement, vous n’avez qu’environ 20 secondes pour y répondre.
    Nous avons abordé la question dans une certaine mesure, mais oui, chaque fois que vous relevez certains seuils, il est un peu plus difficile de convaincre un juge qu'il faut aller de l'avant. Chaque fois que les seuils sont relevés, cela peut causer des problèmes. Cela reste à voir, mais cela dit, nous avons actuellement beaucoup d'outils pour lutter contre le terrorisme dans ce pays.
    Merci monsieur Paul-Hus.
    Monsieur Fragiskatos, vous avez cinq minutes.
    Merci monsieur le président.
    Pour que cela soit clair pour tout le monde, j'aimerais passer en revue ce que nous venons d'entendre. Sans preuves claires, il est difficile d'arrêter, de poursuivre et de condamner les combattants étrangers présumés, n'est-ce pas?
    C'est exact.
    D'accord, et c'est le cas sous le gouvernement actuel comme cela l’était sous le gouvernement précédent, parce qu'un certain nombre de combattants étrangers sont rentrés au pays sous le gouvernement précédent.
    Oui, et pour revenir à ce que j'ai dit au sujet des trois problèmes, nous sommes vraiment en face du problème de la conversion du renseignement en preuve. Laurence en a parlé un peu plus éloquemment que moi. Une partie de ces renseignements est recueillie sur le théâtre d'opérations. Il est difficile, tout d'abord, de protéger l'identité des personnes qui les fournissent, et de ne pas divulguer d'où ils viennent. La mise en garde qui sous-tend ce renseignement est qu'ils ne peuvent pas être utilisés en preuve.
    Je comprends cela monsieur.
    C'est là que réside le problème.
    Je ne voulais pas vous interrompre, mais je n'ai que cinq minutes et beaucoup de questions, mais merci beaucoup.
    Vous dites que dans le théâtre d'opérations, il est très difficile d'extraire des preuves de situations conflictuelles comme en Syrie ou en Irak, ou dans des pays qui vivent ce genre de conflit.
    C'est exact.
    Mon collègue M. Motz a soulevé la question des arrestations préventives. La mesure des arrestations préventives, introduite pour la première fois au Canada en 2001, n'a jamais été utilisée, n'est-ce pas?
    Je ne sais pas.
(1145)
    Je cite simplement les analyses juridiques d’un certain nombre d’observateurs. Nous avons entendu devant ce comité les professeurs Roach et Forcese, qui ont examiné la question et qui ont dit très clairement que la mesure des arrestations préventives n'a jamais été utilisée.
    C'est exact.
    Un seuil plus élevé a effectivement été établi dans le projet de loi C-59. Cela donnait suite à une préoccupation de longue date parmi les défenseurs des droits civils qui étaient d'avis, et je pense que c'est une position raisonnable, qu’il est discutable de détenir quelqu'un sans mandat pour une période maximale de sept jours, sans porter d'accusation criminelle, comme le permet la mesure des arrestations préventives. Dans une démocratie, il faut au moins en débattre.
     Le gouvernement a examiné le projet de loi C-51 et il y a apporté un changement. En vertu du projet de loi C-51, comme nous l'avons entendu, une arrestation peut avoir lieu lorsqu'elle « aura vraisemblablement pour effet d’empêcher que l’activité terroriste ne soit entreprise ». Maintenant, en vertu du projet de loi C-59, il est possible de procéder à une arrestation en présence de motifs raisonnables de soupçonner qu'un acte terroriste pourrait être commis. La possibilité de faire une arrestation demeure, et en cas d'urgence, elle est toujours là. Cela ne vous empêche pas d'agir à titre de policier, n'est-ce pas?
    Non, cela ne fait que modifier le seuil, comme vous l'avez souligné.
    D'accord, merci beaucoup.
     Il y a quelques jours, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique nous a fait part d'un certain nombre de préoccupations. Dans un autre article rédigé depuis leur témoignage, des préoccupations ont été exprimées au sujet du projet de loi C-59 au titre des cyberopérations qui pourraient être menées par le Centre de la sécurité des télécommunications. Puisque vous avez beaucoup parlé aujourd'hui des aspects technologiques du terrorisme et de la façon dont il peut mettre en péril la sécurité du Canada, j'aimerais vous poser une question à ce sujet.
     Cette association est d'avis que le projet de loi C-59, en habilitant le CST à mener des cyberopérations contre des ressortissants étrangers, constitue un danger. Plus précisément, il normaliserait le piratage parrainé par l'État. Pouvez-vous nous reparler de l'importance des cyberopérations du point de vue de la sécurité? Dans quelle mesure ces opérations sont-elles cruciales? La nature même de la sécurité évolue. Les Canadiens méritent d'être protégés. Nous devons nous assurer que nos approches suivent le rythme d’évolution de la menace en cours.
    Je crois que ce qu’a dit Laurence constitue la façon la plus simple pour moi de résumer la situation. En réalité, de nos jours, la technologie peut constituer la cible comme elle peut permettre de commettre les crimes. Tout ce que nous faisons et tout ce que nous observons du point de vue policier comporte une certaine forme de technologie au stade où nous en sommes.
    Diriez-vous que le fait de permettre au CST de mener des cyberopérations contre des ressortissants étrangers représente un changement souhaitable?
    Allez-y Laurence.
    Je ne peux pas parler au nom du CST, mais si vous examinez la question du point de vue de l'application de la loi au Canada, nous devons demander une autorisation judiciaire pour obtenir ces renseignements. Nous sommes confrontés jour après jour à des problèmes de chiffrement.
    Nous n'allons pas fouiller arbitrairement les ordinateurs des gens sans la permission ou l'autorisation requise. Ce que fait le CST et ce que nous faisons, ce sont vraiment deux choses différentes. Je ne suis pas en mesure de faire des commentaires à ce sujet. Je suis cependant en mesure de dire que nous sommes confrontés à un certain nombre de défis, dont le chiffrement, ainsi que la nécessité de recueillir ces preuves en temps opportun. La loi ne suit pas le rythme. La technologie est en train de prendre une grande avance. Nous devons nous conformer aux décisions de la Cour suprême, comme pour l’arrêt Jordan, qui imposent un fardeau supplémentaire aux organismes d'application de la loi...
    Merci.
    Merci monsieur Fragiskatos. Vous posez toujours les questions les plus difficiles à la fin.
    Monsieur Brassard, bienvenue devant le Comité. Vous avez cinq minutes, c’est à vous.
    Merci monsieur le président. Je vais tout de suite plonger au coeur du sujet.
     À titre d'opposition, nous avons interrogé à maintes reprises le gouvernement au sujet des combattants étrangers qui rentraient au pays. À cela, le ministre Goodale a répondu que le gouvernement utilise une gamme complète de moyens pour lutter contre le terrorisme, y compris la Coalition mondiale contre Daech, les enquêtes de sécurité, le contrôle, la surveillance, la collecte de renseignements, l’échange légal, la collecte de preuves. Il a également parlé d’« engagements de ne pas troubler l'ordre public ».
    Dans vos propos, monsieur Martin, j’ai été particulièrement surpris par le fait qu’aucun engagement de ne pas troubler l'ordre public n’a été exigé au Canada, même si nous savons qu’un certain nombre de djihadistes rentrent au pays. Nous n’en connaissons pas le nombre exact. Ne trouvez-vous pas étonnant que nous n'exigions pas d'engagements de ne pas troubler l'ordre public pour contrôler les terroristes djihadistes qui rentrent au pays?
(1150)
    Il faudrait d’abord qu'il y ait un seuil pour obtenir un engagement de ne pas troubler l'ordre public de l'une de ces personnes, qui auraient des conditions à remplir. Je ne peux pas parler de choses ou de cas précis en cours d'examen, mais effectivement, il n’y en a pas actuellement. Il y en a déjà eu, et s'il y a lieu de le faire et si nous avons les preuves pour l'obtenir, c'est ce que nous exigerions.
    Ma question est donc la suivante: si ce projet de loi prévoit que ce seuil soit relevé par rapport à ce qu'il était auparavant, est il possible que des Canadiens respectueux de la loi courent un risque à ce moment-ci, puisque nous savons, et le gouvernement le sait aussi, qu'il y a des djihadistes qui rentrent au pays? On ne connaît pas leur nombre, mais on sait qu'ils sont là. La population canadienne est-elle plus à risque en raison du relèvement de ce seuil?
    Eh bien, tout relèvement du seuil fait qu’il est un peu plus difficile pour les organismes d'application de la loi d'obtenir un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Nous devrions donc utiliser l'un des autres outils dont nous disposons. Il pourrait peut-être s’agir d'activités de surveillance ou d'un autre outil qui est à la disposition des organismes d'application de la loi et que nous pourrions utiliser à ce moment-là. L'application de la loi, et je sais que je peux parler au nom de nos confrères de la GRC d'un bout à l'autre du pays, ne laissera pas les Canadiens à risque si nous y pouvons quelque chose et si nous avons des outils à notre disposition.
    Je voudrais revenir à ce que vous avez dit plus tôt au sujet des ressources. À l'heure actuelle, dans quelle mesure devez-vous étirer vos ressources pour vous attaquer à ce problème?
    Mon service est particulièrement sollicité au maximum dans le traitement des crimes traditionnels, comme les décrirait Laurence, soit les homicides et les autres crimes de ce genre, sans parler de l'augmentation de certains types de crimes, ainsi que dans le traitement de problèmes émergents, comme la traite des personnes, le terrorisme et tous les autres crimes qui sont relativement nouveaux actuellement. Ces crimes étirent nos ressources jusqu’à la limite. Nous essayons d'établir des priorités et de hiérarchiser ces types d'enquêtes, et de nous assurer de nous occuper de celles qui sont les plus pressantes.
    Merci. C'est tout pour l’instant.
    Merci monsieur Brassard.

[Français]

     Monsieur Picard, vous disposez de cinq minutes.

[Traduction]

    J'ai beaucoup de questions, mais une chose en particulier m'est venue à l'esprit: mon collègue a suggéré une très bonne idée. Les patrouilleurs et les patrouilleuses doivent chaque jour relever le défi d'être dans la rue et de composer avec tout le monde. Selon ce que vous savez de ce qui se passe dans la rue, comment interprétez-vous le niveau de risque ou de danger auquel la population canadienne fait face? Ce niveau de risque a-t-il changé, augmenté ou diminué au cours des cinq ou six dernières années?
    Quelle est mon évaluation du risque pour les agents de première ligne, pour le public?
    La population canadienne est-elle plus à risque aujourd'hui qu'il y a six ans?
    Avec le retour des combattants étrangers, l'utilisation répandue d'Internet pour inciter les gens à se radicaliser, je dirais que oui, à mon avis, le risque pour la population canadienne est plus élevé qu'il y a six ou sept ans.
    À votre connaissance, cette situation est-elle très récente ou avons-nous commencé à nous pencher sur ces problèmes il y a cinq ans? L'Internet par exemple, la propagande, et…
    Avez-vous examiné des cas dans lesquels où nous commençons à voir plus de messages de propagande sur Internet? Sans savoir comment quantifier une personne qui voyage à l'étranger, il semble possible qu’un combattant étranger rentre au pays. Nous n'avons pas commencé à examiner cet aspect l'année dernière, n'est-ce pas?
    Chef, puis-je intervenir?
    Allez-y.
    Plus que jamais au cours des dernières années, nous sommes en face de ce qui semble être la fin du califat. Où vont ces combattants? Ce qui se produit en Europe, au Royaume-Uni et peut-être aux États-Unis pourrait fort bien se refléter dans ce que nous observerons au Canada. Je pense que c'est là le problème. Des combattants étrangers ou d'autres que nous ne connaissons peut-être pas encore reviennent parce qu'ils n'ont nulle part ailleurs où se battre.
    Ce problème prend de plus en plus d'importance.
(1155)
    Il en résulte un échange d'information intéressant entre les différents corps policiers. La cote de sécurité pose-t-elle un problème dans ces communications?
    Au niveau municipal, les membres de la GRC qui sont en liaison avec les EISN ont une cote de sécurité très secrète. Encore une fois, l'information va du quartier général de la sécurité nationale à l'EISN respective. Nous sommes régulièrement mis au fait de certains dossiers. Nos membres qui travaillent à ce type d'enquête du point de vue municipal communiquent régulièrement avec nos enquêteurs des EISN, ils échangent des renseignements et leur fournissent de l'information.
    Le principe du besoin de savoir limite-t-il certains renseignements auxquels vous avez accès lorsque vous vous adressez à quelqu'un, si vous vous attendez à ce que la personne puisse être un combattant étranger? Cela change-t-il votre position et les moyens dont vous disposez pour agir auprès de cette personne? Comment interprétez-vous ce que nous appelons des combattants étrangers du point de vue de la rue, des patrouilleurs? Lorsque vous pensez que quelqu'un pourrait être un combattant étranger, quels sont les moyens dont disposent les corps policiers dans la rue dans un tel cas?
    Nous avons évidemment adopté la formation liée à cette rencontre de première ligne dans notre propre service. Elle est parrainée en grande partie par la GRC dans le cadre du programme de sensibilisation au terrorisme des premiers intervenants. Elle est offerte dans tout le pays. Les agents de première ligne savent ce qu'il faut rechercher chez les combattants étrangers potentiels, non seulement les combattants islamistes, mais aussi les extrémistes de droite.
    Messieurs, je vous remercie.
    Les dernières minutes sont à vous monsieur Dubé.
    Merci monsieur le président.
    Chef adjoint Rankin, vous ai-je bien entendu tout à l'heure quand vous avez dit que même avec un mandat, vous ne pouviez pas avoir accès aux ordinateurs portables, aux ordinateurs de bureau ou autres?
    C'est exact.
    Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là?
    Le chiffrement de l'appareil, que ce soit un téléphone ou un ordinateur, est tel que nous n'avons pas la technologie qui nous permettrait de le contourner ou de le déchiffrer. Les preuves qui pourraient être contenues dans cet appareil nous sont cachées. C'est un réel problème.
    Ce que nous constatons dans les enquêtes, et je peux parler davantage des enquêtes criminelles traditionnelles, c'est que nous communiquerons alors souvent avec d'autres services de police, y compris la GRC, pour déterminer s'ils disposent d'une technologie qui pourrait nous aider à vaincre le dispositif chiffré. Il s'agit d'un enjeu important pour une enquête criminelle, mais cela aurait également des répercussions sur les enquêtes relatives à la sécurité nationale, lors desquelles nous déposons une accusation criminelle et découvrons des renseignements ou des preuves supplémentaires seulement un an plus tard, lorsque nous réussissons à déchiffrer l'appareil. Nous pourrions ne pas être en mesure de divulguer cette information en temps opportun sans compromettre l'inculpation…
    Merci.
    La comparaison n'est peut-être pas appropriée, mais si l'on examine le débat sur la question des téléphones cellulaires des voyageurs à la frontière, bon nombre d’entre eux soutiennent que le fait d'avoir un téléphone cellulaire n'est pas comme avoir une valise. Lorsque vous traversez la frontière, vous vous attendez à ce que votre valise fasse l'objet d'une fouille, et vous savez qu'il est normal de fouiller parmi des vêtements et d'autres formalités d’usage, alors que dans un téléphone cellulaire, il peut y avoir des renseignements bancaires, des renseignements sur la santé, et toutes sortes d'informations qui relèvent de la vie privée. Nonobstant tout crime qui peut avoir été commis ou non, l'accès, par exemple, aux ordinateurs portables et aux téléphones est-il préoccupant? En déchiffrant ce que ces appareils contiennent, vous avez accès à toute une série d'informations qui couvrent un éventail assez large.
    Répondez très brièvement, s'il vous plaît. Je vous remercie.
    Il y a effectivement un danger, et je pense que nous devons être précis en ce qui concerne l'affidavit qui est rédigé pour avoir accès à cet appareil, et en ce qui concerne ce que le juge ou le magistrat qui délivre le mandat a en tête, à savoir ce que nous pouvons chercher et les données que nous pouvons examiner.
(1200)
    Merci, monsieur Dubé.
    Voilà qui met fin à notre séance. Au nom du Comité, je tiens à remercier le chef Martin et le chef adjoint Rankin. Votre témoignage est très utile pour les délibérations de notre comité.
    Sur ce, nous allons suspendre la séance.
(1200)

(1200)
    Chers collègues, reprenons nos travaux. Nous accueillerons maintenant l'Association du Barreau canadien, représentée par Me Edelmann et Me Carter, puis, à titre personnel, Christina Szurlej de l'Atlantic Human Rights Centre, qui n'est pas encore arrivée.
    Commençons par l'Association du Barreau canadien, que nous avons hâte d'entendre.
    Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs. Je m'appelle Gillian Carter, et je suis avocate-conseil à la direction de la réforme du droit de l'Association du Barreau canadien. Merci d'avoir invité l'ABC à venir vous parler du projet de loi C-59.
    L'ABC est une association nationale qui regroupe plus de 36 000 avocats, notaires, professeurs de droit et universitaires. Un aspect important de notre mandat consiste à travailler à l'amélioration du droit et de l'administration de la justice, et c'est ce qui nous amène aujourd'hui.
     L'ABC a présenté son point de vue et son expertise à de nombreuses étapes de l'élaboration du régime de sécurité nationale et d'antiterrorisme au Canada. Notre mémoire sur le projet de loi C-59 est l'oeuvre de nombreuses sections de l'ABC, dont la justice pénale, le droit de l'immigration, les organismes de bienfaisance et sans but lucratif, le droit militaire, la protection de la vie privée et l'accès à l'information. Je suis accompagnée de Peter Edelmann, membre des sections du droit de l'immigration et du droit pénal et avocat spécialisé en droit de l'immigration.
    Je vais tout de suite céder la parole à Peter, qui présentera les principaux points de notre mémoire.
(1205)

[Français]

    Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui.
    Le projet de loi C-59 propose d'importantes et complexes mises à jour de la législation sur la sécurité nationale. Il viendrait répondre à diverses décisions de la Cour fédérale du Canada et à plusieurs des préoccupations courantes exprimées au sujet du projet de loi C-51 de 2015.
    L'Association du Barreau canadien appuie généralement les objectifs et la structure du projet de loi C-59, qu'elle voit comme un changement positif qui modernise le cadre juridique de l'infrastructure nationale du Canada en matière de sécurité et qui améliore la transparence, la surveillance et l'examen, là où ces éléments souffraient auparavant de lacunes. Les commentaires et l'analyse que nous formulons au sujet des modifications proposées dans le projet de loi C-59 sont offerts en vue de l'améliorer davantage.

[Traduction]

    Nos mémoires renferment plusieurs recommandations précises et je vous invite à les consulter pour les modifications plus techniques que nous proposons. Je vais prendre le temps dont je dispose pour développer deux ou trois sujets de préoccupation plus vastes.
    En premier lieu, nous appuyons la création de l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, l'OSSNR. J'ai quelques observations à formuler à son sujet, et plus particulièrement sur son mandat. Certes, nous nous réjouissons de la décision d'éviter une formulation qui limiterait inutilement le mandat de l'office, mais un mandat trop vaste pourrait empêcher l'Office de bien évaluer son rendement au regard de son mandat.
    Selon la formulation actuelle, l'OSSNR aurait pour mandat de faire un vaste examen de « l'exercice par les ministères de leurs activités liées à la sécurité nationale ou au renseignement ». Le terme « renseignement » est très large. Il pourrait englober des choses qui sont faites par toutes sortes d'organismes, comme l'Agence du revenu du Canada, Pêches et Océans Canada, les services de police, etc.
    Le terme « sécurité nationale » pose également problème étant donné les multiples définitions qu'en donnent différentes lois. En particulier, nous sommes préoccupés par la LCISC, la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, ou par les modifications que nous avons aujourd'hui. La définition d'« activité portant atteinte à la sécurité du Canada », à l'article 2, reste très vaste et, en particulier, elle diffère de la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » selon la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Rien ne sert d'avoir deux définitions. Cela prête à confusion et ne donne pas de mandat clair aux organismes de sécurité nationale et, en particulier, à un office de surveillance ou d'examen.
    Je signale au passage que la modification à l'exception au paragraphe 2(2) de la LCISC est troublante, car elle limite considérablement la protection que prévoit la version actuelle. Plusieurs activités politiques légitimes pourraient être perçues comme des atteintes à la souveraineté ou à l'intégrité territoriale du Canada.
    Par le passé, nous avons recommandé d'adopter une définition claire et cohérente de « sécurité nationale » et nous ne changeons pas d'idée. On ne sait pas non plus si certaines autres activités entrent dans la définition de « sécurité nationale ». Ainsi, la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, la LSDA, ne dit rien de la sécurité nationale et on ne sait pas trop si la surveillance des activités visées par la LSDA relèverait de l'OSSNR ou pas. Autrement dit, s'agit-il ici d'une loi de sécurité nationale? Est-ce l'OSSNR qui en est responsable?
    Il est manifestement essentiel de coordonner l'action de l'OSSNR avec celle d'autres organismes de surveillance, mais nous dirions que le cadre de l'examen présente encore des lacunes importantes. Le problème est particulièrement criant dans le cas de l'Agence des services frontaliers du Canada, et nous avons exprimé des préoccupations au sujet de cette absence d'examen indépendant de l'ASFC plusieurs fois par le passé.
    L'ASFC, l'un des plus importants services d'application de la loi au pays, n'est pas soumise à une surveillance ou un examen indépendant. Le rôle ne devrait pas revenir à l'OSSNR, même s'il fait ressortir le problème que pose le fait d'avoir une définition vague de « sécurité nationale », car on pourrait faire valoir que tout ce que fait l'Agence des services frontaliers du Canada pourrait entrer dans une vaste compréhension de la sécurité nationale dans un sens vague.
    Les plaintes quotidiennes au sujet des problèmes à la frontière ne devraient pas mobiliser l'OSSNR et ses ressources. Il faut un organisme de surveillance spécialisé.
    Nous sommes aussi préoccupés par l'accès à l'information pour l'OSSNR; en particulier, par le fait que l'OSSNR aurait accès à toute information autre qu'un renseignement confidentiel du Cabinet qu'il jugerait nécessaire pour son travail. Cela s'appliquerait explicitement aux informations protégées par le secret professionnel de l'avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige, ce qui créerait un mécanisme ouvert d'examen des conseils juridiques donnés au gouvernement. Voilà qui préoccupe beaucoup l'ABC.
    Le rôle du secret professionnel de l'avocat est fondamental dans le fonctionnement de notre système de justice, et c'est aussi vrai pour les acteurs gouvernementaux que pour ceux du secteur privé. On a fait valoir que l'information confidentielle doit être rendue accessible parce que les pratiques des organismes de sécurité dépendent souvent des conseils juridiques qu'ils reçoivent.
(1210)
    Cependant, sans garantie de confidentialité, on cherchera moins souvent à obtenir des conseils juridiques, préférant une divulgation moins franche de la part des clients ou, pire encore, ne documentant pas les conseils reçus.
    L'autre problème concernant la divulgation de renseignements protégés par le secret professionnel de l'avocat est la façon dont l'OSSNR en traite dans ses rapports. Il n'est pas utile que l'OSSNR ait des renseignements protégés par le secret professionnel. Ce qu'il lui faut, c'est de l'information sur la façon dont cela est effectivement déployé au sein de l'office, et pas sur les conseils qui sous-tendent ces décisions.
    Au sujet du commissaire au renseignement, l'ABC appuie la création d'un bureau spécialisé indépendant pour la surveillance et l'autorisation des activités du Centre de la sécurité des télécommunications, le CST, ou du Service canadien du renseignement de sécurité, c'est-à-dire le SCRS. Nous avons généralement réclamé une surveillance judiciaire, mais nous reconnaissons les avantages d'un commissaire spécialisé, aidé d'un personnel et disposant de ressources pour assurer une surveillance continue efficace.
    La nature de l'examen prévu aux articles 14 à 21 du projet de loi sur le commissaire au renseignement nous inquiète parce qu'il y a un système de constatations sur la raisonnabilité imbriquée. Au lieu de suivre le processus normal de demande de mandat à un juge, qui déciderait s'il y a des motifs raisonnables, la loi exige que le ministre rende une décision fondée sur des motifs raisonnables, avant que le commissaire au renseignement examine la question en appliquant le critère de raisonnabilité.
    Cela pose deux problèmes, dans notre perspective. En premier lieu, on ne sait pas trop quelle part de retenue judiciaire cela suppose. Aujourd'hui même, il y a un grand débat devant les tribunaux sur l'application du critère de raisonnabilité et son incidence sur la retenue judiciaire.
    Il n'est pas nécessaire de créer cette confusion ici, et il n'y en a pas au sujet du critère des motifs raisonnables, si bien qu'il n'y a aucune raison pour cette conclusion de raisonnabilité imbriquée si ce n'est de faire naître une certaine confusion quant à l'ampleur de la surveillance, en particulier parce qu'elle se fera à porte close. Il est important que les Canadiens comprennent ce que fait le commissaire au renseignement, et que cela soit clair.
    L'ABC est généralement en faveur du mandat plus détaillé du Centre de la sécurité des télécommunications, et de la structure proposée. Plusieurs éléments des mandats proposés sont en conflit entre eux, comme l'infraction et la défense dans les cyberopérations, en particulier.
    Nous recommanderions de prévoir dans le mandat du CST un processus explicite de vulnérabilité afin que l'équilibre puisse se réaliser en toute transparence. Les États-Unis se sont donné un processus qui pourrait servir de modèle, ou du moins donner des idées à cet égard.
    Quant au SCRS, nous demeurons préoccupés par les pouvoirs de perturbation. En particulier, les pouvoirs cinétiques du SCRS lui viennent de son mandat d'origine, consécutif à la Commission McDonald.
    Je vous renvoie à nos observations écrites concernant nos préoccupations au sujet du paragraphe 12.1(3.2). Nous avons toujours les mêmes préoccupations que jadis au sujet de ces mandats qui limitent les droits garantis par la Charte dans ce contexte.
    Enfin, à propos de l'infraction du Code criminel consistant à conseiller une infraction de terrorisme, à mon avis, à la lumière de la jurisprudence de la Cour suprême dans l'affaire Hamilton, les infractions de conseiller dans le Code criminel couvrent déjà tout ce que couvre celle-ci. Rien ne sert de compliquer davantage le Code criminel, qui l'est déjà trop. Il faut le simplifier, et l'infraction de conseiller couvre tout ce que vous espérez couvrir ici.
    Merci beaucoup de votre temps, et je vous prie de m'excuser si j'ai un peu dépassé le temps prévu.
(1215)
    Merci beaucoup.
    Mme Szurlej, de l'Atlantic Human Rights Centre, St. Thomas University, est arrivée.
    Vous avez 10 minutes, s'il vous plaît.
    Monsieur le président, monsieur le greffier, et membres du Comité, merci de l'occasion de témoigner devant vous au sujet du cadre de sécurité nationale du Canada.
     Après une série de consultations nationales sur la Loi antiterroriste, l'ancien projet de loi C-51, le gouvernement libéral a rédigé le projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale, pour remplacer la Loi antiterroriste.
    J'ai étudié le projet de loi et j'en parlerai dans la perspective des droits de la personne. Assurer la sécurité de sa population est une fonction fondamentale du gouvernement. Il ne fait aucun doute que le gouvernement et ses organismes doivent disposer des moyens voulus pour prévenir, contrer et gérer les menaces changeantes dans notre ère numérique. Dans le même ordre d'idées, il faut trouver l'équilibre entre la sécurité publique et le respect des droits, en veillant à ce que les limitations dont les droits sont assortis soient nécessaires, proportionnées et raisonnables.
     La professeure de droits de la personne que je suis constate avec plaisir que le projet de loi C-59 reconnaît la nécessité de respecter la Charte canadienne des droits et libertés, la primauté du droit, la responsabilité et la transparence. La création d'un office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, investi du mandat d'examiner les activités liées à la sécurité nationale, d'étudier les plaintes et de mener des enquêtes, est sans aucun doute le projet le plus important.
     Le projet de loi prévoit aussi la création d'un poste de commissaire au renseignement chargé d'examiner le caractère raisonnable des autorisations données au Service canadien du renseignement de sécurité et au Centre de la sécurité des télécommunications concernant, entre autres choses, la collecte de renseignements et la cybersécurité. Bien que le projet de loi C-59 ait corrigé certaines lacunes de la Loi antiterroriste de 2015, il subsiste des préoccupations au sujet de son incidence sur les droits de la personne, et en particulier sur les droits à la vie privée, le droit de liberté de réunion et d'association, la liberté d'expression, la liberté et la sécurité, les droits démocratiques, l'application régulière de la loi et les protections contre la discrimination.
    Compte tenu des contraintes de temps, mon témoignage se limite aux préoccupations que suscitent les modifications à la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité au sujet de la collecte, de l'interrogation, de l'exploitation et de la rétention des ensembles de données. La loi définit « ensemble de données » comme l'ensemble d'informations sauvegardées sous la forme d'un fichier numérique qui portent sur un sujet commun. Un ensemble de données pourrait donc englober la documentation électronique thématique, pourvu qu'il s'agisse d'un ensemble de données accessible au public, qui concerne principalement des non-Canadiens vivant à l'extérieur du Canada, ou qui constitue une catégorie approuvée.
    Il peut être rassurant de savoir qu'un nouveau commissaire au renseignement examine les catégories d'ensembles de données afin de prévenir les abus, mais le reste du paragraphe 11.05(2) est à lire avec circonspection. Le terme « ensemble de données accessible au public » est trompeur, car il peut comprendre des renseignements protégés en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais quand même accessibles au public, parfois sans le consentement ou à l'insu de la personne concernée. Autrement dit, les données accessibles au public comprennent les renseignements confidentiels rendus publics sur demande, par abonnement ou par achat. Plutôt que d'exploiter cette vulnérabilité en légitimant et encourageant la réification et l'exploitation des données du public, le gouvernement du Canada a une obligation positive de protéger sa population contre les violations par des tiers qui pourraient compromettre la vie privée des particuliers, dans un dessein lucratif.
    Le fait de donner au gouvernement le pouvoir de recueillir des données accessibles au public semble anodin, mais peut révéler des renseignements très personnels et violer aussi le droit à la vie privée. Je mets aussi en garde les Canadiens contre l'acceptation aveugle de la surveillance gouvernementale de masse des étrangers. Bien que la surveillance ciblée puisse être nécessaire pour déjouer les menaces légitimes à la paix et à la sécurité, la surveillance de masse permet à des pays étrangers qui n'ont pas de comptes à rendre aux électeurs canadiens de réunir des renseignements sur les Canadiens et de les communiquer à nos gouvernements, à d'autres pays ou des sociétés.
    Dans ces circonstances, le gouvernement du Canada pourrait aussi mettre en danger des étrangers en révélant des renseignements compromettants aux gouvernements n'ayant pas un bon palmarès au niveau des droits de la personne. Le respect différencié de la vie privée des Canadiens et des non-Canadiens à l'extérieur du pays constitue également une violation de la non-discrimination en vertu du pacte international relatif aux droits civils et politiques.
(1220)
    Le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la vie privée a soutenu que la distinction entre les citoyens du pays et les étrangers n'est pas conforme aux principes du droit universel à la vie privée.
    Le fait de ne pas limiter adéquatement les atteintes à la vie privée pourrait entraîner des violations de l'article 8 de la Charte sur le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ou de la présomption d'innocence en vertu de l'alinéa 11d). Pour établir que la justification de ces limitations peut « se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique », le gouvernement du Canada doit prouver qu'elles sont suffisamment importantes, qu'elles sont liées de façon rationnelle à l'objectif, qu'elles portent très peu atteinte aux droits et que leur résultat dépasse la gravité du problème qu'il cherche à régler.
    Bien que la protection de la sécurité publique et de la sécurité nationale soit suffisamment importante pour justifier une atteinte à la vie privée bien définie et ciblée, la collecte massive de données susceptibles de mener à des résultats utiles dans l'exercice des fonctions du SCRS n'est pas assez importante pour empiéter sur les droits protégés par la constitution.
    De même, la collecte générale d'ensembles de données « utiles » dans l'exercice des fonctions du service ne fait pas ressortir de lien rationnel direct avec la protection de la sécurité publique. Si cette collecte n'a pas de lien direct avec la protection de la sécurité publique et de la sécurité nationale, pourquoi le gouvernement du Canada considère-t-il que ces pouvoirs proposés sont une composante nécessaire du cadre de sécurité nationale?
     Le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l'homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a prévenu que les restrictions qui ne sont pas nécessaires constituent une violation « arbitraire » du droit à la vie privée. Le rapporteur spécial souligne en outre que, pour qu'une restriction puisse être permise, il ne suffit pas qu'elle serve l'un des objectifs législatifs énumérés; encore faut-il qu'elle soit nécessaire pour atteindre l'objectif législatif. Étant donné que l'objectif du projet de loi C-59 est de protéger la sécurité nationale, la collecte générale de données utiles pour le travail du SCRS ne satisfait pas à ce critère.
    L'information concernant la protection de la sécurité publique et de la sécurité nationale au Canada devrait être définie étroitement et recueillie seulement « dans la mesure strictement nécessaire » et s'il y a des motifs raisonnables de soupçonner une menace pour le Canada. Si nous autorisons la collecte et le stockage massifs de données personnelles à l'insu de la personne concernée, sans son consentement, ou sans qu'elle puisse contester la nature et l'authenticité des renseignements recueillis, l'étape suivante pourrait être l'utilisation abusive, la modification, la dissimulation délibérée, ou la manipulation des renseignements.
     En effet, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité permet à un directeur du SCRS d'autoriser des employés désignés à commettre, dans l'exercice de leurs fonctions et responsabilités, des actes ou des omissions qui constitueraient autrement des infractions. En théorie, le ministre pourrait autoriser la collecte d'ensembles de données destinés à aider les employés du SCRS à mener des activités par ailleurs criminelles. Ces pouvoirs sont-ils compatibles avec le préambule du projet de loi C-59, qui affirme respecter la Charte canadienne des droits et libertés, la primauté du droit, ainsi que la responsabilité et la transparence, tout en défendant la sécurité nationale.
    Les modifications à la loi créent de nouvelles mesures de protection, dont la nature, toutefois, soulève des préoccupations. Le projet de loi comprend des dispositions pour obliger le service à supprimer les renseignements et les ensembles de données sur la santé physique ou mentale d'un individu, les renseignements assujettis au secret professionnel de l'avocat, ainsi que les contenus d'ensembles de données concernant des citoyens canadiens à l'étranger. Cela fait penser que certains ensembles de données contiendront des renseignements qui devraient jouir du plus haut degré de protection de la vie privée.
    La question est la suivante: pourquoi le ministre et le commissaire au renseignement approuveraient-ils un ensemble de données qui risquerait de révéler ce type de renseignements au sujet d'un individu qui n'a rien à se reprocher? Par ailleurs, les modifications devraient stipuler expressément que la collecte accidentelle de ces données entraînera leur destruction totale, ce qui clarifie le résultat souhaité avec plus de précision que la seule utilisation du terme « supprimer ».
    La Cour suprême du Canada a souligné que la protection de « la vie privée est une condition préalable à la sécurité individuelle, à l'épanouissement personnel et à l'autonomie ainsi qu'au maintien d'une société démocratique prospère. » Bien que lui-même non protégé par la constitution, le droit à la vie privée est essentiel pour l'expression maximale de la plupart des droits garantis par la Charte, y compris la liberté d'expression; la liberté de réunion pacifique; la liberté d'association; le droit de vote; le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité; et le droit à un procès équitable, y compris l'interdiction des fouilles, perquisitions et saisies abusives, la protection de la présomption d'innocence et le maintien du secret professionnel de l'avocat dans le cadre du respect du droit à un procès équitable et en particulier de la disposition contre l'auto-incrimination.
(1225)
    Étant donné les répercussions sur les droits protégés par la constitution, toute limitation du droit à la vie privée devrait être justifiée en vertu de l'article 1 de la Charte par application du critère énoncé dans l'arrêt Oakes. Si les tribunaux déterminent...
    Madame Szurlej, votre temps est écoulé, mais pourriez-vous conclure dans les 30 secondes?
    Certainement.
    Je vais plutôt parler de mes recommandations, que voici:
    Veiller à ce que toute limitation des droits de la personne soit conforme aux obligations nationales et internationales du Canada. Toute atteinte à ces droits doit être nécessaire, proportionnée, raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique.
    Le gouvernement doit veiller à ce que la collecte de renseignements personnels soit directement liée à la protection de la sécurité publique et nationale et non pas tangentiellement associée aux fonctions et responsabilités du SCRS ou de tout autre organisme.
    Il y aurait lieu d'adopter une loi visant à protéger la population canadienne de toute marchandisation des renseignements personnels par de tierces parties en contrepartie d'un paiement ou d'un abonnement à un service.
    L'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement devrait être doté du pouvoir de rendre des décisions exécutoires.
    Le poste du commissaire au renseignement devrait être un poste à temps plein et non à temps partiel compte tenu de l'importance de ce portefeuille.
    Merci, madame Szurlej.
    J'aurais quelques remarques finales à faire avant de terminer.
    Le problème est que vous finissez par empiéter sur le temps de parole des membres, et ils se fâchent alors contre moi, ce qui n'est pas vraiment une bonne chose, à mon avis. Je vais donc me tourner vers...
    Ma dernière remarque est très importante.
    Je peux peut-être l'aider.
    D'accord, vous pouvez l'aider pour cette dernière remarque, madame Dabrusin. Je vous en laisse décider à deux.
    Pourriez-vous me remettre votre dernière remarque, s'il vous plaît?
    Merci beaucoup. Je vous suis très reconnaissante.
    Pour les raisons énoncées plus tôt, je ne peux pas, en toute bonne foi, appuyer une loi autorisant une surveillance de masse. Si cette solution est proposée, je recommande la mesure suivante. Il y aurait lieu de définir clairement et dans le détail les notions de « ensemble de données », « données accessibles au public » et « exploitation de données ». Il faut prendre en note chaque fois qu'un ensemble de données est créé, consulté et exploité et par qui. Il faut prendre en note l'objet précis de la consultation pour améliorer l'imputabilité. Des relevés d'utilisation des données devraient être envoyés périodiquement au commissaire au renseignement pour qu'il les examine.
    Merci. En fait, vous pourriez nous remettre par ailleurs un mémoire. Nous en recevrons tous un exemplaire que nous pourrons examiner, mais, malheureusement, je n'ai pas beaucoup de temps et j'avais...
    Vous aviez d'autres questions. Je vous remercie.
    Je suis contente que vous ayez pu parler de cela.
    J'en ai déjà parlé dans le cadre d'auditions antérieures. L'un des problèmes les plus importants aux yeux des gens de ma circonscription, et ce dont ils parlent beaucoup, c'est la question de la surveillance des organismes chargés de la sécurité nationale.
    Je voudrais commencer par une question que vous avez soulevée, maître Edelmann. Selon vous, l'Office a un mandat trop vaste, et ce n'est pas un point de vue que j'ai souvent entendu. Il me semble que l'on cherche à faire exactement le contraire, c'est-à-dire de permettre à une institution d'envergure de briser les silos. Est-ce que cela pourrait se régler par une définition différente de la notion de sécurité nationale? Vous disiez que la sécurité nationale fait partie du problème.
    Notre inquiétude concernant le caractère vague du mandat de l'Office a trait aux moyens de mesurer son efficacité par rapport à son mandat et à la façon dont ses ressources devraient être déployées. Si l'on utilise une définition très large des notions de renseignement et de sécurité nationale, on ratisse tellement large que, s'il faut effectivement exercer une surveillance, l'Office risque d'être submergé de plaintes contre l'Agence des services frontaliers du Canada, par exemple, ou d'avoir à se pencher sur les activités de renseignements du ministère des Pêches et des Océans, ou encore de...
    Mais comment régler cela? En ce moment, nous avons une loi sous les yeux. D'après vous, comment devrions-nous nous y prendre pour creuser ce problème?
    Je proposerais d'adopter une définition claire des notions de sécurité nationale et de menace pour la sécurité nationale. On s'est longtemps servi de la définition énoncée dans la Loi sur le SCRS, et ce n'est que depuis l'adoption du projet de loiC-51 que nous avons une autre définition, qui a obscurci la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada. Si la loi sur la communication d'information doit avoir un champ d'application aussi large, il est évident qu'il faudra exercer une surveillance, et c'est peut-être la définition plus générale employée dans cette loi qu'il faudrait appliquer à l'Office.
    Nous estimons que cette définition est trop générale et trop vague.
(1230)
    Il serait peut-être utile de s'interroger sur la définition employée dans la Loi sur le SCRS.
    En effet. Quant aux définitions existantes, nous en avons déjà une dans la Loi sur le SCRS. Concernant l'Office, on peut se demander si le mandat du CST est un peu trop vaste, et certaines activités du CST pourraient y échapper. On pourrait s'interroger sur ce que l'Office est effectivement censé surveiller et sur les écarts par rapport aux autres organismes de surveillance.
    Quant à ce que son mandat devrait couvrir ou ce que le mandat d'autres organismes devrait couvrir, nous avons expliqué dans notre mémoire que, par exemple, la plupart des activités de l'ASFC devraient être prises en charge par un autre organisme de surveillance.
    Je suis contente que vous souleviez la question, parce qu'elle m'intéresse également. L'Office couvre maintenant les activités de tous les organismes, mais je voulais savoir si vous pensiez qu'un organisme distinct devrait s'occuper de l'ASFC.
    Effectivement.
    Nous avons eu la chance d'avoir la visite de la commissaire à l'information. Nous avons reçu un représentant du Bureau du commissaire du CST, c'était mardi je crois, et j'ai posé quelques questions. Je me demandais ce que vous en pensiez. Actuellement, selon la nouvelle loi, le commissaire est tenu de produire ses motifs écrits lorsqu'une demande d'autorisation est rejetée, mais il n'y est pas tenu s'il approuve la demande d'autorisation. Pensez-vous qu'il serait utile d'exiger des motifs écrits dans les deux cas?
    Oui.
    Il y a aussi les autorisations d'urgence. Tout le monde semble accepter le fait que des situations d'urgence puissent se produire et qu'on ne veuille alors pas passer par la procédure ordinaire. Pourrait-on envisager un examen a posteriori par le commissaire du CST?
    Je crois que ce devrait être le cas et que cela devrait faire partie du mandat, compte tenu de l'expertise du commissaire du CST ou de la commissaire à l'information selon le cas.
    Merci.
    Dans un rapport de laboratoire que j'ai lu, un citoyen propose un examen d'amicus curiae privé — il ne s'agit pas d'examen public — des décisions rendues par le commissaire.
    Qu'en pensez-vous? Vous êtes-vous penché sur cette question?
    Il existe des circonstances dans lesquelles les tribunaux feront intervenir un amicus curiae ou des conseillers spéciaux au sujet de certaines questions.
    L'ABC n'a pas envisagé cette solution dans ce cadre particulier, mais c'est une possibilité, absolument, et elle a déjà été envisagée par la Cour fédérale pour aborder certaines questions précises. Voyez la décision Re X, à laquelle renvoient de nombreuses questions ici. Si je me souviens bien, on y a fait appel à des amici curiae à l'occasion pour obtenir certains avis.
    Merci.
    Merci, madame Dabrusin, et merci d'avoir permis à Mme Szurlej d'utiliser un peu de votre temps.
    Monsieur Paul-Hus.

[Français]

     Je vous remercie beaucoup d'être avec nous aujourd'hui.
    En toute naïveté, j'essaie de comprendre un élément. Selon moi, les deux plus grandes agences de renseignement au monde sont Facebook et Google. Je crois que nous pouvons nous entendre là-dessus. Par ailleurs, on retrouve la majorité des Canadiens sont sur ces réseaux.
    Lorsqu'une personne s'inscrit sur Facebook, elle doit approuver une liste de règlements, que personne ne lit et que tout le monde accepte. Des détails sur sa vie sont alors publiés et elle peut être repérée et suivie partout. Les gens n'y voient pas de problème. Des employés de Google et de Facebook, qu'ils soient en Californie ou ailleurs dans le monde, peuvent tout savoir sur nos vies et personne n'en fait de cas. Par contre, on veut mettre des restrictions et des barrières au travail des professionnels de nos agences de renseignement, qui veulent assurer notre protection civile.
    Comment expliquez-vous le fait qu'on ne se préoccupe pas Facebook ou de Google, mais qu'une espèce de restriction s'applique au travail de nos agents de renseignement?
(1235)
     Selon moi, il y a deux grandes différences entre Google et Facebook et le SCRS.
     Premièrement, ces compagnies sont privées et elles n'exécutent pas les pouvoirs de l'État canadien ou de n'importe quel autre État, et elles n'exécutent pas non plus de pouvoirs policiers, notamment.
    Deuxièmement, vous dites que  tous les gens acceptent de fournir leurs renseignements personnels à Facebook ou à Google. Or ils ne le font pas tous. Je suis d'accord avec vous sur le fait que la plupart des Canadiens, peut-être même la grande majorité d'entre eux, font ce choix, mais cela demeure un choix.
    Par contre, quand les renseignements personnels d'un individu se retrouvent dans la base de données du SCRS, ce n'est pas à la suite d'un choix. D'ailleurs, les personnes qui choisiraient de ne pas fournir leurs renseignements personnels au SCRS sont précisément celles dont vous souhaiteriez le plus voir les renseignements figurer dans cette base de données.
    Pensez aux États policiers. En tant qu'avocat pratiquant dans le domaine du droit des réfugiés, je peux vous dire que la Chine, la Corée du Nord, l'Iran et les pays qui répriment les droits et libertés utilisent l'information dont nous parlons ici d'une façon non transparente, non contrôlée, ce qui rend les libertés fictives ou inexistantes. Je ne veux pas dire par là que le Canada agit de cette façon, mais on parle justement d'une protection à cet égard.
    On ne veut surtout pas que le Canada devienne un État policier, qu'il se mette à agir comme la Corée du Nord ou la Chine, qui sont absolument abjectes. Cela dit, l'objectif est de se protéger. Le monde a changé, de même que la menace globale; les fameux réseaux du genre de Facebook sont des outils de propagande haineuse. Or celle-ci ne vient pas nécessairement de chez nous. Elle peut en effet venir d'ailleurs.
    Je reviens à la loi. Supposons qu'un individu publie sur YouTube une vidéo dans laquelle il propose d'attaquer le Canada ou de faire sauter une bombe sans toutefois demander à une personne spécifique de le faire. Selon vous, cet individu devrait-il être accusé d'avoir conseillé la perpétration d'un attentat?
    Je vous recommande de lire la décision de la Cour suprême dans l'affaire R. c. Hamilton. M. Hamilton avait produit un CD comportant des instructions sur la façon de commettre de la fraude, notamment au moyen de cartes de crédit. Il n'avait pas conseillé à des personnes spécifiques de le faire. Il vendait sur Internet, pour 30 $, un CD expliquant comment frauder les banques. Il s'agissait d'établir s'il avait conseillé la perpétration de crimes. C'est la cour provinciale, je crois, qui a déterminé qu'il ne l'avait pas fait, entre autres parce que ce n'était pas des crimes spécifiques.
    Par contre, la Cour suprême a établi que c'était un crime. Ce dont vous parlez ici est déjà un crime au même titre que tous les autres crimes et non pas seulement par rapport au terrorisme. Nous pourrions nous pencher sur les détails de l'arrêt Hamilton, mais ces principes sont déjà dans la loi. On ne peut pas conseiller...
    Des modifications ont été apportées à la terminologie du projet de loi C-59, de manière à rendre cela plus spécifique ou plus large.
    Selon moi, si on cherche à rendre cela plus large que l'arrêt Hamilton, c'est problématique. En effet, on en serait au point où l'on se demanderait s'il est même possible de discuter de crimes ou d'autres sujets. Pourrait-on même en parler, se demander si on pourrait faire cela, discuter de ce qui constitue un crime ou se référer à d'autres événements?
    On pourrait en arriver à un point où la liberté d'expression serait remise en cause, ce qui serait problématique.
(1240)
     J'aimerais maintenant revenir à Mme Szurlej.
    Le projet de loi C-59 modifie la partie 5 de la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada. Vous en avez parlé un peu. J'aimerais que vous nous disiez, pour ce qui est du seuil, la différence la différence que vous faites entre « raisonnablement nécessaire » et «  strictement nécessaire ».
    Pourriez-vous nous en donner un exemple concret?

[Traduction]

     Je voudrais recommander au Comité permanent de prendre connaissance de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada pour déterminer le seuil de raisonnabilité, parce qu'il resterait sûrement systématique quel que soit le crime.
     S'il est question d'ingérence dans la vie privée des gens, il faut en principe un mandat pour agir. Et, oui, il existe des circonstances exceptionnelles, mais la Charte des droits et libertés n'est pas là pour rien: elle protège constitutionnellement ces droits, et toute atteinte à ces droits doit être raisonnable.
    Il ne suffit pas de dire que la collecte de données relève des fonctions du SCRS pour qu'elle respecte ce seuil. Peut-être faudrait-il démontrer clairement qu'une menace pèse sur la sécurité nationale pour justifier le dépassement du seuil.

[Français]

     Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci.

[Français]

    Monsieur Dubé, vous disposez de sept minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Une des questions qui reviennent souvent porte sur l'information accessible au public, que l'on retrouve dans les parties 3 et 4 du projet de loi. J'aimerais savoir si la loi canadienne ou la jurisprudence contient une définition de ce que veut dire « information accessible au public ».
    La jurisprudence laisse une grande place à la discussion sur ce qui est accessible au public.
    Par exemple, pour ce qui est de l'accès du public aux cours, un principe prône le caractère public des débats à la cour. En anglais, c'est le open court principle.
    Beaucoup de discussions portent sur ce que cela veut dire. Cela ne veut pas dire qu'on doive retrouver en ligne tout le contenu des dossiers de la cour. Cela signifie plutôt qu'une personne peut se présenter au greffe pour demander une copie des dossiers. Il n'y a pas de définition générale de ce qui est accessible au public, que je sache. Il s'agit d'un exemple qui traite de l'accessibilité au public.
    Dans la Loi sur l'accès à l'information, on parle beaucoup de ce qui devrait être accessible ou non au public. Il existe beaucoup de jurisprudence par rapport aux limites de ce qui devrait être accessible en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, par exemple.
    Cela étant dit, dans la projet de loi, à l'alinéa 24(1)a) de la partie 3 ou au paragraphe 11.24(1) de la partie 4, on parle de l'information accessible au public. La partie 3 concerne le CST et la partie 4 concerne les données collectées par le SCRS.
    Considérez-vous que l'information accessible au public est définie dans le projet de loi? Y aurait-il matière à définir ce que l'on entend exactement par « accessible au public »?
    En ce qui a trait à l'information accessible au public, il y a des problèmes liés aux bases de données privées, pour lesquelles on doit payer un droit d'accès. Un peu plus tôt, Mme Szurlej a parlé du fait qu'il fallait payer pour avoir accès à certaines bases de données, particulièrement à l'étranger. Par exemple, aux États-Unis, d'énormes bases de données sont accessibles au public.
    Lors de la vérification d'antécédents, on peut payer pour avoir accès à des bases de données assez importantes. On peut aussi payer pour accéder à Twitter ou à Facebook. Un peu plus tôt, on a parlé de Facebook et de Google. Ceux-ci vendent leurs données au public. N'importe qui peut acheter ces données. L'identité de l'acheteur ne constitue pas une grande différence pour Google ou pour Facebook.
     On devrait peut-être revoir la façon de faire en ce qui a trait aux données qui ne sont pas publiques, dans la mesure où elles ne sont pas publiées. Il s'agit aussi du genre de données. Ici, on parle de l'information en général, qui est publique. Toutefois, les restrictions concernent les informations personnelles.
    Les différences sont assez importantes en ce qui a trait aux données qu'on peut obtenir et qui, de façon technique, ne sont pas des données personnelles. Par exemple, des données provenant de Statistique Canada, de Google ou de Facebook ne sont pas des données personnelles aux yeux de la loi. Cependant, ces données nous donnent beaucoup d'information générale.
    Par exemple, on pourrait utiliser des données pour former un algorithme d'apprentissage profond ou un réseau neural pour qu'il apprenne à déterminer l'orientation sexuelle ou la religion des personnes. Toutefois, au bout du compte, l'algorithme ne contient pas de données personnelles. Si l'on achète l'algorithme ou un accès à celui-ci, est-on en train d'acheter des données personnelles? Ce sont des problèmes sur lesquels il faut se pencher.
    C'est une très bonne chose de vouloir mettre à jour la loi en ce qui a trait aux bases de données et à la technologie d'aujourd'hui. Toutefois, en droit criminel, on tente toujours d'utiliser un langage neutre et de présenter les choses de façon neutre sur le plan technologique.
    On devrait rédiger la loi de façon à ce que cela puisse s'appliquer à un « holodeck » ou à n'importe quelle technologie du futur, afin de ne pas avoir à remettre à jour la loi.
    Qu'est-ce que cela signifie par rapport aux algorithmes et à la technologie? Je ne suis pas un expert dans ce domaine, je suis un expert en matière de lois, mais à mon avis, sur le plan de la technologie, on doit se poser plusieurs questions sur ce que peuvent représenter les bases de données et les différents outils utilisés par les services de renseignements.
    Ces questions sont vraiment différentes de celles qui touchent ce qui est public ou non ou qui peut avoir accès à quoi.
(1245)
     Il me reste une minute, vous pouvez répondre, madame Szurlej.

[Traduction]

     Je voudrais faire part de mon inquiétude au sujet de l'emploi d'algorithmes et de son impact éventuel sur la démocratie.
    Si l'on parle de collecte de données massive, cela veut dire que l'organisme qui a accès à ces renseignements peut raisonnablement prédire comment l'intéressé risque de voter. S'il est indécis, on pourrait très bien déterminer les facteurs qui pourraient l'inciter à voter dans un sens ou un autre. On peut obtenir ce genre d'information en analysant ces types d'algorithmes. C'est pourquoi il est important de protéger les renseignements personnels des Canadiens et de veiller à la préservation de la démocratie au Canada.
    Merci, monsieur Dubé.
    Monsieur Fragiskatos, vous avez sept minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à tous les témoins d'aujourd'hui.
    Vous êtes une universitaire, madame Szurlej. Monsieur Edelmann et madame Carter, vous êtes des avocats, mais vous vous intéressez aux questions de sécurité, et je pense donc qu'il est important de vous demander de quel ordre est, selon vous, le contexte de la menace au Canada de nos jours. Nous avons entendu un certain nombre de témoins qui nous ont parlé de ce que je crois être un fait, à savoir qu'il s'agit d'un contexte à multiples facettes et que, quand on essaie d'élaborer une loi pour affronter ce contexte, on ne devrait pas seulement s'intéresser à une certaine manifestation de terreur, par exemple le radicalisme islamiste, si on veut l'appeler ainsi, ou Daech, notamment, et des groupes du même genre. Des témoins nous ont dit que nous devrions adopter un point de vue plus large et nous intéresser entre autres aux activités de piratage des terroristes et aux moyens informatiques qu'ils emploient de plus en plus.
    Qu'en pensez-vous? À quoi un gouvernement responsable devrait-il accorder de l'importance du point de vue de la menace — du point de vue de la sécurité?
    Du point de vue de la menace et de la sécurité, cela dépend de quel ministère on parle et des types de menaces dont il est question... est-ce qu'on devrait se soucier, par exemple, de la menace venant de la Corée du Nord? Voilà des questions qui, évidemment, inquiètent les Canadiens du point de vue de la prolifération des armes nucléaires, etc. Ce type de menace internationale relève, en général, du mandat du CST, de concert avec d'autres organismes. C'est pourquoi nous avons différents organismes chargés de différents aspects du contexte de la menace.
    L'ABC sait bien qu'il faut garder un équilibre entre les préoccupations de l'ordre de la sécurité et la nécessité d'avoir une infrastructure dans laquelle les Canadiens peuvent avoir confiance. Notamment, quand il s'agit de menaces intérieures, il est important que les organismes compétents jouissent de la confiance des collectivités avec lesquelles ils collaborent, qu'il s'agisse de Canadiens ou de non-Canadiens.
(1250)
    Excusez-moi de vous interrompre, maître Edelmann. Vous pensez donc que, en fin de compte — puisque vous avez parlé de la Corée du Nord, par exemple —, nous faisons face à de multiples menaces.
    Madame Szurlej.
    En bref, je dirais que, si on parle de menace terroriste, vous avez plus de chances de glisser dans votre baignoire et d'y mourir que d'être la victime d'une attaque terroriste au Canada. Est-ce que cela veut dire qu'il faut réglementer la fabrication des baignoires et exercer une surveillance dans les salles de bains?
    Il faut assurément préserver un équilibre. La Charte protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité et non pas à la vie, à la liberté ou à la sécurité.
    Merci beaucoup.
    En septembre, le gouvernement a adopté un règlement s'appliquant aux agences de renseignement du Canada pour leur interdire d'employer la torture ou des mauvais traitements. Il existe une exception concernant la prévention de la perte de vie ou un préjudice personnel important, mais, avant cette directive, ce genre d'information pouvait servir, par exemple, pour obtenir des biens.
    Maintenant, il y a ce règlement. Diriez-vous que le gouvernement devrait en faire une loi? Comme vous le savez très bien, une loi est beaucoup plus difficile à changer.
    Oui. Je m'en tiendrai à cette simple réponse: oui.
    Très bien, merci.
    À moins que Mme Szurlej ait quelque chose à ajouter, je m'en tiendrai à l'avis d'un juriste.
    Je voudrais seulement dire que, à mon avis, la torture ne devrait jamais être employée pour obtenir des renseignements, parce que ce n'est pas un moyen sûr et qu'il y a un certain nombre d'autres facteurs dont je n'ai pas le temps de parler ici.
    D'accord. J'aimerais vous entendre à ce sujet, parce que je pense vraiment que, quand il s'agit de prévenir la perte de vie ou un préjudice personnel important...
    Ce n'est pas un moyen sûr, il n'a pas cet effet.
    C'est une pente glissante. Ce débat peut durer toute la journée.
    Très bien.
    Maître Edelmann, j'ai une question pour vous durant le temps qui me reste. Dans vos remarques préliminaires, vous avez parlé d'avis juridiques, du secret professionnel de l'avocat et de l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. Vous aviez une préoccupation à ce sujet.
    L'Office a effectivement le pouvoir de contraindre tout organisme sur lequel il fait enquête à produire des renseignements, y compris des avis juridiques. Mais certains commentateurs estiment que ce n'est pas injustifié parce que, s'il se trouvait que l'avis juridique fourni au gouvernement, disons, sur une question de sécurité est erroné et qu'il pourrait donner lieu à la violation de droits, il serait bon de l'examiner afin d'en tirer les leçons utiles. Cela servirait de garde-fou.
    Qu'en pensez-vous?
    Le secret professionnel de l'avocat soulève deux questions. L'une concerne le processus par lequel le gouvernement documente et demande un avis juridique. Il s'agit d'abord de savoir si le gouvernement va demander un avis juridique et s'il devrait...
    En général, quand je donne un avis juridique à un client, ce n'est pas de l'ordre de « Oui ou non, c'est comme ceci et ce n'est pas comme cela ». Cela ressemble plutôt à « Voici la situation dans laquelle vous ne risquez rien », après quoi il y a un éventail de possibilités à mesure qu'on se rapproche de la limite. La mesure dans laquelle on se rapprochera de la limite dépendra de la décision prise par l'intéressé, et cette décision est souvent le produit d'une discussion et d'un dialogue entre l'avocat et son client.
    Je ne veux pas dire que cela aide les gens à repousser la limite, mais ce qui va se passer si ces discussions sont divulguées, c'est que le client, plutôt que d'être informé de la limite, ne demandera pas d'avis du tout ou que cet avis ne sera pas documenté. Cela compromet la possibilité pour le ministre ou la personne qui prend la décision de le faire de façon éclairée. Si l'intéressé franchit la limite, il faut qu'il le fasse en toute connaissance de cause, en ayant accès à un avis juridique intégral et sincère.
    Du point de vue de la protection du secret professionnel, cela permet d'avoir ce genre de franche discussion. Si le secret professionnel est rompu ou doit être examiné par cet organisme ou d'autres à l'avenir et qu'il perd son sens, la possibilité d'obtenir un avis juridique disparaîtra. Je dirais qu'il est tout aussi important pour les intervenants privés de pouvoir connaître la loi, prendre connaissance de la loi et en comprendre l'intention.
    Le secret professionnel appartient au gouvernement, pas à l'avocat. Si le gouvernement décide de faire telle chose et que ses avocats la lui ont conseillée, il peut le divulguer. Le secret n'appartient pas aux avocats.
    L'ABC n'essaie pas de protéger un secret qui n'appartient pas aux avocats. Mes clients peuvent divulguer mes avis quand ils le veulent. C'est leur droit, parce qu'ils peuvent me parler franchement et sans rien cacher, me dire tout ce qu'ils veulent savoir, et je peux leur expliquer la loi pour qu'ils prennent une décision.
(1255)
    Merci, monsieur Fragiskatos.
    Désolé, c'était une réponse très longue.
    C'était une leçon style Loi 101 que nous avons eue là.
    Excusez-moi.
    Monsieur Motz, les trois ou quatre dernières minutes sont à vous. Je vous en prie.
    C'est trois ou quatre minutes?
    Eh bien, cela dépend de la vitesse à laquelle vous parlez.
    Merci.
    J'ai quelques questions.
    Madame Szurlej, j'espère que vous n'allez pas demander aux libéraux de réglementer les salles de bains.
    Certainement pas. Je plaisantais.
    Si vous le faisiez, ils seraient capables de l'envisager. N'allons donc pas par là.
    Il vous reste maintenant deux minutes.
    Désolé, je n'ai pas pu résister.
    Maître Edelmann, je voudrais m'adresser à vous étant donné votre formation. Si vous deviez ajouter quelque chose au projet de loi C-59, quelque chose que vous jugeriez absolument indispensable pour la sécurité publique compte tenu par ailleurs de la protection du droit à la vie privée, que proposeriez-vous?
    Nous avons 30 recommandations dans notre mémoire.
    Pour ce qui est de la sécurité publique...
    Pouvez-vous répondre en 30 secondes ou moins?
    Je serai très bref. Du point de vue du mandat ou du volet de la sécurité publique, je dirais que le mandat de l'Office devrait être clarifié. Certaines choses dont j'ai parlé au début, concernant le manque de clarté des définitions associées à la sécurité nationale, compromettent effectivement le fonctionnement général de l'infrastructure. Par conséquent, dans le contexte général, je veillerais surtout à ce que la structure tienne debout. J'ai toutes sortes de recommandations concernant les éléments de la structure, mais ce serait ma recommandation sur la structure globale.
    Merci beaucoup.
    Pour terminer, je ne peux pas m'empêcher, madame Szurlej, de vous dire que votre salle de bains n'a jamais risqué d'exploser parce que vous vivez dans une démocratie. Toute la question de la sécurité nationale, toute la question du terrorisme, et le risque que court notre pays, tout cela est sérieux. Le Comité prend tout cela très au sérieux, et je vous remercie tous de vos remarques.
    Monsieur Fragiskatos a posé une question sur toutes vos évaluations au sujet du risque de terrorisme à l'échelle globale. Veuillez répondre par oui ou par non: est-ce que vous avez une formation ou une expérience opérationnelle de l'évaluation des risques en matière de terrorisme?
    En dehors de mon travail dans le domaine de la sécurité nationale, non, je n'ai pas de formation en matière d'évaluation des risques.
    Ni d'expérience.
    Je me rends bien compte que les risques sont multiples et ont des origines multiples.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Au nom du Comité, je tiens à remercier chacun d'entre vous d'être venu nous voir et de nous faire part de votre point de vue tandis que nous examinons ce très important projet de loi. Cela dit, je vais lever la séance, mais je rappelle aux membres du sous-comité que nous nous réunissons à huis clos tout de suite après. Je serais reconnaissant à ceux qui ne sont pas autorisés à rester de quitter les lieux aussi rapidement que possible.
    La séance est levée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU