:
Merci, monsieur le président.
[Français]
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux de comparaître de nouveau devant ce comité, cette fois au sujet du projet de loi . Je suis accompagné par M. William Galbraith, qui est directeur exécutif de mon bureau, et par Me Gérard Normand, qui est conseiller juridique spécial et avocat général.
Je suis le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, le CST, depuis plus de quatre ans. Je suis responsable de procéder à des examens concernant les activités du CST pour en contrôler la légalité, dans un premier temps. Cela comprend naturellement tout ce qui concerne la protection de la vie privée des citoyens et des personnes qui se trouvent au Canada. Je suis un juge à la retraite de la Cour supérieure du Québec et de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada. Comme j'aime le dire souvent quand je comparais devant vous,
[Traduction]
Je suis un jeune de 75 ans.
[Français]
Lorsqu'on parle d'un juge à la retraite, il ne faut pas s'attendre à ce qu'il s'agisse d'une personne âgée de 40 ou de 50 ans. Pour prendre notre retraite, il faut que nous ayons au moins 69 ou 70 ans. Cela explique mon âge quelque peu avancé.
La loi exige effectivement que le commissaire du CST soit un juge surnuméraire, c'est-à-dire un juge qui siège à temps partiel, ou un juge à la retraite d'une cour supérieure. Mon mandat actuel prendra fin à la mi-octobre de cette année, soit en 2018.
[Traduction]
Cependant, une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale, mon rôle changera pour devenir une toute nouvelle — et j'insiste là-dessus — fonction dans le domaine du renseignement au Canada.
En effet, le commissaire ne procédera plus à l’examen des activités du CST après coup. Le commissaire au renseignement exercera plutôt un rôle quasi judiciaire d’examen et d’approbation des autorisations délivrées par les ministres pour certaines activités du CST et du SCRS avant que ces activités ne puissent être menées.
Plus précisément, le commissaire devra déterminer si les conclusions du ministre sur lesquelles repose l’autorisation de l’activité sont raisonnables. Les conclusions devront être jugées raisonnables. C'est essentiellement semblable à la fonction exercée par un tribunal dans le cadre de ce que nous appelons une « révision judiciaire ».Il s'agit selon moi d'un rôle crucial, qui vise à assurer l’examen quasi judiciaire des activités menées par les organismes du renseignement qui peuvent avoir une incidence sur la Charte ou la vie privée.
[Français]
La partie 2 du projet de loi , qui édicte la Loi sur le commissaire au renseignement, prévoit expressément la transition du rôle du commissaire du CST au nouveau rôle de commissaire au renseignement. Les fonctions d'examen à postériori des activités du CST dont je m'acquitte actuellement incomberont au nouvel Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, comme c'est également proposé dans le projet de loi .
[Traduction]
J’ajoute que le projet de loi exige aussi que le commissaire au renseignement soit un juge à la retraite d’une juridiction supérieure, ce qui est indiqué selon moi compte tenu de la fonction quasi judiciaire du nouveau poste. Par contre, le projet de loi ne prévoit pas la possibilité de nommer un juge surnuméraire, comme c’est le cas dans la Loi sur la défense nationale pour le commissaire du CST. Je suis d’opinion que le projet de loi devrait maintenir cette possibilité de nommer un juge surnuméraire, en partie pour assurer un meilleur bassin de candidats potentiels. J’étais juge surnuméraire lorsque j’ai été nommé commissaire du CST il y a quatre ans, et j'ai pris ma retraite comme juge peu de temps après.
Le problème est le suivant. Le bassin de candidat pour ce poste, le nouveau poste de commissaire au renseignement, est très limité. Il faut trouver un juge à la retraite qui a la bonne expérience — par exemple en matière de sécurité ou de défense nationale. Le bassin est très limité. C'est la raison pour laquelle je propose de garder dans le projet de loi ce que nous avons dans la Loi sur la défense nationale concernant la nomination d'un commissaire au renseignement. Autrement dit, un juge surnuméraire devrait être nommé commissaire au renseignement avant de prendre sa retraite quelques mois plus tard. Ce serait une mesure transitoire. Je peux envisager que dans l'éventualité où un juge en exercice demeurerait commissaire au renseignement pendant des années, il pourrait avoir des problèmes de conflits d'intérêts et ainsi de suite. Je crois en revanche que cela pourrait être très utile à des fins transitoires.
Avant l’audience, j’ai présenté au Comité une copie de propositions d’amendements au projet de loi . Ces observations ont été transmises à votre président le 6 décembre 2017. Je vais aussi vous soumettre aujourd’hui des listes comprenant des propositions d’amendements substantielles et techniques que j’ai déjà envoyées aux ministres Goodale et Sajjan. Je soulignerai dans mon allocution plusieurs de ces propositions.
[Français]
Le processus que le gouvernement a choisi d'adopter en ce qui concerne ce projet de loi revêt de l'importance en ce qu'il permet d'accueillir, comme l'a dit le ministre , la présentation de nouvelles idées et d'autres suggestions avant l'étape de la deuxième lecture à la Chambre.
[Traduction]
Dans ce contexte, je traiterai des changements que je propose à trois parties de ce projet de loi: la partie 2, la Loi sur le commissaire au renseignement; la partie 3, la Loi sur le Centre de la sécurité des télécommunications; et la partie 4, qui modifie la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. J'estime qu'en règle générale, le projet de loi est bien ficelé et qu'il répond à la plupart des recommandations mises de l'avant par mes prédécesseurs et moi-même pour modifier la partie V.1 de la Loi sur la défense nationale. Par contre, je crois toutefois, après l’avoir analysé en profondeur et après avoir discuté avec des fonctionnaires et des organismes directement concernés, que certaines modifications devraient être proposées. Je décrirai donc sept propositions sur le fond que je considère comme les plus importantes parmi celles que je propose.
Premièrement, j’estime que le commissaire au renseignement devrait jouer un rôle dans l’approbation des autorisations de cyberopérations actives et de cyberopérations défensives du CST, qui pourraient aussi avoir une incidence sur des intérêts de nature privée. Certains commentateurs ont fait remarquer qu’il s’agit là d’un nouveau mandat très étendu pour le CST et qu’il est trop permissif. En comparaison, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité exige du SCRS qu’il porte, dans certains cas, l’affaire devant un juge de la Cour fédérale afin d’obtenir un mandat pour des activités similaires.
[Français]
Deuxièmement, tel que le projet de loi est libellé actuellement, la décision du ministre de prolonger d'une autre année la période de validité d'une autorisation touchant le renseignement étranger ou la cybersécurité délivrée au CST n'est pas assujettie à l'approbation du commissaire au renseignement. J'estime que le commissaire devrait être impliqué dans cette demande de prolongation, étant donné qu'il aura joué un rôle dans l'approbation de l'autorisation initiale. Autrement, la période de validité de toute autorisation serait, en pratique, pour une période de deux ans. Or, ce n'est pas ce que prévoit la loi. Elle prévoit que ce genre d'autorisation est valable pour un an au maximum. Si le ministre approuvait de façon quasi automatique la demande de renouvellement sans que le commissaire soit impliqué, on pourrait se retrouver avec une durée de deux ans, au lieu de la durée d'un an prévue par la loi.
[Traduction]
Troisièmement, les autorisations en cas d’urgence qui sont délivrées au CST par le et qui se rapportent au renseignement étranger et à la cybersécurité devraient également être assujetties à l’examen du commissaire tout de suite après leur délivrance. Une telle approche serait semblable à celle prévue dans la loi britannique, la Investigatory Powers Act. En vertu de cette loi, la période de validité des autorisations en cas d’urgence est de cinq jours, tout comme dans le projet de loi . Cependant, toujours en vertu de la loi britannique, le commissaire judiciaire en Grande-Bretagne est appelé à réviser et à décider de l’approbation de la mesure d’urgence pendant ce délai.
Dans les réponses que vous avez fournies à certains de mes collègues, il a été question du mandat du CST. Mme Bossenmaier, qui est chef du CST, a comparu devant nous et je lui ai posé des questions notamment sur le paragraphe 24(1) proposé, où le premier alinéa parle d'exceptions dans le cas d'information accessible au public. Cela nous préoccupe, de même que les alinéas suivants. Mme Bossenmaier a mentionné que le mandat du CST touchait essentiellement les entités étrangères, et non les Canadiens. Il y a plusieurs questions que j'aimerais vous poser à ce sujet.
Premièrement, le mandat est-il légal ou est-il compris de facto par le CST?
En outre, des exceptions de ce genre sont incluses dans le projet de loi, mais on n'est pas vraiment en mesure de nous expliquer pourquoi. Par exemple, on dit ceci: « Le ministre peut, par arrêté, désigner comme étant importante pour le gouvernement fédéral de l’information électronique, des infrastructures de l’information [...] » Toutes ces questions sont vagues et on n'est pas en mesure de justifier l'ampleur de la portée.
J'ai abordé plusieurs questions, certaines sous forme de commentaires. J'aimerais simplement connaître votre point de vue sur ces sujets.
Quel est le mandat du CST? Le projet de loi est-il en train de le faire évoluer sans toutefois qu'on soit en mesure d'en justifier concrètement les raisons ni le but visé?
:
Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs.
Premièrement, je vous remercie pour le document très complet que vous avez soumis au Comité. Le projet de loi est effectivement complexe à étudier, et le document que vous nous avez remis contient des éléments très importants.
J'aimerais revenir sur un point, soit le processus d'approbation.
Le problème actuellement, ce sont les cybermenaces. En cyberdéfense, il y a un maximum de ressources qui peuvent être au courant et qui peuvent contrecarrer les cyberattaques. Nous travaillons ensemble là-dessus. Cependant, lorsqu'on parle d'opérations actives, c'est-à-dire lorsque le Canada mène des opérations cybernétiques, je trouve qu'il commence à y avoir beaucoup de niveaux d'intervention, compte tenu de l'aspect secret des renseignements. Si l'on veut mener une opération, c'est qu'on a besoin de collecter des renseignements ou de faire des interventions informatiques dans les systèmes.
Ce matin, j'ai participé à la réunion du Comité permanent de la défense nationale. Nous avons entendu les témoignages de gens qui travaillent aux opérations cybernétiques. Selon eux, sur le plan de la défense, l'important est d'assurer une protection. En cas d'attaques, ils vont surtout se tourner du côté du CST.
Selon le projet de loi , quand on parle de mener des opérations, on demande l'approbation du ministre des Affaires étrangères. De votre côté, vous demandez aussi d'avoir une supervision de la part du commissaire au renseignement.
Ne trouvez-vous pas qu'il y a trop d'intervenants lorsqu'il s'agit d'opérations secrètes?
:
Je serai heureuse de commencer. Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de cette invitation.
Mon allocution écrite porte sur la collecte de données en vrac du CST et du SCRS.
Dans son témoignage devant votre comité, M. Craig Forcese a soulevé un point très important au sujet des seuils d'autorisation pour la collecte de données du CST.
L'article 23 proposé de ce qui sera la nouvelle Loi sur le CST précise que les activités réalisées par le CST dans le cadre de ses divers mandats ne doivent pas viser des Canadiens ou des personnes au Canada. Cela s'inscrit bien sûr dans la continuité de la situation actuelle, c'est-à-dire que le CST est tenu de ne pas orienter ses activités en ce sens.
Pourtant, il est bien connu et admis que l'information des Canadiens et des personnes au Canada est recueillie, parce que la collecte de certaines données, qui n'est absolument pas négligeable, est inévitable en raison de la complexité des réseaux de communication. Par conséquent, les données des Canadiens sont recueillies incidemment ou inévitablement.
Dans le cadre du nouveau régime proposé afin de protéger les intérêts personnels des Canadiens, on exige que le CST demande une autorisation ministérielle qui sera ensuite approuvée par le commissaire au renseignement. Ce processus d'autorisation et d'approbation du commissaire au renseignement se mettrait en branle lorsque les activités du CST contreviendraient à une loi du Parlement.
Nous sommes d'accord avec M. Forcese pour dire que ce facteur déclenchant a une portée trop limitative, un point de vue qui est maintenant repris par le Citizen Lab, la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada et d'autres.
Comme M. Forcese le souligne, certains craignent que le seuil proposé ne garantisse pas, par exemple, que le processus d'autorisation soit lancé pour des activités qui recueillent incidemment les métadonnées des Canadiens, ce qui est évidemment d'une importance cruciale.
Craig Forcese propose d'élargir la portée de l'élément déclencheur, de façon à ce que le processus d'autorisation s'applique aux activités qui contreviendraient à toute autre loi du Parlement, ou qui pourraient « entraîner la collecte d'informations pour lesquelles les Canadiens ou une personne au Canada peut s'attendre raisonnablement à ce qu'elles soient protégées », un seuil qui a déjà été mentionné.
Voici ce que nous reprochons simplement à cet ajout proposé: que les données exactes pour lesquelles on « peut s'attendre raisonnablement à ce qu'elles soient protégées » deviennent au coeur de presque tout enjeu relatif à la vie privée, et que ce seuil soit établi au sein du CST.
Grâce aux années de rapports du commissaire du CST, entre autres, nous savons que les litiges relatifs à l'interprétation des normes et des définitions juridiques ont toujours été une source de préoccupation, et que les activités liées à la sécurité nationale en général sont ravagées par le problème des « lois secrètes », où le libellé d'une loi ou d'une directive est interprété d'une façon parfois obscure ou très troublante, des interprétations qui peuvent ne pas être mises au jour avant des années. Nous sommes donc d'avis qu'un élément déclencheur qui comporte une définition spécieuse est fondamentalement problématique.
Cependant, le dernier rapport du commissaire du CST indiquait que le CST a obtenu seulement trois autorisations ministérielles depuis 2015 pour mener ses activités de renseignement électromagnétique. Il semble que ces autorisations permettent un large éventail d'activités. Nous croyons savoir que, compte tenu de la fréquence et de la portée de l'information acquise incidemment, la plupart, voire la totalité des autorisations, sont susceptibles d'au moins mettre en cause des données de Canadiens. Autrement dit, il y a un petit nombre d'autorisations seulement, et presque toutes sont susceptibles de nécessiter le régime d'autorisation et l'approbation du commissaire aux renseignements.
Pour veiller à ce que le processus d'autorisation tienne compte de tout ce que nous espérons, il est sans doute préférable, et encore tout à fait possible et efficace, d'avoir une approbation uniforme du processus d'autorisation par le commissaire au renseignement qui s'appliquerait à toutes les activités en dehors du mandat de soutien technique et opérationnel, qui est son domaine d'activité, comme vous le savez.
Pour tout le reste, nous recommandons que la question du seuil soit résolue en éliminant la nécessité d'établir un seuil et en veillant à ce que chaque catégorie d'activités autorisées soit assujettie à la nouvelle procédure de reddition de comptes d'autorisation et d'approbation ministérielle par le commissaire au renseignement.
J'aimerais maintenant parler de la collecte de données de masse effectuée par le SCRS. À la suite de la consultation sur la sécurité nationale, nous étions certainement préoccupés à l'idée qu'en réponse aux scandales liés aux données de masse du SCRS, le gouvernement se contenterait d'accorder à l'organisme le pouvoir de faire ce qu'il faisait auparavant de façon illégale sans tenir un débat démocratique pertinent sur l'acquisition des données de masse dans le contexte de la sécurité nationale. Nous reconnaissons certainement que l'attribution d'un fondement législatif à la collecte de données de masse permettra d'améliorer la transparence, mais le seuil peu élevé proposé dans le projet de loi nous préoccupe énormément et bien honnêtement, nous craignons que cet enjeu extrêmement important ne reçoive pas suffisamment d'attention dans le contexte d'un projet de loi omnibus.
C'est seulement récemment que le CSARS a mené son tout premier audit des programmes de collecte de données de masse du SCRS. Selon le CSARS, la collecte de données de masse effectuée par le SCRS peut être appropriée lorsqu'elle répond à la norme de stricte nécessité pour la collecte de données établie dans l'article 12 de la Loi sur le SCRS. À notre avis, il est difficile d'imaginer un organisme qui serait mieux placé pour évaluer cela, à la fois du point de vue de la reddition de comptes et du respect de la primauté du droit et du point de vue des besoins opérationnels du SCRS.
La proposition du SCRS sur les normes et les critères visant la collecte de données de masse comporte trois volets. Tout d'abord, il faut clairement établir le lien avec une menace à la sécurité du Canada, deuxièmement, aucun moyen moins intrusif ne doit être accessible et enfin, il faut mener une évaluation objective de la valeur des renseignements visés.
Maintenant, veuillez comparer ces critères aux critères établis dans le projet de loi . En effet, le projet de loi C-59 permet au SCRS de recueillir des ensembles de données accessibles au public, sans définir ce terme, sur le fondement de la norme de pertinence. Le critère auquel il faut satisfaire pour acquérir des ensembles de données canadiens — qui, il ne faut pas l'oublier, sont définis expressément comme étant des ensembles de données qui contiennent des renseignements personnels qui ne sont pas directement et immédiatement liés à des activités représentant une menace à la sécurité du Canada — consiste simplement à démontrer que les résultats produits par leur recherche ou leur exploitation pourraient être pertinents et il faut que cette évaluation soit raisonnable.
On pourrait faire valoir que la vaste portée dont profite la collecte des données de masse est au moins limitée par l'exigence d'une autorisation judiciaire visant la conservation de ces ensembles de données, mais plutôt que d'offrir une protection efficace, cette autorisation intensifie simplement les effets des critères très peu élevés qui l'ont engendrée. Les renseignements personnels qui ne sont pas directement et immédiatement liés à des menaces à la sécurité du Canada peuvent être recueillis s'ils « peuvent être pertinents », si cette évaluation est « raisonnable », et si le ou la juge décide ensuite que les ensembles de données peuvent être conservés parce qu'ils répondent au critère selon lequel « ils sont susceptibles d'être utiles ».
Ce sont donc les seuils de ce que la plupart des Canadiens qualifieraient de surveillance de masse, et nous croyons que la plupart des Canadiens rejetteraient ces seuils, car ils sont beaucoup trop bas. Ainsi, une bonne occasion d'améliorer ces pratiques de surveillance est gaspillée dans le projet de loi .
Les critères proposés représentent une érosion importante des protections de la vie privée qui découlent du critère de stricte nécessité qui s'applique actuellement. Nous recommandons que les dispositions sur les données de masse du SCRS soient révisées pour qu'elles soient expressément visées par le critère de stricte nécessité au lieu de représenter une exception à ce critère. Nous recommandons également que des critères de collecte de données de masse — comme ceux établis par le CSARS, qui sont pragmatiques et dotés de principes — soient établis dans le projet de loi.
C'est ce qui termine mon exposé. Merci.
:
Merci beaucoup, monsieur le président. J'aimerais également vous remercier de me donner l'occasion de comparaître devant le Comité aujourd'hui.
Comme vous le savez, je suis conseiller de la sécurité provinciale de l'Ontario depuis janvier 2017. Avant cela, pendant presque cinq ans, j'ai été consultant auprès d'organismes privés et publics dans le domaine des risques liés à la sécurité nationale, notamment les cybermenaces. Et auparavant, j'ai travaillé au Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS. Lorsque j'ai quitté cet organisme en 2012, j'occupais le poste de directeur adjoint.
Étant donné que j'ai commencé à travailler au SCRS au moment de sa création, en 1984, j'ai assisté à un très grand nombre de jalons qui ont façonné le milieu du renseignement de sécurité au Canada, plus précisément en ce qui concerne les organismes au centre des interventions en cas de menace au Canada.
Nous sommes à nouveau sur le point de vivre un changement — et il s'agit manifestement d'un changement important. En effet, même si en général, on considère que la Loi sur le SCRS représente un modèle de loi efficace en matière de sécurité et de renseignements, il a fallu lui apporter des rajustements de temps à autre, peut-être pas pour remédier à des défaillances particulières, mais plutôt parce qu'il était nécessaire de l'adapter aux changements sociaux, culturels et politiques et, maintenant plus que jamais, aux changements techniques.
Parmi tous les éléments importants dans le projet de loi , il est temps d'envisager d'apporter des changements essentiels à un organisme pour lequel je n'ai pas travaillé, mais avec lequel j'ai maintenu une connectivité opérationnelle importante pendant de nombreuses années. En effet, il est temps que le CST ait sa propre loi habilitante, car son mandat a maintenant 16 ans.
L'élément le plus important de cette transformation de la mission et du mandat concerne le domaine des cybermenaces. Le Canada doit maintenant se joindre à la communauté des nations aux vues similaires qui sont déterminées à résister à la menace croissante de l'entreprise criminelle mondialisée, au vol de propriété intellectuelle ou à l'interférence dans notre société menée par d'autres nations, et au potentiel de destruction catastrophique des infrastructures essentielles, que ce soit à cause d'une guerre de la cinquième dimension ou d'attaques terroristes. Nous devons appuyer nos alliés et entretenir des liens et la paix avec eux, de l'Australie à l'Union européenne. Ils ont eux-mêmes reconnu la nature de ce nouveau contexte de menace du XXIe siècle.
Les nations qui n'appuient pas ces valeurs ou qui n'y croient pas ont certainement découvert les avantages de la guerre hybride ou de la guerre de la cinquième dimension. Elles ciblent très activement nos infrastructures essentielles et notre future prospérité en volant la meilleure et la plus importante propriété intellectuelle que le pays peut offrir. Elles ont également remarqué qu'il était très facile de nuire à nos processus démocratiques en minant la confiance des gens à l'égard de nos institutions, ainsi que notre capacité de mener un dialogue respectueux et constructif, et que cela produisait des avantages immédiats.
Il y a plusieurs domaines à explorer au cours de la discussion d'aujourd'hui, mais tout d'abord, permettez-moi de dire que je fais depuis longtemps la promotion du renforcement de la reddition de comptes visant la communauté du renseignement de sécurité. La création du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et de l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignements répondra à la majorité de mes préoccupations liées à la nécessité d'améliorer la reddition de comptes et la transparence dans le milieu de la sécurité.
Toutefois, dans le cadre de mon exposé, permettez-moi maintenant de parler plus directement de certains éléments liés à la menace et de la nécessité de répondre efficacement à cette réalité.
Nous vivons dans une époque sans précédent. En effet, au cours de ma carrière, qui s'étend sur un peu plus de trois décennies, je n'ai jamais observé un tel ensemble de défis locaux et mondiaux, qu'il s'agisse du changement climatique et de la sécurité alimentaire ou de la migration irrégulière et du nombre sans précédent de réfugiés, en passant par les soulèvements sociaux et politiques, les menaces nucléaires et les changements dans l'hégémonie mondiale. Des auteurs de menaces situés partout dans le monde ciblent maintenant le Canada avec facilité. De plus, les Canadiens qui ont l'intention de causer du tort à d'autres ou de cibler des intérêts canadiens à l'étranger peuvent maintenant opérer à partir de régions éloignées du monde, et n'ont pas à se limiter aux zones de conflits habituelles.
Dans cet aspect du renseignement de sécurité équivalant à la mondialisation, il est extrêmement important que le CST continue d'appuyer le SCRS, le ministère de la Défense nationale et les organismes d'application de la loi dans les enquêtes légales ou les exigences de missions, peu importe où des menaces émergent dans le monde. Qu'il faille aider le SCRS à recueillir des renseignements sur un réseau violent extrémiste émergent qui cible les voyageurs canadiens ou les diplomates à l'étranger, aider les Forces canadiennes à protéger une unité déployée qui donne de la formation ou peut-être même aider la GRC à amener des trafiquants de personnes devant les tribunaux, nous devons offrir les meilleurs outils disponibles. Les capacités ou les outils dont je parle peuvent seulement être obtenus auprès de nos organismes de renseignement d'origine électromagnétique.
Il est tout aussi important — et à mon avis, essentiel — que le Canada compte sur les capacités qu'il contrôle et qu'il peut vérifier plutôt que sur les efforts ou les compétences d'autres nations qui ne partagent peut-être pas toutes nos normes et nos intentions.
En ce qui concerne la partie 3 du projet de loi, plus précisément la partie sur la cybersécurité et l'assurance de l'information, permettez-moi de vous dire qu'à titre de conseiller de la sécurité provinciale de l'Ontario, ce volet me préoccupe grandement, car il concerne la cybermenace qui cible nos investissements substantiels dans les infrastructures essentielles.
Au-delà de la protection de la propriété intellectuelle acquise directement ou indirectement, si l'on souhaite assurer notre prospérité actuelle et future, il est nécessaire de protéger nos infrastructures essentielles à la survie, qu'elles soient publiques ou privées. Ainsi, la capacité renforcée du CST de nous aider à protéger notre infrastructure vitale est essentielle pour les Ontariens et, je crois, pour tous les Canadiens.
Je crois que c'est vrai, car nous vivons actuellement dans un environnement dangereux où plus de 400 nouvelles menaces informatiques sont produites chaque minute et où une personne est attaquée par un rançongiciel quelque part dans le monde toutes les 10 secondes. Plus près de nous, chaque mois, l'équipe des opérations de cybersécurité du gouvernement de l'Ontario gère approximativement 40 milliards d'incidents liés à la sécurité. Oui, des milliards d'incidents chaque mois. Même si nous respectons les normes de l'industrie, plus de 90 % des courriels que reçoit la fonction publique de l'Ontario sont bloqués en raison de réseaux de zombies ou de menaces de pourriels.
Sur le plan des opérations de cyberdéfense, je crois que seul le CST peut fournir la technologie, le savoir-faire et les données liés aux menaces nécessaires pour bâtir la résilience en matière de cybersécurité efficace qui est nécessaire dans ce type d'environnement. En raison des conversations que j'ai eues avec les intervenants de l'industrie privée et avec ceux de grands organismes gouvernementaux indépendants, par exemple les organismes qui s'occupent de l'énergie, des soins de santé, de l'éducation et du transport, je sais qu'ils ressentent tous les effets des cybermenaces omniprésentes. Essentiellement, nous ne pouvons plus agir seuls — et eux non plus. Nous sommes en présence d'un phénomène de menace mondiale qui exige une stratégie et des capacités de niveau national.
En ce qui concerne les cyberopérations actives, permettez-moi simplement de dire que la meilleure défense commence toujours par une bonne offensive. Lorsqu'on signale que plus de cinq douzaines de pays renforcent activement leurs capacités cyberopérationnelles, à mon avis, nous devons élaborer des mesures offensives en matière de cybersécurité pour répondre à ces menaces, et parfois, cela signifie qu'il faut aller au-delà de nos frontières.
Des tactiques offensives cybernétiques ont été mises au point et sont appliquées par les meilleures entreprises de sécurité privées dans le monde. Depuis un certain temps, il est courant d'avoir recours au Web invisible ou au Darknet pour recueillir des renseignements avant une attaque et pour protéger les systèmes, par exemple ceux du secteur financier. Je le sais, car j'ai travaillé directement dans ce secteur. Lorsqu'il sera temps de faire face à une attaque ciblée qui vise à manipuler les systèmes d'exploitation d'une centrale énergétique en vue de causer une défaillance ou peut-être même de détruire quelque chose, comme nous l'avons vu en Ukraine, en Allemagne et même dans l'État de New York, nous aurons besoin du CST afin de « réduire, d'interrompre, d'influencer ou de contrecarrer, selon le cas, les capacités, les intentions ou les activités » de ces menaces ou de leurs responsables.
Plus communément, pour vous donner un autre exemple, la fréquence et les exploits des soi-disant attaques par déni de service ou incidents de DDOS s'intensifient. Je prévois que le CST devra bientôt aider un fournisseur de service canadien ou un gouvernement infranational à contrer une attaque par déni de service.
Depuis l'arrivée de l'Internet des objets, nous avons déjà assisté à la création de réseaux de zombies à partir d'appareils intelligents qui ont été utilisés pour lancer des attaques d'un téraoctet par seconde contre des institutions habituellement associées au partage de l'information, contre des installations anti-pourriels, des réseaux sociaux, des travailleurs des droits de la personne et des médias grand public. Il ne fait aucun doute que la situation ne fera qu'empirer, surtout lorsque nous faisons face à des régimes autocratiques qui n'ont aucune inhibition ailleurs dans le monde.
Mon rôle actuel de conseiller de la sécurité provinciale représente un exemple important de la façon dont le monde a changé et de la nécessité, pour le Canada, de modifier la façon dont il se perçoit et dont il fonctionne. L'Ontario ne représente que l'une des 14 compétences principales du pays. À elle seule, l'économie de l'Ontario se situerait au 18e rang dans le contexte du G20. Il ne fait aucun doute que, comme l'Ontario, toutes les compétences infranationales sont conscientes des multiples menaces qui continuent d'avoir des répercussions négatives sur la prospérité et la sécurité.
À mon avis, une initiative de sécurité établie par voie législative qui concilie les exigences en matière de sécurité avec les exigences en matière de reddition de comptes, de transparence et de respect des droits des Canadiens permettra à notre nation de tirer son épingle du jeu dans un monde de plus en plus tumultueux.
Merci.
Si vous me le permettez, je vais faire quelques commentaires en anglais, étant donné que je travaille plutôt en anglais présentement.
[Traduction]
Il ne fait aucun doute que la Russie peut présenter une menace. On l'a vu par son ingérence dans les processus démocratiques en Europe de l'Ouest comme aux États-Unis, et dans un nombre grandissant d'États américains. L'intention malicieuse de la Russie par son appui au régime autocratique de la Syrie et d'ailleurs est claire. Ce sont là des activités beaucoup plus prévisibles et se rapprochant beaucoup plus du modèle classique des activités quasi militaires. Dans le cas des menaces de guerre hybride que nous voyons émerger de la Russie, elle utilise des mandataires pour mener ses cyberattaques, et nous l'avons vue lancer diverses attaques en collaboration avec les groupes criminels organisés russes, qui ont eu des effets néfastes graves sur d'autres pays, dont le Canada.
Le cas de la Chine est beaucoup plus complexe, et je comprends les difficultés que présente un pays comme le nôtre. Les entreprises d'État et le capitalisme autoritaire semblent créer beaucoup d'occasions d'affaires qui peuvent influencer les décisions, mais elles présentent parfois des complexités dont je ne suis pas certain que nous ayons examiné toutes les ramifications au Canada.
Il y a aussi le fait que la Chine admet désormais elle-même jouir d'un « pouvoir acéré », qu'elle exerce presque sans réserve. Elle ne cherche même plus à cacher ses intentions. Elle adopte une stratégie très offensive en matière de ressources et de propriété intellectuelle, comme elle est très claire dans ses rapports avec les dissidents et les universitaires. Elle en arrête certains, elle en punit d'autres, y compris des institutions universitaires nord-américaines, comme bon lui semble, donc je crois que les Canadiens doivent réfléchir aux valeurs associées aux débouchés économiques qui se présentent. La guerre froide est révolue, mais il y en a une nouvelle forme qui se pointe rapidement, et je pense que notre obsession du contre-terrorisme ne nous sert pas toujours.
:
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie tous deux d'être ici. C'est intéressant, compte tenu des observations qui viennent d'être faites sur l'information recueillie fortuitement, parce qu'il y en a, il y a de l'information accessible au public, et il y aurait clairement intention, avec ce projet de loi, d'élargir les pouvoirs ouvrant la porte à cette nouvelle menace, que vous décrivez. Or, quand on demande au directeur du CST de nous expliquer pourquoi ces pouvoirs seraient utilisés, il ne peut nous en donner aucun exemple.
Cette question s'adresse à vous, madame Vonn. J'aimerais comprendre, parce qu'il y a un lien, là. L'une des réponses que ces fonctionnaires m'ont donnée quand ils ont comparu devant le comité, était « ne vous inquiétez pas; si vous prenez la partie 3 du projet de loi, à l'article proposé 25, vous verrez qu'il faut veiller à ce que des mesures soient en place pour protéger la vie privée des Canadiens », mais c'est une exigence très vague, et on précise ensuite « en ce qui a trait à l'utilisation, à l'analyse, à la conservation et à la divulgation », puis on décrit l'information visée.
Le choix du mot « divulgation » est particulièrement troublant, parce que c'est le nouveau terme utilisé pour désigner la communication d'information, tel qu'il en était question dans l'ancien projet de loi . Faut-il s'inquiéter de la communication de cette information? Elle serait apparemment recueillie par le CST à des fins de recherche ou à d'autres fins légitimes, mais elle pourrait tout de même être communiquée, et je me demande s'il y a lieu de craindre les conséquences à cela, particulièrement si l'information en question est communiquée à nos alliés du Groupe des cinq, comme on en a vu des exemples dans un article de La Presse la fin de la semaine dernière, qui faisait état du fait que la GRC acquiert de l'information sur des Canadiens de la DEA sans la surveillance judiciaire qui s'appliquerait normalement au Canada.
Compte tenu du portrait très vaste que je viens de brosser, j'aimerais comprendre comment le fait de préserver les dispositions sur la communication d'information qu'on trouvait dans le projet de loi , même si la forme en est modifiée, jouera sur l'effet de ces nouveaux pouvoirs du CST, parce que je pense que beaucoup de personnes ne le comprennent pas.
Il est absolument essentiel pour les défenseurs des libertés civiles que le public comprenne que la collecte de renseignements personnels par les agences de sécurité nationale, qu'elle soit fortuite ou non, n'est pas inoffensive. En partie parce que nous avons des alliances, la communication d'information peut parfois avoir des conséquences problématiques pour les personnes visées, même si l'idée est que nous n'exploiterons peut-être pas ces renseignements, que nous ne les utilisons peut-être pas.
On essaiera de nous rassurer, mais on ne sait pas quelles données seront utilisées ou exploitées. Nous savons que cela peut aller de la cartographie des réseaux au profilage, qui constitue un énorme problème. Les Canadiens comprennent bien que c'est une menace à leur propre sécurité personnelle. Il est absolument primordial de comprendre les risques qui viennent avec la collecte, l'utilisation, la conservation et l'exploitation des données. Il faut en comprendre les ramifications et veiller à ce que les mécanismes mis en place ne soient pas que théoriques si l'on nous dit que des mesures sont prises. Quelles sont ces mesures? Comment pouvons-nous savoir où elles interviennent? Nous prémunissent-elles contre tous les risques?
Il y a des choses qui se passent en coulisses, en matière de sécurité nationale, que la plupart des Canadiens ne peuvent pas voir. Nous en sommes arrivés à avoir des raisons d'être méfiants, parce que l'on ne nous donne même pas de définitions simples de ce qui nous permettrait d'avoir l'information requise pour assurer une bonne responsabilité démocratique.
Quand on voit les failles que comportent les définitions du projet de loi sur l'information accessible au public, entre autres, pour reprendre ce que disait mon collègue, et quand on sait qu'un organisme de sécurité nationale peut acquérir des données grâce à un courtier en données à l'aide des techniques qu'on vient de nous décrire, pour les intégrer à un système tel que l'information peut être communiquée à nos alliés étrangers, on voit que ces façons de faire peuvent avoir des effets amplifiés sur la sécurité des personnes — je ne parle pas de la sécurité nationale, mais bien de la sécurité personnelle.
Les gens ne sont pas aussi alertes qu'on le voudrait à l'égard de ces menaces, mais ils prennent de plus en plus la mesure de ces problèmes, comme vous l'illustrez bien.