SECU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la sécurité publique et nationale
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TÉMOIGNAGES
Le vendredi 21 octobre 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour à tous. C’est un plaisir de déclarer ouverte cette 37e réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale du 42e Parlement. Nous poursuivons notre étude du cadre de sécurité nationale du Canada.
Pour préciser les choses à l’intention de nos invités et du public, sachez que c’est la première de deux réunions que nous tiendrons aujourd’hui. Nous avons invité à celle-ci des témoins que le Comité souhaite entendre parce qu’ils ont des compétences particulières qui nous intéressent. En soirée, soit de 17 h 30 à 19 h 30, ce sont des gens du public que nous entendrons. Eux aussi ont des compétences. Elles peuvent être différentes de celles des gens qu’on appelle des experts, mais le Comité tient à les entendre eux aussi.
Ce sont les réunions nos 9 et 10 de cette semaine. Nous avons débuté lundi à Vancouver, où nous avons tenu deux réunions. Ensuite, nous nous sommes rendus à Calgary, à Toronto et à Montréal, et nous voici maintenant à Halifax. Nous n’en sommes encore qu’aux premières étapes de notre étude du cadre de sécurité nationale du Canada.
Deux consultations sont organisées simultanément.
La première est menée par le gouvernement. Pour lancer celle-ci, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a publié un Livre vert. Cette consultation, qui s’appuie sur ce Livre vert, est menée à la fois au niveau de l’ensemble du gouvernement et à celui des ministères.
Notre comité parlementaire mène sa propre étude. Nous sommes bien évidemment au courant du contenu du Livre vert, et celui-ci nous aide à cadrer notre étude, mais nous ne sommes pas tenus de nous limiter aux questions abordées dans celui-ci, ni à celles émanant du gouvernement. Si certains d’entre nous sont du côté de la majorité gouvernementale, d’autres sont de celui de l’opposition.
Je demande maintenant aux membres du Comité de se présenter eux-mêmes, en commençant par celui qui se trouve le plus loin à ma gauche. Vous saurez ainsi qui participe à la discussion.
Je m’appelle Larry Miller et je représente la circonscription de Bruce—Grey—Owen Sound dans le sud-ouest de l’Ontario.
Un autre membre du Comité va se joindre à nous sous peu. Il semble qu’il soit coincé dans la circulation. C’est M. Colin Fraser, qui remplace M. Marco Mendicino, qui est absent aujourd’hui.
Nous allons maintenant entendre deux témoins, qui disposeront chacun de 10 minutes. Le premier à prendre la parole sera M. Karanicolas, qui sera suivi par Mme Szurlej. Ensuite, nous passerons à la période de questions et réponses. Les questions pourront s’adresser à n’importe lequel d’entre vous.
Nous vous écoutons.
Je tiens d’abord à remercier chaleureusement le Comité de m’avoir invité à comparaître.
Je suis ici à titre de représentant du Center for Law and Democracy, une ONG implantée à Halifax qui se consacre à la promotion des droits fondamentaux dans les démocraties. Nous nous intéressons tout particulièrement à la liberté d’expression et ce sera le sujet de mon intervention.
Permettez-moi de commencer par vous dire que j’appuie les recommandations de MM. Craig Forcese et Kent Roach concernant l’amélioration de la surveillance du système et la communication des preuves. J’ai aussi les mêmes préoccupations que le Commissaire à la protection de la vie privée au sujet de l’élargissement de la portée des dispositions sur la communication d’informations.
Tout d’abord, en ce qui concerne le délit consistant à préconiser ou à fomenter la perpétration d’infractions de terrorisme, le droit international fait clairement la distinction entre la simple promotion d’un acte, qu’il soit nuisible ou non, et l’incitation à obtenir des résultats néfastes. Les normes internationales en matière des droits de l’homme exigent un lien très étroit entre une déclaration et le risque de causer des préjudices pour que cette dernière incitation puisse être interdite en toute légitimité. Cette norme garantit l’équilibre qui convient entre la protection de la liberté d’expression et la protection contre les préjudices.
C’est ainsi qu’on pourrait prétendre qu’un travail universitaire fait la promotion d’un acte quelconque en prônant ses vertus et en mettant en évidence et en pondérant ses avantages et ses inconvénients relatifs. Pourtant, ce ne doit être que rarement qu’un travail universitaire incite réellement d’autres personnes à commettre des actes ayant des résultats néfastes.
Les médias sont tenus, de par la nature de leur fonction, de faire état rapidement et de façon détaillée des actes de terrorisme. Ce faisant, certains pourraient en déduire qu’ils font la promotion d’infractions de terrorisme. Le recours aux médias sociaux par l’État islamique pour faire sa promotion en diffusant des vidéos et des images a suscité quantité de commentaires. Cette disposition pourrait éventuellement s’appliquer aux médias faisant état de ces activités. De la même façon, un poème au texte catégorique pourrait être interprété comme faisant la promotion d’un acte quelconque, même si les cas dans lesquels il pourrait être à l’origine d’un risque réel de méfaits doivent être très rares.
En droit international, il est manifestement impératif de conserver la distinction entre une formulation qui incite à commettre un acte quelconque et une autre qui ne fait que promouvoir ou faire l’éloge d’un tel acte. Je me reporte ici en particulier à l’article 20.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques selon lequel « Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi. ». Ce qui importe ici est « qui constitue une incitation à […] ».
L’article III(c) de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide utilise une formulation comparable. Je pourrais également vous citer la Déclaration conjointe sur la liberté d’expression et les réponses aux situations de conflit de 2015 par les auteurs du rapport spécial des Nations Unies sur la liberté d’expression, par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, par l’Organisation des États américains, et par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.
La norme sur l’imprudence pose également des problèmes dans la définition de l’infraction. Les médias devraient s’en préoccuper tout particulièrement. On peut faire l’hypothèse que les cas dans lesquels ils font rapport sur des actes terroristes, avec l’intention de l’éprouver promouvoir, sont très rares, mais on pourrait aussi estimer qu’ils ont fait preuve d’imprudence en ce qui concerne ce résultat éventuel. Nous recommandons que cette disposition soit purement et simplement effacée, puisqu’elle se révèle inutile étant donné les dispositions actuelles de lutte contre le terrorisme figurant dans le Code criminel et plus largement dans celles traitant de ses répercussions sur la liberté d’expression.
Les articles 83.222 et 83.223, posent également problème car ils utilisent une définition largement similaire de ce qu’est la « propagande terroriste ». Si la saisie de matériel ne constitue pas une violation du droit aussi grave que l’arrestation de son auteur, la possibilité de restrictions trop importantes est, elle aussi, préoccupante de toute façon. De plus, la norme permettant une intervention, en estimant qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il s’agit de propagande terroriste, fixe un seuil si bas qu’il sème le trouble. Dans le cas d’une entreprise de presse dont le matériel est saisi ou qu’il lui est interdit d’utiliser pendant sept jours, et qui est tenue de s’adresser à un tribunal pour le récupérer, cela pourrait entraîner des difficultés opérationnelles importantes, avec la possibilité concomitante d’un effet glacial sur un discours tout à fait légitime.
Je vous fais également remarquer qu’à la différence de l’infraction dont traite l’article 83.223 (1), qui ajoute l’obligation d’une intention coupable, il n’y a pas de condition ni de protection contre l’abus de la norme des motifs raisonnables. Étant donné que cela revient à une mesure urgente ou intérimaire, le législateur devrait être tenu de prévoir des mesures de protection. Celles-ci pourraient, par exemple, nécessiter la présence d’un risque de diffusion imminente du matériel, ainsi qu’un risque similaire d’incitation à une infraction réelle de terrorisme. En d’autres termes, ce type de mesure devrait, pour le moins, être considéré comme exceptionnel et des protections adaptées contre les abus devraient être prévues.
En ce qui concerne les technologies d’enquête utilisées dans le monde numérique, il est un peu inquiétant d’observer que le Livre vert traite de la décision Spencer comme d’un problème à résoudre ou à contourner au lieu d’y voir une décision finale du plus haut tribunal du pays affirmant que les métadonnées canadiennes justifient qu’on s’y intéresse de près en matière de protection de la vie privée. Nous sommes d’accord avec la décision Spencer, mais ce qui importe est qu’elle a force de loi dans notre pays et qu’elle devrait être respectée.
Ce qui est beaucoup plus inquiétant dans ce Livre vert, et qui semble ouvrir la porte à des politiques beaucoup plus intrusives et posant beaucoup plus de problèmes, est l’obligation qui serait faite aux intermédiaires de se doter des moyens techniques nécessaires pour décrypter les informations envoyées par leurs utilisateurs et de conserver ces moyens. Il y a là de quoi agiter énergiquement un drapeau rouge pour n’importe quel Canadien qui tient à sa sécurité numérique.
Cela fait des années que les autorités américaines et d’autres pays dans le monde cherchent une solution leur assurant un accès officiel aux données sans compromettre la sécurité. Le milieu des spécialistes en la matière a toujours affirmé, et continue à le faire, que cela n’est pas possible. Il est impossible de concevoir une porte dérobée que seuls les bons pourraient emprunter.
Même s’il s’avérait possible d’accorder un accès limité en réponse aux demandes de responsables gouvernementaux ayant suivi une procédure adaptée, il est bon de rappeler ici que nous vivons dans un monde dans lequel de nombreux gouvernements ne partagent pas les idéaux élevés du Canada. Quelles seraient les répercussions sur les droits de la personne dans le monde si les gouvernements de Chine, de Russie, d’Égypte et d’Arabie saoudite demandaient à bénéficier des mêmes dispositions? Si une telle solution devait être mise au point, il serait impossible d’empêcher les gouvernements répressifs de la planète de s’en servir. Un cryptage renforcé assure la sécurité de tout le monde.
L’autre nouvelle proposition fortement problématique qui figure dans le Livre vert concerne les exigences en matière de conservation des données. La minimisation des données, qui permettent aux organismes de limiter la quantité de données conservées au strict nécessaire, et un principe de base de la sécurité numérique. Le fait de conserver une trop grande quantité de données est l’une des principales raisons pour laquelle le piratage du site Ashley Madison l’an dernier et celui du United States Office of Personnel Management se sont révélés si catastrophiques.
Le Livre vert rappelle l’obligation de conservation des données en Australie. Il oublie par contre de rappeler que dans la phase ayant mené à l’adoption de cette règle, Anonymous a piraté les bases de données de l’un des plus importants prestataires de services Internet du pays pour montrer combien l’idée de cette exigence était mauvaise.
Le Livre vert oublie également de mentionner la résistance importante qui s’est manifestée au niveau national à la directive européenne sur la conservation des données avant même qu’elle devienne exécutoire. Cette disposition a été rejetée par les tribunaux en Allemagne, en Roumanie et dans la République tchèque. La Suède, comme d’autres pays, a tout simplement refusé de la mettre en oeuvre.
S’il est certain que l’univers en ligne présente de nouveaux défis pour l’application de la loi, il est bon de rappeler que la trousse à outils dont dispose la police aujourd’hui est beaucoup plus puissante que celle qu’elle utilisait pour mener ses enquêtes il y a 20 ou 30 ans. La mise au point d’une trace numérique permettant de remonter dans les données de plusieurs semaines ou de plusieurs mois n’est rien d’autre qu’un nouveau défi parce que la police n’a jamais eu auparavant la capacité de faire quelque chose de comparable. Si un suspect apparaissait sur le radar de la police en 1993, elle ne disposait d’aucun moyen de remonter dans le temps pour suivre ses déplacements et examiner ses communications à partir de 1992.
De ce point de vue, décrire le paysage numérique moderne comme un environnement dans lequel les organismes d’application de la loi disposent de moins en moins de moyens ne colle pas à la réalité. Grâce aux techniques modernes de traitement de données, à la centralisation des communications dues à la propagation d’Internet et à la prolifération des traces numériques laissées sur Internet, les techniques d’enquête des corps policiers sont plus puissantes, plus efficaces et plus efficientes que jamais auparavant, même si elles ne seront pas autant que certains des membres de ces corps policiers le voudraient.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de cette occasion de m’adresser à vous au sujet du cadre de sécurité nationale du Canada.
J’aimerais commencer par féliciter le gouvernement libéral d’avoir lancé une consultation publique pour informer les milieux juridiques et policiers, les responsables de la réglementation et de la mise en œuvre des programmes des modifications envisagées au cadre de sécurité nationale du Canada. Lors de mon témoignage devant votre Comité permanent, je vais surtout m’attacher à traiter des pouvoirs additionnels en matière de communication d’informations touchant à la sécurité intérieure de notre pays, pouvoirs définis par la Loi sur la communication d’informations ayant trait à la sécurité du Canada, la LCISV. J’aborderai aussi ses répercussions sur le droit à la vie privée en application des législations nationales et internationales sur les droits de la personne.
En vérité, le rôle le plus important d'un gouvernement est d'assurer la paix et la sécurité en protégeant sa population et ses citoyens se trouvant à l'étranger.
Les États sont confrontés au défi de protéger les droits de la personne et les droits fondamentaux tout en s’efforçant d’éliminer de petits groupes de terroristes en lien les uns avec les autres, indépendant des États, qui fonctionnent dans des réseaux isolés et ont les moyens de commettre des atrocités énormes avec un minimum de ressources. Ces éléments insaisissables accroissent le risque pour l’État et pour le grand public en masquant les efforts pour tenter d’identifier les réseaux de personnes qui sont impliquées ou associées dans des activités terroristes, pour détecter les menaces terroristes éventuelles et pour empêcher des actes terroristes de se produire .[Traduction]
Cela n’a toutefois pas pour effet d’effacer le devoir d’un État de respecter, de protéger et de remplir ses obligations, au pays à l’étranger, concernant les droits de la personne. En application de la Charte canadienne des droits et libertés, les Canadiens et les Canadiennes se voient garantir le « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». Ces protections sont interdépendantes et aucune n’a préséance sur les autres. Il ne s’agit pas de protéger la vie et la sécurité d’un côté et la liberté de l’autre.
Inspirons-nous ici des conseils de la Commission internationale de juristes qui incite vivement les États à:
adhérer strictement aux principes de l’état de droit - y compris les principes généraux de droit pénal et de droit international - et aux normes et obligations spécifiques du droit international des droits de l’homme, du droit des réfugiés et du droit humanitaire, quand celui-ci est applicable. Ces principes, normes et obligations définissent les limites de l’action étatique permise et légitime contre le terrorisme. La nature odieuse de certains actes terroristes ne peut servir de base ou de prétexte aux États pour méconnaître leurs obligations internationales, en particulier en matière de protection des droits de l’homme.
Puis-je vous demander, madame, de vous éloigner d’un pouce de votre micro. Vous faciliterez ainsi la tâche des interprètes.
Je vous demande pardon.
Le droit à la vie privée est protégé par l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont le Canada est un État partie. Si la Charte canadienne des droits et libertés n’offre aucune protection équivalente, le droit à la vie privée est à l’origine des libertés fondamentales énoncées à l’article 2, soit la « liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression » et la « liberté d’association ». De la même façon, le droit à la vie privée est à l’origine de la liberté d’accès à l’information et du libre développement, sans entraves, de la personnalité d’un individu.
Il n’y a pas de raison valable de priver les gens des droits de la personne, des libertés et des mesures de protection de la démocratie au titre de la sécurité nationale. Aucune loi, si soigneusement qu’elle soit rédigée ou si complète que soient ces dispositions, ne peut empêcher tous les actes terroristes. Le public doit donc garder à l’esprit que le renoncement aveugle à ses libertés civiles ne le protège pas nécessairement des menaces à la sécurité nationale.
Il faut adopter une approche équilibrée pour s’assurer que les mesures qui conviennent sont en place pour s’attaquer à de telles menaces et les empêcher de se concrétiser tout en protégeant les droits fondamentaux de la personne et les libertés de la population. « Lorsque les États échouent à parvenir à un équilibre entre les droits de la personne et la sécurité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, ils risquent de nuire aux droits mêmes qu’ils entendent protéger » [Traduction], car on peut se demander ce que vaut la sécurité nationale sans la sécurité des personnes et ce que vaut la sécurité des personnes sans les droits de la personne.
D’après le Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée, le professeur Joe Cannataci, avant de restreindre l’un des droits à la vie privée au nom de la sécurité nationale, il faut prendre en compte plusieurs facteurs, dont l’adéquation des mécanismes de surveillance, la distinction entre une surveillance ciblée et une surveillance de masse, le caractère proportionnel de telles mesures dans une société démocratique, et la rentabilité et l’efficacité d’ensemble de telles mesures.
L’ajout de modifications radicales à la façon dont les données personnelles sont échangées entre les organismes gouvernementaux au Canada devrait aller de pair avec un mécanisme d’examen adapté à la situation pour s’assurer que l’information échangée est précise, que ces échanges se font dans les limites fixées par la loi et en nuisant le moins possible aux droits et aux libertés définies dans la Charte.
Il est essentiel de faire la distinction entre une surveillance ciblée et une surveillance de masse pour empêcher de viser trop large et de cibler des civils innocents en contribuant de façon injustifiée à l’érosion de leurs libertés civiles. Ne pas procéder ainsi revient presque à les considérer comme coupables jusqu’à ce que leur innocence soit prouvée, ce qui est une perversion d’un principe de droit fondamental et reconnu de longue date.
En ce qui concerne la proportionnalité, elle devrait se traduire par une nuisance minimale aux droits concernés et la solution ne devrait pas être pire que le problème. Ce critère est-il respecté par la LCISV, qui permet le partage des données personnelles entre les organismes gouvernementaux sans aucune garantie quant à la précision de l’information partagée ni de restriction expresse concernant ce partage d’information avec des acteurs du secteur privé et des gouvernements étrangers? Comme dans le jeu du message répété par des enfants, le contenu de départ d’un message risque fort d’être déformé, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes pour la personne concernée.
Dans son premier rapport au Conseil des droits de l’homme, le rapporteur spécial, M. Joe Cannataci, a fait part de ses craintes que:
le citoyen ordinaire soit souvent pris dans le feu croisé [de la surveillance de masse] et que ses données personnelles et ses activités en ligne puissent être contrôlées au nom de la sécurité nationale d’une façon inutile, disproportionnée et excessive. [Traduction]
Quant au dernier point, celui concernant la rentabilité, je ne suis pas en mesure de faire de commentaire à titre de spécialiste, même si le sens commun amène à croire que la concentration des ressources à l'endroit où on a le plus besoin, c’est-à-dire dans le domaine de la surveillance ciblée, limite le risque de négliger une menace éventuelle à cause d’une quantité excessive d’informations. En d’autres termes, il faut que nous nous demandions quelle est l’utilité de la surveillance de masse. Permet-elle d’assurer une protection plus efficace de la sécurité nationale ou est-ce que la quantité excessive d’informations a pour résultat d’étaler les ressources au point de rendre les efforts du gouvernement moins efficaces pour réagir à d’éventuelles menaces.
Comme je l’ai déjà rappelé, le Canada est soumis à des obligations internationales en ce qui concerne le droit à la vie privée en application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Un organisme créé par traité dans le même domaine, le Comité des droits de l’homme, surveille dans quelle mesure les États parties se conforment aux dispositions du pacte. Dans ses commentaires finaux sur le rapport périodique du Canada, ce comité craint que:
les modifications apportées par le projet de loi C-51 à la Loi canadienne du renseignement de sécurité confèrent un mandat et des pouvoirs larges au Service canadien du renseignement de sécurité sur le territoire national et à l’étranger, ce qui pourrait éventuellement se traduire par des activités de surveillance de masse et de surveillance ciblée, protégées en application du Pacte, sans mesures de sécurité suffisantes et valides juridiquement … y compris en application de la Loi sur la communication d’informations ayant trait à la sécurité du Canada, des échanges accrus de renseignements entre les organismes du gouvernement fédéral en s’appuyant sur une définition très large des activités qui minent la sécurité du Canada, qui n’empêchent pas pleinement les renseignements inexacts ou non pertinents d’être partagés. [Traduction]
Dans les commentaires de nature générale du Comité, le n° 16 précise également que:
les États doivent prendre des mesures efficaces pour s’assurer que les renseignements concernant la vie privée d’une personne ne se retrouvent pas dans les mains d’autres personnes non autorisées par la loi à recevoir, traiter et utiliser ces informations, et que ces informations ne servent jamais à des fins incompatibles avec celles prévues par le Pacte. [Traduction]
Avant l'adoption du projet de loi C-51, l’échange à mauvais escient de renseignements par le gouvernement du Canada a conduit à des abus graves des droits de la personne contre des citoyens canadiens comme MM. Almalki, El-Maati, Nureddin, et Arar.
La LCISV confère davantage de pouvoirs au gouvernement pour communiquer des données personnelles sans se doter de mesures de sécurité juridique correspondantes afin d’empêcher la répétition de graves injustices similaires.
Maintenant que nous avons cerné certaines des incohérences entre la LCI SV et les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne, voyons quelles pourraient être les solutions.
Je vais m’efforcer de lire très vite.
La première solution serait de définir clairement la portée des activités « portant atteinte à la sécurité du Canada » à l’article 2 de la LCISV, ainsi que ce qu’on entend par « activités de défense d’une cause, de protestation, de manifestation d’un désaccord ou d’expression artistique », qui ne sont pas soumises à l’application de la loi.
La seconde serait d’effacer les dispositions qui permettent l’échange d’informations d’un organisme à l’autre afin d’empêcher la perte de contrôle sur des renseignements sensibles qui pourraient nuire à la sécurité nationale du Canada. Si la divulgation de renseignements sensibles pour la sécurité nationale peut s’avérer nuisible au point de justifier les restrictions à la tenue d’un procès équitable dans le cadre actuel, c’est-à-dire la non-divulgation de renseignements classifiés à la défense dans une affaire pénale, comment ce risque est-il atténué par la communication d’informations entre organismes et à des responsables de ceux-ci qui ne sont ni des spécialistes du droit de la vie privée ni des spécialistes de la sécurité nationale.
La troisième serait de créer un bureau de conseiller à la sécurité nationale « pour réviser toutes les activités en matière de sécurité nationale et veiller à un partage efficace de renseignements » [Traduction] transmis par des organismes gouvernementaux au SCRS et à la GRC.
La quatrième serait de réviser la Loi sur la protection des renseignements personnels pour contraindre les dirigeants d’organismes à transmettre tous les renseignements pouvant nuire à la sécurité nationale du Canada au SCRS par l'intermédiaire du bureau du conseiller à la sécurité nationale.
Pour la cinquième, il faudrait mettre en place une réglementation permettant au bureau du conseiller à la sécurité nationale de suivre les types d’informations qui sont échangées, en précisant par qui et pourquoi.
La sixième serait d’assurer le suivi des cas dans lesquels une personne a été autorisée à prendre connaissance d’informations et veiller à ce que tous les organismes gouvernementaux concernés et les autres entités avec qui cette information a été partagée en sont informés.
La septième serait de définir des objectifs clairs en matière d’accès à un recours lorsque l’échange d’informations a eu des conséquences néfastes pour des personnes innocentes ou des conséquences disproportionnées pour des personnes coupables.
Enfin, la huitième rendrait le partage d’informations plus intrusives conditionnel à l’obtention d’un mandat auprès d’un juge.
Si la LCISV continue à permettre l’échange entre organismes d’informations concernant les activités définies à l’article 2, je recommanderais alors de veiller à ce que les révisions à l’annexe 3 ajoutant ou effaçant un organisme du gouvernement du Canada soient accompagnées d’une justification précise expliquant, entre autres, en quoi les devoirs incombant à cet organisme ont un lien direct avec la sécurité nationale.
Je terminerai avec ce dernier point: « … le respect des obligations juridiques en matière de droits de la personne est une condition sine qua non d'une sécurité efficace » [Traduction] et non pas un obstacle à celle-ci. La législation canadienne devrait en tenir compte en mettant en place un équilibre adapté entre le droit à la vie privée et la protection de la sécurité nationale.
Je vous remercie.
Merci beaucoup
Nous entamons maintenant notre série de questions et réponses en commençant par Mme Damoff qui dispose de sept minutes.
Merci beaucoup.
Je vous remercie tous deux d’être venus nous rencontrer et d’avoir témoigné devant nous.
Je veux vous parler de la cyber sécurité et des technologies dont vous nous avez entretenus. Vous avez évoqué ces sujets un certain nombre de fois. Lors de vos témoignages, vous nous avez parlé des métadonnées. Lorsque des représentants de la GRC et du SCRS sont venus témoigner, ils ont fait l’analogie avec l’information figurant au dos d’une enveloppe. D’autres témoins nous ont dit que ces métadonnées comportent beaucoup plus de choses que cela.
Je me demande si vous pourriez nous fournir davantage d’explications. Personne ne veut nuire à la police ni à la GRC ou à quiconque en l’empêchant d’obtenir des renseignements nécessaires pour mener une enquête, mais en même temps on s’attend une certaine protection des renseignements personnels.
À la suite de la décision Spencer, comment la police fait-elle pour se procurer des renseignements, et qu’est-elle autorisée à se procurer dans vos communications électroniques ou dans le cyberespace.
Il y a d’abord lieu de rappeler qu’on peut définir les métadonnées d’un grand nombre de façons différentes. Selon la définition retenue et les modalités de son inscription dans la législation, il est possible d’avoir divers niveaux d’intervention qui peuvent être légèrement ou fortement intrusifs. Si, pour vous, les métadonnées comprennent, par exemple, une liste des sites Web que vous avez visités, même si les données qui vous sont communiquées ne proviennent pas d’un site Web donné, le simple fait que vous visitiez ce site Web peut révéler quantité d’informations très personnelles.
Quant à ce que nous recommanderions, et cela dépend beaucoup de la définition retenue, les métadonnées peuvent donner un aperçu particulièrement intrusif de la vie d’une personne.
Pensez-vous que notre législation devrait comporter une définition de ce qu’on est autorisé à se procurer lors d’une recherche, ou cela devient-il trop précis?
Vous vous heurtez-la à une difficulté qui tient au principe de nature générale voulant que les éléments technologiques figurant dans les lois doivent être rédigées de façon aussi neutre que possible afin qu’il ne soit pas nécessaire de les réviser tous les ans ou tous les deux ans.
L’évolution de la technologie pose des problèmes. Quant au type de formulation à utiliser, je ne suis pas un spécialiste des procédures pénales, mais je suis partisan des dispositions sur des modalités d’accès respectueuses de la loi proposée par M. David Fraser dans le but d’avoir à notre disposition les procédures qui conviennent pour obtenir les mandats permettant d’accéder aux renseignements sur les abonnés.
Nous avons entendu un autre témoin sur la question du chiffrement. Le président a mentionné qu'il fallait cesser d'envisager le chiffrement comme on le faisait du temps de la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, un code chiffré donnait accès à des secrets d'État. Cette époque est révolue. Il a expliqué à quel point il était plus dangereux alors d'autoriser le chiffrement. Comme vous l'avez fait remarquer, personne ne sait qui entre par la porte dérobée.
Le chiffrement complique aussi énormément les activités d'application de la loi. Est-il possible de trouver un juste milieu, ou devons-nous nous résoudre à nous en accommoder ou à l'autoriser jusqu'à un certain degré?
Oui, c'est tout un défi. La question de savoir s'il existe ou non un juste milieu est assez technique. Comme je l'ai déjà dit, je travaille dans le domaine du droit et des droits de la personne. Je n'ai pas le choix de me fier aux avis de communauté technique.
Pendant des années, les gouvernements ont réclamé, et le gouvernement américain a été aux premières loges, que nous leur fournissions des moyens d'obtenir des mandats d'accès aux communications chiffrées sans que la sécurité générale de l'information soit compromise.
Chaque fois que les gouvernements ont réitéré leur demande, chaque fois les spécialistes leur ont rétorqué que ce n'était pas possible. Tout moyen d'accès illicite, tout moyen d'accès supplémentaire ouvre une brèche qui accentue la vulnérabilité du système.
D'accord. Ne vous en faites pas si vous n'avez rien à dire à ce sujet, mais personne n'a abordé la question du financement. J'aimerais savoir si quelqu'un d'entre vous connaît assez bien le domaine du financement des activités terroristes, dont parle le Livre vert pour nous en parler. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
D'accord, pas de problème.
Concernant l'encouragement des activités terroristes, pensez-vous que les infractions actuelles de propagande haineuse suffisent? Savez-vous si d'autres pays parlent de l'encouragement des activités terroristes dans les mêmes termes que nous? Vous n'êtes pas les premiers à évoquer les problèmes avec les journalistes. J'ai reçu un courriel de citoyens de ma circonscription qui ont les mêmes préoccupations.
Beaucoup de pays ont adopté des lois qui interdisent d'encourager les activités terroristes, dont la Russie et l'Égypte. Il s'agit en règle générale de régions du monde que je ne souhaiterais pas voir le Canada prendre pour modèle.
Ce que je peux dire, c'est que dans le domaine des normes internationales sur les droits de la personne, l'important est d'établir un lien direct de cause à effet entre le discours et le préjudice causé, qu'il s'agisse de terrorisme ou de haine raciale. C'est un grand principe de droit international en matière de droits de la personne.
Au-delà de ce cadre, dès qu'il est question de quelque chose de plus flou comme des actes potentiels ou concrets qui pourraient constituer une infraction de terrorisme ou inciter une autre personne à la commettre, nous nous engageons dans une zone extrêmement grise. De manière générale, les normes en matière de droits de la personne exigent qu'il y ait un lien clair et direct entre la cause et l'effet.
Merci.
La prochaine question s'adresse à tous les deux, mais il me reste à peine une minute.
Quand nous tentons de définir le terrorisme, nous pensons en général à un groupe bien particulier de terroristes et à un genre de terrorisme. Pourtant, des témoins nous ont parlé d'un spectre très large qui englobe toutes sortes de réalités comme les pandémies et le changement climatique. Utilisez-vous une définition particulière du terrorisme dans vos travaux?
Vous en avez parlé, alors vous...
Tout ce que je peux dire à ce sujet est qu'aucune définition du terrorisme ne fait l'unanimité dans le monde. C'est un problème. Si nous décidons de limiter de manière aussi importante les droits et libertés fondamentales sans avoir défini le terrorisme ou sans nous être entendus sur une définition commune, c'est inquiétant d'un point de vue national, mais aussi pour notre coopération avec d'autres États avec qui nous échangeons des renseignements et menons des enquêtes sur des terroristes présumés.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens tout d'abord à vous remercier d'être ici aujourd'hui et pour vos exposés.
J'ai une question, et je vous prie de me corriger si j'ai mal entendu. Comme je n'arrive pas à prononcer votre nom, permettez-moi de vous appeler Michael.
Lorsque nous avons parlé du cadre de la sécurité nationale et des mesures qu'il engloberait, avez-vous dit concernant la collecte de renseignements qu'elle devrait être limitée aux situations où il y a une menace immédiate ou un encouragement immédiat?
Oui. Je fais allusion à votre déclaration comme quoi la surveillance et la collecte de renseignements devraient avoir lieu seulement si la menace est immédiate.
Je crois que je faisais référence aux dispositions sur la propagande encourageant le terrorisme ou l'encouragement à la participation à un acte terroriste. Je ne parlais pas de la collecte de renseignements.
Jamais je ne dirais que la collecte de renseignements devrait avoir lieu seulement en cas de menace immédiate.
Non, bien entendu. La planification de certaines interventions peut être très longue, c'est bien connu. Dans un autre ordre d'idée, je crois que Mme Damoff a également mentionné au sujet du chiffrement et des efforts du gouvernement pour trouver une solution concernant le processus de chiffrement — je ne compte plus le nombre de fois où on nous a été dit que ce n'était pas possible. Nous avons pu observer les méthodes de pays comme la Russie, la Chine ou la Corée du Nord. S'il y a une faille, ils trouveront le moyen de l'exploiter. Il y a beaucoup plus en jeu que la transmission de renseignements à une seule personne.
Christina, au sujet de la sécurité du grand public — qui nous ramène encore une fois à la collecte de renseignements —, vous avez dit qu'un mandat judiciaire devrait être exigé.
Je veux dire si la portée de la collecte dépasse les métadonnées et si la justification de cette collecte n'est pas claire — par exemple, si elle est menée parce qu'il y a une très faible probabilité qu'un individu soit un terroriste ou qu'il commette une infraction terroriste, ou si elle vise un citoyen ordinaire.
Si nous examinons l'ensemble de la situation — j'ai évoqué les méthodes des pays qui n'hésitent pas à pirater les systèmes, à vendre ou à troquer des renseignements, c'est un problème. Je pense que ces pays ont déjà beaucoup d'information sur nous à cause de leurs méthodes, et que nous devons faire quelque chose pour que ça cesse.
Je vous pose la question à tous les deux. Avez-vous une solution à proposer? En matière de renseignement et de partage d'information, nous pouvons faire le maximum pour imposer des restrictions de notre côté. Mais nous devons aussi protéger nos citoyens à l'échelle internationale. Qu'en pensez-vous?
J'ai un peu de mal à suivre, mais je pense que vous voulez savoir comment nos organismes de renseignement peuvent rivaliser avec la Russie et la Chine.
Je parle de protection. Ces pays ont des capacités tellement évoluées, et ils n'ont à peu près pas de lois sur le type de renseignements qu'ils peuvent recueillir.
Vous parlez d'opérations offensives contre différents États, mais je ne pense pas que c'est ce dont il est question ici. En tout cas, ce n'est certainement pas de cela dont je parlais. Je pense que c'est une tout autre question.
C'est un argument pour une sécurité renforcée. C'est ce que j'entends. C'est une raison pour renforcer nos capacités de chiffrement et nous assurer d'avoir la meilleure défense possible.
Pour ce qui est de savoir s'il serait justifié d'autoriser une plus grande intrusion dans la vie des gens d'ici pour les prémunir contre l'attitude agressive de la Russie ou de la Chine à notre égard...
Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je parlais de nous intéresser à ce que font les organismes de renseignement étrangers, pas seulement aux nôtres, pour comprendre comment ils fonctionnent et comment nous pourrions protéger nos citoyens contre leur intrusion.
Absolument, et nous ne devrions pas nous limiter aux citoyens à l'échelle individuelle. Il faut aussi penser aux réseaux structurels, à la notion de minimalisme des données à l'échelon du fédéral, pour éviter que le gouvernement ne devienne un méga-entrepôt d'information qu'il n'a en fait aucune raison de posséder. Ce faisant, il devient une cible de choix et en cas de défaillance, les dommages seront encore plus graves. C'est pourquoi il faut réduire les données au minimum, et renforcer le chiffrement de même que les protocoles de sécurité.
En ce sens, pour revenir à notre discussion sur le Livre vert, je réitère que nous faisons fausse route avec les protocoles de conservation des données et le chiffrement faible.
L'autre question soulevée est celle de la perte de contrôle sur ce que d'autres États font avec les renseignements que nous leur transmettons, comme nous l'avons vu dans l'affaire Arar.
D'accord, nous entretenons de cette façon un partenariat solide avec les États-Unis, mais il y a aussi un risque que des renseignements soient utilisés à mauvais escient après qu'un individu a été innocenté, et de ne pas avoir de contrôle sur des États qui suivent la même démarche pour ce qui est de reconnaître notre verdict.
[Français]
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Merci beaucoup d'être ici.
Ma première question sera en deux volets.
Selon moi, avant d'accorder des pouvoirs de cette ampleur sans précédent à des organismes de sécurité nationale, nous devons nous assurer qu'ils en ont vraiment besoin. Premièrement, pensez-vous que le fardeau leur revient de démontrer que ce besoin existe? Deuxièmement, est-ce que le SCRS, entre autres, a fait cette démonstration? La question s'adresse à vous deux.
Cette question nous ramène en quelque sorte à ce que nous avons dit tout à l'heure au sujet du chiffrement. Pour ce qui est du besoin, il ne faut jamais oublier que les renseignements chiffrés sont utiles seulement sous leur forme déchiffrée. Si des renseignements chiffrés ne sont pas accessibles aux organismes d'application de la loi, ils ne le sont pas non plus pour leurs utilisateurs. Peu importe qui les utilise, les renseignements doivent être déchiffrés à un moment ou à un autre.
Nous savons que les organismes d'application de la loi américains ciblent les renseignements qui se retrouvent dans cet espace de déchiffrement, au lieu d'essayer de déchiffrer le code. Je m'excuse si je m'écarte un peu, mais vous avez parlé des pouvoirs policiers en général... Quant à savoir si le besoin a été bel et bien démontré, je maintiens que les organismes de renseignement ont un coffre d'outils plus complet que jamais. Internet a décuplé leur capacité de surveillance des faits et gestes des citoyens. Les capacités des cibles ont aussi augmenté, mais pas au même rythme.
À mon avis, nos organismes de renseignement sont plus puissants qu'il y a 10 à 30 ans, et je ne crois pas que le besoin a progressé plus vite que leur capacité.
Certaines personnes affirment que si nous envisageons d'accorder des pouvoirs d'une ampleur sans précédent à ces organismes, ils ont le fardeau de démontrer qu'ils en ont réellement besoin, que le contexte justifie cet élargissement des pouvoirs.
Autrement dit, le SCRS doit-il démontrer qu'il a réellement besoin de pouvoirs aussi vastes avant que le gouvernement prenne des mesures en ce sens?
La réponse courte est oui, sans aucune hésitation. Le gouvernement doit toujours démontrer qu'une mesure est raisonnable et équilibrée, à plus forte raison si elle donne lieu à des atteintes aux droits garantis par la Charte. Il doit aussi démontrer que le résultat de mesures plus intrusives sera un niveau de sécurité plus élevé.
Merci.
Je pose également la prochaine question à tous les deux.
Nous parlons d'échanges de très gros volumes de renseignements, et vous avez tous les deux parlé d'échange de renseignements avec des organismes étrangers. L'affaire Arar est l'une des plus connues et, ajouterai-je, l'une des plus tragiques. Or, le SCRS a signé des ententes d'échange de renseignements avec Affaires mondiales concernant des Canadiens détenus à l'étranger, entre autres. Il est important de souligner que des renseignements des services consulaires sont communiqués au SCRS.
Dans quelle mesure faut-il s'inquiéter du fait que des Canadiens qui se trouvent à l'étranger ne jouissent pas des mêmes protections juridiques que s'ils étaient ici? Même des Canadiens qui se trouvent aux États-Unis, un pays allié, ont très peu de protection juridique de leurs droits, voire aucune, et notamment de leur droit à la protection de leurs renseignements personnels.
J'aimerais souligner l'une des raisons qui font que l'échange de renseignements, même avec des États alliés, est aussi problématique. Ces alliés n'ont aucune obligation à l'égard de l'électorat canadien, au contraire de nos politiciens, qui doivent défendre au mieux les intérêts des Canadiens. C'est un premier problème.
Par ailleurs, je crois fermement que si les pouvoirs d'enquêter et d'agir du gouvernement sont élargis, les protections juridiques doivent être proportionnelles. Ces protections englobent la création d'organismes d'examen et de mécanismes de recours pour les personnes innocentes ou qui risquent des conséquences disproportionnées, conformément au droit international des droits de la personne.
J'aimerais ajouter quelque chose, très brièvement.
Je suis tout à fait d'accord avec la partie sur la protection des renseignements personnels. Actuellement, plusieurs pays adhèrent à une tendance mondiale consistant à offrir un certain degré de protection des renseignements personnels seulement à leurs ressortissants. Les États-Unis offrent un exemple particulièrement flagrant de cette tendance. Les renseignements personnels des citoyens américains sont protégés, dans une certaine mesure, mais pas ceux des ressortissants étrangers. C'est une situation d'autant plus inquiétante que des ententes d'échange de renseignements ont été signées. Si le Canada peut espionner des Britanniques et des Américains, si les États-Unis peuvent espionner des Britanniques et des Canadiens, et si la Grande-Bretagne peut espionner des Canadiens et des Américains, et s'ils échangent tous des renseignements entre eux, ces protections n'ont pas vraiment d'effet. C'est un peu la foire.
J'aurais une autre remarque très brève puisque ce n'est pas mon domaine d'expertise. Plus tôt, j'ai fait référence à Roach et Forcese. J'aimerais vous faire part de ce qu'ils ont dit au sujet de la surveillance muette, surtout dans un contexte où les organismes coopèrent beaucoup entre eux. Si un organisme de surveillance reste centré sur lui-même, sans jamais réfléchir au contexte dans son ensemble, il peut y avoir un problème.
C'est l'une des recommandations du juge O'Connor concernant l'intégration des mécanismes de surveillance.
J'aurais une dernière petite question. Vous avez parlé de la définition de l'encouragement des actes terroristes, et plus particulièrement de la trop vaste portée et du caractère vague de certains passages du projet de loi C-51, qui a été adopté.
Parmi les points soulevés se trouve l'effet contre-productif de la criminalisation grandissante de différents actes et l'abaissement des seuils pour la lutte à la radicalisation. Il y a un risque que des personnes hésitent à donner l'alerte et à intervenir auprès d'un jeune qui se radicalise, peu importe l'idéologie politique en cause, par crainte de la criminalisation, parce que les définitions sont devenues très larges. Partagez-vous ce point de vue? J'aimerais entendre ce que vous avez à dire à ce sujet dans le peu de temps qu'il nous reste.
Oui, certainement.
L'un des principaux arguments de vente de Daech est que les musulmans sont assiégés en Amérique du Nord et en Occident en général, et qu'ils sont persécutés. Dans cette perspective, la portée de plus en plus large des lois et leur application inévitable à des groupes marginalisés m'inquiètent particulièrement.
Merci.
Je profite de l'occasion pour souhaiter la bienvenue à Colin Fraser, député de Nova-Ouest. Malheureusement, comme il a été retardé, il a raté vos exposés. Je vais donc poser les prochaines questions, et M. Miller me remplacera à la présidence.
J'ai perdu l'habitude. C'est assez amusant.
Merci de votre travail. J'aimerais profiter de la présence de M. Karanicolas pour parler du monde numérique.
Nous tentons de définir la portée de notre vaste étude sur le cadre de la sécurité nationale, dont l'une des parties porte sur la sécurité à l'ère numérique. En fait, nous ne sommes même pas certains quant à la nature des questions à poser. En tout cas, je ne suis pas certain. Le Livre vert aborde quatre volets: les renseignements de base sur les abonnés; l'interception des messages et l'obligation des fournisseurs de services de l'autoriser; le chiffrement et la conservation des données.
Nous avons entendu des témoignages sur certains de ces aspects. Vous n'avez pas parlé des renseignements de base sur les abonnés J'aimerais beaucoup entendre ce que vous avez à dire sur la question, de même que vos commentaires sur l'orientation que nous pourrions donner à nos discussions.
Vous avez beaucoup travaillé sur l'accès à l'information, sous l'angle surtout de l'accès du public aux renseignements que le gouvernement a en sa possession plutôt que sur la collecte elle-même. Selon vous, quelles questions devrions-nous nous poser, ou poser en général?
Vous avez tout à fait raison, pour une très grande partie, notre travail de défense des droits, et je tiens à le préciser d'emblée, a été axé sur l'accès à l'information au Canada. C'est notre priorité, mais le CLD est avant tout un organisme de défense des droits fondamentaux à la démocratie. Nous nous intéressons énormément à la question de la liberté d'expression, et la sécurité numérique en fait partie. La protection des renseignements personnels devient également un volet de plus en plus important de notre travail. Hier, j'ai abordé cette question devant le comité parlementaire qui étudie la réforme de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il y a effectivement un lien entre cette question et tout ce qui concerne le minimalisme des données et l'évaluation des répercussions sur la vie privée dans le cadre des activités courantes du gouvernement. Elle est aussi en cause quand on parle de l'obligation des organismes gouvernementaux de recueillir et de conserver des renseignements uniquement s'il est démontré que c'est nécessaire.
Par contre, je n'ai pas vraiment de commentaire quant à l'orientation générale de vos discussions sur la sécurité numérique.
Nous devrions accorder plus d'attention à la question du chiffrement, dans la mesure où tout ce qui affaiblit la capacité de chiffrement accentue les problèmes de sécurité, qu'aux solutions à nos problèmes de sécurité. C'est le compromis que vous nous proposez.
Oui, c'est exact. Mon champ de compétence est le droit. Je ne suis pas un technicien, mais c'est ce que les techniciens vous diront.
Pouvez-vous nous parler un peu plus de l'accès aux renseignements de base sur les abonnés et de la manière d'aborder les problèmes de cyberintimidation, de pornographie infantile et ce genre de choses? Qu'en est-il des droits d'accès aux renseignements de base sur les abonnés et d'interception des communications?
Le problème de la cyberintimidation est intéressant. Des démarches ont été engagées en Nouvelle-Écosse. Comme vous le savez sans doute, la province a proposé des mesures législatives sur la cybersécurité qui ont été invalidées, et d'autres avenues sont actuellement à l'étude.
De manière générale, le problème posé par le projet de loi sur la cybersécurité tenait aux définitions trop larges. Vous avez le même problème avec la question à l'étude aujourd'hui. L'un des principes fondamentaux en matière de liberté d'expression veut que toute restriction soit définie de manière très rigoureuse, pour éviter d'entraver l'expression et faire en sorte que les gens savent exactement ce qui est permis, mais surtout pour qu'ils reconnaissent la nécessité de cette restriction. C'est un principe fondamental, fondateur du droit constitutionnel canadien et du droit international: toute restriction doit être rigoureusement définie pour empiéter le moins possible sur les droits.
J'aurais une autre question générale pour vous deux, rapidement, avant de poser des questions plus précises.
Nous en sommes à la neuvième réunion de la présente tournée. Des groupes de défense des droits de la personne, des droits civils et des groupes juridiques nous ont exprimé assez clairement et uniformément leurs préoccupations quant à l'élargissement excessif du cadre du projet de loi C-51. Ils nous ont tous demandé de rétablir l'équilibre. Nous avons bien compris. Vous ne semblez pas avoir peur des terroristes. Pourquoi?
Je travaille au Pakistan et en Afghanistan. Je passe donc une bonne partie de mon temps dans des pays où la menace terroriste est considérablement plus importante qu'ici. Je n'irais pas jusqu'à dire que je n'ai pas peur des terroristes, mais comme je suis allé dans des pays où la menace est plus élevée, je dirais que je baisse un peu la garde quand je suis au Canada.
Par ailleurs, je suis absolument convaincu que les restrictions doivent être adaptées aux menaces visées, et je ne suis pas certain que la menace terroriste est plus importante qu'il y a 20 ou 30 ans.
D'après une analyse de la menace, et l'interprétation que vous en faites, l'atteinte à nos droits et libertés n'est pas justifiée.
Je me réfère au principe de proportionnalité en matière de droits de la personne. Certains droits civils peuvent être suspendus en situation d'urgence, par exemple si nous sommes en guerre et que des chars d'assaut envahissent nos rues. Dans ce cas, la suspension serait envisageable et ne serait pas forcément illicite. Toutefois, si ces mêmes droits sont bafoués sous le prétexte d'une menace terroriste, c'est-à-dire une menace floue qui pourrait peser sur nous, c'est plus compliqué. La suspension des droits et les circonstances extraordinaires doivent être évaluées d'une manière qui résiste à l'épreuve du temps.
Sans vouloir influencer votre réponse, est-ce que vous être troublé par la disposition de l'ancien projet de loi C-51 qui autorisait une atteinte aux droits garantis par la Charte?
Oui, sans problème.
Tous les jours, je suis préoccupée par la protection de mes renseignements personnels, d'autant plus que je travaille dans le domaine des droits de la personne. Par contre, je ne me suis jamais levée le matin en espérant ne pas mourir dans une attaque terroriste.
Si vous me le permettez, j'aurais une dernière remarque concernant une question précédente sur la sécurité à l'ère numérique.
Selon moi, parmi les grandes questions à poser se trouve celle du rôle des entreprises. Dans votre analyse, vous pourriez entre autres vous intéresser aux principes en matière de protection, de respect et de réparation proposés par John Ruggie, et aux répercussions potentielles.
Merci, monsieur le président, et merci à vous deux, Christina et Michael, pour vos témoignages.
Concernant votre avant-dernière remarque, Christina, je ne me lève pas non plus le matin avec la peur de mourir dans une attaque terroriste.
Et pour donner suite à l'une de vos remarques, Michael, sur la question de savoir si la menace terroriste est vraiment pire qu'il y a 20 ans, je vous rappelle qu'en 2006, nous avons eu le groupe des 18 de Toronto; qu'il y a 2 ans, nous avons vécu les assassinats de l'adjudant Vincent dans la région de Montréal et du caporal Cirillo à Ottawa; et que, tout récemment, pas très loin d'où j'habite, soit un peu plus de deux heures au sud, un aspirant terroriste a été arrêté. Je vous dirais donc, respectueusement, que la menace existe bel et bien.
Je vous concède qu'il n'y a pas de comparaison possible avec l'Afghanistan, ni même avec les événements récents en Europe, à Paris et ailleurs, mais j'ose affirmer que le monde a changé. Je vous vois hocher la tête, alors j'imagine que vous êtes d'accord avec moi.
Dans un autre ordre d'idée, jusqu'à ce que nous commencions nos réunions un peu plus tôt cette semaine, je n'avais jamais entendu parler de métadonnées. De toute évidence, le mot chiffrement a été prononcé abondamment devant nous, mais jamais dans le sens où il est entendu ici.
Tout à l'heure, vous avez parlé de chiffrement fort, ce qui semblait avoir une connotation positive, du moins dans une certaine mesure. Certaines critiques concernant des protections prévues dans le projet de loi C-51 portent sur le chiffrement. Pouvez-vous m'expliquer la différence entre le chiffrement fort et le chiffrement efficace, et ce que nous pourrions faire dans ces domaines, et aussi ce qui n'est pas du chiffrement fort ou efficace?
Je ne pense pas que chiffrement fasse partie du projet de loi C-51, mais je peux certainement répondre à la question.
On peut voir le chiffrement comme un coffre-fort. Vous pouvez y mettre des documents et le verrouiller, ou vous pouvez le laisser ouvert pour que les documents soient accessibles. Le chiffrement fort réduit les moyens accessibles pour déposer des documents dans le coffre-fort et les en sortir, au lieu d'offrir un moyen différent d'y accéder ou des combinaisons multiples. Chaque changement qui crée un nouveau moyen pour déposer et sortir des documents affaiblit nécessairement la protection.
Ce qui fait que c'est si important, c'est que les normes de chiffrement sont les mêmes pour protéger les échanges de messages Gmail ou instantanés, les communications du gouvernement, vos opérations bancaires en ligne, les renseignements personnels entrés dans Internet. C'est pourquoi il est tellement difficile d'en arriver à un système qui... Si un type particulier de chiffrement est affaibli, ou si des normes de chiffrement très largement utilisées et appliquées sont affaiblies par une exigence d'y intégrer une porte dérobée, une possibilité de contournement, le système de chiffrement que tout le monde utilise est affaibli.
C'est une idée qui a beaucoup circulé. Elle a suscité beaucoup de débats aux États-Unis, et ils ont tous abouti dans une impasse à cause de la très forte résistance des milieux de la technologie. Selon eux, notre sécurité à tous serait menacée. En somme, le gouvernement a soulevé la question à de multiples reprises, et il a dû faire marche arrière chaque fois.
D'accord.
Revenons-en aux métadonnées. Ce mot me semble un peu fourre-tout. Est-il possible de recueillir des métadonnées et d'exclure certains des éléments problématiques? Cela apaiserait-il certaines de vos inquiétudes?
Il est possible de restreindre la recherche à des éléments d'information précis, mais je pense qu'il sera très difficile de trouver une formule législative qui autoriserait un accès sans mandat, du moins après l'arrêt Spencer.
C'est la fin de notre premier tour. Nous allons entamer le second. Merci d'avoir été des nôtres. Vous avez fait de notre voyage à Halifax une expérience des plus valables. Nous rédigerons un rapport, qui je l'espère traduira fidèlement vos points de vue.
Nous prendrons une courte pause qui nous permettra de prendre congé des témoins que nous venons d'entendre et d'accueillir les suivants.
Merci.
Nous allons reprendre.
Je voudrais remercier les témoins qui participeront à la deuxième table ronde de la journée. Comme je ne crois pas vous avoir vus dans la salle au début de la séance, je vais vous donner un aperçu rapide du contexte.
Nous menons une étude sur le cadre de la sécurité du Canada. Il s'agit d'une vaste étude, conduite parallèlement à une autre étude du gouvernement. Celui-ci a publié un livre vert sur la sécurité nationale et sur la réforme du cadre. Notre propre étude porte sur le même sujet, mais elle ne fait pas partie de l'étude du gouvernement, de sorte que nous ne sommes pas ici comme porte-parole du gouvernement. Le livre vert nous sert d'éclairage pour notre étude, mais il n'en est pas une composante. Notre propre étude pourrait avoir une portée plus large et avoir une nature plus fondamentale.
Nous avons déjà un premier texte législatif à l'étude, le projet de loi C-22, qui traite de la surveillance. D'autres projets de loi sont attendus et, à l'issue de notre étude, nous pourrions recommander des amendements au gouvernement. Cependant, nous ne menons pas les présentes consultations pour le compte du gouvernement, mais pour notre propre compte.
Le Comité s'est rendu à divers endroits. Comme je l'ai déjà dit, nous sommes allés à Vancouver, à Calgary, à Toronto et à Montréal au cours de la semaine. Nous sommes très heureux de nous retrouver au Canada atlantique.
Malgré ce qui a été annoncé, j'accorderai 10 minutes à chaque témoin, ce qui devrait nous amener jusqu'à 16 h 10 ou 16 h 15, si les membres du Comité sont d'accord. Il restera alors du temps pour des questions.
Des voix: D'accord.
Le président: Très bien.
Je propose de commencer avec David Fraser. Vous avez 10 minutes, puis nous entendrons Brian et Andrea. Merci.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je voudrais remercier les membres du Comité de m'avoir invité à leur faire part de mes réflexions dans le cadre de cette très vaste consultation, qui de toute évidence a été influencée et marquée par le livre vert publié par le ministère de la Sécurité publique.
J'ai déjà comparu devant le Comité au nom de l'Association du Barreau canadien, et plus précisément de la Section nationale du droit de la vie privée et de l'accès à l'information, mais je me présente aujourd'hui à titre personnel. Je ne parlerai pas au nom de mon cabinet, d'une association dont je suis membre, ni d'aucun de mes clients.
À titre informatif, je suis avocat en pratique privée au sein de McInnes Cooper, un cabinet du Canada atlantique. Je suis également professeur à temps partiel à l'école de droit de l'Université Dalhousie, où je donne des cours sur le droit d'Internet et des médias, ainsi que sur les lois et les politiques en matière de cybercommerce. J'ai déjà enseigné le droit de la protection de la vie privée.
Comme vous le devinerez sans doute, lorsque j'agis à titre d'avocat, tous mes dossiers touchent le droit de la protection de la vie privée et d'Internet. Cette expérience m'amène souvent à conseiller des clients des secteurs public et privé à l'échelle du pays — en fait, de partout dans le monde — au sujet des obligations que leur confèrent les lois canadiennes. J'ai notamment conseillé des sociétés spécialisées dans le domaine des technologies, des télécommunications et d'autres secteurs. Il s'ensuit que je donne souvent des conseils à mes clients sur leurs interactions avec des autorités canadiennes d'application de la loi et de sécurité nationale qui sollicitent un accès aux données qu'ils détiennent sur leurs clients ou d'autres parties intéressées. J'ai été un témoin privilégié de beaucoup d'événements qui éclaireront mon propos aujourd'hui.
Personnellement, je suis un fervent défenseur d'un Canada libre et démocratique, fondé sur la primauté du droit et ancré sur ses traditions constitutionnelles. Je ne suis associé à aucun parti politique, ce qui me permet d'exprimer librement et du fond du coeur ma vision des questions qui nous préoccupent, en me fondant sur une analyse rigoureuse et, je l'espère, éclairée.
J'ai des sentiments partagés concernant notre situation actuelle. Le gouvernement en place a fait campagne et a été élu en promettant de limiter la portée du projet de loi C-51, la Loi antiterroriste. J'aurais préféré me prononcer sur un instrument législatif qui aurait eu cet objectif plutôt que prolonger une discussion qui n'en finit pas et qui continuera probablement l'an prochain.
Les pouvoirs de communication de renseignements et de perturbation prévus dans le projet de loi sont devenus le statu quo. Nous avons entendu des témoignages qui laissent entendre que ces pouvoirs sont déjà exercés, comme vous l'avez certainement entendu dans les médias. On nous dit qu'ils sont efficaces, mais, comme nous parlons de la GRC, du SCRS et du CST, il est impossible de savoir comment ils sont utilisés au juste. Comme toujours, nous sommes tenus dans l'ignorance.
Ce préambule m'amène à mon premier point. Il faut doter l'appareil canadien de sécurité nationale de mécanismes de surveillance efficaces et responsables. C'est pourquoi le projet de loi C-22 revête une telle importance à mes yeux. Dans le régime canadien, il appartient au Parlement d'édicter les lois qui établissent le cadre d'opération des organismes chargés de la sécurité nationale. Or, le Parlement ne peut pas faire ce travail s'il porte des oeillères ou s'il a accès seulement à des renseignements non classifiés qui, là encore, se limitent à ceux que ces organismes daignent appropriés de lui transmettre. Il faut permettre à un comité de parlementaires d'avoir un accès illimité à toute l'information dont il estime avoir besoin pour accomplir une tâche aussi essentielle.
Cependant, je pense que nous devrions charger un haut fonctionnaire du Parlement de surveiller tous les organismes de sécurité nationale, en nous inspirant du modèle du commissaire à l'information, du commissaire à la protection de la vie privée ou du vérificateur général, qui tous relèvent directement du Parlement. Nous pourrions créer une espèce de super Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité, le CSARS, qui serait chargé de surveiller tous les organismes. En effet, la seule distinction entre le SCRS, la GRC et le CST et d'autres organismes tient parfois au signataire du chèque de paye et à l'inscription au haut de ce chèque. Ces organismes travaillent main dans la main. L'organisme de surveillance devra être complètement indépendant des organismes qu'il surveille, et avoir accès à tous les documents. Il pourra rendre des comptes au Parlement seulement de sa propre initiative, et être habilité à saisir un juge désigné de la Cour fédérale de toute question qu'il juge appropriée concernant des activités légales.
Par nécessité, nos organismes de sécurité nationale travaillent essentiellement dans l'ombre. La seule manière pour la population canadienne de s'assurer qu'ils font bien leur travail est d'avoir confiance dans l'organisme qui les surveille. Je ne suis pas certain que c'est le cas actuellement.
Nous avons été témoins récemment d'un cas où le SCRS, avec l'aval du ministère de la Justice, a sciemment menti sous serment à un juge de la Cour fédérale afin d'obtenir un mandat. C'est inadmissible. Nous avons vu notre police fédérale se faire prendre en flagrant délit de provocation ayant mené à la création de terroristes. C'est inadmissible. Chaque année, des dizaines d'agents de police reçoivent des sanctions disciplinaires pour avoir tenté d'accéder de façon inappropriée et illégale à la base de données du Centre d'information de la police canadienne. C'est inadmissible. Nous devrions pouvoir présumer de la bonne foi des personnes qui agissent en notre nom dans nos services de police et nos autorités de sécurité nationale, et seul un cadre de surveillance et de responsabilité efficace pourra nous le garantir.
J'ai lu avec grand intérêt le livre vert et le document d'information qui l'accompagne. Je pourrais facilement identifier les auteurs. Il repose sur une liste de souhaits de bureaucrates spécialistes de la sécurité publique, comme le commissaire Paulson et l'Association canadienne des chefs de police.
Le livre vert préconise, dans une vision à sens unique, l'attribution d'un éventail de pouvoirs policiers qui ont fait l'objet d'un vaste débat depuis des années, et qui ont toujours été refusés.
Vous vous rappelez sûrement de la vive opposition des Canadiens aux dispositions sur l'accès légal, aux capacités d'interception et autres mesures prévues dans le projet de loi de Vic Toews sur la modernisation des techniques d'enquête, qui est finalement mort au Feuilleton.
À mon avis, le livre vert et son document d'information sur la défense des intérêts sont un simulacre de consultation. De toute évidence, c'est une tentative pour réhabiliter les pouvoirs d'accès légal, en faisant fi de l'arrêt Spencer et de ses conclusions on ne peut plus claires sur l'accès aux renseignements sur les abonnés et le droit à la protection des renseignements personnels dans Internet. Des personnes continuent de réclamer ces pouvoirs en faisant référence au contenu du bottin téléphonique — je suis pour ma part content de parler aussi de métadonnées —, même après que l'arrêt de la Cour suprême a complètement démoli cet argumentaire. Le fait que cette discussion a lieu en dépit de l'arrêt Spencer, qui représente en fait le verdict de l'instance suprême du pays, ne fait que confirmer à mes yeux la nécessité d'un mécanisme rigoureux de surveillance.
Je suis très content de pouvoir me prononcer sur la question de l'accès sans mandat aux renseignements des abonnés, un sujet sur lequel j'ai fait énormément de recherches, et sur la zone d'ombre créée par le chiffrement.
En terminant, parce que je tiens à ce qu'il reste du temps pour les questions et à m'assurer que le Comité reçoit toute l'information dont il a besoin, j'affirme que cette liste de souhaits ne doit pas être réalisée au détriment de nos droits. La plus grande prudence s'impose, et le travail du Comité revêt une grande importance. Le terrorisme pose une menace pour notre démocratie, mais nous devons prendre garde de ne pas nous automutiler en créant un État policier ou en piétinant nos valeurs démocratiques.
J'attends avec grand intérêt le débat qui suivra.
Je remercie les membres du Comité de me donner l'occasion d'offrir mon point de vue aux fins de l'étude sur le cadre de la sécurité nationale.
Je suis ici à titre de directeur du Centre for the Study of Security and Development de l'Université Dalhousie, un centre de recherche qui a remplacé le Centre for Foreign Policy Studies. Toutefois, les opinions que j'exprimerai sont les miennes, et non celles du Centre.
Actuellement, l'un de nos principaux projets est une étude comparative des moyens par lesquels les réseaux transnationaux abordent différents enjeux de sécurité intérieure ou nationale, dans diverses régions de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Cette vaste étude touche différents domaines stratégiques. Aujourd'hui, je parlerai d'un thème très précis de cette vaste étude, qui nous amènera un peu ailleurs par rapport aux thèmes abordés dans les présentations précédentes. Je tenterai de faire valoir l'importance d'élargir notre angle d'approche afin de déterminer quelles questions de sécurité doivent faire partie de l'étude. J'expliquerai pourquoi il faut élargir la portée de l'étude et trouver un point d'équilibre entre les priorités afin de nous assurer d'inclure d'autres questions de sécurité que les activités de lutte au terrorisme.
Je me concentrerai principalement sur la coopération internationale et le contrôle des frontières, et plus particulièrement sur le contrôle policier d'activités criminelles transfrontalières comme la traite des personnes, le blanchiment d'argent, ainsi que le trafic d'armes à feu et de stupéfiants.
J'aimerais insister sur le fait que des activités d'application de la loi et les mécanismes de surveillance coordonnés qui ont été mis en place immédiatement après les événements du 11 septembre 2001, malgré leur importance, ont été affaiblis par suite de la réaffectation des ressources et d'un changement dans les priorités de certains organismes dans les 10 dernières années. Aujourd'hui, les activités d'application de la loi sont en baisse, du moins au chapitre de leur coordination transfrontalière. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose si ces initiatives ont été remplacées par d'autres qui sont mieux adaptées pour lutter contre certaines activités de trafic transfrontalier, telles que nous les comprenons, et si elles reposent sur d'autres priorités stratégiques, que je tenterai d'expliquer.
Après le 11 septembre 2001, le plus important des deux côtés de la frontière était de montrer que les contrôles étaient aussi rigoureux que possible et, du moins du côté canadien, qu'ils ne perturbaient pas indûment les échanges commerciaux et les déplacements, et qu'ils ne compromettaient pas la souveraineté du pays.
Cet état d'esprit a donné naissance à divers groupes de travail techniques qui ont été chargés d'examiner les enjeux et, essentiellement, de créer de nouvelles normes et procédures applicables aux activités de contrôle et de patrouille des frontières. Les efforts de coordination stratégique déployés étaient d'une ampleur et d'une complexité inouïes. Toutefois, les travaux progressaient à pas de tortue et, dans de nombreux cas, leur nature aride et technique n'avait rien pour soulever les passions politiques, et encore moins l'attention des médias. L'attention s'est plutôt concentrée sur les activités transfrontalières d'application de la loi, et plus particulièrement sur un petit nombre d'initiatives phares, si je puis dire, dont certaines avaient été lancées avant le 11 septembre mais qui, après les attaques, ont été perçues comme étant emblématiques d'une nouvelle approche.
Je pense particulièrement aux équipes intégrées de la police des frontières — le programme EIPF — ou au programme Shiprider. Ces deux programmes ont été exploités à des fins politiques, notamment en raison de la valeur symbolique attribuée à la volonté de faire front commun aux premières lignes. Ces initiatives rassuraient ceux qui s'inquiétaient de savoir si les efforts d'application de la loi aux frontières étaient suffisants, et elles avaient aussi l'avantage de donner des résultats réguliers et concrets sous la forme de saisies et d'arrestations. Bref, ces programmes avaient une bonne image et pouvaient donner l'impression que les problèmes étaient réglés.
Depuis une dizaine d'années, ces programmes ont diminué d'envergure. Ils existent toujours et du personnel continue de travailler sur les dossiers, mais les ressources ont beaucoup diminué. Je parle principalement de ressources humaines, parce que beaucoup d'employés qui avaient été affectés à ces dossiers au départ, surtout sur la côte Ouest, ont été mutés ailleurs. En fait, toute la communauté d'application de la loi a été touchée par des réaffectations massives des ressources.
J'aimerais aborder la question en deux volets.
Le premier a trait au changement des priorités de la GRC pour ce qui a trait à sa stratégie globale de lutte antidrogue. Dorénavant, la lutte se fait moins contre un gaillard en particulier qui traverse la frontière dans sa camionnette que sur ce même gaillard comme étant un rouage d'un vaste réseau criminalisé. Je parle de la manière dont une opération peut être centrée sur l'organisation criminelle transnationale elle-même, sur l'aspect financier et sur la constitution d'un dossier à partir de renseignements qui conduisent à la tête de la pyramide. L'attaque est axée sur la tête plutôt que sur la base de ces organisations.
Parallèlement, la GRC a transféré des ressources qui étaient auparavant consacrées aux activités générales de lutte contre le crime organisé au secteur de la sécurité nationale, et notamment du renseignement. Des ressources financières et humaines ont ainsi été réaffectées au renseignement dans le secteur de la sécurité nationale. De toute évidence, il y a de bonnes raisons pour cela, mais la diminution des ressources affectées à la filière du crime organisé ne s'est pas faite sans de graves conséquences.
Du côté des États-Unis, les choses ont aussi évolué de telle sorte que le paysage n'est plus tout à fait le même.
Le principal changement, qui touche surtout la côte Ouest, a été le retrait progressif des organismes du programme EIPF, et la réaffectation des ressources aux Border Enforcement Security Teams, les BEST. Ce modèle, mis au point initialement pour la frontière entre les États-Unis et le Mexique, a été transposé et adopté à l'échelle des autres autorités frontalières régionales. Alors que plusieurs organismes d'application de la loi participaient au programme EIPF au sud de la frontière, sans qu'aucun n'ait le mandat clair de diriger le programme, il est indéniable que le groupe Homeland Security Investigations, le HSI, du Department of Homeland Security tient les rênes du programme BEST, et qu'il impose une structure à son image. Les conséquences se mesurent non seulement à la façon de mener les activités, mais aussi à la participation des différents organismes des deux côtés de la frontière.
Par exemple, il est clair que le groupe HSI met une bonne partie de ses énergies sur les patrouilles aux frontières et l'application de la loi dans la région frontalière, et que la GRC a moins d'intérêt à investir des ressources dans ce modèle qu'elle n'en avait dans le modèle précédent de coopération transfrontalière axé sur le programme EIPF. Ce désintérêt et la réaffectation des ressources à l'intérieur de la GRC se traduisent par un engagement réduit du côté canadien dans les activités de contrôle des frontières menées par le programme BEST. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose car, malgré toute sa force symbolique, l'action des EIPF visait beaucoup plus les petits distributeurs et passeurs de clandestins, égratignant à peine les grandes organisations criminelles transnationales.
Bien entendu, il faut poursuivre les activités d'application de la loi aux frontières. Je ne prétends pas qu'il ne s'y passe plus rien et qu'il faut tout arrêter. Cependant, je pense qu'il faut aussi mettre nos ressources ailleurs. Je suis d'accord avec la grande réorientation de la GRC, qui axe maintenant sa lutte sur les réseaux criminels eux-mêmes, mais il faut soutenir ses activités par des investissements de ressources qui sont à la hauteur. Sans ces investissements, on aura l'impression, à l'instar de beaucoup d'organismes américains qui participent au programme BEST et à d'autres initiatives, que le Canada a trouvé une autre bonne excuse ou une autre justification pour ne pas s'impliquer.
Je soutiens qu'il y a nécessité de réaffecter des ressources à la lutte concertée contre le crime organisé, et de faire en sorte que cette réaffectation tienne compte de la nouvelle réalité et des nouvelles priorités stratégiques des organismes participants. Cela signifie qu'il faudra privilégier un modèle de groupe de travail qui soutiendra la coopération transfrontalière en vue de s'attaquer à des modèles de trafic ou à des organisations en particulier, et surtout de faire le suivi de l'argent et de monter des dossiers axés sur le renseignement à long terme pour atteindre les leaders d'organisations criminelles.
Il s'agit d'un processus long et coûteux, parsemé de toutes sortes d'obstacles politiques, lesquels sont créés par les différences entre les règles en matière de divulgation et de protection des renseignements personnels. Les obstacles sont de divers ordres, certes, mais ils ne justifient pas qu'on ignore la nécessité de trouver un terrain d'entente ou de renouveler notre engagement à y consacrer les ressources voulues.
Oui, c'est la dernière phrase.
Je voudrais simplement ajouter que, après la tragédie du 11 septembre, les ressources massives investies dans les activités de lutte au terrorisme ont eu un effet d'entraînement positif dans d'autres domaines comme la lutte au crime organisé et la gestion des urgences. Le sentiment d'urgence a diminué, la vague est retombée. Actuellement, nous observons plutôt une diminution de l'enveloppe globale des ressources disponibles.
J'aimerais terminer en disant qu'autant il est important de répondre aux questions complexes soulevées par la lutte au terrorisme, autant il est important de réaliser que la concentration de toutes nos ressources dans ce secteur a d'importantes conséquences sur les activités liées à d'autres problèmes de sécurité bien réels.
Merci beaucoup de m'avoir invitée. C'est un honneur pour moi de venir témoigner aujourd'hui. Je m'appelle Andrea Lane et je suis directrice adjointe du Center for the Study of Security and Development à l'Université Dalhousie. Cependant, je témoigne aujourd'hui en mon nom personnel.
J'aimerais vous parler de la recherche que j'ai effectuée dans le but de remettre en contexte général les lois antiterroristes, la notion de radicalisation et les mesures de lutte contre la radicalisation. Cette recherche était financée par Sécurité publique Canada, dans le cadre du Programme des adjoints de recherche Kanishka.
Ma recherche se penche sur ce que l'on appelle le terrorisme à cause unique — c'est-à-dire une violence terroriste autour d'une idée particulière, telle que la protection de l'environnement ou le suprémacisme blanc ou encore l'abolition du droit à l'avortement. Dans ce type de terrorisme, la frontière entre les notions de droite et de gauche est brouillée, et ce type de terrorisme est très souvent moins étudié, puisque l'attention du public et celle des agents d'application de la loi est plutôt dirigée vers le terrorisme islamique.
Dans ma recherche, je me suis demandée en particulier pourquoi certains activistes choisissent la violence terroriste comme tactique de protestation, et comment ces activistes se distinguent de leurs homologues non violents. Mais surtout, ma recherche vise à savoir comment les organismes de sécurité peuvent faire la différence entre les activistes violents et les militants non violents avant qu'il ne soit trop tard — c'est-à-dire afin d'éviter les attaques.
Dans les conclusions de ma recherche, je montre comment l'on pourrait utiliser de manière plus efficace les ressources coûteuses en matière de surveillance et d'application de la loi. Il est difficile de résumer en 10 minutes une année de recherche et 120 pages d'analyse, mais je vais tenter de le faire et je compte sur votre patience.
Ma recherche s'est penchée sur la théorie sociologique de la mobilisation — c'est-à-dire la démarche que suivent les gens qui adhèrent à un mouvement ou groupe social particulier, dans ce cas, les groupes terroristes. Cette théorie soutient que les gens ne se mobilisent en faveur d'activités activistes ou terroristes que lorsque plusieurs conditions sont réunies pour permettre une telle mobilisation, et non pas, comme on le croit généralement, lorsqu'ils commencent à adopter des croyances ou des idées sur une question particulière.
Nous avons tendance à penser qu'en cas de radicalisation menant à la violence, la croyance précède l'action. La théorie que j'ai analysée postule plutôt que c'est l'action qui précède la croyance et donc, que les croyances radicales ou autres n'apparaissent chez ces gens qu'après leur adhésion à un groupe activiste.
Les gens qui se trouvent à un point tournant de leur vie — ce n'est pas nécessairement un événement négatif et cela peut arriver par exemple à l'occasion d'un déménagement dans une autre ville pour des raisons professionnelles, ou à l'occasion d'un divorce — peuvent entrer en contact avec un groupe d'activistes, presque de façon accidentelle, à ce moment de leur vie où ils sont plus réceptifs à certaines idées ou certaines rencontres, et peuvent ainsi être mobilisés. Il faut que les deux conditions soient présentes. Si ces personnes ont des contacts avec un groupe quand elles ne se trouvent pas à un point tournant de leur vie, elles ne sont pas mobilisées. Si elles se trouvent à un point tournant de leur vie, mais qu'elles n'ont pas de contact avec un groupe, elles ne sont pas mobilisées non plus.
J'ai mis cette théorie à l'épreuve en prenant l'exemple du groupe terroriste canadien des années 1980 qui s'appelait Action directe et que l'on connaissait également sous le nom de Squamish Five. J'ai comparé ces terroristes avec les membres de groupes non violents dont les préoccupations recoupent celles d'Action directe, y compris les groupes antinucléaires et les groupes qui s'opposent à l'exploitation des ressources. J'ai fait des entrevues et j'ai pris connaissance de témoignages dans les transcriptions de procédures judiciaires, dans les journaux, et dans les propres écrits des membres de divers groupes, afin de vérifier si la théorie de la mobilisation pouvait se justifier et pouvait expliquer la différence entre la radicalisation violente et la radicalisation non violente.
Ma recherche a abouti à trois conclusions qui pourraient être utiles aux membres de votre Comité au moment de se livrer à l'examen du cadre de sécurité nationale du Canada.
La première constatation est que les activistes sont modelés par les groupes auxquels ils appartiennent. Des groupes comme Greenpeace ou le Canadian Centre for Bio-Ethical Reform ne sont pas uniquement des groupes politiques, mais également des communautés sociales qui imposent à leurs membres leur propre cadre de pensée et une structure correspondante d'habitudes en matière de comportement de protestation.
Par exemple, le CCBR est convaincu que l'avortement est une question de justice sociale, tout comme l'esclavage aux États-Unis, et il encourage ses militants à distribuer des brochures, à poser des autocollants sur leurs voitures, à écrire aux journaux ou à leurs députés et à organiser des réunions pour répandre son message. Greenpeace, en revanche, estime qu'il est important de sensibiliser le public pour apporter des changements environnementaux et le groupe encourage ses membres à participer à des actions publiques spectaculaires. Cela signifie que les membres actuels de groupes de protestation non violents sont peu susceptibles de commettre des actes terroristes violents, parce que socialement, ils sont vivement encouragés à ne pas entreprendre de telles actions. Dans ce cas, la violence est pratiquement impensable pour eux, car elle enfreint les règles sociales de leur groupe.
Cela m'amène à mon deuxième point. Des groupes d'activistes comme Greenpeace, Earth First! et Idle No More, qui ont recours à ce que l'on pourrait appeler la violence contre les biens, sont en fait des ressources précieuses pour prévenir la violence contre les personnes. L'amalgame que font les lois ou les efforts de prévention de la criminalité entre la violence contre les biens et la violence contre les personnes, fait plus de tort que de bien, car le fait de s'adresser à des groupes non violents qui ne préconisent pas la violence contre des personnes, mais qui sont susceptibles d'autoriser la violence contre des biens, par exemple, constitue un des meilleurs moyens de repérer quelles sont les personnes qui, dans leurs groupes élargis, sont à risque d'être radicalisées et d'utiliser la violence contre des personnes. Le fait de s'aliéner ces groupes en faisant l'amalgame de la destruction des biens et de la violence intentionnelle contre des personnes, on perd une ressource très précieuse. Je vais terminer ici mon deuxième et troisième point, parce que je me rends bien compte que mon temps de parole est écoulé.
Je vous remercie beaucoup de votre attention. Je suis prête à répondre aux questions que vous pourriez avoir sur ma recherche ainsi que sur d'autres aspects du terrorisme à cause unique au Canada — qui n'est pas une forme de terrorisme dont on parle beaucoup au Canada par les temps qui courent — et plus généralement sur la radicalisation menant à la violence.
Merci.
Il vous reste encore du temps, si vous voulez l'utiliser, mais nous pouvons aussi passer aux questions.
Il est difficile de savoir quelles sont les parties de ma recherche qui vous seraient les plus utiles pour vos travaux.
Je suppose que les questions vont nous permettre de le découvrir.
Nous allons commencer par Mme Damoff.
Merci beaucoup.
Merci à tous les trois. Vos présentations étaient vraiment intéressantes et vous avez soulevé différents points de vue, ce qui est également très utile.
Madame Lane, vous avez dit que les activistes sont modelés par un groupe. Vous avez parlé de la violence contre les biens par opposition à la violence contre les personnes, mais quelle est votre troisième constatation?
La troisième constatation est qu'au lieu de dépenser beaucoup d'argent pour examiner les groupes d'activistes de l'extérieur afin de déterminer qui parmi eux sont susceptibles de commettre des actes de violence, il serait plus utile et moins coûteux d'établir des relations avec les groupes non violents classiques que sont Greenpeace ou même Earth First! afin de leur faire savoir que nous avons bien conscience que leurs membres tels qu'ils se présentent actuellement, ne sont pas susceptibles de commettre des actes de violence, mais que ces groupes sont les mieux à même de savoir quels sont les membres qui ont quitté récemment le groupe après avoir émis des opinions radicales. Ils savent quels sont les membres qui ont vécu des changements dans leur vie et qui sont, à cette occasion, entrés en contact avec d'autres personnes qui préconisent la violence.
Il serait extrêmement coûteux d'intégrer à long terme un agent de la GRC dans un groupe et cela soulèverait des inquiétudes parmi la population. Par contre, on pourrait faire savoir à ces groupes que l'on n'approuve pas leur encouragement au vandalisme, par exemple, mais cela étant dit, que l'on cherche essentiellement à empêcher que des gens meurent au cours de ce type d'attaque et qu'une collaboration serait possible. Il faudrait établir une relation qui permettrait à ces groupes de révéler qu'un de ses membres a vécu un divorce particulièrement difficile l'an dernier et qu'il a déménagé à Windsor et qu'ils veulent vous signaler que ce membre peut être entré en contact avec des individus qui préconisent une violence plus extrême.
Il faut vraiment savoir choisir ses batailles.
Il faudrait bien entendu établir un climat de confiance entre le groupe et les représentants de la police. Comment obtenir ce degré de confiance? Par exemple, les membres du groupe pourraient refuser de donner des informations, de crainte d'être poursuivis par la suite pour les actes de vandalisme.
Il y a vraiment deux façons d'envisager la chose. La première est un processus ascendant qui consiste à effectuer des interactions au niveau inférieur. L'autre mécanisme est un processus descendant qui consiste à passer en revue les lois antiterroristes et à déclarer que dans l'état actuel des choses, les individus qui préconisent des actes de vandalisme graves qui sont susceptibles d'entraîner des blessures recevront le même traitement que des groupes terroristes qui encouragent leurs membres à attaquer directement des personnes avec des armes à feu. Il faudrait que la loi soit extrêmement claire à ce sujet, afin que l'on puisse convaincre les groupes qui seraient moins enclins à participer.
Je comprends qu'il est difficile d'établir un pont entre la culture propre à l'application de la loi et la culture activiste. Je ne me berce pas d'illusions et je sais que cela ne sera pas facile à réaliser, mais il est possible de mettre en place les conditions propices à une telle collaboration.
Monsieur Fraser, vous avez parlé de notre cybersécurité, un sujet que M. Oliphant a abordé avec notre de groupe de témoins précédent. Je suis membre du comité de la condition féminine et mes collègues et moi nous sommes penchées sur la question de la cyberviolence. Les chefs de police ont réclamé les mêmes choses que la GRC et le SCRS lorsqu'ils ont comparu devant nous.
Ils nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas obtenir de renseignements de base sur les abonnés. Je ne suis pas avocate, mais lorsque la BC Civil Liberties Association est venue témoigner, lors de notre passage à Vancouver, ses représentants nous ont dit que les organismes d'application de la loi peuvent obtenir ce type de renseignements. Les gens ont toujours tendance à penser que la situation est différente lorsqu'il s'agit de cyberviolence contre les femmes, mais nous voulons que la police puisse faire son travail aussi bien dans ce contexte que dans les cas de terrorisme.
Est-ce que la police peut obtenir ce genre de renseignements grâce à la décision de la Cour suprême?
Absolument, il lui suffit d'obtenir une autorisation judiciaire. C'est le document qu'il faut présenter. Avant l'arrêt Spencer, le système fonctionnait de manière moins uniforme. Certains fournisseurs de services Internet procuraient à la police les données concernant les abonnés, sur présentation de leur adresse IP, dès que la police soupçonnait un cas d'exploitation des enfants. Tous les fournisseurs de services Internet du Canada ont respecté cette règle, à l'exception de deux fournisseurs de la région Atlantique du Canada.
Les enquêtes ont pu être menées ici parce que nous pouvons, depuis au moins une dizaine d'années, obtenir d'un juge de paix une ordonnance de communication qui contraint le fournisseur de services Internet à révéler ce genre de renseignement. Le projet de loi C-13 a rendu en fait plus facile cette démarche. Ce projet de loi est surtout connu pour traiter de la diffusion non consensuelle d'images d'actes intimes, mais il a également abaissé le seuil pour plusieurs ordonnances de communication qui permettent à un juge de paix de fournir ce genre de renseignement.
Je suis surpris d'entendre que les organismes d'application de la loi trouvent que le processus est maintenant plus difficile... Il est vrai qu'auparavant, il suffisait de demander ces renseignements, mais cela n'était possible que dans très peu de cas. Ils se plaignent qu'il faut plus de temps pour obtenir ces données de la part du fournisseur de services Internet, mais en fait, l'ordonnance de communication impose des délais. C'est une ordonnance de la cour. Auparavant, la communication était purement volontaire et les fournisseurs s'empressaient de répondre.
Les organismes d'application de la loi peuvent avoir accès à ces renseignements et si l'on juge que les délais sont trop longs et que la procédure est trop complexe pour obtenir ces renseignements, la solution consiste à faire appel à un plus grand nombre de juges de paix, à simplifier le processus ou à ajuster les dispositions de la Loi sur la cyberintimidation, plutôt que de jeter la charte par la fenêtre.
Ils disent qu'ils sont seulement à la recherche de renseignements de base sur les abonnés, le nom et l'adresse d'un client, mais la Cour suprême a bien précisé dans sa décision qu'ils doivent chercher à établir un lien entre le nom et l'adresse de l'abonné et une activité illicite telle que le commerce de pornographie juvénile, la cyberintimidation ou autre.
Absolument. On peut certainement obtenir une ordonnance de communication pour une infraction de terrorisme et la Loi sur le SCRS permettrait d'obtenir un mandat de la part d'un juge désigné.
Et enfin, les autorités peuvent obtenir ces renseignements sans mandat en cas d'urgence ou s'il y a un risque imminent pour la vie ou les biens d'autrui.
Internet étant une entité internationale, certaines inquiétudes ont été soulevées par rapport aux traités et au délai de 18 mois qu'il faut attendre pour obtenir des renseignements de la part d'autres pays. Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?
Je ne suis pas sûr que l'on puisse éviter cela. Une ordonnance d'un tribunal canadien n'aurait aucun pouvoir contre une entreprise américaine, elle ne peut tout simplement pas être appliquée aux États-Unis.
Le Canada a négocié avec les autres pays de la communauté internationale des traités d'entraide juridique en matière pénale. Nous en avons un avec les États-Unis et avec la plupart de nos autres alliés. Il est peut-être possible d'optimiser le processus ou de l'accélérer pour certains types d'ordonnances liées à nos obligations multilatérales en matière de conventions sur la cybercriminalité et autres ententes semblables.
Il peut arriver que l'on n'ait pas à passer par Affaires mondiales Canada pour ce genre de mandats lorsque les ministères de la justice communiquent entre eux, mais c'est une protection importante, parce que sinon des tribunaux chinois pourraient demander à avoir accès à des renseignements canadiens, tout comme des tribunaux iraniens, égyptiens et autres. Les conventions « internationales » vont dans les deux sens.
Merci.
Je vous remercie tous les trois d'être venus aujourd'hui.
Monsieur Fraser, vous avez parlé du comité de surveillance et de son obligation de rendre compte au Parlement. Connaissez-vous d'autres pays dans le monde où les choses ne se passent pas de cette façon?
Il existe plusieurs modèles mixtes et de multiples mécanismes de reddition de comptes dans les différents pays. Je n'ai pas fait d'analyse approfondie des divers pays de l'OCDE ou des Nations Unies, mais je crois pouvoir dire que nous sommes un cas particulier, étant donné que la surveillance parlementaire dont nous disposons actuellement est très faible. Votre Comité a essentiellement les mains liées à plus d'un titre alors qu'il devrait être un des plus puissants.
Comme je l'ai mentionné, ces services opèrent nécessairement dans l'ombre. Ils ne peuvent faire autrement. Cependant, ils doivent rendre des comptes, car ils disposent de pouvoirs importants et pourraient en abuser. Il faudrait accroître du mieux possible cette obligation de rendre des comptes au Parlement.
Très bien.
La Grande-Bretagne, par exemple, dispose d'un cadre depuis quelque temps. En 2013, elle y a apporté quelques changements majeurs. Est-ce que le Canada peut s'en inspirer?
Je n'ai pas eu l'occasion de l'étudier en profondeur.
Il est certain que les Britanniques ont fait face à un certain nombre de problèmes, à des préoccupations que nous avons nous aussi. Bien que nous ayons une tradition constitutionnelle commune, je pense que notre contexte constitutionnel est plus structuré et mieux défini. Je pense que tout doit être ajusté en fonction de notre propre contexte. Nous sommes probablement plus proches de l'Australie dans plusieurs aspects structurels de notre démocratie, mais je pense que nous n'avons pas à copier servilement ce qui se fait ailleurs. En revanche, il est tout à fait justifié de s'inspirer de ce qui se fait dans les autres pays.
Très bien, merci.
Vous avez aussi parlé du livre vert, disant qu'il semble avoir été écrit par des bureaucrates. Malheureusement, c'est beaucoup trop souvent le cas à Agriculture Canada, Transports Canada ou au ministère de la Justice. Quel que soit le gouvernement au pouvoir, les bureaucrates rédigent leurs documents comme bon leur semble.
Comment régler ce problème? On ne peut pas tous les mettre à la porte. Avez-vous des idées à ce sujet?
... aucun doute là-dessus.
Cependant, ils ont une longue expérience acquise sous différents supérieurs et dans différents contextes politiques. D'une certaine façon, je pense qu'ils pourraient peut-être souffrir — que ce soit au ministère de l'Agriculture, des Pêches ou de la Sécurité publique — de travailler un peu trop en silo ou d'être trop limités dans l'entourage qu'ils consultent. Ils entendent constamment parler de la police ou du SCRS. Ils ne sont pas constamment à l'écoute des Canadiens, des groupes de protection de la vie privée. Je pense que cela les influence.
Ultimement, je pense que c'est au ministre, au Cabinet et au gouvernement que revient la décision de proposer des dispositions législatives, après avoir pris sérieusement connaissance des travaux et des recommandations d'un comité. Je pense que c'est tout simplement une question de cohérence pour le gouvernement avec sa plateforme électorale, avec ses propres principes et avec le comportement que l'on attend de la part des Canadiens. C'est en fin de compte agir au meilleur des intérêts des Canadiens, tout en reconnaissant le fait que les conseils ont beau être très judicieux, ils proviennent d'une perspective particulière, et que ces personnes sont les mêmes que celles qui conseillaient les gens contre qui le gouvernement en place a remporté les élections.
Bien. Merci.
Je veux laisser du temps à Mme Watts.
Madame Lane, vous avez parlé de violence contre les biens par opposition à la violence contre les personnes. Vous avez quasiment excusé ce genre de violence. Ne pensez-vous pas que c'est pourtant toujours du terrorisme?
Oui, cela peut être considéré comme du terrorisme si ces actes sont commis dans le but de provoquer un changement politique en forçant les gouvernements à prêter attention à ce genre d'événement. En vertu du droit canadien, la destruction de biens peut en effet être considérée comme un acte de terrorisme.
La différence, c'est que le terrorisme est protéiforme. Il y a toutes sortes d'actes qui peuvent être qualifiés de terroristes. Si l'on veut éviter que des gens soient blessés ou tués par des actes terroristes, il faut se demander si la manière la plus efficace de mettre un terme à ces incidents qui nous préoccupent le plus consiste à inclure tous ces autres méfaits dans la définition du terrorisme.
Je ne veux absolument pas dire que l'on ne devrait pas se préoccuper de la destruction de biens ou que cela ne devrait pas entraîner l'intervention des autorités responsables de l'application de la loi, mais si l'on en juge par la façon dont le terrorisme est perçu et contrôlé par les forces de police, on peut craindre que le fait de considérer les actes entraînant la destruction de biens comme des actes de terrorisme contribuerait à nuire à une prévention plus efficace des lésions corporelles.
Monsieur Bow, c'est la première fois que nous abordons la question de la sécurité des frontières au cours de nos audiences dans les diverses régions du pays et j'en suis très heureuse, d'autant plus que le poste frontalier de Peace Arch, le poste de Douglas, se trouve dans ma circonscription. Lorsque j'étais maire, j'ai dû faire face à de nombreuses activités criminelles que vous avez évoquées — le trafic de drogues, les armes, la traite de personnes — et bien entendu, j'ai vécu l'histoire du fameux tunnel qui avait été creusé pour permettre aux trafiquants de traverser la frontière. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que les ressources ont été réaffectées et que de nombreux programmes ont été réduits ou remodelés.
Entre le poste frontalier de Windsor et celui de Peace Arch, la frontière a été le théâtre de nombreux incidents. Tout cela concerne la sécurité nationale, parce qu'il y a actuellement beaucoup de trafic de fentanyl et autres drogues en provenance du Mexique et de plusieurs autres pays. L'importation de ces drogues est responsable de la mort de plus de 600 personnes, rien qu'en Colombie-Britannique, depuis le début de l'année.
Je sais que l'on a beaucoup travaillé sur différentes stratégies concernant l'intégrité des frontières et autres mesures de sécurité. En matière de stratégie, pouvez-vous nous dire où nous en sommes actuellement? Je sais qu'il y a quelques années, les mesures étaient très strictes. Lorsque j'étais maire, je me souviens d'avoir témoigné devant le Département de la Sécurité intérieure à propos de plusieurs de ces incidents frontaliers, mais où en sommes-nous actuellement, depuis que les ressources ont été réduites et les programmes diminués?
Je regrette de ne pouvoir vous laisser entendre la réponse, puisque vous avez utilisé tout votre temps dans votre préambule, mais c'était très intéressant.
Monsieur Dubé, c'est à vous.
[Français]
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Je sais que vous avez reconnu que la tâche est difficile et le temps est limité et je comprends aussi que c'est une question complexe, mais je dois dire que je m'inquiète toujours du risque de profilage de certains groupes.
Je suis Québécois et je crains qu'une telle attitude nous mène sur une pente glissante comme celle que l'on a connue lorsque la GRC avait volé les listes de membres d'un parti politique et qu'après la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre, tous les gens qui avaient des liens quelconques avec une certaine communauté avaient été détenus. Je sais bien que ce n'est pas ce que vous préconisez, ce n'est pas du tout ce que je veux dire, mais je m'inquiète quand j'entends que l'on veut faire un lien entre des groupes légitimes et ces personnes que, faute d'un meilleur mot, on pourrait appeler des brebis égarées, parce que c'est vraiment comme ça que je le comprends.
Cela a été abordé dans le cadre du débat autour du projet de loi C-51. Je sais que vous l'analysez dans une perspective plus sociologique, mais je veux vous entendre à ce sujet. Au moment du débat sur le projet de loi C-51, avec les gens de mon parti, nous avons tenu à préciser que le terrorisme a une certaine dimension politique, mais que, par contre, l'activité politique, même si elle entraîne une désobéissance civile, ne peut être considérée comme du terrorisme. Je suis très inquiet quand on adopte une telle attitude et que l'on commence à établir des liens, même s'ils sont assez ténus. C'est dans de telles situations que les législateurs inscrivent dans les lois des définitions qui, à mon avis, sont erronées.
Encore une fois, je sais que c'est compliqué, mais pourriez-vous me dire ce que vous pensez des commentaires que je viens de faire?
Certainement.
Je pense que ce que je préconise contribuerait en fait à améliorer la situation actuelle des groupes de protestation légitimes et des services gouvernementaux d'application de la loi. Le contexte actuel est éminemment accusatoire et aussi combatif et réellement coûteux.
Pendant les Jeux olympiques de Vancouver, le budget de surveillance et d'observation des groupes de protestation comme Greenpeace et autres qui auraient pu vouloir interrompre de façon plutôt violente les activités des Jeux olympiques s'est chiffré à des millions et des millions de dollars et d'heures-personnes, parce qu'il y avait un mur infranchissable qui séparait les protestataires du gouvernement.
Vous avez tout à fait raison de dire que si nous empruntons cette pente glissante consistant à considérer n'importe quel comportement comme possiblement criminel, on ne peut qu'aboutir à la criminalisation des groupes de protestation légitimes.
Actuellement au Canada, la définition du terrorisme est relativement large et contient une zone grise qui permet aux forces d'application de la loi d'utiliser le langage et les biens associés au terrorisme pour poursuivre des groupes qui préconisent en effet la destruction de biens et toutes sortes d'autres démarches que la plupart des gens et les législateurs voudraient éviter, telles que les grandes manifestations et autres événements de ce type. Dans l'état actuel des choses, c'est le pire scénario. La loi criminalise de telles activités et les associe au terrorisme et il n'existe aucun mécanisme qui permette aux différentes parties de se parler sans que ces communications ne soient trop coûteuses et que cela ne soit pas mal perçu par la population.
Je peux bien comprendre que cela soit coûteux, mais c'est... la démocratie. Dans l'exemple de Vancouver que vous avez cité, il n'y a pas que le coût de la surveillance de ces groupes; faute d'un meilleur terme, il y a aussi le coût de la démocratie. C'est un peu la question que je pose: est-il nécessaire de faire surveiller ces activités par la police?
Ce que d'autres témoins nous ont dit, par exemple et même les gens que nous avons rencontrés à Montréal au centre pour la prévention de la radicalisation, c'est que même lorsque des actes criminels sont commis, le degré de gravité varie et la réadaptation des contrevenants est toujours possible, contrairement à ce qui se passe lorsqu'il y a criminalisation. Or, je ne crois pas qu'il y ait place à une telle possibilité dans cette situation.
Vous me demandez là de moduler mes arguments en fonction de l'auditoire.
J'étais, au début de ce travail de recherche, parfaitement consciente qu'en exposant les résultats de mes travaux, en recommandant de ne pas toucher aux groupes de protestataires et de fermer les yeux devant des actes de vandalisme, je ne risquais guère de convaincre les autorités policières et gouvernementales.
Vous avez parfaitement raison de dire que la surveillance policière des manifestations entraîne un coût pour la société, mais ce n'est pas une question que permettent de trancher les témoignages d'experts. C'est aux Canadiens qu'il appartient de décider, c'est à vous, législateurs, de trancher. J'ai ma propre opinion sur les coûts sociaux de ce type de mesure et je peux contribuer à une explication des dépenses que de telles mesures entraînent pour le contribuable, mais pour ce qui est des coûts sociaux, je crains bien que personne ne puisse vous aider à décider.
Je vous remercie de cette réponse.
Monsieur Fraser, je ne voudrais pas trop m'attarder sur le projet de loi C-22 étant donné que nous allons devoir l'étudier, mais, compte tenu de son importance, on est inévitablement amené à y revenir dans le cadre de cette étude.
Mon collègue Murray Rankin et moi-même réfléchissons actuellement aux amendements qu'il conviendrait d'apporter au texte de ce projet de loi, et nous nous penchons notamment sur certains des arguments liés au fait que le Comité doit, au bout du compte, répondre de son activité devant le premier ministre et le Cabinet qui auront le dernier mot sur la teneur du rapport. Vous avez d'ailleurs fait allusion à cette réalité dans vos observations.
Mais il y a aussi la confiance du public et l'idée, par exemple, d'assurer au Comité une plus grande indépendance avec un président élu plutôt que nommé par le premier ministre. Vous voudrez peut-être nous donner votre avis sur cela, et sur d'autres questions que vous souhaiteriez aborder.
L'indépendance du Comité me paraît en effet essentielle. Le président ou la présidente qui doit sa nomination à quelqu'un, ne peut pas être entièrement indépendant. On risque alors de voir la fonction devenir une pure formalité, la nomination devant tout au favoritisme, à un renvoi d'ascenseur.
Je préfère voir les mandataires du Parlement répondre devant lui de leur activité. C'est à mes yeux extrêmement important. Or, j'ai actuellement l'impression que trop se décide au niveau du soi-disant pouvoir exécutif. En fait, dans une démocratie parlementaire il n'y a pas à proprement parler de pouvoir exécutif, mais trop échappe actuellement à la compétence du Parlement, qui est pourtant censé être le coeur de notre démocratie.
Le Comité ne doit pas être redevable à tel ou tel parti. Il est clair que sa composition varie en fonction de la composition de la Chambre, mais il doit, à mon avis, être en dernière analyse uniquement responsable devant le Parlement en tant qu'institution qui se prononce au nom de tous les Canadiens.
En effet. Merci, monsieur le président.
Je suis heureux de me retrouver parmi vous. Je ne participe pas habituellement aux travaux du Comité, et je vous demande par conséquent de me pardonner si je pose des questions qui peuvent pour certains paraître évidentes. Je tiens à vous remercier de l'occasion qui m'est donnée de prendre part à vos délibérations.
Permettez-moi, monsieur Fraser, de vous adresser ma première question, en partie parce que j'ai pour votre surnom une affection particulière, mais aussi parce que je voudrais avoir votre avis sur le projet de loi C-51, qui oblige le SCRS à obtenir un mandat de la Cour fédérale avant de prendre des mesures visant à contrecarrer des visées terroristes.
Je crois savoir que, selon le ministère de la Justice, la question relève de l'article 1 de la Charte. Est-ce aussi votre avis, ou pensez-vous qu'il y aurait lieu d'analyser la question au regard non seulement de l'article 1 de la Charte, mais de l'ensemble des droits garantis par la Constitution. D'après vous, la question de savoir s'il y a lieu ou non d'accorder un mandat pourrait-elle être tranchée uniquement au regard des valeurs consacrées par la Charte?
La question de savoir comment cette disposition doit s'appliquer en pratique peut donner lieu à un débat passionnant. S'agit-il d'un mécanisme qui va permettre au juge de dire, au vu de la proportionnalité des mesures de déstabilisation envisagées, que la riposte présente pour la société un intérêt tel qu'elle l'emporte sur un des droits garantis par la Constitution, ou un autre droit légitime, un droit de propriété par exemple?
Il convient également de s'arrêter un instant et se demander si la riposte envisagée a bien sa place, et si oui, si c'est à bon droit qu'elle est organisée par le SCRS. Ce qui m'inquiète c'est que dans ce monde de l'ombre, il est très difficile d'avoir une idée précise de ce qui se fait. Certaines des activités menées par la GRC, avant l'enquête de la Commission McDonald, étaient effectivement des efforts de déstabilisation et c'est bien pour cela qu'on a retiré ce type d'activité à la GRC pour le confier au SCRS.
En confiant au SCRS le pouvoir d'incendier des granges — je prends cet exemple parmi d'autres — on ébranlerait d'après moi les fondements mêmes de notre appareil de sécurité. Je ne voudrais pas que cela puisse se faire par la simple adoption d'un projet de loi tel que le projet de loi C-51. D'après moi, si nous entendons revoir entièrement l'appareil de sécurité nationale du Canada, et changer le caractère du SCRS, nous allons devoir entamer un large débat sur la question.
Je vous remercie.
Nous passons la parole à M. Bow.
Vous avez abordé deux questions — la modification de l'ordre de nos priorités, en concentrant nos moyens davantage sur la lutte contre les grandes entreprises criminelles, et en nous attaquant en priorité, non plus au crime organisé, mais aux activités en rapport avec le terrorisme. On procéderait en conséquence à une réaffectation des ressources disponibles. Est-ce ce qui se fait actuellement dans la plupart des pays occidentaux? Procèdent-ils à un tel changement d'orientation et si oui, quelles vont en être, d'après vous, les conséquences?
Je n'ai pas effectué les études comparatives qui me permettraient de dire que c'est effectivement la tendance, mais c'est bien, d'après moi, le cas. Il est clair que depuis le 11 septembre, les pays occidentaux consacrent une plus large part de leurs ressources à la lutte contre le terrorisme. Il n'y a en cela rien de surprenant.
Ce qu'il convient de se demander par contre c'est si l'augmentation des crédits affectés à la lutte antiterroriste se fait au détriment d'autres activités policières ou d'autres mesures de sécurité. J'estime que cela n'a pas été le cas aux États-Unis. Si l'on étudie les budgets d'organismes tels que la DEA, l'ICI (Douanes et Immigration) et le FBI, on constate qu'il y a effectivement eu des changements dans l'affectation des crédits, mais rien de comparable à ce qu'on a pu voir à la GRC où, au cours des 10 ou 15 dernières années, les priorités de financement ont été largement modifiées.
Je ne peux pas dire quelle est, en ce domaine, la tendance générale, mais je ne pense pas qu'il y ait eu, aux États-Unis, de changements comparables...
Dans votre exposé, vous avez dit quelques mots de l'intégration des réseaux de sécurité. D'après vous, les réseaux de sécurité du Canada et des États-Unis devraient-ils être davantage intégrés? Devrait-on renforcer l'échange de renseignements entre nos deux pays?
Je le pense en effet. C'est une question assez délicate, en particulier en matière de contre-terrorisme. On hésite à l'idée de voir, la GRC notamment, tout dire à ses homologues américains. Les choses se sont souvent assez mal passées, et c'est bien ce qui nous a portés à modifier les règles applicables, afin de circonscrire ou davantage encadrer les échanges de renseignements.
En matière de crime organisé, les garanties juridiques et les règles de divulgation des renseignements sont bien connues et là où elles constituent un obstacle, un certain nombre de mesures essentiellement tacites permettent de le contourner. Ce qu'il nous faut mettre en place, c'est un mécanisme formel d'échange d'informations efficace, mais assorti d'un dispositif de surveillance. Au lieu de vouloir régler les problèmes que soulève l'échange de renseignements en l'interdisant, on devrait envisager au contraire un échange plus large d'informations, mais assorti de mesures qui permettent de contrôler les renseignements communiqués, d'en contrôler la source et les conditions. Il faudrait toutefois que ces contrôles supplémentaires permettent aux informations d'être communiquées en temps utile.
Bon, je vous remercie.
Madame Lane, c'est maintenant à vous que je souhaiterais m'adresser. Je suis vivement intéressé par les recherches que vous avez menées en ce domaine.
Vous avez dit, tout à l'heure, qu'il ne faut pas confondre la violence envers les personnes et la violence contre les biens. Or, ce sont d'après moi, néanmoins deux choses qui méritent d'être réprimées, mais vous voulez sans doute dire qu'elles n'ont pas la même gravité. Vous ne voulez pas qu'on les confonde. Qu'entendez-vous par cela? Les confond-on actuellement? Pourriez-vous nous citer un exemple?
Il est clair qu'on a actuellement tendance à confondre les deux. C'est particulièrement vrai des dispositions canadiennes touchant la lutte contre le terrorisme. On considère comme des actes terroristes des atteintes à la propriété qui ont un caractère politique, telles que certaines des actions menées par Greenpeace ou Earth First! On les considère comme des actes de terrorisme, car elles visent, dit-on, à contraindre la population civile ou à obtenir du gouvernement qu'il prenne telle ou telle décision.
Le principal problème se situe au niveau des coûts sociaux, mais ce n'est pas non plus la meilleure utilisation de nos ressources. L'essentiel est de mettre fin aux actes de terrorisme qui entraînent la mort. Or, si vous rangez dans la catégorie du terrorisme cet autre domaine de l'action policière, non seulement faites-vous un mauvais emploi des ressources disponibles, mais vous défendez mal la propriété en vous mettant à dos des groupes avec lesquels vous devriez au contraire collaborer.
La question de savoir si les atteintes à la propriété doivent être considérées comme des actes de terrorisme est une question de morale sociale. Mais sur le simple plan pratique, on peut dire que ce n'est pas un moyen efficace de lutter contre l'un ou l'autre type de terrorisme, celui qui donne la mort et celui qui s'en prend aux biens.
Cette idée se défend peut-être théoriquement, mais ne pensez-vous pas qu'en pratique les organismes chargés de la sécurité auront du mal à faire la distinction?
Non. Rappelons que les « Squamish Five », un groupe actif dans les années 1980 et sur lequel je me suis penchée à l'occasion d'une étude de cas, n'ont jamais été déclarés coupables d'actes de terrorisme. On ne les a pas considérés à l'époque comme un groupe terroriste. Ils ont fait sauter, en Colombie-Britannique, une centrale électrique, et, à Toronto, ont fait exploser un camion piégé à une usine de Litton Industries. Il s'agissait, manifestement, d'un groupe terroriste, mais la législation en vigueur à l'époque ne permettait pas de le considérer comme tel. Ils n'ont jamais été condamnés pour des actes de terrorisme. On ne les a pas inculpés en vertu d'une disposition antiterroriste, mais les services policiers n'ont éprouvé aucune difficulté à les retrouver, à les mettre sous surveillance et à mettre un terme à leurs activités. Ils ont été arrêtés alors qu'ils préparaient une nouvelle attaque à Cold Lake, en Alberta. C'est bien la preuve que pour contrer efficacement ce type d'activités, il n'est pas nécessaire de les considérer comme des actes de terrorisme.
Il faut savoir que le fait de considérer comme des actes terroristes les attaques contre les biens entraîne un coût d'opportunité.
Merci, madame Lane.
Madame Watts, je vais maintenant m'adresser à vous.
Vous souvenez-vous de la question?
Il y aurait beaucoup à dire sur ce point, mais je vais m'en tenir à un ou deux aspects de la question.
Je précise qu'en matière de lutte contre le crime organisé, on essaie en général, pour chaque dossier, de constituer une équipe chargée de l'affaire. La plupart du temps, c'est fait à la demande d'un de nos partenaires internationaux, la GRC intervenant en fonction des besoins, toujours prête à collaborer à des opérations multinationales.
Mais cette approche ad hoc peut entraîner deux types de conséquences fâcheuses. D'abord, cela ne favorise pas, au niveau international, la constitution de réseaux de collaboration stables. En général, les membres de ces équipes se séparent après avoir fait leur part du travail et les liens qui avaient été tissés se perdent. On ne voit donc guère se créer des relations durables qui sont pourtant un élément essentiel de la confiance sur laquelle repose l'échange fonctionnel de renseignements.
Cette manière de procéder ne laisse en outre aucune place au choix des priorités stratégiques. Lorsque la GRC participe à une opération, c'est la plupart du temps à l'invitation d'un organisme policier étranger, le plus souvent américain. Cela veut dire qu'au lieu d'agir en fonction de ses propres priorités stratégiques, elle greffe en général son action sur des opérations lancées par quelqu'un d'autre.
D'après moi, nous devrions réfléchir aux moyens de lancer des campagnes de longue haleine axées sur des priorités proprement canadiennes. Il nous faudrait d'abord pour cela cerner les problèmes auxquels nous souhaitons nous attaquer en matière de crime organisé, constituer des équipes opérationnelles chargées des divers dossiers, puis établir des contacts avec les organismes policiers de pays susceptibles de contribuer à l'opération.
J'ai eu à m'occuper, dans le cadre d'un dossier transfrontalier, d'une affaire d'exploitation sexuelle d'enfants et d'adolescents entre Calgary, Vancouver, Seattle et d'autres villes des États-Unis. À l'époque, tout était improvisé. Or, il faudrait dresser un plan stratégique avec des priorités bien établies, car, pour lutter contre le terrorisme, on prélève des ressources jusque-là affectées à la lutte contre la criminalité. Cela crée un vide qui risque en fait d'être exploité par des terroristes. Or, on ne peut pas se permettre de laisser un vide s'agissant, notamment, d'organisations criminelles qui se livrent au trafic des armes à feu, des stupéfiants et des êtres humains.
Étant donné vos recherches en ce domaine, et les recommandations dont vous avez fait état, que conviendrait-il de faire dans l'immédiat?
La première chose serait sans doute d'inciter la GRC à réfléchir davantage à comment intégrer ses nouvelles priorités stratégiques en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants au Canada, à une stratégie de coopération avec les États-Unis et nos divers autres partenaires.
On a jusqu'ici surtout réfléchi à la meilleure manière de tirer parti des moyens à notre disposition. On n'a guère réfléchi à une stratégie accessoire. Étant donné que la plupart de nos efforts s'inscrivent dans le cadre d'accords avec les organismes policiers d'autres pays, il nous faut davantage songer à comment tout cela s'agence, et aux moyens de dégager les ressources nécessaires si nous souhaitons pérenniser nos relations avec nos homologues de l'étranger.
C'est en effet l'essentiel. Bob Paulson a eu l'occasion de nous dire qu'on lui avait pris une bonne partie de ses effectifs et que, faute de moyens, certains dossiers ne pouvaient plus être suivis. C'est exact, mais il est clair que ce qui compte le plus c'est la sécurité nationale et l'intégrité de nos frontières.
Je voudrais maintenant poser une question à Mme Lane. Vous avez dit quelque chose au sujet duquel mon collègue vous a demandé des précisions. Vous parliez des divers types d'activités et des diverses organisations et contacts dont dépend l'échange de renseignements. Or, ces diverses organisations, compte tenu de leurs objectifs, sont sans doute attachées à la protection des renseignements personnels et des droits individuels. Elles ne souhaiteront probablement pas communiquer de tels renseignements à la police. Or, en les obligeant à communiquer certains renseignements, n'en faites-vous pas des indicateurs de police?
Or, d'après moi, vous allez, en agissant ainsi, à l'encontre de l'objectif que vous vous êtes fixé. Qu'en pensez-vous?
Oui, tout à fait.
Vous avez raison. Ce serait, effectivement, demander aux gens de dénoncer d'anciens membres du groupe ou des gens de leur communauté. Dans le cadre de mes recherches, je me suis entretenue en toute franchise avec des membres de ces divers groupes, et j'ai pu constater le degré de surveillance auquel ils sont actuellement soumis. Ils savent très bien que la police cherche à les infiltrer. Ils savent très bien qu'on lit leurs courriels et qu'on écoute leurs appels téléphoniques.
J'estime qu'ils seraient ouverts au dialogue, et prêts à collaborer en vue d'éviter que ce type de violence porte atteinte au droit de manifester et d'élever des protestations légitimes. Mais, pour cela, il faudrait accepter au préalable de ne pas considérer comme des actes de terrorisme les atteintes à la propriété.
Les rapports que les services de police et le gouvernement entretiennent actuellement avec divers groupes de la société civile, et les groupes de protestataires, sont au plus bas point. Cela vaudrait donc la peine d'être essayé. Vous avez parfaitement raison de dire que ce serait un peu demander à ces groupes de devenir des indicateurs de police, mais ils sont déjà...
Parfaitement. Nous serions ravis d'obtenir un exemplaire de vos travaux.
Nous saurions gré à ceux d'entre vous qui auraient, eux aussi, une documentation à remettre au Comité. Cela contribuerait à nos travaux, ainsi qu'à l'étude du projet de loi C-22.
Compte tenu de la prolongation, nous n'avons pas trop dépassé les délais.
Je vous remercie de votre contribution à l'étude que nous menons. Je rappelle à l'intention des personnes assises dans la galerie, que la séance reprendra à 17 h 30. Le public aura alors l'occasion de s'entretenir avec les membres du comité.
Je tiens à vous remercier tous. La séance est levée.
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