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Merci, monsieur le président.
Jamais auparavant on ne m'a dit que je pouvais disposer de tout le temps que je souhaitais. Voilà qui me fait sentir d'autant plus privilégié cet après-midi. J'ai toujours estimé que c'était un privilège que de témoigner devant votre Comité. J'apprécie donc de pouvoir vous rencontrer à l'occasion de ce qui sera sans doute une dernière fois dans ces fonctions.
Nous avons eu souvent l'occasion de parler de questions importantes. Vous m'avez déjà entendu parler de sujets que nous allons de nouveau aborder aujourd'hui, mais comme je le dis toujours, je ne cesserai jamais de me répéter tant que tout le monde ne sera pas à l'écoute. Certains des thèmes que je vais aborder sont nouveaux et, bien sûr, nous aurons l'occasion d'échanger amplement lors de la période des questions.
Encore une fois, merci, monsieur le président.
Je suis accompagné de Ivan Zinger, directeur exécutif et avocat général du Bureau de l’enquêteur correctionnel.
Le ministre de la Sécurité publique a déposé le Rapport annuel au Parlement le jour de l'Halloween, le 31 octobre 2016. Il s'agissait de mon 12e rapport annuel et du 43e rapport du Bureau de l'enquêteur correctionnel, si bien que l'on peut parler d'une longue tradition, d'un long passé quant au genre d'échanges que nous allons avoir.
Comme il convient, le rapport du présent exercice fournit une évaluation de l’état des actuel des services correctionnels au Canada ainsi qu’un plan détaillé pour une réforme globale. Le rapport comporte 27 recommandations. C'est plus que raisonnable, c'était nécessaire.
Comme vous le savez, le rapport s’adresse à un nouveau gouvernement et il réitère délibérément certaines des recommandations n’ayant pas encore été mises en oeuvre ou n’ayant jamais obtenu de réponse adéquate, d’autres ayant été ignorées ou rejetées et d’autres encore qui traînent depuis trop longtemps.
En outre, ce rapport comprend de nouvelles recommandations qui ciblent, par exemple, les droits des détenus transgenres, le rôle des fournisseurs de soins de santé au sein des services correctionnels, ainsi que les préoccupations opérationnelles liées aux récentes unités à sécurité minimale dans les établissements régionaux pour femmes.
Il s’agit d’une fiche de rendement publique qui se veut équilibrée et impartiale, mais quelque peu volumineuse. J'espère que votre Comité pourra s'en servir de fiche de reddition de compte au sujet du fonctionnement du Service correctionnel du Canada. En dépit des progrès réalisés dans certains dossiers, les domaines à améliorer ne manquent pas.
Je suis heureux que le rapport du présent exercice et les recommandations connexes aient été accueillis avec un degré d’intérêt renouvelé de la part du Service correctionnel du Canada et du ministre. Cela se révèle positif, encourageant et de bon augure pour ce qui est d’assurer la transition harmonieuse et fructueuse du prochain enquêteur correctionnel. Je quitte ce poste en étant pleinement confiant dans l’avenir du Bureau et dans ces relations avec le Services correctionnels.
Voici quelques questions qui ressortent à la lumière du rapport du présent exercice:
Il y a premièrement une augmentation constante du nombre d’Autochtones derrière les barreaux, lesquels représentent à l’heure actuelle plus de 25 % de la population carcérale totale. Les cycles liés aux traumatismes intergénérationnels, à la pauvreté et aux possibilités fermées qui continuent de s’étendre au sein de nos pénitenciers demeurent un fléau dans le dossier du Canada en matière des droits de la personne.
Il y a un besoin démontré, mais non comblé, de fournir davantage de programmes de formation professionnelle et d’acquisition de compétences dans le système correctionnel. Plus des trois-quarts des personnes admises dans les établissements fédéraux à l’heure actuelle n'ont pas de diplôme d’études secondaires. La plupart d’entre elles n’ont jamais disposé d’un revenu fixe ni occupé un emploi stable.
Les progrès au chapitre de la prévention des décès en établissement se sont révélés insuffisants. Mon Bureau continue de mener des enquêtes sur des décès en établissement pour lesquels l’intervention du personnel s’est avérée inadéquate, tardive ou bâclée. Le taux de suicide en établissement demeure résolument élevé, tandis que l’âge médian de la mortalité naturelle demeure particulièrement bas, avec une moyenne de seulement 62 ans.
Le besoin envers de nouveaux modes de prestation de services pour les délinquants qui sont atteints de troubles mentaux importants, qui s’automutilent de manière chronique ou qui sont suicidaires demeure plus que jamais urgent et criant.
Le nombre d’incidents de recours à la force mettant en cause des agents inflammatoires et chimiques est alarmant. Depuis 2011, l’utilisation des vaporisateurs de poivre sur les détenus a triplé. L’emploi de ces agents demeure tellement ancré, répandu et banal qu’il risque de supplanter les méthodes plus dynamiques et moins coercitives de règlement des conflits derrière les barreaux.
Le système carcéral est de plus en plus mal outillé pour satisfaire aux besoins en matière de soins de santé de la population de détenus qui est vieillissante et qui devient de plus en plus malade derrière les barreaux. Nous devons trouver des options plus sécuritaires et rentables pour gérer une sous-population croissante qui présente les risques les moins élevés pour la sécurité publique, bien que les coûts en matière d’incarcération s’y rattachant restent parmi les plus onéreux.
Ces préoccupations ne datent pas d’hier. Même avec le degré d’intérêt renouvelé envers le rapport du présent exercice, bon nombre de mesures auxquelles le Service s’est engagé à donner suite exigent d’autres études et consultations, une évaluation des options ou la préparation de rapports quelconques.
Bien que des consultations et des études approfondies se révèlent essentielles, le Bureau fait état annuellement de ces enjeux depuis ma nomination initiale en 2004. Les questions qui posent problème sont maintenant profondément et fermement ancrées.
Je vais profiter du temps qu’il me reste pour souligner les domaines d’intérêt mutuel et les priorités qui se recoupent entre mon Bureau et votre Comité, et les intentions énoncées par le gouvernement au chapitre de la réforme du système de justice pénale.
Quatre grands domaines ressortent des lettres de mandat du : Un, régler la question de la surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux. Deux, établir d’autres limites légales quant au recours à l’isolement cellulaire au Canada. Trois, mettre en oeuvre les recommandations restantes découlant de l’enquête sur le décès d’Ashley Smith. Quatre, effectuer un examen exhaustif du système de justice pénale.
Il existe de nombreuses façons de faire progresser ces domaines d’intérêt sans devoir entreprendre une longue et importante réforme législative. Parmi celles-ci, citons la mise en oeuvre de ces recommandations auxquelles on n’a pas donné suite:
Premièrement, nommer un sous-commissaire aux affaires autochtones au sein des services correctionnels fédéraux.
Deuxièmement, faire en sorte que les dispositions législatives visant les Autochtones, dans la Loi sur le système correctionnel, et la mise en liberté sous condition soient pleinement utilisées, y compris par l'augmentation du nombre d’ententes intergouvernementales relatives à la prise en charge, à la garde et à la surveillance des délinquants autochtones par les communautés de Premières Nations, métis et inuites.
Troisièmement, assurer la prestation de services de soins infirmiers 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, dans tous les établissements à sécurité moyenne et maximale.
Quatrièmement, réaffecter les ressources afin de mieux financer les initiatives de réadaptation et les activités de réinsertion sociale dans la collectivité.
Cinquièmement, améliorer la formation sur les droits de la personne et sur le droit correctionnel à l’intention du personnel correctionnel de première ligne.
L’accès à des soins de santé de qualité derrière les barreaux exige une attention soutenue. J’estime qu’il est d’intérêt public que le modèle optimal pour les soins de santé mentale du Service fasse l’objet d’une validation indépendante.
En outre, il est temps que le Service correctionnel du Canada accroisse les mesures visant à réduire les méfaits qui reflèteront de manière plus générale ce qui est offert et mis en application dans la collectivité.
Enfin, il faut poursuivre davantage l’intégration des services de santé en établissement et dans la collectivité afin de faciliter la réinsertion sociale en toute sécurité et en temps opportun.
Dans le cadre de l’examen plus général et de la réforme du système de justice pénale du Canada, on doit chercher des moyens de renforcer la surveillance indépendante. Voici comment atteindre cet objectif:
Premièrement, signer le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et mettre sur pied un système d’inspection à l’échelle nationale et internationale pour tous les lieux de détention au Canada.
Deuxièmement, introduire un arbitrage indépendant afin de prolonger l’isolement préventif au-delà de quinze jours.
Troisièmement, mettre sur pied un bureau de défense des patients dans les cinq centres régionaux de traitement du Service correctionnel du Canada.
Quatrièmement, créer une table ronde sur la prévention des décès en détention.
Cinquièmement, garantir l’indépendance de la Division des appels de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
Des progrès dans ces domaines permettraient au Canada de redevenir un des chefs de file au chapitre des droits de la personne et contribueraient à rétablir la confiance du public en ce qui touche les décisions prises par la Commission des libérations conditionnelles du Canada et le Service correctionnel du Canada.
En outre, un examen précis de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la LSCMLC doit être entrepris dans le contexte plus général de l’examen du système de justice pénale.
Plusieurs aspects de la LSCMLC nécessitent une attention immédiate, notamment:
Premièrement, le recours à un arbitre indépendant et l’interdiction de placer en isolement préventif certaines catégories de délinquants, comme les délinquants qui éprouvent des problèmes importants de santé mentale, qui s’automutilent ou qui sont suicidaires.
Deuxièment, un examen de l’objectif et des principes des services correctionnels fédéraux afin qu’ils correspondent davantage à la Charte des droits et libertés.
Troisièment, l’établissement de facteurs liés aux antécédents sociaux des Autochtones, soit l'arrêt Gladue, comme exigence obligatoire dans le cadre de toute décision qui influe sur les intérêts relatifs à la vie, à la sécurité ou à la liberté d’un délinquant autochtone.
À cette liste, j’aimerais aussi ajouter certains éléments liés à la libération conditionnelle qui, s’ils étaient changés, permettraient d’éliminer des obstacles inutiles à la réinsertion sociale sécuritaire et en temps opportun: le rétablissement des procédures d’examen expéditif ou de la mise en liberté fondée sur la présomption pour les délinquants non violents purgeant une première peine d’emprisonnement sous responsabilité fédérale; un examen des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle; une évaluation de la nécessité de tenir des audiences en personne pour les décisions postsuspension et des examens obligatoires relatifs aux conditions d’assignation à résidence; un examen des dispositions relatives à la suspension du casier, y compris les périodes d’attente et les frais obligatoires.
Enfin, de nombreuses réformes à l’extérieur du système correctionnel fédéral pourraient avoir une incidence positive sur les résultats correctionnels, y compris la surreprésentation des Autochtones dans les pénitenciers et la criminalisation des personnes atteintes de troubles mentaux: un pouvoir judiciaire discrétionnaire accru dans le cas des suramendes compensatoires; un pouvoir judiciaire discrétionnaire accru dans le cas de la plupart des peines minimales obligatoires; le financement par le gouvernement fédéral des services d’aide juridique pour les personnes autochtones accusées, afin de s’assurer que les facteurs liés aux antécédents sociaux, l'arrêt Gladue, sont pris en considération par les tribunaux et les services correctionnels; un examen des solutions de rechange à l’incarcération, y compris les peines avec sursis, les mises en liberté sous caution et les tribunaux spécialisés; des réformes du système de justice pénale visant à répondre aux besoins des délinquants atteints du trouble du spectre de l’alcoolisation foetale.
Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de votre intérêt pour le travail accompli par le Bureau de l'Enquêteur correctionnel. J'apprécie le temps que vous m'avez accordé et je suis prêt à répondre à vos questions.
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Messieurs Sapers et Zinger, je vous remercie beaucoup d'être ici. Merci pour votre important travail.
Monsieur Sapers, nous vous remercions tout particulièrement pour vos longues années de service dans ce domaine. Tous mes vœux vous accompagnent dans votre nouveau rôle.
Je vais consacrer les sept minutes dont je dispose à examiner avec vous la question des relations de nos communautés autochtones avec le système correctionnel fédéral. En fait, au début de son mandat, le comité a formulé le désir, exprimé par certains de ses membres, d’intervenir dans ce domaine. Je garde présent à l’esprit ce que vous avez dit au sujet des études ultérieures, mais vous nous rendriez service en acceptant de voir dans mes questions une demande de la part du comité de l'aider à formuler une approche conduisant à une intervention plus active de sa part sur cette très importante question.
Pour ce qui est des Premières Nations, notre gouvernement s’est engagé on ne peut plus clairement en faveur d'un dialogue de nation à nation. Cela touche des questions que nous avons vues cette semaine, comme les approbations de pipelines. Les questions relatives à la santé des Autochtones et à l'infrastructure dans le Grand Nord en ce qui concerne l'eau potable. Mais je dirais que rares sont les domaines où le message est aussi profond que dans celui des services correctionnels.
Je me propose d'aborder avec vous quatre thèmes généraux qui ressortent de votre rapport, mais aussi du troisième rapport de la vérificatrice générale intitulé Préparer les délinquants autochtones en vue de leur mise en liberté. Nous parlons de la surreprésentation, de l'accès aux programmes correctionnels, du parcours du cycle complet des programmes correctionnels, puis de l’étape importante de la libération et de la réintégration.
J'aimerais ajouter à cela la très importante question des femmes autochtones. Je ne perds pas de vue les commentaires du rapport sur les femmes en général, mais une analyse comparative entre les sexes montre que la situation des personnes appartenant à la fois à la catégorie femme et à la catégorie autochtone exige de toute urgence un regain d’attention.
Ma demande est la suivante. Pouvez-vous dégager pour nous, les messages les plus saillants de vos écrits, de votre rapport, en commençant peut-être par la surreprésentation? Certains disent que ce n'est pas vraiment la faute du système correctionnel, parce qu'en amont il y a un processus judiciaire par lequel les gens sont forcés de passer. C'est une question distincte, mais comment pouvons-nous remédier à la surreprésentation en facilitant l’accès à des programmes tenant compte des spécificités culturelles?
Ensuite, en ce qui concerne le processus de libération, comment pouvons-nous l’améliorer et éliminer le risque de récidive, tout en facilitant la réinsertion sociale?