SECU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la sécurité publique et nationale
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 19 octobre 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Je déclare la séance ouverte.
Nous sommes à la 33e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, et nous poursuivons notre étude du cadre de sécurité nationale du Canada.
Je souhaite la bienvenue à nos deux invités, qui sont venus nous offrir leur témoignage et nous aider dans notre étude, ainsi qu'aux membres du public qui sont présents aujourd'hui.
Je souhaite vous rappeler qu'il y a deux séances distinctes aujourd'hui. Celle de 14 à 16 heures prend la forme d'une réunion que nous tiendrions à Ottawa, à la différence que nous sommes à l'extérieur cette semaine. De 17 h 30 à 19 h 30, nous ferons ensuite une séance à micro ouvert où nous permettrons à tout membre du public qui le souhaite de présenter une déclaration au Comité sur les questions qui relèvent de notre étude sur le cadre de sécurité nationale, et de nous faire connaître ses idées. Vous êtes tous invités à revenir, si vous n'en avez pas encore assez d'ici là.
Je voudrais rappeler à tout le monde que nous sommes une extension du Parlement. Nous sommes ici aujourd'hui en tant que parlementaires. Même si nous sommes sur la route, une partie du Parlement vient à vous.
[Français]
Nous travaillons dans les deux langues officielles du Canada, en français et en anglais, alors vous pouvez mettre les écouteurs pour entendre l'interprétation.
[Traduction]
Nous souhaitons la bienvenue aux membres du public qui assistent à la séance.
Comme je l'ai dit, nous menons une étude sur le cadre de sécurité nationale du Canada. Nous avons eu des réunions lundi à Vancouver, et hier à Calgary. Les membres du Comité sont en pleine forme, mais nous étions debout à 3 h 30 ce matin afin de prendre l'avion assez tôt pour être à Toronto. Vous nous verrez donc probablement boire beaucoup d'eau et de café en cours de route.
Je souhaite la bienvenue à nos invités.
Je vais commencer par Ron Atkey, professeur auxiliaire de la Osgoode Hall Law School, à l'Université York, qui enseigne aussi à l'Université Ryerson. Notre premier témoin aura donc 10 minutes.
Merci, monsieur le président. Je vous remercie de nous avoir permis de comparaître dans le premier groupe, de sorte que nous allons terminer bien avant le début de la partie de base-ball. Nous allons la regarder, puis nous viendrons vous dire le pointage.
Je vous remercie de cette aimable invitation à comparaître devant vous sur un important sujet, à savoir le cadre de sécurité nationale du Canada. Permettez-moi de dire à quel point je suis heureux que le processus de consultation soit enfin en cours. Les élections ont eu lieu il y a un an. Compte tenu des opinions fermes des partis de l'opposition, à la dernière législature, concernant le projet de loi C-51 et le projet de loi connexe, on aurait pu penser que le processus de consultation commencerait plus tôt, mais je comprends aussi les exigences de l'appareil gouvernemental.
Je regrette de dire que le projet de loi C-51 n'a fait l'objet d'aucun débat prudent et modéré en 2015, étant donné que le gouvernement d'alors en avait précipité l'adoption. C'était peut-être en réponse au fait que la population demandait une action rapide et ferme en matière de sécurité en réaction aux attaques de 2014 à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu.
Soyons reconnaissants que cette conversation si nécessaire puisse enfin commencer. Bien sûr, nous bénéficions tous de la publication récente de deux documents importants. D'une part, le ministre de la Sécurité publique a publié, le 25 août 2016, son « Rapport public sur la menace terroriste pour le Canada ». On y apprend que la principale menace terroriste du Canada demeure les groupes extrémistes violents au pays ou à l'étranger, qui pourraient avoir l'idée d'organiser une attaque en territoire canadien.
D'autre part, un important document d'information a été publié le mois dernier, soit le 8 septembre. Il s'agit d'un livre vert sur la sécurité nationale qui s'intitule « Notre sécurité, nos droits », et qui présente une discussion objective sur la plupart des dossiers controversés tels que la responsabilisation, la perturbation, la communication d'information, la liste des personnes interdites de vol, les mesures d'interdiction et les techniques d'enquête.
Ce document de 66 pages en plus des notes en fin de texte n'a rien d'une lecture de chevet, et j'ai du mal à convaincre mes étudiants de le lire, mais je vous garantis que je vais le faire avant la fin du trimestre. Il préserve l'équilibre délicat entre la promotion de mesures de sécurité renforcées et le besoin de protéger les droits et libertés fondamentaux garantis par la Charte. Les Canadiens qui veulent un texte plus court peuvent être soulagés puisque le papier vert en soi ne compte que 21 pages.
Je tiens à féliciter sincèrement le ministre Goodale d'avoir enfin lancé le processus. Il reste à voir combien de temps prendront les consultations. Des dispositions de la Loi antiterroriste sont manifestement inconstitutionnelles et doivent être corrigées immédiatement, comme le pouvoir confié aux juges fédéraux, qui leur permet de délivrer un mandat visant la perturbation qui fasse fi de la Charte canadienne des droits et libertés, ou l'absence de procédure administrative établie pour la gestion de la liste des personnes interdites de vol. Ces éléments ne doivent pas faire l'objet de litiges devant les tribunaux. Le Parlement peut facilement s'en occuper en cours de législature.
Je constate que le livre vert propose un examen obligatoire de la Loi antiterroriste après trois ans, mais je ne peux m'empêcher d'observer qu'il ne s'agira pour le gouvernement que d'un prétexte pour ne pas donner suite aux consultations en cours avant la fin de 2018, ou peut-être avant la prochaine élection.
L'exercice 2018-2019 sera le moment de préparer la prochaine élection générale — et d'après mon expérience de 2015, ce n'est pas vraiment une période propice à une discussion constructive et non partisane, ou à l'adoption d'une loi importante.
Le premier des deux éléments que je souhaite aborder est la responsabilisation. Pour être tout à fait juste, le gouvernement a présenté en juin dernier le projet de loi C-22, la Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, qui était attendu depuis longtemps. Pour la première fois, un groupe restreint de parlementaires canadiens aura accès aux questions de sécurité nationale. J'espère que le projet de loi sera adopté cette année, mais pas sans quelques amendements constructifs qui pourraient être soumis. Je vous en proposerai d'ailleurs quelques-uns lorsque je témoignerai devant vous la semaine prochaine, à Ottawa.
Le point que je souhaite faire valoir, c'est que le projet de loi C-22 n'est qu'une infime partie du casse-tête de la sécurité nationale. La réalisation prévue de cette nouvelle structure dans notre système ne doit pas servir d'excuse pour retarder les réformes nécessaires à notre cadre de sécurité nationale de façon générale.
Permettez-moi de vous faire part de mon expérience des 40 dernières années. Pendant cette période, j'ai été député de l'opposition; ministre de l'Immigration pendant la période trouble de 1979-1980; le premier président du Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité, de 1985 à 1989; amicus curiae à la commission Arar; et avocat spécial en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. J'enseigne le droit de la sécurité nationale depuis huit ans à titre de projet de retraite. J'en sais donc un peu sur le sujet, et j'ai quelques idées.
En ce qui concerne la responsabilisation, j'ai changé d'avis. En 1985, lorsque je suis devenu le chien de garde du Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS, aux côtés de quatre éminents collègues, et à la suite de consultations avec les partis de l'opposition, j'avais accepté l'idée généralement admise que l'examen des opérations de sécurité complexes du SCRS était trop difficile et laborieux pour les députés occupés, auxquels on ne pouvait pas se fier pour préserver la confidentialité des notions de sécurité dans le climat politique de la Chambre.
Cette situation a toutefois changé au fil du temps. Le Parlement a réagi adéquatement aux événements horribles du 11 septembre à l'aide de dispositions controversées concernant la Loi antiterroriste de l'époque. Aussi, le Parlement a réagi avec force aux attentats de 2014 à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu avec l'adoption du projet de loi C-51, qui est devenu loi en juin 2015 après un débat très partisan. À la lumière de ces événements, une chose est devenue évidente: il faut trouver un moyen d'intégrer des députés élus aux décisions entourant la sécurité nationale.
Le débat sur le projet de loi C-51 qui a fait rage au Parlement et devant le Comité, et que j'ai suivi de près, a été victime du manque de compréhension des objectifs et des techniques permettant de préserver la sécurité nationale des Canadiens tout en protégeant les droits et les libertés garantis par la Charte. Si les Canadiens sont invités à appuyer le renforcement du cadre de sécurité nationale, parfois au détriment des droits et des libertés individuels, ils doivent avoir l'assurance que les changements à venir seront soigneusement examinés à huis clos par un groupe restreint de représentants élus. Le Comité des parlementaires sera la référence première en matière de supervision en cas de problème majeur, ce qui est inévitable dans les circonstances.
Cela ne signifie pas pour autant que le Comité des parlementaires doit remplacer les organismes d'examen indépendants tels que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, ou CSARS, le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications Canada, ou CSTC, ou la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, ou CCETP. En fait, les travaux du comité viendront compléter ceux des organismes d'examen spécialisés. Je pense d'ailleurs qu'il faut élargir la portée de ces organismes d'examen pour inclure d'autres organismes fédéraux, comme l'Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC, ou Transports Canada — voilà ma liste. Il faut aussi prendre des mesures pour permettre à ces organismes d'échanger des renseignements confidentiels entre eux, ou d'effectuer des examens conjoints des activités relatives à la sécurité nationale et au renseignement.
Une grande partie du travail entourant d'éventuels changements au cadre canadien de responsabilisation en matière de sécurité nationale a été entrepris il y a dix ans par le juge O'Connor et son personnel dans la commission Arar. Malheureusement, bon nombre de ses recommandations semblent avoir été ignorées à ce jour. J'espère que la publication du livre vert qui guide actuellement vos discussions et vos débats sur le cadre de sécurité nationale ravivera un certain intérêt à l'égard des recommandations du juge O'Connor, dont beaucoup restent pertinentes aujourd'hui encore.
Je vais terminer en parlant d'une chose qui n'apparaît pas dans le livre vert, à savoir le conseiller en matière de sécurité nationale auprès du premier ministre. À l'heure actuelle, son bureau relève du Conseil privé. Le conseiller ne semble pas avoir de rôle important ou de responsabilités opérationnelles. Compte tenu des problèmes de communication entre les 17 organismes ou ministères qui participent aux activités relatives à la sécurité nationale et au renseignement; de la complexité des modalités de partage des renseignements que le projet de loi C-51 intégrerait à la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada; et de l'efficacité concrète d'opérations conjointes plus vastes qu'à l'heure actuelle, pourquoi ne pas confier la responsabilité à une personne d'influence au coeur du système, à savoir le conseiller en matière de sécurité nationale auprès du premier ministre? Bien sûr, son mandat changerait conformément à cette proposition, tout comme son mode de nomination. Comme c'est le cas pour le vérificateur général ou le commissaire à la vie privée, cette personne doit être nommée par le Parlement suivant la recommandation du gouverneur en conseil. On peut présumer que le Comité des parlementaires créé par le projet de loi C-22 jouerait un rôle majeur dans le processus de nomination et d'approbation, et que le conseiller en matière de sécurité nationale devrait soumettre un rapport annuel au Parlement, sous réserve du caviardage habituel des questions de sécurité.
Certains commentateurs peuvent considérer que cette proposition aura peu d'effet pour un tsar de la sécurité nationale au Canada, mais le concept a permis aux États-Unis, depuis le 11 septembre, d'assurer une coopération accrue entre les organismes et d'éviter les cloisonnements institutionnels découlant du refus d'échanger des informations importantes relatives à la sécurité dans un cadre organisé et sécurisé.
Voilà qui termine mon exposé. Je tiens à vous remercier de m'avoir permis de vous présenter ces idées, et j'ai hâte de répondre à vos questions
Merci beaucoup, monsieur Atkey.
Nous allons maintenant accueillir notre deuxième témoin, Tom Henheffer, qui représente les Journalistes canadiens pour la liberté d'expression. Il va présenter son exposé, et je crois que Mme Klein pourra elle aussi répondre aux questions. Merci.
Je voudrais tout d'abord remercier le président, le greffier et les honorables membres du Comité de me donner cette occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.
Je représente Journalistes canadiens pour la liberté d'expression, une organisation non gouvernementale à but non lucratif qui se consacre à la promotion et à la protection de la liberté de presse et de la liberté d'expression partout dans le monde. En juillet 2015, notre organisation et l'Association canadienne des libertés civiles ont contesté la constitutionnalité de la Loi antiterroriste de 2015, au motif que des dispositions précises de la loi violent des articles de la Charte canadienne des droits et libertés d'une manière qui ne peut être justifiée au sens de l'article 1 de la Charte.
Il y a beaucoup de travail à faire du côté de l'appareil de sécurité nationale du Canada, mais compte tenu du peu de temps dont je dispose, je vais limiter mes remarques à la Loi antiterroriste de 2015 et à son incidence sur la liberté d'expression, qui est protégée par l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Je vais également aborder les questions de la vie privée, étant donné que le droit à la vie privée est nécessaire à la pleine jouissance du droit à la liberté d'expression.
Je vais laisser mes collègues des autres organisations traiter des autres questions et préoccupations urgentes concernant la protection des droits et des valeurs démocratiques dans le cadre de sécurité nationale du Canada.
Je vais commencer par parler de la liberté d'expression. L'argument souvent défendu selon lequel nous devons établir un équilibre entre la sécurité et les droits, et qui implique que les deux sont en contradiction, est tout aussi boiteux. Conformément à notre Charte et aux documents internationaux portant sur les droits de la personne, la protection de la démocratie exige un profond respect des droits de la personne, point à la ligne. Le fait d'ignorer les obligations internationales du Canada et de ne pas respecter les droits de la personne fondamentaux ne fera que créer de l'instabilité et de l'insécurité.
Nous sommes très reconnaissants que le gouvernement ait tenu cette consultation, mais comme beaucoup d'autres organisations de la société civile, nous craignons que le livre vert sur la réforme de la sécurité nationale favorise la sécurité et les intérêts des services de police au détriment des droits de la personne.
Un exemple flagrant est le fait qu'elle ne fasse aucunement mention de la nécessité d'imposer un contrôle judiciaire sur l'organisme canadien du renseignement étranger, soit le Centre de la sécurité des télécommunications, ou CST, ni de réglementer ses activités de surveillance des métadonnées, malgré les révélations voulant qu'il applique une directive ministérielle lui permettant de recueillir et d'analyser des métadonnées produites par des Canadiens lorsqu'ils utilisent un téléphone cellulaire ou Internet. Le CST est autorisé à lire les courriels et les messages textes des Canadiens et à écouter leurs appels téléphoniques lorsqu'ils communiquent avec une personne en dehors du Canada. Aucun tribunal ni aucun comité ne surveille l'interception, par le CST, des communications privées et des métadonnées. L'usage que fait le CST de ses vastes pouvoirs n'est soumis à aucune surveillance judiciaire. Ses activités sont tenues secrètes. Par conséquent, ce serait la moindre des choses d'exercer une surveillance judiciaire du travail des organismes de renseignement canadiens, puisqu'il s'agit d'un principe fondamental de la démocratie qui fait actuellement défaut au pays.
En ce qui concerne la loi, la nouvelle infraction du Code criminel qui porte sur la promotion du terrorisme est extrêmement troublante et doit être corrigée. Elle est beaucoup trop vaste et englobe des discours innocents, y compris des conversations privées. En interdisant la promotion présumée « d'infractions de terrorisme en général », la loi limite indûment et inutilement la liberté d'expression des Canadiens et leur capacité de prendre part à de véritables débats démocratiques. Elle est imprécise et ambiguë au point d'être inconstitutionnelle et enfreint clairement l'article 7 de la Charte.
Des constitutionnalistes ont indiqué que cette infraction visant à criminaliser la promotion du terrorisme pourrait facilement être interprétée dans le but de poursuivre quiconque cite un terroriste ou partage du contenu produit par un groupe extrémiste en ligne. C'est particulièrement troublant pour les journalistes au Canada et cela menace l'institution même du journalisme, puisque la loi ne tient pas compte de l'intention de la personne qui partage ce contenu. Autrement dit, un journaliste pourrait vraisemblablement être accusé de terrorisme seulement pour avoir fait son travail, par exemple en citant un soi-disant terroriste comme source dans un article. Un simple citoyen pourrait être accusé d'avoir partagé du contenu émanant d'un groupe extrémiste, même s'il l'a fait dans le but de condamner ce même groupe.
Son libellé vague va également nuire à l'engagement du gouvernement de mettre sur pied de nouveaux programmes à l'échelle communautaire destinés à lutter contre l'extrémisme violent. Pour obtenir de bons résultats dans le cadre de ces programmes, il faudra engager un dialogue efficace et honnête avec des personnes radicalisées et extrémistes. Bon nombre d'entre elles seront forcément des sympathisants de groupes terroristes interdits. Ces personnes doivent avoir la certitude qu'on ne les placera pas sous surveillance ou qu'elles ne seront pas arrêtées si elles participent de bonne foi à des programmes communautaires.
De plus, le fait de criminaliser l'expression d'une opinion politique, même si elle est répugnante, va à l'encontre d'une société libre. Il y a une distinction importante à faire entre exprimer une opinion, même si elle appuie des gens qui se livrent à de la violence, et directement inciter à la violence. Le contenu devrait uniquement être considéré comme une menace à la sécurité nationale si on peut prouver que son but est d'inciter à la violence imminente et qu'il y a une connexion directe et immédiate entre l'expression et la probabilité que des actes de violence surviennent.
Cette disposition a également pour effet de restreindre la liberté d'expression, même si aucune poursuite n'est intentée. Les gens préféreront rester silencieux plutôt que de courir le risque d'être poursuivis.
Cette loi est inutile. Les lois qui ont été mises en place avant l'adoption de la Loi antiterroriste de 2015 traitaient déjà de ces questions de façon efficace sans toutefois menacer les droits de la personne.
Ainsi, nous exhortons le gouvernement à abroger cette loi inutile, trop vaste et dangereuse.
Lorsqu'il est question de protection de la vie privée et d'échange de renseignements, sachez que sans puissants mécanismes de protection des renseignements, il devient beaucoup plus difficile, voire impossible, pour les citoyens d'exercer leur droit à la liberté d'expression. Lorsque le gouvernement effectue une surveillance à grande échelle de la société et de ses citoyens, même en l'absence de soupçons, il est démontré que cela cause des torts réels et tangibles.
Lorsque les gens se sentent surveillés, leur comportement change de manière significative. Il ne s'agit pas d'une préoccupation théorique ou abstraite, mais plutôt d'un fait établi étayé par de nombreuses données scientifiques. La surveillance au Canada est devenue omniprésente, et de récentes révélations ont indiqué que les Canadiens et d'autres ont fait l'objet d'une surveillance en vertu de nombreux programmes, et ce, avec très peu d'encadrement ou de transparence.
La solution de rechange à la surveillance de masse n'est pas l'élimination complète de la surveillance, et ce n'est pas ce que nous préconisons. Nous privilégions plutôt la surveillance ciblée, et seulement des personnes pour lesquelles il y a des motifs de croire qu'elles commettent des actes réellement répréhensibles. Une telle surveillance est beaucoup plus susceptible de neutraliser les complots terroristes. Elle permet également un contrôle judiciaire, ce qui, encore une fois, est essentiel à toute démocratie. Nous prions le gouvernement de miser sur une surveillance ciblée et constitutionnelle et de mettre fin à ces pratiques inefficaces de surveillance de masse qui portent atteinte aux droits de tous les Canadiens.
L'échange trop général de renseignements constitue une autre menace à la protection de la vie privée. Comme l'ont souligné les commissaires à la protection de la vie privée et des défenseurs des droits de la personne de partout au pays, la Loi antiterroriste de 2015 permet à un grand nombre de ministères et d'organismes gouvernementaux de communiquer des renseignements personnels sans que personne veille à ce que l'on n'abuse pas de ce pouvoir. Pire encore, cette loi ne fait rien pour mettre en oeuvre la recommandation de la commission d'enquête, à la suite de l'attentat commis contre le vol 182 d'Air India, visant à rendre obligatoire la communication de renseignements dans les cas de terrorisme. Nous exhortons vivement le gouvernement à abroger les dispositions sur l'échange de renseignements de la Loi antiterroriste et de les remplacer par des dispositions constitutionnelles qui correspondent aux recommandations de la commission d'enquête.
Je sais que notre temps est limité, mais j'aimerais aborder brièvement quelques autres aspects de la Loi antiterroriste.
Tout d'abord, le nouveau processus d'octroi de mandats du projet de loi va totalement à l'encontre de la raison d'être des tribunaux au Canada. Dans une démocratie normale, un juge a un droit de regard sur la délivrance des mandats et s'assure qu'une enquête peut être menée sans qu'on viole indûment les droits de la Charte. La Loi antiterroriste permet aux juges d'autoriser au préalable une violation des droits garantis par la Charte en secret et sans en aviser la personne concernée. C'est tout à fait contraire à l'objectif des tribunaux et clairement inconstitutionnel. De plus, cela compromet des enquêtes légitimes, puisque les juges pourraient facilement faire fi des preuves obtenues illégalement. Dans l'intérêt des droits de la personne et de notre sécurité nationale, cette loi doit être abrogée.
Ensuite, le projet de loi permet au gouvernement de tenir des audiences d'expulsion secrètes, ce qui limite énormément la communication de renseignements au sujet de ces audiences. Il s'agit d'une violation inconstitutionnelle de la jurisprudence, et il faut abroger cette mesure législative.
Enfin, la Loi sur la sûreté des déplacements aériens maintient le processus opaque régissant l'utilisation de la liste d'interdiction de vol sans toutefois prévoir de processus d'appel à tous ceux dont le nom apparaît sur cette liste. Il n'y a rien qui indique que la liste d'interdiction de vol a empêché une attaque terroriste, mais il est évident qu'elle a eu des conséquences sociales importantes. De nombreux innocents se sont vu refuser le droit de voyager parce qu'ils ont été ajoutés à cette liste dans le cadre d'un processus secret et ne disposent d'aucun recours efficace pour interjeter appel de cette décision.
Sachez que le nom de Maher Arar figure encore sur cette liste. Il ne peut toujours pas voyager en raison de ce processus boiteux, malgré le fait qu'il a été complètement disculpé et indemnisé pour tout ce qu'il a vécu, grâce à un échange de renseignements entre des Canadiens et d'autres gouvernements. Cette loi doit donc être abrogée.
Même si ces questions ne semblent pas avoir une incidence directe sur la liberté d'expression, sachez que la portée de la loi, le manque d'encadrement et le risque d'abus pourraient faire en sorte qu'on utilise facilement ces nouvelles lois pour cibler des ennemis politiques du gouvernement, des journalistes qui mettent au jour des réalités difficiles ou des citoyens qui exercent leur droit constitutionnel de s'exprimer librement et de protester. Seules la promotion et la protection des droits de la personne peuvent garantir la véritable sécurité. Les droits de la personne devraient être un élément clé de toute stratégie de sécurité nationale. Pour assurer l'efficacité de cette approche, il faudrait examiner attentivement la proposition sur la sécurité nationale, vérifier sa validité constitutionnelle et évaluer régulièrement son incidence sur les normes et les obligations en matière de droits de la personne. Notre régime actuel de sécurité nationale, qui repose en grande partie sur la Loi antiterroriste de 2015, n'a pas été fondé sur ces principes. Par conséquent, la Loi antiterroriste doit être abrogée.
Je vous remercie de votre temps.
Merci beaucoup.
Nous allons maintenant amorcer notre première série de questions de sept minutes.
Monsieur Mendicino, c'est vous qui ouvrez le bal.
Merci, monsieur le président. Merci à vous trois pour vos témoignages d'aujourd'hui.
Mes deux premières questions s'adressent à M. Atkey. J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet des mesures pour réduire les menaces envers la sécurité qui pourraient violer les droits de la personne garantis par la Charte. Ma question porte sur ce qui était autrefois le projet de loi C-51, mais qui se trouve actuellement dans la Loi sur le SCRS, plus précisément au paragraphe 12.1. Le libellé actuel exige de façon implicite qu'un juge mène une analyse au titre de l’article 1 de la Charte. Je vais être un peu plus précis, puis je vais vous laisser répondre.
Avant que le SCRS puisse demander un mandat, il doit y avoir des motifs raisonnables. Les mesures doivent être énoncées clairement, et surtout, elles doivent être justes et adaptées aux circonstances. Selon vous, est-ce que ces principes exigent qu'un officier de justice procède à une analyse fondée sur l'article premier?
Monsieur Mendicino, la Loi est contradictoire. Les dispositions du paragraphe 12.1 reflètent à bien des égards l'article 12 concernant la délivrance d'un mandat dans des circonstances de surveillance normales, et il y a 22 ou 23 conditions qui doivent être respectées, dont celles que vous venez de mentionner. Cependant, dans la même Loi, à la définition de l'article 12 de la Loi sur le SCRS, selon moi, il est inconstitutionnel de demander au juge de faire fi de nos droits et de nos obligations énoncés dans la Charte. Le juge doit trouver un juste équilibre entre les droits de la personne et la sécurité, au moment de délivrer le mandat et dans les cours d'appel, s'il y a lieu, et doit déterminer si c'est absolument nécessaire dans une société libre et démocratique.
L'équilibre que nous avions — qui superpose le paragraphe 12.1 et l'article 12, qui sont conformes à la Charte — fonctionne, pourvu qu'on n'indique pas, ce qui me semble être le cas lorsque je lis l'article 12, que le juge peut ignorer nos droits garantis par la Charte.
Pour être honnête, ce n'est pas ce que dit la Loi. Ce qu'on dit, c'est qu'un mandat ne pourrait pas autoriser la violation des droits garantis par la Charte, à moins que les conditions préalables soient respectées en vertu des dispositions habilitantes. Et c'est dans le contexte de ces dernières révisions, où on parle des mesures... Ce qui a le plus attiré mon attention, ce sont les mesures « justes et adaptées aux circonstances » qui, selon moi, correspondent d'une certaine façon à l'article 1 de la Charte. S'il y a violation de la Charte, cette violation constitue-t-elle une limite raisonnable prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, au sens de l'article premier de la Charte?
Mais à l'inverse, un juge d'une cour d'appel pourrait examiner un dossier à huis clos et considérer qu'il n'a pas besoin de prendre des mesures adaptées dans les circonstances. Le cas pourrait être grave au point où le juge voudra octroyer un mandat sans se soucier de la Charte des droits et libertés. Tout d'abord, je pense que cela peut faire l'objet d'un appel et j'estime que cela renforce simplement la nature inconstitutionnelle de cette définition.
Si vous me permettez, j'aimerais aborder un autre aspect, et c'est la collaboration entre le Comité des parlementaires et les organismes de surveillance civile tels que le CSARS. Il y a une disposition dans le projet de loi C-22 qui réclame la collaboration entre le Comité des parlementaires et d'autres organismes de surveillance et d'examen.
D'après votre expérience, quelles sont les passerelles législatives qui pourraient favoriser le type de collaboration que vous envisagez?
Je vois le Comité des parlementaires comme une entité qui examine les questions de sécurité concernant tous les ministères gouvernementaux. Je ne crois pas qu'il ait les effectifs, le temps ni la capacité de mener une analyse aussi approfondie que le CSARS ou le commissaire du CSTC.
Je pense que les deux vont collaborer et travailler de façon responsable, sans être en compétition. Je considère qu'ils se complètent et que le Comité des parlementaires en viendra à compter sur le CSARS.
Puis-je m'arrêter un instant, car j'aimerais qu'on examine le libellé. L'article 9 du projet de loi C-22 propose que le Comité des parlementaires prenne « ...toute mesure raisonnable pour coopérer afin d'éviter que l’exercice du mandat du Comité ne fasse double emploi avec l'exercice du mandat de l'un ou l'autre des organismes de surveillance. »
Tel qu'il est rédigé, nous ne voulons pas de redondance, mais nous voulons une coopération et une collaboration.
En étant le plus précis possible dans votre réponse, comment pourrait-on définir cette collaboration?
Je crois que le Comité des parlementaires sera ravi de pouvoir compter sur un organisme comme le CSARS pour superviser le SCRS et peut-être l'ASFC, si cela relève de leur compétence à l'avenir, et lui transmettre le travail minutieux qui doit être fait pour bien analyser la situation et rédiger un rapport qui lui sera ensuite remis. Dans ce contexte, je vois le Comité des parlementaires davantage comme un coordonnateur en première ligne, lorsque des questions surviennent à la Chambre ou dans les médias, mais je pense que, dans bien des cas, il pourra répondre logiquement: « Nous avons examiné la question et nous avons demandé au CSARS d'aller au fond des choses. »
Avez-vous d'autres conseils ou trucs pratiques que vous pourriez donner au Comité alors qu'il s'engage dans ce nouveau chapitre de responsabilisation et de sécurité nationale?
Ne laissez pas les arbres vous faire perdre de vue la forêt, peut importe la situation dont vous voulez parler. Je considère extrêmement important d'avoir un organisme de surveillance constitué de parlementaires, pas pour s'attarder aux affaires individuelles ou pour rendre des décisions quant à des plaintes particulières, mais pour examiner la situation dans son ensemble, utiliser les organismes d'examen — qui seront plus nombreux, j'espère, une fois que vous aurez accompli votre travail — pour déléguer des tâches, et peut-être s'adresser à un juge, comme on l'a fait avec les juges O'Connor et Iacobucci. On pourrait faire appel au CSARS ou au commissaire du CSTC. Les circonstances sont toutes différentes. Le comité de parlementaires, avec son personnel, pourra coordonner et organiser le tout et choisir les affaires auxquelles il souhaite s'attaquer.
D'accord. Je pense que mon temps est écoulé. Je devrai réserver ma troisième question pour le prochain tour.
Merci.
Je vais accorder la parole à Mme Watts, mais juste avant de le faire, je voudrais vérifier un mot que vous avez employé. Vous avez fait référence à la « supervision », et je me demande si vous avez choisi ce mot intentionnellement, puisque notre comité a discuté de la responsabilisation et de la distinction entre la surveillance et l'examen. Les examens ont lieu après-coup, alors que la surveillance s'effectue concurremment. Vous avez utilisé le mot « surveillance », que nous n'avons pas entendu auparavant, il me semble.
Je ne pense pas que vous devriez vous mêler de la supervision en approuvant les activités directes des organismes de sécurité et en y prenant part.
Mais un rôle d'examen pourrait être trop limité. Je me demande si la supervision est plus poussée qu'un examen et l'est moins que la surveillance.
C'était exactement ce sur quoi portait ma question. Je vous remercie donc d'avoir fait la lumière sur ce point.
J'aimerais continuer d'approfondir la question, car nous avons beaucoup entendu parler des procédures de responsabilisation et du fait qu'il faut se pencher sur ce que font les divers organismes. Mais la surveillance présuppose une certaine distance. Selon votre modèle, nous allons demander à ces organismes d'entreprendre de se surveiller eux-mêmes.
Je pense que cela va dans le sens contraire de ce qu'on nous a conseillé de faire pour vérifier comment ces organismes fonctionnent. Fonctionnent-ils correctement? Travaillent-ils en interaction les uns avec les autres? Dans le modèle que vous nous présentez, tout ce travail ne s'effectue pas. Essentiellement, un comité de parlementaires demande aux divers organismes de lui fournir des réponses; je ne pense pas que cela rende les organismes comptables envers nous ou la population. Qu'en pensez-vous?
Je pense, bien au contraire, avoir dit aujourd'hui qu'il devrait y avoir de la collaboration, de l'échange de renseignements et un certain décloisonnement entre les organisations, et l'organisme d'examen devrait pouvoir échanger des renseignements.
De même, le Parlement...
Vous venez de dire « organisme d'examen », à moins qu'il ne s'agisse d'un « organisme de surveillance ». Voilà ce que j'essaie de comprendre. Un organisme d'examen a un mandat différent.
Permettez-moi d'être très clair. J'ai évité le mot « supervision » parce que je considère que le comité de parlementaires ferait une erreur en effectuant de la supervision, d'après ce que j'en comprends pour avoir passé un certain temps avec des organismes de supervision du Congrès et du Sénat des États-Unis. Ces organismes sont informés d'avance de certaines opérations qui n'ont pas encore eu lieu, ce qui deux conséquences. Tout d'abord, si les opérations réussissent, les politiciens ne peuvent éviter d'en parler. De plus, en cas d'échec, ils devront en assumer la responsabilité. Voilà la véritable raison. Il y a également des conséquences financières. Lorsque l'on met au parfum la CIA et le FBI, les organismes de surveillance du Congrès, et qu'on leur indique « Voici ce que nous envisageons de faire. Qu'en pensez-vous? », s'ils donnent leur feu vert, ils se font demander un financement de 3 ou 4 millions de dollars pour mener l'opération à bien. Cela a des répercussions financières qui chamboulent complètement le budget des organismes de sécurité.
Alors que nous amorçons ce processus, nouveau pour nous, qui consiste à établir un comité de parlementaires, je pense que vous commettriez une erreur en assumant le rôle de supervision que je viens d'expliquer.
D'accord.
Vous avez en outre indiqué que le conseiller en matière de sécurité nationale devrait travailler avec le Parlement plutôt qu'avec le premier ministre, n'est-ce pas?
Eh bien, je pense que c'est comme le vérificateur général...
Mme Dianne L. Watts: Il jouerait un rôle indépendant.
L'hon. Ron Atkey: ... ou le Commissaire à la protection de la vie privée. Il peut s'appeler conseiller en matière de sécurité auprès du premier ministre parce qu'il a des pouvoirs et parce que dans notre régime, c'est le premier ministre qui représente l'autorité suprême au chapitre de la sécurité nationale. Je pense qu'il convient de l'appeler ainsi, mais il devrait être nommé sur recommandation du gouverneur en conseil et avec l'aval du Parlement.
Bien. D'accord.
Comme je sais que le temps file, je veux passer rapidement à la question de la collecte de renseignements. Nous en avons discuté, et j'ai beaucoup entendu parler de l'équilibre entre la sécurité et les droits de la personne dans le contexte canadien. Dans de nombreux cercles, on sait très bien — tout comme vous, j'en suis certaine — que des systèmes sont piratés par la Chine, la Russie et la Corée du Nord, et que des entrepreneurs indépendants vendent des renseignements. Si nous ne pouvons intervenir à l'extérieur du pays, que faisons-nous à propos de nos propres agents de renseignements, alors que nous savons que le piratage est un problème planétaire et que des gens recueillent aussi des renseignements dans notre pays? Que proposez-vous de faire à ce sujet?
En ce qui concerne la surveillance à grande échelle, la Chine, la Corée du Nord et ces autres pays s'adonnent peut-être au piratage, mais ils sont loin de le faire autant que leur gouvernement ne le fait dans leur propre pays. Par contre, au Canada, certains recourent à divers moyens, qu'il s'agisse d'un accès sans mandat par l'entremise d'entreprises de télécommunications, d'une « porte dérobée » prévue dans des programmes, comme ceux de BlackBerry, ou de ce qui s'est passé aux États-Unis, où Yahoo a autorisé le gouvernement américain à accéder à tous les courriels se trouvant sur ses serveurs et à les analyser. Voilà qui dépasse de loin, à ce que je sache, les capacités des autres acteurs, que ce soit des États, des organismes gouvernementaux ou non gouvernementaux, ou d'autres entités. Nul besoin d'assurer une surveillance numérique à grande échelle pour contrer ces manoeuvres. Il suffit de cibler les personnes à analyser. En fait, en ayant accès à une base de données gouvernementale réunissant tous les renseignements nécessaires, toutes les métadonnées des Canadiens — lesquelles, soit dit en passant, permettent de brosser un tableau bien plus juste de la vie des gens que le contenu de leurs courriels —, on peut tout savoir, et vous êtes déjà au courant, de toute évidence. En conservant tous ces renseignements dans une base de données du gouvernement, on devient soudainement extrêmement vulnérable.
Oui. C'est extrêmement dangereux. Pour ne plus avoir besoin d'assurer cette surveillance numérique à grande échelle, dont il n'a jamais été prouvé qu'elle pouvait arrêter une attaque imminente où que se soit dans le monde, et pour cibler plutôt des gens en particulier, réglez le problème des bases de données pouvant être piratées. Si vous détenez des renseignements, alors d'autres peuvent y accéder, c'est aussi simple que cela. Si l'information n'est pas conservée sur les serveurs du gouvernement, alors on ne peut y accéder, puisqu'elle se trouve dans un certain nombre d'endroits disparates. Les pirates devraient s'attaquer à Yahoo, à BlackBerry, à Santé Canada et à d'autres endroits pour obtenir un portrait holistique. Mais en raison des nouvelles dispositions relatives à l'échange et à la collecte de renseignements — et nous ne sommes au courant du manque de transparence qu'en raison de l'affaire Snowden —, le Canada est très vulnérable aux pirates extérieurs, car ces derniers pourraient pénétrer une base de données du gouvernement et ainsi obtenir tous les renseignements nécessaires pour avoir un portrait holistique. C'est donc une vulnérabilité grave sur le plan de la sécurité.
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
C'est sans importance que le temps soit écoulé, puisque je veux en fait continuer dans la même veine. Il a été question des métadonnées, et il existe entre elles et les données non pas une distinction sémantique, mais une différence énorme, et c'est extrêmement important. Malheureusement, je doute que bien des gens comprennent ce que vous dites sur tout ce qu'on peut savoir à partir des métadonnées.
Je voulais m'attarder à une question, à un point particulièrement intéressant à examiner pour les journalistes en ce qui concerne l'échange de renseignements avec des entités étrangères, qu'il s'agisse ou non d'alliés, et le fait que les mesures de protection juridiques de la vie privée ne sont pas les mêmes dans d'autres pays.
Avez-vous des réflexions à ce sujet, au point de vue de votre organisation en particulier et de façon plus générale?
Certainement. Parmi les documents que nous avons pu trouver figurait une étude réalisée aux États-Unis, dans le cadre de laquelle un groupe de professeurs d'université ont essentiellement demandé à des gens d'accepter de leur laisser accéder à leurs métadonnées afin de voir ce qu'ils pouvaient y découvrir. Ils ont ainsi pu déterminer l'allégeance politique et la religion des gens, et apprendre qu'une femme avait subi un avortement. Ils ont su tout cela juste avec les métadonnées et les renseignements recueillis. Il est très dangereux de pouvoir obtenir ce portrait holistique dans les services du gouvernement.
Pour répondre à votre deuxième question, qui concerne l'échange de renseignements avec des acteurs extérieurs, on a déjà découvert que le CST échangeait avec de tels acteurs de grandes quantités de renseignements qu'il n'était pas autorisé à communiquer sur des Canadiens. Voilà qui est extrêmement problématique, puisque soudainement, on ne sait plus qui a accès à nos renseignements et à quelle fin.
En outre, selon notre interprétation de la Loi antiterroriste de 2015, les dispositions sur l'échange de renseignements permettraient essentiellement, quand les circonstances s'y prêtent et sans supervision juridique, l'échange de renseignements avec n'importe quel acteur étatique extérieur. Je pense que cela s'applique à une centaine d'institutions gouvernementales canadiennes, ce qui, ici encore, est extrêmement dangereux.
D'un point de vue strictement journalistique, il est extrêmement inquiétant de penser que l'État puisse lire nos courriels et utiliser nos métadonnées pour savoir avec qui nous avons communiqué, qui est derrière nos reportages et quelles sont nos sources. Il devient impossible pour les dénonciateurs de se manifester, car ils ne peuvent d'aucune manière être certains que leurs renseignements et eux-mêmes, à titre de source, pourront être protégés. Voilà qui est extrêmement effrayant pour les journalistes, car ils craignent les poursuites.
Je connais un grand nombre de reporteurs dans le domaine de la sécurité nationale. Je les connais tous au Canada, et ils sont une poignée. Cette loi leur fait très peur. Pour ce qui est de l'idée voulant que le gouvernement ne puisse jamais les poursuivre, sachez que l'un d'eux, Ben Makuch, qui travaille pour Vice, pourrait bien être jeté en prison, dépendamment des résultats de son appel, en raison de l'ordonnance de production de la GRC que Vice conteste.
Il dit qu'il refusera de communiquer l'information demandée; il risque donc d'être déclaré coupable d'outrage au tribunal et de prendre le chemin de la prison. Au Canada, le système fait déjà en sorte qu'un journaliste peut être incarcéré simplement pour avoir fait son travail. Si on permet à cela de continuer et à ces pouvoirs d'être exercés... Le gouvernement libéral actuel est adepte des méthodes douces, mais que se passera-t-il si l'on ne peut en dire autant de son successeur, qui aura toujours ces pouvoirs à sa disposition? La situation ne fera que devenir plus dangereuse au fil du temps.
Pour être juste, je préciserai que nous ne sommes pas tous membres du Parti libéral ici.
Cette situation n'est pas sans précédent. Joël-Denis Bellavance a été suivi par la GRC, par exemple. Ces abus sont-ils intrinsèquement liés aux définitions vagues dont vous avez parlé. Les deux vont-ils de pair: on recueille des données, puis on les analyse en s'appuyant sur ces lamentables définitions?
Absolument.
Ce sont à la fois les définitions vagues et le manque de supervision et d'examen qui risquent fortement de mener à ces abus. L'idée de conférer au SCRS des pouvoirs d'exécution qui ont été retirés à la GRC dans les années 1970 en raison de ses pratiques douteuses...
Si on examine la situation aux États-Unis, on peut voir que la police... La Presse associée vient de publier une étude révélant qu'il y a des centaines et des milliers de cas de policiers qui, aux États-Unis, utilisent leurs pouvoirs pour surveiller leur ex-copine, suivre des femmes et faire des choses qu'ils ne sont pas autorisés à faire, mais qu'ils peuvent faire parce qu'ils accèdent aux bases de données à cause du manque de surveillance.
Il est extrêmement dangereux d'envisager de rétablir ce pouvoir sans prévoir un mécanisme solide de surveillance de nos organismes d'espionnage et de sécurité nationale.
Je ne veux pas vous interrompre, mais le temps m'est compté.
Dites-nous brièvement si votre organisation s'inquiète à propos des journalistes détenus à l'étranger. Il y a quelques semaines, une demande d'accès à l'information nous a permis de savoir que les services consulaires et le SCRS ont une entente d'échange de renseignements. Nous savons que les Canadiens détenus à l'étranger sont souvent des journalistes. Cette situation préoccupe-t-elle votre organisation?
Oui, certainement.
La sécurité des données est extrêmement importante pour les journalistes à l'étranger. Nous faisons des pieds et des mains pour faire libérer les journalistes détenus à l'étranger. Tous nos échanges sont cryptés. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour communiquer le moins possible, mais si le gouvernement intercepte nos messages, il se peut qu'ils se retrouvent entre les mains d'un autre acteur étatique. Même avec la Turquie, l'Égypte ou d'autres pays qui emprisonnent régulièrement des journalistes, nous entretenons de solides liens diplomatiques et nous pourrions échanger des renseignements. Vous pouvez certainement voir que notre organisme de sécurité échange des renseignements avec ces pays. Si des journalistes se retrouvent mêlés à cela, leur vie pourrait facilement être en danger.
J'en suis conscient.
Monsieur Atkey, j'avais des questions à vous poser, mais mon temps est presque écoulé. Elles concernaient toutes le projet de loi C-22; nous vous verrons donc lors de votre prochain témoignage devant nous.
J'ai une brève observation à formuler pour donner une sorte d'avant-goût de cette étude.
Pour revenir à la discussion sur la distinction entre la supervision et l'examen, un témoin nous a indiqué que si le CSARS dépose son rapport six mois après un événement qui pourrait s'être déroulé jusqu'à un an auparavant, jusqu'à 18 mois pourraient s'être écoulés depuis les faits. À un moment donné, quand le délai est trop long, le processus devient inefficace et la surveillance n'est plus ce qu'elle devrait être.
En conviendriez-vous?
C'est une observation pertinente. La Loi sur le SCRS autorise le CSARS à déposer un rapport spécial pour éviter d'attendre 18 mois. Le ministre de la Sécurité publique doit accepter de le déposer et de le rendre public. L'expurgation du texte, le cas échéant, pourrait faire l'objet de débats, mais le CSARS a le pouvoir d'agir rapidement...
... si la situation est urgente.
Il faudrait qu'un ministre de la Sécurité publique ait le courage de s'attaquer sérieusement à une affaire considérée par le CSARS comme étant extraordinairement importante pour la sécurité du Canada ou les droits de la personne ou de citoyens canadiens.
Je vous remercie tous les deux.
C'est toujours un bon signe quand les questions s'enfilent les unes après les autres et que les témoins y répondent. Cela me plaît.
Madame Damoff.
Merci à tous de témoigner aujourd'hui. Je vais aborder un sujet légèrement différent.
Lors de nos séances de Vancouver et de Calgary, il a été question des manifestations politiques et de l'élargissement de la définition de terrorisme pour y inclure les menaces aux infrastructures essentielles. J'ai également reçu à ce sujet un courriel d'une grand-mère très active sur le plan politique vivant dans ma circonscription. Elle y indiquait qu'on peut aisément imaginer un gouvernement déclarant qu'une manifestation n'est pas un acte de défense, mais plutôt une tentative d'intimidation du public ou d'un segment de la population.
Je me demande si vous pouviez tous les deux nous donner votre avis à ce propos. Comment considérez-vous que la loi pourrait être modifiée pour autoriser les manifestations, mais pas les actes de terrorisme visant les infrastructures?
Eh bien, la loi a été modifiée au cours de la dernière législature pour en éliminer le mot « légal ». La définition de « manifestation » est donc plus large.
Il n'existe pas de réponse facile à cette question. Les Canadiens doivent s'habituer au fait que les manifestations, la défense des droits, les désaccords et l'expression artistique sont autorisés dans notre société; la loi autorise ces activités, dans la mesure où elles ne s'accompagnent pas d'actes de violence contre la personne ou la propriété. L'exception s'applique lorsque des infrastructures essentielles sont sur le point d'être abîmées. C'est une subtile distinction, qu'un juge devra faire dans chaque cause. Le droit de manifester n'est pas illimité, mais il fait partie des droits prévus par la loi
Je peux vous donner un exemple tiré des réunions du G20 à Toronto. Le gouvernement au pouvoir souhaitait que ces réunions aient lieu au centre-ville de Toronto, mais les organisateurs ne voulaient pas de manifestation, même si les sommets du G10 et du G20 n'avaient pas manqué d'en provoquer les années précédentes. Cela s'inscrit dans la culture, si l'on peut dire, et je vous ferais remarquer cela fait partie de la culture canadienne. Il n'y a donc pas de réponse facile.
Pour utiliser l'exemple du G20, ce sommet a eu lieu avant l'entrée en vigueur de la Loi antiterroriste, et vous avez vu à quel point le gouvernement a réprimé les manifestations, arrêtant des manifestants réunis pacifiquement à Queen's Park même s'ils ne se trouvaient pas du tout à proximité du conflit qui faisait rage au centre-ville de Toronto.
La mesure, adoptée en secret ou très rapidement et dans la plus grande discrétion, autorisait la police à exiger que les gens s'identifient à une distance de 10 mètres de la clôture entourant le lieu où se déroulait le sommet du G20. Interprétant cette mesure, les agents de police ont considéré qu'elle les autorisait à vérifier l'identité de tous ceux qui se trouvaient en ville, y compris les journalistes et les manifestants. Voilà qui montre bien comment ces lois peuvent être extrêmement déformées par les organismes d'exécution de la loi.
Pour ce qui est des manifestations, je pense qu'il existe une réponse assez simple à la question. Je ne suis pas un expert du domaine juridique, mais mon organisation est d'avis qu'il est inutile de prévoir une disposition sur le terrorisme en ce qui concerne les manifestations et les menaces aux infrastructures. On peut régler la question grâce au Code criminel, en vertu des lois précédentes, qui permettaient de réagir adéquatement dans ces affaires. Quiconque fait exploser un pipeline peut être poursuivi au criminel. Si quelqu'un, au cours d'une manifestation, arrête le fonctionnement de pipelines, comme cela s'est produit la semaine dernière, cette personne peut être poursuivie sans être accusée d'infractions liées au terrorisme, accusations auxquelles elle s'expose bel et bien.
Ce que les manifestants ont fait la semaine dernière, arrêtant le fonctionnement de pipelines en fermant la valve de sécurité, était certainement illégal, et ils peuvent être poursuivis pour ces gestes. Mais c'était aussi un acte politique de désobéissance civile. Il importe qu'ils ne passent pas le reste de leurs jours en prison pour cela. Or, la loi les expose à une sanction bien plus sévère. Il est important que nous empêchions cela en considérant ces gestes comme des infractions criminelles au lieu de prévoir une forme de crime vaguement et très largement défini pouvant s'appliquer quand un juge ou le gouvernement en décide ainsi.
Vous avez tous les deux traité de la liste d'interdiction de vol de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens.
Lors du témoignage qu'elle a rendu en 2015, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique a déclaré que « Les voyageurs dont le nom figure sur ces listes sont jugés trop dangereux pour prendre l'avion, mais pas assez pour être arrêtés. »
Monsieur Atkey, vous avez indiqué que nous devons immédiatement rectifier la situation. Quelles modifications devrions-nous apporter à court, à moyen et à long terme pour corriger les problèmes dans la Loi sur la sûreté des déplacements aériens?
Je pense que la liste d'interdiction de vol est là pour rester. Il ne s'agit par d'une invention du Canada. Il en existe depuis bien plus longtemps aux États-Unis, aux Nations Unies, au comité 1397, qui en a une depuis 1997. Ce qu'il faut, c'est que cette liste soit équitable. Or, si on peut aisément s'y retrouver inscrit, il est peut-être trop difficile d'en faire retirer son nom. Ce n'est pas juste dans le cadre du processus que vous entreprenez.
En ce qui concerne les droits d'appel, dès qu'une personne découvre qu'elle est interdite de vol, les choses devraient être plus faciles et se dérouler dans un contexte adéquat. Elle devrait avoir le droit de savoir s'il existe des preuves contre elle et bénéficier d'une audience à huis clos au cours de laquelle un juge se pencherait sur la question ou à laquelle un avocat spécial assisterait pour veiller à ce que la décision soit juste.
Certaines personnes n'auront pas gain de cause si les organismes du gouvernement ont réuni des preuves donnant à penser qu'elles constituent une menace pour la sécurité du pays. C'est là le critère qui s'applique aux termes de la loi.
Certainement. J'ai récemment fait partie d'un groupe d'experts avec un membre du National Council of Canadian Muslims, qui s'intéresse évidemment à la liste d'interdiction de vol en raison des noms de personnes qui y figurent.
Un des points les plus préoccupants, c'est le fait que les gens ne sont pas informés quand leur nom est ajouté à la liste. Ils ignorent totalement ce qu'il se passe jusqu'à ce qu'on leur refuse l'embarquement une fois à l'aéroport. Même quand on leur interdit d'embarquer dans l'avion, on ne les avise pas qu'ils sont sur la liste d'interdiction de vol. Ils n'ont aucun moyen de le savoir. Il est ridicule d'envisager des procédures d'appel alors que les gens ne sont même pas informés qu'ils figurent sur la liste.
Je pense que M. Atkey et moi-même serions d'accord pour affirmer que des changements importants s'imposent. Il est raisonnable que le Canada ait une liste d'interdiction de vol. C'est une pratique internationale, qu'il ne peut décider d'abandonner tout seul. Il faut toutefois prévoir un processus d'appel et aviser les intéressés, qui doivent avoir le droit de contester leur inscription sur la liste. Il est souvent arrivé que le nom d'un bambin de cinq ans y figure parce qu'il porte le même nom que quelqu'un d'autre. Une erreur a été commise quelque part.
À ce que nous sachions, Maher Arar n'est pas inscrit sur la liste d'interdiction de vol du Canada, mais comme le Canada a communiqué sa liste à d'autres pays, il figure sur la leur et ne peut sortir du pays. Voilà qui nous ramène à l'échange de renseignements. Nous devons faire très attention à ce qui arrive aux gens dont le nom se trouve sur la liste, car si nous communiquons ces informations à d'autres pays, les Canadiens pourront peut-être faire retirer leur nom de notre liste, mais pas de celle d'autres pays, même s'ils avaient été ajoutés à notre liste par erreur.
Merci, monsieur le président. Je suis ici pour la journée. Je n'ai donc pas eu le privilège de me réveiller à 3 h 30, heure de Calgary, comme les autres membres du Comité. J'ai peut-être donc un peu plus d'énergie.
Monsieur Atkey, en ce qui concerne le livre vert, j'ai siégé au sein du Comité à au moins une occasion. Nous avons entendu M. Wesley Wark nous faire part de ses préoccupations à ce sujet. Il a notamment indiqué que ce livre semblait orienter le débat public vers une décision forclose. Il a parlé de ses préoccupations quant à la responsabilisation, à la prévention de la radicalisation, à une réduction de la menace sans distinction entre la situation au pays et à l'étranger, et à la transparence de la liste d'interdiction de vol, à propos de laquelle je crois comprendre que le Comité a entendu des inquiétudes dans toutes les régions du pays. En ce qui concerne le livre vert, je me demande si vous pourriez nous faire part des préoccupations que vous pourriez avoir à ce sujet ou des problèmes que vous y voyez aussi.
Mon avis diverge peut-être légèrement de celui de M. Wark, qui est un professeur exigeant. Je ne voudrais pas être son étudiant. Je pense que ce livre constitue un premier pas valable, qui ne règle toutefois pas tous les problèmes. Par exemple, il ne prévoit pas de conseiller en matière de sécurité nationale auprès du premier ministre, alors que c'est un rôle important. Le document de discussion est plus important que le livre vert, puisqu'il s'agit d'un document très créatif qui non seulement traite de la teneur du livre vert, mais comprend également des exemples concrets permettant aux intéressés de voir exactement ce en quoi tient la politique et ce que la structure comprend. J'accorde un A- au livre vert et à son document de référence, qui constituent au moins des ouvrages publics utiles aux fins de discussion.
Vous avez, entre autres, abordé la question du projet de loi C-22. Même si je comprends parfaitement que nous discutons ici d'un cadre de sécurité nationale, vous avez parlé de ce projet de loi et indiqué que vous voudriez que des amendements y soient apportés. Quels sont ces amendements?
Ils concernent principalement le droit de veto du ministre et les pouvoirs qu'a le premier ministre de caviarder et de ne pas divulguer l'information. J'ai lu les débats parlementaires sur le projet de loi C-22, et la plupart des amendements concernent ce cadre. Je ne pense pas que nous devrions en parler aujourd'hui alors que je vais traiter de la question la semaine prochaine.
Merci.
Monsieur Henheffer, nous avons entendu le commissaire Paulson, de la GRC, qui a fait remarquer que la situation est très différente en ce qui concerne les agents, soulignant qu'on reste parfois dans le noir. À un moment donné, il a indiqué qu'on reste dans le noir le quart du temps, alors qu'on peut obtenir des renseignements les autres fois. Il semble maintenant qu'on soit constamment dans le noir, car un grand nombre d'organisations ou de terroristes communiquent au moyen de messages cryptés. Comment, selon vous, pouvons-nous résoudre ce problème, compte tenu de votre préoccupation à l'égard des droits?
La lutte contre le chiffrement est perdue d'avance. Il est absolument impossible pour le gouvernement canadien d'empêcher des organismes externes de transmettre des communications chiffrées. Nous aurions beau demander à toutes les entreprises canadiennes qui font du chiffrement de nous donner une clé, cela ne donnerait absolument rien puisqu'il existe des milliers d'autres entreprises partout dans le monde, hors de notre ressort, avec lesquelles n'importe qui peut faire affaire.
L'idée d'essayer d'empêcher le chiffrement ou de lutter contre le chiffrement est une grosse erreur. C'est impossible. C'est impossible pour le gouvernement d'y arriver. Tout ce que nous pouvons faire, c'est rendre le Canada, les acteurs légitimes et les gens qui utilisent légalement le chiffrement, y compris nos organismes d'application de la loi, beaucoup moins sûrs en exigeant des clés et un accès. Les seules personnes à qui cela nuira sont les citoyens respectueux des lois, un point c'est tout.
C'est de la folie de penser que nous réussirons à accéder aux renseignements restés dans le noir au moyen du chiffrement. Cela ne fonctionnera jamais, et une grande partie de la raison pour laquelle la collecte de métadonnées massives et de données générales ne peut tout simplement pas fonctionner, c'est que les méchants qui tiennent vraiment à vous empêcher d'obtenir ces renseignements seront en mesure de le faire. Soit ils travailleront hors ligne, soit ils utiliseront des techniques de chiffrement que notre gouvernement n'arrivera jamais à percer parce que le chiffrement sera fait par des organismes situés hors de notre territoire. La seule façon de lutter efficacement contre cela, ce serait d'employer des méthodes de surveillance traditionnelles et d'envoyer un agent sur les lieux. On ne peut pas accéder aux renseignements s'ils sont coupés d'Internet. Il faut que quelqu'un soit sur place. Voilà comment il faut procéder.
Merci. Nous avons le temps pour une série de questions de trois minutes et demie.
Monsieur Mendocino.
Merci, monsieur le président.
Je vais revenir sur la question que je voulais poser à M. Henheffer et à Mme Klein. Elle porte sur la préconisation ou la fomentation de la perpétration d'infractions de terrorisme prévues au paragraphe 83.22(1) du Code criminel.
Je veux essayer de comprendre votre préoccupation, car à mon sens, le paragraphe 83.22(1) inclut un élément de faute, et cette faute est liée à la façon dont on définit généralement les infractions de terrorisme et l'activité terroriste. Pour que ces infractions soient commises, il doit y avoir un motif réel de préconiser ou de fomenter une activité terroriste; bien sûr, un journaliste qui rend simplement compte des faits n'aurait pas ce motif.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, à l'heure actuelle, l'élément du motif prévu par le Code ne protège pas les journalistes contre les enquêtes et les poursuites?
Je ne suis pas spécialiste du droit. Je me réfère aux travaux d'autres spécialistes du droit. Des gens comme Kent Roach et Craig Forcese ont fait des analyses, et nous avons basé beaucoup de nos recherches sur les leurs.
Au fond, le libellé dépend de la façon dont on lit la loi. On pourrait interpréter la loi en retirant le motif, se dire que le journaliste ne fait peut-être pas la promotion des propos des terroristes, mais qu'une personne qui les lit pourrait être inspirée à attaquer.
Permettez-moi de vous interrompre. Cela pourrait mettre la personne qui lit votre article dans la mire des organismes d'application de la loi ou même du renseignement. Or, je tiens à préciser que si un organisme d'application de la loi ou du renseignement veut déposer une dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition ou obtenir une ordonnance de communication, il doit montrer clairement à l'officier de justice qu'une infraction a été commise ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise, et qu'il réussirait à obtenir des éléments de preuve des lieux ou de la personne visés. Pour y arriver, il doit présenter un motif.
C'est ce que je tente de comprendre. Cette partie-là n'est-elle pas assez claire? Est-elle trop générale ou vague?
Je pense simplement qu'il est très important de comprendre que cela va toucher des journalistes indépendants qui se trouvent sur le terrain. Vous pensez peut-être aux journalistes qui travaillent pour des publications très connues, mais il y a aussi des journalistes indépendants sur le terrain, et ce qu'ils ont commencé à faire est du jamais vu. L'intentionnalité n'est pas facile à défendre s'ils n'ont jamais publié, par exemple.
Il faut absolument comprendre qu'une partie du travail journalistique est accomplie par des gens qui sont prêts à se mettre en danger et à attirer le danger d'un côté comme de l'autre, sans protection.
Pour ajouter à cela, très rapidement, je peux vous donner un exemple concret. Cette année, le lauréat du prix Tara Singh Hayer est M. Ali Mustafa. M. Mustafa est un citoyen canadien qui a été tué en Syrie. Il était l'un des seuls photojournalistes qui se trouvaient à Alep lorsque la guerre a éclaté. Il collaborait directement avec différentes organisations, dont certaines, puisque la situation sur le terrain a changé, seraient liées aujourd'hui à l'EI ou à d'autres groupes extrémistes. Or, quand il était sur place, il ne faisait que raconter l'histoire des gens qu'il rencontrait.
Par rapport à son intentionnalité, cela n'aurait pas été incompréhensible qu'il soit accusé parce qu'il répandait le point de vue de ces personnes simplement à titre d'observateur objectif présent sur le terrain. C'est pour cette raison qu'il a été tué et qu'il est le lauréat de notre prix cette année. C'est le genre de situation qui se trouve dans la zone d'ombre trop générale. Des facteurs réels entrent en ligne de compte parce que le journalisme est un travail salissant.
Merci beaucoup.
Nous allons faire une courte pause pour permettre à notre groupe de témoins de prendre place pour la deuxième heure.
Merci.
Nous allons poursuivre notre travail avec le deuxième groupe de témoins de la journée.
Je rappelle aux membres du public qui se sont joints à nous, durant la pause ou la première séance, que nous recevons cet après-midi les témoignages de nos invités. Ce soir, tout le monde est invité. Si vous voulez prendre la parole, nous vous accorderons du temps au cours de la séance que le Comité permanent tiendra entre 17 h 30 et 19 h 30.
Je tiens à apporter une précision que je n'ai pas faite pendant la première heure. Notre processus de consultation est distinct du processus de consultation du gouvernement sur la sécurité nationale, bien que les deux soient liés. Ce sont des activités parallèles. Le Parlement et l'organe exécutif du gouvernement sont deux entités séparées.
Le gouvernement a publié un Livre vert et il procède à des consultations ministérielles. Évidemment, nous avons accès au Livre vert et nous allons en discuter, mais nos consultations ne portent pas uniquement sur son contenu. En outre, nous n'avons pas l'obligation de publier un rapport avant une date limite quelconque. Toutefois, nous voulons aider le ministre et le gouvernement à comprendre les opinions des Canadiens par rapport au cadre de sécurité nationale. C'est pour cette raison que nous tenons ces audiences.
Continuons avec notre groupe de l'après-midi. Merci, sénateur Segal. Nous accueillons M. Ron Levi et Mme Carmen Cheung de la Munk School of Global Affairs.
C'est vous deux qui allez commencer. Vous partagez votre temps de parole de 10 minutes. Ce sera ensuite le tour de M. Segal.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité à parler du cadre de sécurité nationale du Canada et du Livre vert de 2016 intitulé « Notre sécurité, nos droits ».
Mes brèves observations porteront principalement sur l'importance d'adopter une stratégie fondée sur des données probantes et des leçons apprises à l'égard de la sécurité nationale. Je vais partager mon temps de parole avec Mme Carmen Cheung. Nous travaillons tous les deux dans le laboratoire de justice mondiale de la Munk School of Global Affairs de l'Université de Toronto. Chacun de nous abordera des aspects différents du Livre vert. Mon exposé portera sur la lutte contre la radicalisation menant à la violence, tandis que celui de Mme Cheung portera sur la responsabilisation et la confidentialité. Notre message essentiel est le même: une stratégie en matière de sécurité nationale fondée sur des données probantes doit puiser dans les recherches menées à l'échelle locale, dans les expériences vécues par d'autres pays, ainsi que dans des domaines connexes, comme la criminalité et la justice pénale.
Dans le Livre vert, on considère le terrorisme comme de la violence criminelle. Le livre se penche sur la radicalisation à la violence. On y présente une théorie concernant les personnes qui sont à risque d'être radicalisées et le processus menant à la radicalisation violente. Le Livre vert souligne l'importance de collaborer avec les collectivités, de mobiliser les jeunes et les femmes, ainsi que de faire la promotion de messages positifs pour remplacer les messages violents et radicaux. Il recommande de favoriser la recherche sur la prévention et de lutter contre la radicalisation menant à la violence.
Je félicite le gouvernement du Canada d'avoir élaboré cette stratégie. Pour ma part, j'ai reçu du financement dans le cadre du projet Kanishka pour mes travaux et je suis ravi d'être membre du comité exécutif du Réseau canadien de recherche sur le terrorisme, la sécurité et la société.
Des obstacles entravent la recherche dans ce domaine. On ne peut pas employer des méthodes de recherche utilisables dans d'autres domaines, les démarches expérimentales en criminologie par exemple, pour créer une base de connaissances pouvant servir à l'élaboration de politiques. En outre, quoiqu'un seul acte de terrorisme soit un acte de trop, le nombre d'incidents ne permet pas de mener le même genre de recherches qu'on voit ailleurs. L'accès à la recherche, la méthodologie et l'examen éthique sont plus difficiles dans le contexte de la radicalisation menant à la violence que dans d'autres domaines. Toutefois, les recherches sur la radicalisation et le terrorisme se font de plus en plus nombreuses, et en les combinant aux recherches antérieures sur la criminalité et la justice pénale, on obtient une base de données probantes qui peut servir de fondement.
Puisque nous n'avons pas beaucoup de temps, je vais vous présenter seulement deux études, qui se rapportent directement à la théorie du Livre vert concernant la radicalisation menant à la violence, notamment en ce qui touche l'importance des collectivités et des messages positifs.
La première porte sur ce que nous savons par rapport aux liens entre la police, la mobilisation communautaire et les normes des collectivités. Des recherches menées au Royaume-Uni et aux États-Unis montrent que lorsque les gens estiment que la police est juste et qu'elle ne cible pas certains groupes, il est plus probable que les résidents fassent confiance au corps policier, qu'ils coopèrent avec lui et qu'ils respectent les règles juridiques. Les psychologues sociaux appellent ce phénomène la « justice procédurale », et l'accent placé sur la neutralité, le respect et la confiance permet de prévoir la probabilité de la coopération avec la police, tant relativement à la criminalité qu'au terrorisme.
En revanche, les opinions politiques des personnes qui coopèrent ont peu de répercussions. Selon des recherches faites à Toronto, les contre-discours relatifs au terrorisme sont peu transmis aux jeunes. Les contre-discours actuels ne sont pas largement communiqués au sein de la collectivité lorsqu'il y a une perception que la collectivité fait l'objet d'une surveillance ciblée. Des recherches faites à Los Angeles et dans d'autres villes américaines ont donné des résultats semblables. Des pairs qui remarquent des signes initiaux d'extrémisme peuvent avoir trop peur pour avertir la police ou d'autres membres de la collectivité.
Par ailleurs, les recherches sur les gangs montrent qu'il est efficace que des membres influents de la collectivité — des membres de la famille, des chefs religieux, des ex-délinquants et d'autres — fournissent des messages moraux précieux pour la collectivité, mais que la collectivité désapprouve le comportement. Cette méthode semble fonctionner lorsqu'elle est combinée à des possibilités d'emploi positives et à une mobilisation visant la réduction des crimes violents. Ensemble, ces éléments montrent que la confiance envers les institutions de l'État peut être combinée de manière productive avec la délégitimation de la violence et des attentes communes concernant les comportements qui favorisent des voies productives pour les jeunes.
Le Livre vert reconnaît que les collectivités ont toutes des priorités et des besoins différents. Par conséquent, l'une des façons de renforcer la résilience, c'est d'adopter une approche qui n'est pas centrée exclusivement ou même principalement sur un modèle d'application de la loi, mais plutôt sur une vision globale de la sécurité et du bien-être des collectivités qui intègre les préoccupations locales, y compris les besoins des jeunes.
Aujourd'hui, la lutte contre l'extrémisme violent se tourne vers un modèle complexe de santé publique, dans le cadre duquel on travaille simultanément à la prévention primaire, secondaire et tertiaire. Je pourrai vous en dire plus à ce sujet durant la période de questions.
Puisque nous n'avons pas beaucoup de temps, je n'aborderai pas maintenant le besoin d'élargir notre compréhension de la radicalisation menant à la violence en fonction de nos connaissances sur la criminalité dans son ensemble. Je serai ravi d'en discuter pendant la période de questions, mais j'aimerais faire une dernière observation.
Mon objectif n'était pas de vous fournir des données détaillées sur chaque enjeu. C'était de renforcer les affirmations du Livre vert concernant l'importance de favoriser les recherches, en ajoutant que nous devons porter attention aux connaissances que nous avons déjà acquises grâce aux domaines connexes et aux recherches menées précisément sur la radicalisation menant à la violence.
Ce point m'amène à une observation finale, en quelques secondes. Actuellement, le Livre vert ne présente pas d'indicateurs de réussite applicables à la prévention. Je reconnais les difficultés que cela comporte, surtout puisque la prévention relève de nombreux organismes. En outre, malheureusement, il est impossible d'éliminer complètement le risque d'extrémisme violent. Or, c'est justement ce qui rend si pertinents des indicateurs de réussite qui reflètent les efforts de prévention et qui renforcent la résilience. En intégrant rapidement des indicateurs appropriés — ce qui serait conforme aux engagements du gouvernement liés aux résultats mesurables —, on clarifierait les engagements en matière de prévention et de renforcement de la résilience pour la population canadienne et le gouvernement.
Merci.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour. C'est un privilège pour moi de comparaître à nouveau devant le Comité. Merci beaucoup de m'en donner l'occasion, et merci encore une fois à M. Levi d'avoir la générosité de partager son temps de parole avec moi.
J'aimerais ajouter à ses observations et corroborer l'importance d'apprendre des leçons tirées par d'autres. Je vais donc commencer en disant quelque chose que le Comité sait déjà: on ne peut pas aborder la question du cadre de sécurité nationale du Canada sans parler du besoin urgent de moderniser le cadre de responsabilisation en matière de sécurité nationale. La situation sur la scène internationale montre que le Canada, franchement, accuse un retard par rapport à ses alliés les plus proches en ce qui touche les mesures globales de surveillance et d'examen de la sécurité nationale.
Votre Comité étudie actuellement le projet de loi C-22, qui vise à créer un comité de parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. La responsabilité politique est cruciale, et la volonté d'officialiser l'examen est bien accueillie; or, comme d'autres vous l'auront dit, il faut en faire plus pour moderniser le régime de responsabilisation en matière de sécurité nationale. Le système canadien d'examen par des experts indépendants est fragmentaire, comparativement au modèle consolidé d'examen intégré en place dans des pays comme l'Australie.
Le pouvoir judiciaire peut jouer un rôle important dans la surveillance et dans les examens pour toute une gamme d'activités liées à la sécurité nationale, par exemple, approuver des mandats pour des activités de renseignement impliquant des droits constitutionnels ou se prononcer sur des revendications découlant de mesures prises par le gouvernement. Toutefois, contrairement aux tribunaux américains, les tribunaux canadiens ne jouent pas un grand rôle dans l'autorisation de surveillance étrangère qui pourrait porter atteinte aux garanties contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Ce ne sont là que quelques exemples.
Bien sûr, cela ne veut pas dire qu'il existe un modèle de responsabilisation parfait ou même exemplaire. Au contraire, la valeur des approches comparatives, c'est qu'elles permettent de voir à la fois ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Nous n'avons pas à chercher plus loin que les recommandations émanant de l'enquête Arar ou que la lettre ouverte extraordinaire envoyée l'an dernier pour demander une réforme immédiate du cadre de responsabilisation en matière de sécurité nationale, lettre signée par d'anciens premiers ministres, de hauts responsables de la sécurité et d'anciens juges de la Cour suprême. Nous n'avons pas besoin de nous adresser à d'autres qu'à nos propres experts pour savoir que le régime actuel doit être amélioré.
La consultation nationale à laquelle nous participons actuellement représente une occasion importante de créer un cadre global et intégré de responsabilisation, un cadre qui permettrait d'évaluer si les politiques et les pratiques concernant la sécurité nationale sont efficaces, légales et respectueuses des droits. Des comparaisons avec d'autres pays peuvent nous aider à bâtir ce cadre.
Un système de responsabilisation solide et bien construit accroît la confiance du public. Une certaine transparence des mesures prises par le gouvernement pour protéger la sécurité nationale favorise aussi la confiance du public. Le fait que les activités de sécurité nationale exigent nécessairement de la confidentialité complique la situation. Or, je dirais que les expériences du passé ont montré que le gouvernement a parfois tendance à avoir recours à la confidentialité par réflexe. Par exemple, les commissaires des enquêtes sur les affaires Arar et Air India ont conclu que le gouvernement avait exagéré les réclamations de confidentialité dans ces deux dossiers. En effet, la juge en chef McLachlin a souligné, dans l'arrêt Harkat de 2014, la propension du gouvernement « à exagérer les réclamations de confidentialité fondées sur la sécurité nationale ».
La confidentialité excessive et inutile pose problème pour différentes raisons. Premièrement, comme le juge O'Connor l'a affirmé dans son rapport sur la Commission Arar, lorsque le gouvernement multiplie les réclamations de confidentialité, « le grand public n’en est que plus soupçonneux et cynique à l’égard des réclamations de confidentialité légitimes [...] liées à la sécurité nationale. »
Deuxièmement, les Canadiens devraient être en mesure de comprendre et d'évaluer eux-mêmes la nature des menaces à la sécurité du pays et la justesse de nos réactions à ces menaces. Il devient difficile pour les Canadiens ordinaires de faire ce genre d'évaluation lorsqu'on a excessivement recours à la confidentialité.
Troisièmement, la confidentialité devient la norme. Nous le constatons dans de nouvelles mesures législatives qui permettent de présenter des éléments de preuve à huis clos, et dans des contrôles judiciaires de refus de demandes de passeport et d'ajouts de noms sur la liste d'interdiction de vol. Lorsque les procédures sont confidentielles, c'est difficile de savoir ou de croire qu'elles sont fondamentalement justes. Le principe de l'audience publique est une des assises de la common law, et la confidentialité dans les tribunaux devrait être exceptionnelle. Une société démocratique devrait toujours chercher à rendre les procédures plus transparentes, et non plus opaques.
Alors, comment faire pour trouver un équilibre entre, d'un côté, l'équité et la transparence, et de l'autre, le besoin très réel d'empêcher que les renseignements sur la sécurité nationale tombent entre de mauvaises mains? Dans le cas des instances judiciaires, du moins, nous pouvons puiser dans les leçons tirées par la justice pénale sur la façon de protéger les sources et les renseignements sensibles dans les audiences publiques, sur quels mécanismes permettent le mieux d'établir un équilibre convenable entre la confidentialité et la divulgation, ainsi que sur la manière de recueillir des renseignements qui pourront être présentés dans une cour de justice. Les exigences constitutionnelles d'une instance criminelle peuvent différer de celles d'affaires administratives ou civiles; toutefois, la présomption à l'appui de la transparence et de l'ouverture devrait être la même.
Merci encore de l'occasion que vous nous avez offerte. Nous avons hâte de répondre à vos questions.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de bien vouloir entendre mon point de vue. Je vais m'attacher principalement au projet de loi C-22, qui propose la surveillance par un comité des parlementaires, parce que je pense qu'il est au coeur du principe de la responsabilisation de nos services nationaux de sécurité et du renseignement.
Je pense qu'il faut féliciter le gouvernement du Canada pour la diffusion du Livre vert et du document de travail sur la conciliation entre la sécurité nationale et les libertés individuelles, et pour son ouverture aux suggestions et commentaires du public sur les choix qui nous attendent. Créant un comité composé de parlementaires et chargé d'examiner les activités liées à la sécurité nationale, la nouvelle loi, inspirée du modèle britannique, est également une initiative constructive attendue depuis longtemps.
Comme Mme Cheung l'a fait remarquer, le Canada demeurait le seul partenaire majeur de l'OTAN à ne pas s'être doté d'une structure législative ayant un mandat de surveillance des opérations de sécurité nationale et de renseignement. C'était une anomalie inacceptable, une lacune impardonnable dans le lien essentiel qui existe entre les institutions démocratiques du pays et les agences chargées de protéger la sécurité nationale, ce qui signifie aussi qu'elles sont engagées dans la protection de la démocratie.
Bien qu'une responsabilité ministérielle ait été clairement établie par les lois habilitantes pour organisations telles que la GRC, le SCRS, l'ASFC et le Centre de sécurité des télécommunications, le CST, et bien qu'un degré de surveillance rétrospective, mais limitée, ait été exercée par le CSARS et l'inspecteur général du CST, leur capacité de surveillance prospective plutôt que rétrospective, en réaction à des plaintes, était gravement limitée.
Le modèle proposé dans le projet de loi C-22, c'est-à-dire un comité des parlementaires nommés par décret, à l'image du modèle initialement choisi au Royaume-Uni au cours de la période Thatcher-Major, est le bon. Copier directement le comité des parlementaires actuel du Royaume-Uni, après des décennies d'expérience et un bilan reconnu en matière de discrétion et du maintien du lien de confiance, serait une erreur grave et une menace pour nos opérations de sécurité nationale.
Pour une surveillance efficace et pour que les organismes surveillés et les Canadiens dans leur ensemble en profitent, il faut établir un lien de confiance entre les parlementaires et les organismes. Un examen quinquennal systématique des lois et du projet de loi C-22 quand il aura été adopté permettra d'actualiser la nature et la structure de ce comité des parlementaires à la lumière des défis observés et surmontés dans le contexte canadien.
D'après moi, le comité maintenant proposé est cependant trop peu nombreux. Il devrait compter pas moins de 12 parlementaires, soit 8 députés et 4 sénateurs. La diversité procurée par la nomination de sénateurs indépendants offre au gouvernement une occasion rafraîchissante d'inclure des sénateurs ayant l'expérience des forces armées, de la police, de la sécurité et de la défense, des affaires étrangères, de la lutte antiterroriste et des libertés civiles. On devrait envisager de les faire siéger à ce comité.
Le préambule du projet de loi C-22 devrait préciser que la mission de surveillance du comité des parlementaires ne doit favoriser aucun intérêt ou parti. Elle doit plutôt protéger les libertés civiles, les droits fondamentaux et le droit à la vie privée des Canadiens, conformément à la Charte canadienne des droits et des libertés, et accroître la sécurité nationale et la sécurité des résidents du pays.
Il serait préférable que le même comité de parlementaires surveille tous les organismes de sécurité. Il n'est ni normal ni acceptable que la GRC soit surveillée par une organisation civile séparée ou que l'ASFC ne soit pour ainsi dire pas surveillée.
Un comité des parlementaires plus nombreux, libre de nommer un directeur de la recherche, de la surveillance et de la structure opérationnelle sous-tendant ses activités semble l'option la plus logique. Les membres de l'organisation au service du comité ne doivent pas être nommés par le greffier du Conseil privé ni par les sous-ministres chargés des opérations dans les ministères responsables visés. Cette organisation doit être responsable devant le comité, être assujettie à un mandat clair, être soumise à des protocoles stricts de vérification de sécurité et rassembler des individus d'une solide expérience.
Le greffier du comité devrait avoir rang et statut de sous-ministre principal et être nommé par décret pour une période d'au moins cinq ans, renouvelable par consentement mutuel. Les opérations du Renseignement militaire canadien devraient également être assujetties à la supervision du comité des parlementaires. Les bureaux des opérations du comité, le siège de l'organisation à son service, les lieux de réunion du comité, à huis clos ou non, devraient être situés dans un édifice sécurisé, éloigné de la colline du Parlement et non contigu à la GRC, au SCRS, à l'ASFC ou à la Défense nationale.
La loi habilitante doit protéger le comité contre les demandes d'accès à l'information, à l'exception de celles qui porteraient sur ses dépenses, ses coûts, les frais de déplacement de ses membres et employés et ses activités administratives normales.
La loi doit exempter de ces demandes toute question destinée à être étudiée par le comité, tout témoignage entendu à huis clos, toute négociation à l'ordre du jour avec les représentants des organismes convoqués, toute communication entre les organismes opérationnels et le comité et son unité de soutien opérationnel.
Le président du comité désigné par le gouvernement devrait être appuyé par un vice-président issu du Sénat. Contrairement aux exigences de la loi concernant la Chambre des communes, les sénateurs membres du comité ou le sénateur coprésident du comité, qui devraient aussi être désignés par le gouvernement, n'ont pas besoin d'appartenir à un parti au Sénat. Toute organisation fédérale établie dans ce domaine par la loi, par exemple pour les missions antiterroristes telles que la déradicalisation et la prise de contact avec les communautés, devrait faire l'objet de la surveillance de ce comité des parlementaires.
Je serai heureux de répondre à vos questions sur ce sujet ou d'autres.
Merci beaucoup.
Merci à vous tous.
Ma première question s'adresse au sénateur Segal.
C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai lu votre mémoire, qui a été communiqué aujourd'hui à tous les membres du Comité. À mes yeux, il en ressort nettement que vous appuyez la création d'un comité des parlementaires, mais avant que nous lui accordions une complète indépendance par rapport à l'exécutif, il devrait continuer de relever du premier ministre jusqu'à ce qu'il noue avec le public un lien de confiance grâce à l'expérience, à l'infrastructure et à l'évolution naturelle des choses, comme ça s'est produit au Royaume-Uni, par exemple. Ai-je bien compris?
En même temps, vous semblez aussi préconiser la mise en sommeil des organismes civils existants de surveillance de la GRC et, dans le cas du SCRS, du CSARS. Est-ce aussi vrai?
En général, je pense que ces organismes ont été entravés par trois ou quatre contraintes très graves, auxquelles échapperaient le comité proposé et l'organisation à son service. Ainsi, l'examen fait par le CSARS, qui était en grande partie rétrospectif, fondé sur l'analyse des plaintes formulées par des citoyens, avait d'après moi une portée insuffisante. Ensuite, et elle découle certainement de mon travail au Sénat, qui m'a permis d'interroger des témoins comme l'inspecteur général du Centre de la sécurité des télécommunications, l'idée qu'un juge et un personnel peu nombreux puissent surveiller les millions de messages interceptés par cet organisme, pour toute une série d'objectifs constructifs, est franchement ridicule.
Ce n'était pas faute de bonne volonté de la part du juge et de son personnel, mais cette équipe était insuffisante pour la tâche.
Le vrai problème est de la dichotomie qui existe entre la surveillance en temps réel, qui devrait porter sur les opérations, et l'examen, qui est essentiellement la fonction que remplit actuellement le CSARS, dans son mandat d'examiner le SCRS. Est-ce que je le pose bien?
Oui. Je dis, qu'on s'en réjouisse ou pas, que la notion britannique de surveillance, à ses débuts, n'avait aucune dimension rétrospective. C'était un examen des opérations avec comparutions régulières des chefs des organismes devant le comité de parlementaires, discussion de leurs priorités ainsi que de leurs réalités budgétaires et confidences sur leurs plus gros soucis. Ils pouvaient ensuite communiquer ces problèmes aux membres du comité et aussi subir un interrogatoire très sérieux, en séance publique ou à huis clos, selon la nature de la discussion. C'était une bien meilleure méthode de surveillance.
Eh bien je décèle une certaine tension entre les deux propositions, c'est-à-dire que le comité des parlementaires a besoin de temps pour inspirer la confiance du public et, dans cette période de transition, nous voudrions éviter de perdre le fruit d'une expérience que pourvoit actuellement le CSARS, si imparfaite qu'elle puisse être d'après vous. Préconisez-vous la disparition du CSARS dès que nous adopterons le projet de loi C-22 et la création de ce comité des parlementaires ou acceptez-vous la nécessité d'une période de coexistence? C'est ma première question.
La deuxième est la suivante: Je pense que vous êtes à peu près le seul à préconiser ce modèle, parce que la plupart des autres spécialistes qui ont écrit sur ce sujet conseillent de profiter de l'expérience des organismes civils de surveillance. Bien sûr, nous l'avons entendu, certains préconisent un super-CSARS, constitué de spécialistes en la matière à plein temps. Ils craignent notamment, et je pense que c'est sensé, que les parlementaires qui siégeront à ce comité auront d'autres responsabilités. Je vous demande de répondre si possible à ces deux questions.
Permettez-moi d'abord de motiver en partie mon point de vue en disant que c'est précisément celui qu'a adopté à l'unanimité le Comité sénatorial sur l'antiterrorisme dans ses recommandations au gouvernement antérieur sur le genre d'organisme de surveillance qu'il conviendrait de créer et sur son éventuel mandat.
J'ai cru et je continue de croire que le projet de loi C-22 est très fidèle à ces recommandations. Modifier ma position serait montrer un peu un manque de sincérité.
Donc vous croyez que si le projet de loi C-22 est adopté et que, en conséquence, le CSARS et...
C'est votre deuxième question. Permettez-moi de répondre à celle-là.
Les membres de votre comité le sauront mieux que moi-même, mais le gouvernement peut promulguer différents articles d'une loi à différents moments pour les mettre en vigueur. Le CSARS se retirerait graduellement de ses activités actuelles, l'organisme civil qui surveille la GRC ferait de même, dans un processus de transition qui pourrait durer deux ou trois ans, mais, à la fin, il subsisterait un seul comité des parlementaires doté de ressources considérables.
À propos, le modèle britannique prouve malheureusement que le député à qui le premier ministre demande de siéger à ce comité ne disposera plus de beaucoup de temps pour ses autres tâches parlementaires.
Très bien. Je vais vous demander d'arrêter maintenant, parce que je tiens à poser ma dernière question à M. Levi.
Vous avez effleuré la notion de mesures de la réussite dans la lutte contre la radicalisation. Pourriez-vous en dire un peu plus à ce sujet, rapidement? D'après vous, à quoi ressembleraient ces mesures?
Elles vont nous obliger à réfléchir au processus en soi de radicalisation menant à la violence. Si nous pouvons distinguer, comme le suggère le Livre vert, la radicalisation de la radicalisation menant à la violence, ces mesures de réussite devront intervenir quelque part le long du parcours de la radicalisation menant à la violence et non sur celui de la seule radicalisation. Alors à quoi pourraient-elles ressembler?
Si nous croyons que la justice procédurale entre la police et les membres de la collectivité fait partie de ce processus, alors nous pouvons percevoir une justice procédurale bonifiée comme mesure à rechercher. Si nous croyons que les liens avec l'école chez les jeunes, les engagements pris envers l'éducation, ce genre de choses — qui, je le sais d'après mes propres recherches, tendent à avoir un effet préventif contre la criminalité —, si tout ça fait partie de ce processus, c'est là que se trouveraient les mesures de la réussite. Cependant, il faudra élaborer une analyse de ce à quoi ressemble le processus de radicalisation menant à la violence.
En plus de la poursuite de la scolarisation, la satisfaction de ses aspirations à l'instruction et à la formation, qu'en est-il des autres problèmes sous-jacents comme le logement ou l'accès au transport? Pourriez-vous prendre un moment ou deux pour nous en parler?
Quand je fais allusion à un modèle de santé publique, en songeant à des stratégies primaire, secondaire et tertiaire pour résoudre le problème, c'est exactement le genre de problème complexe qui stigmatise tellement les victimes et qui comporte des risques élevés pour les résultats auxquels nous songeons.
Quand, d'une certaine manière, on en vient aux questions de développement dans les communautés, on s'engage avec elles à être à l'écoute de leurs besoins, les besoins qu'elles perçoivent, les besoins, aussi, de leurs jeunes. Ce peut-être à cause du chômage, les transports en commun. C'est la réponse à ces conditions qui s'insérerait dans cet engagement et qui ferait partie des mesures de réussite, si nous disposons d'une théorie développée de la radicalisation menant à la violence.
Merci beaucoup.
J'ai une petite question pour le sénateur puis je veux avoir une conversation avec le professeur.
Je pense que vous avez dit, relativement au modèle initial britannique, que vous le préfériez à ce vers quoi il a évolué jusqu'en 2013, mais vous avez ajouté une observation très troublante: que si le modèle proposé évolue vers le modèle britannique actuel, ce serait une menace pour la sécurité nationale du Canada. Pouvez-vous dire pourquoi?
C'est simplement à cause des modalités de nomination au comité au Royaume-Uni. L'idée d'être privé des protections assurées au début enverrait aux organismes de sécurité qui sont à notre service à tous — et je pense que nous tous ici présents, nous admirons les hommes et les femmes qui consacrent leur vie à la sécurité de notre pays — un message favorisant la défiance et la dissimulation envers le comité. Tant que ce rapport de confiance n'est pas établi au bout d'un certain temps, ça pourrait avoir un effet négatif sur les risques qu'ils sont prêts à prendre dans le cadre de la loi et de la Constitution pour protéger la sécurité nationale.
Je pense que même si le Royaume-Uni a beaucoup évolué depuis quelques décennies, parce que c'est notre premier comité de surveillance réel formé de parlementaires qui obtient effectivement l'attestation de sécurité pour connaître toute la vérité, nous devrions commencer là où les Britanniques ont commencé et non là où ils se trouvent maintenant.
D'accord.
Vous pensez qu'en faisant relever le comité du cabinet du premier ministre, et c'est le premier ministre qui dirigerait le comité, les organismes, dans ce modèle, se sentiraient plus en confiance de parler de ce qu'il faut dire?
Oui. Je dirais qu'ils seraient plus francs et plus transparents, sachant très bien que, au Royaume-Uni, si un élément d'information se retrouvait dans l'un des rapports rédigés par le comité et destinés au Parlement, le premier ministre, essentiellement sur les conseils de son conseiller national à la sécurité, pouvait faire le nécessaire pour le supprimer.
Mais, au Royaume-Uni, il faut aussi signaler qu'on a altéré le rapport à tel endroit de tel paragraphe, ce qui éveille la curiosité du public.
Pour ma part, je dirais qu'un rapport mutilé ne symbolise pas la transparence.
Je comprends aussi très bien qu'il faut éloigner de ce domaine des enjeux de la sécurité nationale. Ça, je le comprends.
Je voudrais poursuivre.
Je m'intéresse beaucoup à ce sujet, parce que je pense que la voie qui mène à la radicalisation est vraiment longue. Je pense que la radicalisation se situe à une extrémité avant laquelle il faut franchir beaucoup d'étapes.
Vous avez parlé d'établir des communautés résilientes, de nous assurer l'engagement des communautés... et, particulièrement, de mobiliser la police dans la communauté pour instaurer entre les deux un niveau de confiance. D'après mon expérience, c'est absolument et exactement ainsi que les communautés ont besoin de fonctionner et de se doter d'une résilience.
Je tiens cependant à vous poser cette question. Je ne parle pas d'une région ou d'un pays en particulier. Des enfants venant d'un pays déchiré par la guerre, qui ont été témoins de la violence, qui souffrent du stress post-traumatique, qui sont peut-être orphelins ou que sais-je, diriez-vous que, si on les laisse sans appui — et je sais qu'ils seraient plus à risque — seraient-ils plus enclins à se radicaliser? Je sais qu'ils sont plus enclins à faire partie de bandes et à adopter un comportement criminel et tout ça — c'est nettement prouvé —, mais ce fil conduit-il à la radicalisation?
Nous n'en avons pas la preuve. C'est clair et simple: nous ne le savons pas. Je n'ai vu aucune donnée empirique qui le montrait.
Cela étant dit, je pense que comme sujet éventuel de recherche et ainsi comme objet éventuel d'une politique, ce serait de découvrir un parcours vers la radicalisation violente qui ne s'inspire pas de la pensée des publications spécialisées, celle de la théorie du tapis roulant, selon laquelle, je ne sais comment, A cause B qui cause C, le tapis roulant qui conduit à la radicalisation violente. Nous n'avons pas vu de bonnes preuves de cette évolution. Le cas d'Aaron Driver est un exemple. Nous n'avons pas vu de preuves de sa valeur prédictive.
Aux questions comment prévoir? et est-il possible de prévoir d'après l'expérience?, je n'ai pas vu d'éléments qui permettraient d'y répondre.
Je dirais que, en la matière, il s'agit de trouver les points vulnérables et d'y intervenir. Dans la réflexion à faire, nous devrions songer à d'abord travailler au premier niveau, face à face, puis au deuxième niveau, celui des communautés, enfin au troisième niveau, avec la police et les autres organisations de l'État, etc.
Je pense aussi qu'il faudrait personnaliser la démarche et s'adresser aussi aux personnes qui n'ont eu aucun contact avec ce risque, celles qui se situent avant le fait, aux personnes qui peuvent avoir été exposées à ce risque et à celles qui ont soit été radicalisées ou, comme nous disons, ont subi une radicalisation menant à la violence.
Nous devons localiser ce seuil. Je ne crois pas que le Livre vert le fasse. Ce sera une question d'appréciation. Je pense qu'il faudra être très vigilant. Nous devons tous y réfléchir.
D'accord. Faute de recherche — je veux dire aux fins de prévention —, serait-il avantageux de?... Dans beaucoup de pays, on a constaté une radicalisation beaucoup plus grande qu'ici, au Canada. Il me semble donc que, pour en tirer des leçons, nous devrions chercher là-bas des indicateurs et les intégrer dans votre grille d'analyse.
Je pense qu'il s'agit d'accélérer la recherche. Un comité est créé sur la radicalisation, mais nous ne possédons ni données, ni points de comparaison, ni résultats de recherche. Il en faut.
Je crains de devoir vous interrompre. Je ne peux pas vous laisser répondre.
Je rappelle aux membres qu'ils peuvent aussi demander aux témoins des réponses par écrit. À la fin nous verrons si vous voulez en obtenir.
Quant aux témoins, s'ils souhaitent communiquer des renseignements au Comité, ils peuvent le faire sous forme de mémoire.
[Français]
Monsieur Dubé, vous avez la parole.
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Monsieur Segal, je ne tiens pas à trop discuter du projet de loi C-22, parce que nous y consacrerons des séances, mais, puisque vous êtes ici et que des questions ont été posées, j'en ai quelques-unes qui me tracassent. C'est peut-être simple incompréhension de ma part. Dans la commission Arar, le juge O'Connor a précisément parlé de l'importance d'une surveillance élargie et intégrée par des spécialistes, et tous les spécialistes que nous avons entendus ont dit que cette forme de surveillance et la surveillance parlementaire sont indissociables.
Corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble que vous pensez presque qu'une surveillance parlementaire robuste pourrait agir presque seule. Est-ce que je me trompe?
Non. J'ai rapidement dit dans mon exposé que le socle du comité, la bureaucratie qui travaille en coulisse, devrait réunir les spécialistes les plus compétents, les plus expérimentés, pour appuyer le comité dans ses travaux, mais la surveillance devrait être parlementaire, là où l'expertise sert à l'analyse et à la surveillance. L'idée d'une surveillance parlementaire et d'une autre surveillance favorise une concurrence dans cette fonction qui permet au ministre en poste de choisir le point de vue qu'il estime approprié. C'est une idée stérile.
D'accord. Je vous suis reconnaissant de cet éclaircissement.
Je voulais aussi parler des préoccupations soulevées par les réformes trop rapides par lesquelles les Britanniques sont passés. Je peux le comprendre, mais, en même temps, quand vous avez soulevé l'idée de gagner la confiance d'organismes comme le SCRS, le plus important, d'après moi, est de gagner celle du public. De passage à Ottawa, il y a quelques semaines, le président du comité britannique a précisément dit que, pour ce comité, ces réformes, par exemple l'élection de son président par les parlementaires, étaient une façon de gagner la confiance du public. Tout en comprenant les craintes soulevées par des réformes trop rapides, ne perdons-nous pas aussi la confiance du public en n'en mettant pas en oeuvre immédiatement, en amendant le projet de loi?
Question tout à fait légitime. À mon avis, si, en cinq ans, le comité parvenait à un degré d'évolution semblable à celui où se trouve actuellement le comité britannique, nous aurions réussi sur les deux plans. Mais si nous arrivions directement là où le comité britannique se trouve maintenant, alors que nous commençons pour la première fois à exercer une véritable surveillance parlementaire, nous courrions le risque d'obtenir le résultat contraire.
D'accord. Pour vous donner un exemple précis, je pense que, dans le modèle britannique, on élit pour faire partie du comité des candidats nommés par le premier ministre. Si nous options simplement pour une sélection plus traditionnelle des membres — pour l'exprimer ainsi — et au moins élire le président, alors la confiance dans le comité augmenterait, simplement grâce à quelqu'un qui ne serait pas perçu comme le pion du cabinet du premier ministre. Je ne dis pas que ça se produirait, mais la perception, n'est-ce pas que c'est important?
C'est effectivement un aspect important. À mon avis, le premier ministre perd une partie du pouvoir discrétionnaire absolu dont il a toujours bénéficié en matière de sécurité nationale du simple fait que l'on met sur pied ce comité, ce qui est une bonne chose en soi. Si nous diluons ainsi ce pouvoir discrétionnaire en créant un comité de surveillance, il faut tout de même laisser au premier ministre et au ministre de la Sécurité publique, quel que soit le gouvernement au pouvoir, la capacité de décider des mesures à prendre en définitive pour protéger la sécurité nationale, tout simplement parce que cela relève de leur responsabilité. Cette responsabilité a préséance sur tout le reste. Si nous ne leur permettons pas de procéder aux caviardages et de prendre les autres mesures dont nous avons discuté, en plus de nommer les membres du comité dans un premier temps, il me semble bien que nous minons leur capacité à protéger la sécurité nationale des Canadiens, un engagement incontournable pour n'importe quel premier ministre.
Je comprends.
J'ai une dernière question à votre intention, car je dispose de peu de temps et j'en ai également une à poser à M. Levi. Ne conviendriez-vous pas avec moi que le premier ministre a toujours joui de ce pouvoir et que le projet de loi C-51 représente tout de même une atteinte sans précédent — si j'ose dire comme d'autres l'ont fait avant moi — aux droits des Canadiens en matière de protection de la vie privée? Étant donné notamment les dispositions de cette loi permettant les échanges de renseignements, ne pouvait-on pas s'attendre à ce que le premier ministre et le gouverneur en conseil voient leurs pouvoirs être réduits par ailleurs compte tenu de tout ce qu'ils ont demandé et obtenu dans le cadre de ce projet de loi?
Je conviens avec vous que le projet de loi C-51 est allé trop loin à bien des égards. Je conviens aussi avec vous que des changements doivent être apportés. Je conviens également avec vous que la position adoptée par le parti qui était alors le troisième en importance à la Chambre des communes, à savoir que l'on allait appuyer le projet de loi mais y apporter des changements par la suite, était tout à fait pertinente d'un point de vue stratégique et tactique. Je crois par ailleurs que bon nombre des dispositions de ce projet de loi qui vont trop loin seront invalidées comme il se doit par les tribunaux du fait qu'elles enfreignent la Charte des droits et libertés. J'estime en outre que les autres changements qui seront apportés par le gouvernement actuel conformément à ses engagements seront les bienvenus et permettront d'aller de l'avant sur de meilleures bases. Je pense toutefois qu'il faut faire la distinction entre les excès de ce projet de loi et les mesures qu'il convient de prendre relativement à la surveillance parlementaire.
Merci.
Je vous ai peut-être mal compris, monsieur Levi, mais vous avez parlé dans vos observations de la lutte contre la radicalisation et de la crainte qu'engendre la surveillance au sein des collectivités. Je me demandais simplement si vous faisiez ainsi référence à une loi en vigueur. Je ne sais pas exactement ce que vous vouliez dire par là.
Je crois que vous faites référence à une étude menée à Toronto, non pas par moi mais par des collègues. D'après leurs constats, lorsqu'un contre-discours au sujet de la radicalisation ou de la radicalisation menant à la violence circule déjà parmi les jeunes d'une collectivité, il peut arriver que ceux-ci cessent de transmettre le message lorsqu'ils se sentent ciblés et surveillés par les forces de l'ordre. Le simple fait de soulever des arguments contre la radicalisation inquiète les gens qui cessent ainsi de le faire. En ciblant les collectivités de cette manière, on se prive d'une ressource que l'on pourrait mettre à contribution.
À ce sujet, il est beaucoup question dans le Livre vert des discours et des contre-discours. Je ne sais pas s'il a pu être établi que les discours incitant à la violence ont pour effet d'amener effectivement les gens à passer à l'acte, ou bien s'ils s'en servent plutôt comme justification. Des études psychologiques ont indiqué que cela pouvait être l'un ou l'autre. C'est une considération qu'il faut garder à l'esprit lorsqu'il est question de ces discours.
Est-ce que les lois et les mesures en vigueur qui créent un risque de profilage et de voir certaines collectivités être ciblées de façon inéquitable, comme la liste des personnes interdites de vol, peuvent entraver les efforts de lutte contre la radicalisation?
D'après ce que nous apprend la documentation sur l'équité procédurale, laquelle ne traite pas uniquement de mesures comme la liste de personnes interdites de vol, les gens qui estiment être ciblés de façon injustifiée par les forces de l'ordre ont tendance à remettre en question la légitimité de celles-ci et risquent moins de vouloir collaborer avec elles. Lorsque l'on considère qu'une mesure est d'application générale, le fait que certaines personnes se retrouvent sur la liste pendant que d'autres n'y sont pas n'incite pas les gens à remettre en doute le caractère légitime de l'institution.
Merci.
J'aimerais seulement glisser une brève question.
Madame Cheung, j'ai fait un petit dessin pendant que vous parliez de surveillance. C'est vous qui avez traité du rôle que peut jouer l'appareil judiciaire. J'ai ajouté le ministre. C'est le ministère qui supervise le travail de ces agences. Nous pouvons également compter sur différents inspecteurs généraux et ombudsmans. Nous avons aussi le groupe consultatif d'experts, éventuellement un super CSARS, sans compter la surveillance parlementaire.
Selon ce que laisse entendre M. Segal, la surveillance parlementaire s'exerce sur tous ces plans, ce qui est vrai en principe d'une certaine manière, même si ce n'est pas explicitement énoncé.
Auriez-vous des observations à nous faire ou des documents à nous transmettre à ce sujet?
Je n'ai aucun document écrit pour vous à ce sujet.
Je me réjouis de voir votre petit dessin. C'est la façon dont je perçois les choses. Je considère que les activités d'examen et de surveillance doivent être menées au sein des trois organes du gouvernement.
Du point de vue de l'appareil judiciaire, j'estime que cela exige des capacités de surveillance et d'examen, c'est-à-dire la surveillance via l'autorisation des mandats nécessaires, et l'examen après les faits lorsqu'il y a des raisons de croire que la conduite du gouvernement peut avoir porté atteinte à certains droits, ou s'il doit y avoir réparation avant une mesure de sécurité nationale. Il faut mettre en place un solide mécanisme d'examen, voire de surveillance, parlementaire. Je pense qu'il reste encore à déterminer si l'on devrait miser sur la surveillance ou sur l'examen, et si la surveillance ministérielle est absolument nécessaire.
Sauf erreur, nous n'avons pas parlé — et le Livre vert n'y fait pas allusion — de l'abolition du poste d'inspecteur général du SCRS il y a quelques années. Il pourrait être bon de rétablir une fonction semblable assurant une surveillance davantage en temps réel afin que le ministre demeure au fait de la situation au sein de l'agence, plutôt que d'en être informé après coup. Il est notamment indiqué dans les rapports du SCRS que des mesures auraient peut-être pu être prises plus rapidement à l'égard de certains faits préoccupants si un inspecteur général était demeuré en place. Je pense que nous devrions continuer à réfléchir à cette possibilité.
C'est l'un des inconvénients de la présidence, n'est-ce pas?
Merci à tous de votre présence aujourd'hui.
Comme vous avez traité principalement du projet de loi C-22, sénateur Segal, je vais conserver mes questions à votre intention pour l'étude de ce projet de loi.
Je vais donc m'adresser surtout aux gens de la Munk School. Lorsqu'il a été question de la lutte contre la radicalisation, vous avez mentionné le projet Kanishka. J'ai jeté un coup d'oeil sur les thèmes proposés, et il y en a certains qui ne sont pas énoncés dans le Livre vert ou auxquels je n'aurais pas nécessairement pensé dans le contexte du cadre de sécurité nationale: « Perception et émotion »; « Résilience et dynamiques collectives »; comment certains événements peuvent « influencer les pensées et les actions relatives à la sécurité nationale »; comment les majorités et les minorités perçoivent ces questions; comment les incidents terroristes peuvent « endommager le tissu social ». Ce sont différents aspects que nous n'abordons pas vraiment.
Lorsque nous parlons de lutte contre la radicalisation, s'agit-il des éléments que nous devrions prendre en compte? Le cas échéant, avez-vous des suggestions à nous faire?
La question s'adresse à vous deux.
Je vais vous répondre en deux volets. Premièrement, il sera essentiel d'avoir une certaine compréhension du contexte communautaire pour se faire une bonne idée du cheminement de la radicalisation menant à la violence, pour reprendre l'expression utilisée dans le Livre vert. Il convient donc de déterminer la manière dont les collectivités composent avec les forces de l'ordre, quelles sont leurs préoccupations en cas de sécurisation, et comment elles entendent agir dans tout le dossier du terrorisme et du radicalisme violent, même si tout cela n'est pas directement pertinent pour l'étude psychologique d'un cas particulier.
Deuxièmement, il faut établir au Canada un vaste cadre de recherche sur la lutte contre l'extrémisme violent et le terrorisme. Dans le contexte du projet Kanishka et du réseau TSAS, d'importants efforts ont été déployés afin de mobiliser des chercheurs aux fins de la mise en commun des connaissances disponibles depuis plusieurs années déjà. C'est également en partie une tentative en vue de favoriser l'émergence d'une communauté de recherche qui nous permettrait d'examiner ces questions dans une perspective plus générale.
Êtes-vous en train de nous dire que les recherches menées dans le contexte du projet Kanishka devraient s'inscrire dans notre étude du cadre de sécurité nationale?
Tout dépend de l'étude qui est réalisée. J'imagine que ce serait effectivement le cas pour certaines d'entre elles.
Merci.
On pose notamment la question suivante: « Quelles sont les ressources et les services les plus nécessaires pour le rétablissement après un incident terroriste? » C'est un autre élément que nous ne prenons pas vraiment en compte. Que devrions-nous faire à la suite d'un tel incident, sans qu'il soit nécessairement le fait d'extrémistes? Ainsi, un de nos témoins a fait valoir que les changements climatiques devraient être pris en considération dans notre étude sur le cadre de sécurité nationale.
Un peu dans le même ordre d'idées, j'aimerais aussi savoir si vous voyez des différences entre les sexes. Devons-nous concevoir des programmes différents pour les hommes et pour les femmes ou variables en fonction de l'âge pour lutter contre la radicalisation?
Les considérations liées au sexe, tout particulièrement, ainsi qu'à l'âge peuvent intervenir à l'égard d'au moins deux aspects de la question. On parle dans le Livre vert de la mobilisation des femmes et des jeunes. D'après ce que je puis comprendre, les femmes sont considérées comme un facteur de protection du fait qu'elles sont notamment capables de véhiculer des messages positifs et de favoriser l'inclusion sociale au sein de la communauté. C'est un élément de l'équation.
Il y a aussi le fait que des recherches sont menées au sujet des filles, habituellement, que l'on craint de voir sombrer dans l'extrémisme violent. Voilà donc un autre aspect.
Pour ce qui est de l'âge, les extrémistes violents ont souvent autour de 20 ans, à quelques années près. C'est à peu près le même constat que pour la criminalité. Nous ne savons toutefois pas s'il est possible de transplanter dans ce nouveau champ d'intervention les connaissances que nous avons acquises en matière de criminalité et de justice pénale. Ainsi, nous observons un abandon du comportement criminel à certains points dans la pyramide des âges. Bref, la criminalité diminue lorsque les jeunes avancent en âge. Reste à savoir si cela s'applique dans le cas qui nous intéresse. En toute franchise, nous n'avons rien qui le prouverait. Nous savons seulement que les incidents qui nous affectent sont le fait de jeunes personnes.
Différentes recherches ont été menées sur les femmes pouvant devenir des extrémistes violentes. Je n'ai pas ces documents en main, mais je me ferai un plaisir de les transmettre au Comité si cela peut vous être utile.
Vous avez parlé des préoccupations à l'échelle internationale et j'ai noté que le Livre vert fait état de nombreuses comparaisons avec le Royaume-Uni et l'Australie, mais que l'on parle très peu de comparaisons semblables avec d'autres pays. Avez-vous des comparaisons internationales dont vous pourriez nous fournir les résultats en dehors de celles déjà présentées dans le Livre vert?
Oui, bien sûr.
Selon moi, si le Royaume-Uni et l'Australie sont des bases de comparaison si invitantes, c'est parce que ces pays ont des systèmes parlementaires assez semblables au nôtre et ont abordé les problèmes de sécurité un peu de la même façon que nous l'avons fait.
Je sais que l'on a tendance à éviter de se tourner du côté des Étasuniens pour trouver des réponses, notamment parce que leur structure gouvernementale est très différente de la nôtre. Nos voisins du Sud ont mis en place pour ainsi dire la totalité des mécanismes de responsabilisation possibles. Nous pourrions discuter de l'efficacité de ces mécanismes et des problèmes causés par la politisation d'instances comme la cour du service du renseignement étranger. Dans le cadre d'un examen des instances de responsabilité judiciaire et de surveillance au sein des institutions, je pense qu'il serait bon de jeter un coup d'oeil aux structures mises en place par les États-Unis. Je pourrais également fournir ces renseignements au comité.
Monsieur Segal, comme il semble bien que ce sera la seule occasion pour nous de se rencontrer, je vais surtout m'adresser à vous.
Je suis persuadé que vous êtes au fait des sept exceptions prévues dans le projet de loi C-22 mis de l'avant par le gouvernement. À titre d'exemple, le comité ne peut pas avoir accès aux renseignements ayant un lien avec une enquête criminelle en cours, à ceux issus des activités de renseignement de la défense, à ceux visés par la Loi sur l'investissement Canada concernant précisément le blanchiment d'argent, ou à ceux touchant le financement du terrorisme.
Ne croyez-vous pas que l'on limite ainsi le champ d'action du comité proposé? Tous les pouvoirs ne seront-ils pas regroupés au sein du cabinet du premier ministre? Enfin, comment peut-on parler d'une véritable surveillance ou supervision si l'on restreint de cette manière les renseignements auxquels un comité de parlementaires peut avoir accès?
Je ne crois pas que l'on devrait imposer des contraintes semblables. J'ai indiqué très clairement dans mon exposé que les informations tirées des activités de renseignement de défense et militaire devraient faire l'objet de la même surveillance. J'estime que des modifications s'imposent à l'égard des dispositions du projet de loi qui excluent ainsi certains éléments de discussion, exception faite des renseignements liés à une poursuite criminelle qui ne relèvent pas de la sécurité nationale.
Étant donné les circonstances, et compte tenu de ces restrictions, il semble bien qu'une grande partie des pouvoirs reviendront au cabinet du premier ministre, ou seront peut-être confiés à certains de ses ministres. Seriez-vous de cet avis, ou est-il possible...
Je réponds toujours à cette question en m'interrogeant sur le point de départ. Nous partons d'une situation où tous les pouvoirs sont dans les mains du bureau du premier ministre, du cabinet et du ministre de la Sécurité publique. Si nous créons effectivement un tel comité, quel sera son mandat? Comment sera-t-il formé? Quelle sera sa capacité d'enquête? J'estime qu'il devrait y avoir le moins de restrictions possible.
Je crois également que toutes les questions, comme celles touchant l'immigration, ou tous les dossiers liés au renseignement, à la surveillance et à la sécurité nationale devraient relever de ce comité proposé dont le champ d'action devrait être suffisamment large pour lui permettre de s'acquitter de ces responsabilités. Je serais disposé à accepter une seule contrainte, à savoir que le cabinet du premier ministre et le conseiller à la sécurité nationale devraient avoir le droit de caviarder un document lorsqu'une partie de son contenu pourrait compliquer la tâche de nos services de sécurité dans leurs efforts pour mener à bien une tâche légitime dans un contexte particulier. Toutes les fois que l'on aurait recours à une telle pratique, il faudrait que cela soit rendu public de telle sorte que les parlementaires, les Canadiens et les médias sachent de quoi il en retourne et puissent poser des questions à ce sujet.
Merci pour cette réponse, monsieur Segal.
Monsieur Levi, vous avez parlé des services de police dans les collectivités. Vous avez noté la nécessité pour la police d'établir de bonnes relations et d'être perçue comme étant équitable en invoquant les principes d'équité procédurale, de neutralité et de respect de la justice notamment. D'après vous, dans quelle mesure les services de police canadiens satisfont-ils aux critères que vous avez établis? Avez-vous mené des études à ce sujet? Existe-t-il des indicateurs nous permettant de savoir si les services de police canadiens sont sur la bonne voie dans la poursuite de ces objectifs?
Je n'ai pas effectué de telles études. À la lumière de mes interactions avec les corps policiers du Canada, je peux toutefois vous dire qu'ils sont bien conscients de cette problématique dans le contexte de la lutte contre l'extrémisme violent ou la radicalisation menant à la violence, et qu'ils ont déjà conçu des programmes pour mettre en oeuvre des mesures en ce sens. D'une manière générale, je suis pas mal certain que les services de police canadiens ont adopté ce cadre d'équité procédurale depuis un bon moment déjà. Je n'ai toutefois aucune donnée qui me permettrait de déterminer dans quelle mesure cela a été fait.
Madame Cheung, comment le Canada se classe-t-il à ce niveau comparativement à d'autres gouvernements, d'autres pays?
Tout comme le professeur Levi, je n'ai mené aucune recherche portant expressément sur les services de police. Tout comme lui également, j'ai eu des interactions avec les corps policiers canadiens et je sais donc qu'ils sont très actifs en la matière, ce qui est le cas également d'autres services de police. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, la police participe aux efforts déployés pour contrer la radicalisation et l'extrémisme violent. Mais, comme le soulignait M. Levi, cela fait peut-être partie des éléments qui exigent une étude plus approfondie. Il faut en effet se demander si une telle présence des policiers aux premières lignes pour accomplir ce genre de travail peut contribuer à faire en sorte que les collectivités sentent qu'elles sont ciblées et qu'elles font l'objet d'une sécurisation.
Lorsqu'il est question de lutte contre l'extrémisme violent, si nous envisageons une approche en douceur du genre de celle du programme Prevent au Royaume-Uni qui exige une déclaration aux enseignants, est-ce qu'on modifie la relation et la dynamique entre les enseignants et leurs élèves, entre les enseignants et leur collectivité? Les enseignants ne sont-ils pas vus comme des outils de l'État? Selon moi, c'est le genre d'études comparatives que nous devrions mener pour évaluer les répercussions des différentes mesures prises afin de guider l'élaboration de nos propres stratégies de lutte contre l'extrémisme violent.
Merci beaucoup.
Je tiens à tous vous remercier de l'expertise dont vous nous avez fait bénéficier et du temps que vous nous avez consacré aujourd'hui.
C'est ainsi que se termine cette séance. Nous allons maintenant prendre une pause avant de revenir dans cette salle à 17 h 30 pour prêter une oreille attentive aux interventions des gens du public et à leurs recommandations à notre intention.
Merci.
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